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Researches 11-20
 
11 - Nouvelles réflexions sur les méthodes de fabrication de faux centuriques antidatés
 
12 - Des éditions à quatre Centuries vers les éditions à sept centuries
 
13 - Documents postdatés et documents antidatés dans le corpus nostradamique
 
14 - Avatars des mentions de dates, de nombres de centuries et de quatrains au titre des éditions.
 
15 - La contribution du long dix-septième siècle à l'édition centurique.
 
16 - Sur la date de la première impression des Centuries VIII-X (« second volet « )
 
17 - Les filiations improbables des recherches astrologiques et nostradamologiques.
 
18 - L’étude négligée des épîtres centuriques en prose
 
19 - La culture de l’imposture dans le champ nostradamique
 
20 - Les titres des éditions et la question des 39 articles ajoutés à la « dernière « centurie
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 

 

Researches 11-20

 

11 - Nouvelles réflexions sur les méthodes de fabrication de faux centuriques antidatés

Nous voudrions insister sur deux points : d’une part, l’utilisation de documents d’époque permettant de conférer au faux un cachet ancien, une patine et d’autre part, le principe d’une sorte de « double comptabilité », à savoir que les contrefaçons sont doublement datées et que l’on modifie seulement les pages de titre pour disposer à la fois d’une date présente –ou d’une absence de date – et d’une date ancienne. Certains ont contesté ce second point en soulignant que les éditions antidatées (1555-1568) n’ont pas leur pendant exact à la fin du XVIe ou au début du XVIIe siècle.

I La préparation des fausses éditions antidatées.

Certains nostradamologues ont montré à quel point certaines éditions datées du vivant de Nostradamus et censées avoir été publiées chez tel ou tel libraire/éditeur sont, au niveau de leur présentation respectent un certain nombre de traits caractéristiques des libraires concernés (bandeaux, lettrines etc.). Patrice Guinard a dévolu beaucoup de temps à mettre ce point en évidence en faisant appel évidemment à d’autres documents que les documents centuriques, à des fins de comparaison. Mais en même temps, ce faisant, il est à craindre qu’il ne nous montre surtout comment les faussaires eux-mêmes auront procédés, en se servant des mêmes données qu’il aura mises en évidence. On retrouve ainsi certaines lettrines de la Préface à César dans certains ouvrages produits par le dit Bonhomme, signe d’authenticité ou au contraire indication d’imposture ? Dans notre travail consacré à la prophétie de Saint Malachie (Papes et prophéties, Ed. Axiome, 2005), nous avons montré que ce sont les mêmes documents qui servent à valider le texte et qui servent à la constituer, à savoir des Histoires de la Papauté.

Prenons le cas du privilège figurant en tête des éditions Macé Bonhomme 1555. C’est probablement un cas unique de privilège figurant au sein d’une édition centuriques des XVIe ou XVIIe siècle alors même que les almanachs et pronostications sont très fréquemment accompagnés de privilèges de tous ordres.1 . Au verso de la page de titre comportant « La permission est insérée à la page suivante. AVEC PRIVILEGE » on trouve un Extraict des registres de la Sénéchaussée de Lyon ». Or, il faut savoir que ce type de document est attesté au sein de pronostications. On a le cas de l’édition de la Pronostication nouvelle pour 1558, Lyon, Jean Brotot et Antoine Volant.(cf Catalogue Scheler, op. cit. p 24) qui diffère d’ailleurs de l’édition (que nous avions retrouvée à la Bibl. de La Haye), reprise par B. Chevignard (in Présages de Nostradamus, op. cit.,p. 442) parue, quant à elle, à Paris, chez Guillaume Le Noir. Il n’était pas bien difficile de recycler un tel Extraict et de le retoucher pour le placer en tête de l’édition Macé Bonhomme 1555 si ce n’est que les privilèges accordés aux libraires éditant Nostradamus ne visaient jamais, à notre connaissance, un ouvrage particulier mais plusieurs catégories, au nombre de trois : Almanachs, pronostications, présages. (cf. nos Documents, p. 201).

Cela dit, quand on examine le privilège concernant les Prophéties datées de l’an 1569 dédiées à la puissance divine & la Nation Française de « M. Anthoine Crespin Nostradamus », il vise cet unique ouvrage (cf. Documents, p. 206) comme pour Macé Bonhomme 1555  où sont uniquement visées « Les Prophéties de Michel Nostradamus ». Le parallèle est d’ailleurs intéressant entre ces deux « Prophéties », vu que, selon nous, Crespin représentait le camp protestant et Michel Nostradamus, par delà la mort, le camp ligueur jusqu’à ce que toutes ces pièces antidatées, les unes comme les autres, soient fondues en un seul volume, néanmoins divisé en deux volets distincts, le second n’étant d’ailleurs, en règle générale, pas daté. On ne doit pas sous estimer la surenchère entre les deux camps quant à la production de documents de plus en plus anciens ou de plus en plus en expansion quantitative, faisant dire et prédire à Nostradamus ou à Crespin Nostradamus ce qui convenait au camp concerné.

II La double « comptabilité » des éditions néo-centuriques

Nous commencerons par l’étude des éditions Benoist Rigaud. Le catalogue Scheler comporte (pp. 56 et 58) un exemplaire que nous avons pu examiner et qui d’ailleurs détermine les limites chronologiques du titre du dit catalogue, dressé par Michel Scognamillo : « 1555-1591 ». Cette date de 1591 ne correspond à aucune date présente sur l’édition non datée Benoist Rigaud dont il s’agit. Il s’agit d’une estimation proposée par certains bibliographes. Date éminemment improbable car venant trop tôt pour rendre compte de l’existence du quatrain IX, 86, au second volet, relatif, selon nous, au couronnement de Chartres qui ne fut pas planifié avant la fin de 1593..Mais il est possible que des éditions ne comportant pas ce quatrain sous sa forme retouchée aient paru – et pas forcément avec le référencement par centurie et numéro de quatrain - ou en tout cas qu’un certain matériau devant servi à la production des dites éditions ait préexisté de quelques années. Cela dit, il est tentant de penser qu’aucune édition du second volet n’ait existé avant l’approche ou le lendemain du couronnement de 1594, à partir de l’Epitre au Roi de 1556/1557. Quid alors du témoignage de Crespin citant l’année 1558 pour une épitre au Roi (cf nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus) et fournissant divers versets centuriques relevant du second volet dès 1572 ? Il s’agit vraisemblablement d’un faux lié à un certain revival crespinien des années 1590/(cf RCN, pp.127-128)

Si l’on examine cette édition, en la comparant à une édition datée de 1568, sous la houlette du même libraire (cf. page de titre des deux volets, catalogue Thomas Scheler, pp.41 et 44) les similitudes sont frappantes : mêmes vignettes spécifiques à chaque volet, même mise en page, même vignette centrale, reprise selon nous des pages de titre des almanachs de Barbe Regnault. Bien plus, les seconds volets sont strictement identiques puisqu’ils ne comportent de date, ni l’un ni l’autre. On comprend mieux d’ailleurs l’absence de date : soit on ne mettait pas de date, soit l’on plaçait la date dans un espace vide. Il n’était donc pas nécessaire de changer la date et de toute façon, cela n’affectait que le premier volet, qui correspond en fait à la page de titre de tout l’ensemble, le second volet n’ayant d’autonomie. Malheureusement, l’on n’a pas conservé le second volet de l’édition Antoine du Rosne Bibl. Utrecht. Il était probablement daté du fait qu’il comportait l’Epitre à Henri II de juin 1558. Mais par la suite, pour les éditions postérieures, cela ne s’avéra plus utile.

Il suffisait donc de glisser 1568 dans certaines pages de titre ou de laisser en blanc :

A LYON

PAR BENOIST RIGAUD

[1568] optionnel

Avec permission

Cette dernière formule ne correspondant en fait à aucun document, dans le corps du texte, tant pour les éditions 1568 que les éditions sans date. C’était d’ailleurs préférable car il aurait fallu deux « permissions » différentes selon que l’on se situait en 1568 ou à la fin du siècle.

Dans les autres cas, l’analyse est sensiblement plus complexe et un tel parallèle au titre est rare. Un des parallèles les plus simples est celui de l’édition parisienne Veuve N. Buffet (également au Catalogue Thomas Scheler p. 49) datée de 1561 mais quasiment superposable sur les éditions parisiennes datées de1588- 1589, (Veuve Nicolas Roffet, Pierre Ménier, Charles Roger) tant au titre qu’au contenu. Quelques différences cependant assez mineures, il nous semble : 38 articles « additionnés », dans l’édition 1561 au lieu de 39 au titre des éditions ligueuses, une centurie VIII de 6 quatrains sous la Ligue, inexistante dans l’édition 1561. En revanche, le même étrange décalage entre titre et contenu est observable.

Prenons d’autres exemples concernant les éditions Antoine du Rosne 1557. A peu de choses près, l’exemplaire de la Bibl. de Budapest correspond à l’édition d’Anvers 1590, si ce n’est la présence de 5 quatrains supplémentaires à la VIIIe centurie. Même absence d’avertissement latin et de quatrain 100 de la centurie VI, outre le fait que ces éditions sont à un seul volet. En revanche, les pages de titre différent du fait que l’édition d’Anvers ne comporte pas en son titre de vignette nostradamique mais la marque du libraire. Le texte est proche à part le fait que dans un cas l’on a Les grandes et merveilleuses prédictions et dans l’autre Prophéties mais à la dernière page, il est renvoyé à une édition des « Professies » (sic), Avignon 1555. La même erreur grammaticale est en outre observable au titre « dont il en y a trois cens » au lieu de ‘dont il y en a », comme dans les éditions Benoist Rigaud. Et bien entendu, le libraire n’est pas le même alors qu’avec Benoist Rigaud, l’on disposait d’un libraire dont la carrière s’étendait sur une trentaine d’années mais selon nous les éditions Rigaud sont toutes postérieures à la mort du dit Rigaud en 1597.

En ce qui concerne Antoine du Rosne, 1557 Utrecht, on a affaire à deux volets calqués sur les éditions Benoist Rigaud, passées par le moule troyen : on y rétablit l’avertissement latin et on ajoute 2 quatrains à la VIIe centurie. Les éditions Rigaud ne sont en fait, dans ce système, que la réédition d’Antoine du Rosne Utrecht, ce qui explique qu’elles ne comportent aucun trait posthume par rapport à la récente mort de Nostradamus. Mais c’est finalement l’option 1568 qui aura prévalu sur l’option 1557, d’où la multiplicité des éditions Benoist Rigaud, recensée et classée par Patrice Guinard, lequel s’en tient à la thèse d’une véritable parution en 1568, donc avant tout le processus enclenché sous la Ligue, dont selon nous les dites éditions Rigaud sont l’aboutissement, la thèse inverse voulant que le processus ligueur aurait été une dégradation des éditions Rigaud à deux volets. Un scénario bien différents et impliquant non plus une dynamique constructive mais une dynamique destructive.

Terminons avec le cas de Macé Bonhomme 1555. De quelle édition est-issue une telle édition ? On dispose certes d’une édition 1588 Rouen Raphaël du Petit Val « divisée en 4 centuries », du moins est-ce qui est indiqué au titre externe , mais ne correspond guère à son contenu, son ancien possesseur Daniel Ruzo assurant – (Testament de Nostradamus, op. cit, p. 282) qu’il n’y a pas trace de division en centuries à l’intérieur. En cela, le contenu se distingue de la présentation Macé Bonhomme en 4 centuries, laquelle correspond en revanche au titre de 1588. Inversement, le titre Macé Bonhomme, lui n’indique pas de centuries, en son titre et correspond dès lors au contenu de l’édition Rouen 1588. Tout se passe comme si l’on avait interverti les titres. Mais cette fois, le titre correspond à une antidatation et non pas à une postdatation. On en arrive à supposer que ces décalages entre titre et contenu ne relèvent pas nécessairement d’une quelconque stratégie mais bien d’un manque de maîtrise du domaine, de confusions et d’interversions de toutes sortes commises par les faussaires et leurs éventuels assistants, noyés dans la masse de la documentation comme le sont d’ailleurs de nos jours ceux qui abordent la délicate et fort intriquée et embrouillée question de l’histoire des éditions centuriques..

On ne connait pas, en définitive, d’édition des années 1588 qui corresponde à la division en 4 centuries, avec 53 quatrains à la IV mais les éditions ligueuses- y compris l’édition Veuve Buffet, 1561 qui fait absolument partie de cet ensemble- ont gardé la trace d’une telle édition puisqu’elle signale une addition à la IV, commençant au 54e quatrain. Chez la veuve Buffet, l’addition commence une page nouvelle alors que pour les trois autres éditions parisiennes, dont celle-ci dérive, l’addition s’effectue sur la même page que la partie d’origine. Mais l’édition Macé Bonhomme à 4 centuries n’en reste pas moins plus tardive, par son contenu, que l’édition De Rouen 1588 qui n’a que 49 quatrains à la IV. Ce qui nous amène à la réflexion suivante : les éditions antidatées ne représentent qu’une petite part de toutes les éditions produites à partir des années 1580.En aucune façon, il ne faudrait croire qu’à chaque édition de cette période (1580-1600) correspond nécessairement une édition antidatée des années 1550-1560. En revanche, à chaque édition antidatée correspond ou devrait correspondre, une édition plus tardive dont elle est issue car il ne ferait pas sens qu’une progression de contenu ne se produise qu’au niveau des éditions antidatées, cela déséquilibrerait le processus global de formation.

Pour conclure, nous donnerons ci-dessous la chronologie des titres des éditions centuriques, pour le premier volet, sans fournir de dates mais en citant les éditions attestant des dits titres. Il n’est pas ici question du contenu des éditions de référence mais uniquement du titre.

1 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. (-cf. Macé Bonhomme 1555 et permission)

Note : on n’est pas encore dans un découpage centurique d’où cette centurie IV qui tient au fait de ce non découpage.

2 Les Grandes et Merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus, divisées en 4 centuries (Rouen Raphael du Petit Val, 1588)

Note : on entame une Ive Centurie à 49/53 quatrains.

3 Les Centuries et merveilleuses prédictions contenant six centuries

Note ; sur le modèle Pierre Valentin 16112 indiquant au titre sept et non six centuries) et qui n’implique pas encore 600 quatrains. Il s’agit ici du contenu des éditions ligueuses à mi-chemin entre quatre centuries et six centuries pleines, la VIe centurie s’arrêtant à 71 quatrains.(‘cf. Benazra, RCN, p. 121 qui envisage une édition s’arrêtant à ce stade, sans le supplément de quatrains, présenté sous le terme « septiesme centurie » et qui ne parvient pas à compléter la Vie centurie.

4 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées (page de titre édition Antoine du Rosne Budapest 1557 ; Rouen 1589, Anvers, 1590 avec le titre Grandes et merveilleuses prédictions)

Note : on passe de 353 quatrains à 600 en comptant les 53 quatrains de la IV.

5 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores jamais esté imprimées (..) Revues & additionnées par l’Autheur pour l’an mil cinq cens soyxante & un de trente huit/neuf articles ( Buffet 1561, Ed ligueuses1588-1589)

Note : on ajoute une centurie VII à 35/38/39/40/42 quatrains aux 6 centuries. L’édition à 38 articles serait postérieure au contenu de l’édition Anvers 1590 à 35 quatrains à la VII.

6 Les Centuries et merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus contenant sept centuries ; dont il en y a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées (cf Ed. Valentin, Rouen 1611)

Note : titre assez bancal.

7 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées. Adioustées de nouveau par ledict Autheur (page de titre Edition Antoine du Rosne, Utrecht, 1557, Benoist Rigaud 1568) . Cette présentation annonce un second volet à la suite.

Note : ce titre du premier volet ne rend pas compte de la septième centurie comme le faisait le titre n° 4..


 

Pour en revenir aux Editions Benoist Rigaud dont il a été question au début de notre étude, l’’on ne peut que constater que la thèse d’une première édition à 10 centuries effectuée en 1568 ne tient pas puisqu’il est précisé « Adioustées de nouveau par ledict Autheur », ce qui implique que cela se produise de son vivant, donc au plus tard en 1566. En ce sens, le choix de l’année 1566 pour les éditions Pierre Rigaud se révélait assez judicieux – en ce qu’il laissait encore possible le fait que Nostradamus ait procédé à une ultime addition. Il permettait aussi d’intégrer l’addition de 1560, ce qui n’était pas le cas pour Antoine du Rosne 1557 qui comportait, sans le signaler, au titre, une centurie VII. En fait, l’édition Antoine du Rosne, au regard de son contenu, devrait porter le titre 4. Ces éditions rigaldiennes, portant toutes le titre « Prophéties » et le plus souvent lyonnaises, laisseront la place aux éditions troyennes, rouennaises et hollandaises, à partir des années 1630, les premières, conservant le titre « Prophéties » et se référant d’ailleurs à Rigaud, sous des formes antidatées (1605 (Du Ruau, Troyes), 1611 (Chevillot, Troyes) et les autres celui de « Vrayes Centuries « (Rouen , 1649)  puis de « Vraies Centuries et Prophéties » (Leyde, 1650). Cette nouvelle génération comporte des additions, notamment en ce qui concerne les sixains introduits par une Epitre à Henri IV, datée de 1605; éléments totalement absents des éditions rigaldiennes de la fin du xVIE et du début du XVIIe siècle. La série rigaldienne ne reprendra le dessus qu’au XVIIIe siècle avec les éditions maladroitement antidatées Pierre Rigaud 1566, produites à Avignon vers 1716, alors que le matériau biographique concernant Nostradamus s’étoffe. On notera que le nom de Pierre Chevillot sera instrumenté au XVIIe siècle pour produire des contrefaçons de 1640, datées 1611, probablement par ses héritiers.

Les années 1620 correspondront, en fait, en dépit des apparences dues à des contrefaçons antidatées qui faussent les perspectives chronologiques, à un net reflux de la production centurique qui ne reprendra qu’à la fin de la décennie suivante, à la suite de la naissance longtemps attendue du dauphin, le futur Louis XIV, en 1638. En effet, les éditions lyonnaises et marseillaises censées parues dans les années 1620 sont antidatées.(cf RCN, pp.187 et seq) et comportent toutes le quatrain cryptogramme pour 1660. Elles sont en fait calquées sur le modèle troyen -avec les sixains et l’épitre de 1605 à Henri IV- et plus du tout sur le modèle rigaldien. Nous pensons notamment aux éditions datées de 1627 et 1633. En fait le type rigaldien à dix centuries sans autres additions va s’épuiser dès le début du XVIIe siècle (cf RCN, pp/ 145) avec des éditions non datées Pierre Rigaud et Jean Poyet/Jean Didier, les éditions Poyet reparaissant prétendument en 1627 ( cf RCN, pp. 187 et seq) mais cette fois dotées du supplément troyen, et notamment du quatrain cryptogramme pour 1660.Mais il s’agit en fait d’éditions antidatées qu’il faut situer vers 1640, liées au renouveau troyen, fort prolixe et qui meublera rétroactivement le premier tiers du XVIIe siècle..(1605, 1611, 1627, 1633). On trouve même chez Poyet un troisiéme volet à part entière, c'est-à-dire avec reprise du nom du libraire, intitulé « Centurie XI » (cf RCN, p. 189) et comportant les sixains et les quelques quatrains des centuries XI et XII du Janus Gallicus. Le XVIIe siècle n’a rien à envier au XVIe siècle en matière de contrefaçons centuriques puisqu’il déploie à la mort de Louis XIII toute une série d’éditions antidatées à partir de 1605, date correspondant à une Epitre à Henri IV accompagnant des sixains, tout comme la date de 1555 de la Préface à César avait donné lieu à des éditions à partir de cette année là..

C’est dire que la pratique de l’antidation est devenue une tradition de la production néo-centurique, entre 1580 et 1640, environ et qu’elle se prolongera, comme on sait jusqu’au début du XVIIIe siècle avec la contrefaçon régentienne de 1716 (début de la « Régence »), ce qui correspond à un long dix septiéme siècle, lié aux trois premiers rois Bourbon. Rappelons qu’Antoine Bourbon ajoutera à son édition une Epitre à Louis XIV, non datée, due au chevalier Jacques de Jant, parue au début des années 1670, et qui est tout à fait en phase avec le quatrain cryptogramme pour 1660. Le troisiéme Bourbon, qui a alors une trentaine d’années est enfin en adéquation avec toute l’entreprise néo-centurique et avec un prophétisme qui s’articule sur une réussite étonamment précoce. On peut évidemment nous objecter que rien n’empêchait de lancer des prophéties à long terme, dès le début du XVIIe siècle mais c’est ignorer à quel point le prophétisme est lié aux enjeux politiques du moment et vise un prince qui, au minimum, doit être déjà né, et non ses éventuels successeurs virtuels. Une échéance à 20-30 ans de distance constitue un calendrier politico-prophétique optimal, permettant une mise en orbite efficace. Ainsi Louis XIII, né en 1601, avait-il commencé à faire de l’ombre à son père, bien avant de lui succéder mais la naissance de son premier fils – alors que le roi approche de ses quarante ans- enclenchera une nouvelle dynamique qui profitera à un nouveau sursaut néo-centurique, lequel d’ailleurs se nourrira de la période troublée de la Fronde, faisant ainsi pendant à celle de la Ligue, dont on sait à quel point elle fut favorable à notre corpus, à, grosso modo, soixante ans d’écart...


 

12 - Des éditions à quatre Centuries vers les éditions à sept centuries


 

Ce qui frappe celui qui examine la série des éditions centuriques concerne probablement le rythme des additions successives et par là même des éditions successives. Ne pas prendre la mesure de telles mutations, quasiment incessantes, du texte, c’est manquer la dynamique centurique, véritable « work in progress ». Certains nostradamologues préfèrent y voir une dégradation par rapport à un document d’origine d’un seul tenant, d’autres sont disposés à suivre un tel processus qui semble se dérouler sans très bien savoir où il va, plus ou moins à la dérive.

La lecture d’une édition récemment exhumée des prophéties parisiennes de la Ligue (Fonds de l’Abbe Rigaux cf. Catalogue Thomas Scheler, 2010).nous invite à faire le point, encore une fois, sur la façon dont le canon centurique se mit progressivement en place, sous la Ligue, du moins pour ce qu’on nomme le « premier volet » de sept centuries. Il s’agit des Prophéties de M. Michel Nostradamus. Dont il y en a trois cents qui n’ont encores esté imprimées, reveues & additionnées par l’Auteur pour l’an Mil cinq cens soixante & un, de trente huict articles à la dernière centurie » Paris, pour la veuve N. Buffet, 1561.

Si l’on compare cette édition avec celles dont le titre et le contenu sont quasiment identiques, produites à Paris, par au moins trois libraires, en 1588-1589, l’on note que deux d’entre elles ne comportent pas d’années de publication et que la troisième (Veuve Nicolas Roffet) comporte mention d’une année qui semble être 1557, tout en étant datée de 1588.(cf. Guinard, « Historique des éditions des Prophéties de Nostradamus (1555-1615) », Revue française d’histoire du Livre, n° 129, 2008, p. 67). En revanche, l’édition Buffet, quant à elle, ne comporte qu’une seule référence, 1561. Il y a là une évolution : on passe ainsi d’une reproduction supposée d’une édition ancienne à la « production » supposée d’une édition ancienne, si ce n’est qu’apparemment l’édition Veuve Buffet serait antérieure, ne comportant que 38 articles à la « dernière centurie » au lieu de 39, ce qui renvoie vraisemblablement à la centurie VII

. Le problème, qui est propre à toutes ces éditions ligueuses, (Ve Buffet, Vve Roffet, Charles Roger, Pierre Ménier) c’est que leur contenu ne correspond pas au titre.

Afin de se donner les moyens d’établir un ordre d’ancienneté entres ces éditions, examinons ce qui caractérise l’édition Veuve Nicolas Buffet par rapport aux autres du même groupe.

Cette édition ne craint pas de signaler des additions, ce qui tranche avec les éditions bien lisses, d’un seul tenant - elles n’ont pas de second volet séparé puisqu’elles ne sont divisées qu’en sept centuries- censées être parues chez Antoine du Rosne en 1557

A la Ive centurie, à la différence des éditions parisiennes, l’édition Buffet change de page avec un titre chapeautant les quatrains au-delà du 53e là où les trois autres éditions parisiennes se contentent d’une mention en milieu de page. L’intitulé est néanmoins le même dans les quatre éditions alors qu’une telle mention est absente du premier volet (Ed Antoine du Rosne 1557, Benoist Rigaud, 1568, etc.)

« Prophéties de M. Nostradamus adioustées oultre les précédentes impressions. Centurie quatriesme. Suit un quatrain non numéroté puis, l’on passe au quatrain 55.

A noter cependant que l’édition de Rouen 1588 à 4 Centuries s’arrête avant le 53e quatrain de la IV (cf. RCN, pp. 122-123) et pourrait donc correspondre à un état antérieur à l’édition à 353 quatrains.

Le même scénario que pour la IV est suivi pour la Vie centurie, si ce n’est qu’une erreur fatale va se glisser. On arrive au 71e quatrain de la VI et apparemment une édition de ce type a du exister. Et puis, comme pour la IV, on va placer, en haut de page, une suite  sous un titre, du même ordre que celui qui annonce la suite de la centurie :

Prophéties de M. M. Nostradamus adioustées nouvellement ; Centurie septiesme.

Or, l’on passe au 72e quatrain, si bien que l’on s’attendrait plutôt à l’indication « Centurie sixième » comme plus haut « Centurie quatrième » Cette « septième » centurie s’arrête d’ailleurs au 83e quatrain. Mais à nos yeux, ce n’est que la suite de la centurie VI Nous y voyons non pas une intention mais une inadvertance. Par la suite, la VI sera bel et bien complétée et servira un temps de « dernière centurie » à 100 quatrains(ou le plus souvent à 99)

A la différence des autres éditions, l’édition Buffet ne compte pas de huitième centurie, aussi brève soit-elle. Ce qui la rend effectivement plus ancienne. Elle aurait du en fait en rester à six centuries. C’est par inadvertance que cette septième centurie aura été ainsi générée. Il n’en reste pas moins que ce faisant, cette édition à sept centuries aura servi de matrice pour le « premier volet », bel et bien constitué de six centuries et d’une addition formant une septième centurie ; si ce n’est que le contenu de la « septième » centurie ne sera pas conservé dans les éditions finales à sept centuries. Quant à la version à huit centuries, celle attestée par les éditions parisiennes autres que Veuve Buffet (à « 39 articles » au lieu de 38), elle fera long feu et désignera la première centurie du second volet, si ce n’est que dans les éditions troyennes du XVIIe siècle, les additions en question (VII et VIIIe centuries) seront reprises dans le cadre d’une recension systématique du corpus nostradamique, respectivement à la suite des centuries VII et VIII, ce qui est assez étrange, dans le cas de la VIIIe centurie ligueuse, qui se trouve dès lors incluse au sein du second volet... Mais rappelons que les éditions Benoist Rigaud 1568 ne conservent pas ces additions ligueuses.

Nous pouvons donc considérer l’édition Veuve Buffet comme ayant servi de modèle, du moins au niveau structurel, aux éditions centuriques ultérieures, davantage que les autres éditions ligueuses à huit centuries. On peut placer à la suite de la dite édition celles .qui correspondent à son titre mais non pas à son contenu. Il y a là un paradoxe chronologique qui veut que toutes ces éditions ligueuses portent un titre correspondant à un état à venir des éditions centuriques et ne correspondant point à leur contenu. Inversement, les éditions centuriques ayant un contenu en rapport avec ce titre portent, quant à elles, un titre ne correspondant pas non plus. On pense aux éditions Anvers 1590, Rouen 1611, Du Rosne 1557, Rigaud, 1568 et toute la série Rigaud non datée (fin XVIe –début XVIIe) qui signalent simplement une addition de 300 quatrains au premier volet et, éventuellement, encore 300 quatrains pour le second. Or, une telle description du premier volet au titre renvoie, selon nous, à une édition à six centuries, se terminant par un avertissement latin conclusif - donc est antérieure au titre annonçant une addition de « 38/39 article à la dernière centurie ». Or, une telle édition à six centuries sans addition n’a pas été conservée.

On peut aussi distinguer entre les éditions à sept centuries comportant l’avertissement latin et celles qui ne le comportent plus de façon à supprimer les traces des états antérieurs. Deux stratégies sont ici à l’œuvre : l’une qui vise à gommer toute marque d’addition, tant à la quatrième centurie qu’à la septième centurie et l’autre qui prend le parti de produire des éditions datées du vivant de Nostradamus. Ces deux stratégies conduisent à modifier sensiblement les représentations liées aux premières éditions centuriques qui avaient, au contraire, opté pour une succession d’additions, position qui se maintient cependant - on l’a vu dans l’annonce aux titres de 300 quatrains/prophéties additionnels mais sans que cela soit clairement indiqué et signalisé au niveau du contenu à sept centuries.

On classera donc parmi les éditions qui maintiennent de facto la marque additionnelle à la fin de la sixième centurie – en conservant l’avertissement latin- les éditions Antoine du Rosne 1557 Utrecht, Benoist Rigaud 1568, Jaques Rousseau, (Cahors, 1590) et dans le second groupe qui évacue l’avertissement latin, et donc ipso facto, la marque additionnelle, les éditions Antoine du Rosne 1557 Budapest, Anvers St Jaure1590..

En fait, selon nous, les éditions centuriques ont été partagées entre des traitements successifs et contradictoires, ce qui rend d’autant plus difficile d’en dresser l’ »Historique » comme a tenté de le faire Patrice Guinard, dans un précédent texte paru dans cette même Revue française d’Histoire du Livre (2008).

Premier temps : on signale les additions : à la quatrième centurie, à la sixième centurie, même si dans le cas Buffet, il ne s’agissait pas de créer une nouvelle centurie mais simplement de compléter la sixième centurie, comme on l’avait fait pour la quatrième centurie.

Deuxième temps : on supprime les marques additionnelles, tant à la Ive qu’à la Vie centurie et l’on produit ainsi des éditions d’un seul tenant à sept centuries en laissant entendre que ces sept centuries ont existé dès l’origine, c’est ce qui ressort justement de l’édition Anvers St Jaure 1590 se prétendant la copie conforme d’une édition avignonnaise Pierre Roux 1555, dont on n’a d’ailleurs pas conservé d’exemplaire, même contrefait, si ce n’est justement l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest, qui en serait en quelque sorte la réédition et qui donc dériverait d’Anvers 1590, avec quelques quatrains supplémentaires, pour arriver à 40 à la VII au lieu de 35.. On notera que l’édition Rouen Pierre Valentin « contenant sept centuries » se présente au titre « jouxte la copie imprimée en Avignon ». Chez Saint Jaure, cette mention ne figure qu’à la dernière page.

Troisième temps, on entre dans le cycle « troyen » qui instaure une recension systématique de toutes les formes de centurismes et qui va donc rétablir ce qui aurait pu être évacué, d’où la réapparition de l’avertissement latin, à la fin de la VI, comme dans Antoine du Rosne 1557 Utrecht et comme dans Benoist Rigaud 1568 ou Cahors Rousseau 1590 (cf. RCN, pp. 126 et seq) et surtout la plupart des éditions du XVIIe siècle (dont Amsterdam 1668, une des plus connues, du fait de son appareil iconographique) etc. .

Quatrième temps : on produit des éditions antidatées censées correspondre à des états successifs fictifs ayant abouti aux éditions « modernes ». C’est alors qu’apparaissent Macé Bonhomme 1555, Antoine du Rosne Utrecht 1557, laquelle édition, reprenant des éléments de la précédente contrefaçon Antoine du Rosne 1557 Budapest - ne comporte pas les additions ligueuses à la VIIe centurie mais pas davantage la marque d’addition à la Ive centurie, ce qui est une erreur dans le scénario. En revanche, l’avertissement latin est maintenu mais sans le quatrain 100 de la VI alors que le dit quatrain figurera dans les éditions troyennes et hollandaises. Ajoutons la production de la série Rigaud qui reprend le premier volet Du Rosne –Utrecht en rajoutant un second volet, repris probablement de Sylvestre Moreau 1603 : Nouvelle Prophétie de M. Michel Nostradamus qui n’ont jamais esté veues n’y (sic) imprimées que en ceste présente année. Dédié au Roy. (Bib. Arsenal, Paris) (cf. Benazra, RCN, pp 153-154) dont il existe une autre édition, en 1650 (BNF). Benazra commente ainsi (pp 219-220) l’édition 1650 : « Cette édition est incomplète car elle ne comporte que les centuries VIII, IX, X lesquelles ne sont évidemment pas nouvelles. Ceci montre la mauvaise foi, du moins la méconnaissance des premiers éditeurs des Centuries. Daniel Ruzo pense qu’il s’agit d’une édition apocryphe du XVIIIe siècle » Nous ne suivrons pas Benazra dans un tel jugement : il s’agit bien là d’un état antérieur à l’intégration d’un « second volet » au sein d’un canon centurique large et les éditions troyennes l’intégreront peu après 1603 dans leur système tout comme elles le feront, à la même époque pour les 58 sixains de Morgard3.

Pour en revenir à l’édition Veuve N. Buffet qui annonce au titre 38 articles à la dernière centurie, et dont le contenu diffère sensiblement- nous avons expliqué ailleurs ce phénomène du fait d’enjeux commerciaux- on ne saurait suivre Patrice Guinard quand il parle (« Historique », pp. 66-67) d’une copie d’une édition Barbe Regnault réellement parue en 1561, qui n’a pas été conservée. .C’est même là une pièce fondamentale de son travail bibliographique et il fournit toute une série d’arguments pour étayer sa position. Il nous faut donc nous y arrêter. Notons qu’au moment de la parution de son étude, il ne connaissait pas l’édition Veuve N. Buffet, datée de 1561, qui n’a été présentée au public qu’en 2010 (cf. Nostradamus et son siècle. Exceptionnel ensemble d’éditions des Prophéties et des Pronostications 1555-1591. Avant propos de Michel Scognamillo, Librairie Thomas Scheler, pp. 47 et seq.)

Cette édition Buffet 1561 est en fait fort embarrassante pour les tenants d’une édition authentique parue du vivant de Nostradamus. Elle comporte les mêmes bizarreries que les éditions ligueuses, à savoir le décalage entre le titre et le contenu dont nous avons dit que c’était un « truc » de libraire pour écouler ses stocks d’éditions devenues obsolètes, du fait des changements incessants affectant alors le corpus centurique. Cette édition, plus que toute autre – car l’édition Roffet tout en mentionnant 1557 en son titre n’en est pas moins datée de 1588- et cette libraire a bien exercé sous la Ligue- est placée sous le nom d’une libraire ayant exercé à une autre époque, ce qui nous ouvre à un ingénieux trafic des noms de libraires anciens visant à « vieillir » les documents. Valérienne Mallet a bien exercé dans les années 1550-1560 (cf. Dictionnaire des femmes libraires en France), tout comme Barbe Regnault, Antoine du Rosne, Pierre Roux ou Macé Bonhomme. Nul n’en disconvient mais cela ne suffit pas pour en faire des éditions authentiques. Et puis, comment P. Guinard explique-t-il – car une bibliographie est un tout- que soit paru en 1557 des éditions à sept centuries, qui auraient donc intégré….les additions pour 1561 ? La seule solution pour Guinard est de contester que l’addition de 38/39 quatrains à la Vie centurie vise la septième centurie, il n’identifie pas les « articles » à des « quatrains ». En outre, il est assez patent que le contenu, cette fois, de toutes ces éditions prétendument issues de Barbe Regnault est beaucoup moins achevé que celui des éditions Du Rosne. On se trouve donc dans une situation parfaitement ingérable puisque ces éditions parisiennes- puisque toutes ces éditions sont censées parues à Paris et non à Lyon ou à Avignon comme les autres- mais là effectivement, on ne saurait nier le précédent Barbe Regnault qui publia dans les années soixante de faux almanachs de Nostradamus- correspondent, de facto, à un contenu embryonnaire par rapport aux éditions du Rosne : une centurie VI à 71 quatrains, une centurie VII avec 12 quatrains (et qui n’est en fait qu’un prolongement de la VI, laquelle n’atteint même pas encore les 100 quatrains). Il en eut été autrement, certes, si l’édition Buffet avait sensiblement différé des autres éditions parisiennes par son contenu mais nous avons pu vérifier de visu, en mai 2011, à la libraire Thomas Scheler-Clavreuil, grâce à l’amabilité de M. Scognamillo, qu’il n’en était rien. Il s’agit simplement d’un état légèrement antérieur aux autres éditions parisiennes, qui n’a pas encore l’adjonction (6 quatrains) d’une VIIIe centurie de quelques quatrains et qui propose au titre 38 articles au lieu de 39, « additionnés » à la « dernière centurie ». Que l’édition Veuve Nicolas Roffet mentionne en son titre l’année 1557- par delà son contenu qui est totalement décalé- nous oriente vers les tentatives d’antidatation qui aboutiront à produire à partir d’une édition Anvers 1590 une édition 1555 et à la suite une édition Antoine du Rosne 1557. Cette édition Anvers 1590 correspond, à peu de choses près, au titre de l’édition Buffet 1561. On parle d’une addition de 38 « articles » à la dernière centurie, alors qu’Anvers 1590 comporte 35 quatrains à la VII. En ce sens, nous dirons que le titre- mais, encore une fois pas le contenu- de Buffet – mais aussi des autres éditions parisiennes mentionnant 39 articles- est postérieur à Anvers 1590 St Jaure. Or, c’est bien cet intitulé que Guinard veut nous faire considérer comme correspondant à une édition parue du vivant de Nostradamus, chez la veuve Buffet ou chez Barbe Regnault. Il faut bien comprendre que les éditions Antoine du Rosne 1557 sont elles-mêmes postérieures en leur contenu à Anvers 1590 et même aux éditions augmentées de 38 ou 39 articles puisqu’elles en comportent 40 (exemplaire de Budapest) et 42 (exemplaire d’Utrecht). Rappelons que cette étrangeté d’éditions 1557 plus tardives que des éditions supposées avoir été augmentées de dizaines d’articles au-delà de la Vie, tient à un revirement stratégique, à une sorte de reflux : premier temps : on a une succession d’additions qui marque une sorte de croissance continue d’un processus en train de se constituer et second temps : on a une phase de retour à un point origine, passant par la négation d’un tel processus progressif. Il est bien difficile pour le bibliographe de ne pas se perdre dans un tel dédale et de parvenir à garder le cap.

Quant aux divers arguments présentés par P. Guinard4 à l’appui de l’existence d’une « vraie » édition Barbe Regnault 1561 des Centuries, qu’en dire ? La plupart d’entre eux ne font que souligner l’entrelacs des diverses éditions ligueuses, des postdatations et des antidations. On ne retiendra qu’un seul point, le troisième (p. 66) : « l’ajout dans l’édition 1561 des quatrains de l’almanach pour 1561 (initialement parus à Lyon et chez un concurrent parisien, Guillaume Le Noir,) mais que la veuve Regnault n’avait pas inclus dans son almanach ». Entendons « édition 1561 des Prophéties ». De fait, Benazra avait noté que pour réaliser la « septième centurie » des éditions parisiennes. (cf. RCN, pp. 118-119), il nous faut citer son texte de 1990 à propos de cette centurie VII (en fait suite de VI) :

«  12 quatrains n°s 72 à 83. Dans cette centurie on a inséré 12 quatrains qui n’en ont jamais fait partie. » Formule qui ne se conçoit que sous la plume de quelqu’un qui croit que la centurie VII était déjà constituée au moment où ce document a été produit, ce qui à notre avis n’était nullement le cas.(si on laisse de côté la question du titre puisqu’il s’agit là d’analyser le contenu) Quant à P. Guinard, concernant les éditions ligueuses, il n’hésite pas à parler (Corpus Nostradamus n°65) d’’éditions tronquées de trois centuries » en référence à un ensemble de dix centuries qu’il suppose antérieur.

Continuons : en dehors du quatrain 72 « les autres sont ceux qui devaient être publiés comme présages pour l’almanach pour 1561. Nous ignorons pourquoi ils furent supprimés de l’almanach imprimé par Barbe Regnault et intégrés dans l’édition 1561 des Centuries » Benazra, lui aussi, croit qu’il a existé une édition 1561 puisque celle-ci est mentionnée….au titre. Benazra signale « un almanach apocryphe ne contenant pas de vers prophétiques. Cet almanach pour 15615 a certainement été réalisé par la veuve Barbe Regnault avec l’édition falsifiée des Centuries en 1561. » (cf. RCN, p. 44). Notre explication est toute autre : une fois que les faussaires optèrent pour une addition pour 1561, ils décidèrent de placer du « vrai » Nostradamus en récupérant les quatrains de l’almanach de Guillaume Le Noir pour cette année là. On nous objectera qu’ils n’avaient pas les moyens, sous la Ligue, de connaitre le contenu d’un almanach paru un quart de siècle plus tôt.

Or, un tel argument ne tient pas et sous-estime les ressources mises à la disposition des faussaires et dont d’ailleurs profitera le Janus Gallicus de 1594 et les éditions troyennes introduisant des Présages dans leur production (1605 etc.), c'est-à-dire des quatrains des almanachs de Nostradamus, repris au demeurant du dit Janus Gallicus. Bernard Chevignard a édité, en partie, dans ses Présages de Nostradamus (Paris, Seuil, 1999, le Recueil de Présages Prosaïques, dont le manuscrit est conservé à la Bibliothèque de Lyon La Part Dieu, lequel manuscrit, en dépit de son titre, comporte les quatrains des almanachs et dont le Janus Gallicus s’est certainement servi, et ce d’autant plus que la page de titre du dit manuscrit comporte le nom de Jean-Aimé de Chavigny. Le fac simile (Chevignard, Présages, op. cit., p. 109)–déjà rendu par P. Brind’amour en 1994, dans son Nostradamus astrophile, Paris, Ed. Klincksieck, p. 501), qui y avait eu accès avant sa restauration, précise in fine, au titre, « Extraict des commentaires d’iceluy et reduit en XII livres par Jean Aime de Chavigny, Beaunois », Grenoble (en latin) 1589. On ignore si le manuscrit, prêt à l’impression, fut réellement imprimé ou si nous sommes en face d’une copie manuscrite de l’imprimé disparu, cela importe peu. D’ailleurs P. Guinard n’ignore rien de l’existence de ce manuscrit et il l’associe lui-même, sur son site, avec Chavigny, notamment à propos des Présages Merveilleux pour 1557, qui était la seule source d’information avant que cet ouvrage soit reproduit en partie par nos soins6 avant qu’il ne soit acquis par la Maison de Nostradamus,  lors de la vente de la collection Ruzo.

Guinard note que Barbe Regnault aura inspiré les éditions ligueuses. Ce ne fut en tout cas pas le cas pour l’almanach pour 1561 et d’ailleurs, Benazra a noté, pour l’almanach pour 1563 de la dite Barbe Regnault que les quatrains qui y figuraient n’étaient pas ceux de l’almanach de Nostradamus pour 1563 (cf RCN, pp. 58 et seq). En fait, il semble bien que cette libraire n’avait pas encore commencé à produire des almanachs de Nostradamus à quatrains, en 1560 et que quand elle s’y décidera, elle préférera recycler d’anciens quatrains, quitte à en modifier l’ordre des versets. En revanche, le choix de la vignette qui servira pour la Veuve N. Buffet, pour la veuve Nicolas Roffet et pour Pierre Mesnier – seul Charles Roger ne présente pas de vignette en page de titre - pourrait effectivement dépendre des faux almanachs de Barbe Regnault, y compris de son almanach sans quatrains pour 1561 (dont on a la reproduction sur le corpus Nostradamus de P. Guinard, cura.free.fr et sur propheties.it de Mario Gregorio). Cette vignette imitant celle des pronostications de Nostradamus, et qui ne comporte pas en son sein, en bas à gauche « M. de Nostredame », est bien semblable à toute la série des contrefaçons antidatées Macé Bonhomme 1555 et Antoine du Rosne 1557 ainsi qu’à celle des éditions ligueuses. Il semble que les faussaires aient fait fausse route en optant pour la vignette d’un faux almanach pour 1561 (ou 1563) de Nostradamus, publié par Barbe Regnault. S’ils avaient opté carrément pour la vignettes des Pronostications, ils auraient moins éveillé les soupçons. On notera à ce propos que Nostradamus, dans les années 1550 ne se sert jamais de telles vignettes pour ses almanachs. Or, Barbe Regnault, elle, place des vignettes sur les faux almanachs de Nostradamus, ce qui est également un signe de contrrefaçon.

JHB

18.05.11


13 - Documents postdatés et documents antidatés dans le corpus nostradamique

Au phénomène d’antidatation que nous signalions depuis près de vingt ans, est venue, progressivement, se greffer la prise de conscience d’un phénomène, en quelque sorte, inverse de post-datation et c’est la conjonction des deux phénomènes qui aura rendu la bibliographie centurique un exercice à haut risque, aussi bien chez ceux qui se contentent de noter les informations au premier degré que chez ceux, comme Daniel Ruzo et nous-mêmes, qui s’efforcent de réorganiser en profondeur l’ensemble des données. La vigilance est de rigueur dans ce domaine, ce qui implique de ne rien laisser passer d’insolite et de suivre toutes les pistes, de tester toutes les hypothèses, bref de dresser un inventaire extrêmement exigeant, permettant notamment de faire ressortir des chainons manquants, lesquels ne manquent pas, ce qui vient encore compliquer la tâche du nostradamologue averti et consciencieux. Nous verrons si le problème affecte également d’autres pièces que les éditions centuriques proprement dites.

Le phénomène de post-datation est beaucoup plus familier et même franchement banal que celui d’antidatation mais il prend dans le cas des éditions centuriques une dimension assez extraordinaire et l’on peut dire que cela a pour effet de brouiller les pistes. On connait tous le procédé des rééditions lequel s’apparente, peu ou prou, à une forme de postdatation assez bénigne comme est en apparence innocente le fait de vouloir retracer l’historique d’un domaine, ce qui peut se rapprocher de l’antidatation. Le distinguo n’est pas toujours aisé entre contrefaçons et initiatives visant à replacer les choses dans une juste perspective et rétrospective.

S’il fallait classer les éditions centuriques qui nous sont parvenues en ne gardant que celles qui ne relèvent ni de l’antidatation, ni de la postdatation, stricto sensu, il ne resterait plus grand-chose. On pourrait poser la question à l’envers : qu’est-ce qu’une édition centurique qui ne serait ni antidatée, ni postdatée ? Nous répondrons de façon assez tranchée, sur la base de nos travaux à ce jour, qu’aucune édition datée du vivant de Nostradamus ne peut échapper au qualificatif d’antidatée et que les éditions plus tardives des années 1580 sont de pseudo-éditions postdatées, puisque se présentant comme des rééditions de quelque document déjà paru antérieurement. Autrement dit, de telles prétendues rééditions seraient en fait des éditions ni antidatées, ni postdatées, dès lors qu’elles ne se présenteraient pas comme des rééditions, ce qui n’est d’ailleurs pas nécessairement le cas.

Prenons le cas de l’édition de Rouen, parue chez le libraire Raphaël du Petit Val (et dont on ne dispose actuellement d’aucun exemplaire mais qui n’en est pas moins décrite par son ancien possesseur, Daniel Ruzo, comme il le reconnait dans son Testament de Nostradamus (Ed. du Rocher 1982). Cette édition se présente comme « divisée en 4 centuries » en son titre. Or, selon Ruzo, l’ouvrage n’est pas réellement structuré ainsi, les quatrains se suivant sans découpage. Voilà un exemple, dont nous verrons qu’il est assez courant, d’une édition postdatée du fait de son titre. Autrement dit, son contenu est plus ancien que son titre lequel concerne un contenu différent et plus structuré (en 4 centuries). De la sorte, reconnaissons que nous faisons coup double puisque nous avons en quelque sorte deux documents pour le prix d’un seul comme si le dit document était à cheval sur deux versions successives ou peut-être pas tout à fait des éditions centuriques. En fait, l’on peut conclure que le contenu de cette édition de 1588 doit être antidaté d’un voire de deux ans, tant il semble invraisemblable que l’on soit passé en l’espace d’un an d’une édition à 4 centuries à une édition (celle de 1589, chez le même libraire rouennais) qui en est à 7 centuries et sans même marque de passage entre le début et la fin de la centurie IV, encore que son état de conservation ne nous permette pas d’affirmer qu’elle avait ou non gardé l’avertissement latin ni combien de quatrains elle avait dans la centurie VII (fort probablement moins de 40)

Les exemples de décalage, de mismatch, de décalage, entre contenant et contenu sont nombreux et lorsque l’on ne connait que la page de titre d’un ouvrage, mieux vaut ne pas sauter aux conclusions concernant son contenu, en tout cas dans le champ centurique. Un autre cas que nous avons déjà eu l’occasion de signaler est celui des éditions parisiennes datées de 1588 et 1589, qui correspondent à trois libraires s’étant en quelque sorte partagé la distribution. Il est plus que probable que le contenu de ces éditions soit antérieur à celui des années en question et notamment quelle différence entre Rouen 1589 et Paris 1589 7: plusieurs stades séparent ces éditions apparemment mais apparemment seulement exactement contemporaines. C’est dire que si l’on se concentre sur tout ce qui est daté 1588 et 1589, on obtient un ensemble excessivement hétérogène, du fait de la post-datation par le biais des pages de titre, ce qui n’exclut nullement un changement de libraire entre un état et un autre. Donc avant de qualifier de « parisiennes » les éditions de 1588-1589, il convient d’être sur ses gardes car seules les pages de titre font ici foi et c’est bien insuffisant dans le contexte qui est celui des éditions centuriques.

Que dire de la traduction anglaise de 1672 ? C’est le type d’une réédition en même temps que d’une traduction, plus d’un siècle après la mort de Michel de Nostredame. Mais cette réédition s’avère extrêmement précieuse car elle nous permet, selon notre analyse du texte en prose, de restituer un état premier de la Préface à César, antérieur à celui figurant dans la totalité des éditions centuriques connues.

Ces post-datations, à quoi tiennent-elles ? Quel intérêt a-t-on à indiquer un état qui n’est pas celui du contenu de l’édition ? Nous pensons que cela peut concerner des stocks d’invendues, rendus obsolètes par la mise en avant de nouveaux éléments. Pour donner le change, on va mettre en vente une marchandise dévaluée en se contentant de remanier la page de titre. Le tour est joué, et le procédé est si efficace qu’il continue à faire des victimes parmi les libraires et leurs lecteurs, mais aussi chez historiens et bio-bibliographes qui n’y voient que du feu. On ne peut donc pas vraiment dire qu’il y a, au départ, une volonté de fausser les représentations de l’histoire des centuries mais cela peut fort bien produire de facto un tel résultat, vu que ce ne sont là que des considérations d’ordre commercial. Il peut s’agir aussi de libraires qui rachètent à bas prix des stocks d’invendus et les écoulent – ou du moins tentent de les écouler-(en changeant la page de titre). Mais on conçoit que l’historien des textes ne puisse que se réjouir quand il tombe sur de tels arrangements car cela permet de combler des lacunes de son corpus en dédoublant l’information.

A priori, le travail des éditeurs implique le plus souvent une forme d’antidatation et de postdatation. En effet, il est normal de rééditer des documents plus ou moins anciens, de les inscrire dans une nouvelle modernité tout comme cela l’est de replacer les choses dans leur contexte d’origine. A quel moment, alors, peut-on parler d’abus de droits ? C’est le cas lorsque un document est présenté comme plus récent qu’il ne l’est ainsi que lorsque un document est présenté comme plus ancien qu’il ne l’est véritablement. Mais dans le cas de Nostradamus, la question revêt une plus grande complexité : les années 1580 sont celles d’un revival nostradamique, après une parenthèse d’une quinzaine d’années (entre 1569 et 1584 environ), sous la forme d’ouvrages qui sont censés avoir été composés, par définition, du vivant de leur auteur. On est donc ipso facto dans la post-datation. Mais à partir du moment où l’on attribue au dit Nostradamus des publications qui en fait datent des dites années 80 et au-delà, on bascule dans l’antidatation, surtout quand des éditions se voulant d’époque sont carrément produites. En même temps, les libraires recyclent des documents bel et bien parus du vivant de Nostradamus comme l’Epitre à Henri II mais considérablement retouchés, ils publient des quatrains inspirés de la Guide des Chemins de France de Charles Estienne et d’autres ouvrages littéralement truffés de noms propres, du même genre et du même auteur, parus dans les années 1550 mais les dits quatrains sont retouchés pour s’ajuster avec ce qui se passe dans les années 1590. Les libraires publient également la Préface à César qui n’a pas été inventée de toutes pièces mais probablement reçue et conservée par le dit César.

Le plagiat est un outil important de ce processus de postdatation-antidatation. Les contrefaçons recourent volontiers à une forme de recyclage, donc de postdatation. Ainsi utiliser des passages d’Estienne pour exhumer de prétendus textes posthumes pour ensuite prétendre que les dits textes posthumes sont en fait parus précédemment du vivant de Nostradamus, recourt aux deux procédés apparemment contradictoires. Quand Barbe Regnault publie de faux almanachs de Nostradamus, dans les années 1560, elle se sert, comme l’a noté R. Benazra (sur l’almanach pour 1563 (Bibl. Mun. Lille), cf. RCN, pp. 58 et seq), de quatrains d’almanachs des années antérieures. Quand l’on met en place au milieu des années 1580 les premières productions centuriques, l’on se sert pour les centuries VI et VII ; de quatrains issus de l’almanach de Nostradamus pour 1561, ce qui ne sera pas conservé dans les éditions rouennaises et dans les éditions Antoine du Rosne 1557 (Budapest/Utrecht) mais qui sera repris dans les éditions troyennes du siècle suivant, lesquelles ne veulent rien négliger qui relève de près ou de loin de la production nostradamique, à l’instar de ce que feront Chomarat et Benazra, dans les années 80 du XXe siècle, dans leurs bibliographies respectives...

Un autre aspect que l’on ne saurait ignorer concerne la production se présentant comme extra-centurique. On a du mal, au départ, à imaginer que des faussaires prennent la peine de produire des ouvrages dans le seul but de conforter l’authenticité des éditions centuriques antidatées.

Nous avons plusieurs cas de « confirmations » de ce type :

  • Nostradamus Les Significations de l’Eclipse de 1559, Paris, Guillaume Le Noir (Maison de Nostradamus)

  • Antoine Crespin Les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation française (BNF Numérisation), 1572, Lyon, François Arnoullet

  • Jean Dorat et Jean de Chevigny, son traducteur et présentateur, L’Androgyn, 1570, Lyon, Michel Jove

  • Les Prophéties du Seigneur du Pavillon, par Antoine Couillard, 1556., Paris, Antoine Le Clerc

    • Ces quatre documents, deux censés parus du vivant de Nostradamus à Paris et deux autres, peu de temps après sa mort, à Lyon viennent tous, à des titres divers accréditer la parution, avant la date qu’ils comportent de certaines éditions centuriques alors qu’ils sont, du moins sous la forme que nous leur connaissons, des pièces antidatées.. Sur les 4, trois d’entre eux furent signalés en premier par nos soins en tant que témoignages. R. Benazra, dans le RCN, signale (p. 18) que l’ouvrage de Couillard « présente une parodie des Centuries ». alors que cela ne concerne que des éléments communs avec la Préface centurique à César. Quant à Chomarat, il ne signale même pas l’ouvrage qui ne porte pas le nom Nostradamus en son titre. Benazra cite certes les Prophéties de Crespin mais seulement au fait du surnom de l’auteur indiqué et non de par son contenu. De même Benazra cite-t-il l’Endrogyn (sic) de Jean Dorat – non mentionné par Chomarat, probablement sur la seule base de la page de titre qui ne comporte pas le nom de Nostradamus - mais sans mentionner un passage de l’épître comportant un quatrain des centuries, dument numéroté. De même pour les Significations, citées mais sans signaler un renvoie à la « seconde centurie de mes prophéties », déjà utiilisée pour l’Androgyn de 1570. Une bonne part de ces observations fut communiquée directement ou indirectement à Pierre Brind’amour qui les reprit dans ses ouvrages.(1994, 1996). Mais le probléme, c’est qu’il eut fallu tenir compte de l’enseignement crucial lié à l’édition Rouen du Petit Val, 1588 qui, en dépit de son sous titre « divisée en quarte (sic) centuries n’est pas organisée en centuries. (cf D. Ruzo, Testament, p. 282). C’est ce sous titre qui aura d’ailleurs induit en erreur les faussaires lesquelles, sans nécessairement consulter le contenu et s’en tenant à la page de titre, ont pu croire que la première édition était constituée en centuries. Nous avons mis en garde, à plusieurs reprises par rapport au décalage entre titre et contenu d’une édition centurique.

I Couillard 1556

R. Benazra et quelques autres ont consacré du temps à montrer à quel point la Préface à César se retrouvait en grande partie dans les Prophéties de Couillard.(Paris, 1556), n’hésitant pas à conclure que cela prouvait la réalité de la parution de l’édition Macé Bonhomme 1555, dont Couillard, en quelque sorte aurait fait une sorte de commentaire satirique. C’était aller un peu vite en besogne. D’une part, parce que Couillard, à aucun moment, ne signale le moindre quatrain de Nostradamus, n’utilise même le mot « centurie » (comme dans les Significations de l’éclipse de 1559). Si au moins il avait, comme dans l’Androgyn de 1570 (cf infra) repris un quatrain et avait indiqué dans quelle centurie il se trouvait, mais même pas ou s’’il avait produit un texte compilant divers versets comme le fera un Crespin (Prophéties, 1572)…..Pourquoi une telle omission ? Nous avons développé, durant quelque temps, la thèse selon laquelle la Préface à César était d’abord parue en tête d’un autre texte que celui des Centuries et qu’elle avait été ensuite recyclée et retouchée, comme pour l’Epître à Henri II, d’abord présente au début des Présages Merveilleux pour 15578. Le fait que l’ouvrage de Couillard se nommait Prophéties confirmait en outre que c’était bien sous ce titre – qui est celui de la série Bonhomme-Du Rosne- que les premières centuries seraient initialement parues. Restait à déterminer ce qu’une telle expression recouvrait dans le contexte de la production nostradamique des années 1550. Cependant, en 1560, quand Couillard publie ses Contreditz à Nostradamus, il ne mentionne pas davantage les centuries et ne « revient » pas sur la fameuse Préface qu’il avait brocardée 4 ans plus tôt, pas plus que Nostradamus n’évoquera dans ses autres textes la dite Préface à César..Les autres adversaires de Nostradamus, plus ou moins bien identifiés, dans les années 1550, n’avaient pas non plus signalé les centuries, visant bien plutôt les almanachs et les pronostications. Bref, ces Prophéties de Couillard étaient un cas isolé dans le contexte de l’époque alors qu’elles étaient en position centrale dans le revival des années 1580 d’un Nostradamus « ressuscité », comme on le dira en Angleterre de Claude Dariot, un médecin astrologue contemporaine de Michel de Nostredame, de confession protestante.9

En fait, ne serait -ce point parce que le Seigneur du Pavillon, alias Antoine Couillard, s’était fait connaitre par ses Contreditz, que l’idée en serait venue aux faussaires de lui attribuer ce document authentifiant les éditions centuriques antidatées  sachant que les dits faussaires étaient fort bien achalandés concernant tout ce qui touchait de près ou de loin à Nostradamus, sans d’ailleurs eux-mêmes, savoir toujours s’y retrouver, confondant l’authentique et les contrefaçons antérieures aux leurs..Aurait-on, parallèlement, à l’annonce de l’existence d’éditions avignonnaises parues sous le nom de « Professies »- c’est le terme utilisé—dès 1555, comme cela se trouve dans certaines éditions des Grandes et Merveilleuses Prédictions (1590), mis en chantier ce faux Couillard  dans le style des Contreditz, en reprenant bien entendu le texte de la Préface tel qu’il figurait en tête de toutes les éditions ligueuses ? Mais pourquoi dans ce cas ne pas avoir évoqué, par la même occasion, les quatrains centuriques et s’être focalisé sur la seule Epitre au fils Nostradamus ?

La thèse pour laquelle nous optons présentement est la suivante : c’est César de Nostredame lui-même qui aurait commandité les dites Prophéties de Couillard alors même que les Centuries n’étaient pas encore parues de façon à authentifier un document qu’il aurait fait circuler par ailleurs. Rappelons qu’il n’était pas rare de publier des Epitres se suffisant à elles-mêmes, et que le terme « préface » a pu apparaitre par la suite quand ce texte sera placé en tête des Centuries. Allons plus loin : c’est précisément parce que cette Epitre à César avait circulé depuis peu qu’on décida de l’utiliser pour la placer en tête des « Prophéties ». C’est une pratique qui se confirmera dans la mouvance nostradamique ou pseudo-nostradamique que de rassembler en un seul volume des éléments d’abord parus séparément et qui atteindra son paroxysme encyclopédique avec les éditions troyennes du début du XVIIe siècle. Signalons que le texte qui paraitra alors en tête des centuries reprend largement le Compendium de Savonarole, tout en le retouchant à loisir.

II Significations 1559

Parmi les documents que nous avions signalés, au début des années Quatre Vingt Dix du siècle passé, comme faisant assez ponctuellement sinon vaguement allusion à la production centurique, les Significations de 1559, lesquelles comportaient une mention assez fugitive et qui avait échappé à nos prédécesseurs, d’une « seconde centurie », sans qu’on nous en dise beaucoup plus. Or, l’ouvrage en question – comme l’avait notamment confirmé Theo Van Berkel, un chercheur néerlandais, était un document assez hybride, ce qu’avait signalé l’abbé Torné Chavigny dans une lettre figurant dans le fac simile des Significations qui fut réalisé en 1904 (cf. Benazra, RCN), p. 448), indiquant un emprunt à l’Eclipsium de Cyprian Leovitius. On y trouvait en fait une certaine diversité de documents, qui se contredisaient parfois, au niveau même du discours proprement astrologique. Il s’agissait en fait d’une épître à J-M Sala, datée du mois d’août 1558 et donc parue, à en croire la pièce en question, sous le nom de Significations de l’Eclipse de 1559. La proximité avec la date de l’Epître, recyclée, à Henri second, passée entre temps de 1556 à juin 1558, nous oriente non plus vers le corpus ligueur comme pour la préface à César mais vers le corpus antiligueur, celui du parti d’Henri de Navarre, puisque l’on sait que l’Epître au Roi figurera en tête des centuries VIII-X, dont le contenu est farouchement hostile aux Guises et prétend annoncer le couronnement du dit Henri à Chartres (IX, 86). Nous avons émis l’hypothèse que l’Epître d’août 1558 qui signale la « seconde centurie » avait précédé celle de juin 1558, en tête de ce que l’on appellera par la suite le ‘second volet » de centuries ; Dans ce cas « seconde centurie » renverrait à ce qu’on appellera la centurie IX.

 

III Androgyn, 1570

Cette pièce est remarquable en ce qu’elle est la seule que l’on connaisse, à citer un extrait des Centuries en se référant au dispositif de localisation des quatrains, tel qu’il est pratiqué dans les éditions centuriques. Ce passage n’avait pas été signalé, cependant, par nos prédécesseurs qui auraient pu en tirer argument en faveur du premier volet des Centuries, à laquelle la mention se réfère. C’est bien entendu du quatrain relatif à l’Androgyn qu’il s’agit.(II, 45), il est repris dans l’épître de Jean de Chevigny, le traducteur du poème latin de Jean Dorat sur ce thème, que celle-ci introduit, avec la traduction faite par Chevigny, ancien secrétaire de Nostradamus.

En dehors de cette édition de 1570 du dit poéme, nous disposons d’un recueil de pièces du dit Dorat, daté de 1586 au sein duquel se trouve celui-ci.(cf Benazra, RCN, p. 96) Nous pensons que c’est en fait l’origine de ce que nous considérons comme une édition antidatée. Non pas que Dorat n’ait pas composé l’Androgyn à cette date de 1570 mais elle n’aura pas connu alors d’impression. Comme ce sera souvent la coutume, une impression antidatée comporte un texte correspondant à la date ainsi indiquée, ce sera évidemment le cas pour la Préface à César datée de mars 1555 et donnant lieu une édition antidatée pour cette même année et ce fut aussi probablement le cas pour une édition Antoine du Rosne, 1558, par rapport à l’Epitre au Roi, du mois de juin de la dite année, étant entendu que même un texte paru de façon posthume a forcément été rédigé du vivant de l’auteur, ce qui autorise toutes sortes de manipulations antidatées.

Il faut au demeurant souligner à quel point une telle citation est insolite car en 1570 était censé être parue l’’ensemble des 10 centuries (1568) et a fortiori la centurie II, dont le quatrain 45 est issu (Editions 1555, 1557). Or, Jean de Chevigny, en août 1570, semble faire une faveur à son dédicataire, le Président Larcher, en lui transmettant le dit quatrain. Nous en avions conclu, à un certain moment de notre recherche et de notre réflexion, que cela témoignait pour le moins d’une circulation sous le manteau, manuscrite, ou en tout cas fort peu accessible. Mais il nous semble exclu qu’à cette date, les quatrains aient été déjà désignés comme ce sera le cas dans les années 1580, d’autant que Ruzo nous signale (Testament de Nostradamus, op. Cit.,p. 282 ) que la première édition connue à 4 Centuries (Rouen, 1588) ne comportait pas, contrairement à son titre – et l’on sait à quel point les titres peuvent être décalés par rapport au contenu du volume sur lequel ils sont apposés- de classement par centurie. Il est possible que ce document émane de Jean Aimé de Chavigny, l’auteur du Janus Gallicus, qui prétendait ne faire qu’un avec Jean de Chevigny.10, ce qui consolide le lien entre les deux périodes de 1560 et de 1580, également entretenu par la référence à Benoist Rigaud, déjà actif du temps de Nostradamus.

IV Prophéties à la puissance divine, 1572

On montrera que l’un des successeurs attitrés de Nostradamus, Antoine Crespin, dit Archidamus, dit Nostradamus, censé avoir produit tout au long des années 1570 toutes sortes de « prophéties », d’’’épîtres », et correspondant à une seconde génération, ayant pris le relais de Michel de Nostredame, serait une création du camp d’Henri de Navarre, faisant ainsi pendant au revival de Michel de Nostredame orchestré par le camp ligueur.

Abordons enfin un ouvrage et un auteur auquel nous avons consacré beaucoup de temps, Antoine Crespin et sa production nostradamique.11 Au départ, nous avions pensé que les faussaires avaient utilisé le travail de Crespin pour produire une partie des Centuries. L’œuvre de Crespin, auteur dont on ne sait rien en dehors des nombreux fascicules parus sous son nom et dont il n’existe aucun élément d’ordre biographique par ailleurs, est littéralement truffée de modules que l’on retrouve dans les Centuries- ce que n’avaient signalé ni Chomarat, ni Benazra, tant celles du premier que du second volet, ce qui attesterait de l’existence de l’édition à deux volets Benoist Rigaud 1568, sauf, évidemment, à admettre que ce serait plutôt Crespin qui aurait inspiré les rédacteurs des Centuries. Or, comme les deux volets appartiennent à des camps opposés, il semble assez peu probable qu’ils aient recouru à une même source. Notons ainsi que le recours à la Guide des Chemins de France est réservé au second volet et que le recours à des données astronomiques est surtout, mais pas exclusivement, le fait du premier volet, chaque volet ayant ses sources propres...

Nous avions été notamment frappés par un texte de Crespin –une Démonstracion- paru à Lyon, chez Jean Marcorelle, consacré à une Comète de 1571 (cf. RCN, p. 99)- dont le privilège est visé par monsieur L’Archer, « superintendant pour le Roy sur la Justice de Lyon » dont on a vu qu’il était le dédicataire de l’Androgyn, censé être paru également à Lyon, en 1570. Ce texte hostile au pape, en effet comportait le verset «  Roy de Bloys en Avignon régner » qui figure à deux reprises- ce qui est rarissime- au second volet.(VIII, 38 et VIII 52). La seconde occurrence (VIII, 52) témoigne de l’usage de la Guide des Chemins de France, en ce que le quatrain réunit de nombreux lieux situés sur la Loire. Mais précisément ce verset apparait comme surajouté dans un deuxième temps et concerner les attaques du camp protestant contre le pape.

Ce Crespin n’était pas inconnu sous la Ligue. On publie de lui, en 1590 , chez Pierre Ménier, qui est un des libraires parisiens de la Ligue dont le nom est attaché à la production des Prophéties de M. Nostradamus (1589) La Prophétie Merveilleuse qui couvre plusieurs années à commencer par 1590 jusqu’en 1598. L’épître, datée de mars 1589, année de l’assassinat d’Henri III, qui eut lieu au mois d’août (cf. Benazra, RCN, pp. 127-128) est adressée à Charles X, un prétendant Bourbon, catholique, qui prend ainsi le titre de roi de France avant même la mort du Valois, au mois d’août, déconsidéré par l’assassinat duc de Guise, en 1588 et auquel il est reproché ses contacts avec Henri de Navarre. Est-ce à dire que le dit Crespin est une invention ligueuse ? On ne saurait soutenir ce point de vue puisque l’on a vu qu’il empruntait à des quatrains du second volet et s’en prenait au pape. Certes, cette Prophétie Merveilleuse est-elle typiquement un document que ne pouvait que rejeter le futur Henri IV mais il nous semble qu’il s’agit d’une tentative pour récupérer le dit Crespin au profit de la Ligue, en compilant d’ailleurs d’autres textes du dit Crespin visant des années bien antérieures.

On aura compris que pour nous Crespin, qui se dit Archidamus puis Nostradamus et dont la plupart des publications imitent la vignette des pronostications de Nostradamus est d’abord du côté protestant en empruntant comme dans le texte daté de 1571 au « second volet ». Mais le principal document est constitué par les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation française, Lyon 1572. Ce sont là des années fictives comme pour les éditions ligueuses des Centuries avec des ajustements d’une édition à l’autre, d’une année sur l’autre. Avec ce lot impressionnant de quatrains, véritable compilation des deux volets, dans le style du Janus Gallicus (1594), nous passons carrément au règne d’Henri IV quand les deux corpus de quatrains, le ligueur et le protestant coexistent, encore que Crespin ne signale pas qu’il emprunte les dits textes à Nostradamus. Crespin qui va jusqu’à citer, en date de 1573, dans un de ses textes, l’Epitre à Henri Second, datée de juin 1558 – pas la vraie de 1556 - ce qui permet d’en attester l’existence au début des années 1570. Cette référence se trouve dans l’Epître à la Reyne mère.12 (cf. RCN, p. 105). Nos prédécesseurs n’ont pas relevé davantage cette référence à l’épître au Roi. Là encore, une telle référence à l’Epitre de juin 1558 permet de situer la rédaction et la publication de la dite Epitre au plus tôt au milieu des années 1590 quand la dite épître redatée 1558 est placée en tête du second volet instrumentalisé par le camp réformé.

Il nous semble donc envisageable de considérer que le dit camp réformé aura préféré se servir du néo-nostradamiste Crespin-Nostradamus plutôt que de Nostradamus pour défendre sa cause, à moins qu’il n’ait été carrément inventé dans les années 1580. Le probléme, c’est que l’on connait une bonne dizaine de fascicules parus sous son nom, datés des annes soixante-dix. La BNF a mieux conservé ceux-ci que ceux relatifs à Nostradamus. Cela permet ainsi de rééquilibrer le débat car l’on ne disposait que des éditions ligueuses et l’on pouvait s’interroger sur la substance de la production nostradamique du camp opposé d’autant que celui-ci par la suite sera bel et bien porteur d’une série de centuries de quatrains et d’une épître à Henri II. Crespin serait le chaînon manquant et l’on comprend mieux l’ampleur de la production qui parait sous son nom puisqu’elle fait pendant à celle de l’autre camp. Ce n’est que par la suite, nous apparait-il, que Crespin sera abandonné- non sans avoir été récupéré en 1590 par le camp ligueur (cf. supra) – ce qui était de bonne guerre- et que la production qui lui avait été attribuée par le camp d’Henri de Navarre sera recyclée sous le nom de Nostradamus.

14 - Avatars des mentions de dates, de nombres de centuries et de quatrains au titre des éditions.

Le corpus centurique est extrêmement difficile à traiter et à ordonner en raison d’informations souvent contradictoires ou incompatibles entre elles. Le problème est sensiblement aggravé par le fait que les pages de titres ne coïncident pas forcément avec leur contenu et manquent souvent, pour le moins, de précision. On a parfois des bribes : on nous signale des additions mais on ne sait pas à quoi, on nous parle d’une addition à une « dernière centurie », d’un supplément de 300 quatrains mais quand on fait la somme des quatrains, cela ne correspond pas. Daniel Ruzo, en 1975 (en espagnol) puis en 1982 (Le Testament de Nostradamus, Ed Rocher, pp. 279 et seq) développa la thèse selon laquelle dès l’origine, les centuries seraient parus à Lyon sous le titre « Prophéties » et à Avignon sous celui de ‘ »Grandes et Merveilleuses Prédictions », titre qui est attesté par les éditions de Rouen (1589) et d’Anvers (1590). Ruzo possédait dans sa bibliothèque, depuis dispersée, des éditions rouennaises de 1588 et 1589, l’exemplaire de cette dernière étant au demeurant incomplet dans ses dernières pages. On ignore où les originaux de ces deux éditions se trouvent présentement. Il avait également une édition (Pierre Valentin) datée de 1611 du même type (désormais conservée à la Maison de Nostradamus, à Salon de Provence13) .En revanche, l’édition d’Anvers, offrant en gros les mêmes caractéristiques est conservée à Paris, à la Bibliothèque de l’Arsenal.

Le chercheur qui aborde le corpus centurique, tel qu’il se présente sous la Ligue, par le biais des éditions rouennaises risque de ne pas développer la même perception que s’il avait débuté par celui des éditions parisiennes.

Nous disposons de trois éditions rouennaises et d’une édition anversoise, qui en est très proche, notamment au titre assez grandiloquent qui jure avec la sobriété des éditions parisiennes, uniquement désignées par le mot « Prophéties » : Grandes et merveilleuses Prédictions (..) Esquelles se voit représenté une partie de ce qui se passe en ce temps, tant en France, Espaigne, Angleterre que autres parties du monde

Tous ces documents portent des titres avec des indications chiffrées :

Rouen 1588 (Raphaël du Petit Val) « divisées en quarte (sic) centuries

Rouen 1589 (Raphaël du Petit Val » « dont il en y a (sic)trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées »

Anvers 1590 (François Sainct Jaure) « dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées »

Rouen 161114 (Pierre Valentin) « contenant sept centuries dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées »

En ce qui concerne les éditions parisiennes, des chiffres sont également fournis mais uniquement de façon supplétive :

Paris 1588 : «  additionnées (…) de 39 articles à la dernière centurie »

Quant aux éditions censées parue du vivant de Nostradamus, celle de Macé Bonhomme 1555 ne comporte aucun chiffre en son titre tandis que celles d’Antoine du Rosne (tant Budapest qu’Utrecht) comportent la même mention que certaines éditions rouennaise : « dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées », avec la même inversion « dont il en y a ». Mais rappelons que les éditions parisiennes comportent aussi la mention « dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées » mais sans la faute propre aux éditions de Rouen et d’Anvers.

Tel est l’état brut des lieux..

Quelles premières conclusions peut-on tirer ? Rappelons préalablement que, selon nous, les titres des éditions parisiennes conservées ne correspondent pas à leur contenu. On nous parle de 39 articles « additionnées » mais on ne voit pas à quoi cela correspond quand on les ouvre. Cependant, il y a une indication d’addition mais elle se trouve dans la centurie IV, au-delà du 53e quatrain, laquelle centurie est à 100 quatrains tout comme la Ve. Nous pensons que cette addition désigne la centurie VII, mais concerne un contenu plus tardif, comme si l’on avait apposé à une ancienne édition un intitulé plus récent. De même nous pensons que l’édition rouennaise à 4 centuries est une réédition d’une impression plus ancienne. Nous dirons également que l’édition Valentin 1611 est une réédition d’une pièce sensiblement plus ancienne. On notera que si l’on peut antidater un document pour une date déjà passée, on ne peut postdater un document au plus tard que pour l’année en cours. On n’imagine pas un libraire publiant un texte daté d’une année non encore advenue, ce qui n’empêche pas d’annoncer une date à venir au titre.

Focalisons-nous sur l’édition Antoine du Rosne 1557–Budapest, étudiée par R. Benazra (1983) et G. Morisse (2004)- dont on a dit qu’elle semblait se placer à la jonction entre éditions rouennaises et parisiennes, de par la corruption du titre. Elle comporte, rappelons-le, le mot « Prophéties » au titre, lequel est absent des éditions rouennaises ainsi que de l’édition anversoise et c’est ce titre, très sobre, moins grandiloquent, qui s’imposera pour la réalisation de ce que nous considérons comme des éditions antidatées (1555-1557- 1566- 1568), titre néanmoins voué à une fortune remarquable en ce qu’il contribuera singulièrement à l’image d’un Nostradamus, « prophète » et qui sera repris au XVIIe siècle par les éditions troyennes (1605-1611) de préférence à un autre dont elles ignoraient probablement l’existence, sur la base du corpus dont elles disposaient. . .

A un certain stade, donc, le corpus des éditions « Prophéties » est en contact avec le corpus des éditions « Grandes et Merveilleuses Prédictions », il en sort un titre hybride qui relève des deux corpus concurrents selon un dosage assez savant. Du Rosne 1557 Budapest – qui sera copié par Du Rosne 1557- Utrecht- récupère la formule « dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées », laquelle reste assez obscure en ce que l’on ne nous dit pas, au titre, combien au total il y a de quatrains mais uniquement combien on en aurait rajouté. Or, quand on prend connaissance du volume, on trouve une centurie VII à 40 quatrains, qui ne semble pas correspondre au titre mais qui, en revanche, correspond d’assez près, à un quatrain de différence, à celui des éditions parisiennes « additionnées de 39 articles », qui sont donc à 7 centuries (si l’on fait abstraction de leur contenu).

Autrement dit, l’édition Du Rosne Budapest est à 7 centuries mais semble indiquer en son titre une édition à six centuries, l’addition à la centurie IV ayant été absorbé par un nouvel ensemble de trois centuries (IV, V et VI). Elle mériterait de porter le titre de l’édition Valentin 1611 (conservé à la Maison de Nostradamus, Salon de Provence ) « contenant sept centuries » si le titre de la dite édition Valentin ne se prolongeait pas par «  dont il en y a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées », ce qui fait abstraction de l’addition à la VII. Ce titre de 1611 est d’ailleurs insolite et hybride dans sa construction : Les Centuries (…) contenant sept centuries dont il en y a trois cents… »Il est évident qu’il n’y a pas trois cents centuries et que trois cents renvoie à un nombre de quatrains, et qui sont appelés « prophéties » dans les éditions Du Rosne et Rigaud ainsi que dans les éditions parisiennes.

On nous objectera que l’on ne saurait exclure une autre hypothèse, à savoir que ce seraient les éditions de Rouen et Anvers qui auraient emprunté la faute au titre à l’édition Antoine du Rosne Budapest 1557, ce qui poserait le problème de la date de la fabrication de cette contrefaçon dont nous avons dit qu’elle était sensiblement antérieure à Antoine du Rosne Utrecht. Serait-elle antérieure à Rouen Du Petit Val 1589  qui comporte cette erreur ? Pour nous, c’est effectivement la première génération de fausses éditions centuriques antidatées avec l’édition Rouen 1588 à 4 Centuries dont nous avons dit qu’elle reprenait probablement une édition antérieure étant entendu qu’elle fait suite au contenu des éditions parisiennes, qui sont un chainon intermédiaire entre une édition à 53 quatrains à la IV, donc postérieure à Rouen Du Petit Val 1588 qui n’a encore que 49 quatrains à la IV, et la dite édition Du Rosne Budapest à 7 centuries.(qui correspond quant à elle au titre des dites éditions parisiennes mais non, cette fois, à leur contenu). Notons que l’on ignore le contenu des centuries VI e VII de Rouen Du Petit Val 1589 car le seul exemplaire disponible est tronqué. (cf. copie dans la collection Mario Gregorio (site propheties.it), et à la Bibliotheca Astrologica, Paris). On ne peut que supposer qu’il est assez proche de celui d’Anvers 1590 mais aussi de celui de Pierre Valentin 1611 qui a moins de quatrains à la VII qu’Anvers. Il lui manque le quatrain 2, le 33 et le 35, mais en revanche, on y trouve le quatrain 8 qui n’est pas dans l’édition Anvers( la désignation des quatrains , soulignons-le, se réfère à Antoine du Rosne Budapest, mais il est clair que l’on ne saurait souscrire à la thèse de quatrains qui auraient disparu et que l’on aurait retrouvés, l’autre thèse d’une addition de quatrains, par la suite, nous semblant plus envisageable)

En effet, Antoine du Rosne Budapest est plus « complet » qu’Anvers 1590 et Rouen 1611 (dont la date est évidemment celle d’une réédition) et devrait donc lui être postérieur mais si c’est le cas ce serait bien Du Rosne Budapest qui aurait emprunté l’’erreur « dont il en y a « aux éditions Rouen-Anvers  et pas l’inverse. Or, à la fin d’Anvers St Jaure, il est fait mention d’éditions datant du vivant de Nostradamus avec la date de 1555. (Pierre Roux, Avignon). Est-ce qu’Antoine du Rosne Budapest ne serait pas la réédition supposée de la dite édition 1555 et ne serait-elle pas marquée par une faute figurant dans cette édition non retrouvée ? Dans ce cas, les faussaires d’Antoine du Ronse 1557 n’auraient pas été en contact direct avec les éditions Rouen-Anvers mais avec une contrefaçon 1555 comportant les mêmes caractéristiques. On voit qu’il faut se garder de conclusions trop hâtives en ce qui concerne les sources car dans bien des cas, le lien est indirect et biaisé.

On supposera donc qu’Antoine du Rosne 1557 est influencé par Pierre Roux 1555, lui-même influencé et annoncé par Anvers 1590, avec quelques quatrains supplémentaires, ce qui rejaillira sur Antoine du Rosne 1557 Utrecht (avec deux quatrains supplémentaires)

Anvers 1590

«  Fin des professies de Nostradamus réimprimées de nouveau sur l’ancienne impression imprimée premièrement en Avignon par Pierre Roux Imprimeur du Légat en l’an mil cinq cens cinquante cinq. Avec privilège du dit seigneur » (Bib. Arsenal). La formule « avec privilège » trouve un écho dans le fait que l’édition Macé Bonhomme comporte cette mention en sa page de titre et une forme de privilège au verso, ce qui ne se pratiquera plus ensuite.

On notera toutefois la formule inhabituelle à l’époque, sauf chez les adversaires : « Professies de Nostradamus » sans le prénom et sans une formule de respect (M., Maistre), ce qui pourtant est le cas au titre. On comparera d’ailleurs avec la formulation plus civile de Rouen 1611. Elle atteste en tout cas d’un succès populaire.

Rouen 1611

« Fin des Centuries et merveilleuses prédictions de maistre Michel Nostradamus de nouveau imprimées sur l’ancienne impression, premièrement imprimée en Avignon, par Pierre le Roux (sic, au lieu de Pierre Roux, libraire attesté), imprimeur du Légat »

Mais comment expliquer que l’on désigne par « Professies » une édition de 1555 alors que le titre anversois de 1590 ne comporte même pas ce mot ? On retrouve donc au sein même d’Anvers 1590 la dualité des deux titres, ce qui compromet la thèse de Ruzo qui voyait dans le titre « Grandes et merveilleuses prédictions » la marque des éditions Avignon 1555.En fait, Anvers 1590 choisit de nommer « Prophéties » les anciennes éditions parues du vivant de Nostradamus, titre qui rappelons-le était en usage dans les éditions parisiennes de la Ligue. C’est dire les intercalations et les interférences entre les diverses éditions.

Citons Ruzo (Testament, op. cit. , p. 279) :

« Les éditions d’Avignon ont paru parallèlement à celles de Lyon avec un titre différent. Malheureusement, la totalité des exemplaires de ces éditions publiées du vivant de Nostradamus a disparu. Nous sommes obligés d’en chercher les traces dans des éditions très postérieures à leurs premières publications. C’est dans ces reproductions que nous avons trouvé le titre que portaient les deux plus anciennes de ces éditions d’Avignon, Les Grandes et Merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus »’

Ruzo signale (Testament, op. cit. p. 281) que le privilége de 1611 comporte bien « Grandes et merveilleuses prédictions ». Nous situerons l’original de cette édition un peu avant Anvers 1590, au vu de la centurie VII disposant de moins de quatrains. On a dit qu’elle faisait pendant à Antoine du Rosne 1557 Budapest en ce qu’elle annonçait carrément 7 centuries, faisant suite à Rouen 1588 annonçant 4 centuries( mais à ce stade sans prétention antidatée mais plutôt postdatée, par rapport la date de la préface, 1555). On a noté aussi la redondance au titre (qui elle peut être tardive puisque Rouen 1611 est forcément, dans le contexte abordé, une réédition d’une autre édition disparue) : Centuries (…) contenant sept centuries » et « dont il en y a trois cents », ce qui ne renvoie plus aux centuries mais à des quatrains, c'est-à-dire à des « prophéties ».(Paris 1588-1589) ou à des « prédictions » (Rouen 1589 ; Anvers 1590). Le titre Valentin est perturbé : on devrait trouver « Prédictions dont il en y a trois cents «  ou bien « Prédictions contenant sept centuries », sur le modèle Rouen 1588 ‘Prédictions divisées en quarte(sic) Centuries ». Quant au fait que l’on ait remplacé « Grandes et merveilleuses prédictions » par « Centuries et merveilleuses prédictions », ce n’est qu’une maladresse de plus dont on ignore à quel stade elle est apparue. On retiendra que nous parvenons là à une formulation récapitulative à 7 centuries (Rouen 1611, reprise d’une édition antérieure) qui semble devoir clore un processus engagé sur la base de 4 centuries (Rouen 1588). Quant à la date de 1611, elle fait également question car à cette date, c’est un cas très rare d’une édition ne comportant que 7 centuries, sans adjonction d’un volet supplémentaire à 3 centuries. Tout se passe comme si l’on avait voulu faire paraitre, en 1611, un stade antérieur de la formation des centuries, ce qui attesterait d’une stratégie de rééditions d’éditions plus anciennes se voulant elles-mêmes reprises d’éditions datées de 1555 (mention de cette année chez St Jaure mais pas chez Valentin qui ne donne pas d’année). Par la suite, ce sont les années 1556 et 1558 qui figureront au titre de nombre d’éditions du XVIIe siècle, à commencer, pour rester sur Rouen, l’édition 1649, parue sous la Fronde. elle a pour titre Les vrayes centuries de Me Michel Nostradamus (..) revues & corrigées suyvant les premières éditions imprimées en Avignon en l’an 1556 & à Lyon en l’an 1558 avec la vie de l’autheur La formule sera reprise l’année suivante à Leyde, chez Pierre Leffen, en Hollande sous un titre augmenté : Les Vrayes Centuries et Prophéties….titre qui sera celui des éditions d’Amsterdam 1667 et 1668 ainsi que de Paris, chez Jean Ribou, d’après les dites éditions, est-il indiqué au titre en la même année 1668. Décalage de 1555 (Avignon) à 1556 et de 1557 (Lyon) à 155815, bien que 1558 puisse valoir pour le second volet, disparu, d’Antoine du Rosne Utrecht.….Rappelons qu’il est question d’une édition Sixte Denyse, Lyon, 1556, mentionnée, dès 1584, dans la Bibliothèque de La Croix Du Maine (cf. RCN, pp17-18) si ce n’est qu’elle concerne « Les quatrains ou prophéties de Nostradamus » et que selon nous, cela ne vise pas à cette date de 1584 les centuries au sens où le terme sera entendu à partir de la fin des années 1580 mais un almanach avec ses quatrains mensuels désignés sous le nom de prophéties, comme ce sera le cas dans les éditions parisiennes : Prophéties dont il y en a 300 cents etc. »

Il semble qu’il y ait antériorité de Valentin Rouen 1611 par rapport à St Jaure 1590, du fait d’un nombre moindre de quatrains à la VII. L’édition 1611 ne mentionne pas le mot « professies » (sic) in fine à la différence de St Jaure mais reprend purement et simplement le titre de couverture. Il est bien difficile – de déterminer ce qui a pu être modifié jusqu’en 1611 à partir d’un original qui ne nous est pas parvenu mais dont on peut supposer qu’il était très proche d’Anvers 1590. On notera d’ailleurs l’absence de mention de l’an 1555 chez Valentin 1611. On assiste là à des états successifs de formation de la centurie VII, dont l’édition Du Rosne 1557 Budapest ne fait que correspondre à un état plus avancé à 40 quatrains en rappelant l’existence de stades encore plus anciens, attestés par les éditions parisiennes en leur contenu. En revanche, le titre (oublions ici le contenu) des dites éditions parisiennes convient tout à fait à une édition dont la VIIe centurie ne comprendrait que 39 quatrains, ce qui constituerait un état intermédiaire entre Anvers 1590 (à 35 quatrains à la VII) et Du Rosne Budapest 1557.(à 40 quatrains à la VII), à moins que cela n’ait à voir avec le fait que la centurie VI dans ces éditions n’a que 99 quatrains à la VI.(soit 40-1= 39). .Un grand absent est l’édition à six centuries qui se place entre les éditions parisiennes (contenu) et les éditions parisiennes (titre) avec entre temps la suppression mais non le remplacement de VI, 100 (rétabli par la suite dans le Janus Gallicus et dans les éditions troyennes). L’édition Budapest 1557 ne comporte même plus l’avertissement latin, indiquant l’existence d’une édition antérieure à six centuries Cet avertissement (restitué dans Antoine du Rosne Utrecht) sera rétabli par les éditions troyennes, fort bien documentées qui tenteront de restaurer l’ensemble à partir de diverses pièces réunies, mais néanmoins sans VI, 100...

Ruzo donne (Testament, p. 282) des détails précieux sur les exemplaires qu’il a en sa possession et notamment Rouen 1588 ;

« Dans l’édition de Raphaël du Petit Val (…) les quatrains ne sont pas séparés en Centuries. Les 349 quatrains sont précédés non seulement de l’en-tête « Prophéties de Maistre Michel Nostradamus » mais encore par un autre titre, antérieur, « La Prophétie de Nostradamus ». A nouveau, force est de constater un décalage entre le titre « divisées en quarte centuries » et le contenu qui est constitué d’un ensemble de 349 quatrains mis à la suite les uns des autres. Quant à l’autre titre « La Prophétie de Nostradamus », il fait écho à l’édition d’Anvers 1590, mentionnant in fine « Professies de Nostradamus ». Ruzo nous met ainsi sur la voie de la toute première mouture des quatrains de Nostradamus (hors Présages des almanachs). On aurait utilisé un singulier et ce n’est qu’ensuite, que chaque quatrain aurait, du moins dans les éditions 1557-1558- 1568 était qualifiée de prophéties, au pluriel. Notons cependant que le second volet des dites Prophéties s’intitule «  Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Centuries VIII. IX. X qui n’ont encores iamais esté imprimées », reprenant la formule « qui n’ont encores jamais esté imprimées » non plus en l’apposant comme pour le premier volet à Prophéties mais à Centuries. De nos jours, il est rare que les nostradamologues emploient « prophéties » comme synonyme de quatrains, le terme désigne désormais soit l’ensemble centurique, ce à quoi correspondrait mieux, dans ce cas, l’usage du singulier : la Prophétie de Nostradamus.

. Nous ne suivrons pas Ruzo dans la direction qu’il propose. Certes, les deux titres ont-ils coexisté dans les années 1588-1590. De là à croire qu’ils coexistèrent en une période pour nous immédiatement antérieure, même dans le cadre de chronologies fictives- ce qui nous intéresse ici – pour Ruzo ces chronologies ne le sont nullement, c’est une toute autre affaire. Ruzo n’a pas accordé assez d’importance au fait que dans l’édition d’Anvers 1590, le titre proposé pour 1555 est bien « Professies » et non « Grandes et Merveilleuses Prédictions ». C’est uniquement dans l’édition Pierre Valentin 1611 que la substitution aura été tentée avec une référence à une édition avignonnaise « Pierre Le Roux (sic) appelée « Centuries et Merveilleuses Prédictions », sans que l’on sache si cette mention était dans l’original des années 1580 (avec moins de quatrains à la VII) ou n’est apparue qu’ultérieurement entre temps (c'est-à-dire 1611). Cela dit, il n’est pas impossible que le titre d’origine de ce qu’on nomme habituellement « Centuries » ou « Prophéties » ait pu être celui de Grandes et Merveilleuses Prédictions.

Ruzo n’oublié pas l’édition rouennaise 1649 (Testament , op. cit. p. 283) dont il note qu’elle se référe en leur titre à des éditions de 1556 (Avignon) et 1558 (Lyon), et que la liste des pays concernés s’est élargie à l’Italie et à l’Allemagne. Pour Ruzo, chaque édition lyonnaise des « Prophéties » aurait été jumelée avec une édition avignonnaise « Grandes et merveilleuses prédictions », la mention au titre des éditions du XVIIe siècle, à partir de 1649, à Rouen, des éditions 1556 et 1558 aurait été simplement fonction des éditions alors conservées et seul le hasard aurait conduit à ce que l’édition conservée la plus ancienne serait celle d’Avignon.

Désormais « Vrayes Centuries » remplace Grandes et Merveilleuses Prédictions », elle englobe la partie biographique du Janus Gallicus sous le nom de « Vie de l Autheur », elle a rétabli le quatrain 100 de la Vie centurie. Autrement dit, ce que ne reléve pas Ruzo, elle doit beaucoup aux éditions troyennes et à leur entreprise encyclopédique. Le mot « Prophéties «  ne figure pas au titre. Il sera rajouté dans les éditions hollandaises qui en émanent et ce dès 1650, à Leyde puis en 1667 et 1668. : les Vrayes Centuries et Prophéties. Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que le titre « Prophéties », tout court, s’impose, avec la vraie contrefaçon avignonnaise- puisque celle signalée en 1590 n’est qu’une invention- de l’édition Pierre Rigaud, Lyon 1566. Ces éditions hollandaises poursuivent l’orientation donnée par les éditions troyennes en récupérant de façon syncrétique tout ce qui touche à Nostradamus. Elles associent ainsi le titre rouennais de 1649 (Vrayes Prophéties) au titre troyen « Prophéties » (cf RCN, pp. 191 et seq)

pensik


 

15 - La contribution du long dix-septième siècle à l'édition centurique.

Notre propos consistera à montrer  que le Nostradamus qui a connu la fortune que l'on sait est un produit du XVIIe siècle ou en tout cas du regard projeté par le XVIIe siècle sur le XVIe lequel  est réinventé  par le grand siècle Bourbon, qui va de la mort du duc d'Alençon en 1584, par ailleurs très jeune dédicataire, déjà vers 1570, de nombre de textes néonostradamiques - laissant la couronne de France à la merci d'une nouvelle dynastie jusqu'à la mort du Roi Soleil en 1715. Le duc était né le 18 mars 1555 et la préface à César date du Ier mars de cette année. On comprend mieux ainsi les retards pris par les études nostradamologiques face à cet obstacle épistémologique consistant à  partir du temps de Nostradamus et en considérant que tout est déjà joué et installé à la mort de Michel de Nostredame. Certes, pour le XVIIe siècle - et c'est là toute son ambigüité par rapport au siècle précédent- la matrice semble bien être le dit Nostradamus mais il vaudrait mieux parler  ici d'une instrumentalisation.

Nous avons montré que les éditions à dix centuries qui nous sont parvenues ne seraient que les rééditions retouchées d’éditions disparues parues sous la Ligue. Ces rééditions, qui ne se présentent pas comme telles, sont à l’évidence réorientées vers le siècle suivant, ce qui est le prix habituel à la survie et au recyclage d’un texte prophétique au-delà de ses premières échéances. Ces éditions accompagnent Henri IV dans sa conquéte du pouvoir mais aussi interviennent dans la politique de son régne jusqu’à sa mort. Derrière la façade bien lisse des 300 quatrains du second volet nombre d’ajustements furent effectués, y compris dans l’Epitre à Henri II, mais à la différence du premier volet, il ne nous reste plus qu’un ultime état que l’on tend, qui plus est, à situer en 1568, ce qui est totalement anachronique et explique en partie à quel point le décryptage des quatrains sera devenue en quelque sorte intemporel, au regard de leur exégése. Il est vrai que même pour le premier volet, la plupart des chercheurs semblent se refuser à le situer dans le contexte ligueur, en dépit de l’intense production à cette époque. Si le premier volet fait sens au regard des enjeux de la ligue, le second est à situer, sous sa forme « achevée » au lendemain de l’édit de Nantes (1598) et en fait autour des promesses du siècle naissant.

Dans les années 1630, l’édition troyenne reprend et amplifie singulièrement les tentatives de rassemblement déjà engagées par Benoist Rigaud à partir de 1585 environ, lequel avait publié successivement les quatrains tirés des publications annuelles – comme signalé par Du Verdier dans sa Bibliothèque- puis une dizaine d’années plus tard, les deux ensembles centuriques antagonistes,en se référant dans les deux cas à 1568, soit au lendemain de la mort de Nostradamus. Elle leur ajoute les sixains, regroupe les deux productions rigaldiennes et récupére des quatrains figurant dans le Janus Gallicus et dans les éditions parisiennes ligueuses. Nous dirons que l’édition Pierre Chevillot est une première tentative d’amplification des éditions Rigaud et que l’édition Pierre Du Ruau prolonge et développe encore davantage cette entreprise en intégrant les quatrains mensuels des publications de Nostradamus entre 1555 et 1567. On pourrait considérer que l’édition anglaise de 1672 se situe dans la suite de celle de Du Ruau, en récupérant des versions correspondant à des états plus anciens des épitres à César et à Henri II.

Il faut situer le processus centurique troyen du milieu des années 1640- et l’édition datée de 1605 est antidatée, sur la base de l’épitre à Henri IV comme le furent les éditions dont la date avancée correspondait aux dates des épitres à César et à Henri II, dans l’hypothèse d’une édition perdue Antoine du Rosne antidatée de 1558 (Bibl Utrecht), faisant suite à une édition antidatée à sept centuries, également perdue de 1555. La date de 1611 de l’édition Chevillot est selon nous tout aussi douteuse et d’ailleurs cette date ne figure pas sur les exemplaires des Centuries mais uniquement sur d’autres textes reliés ensemble, comme la traduction française du Mirabilis Liber16.. Cela dit, il n’est pas du tout exclus qu’ait existé une épitre centurique autour de 1605, à l’occasion du baptéme du Dauphin Louis, mais elle était accompagnée de quatrains et non de sixains17 (cf Les signes merveilleux (..) après les cérémonies du baptesme de Mgr le Dauphin, Paris, 1606)

Les éditions troyennes intégrent, autour de 1640, au début de la régence d’Anne d’Autriche, dans le canon rigaldien et lyonnais tout un ensemble de documents : sixains, quatrains des almanachs, quatrains des éditions ligueuses, et l’on peut parler d’une renaissance nostradamienne qui va conduire à la réapparition de très anciens états des épitres centuriques, de la Vie de Nostradamus, ce dont témoigne la traduction anglaise de 1672 et l’édition Antoine Besson une vingtaine d’années plus tard..En fait, tout se passe comme si dans les éditions troyennes, l’on restituait le contexte posthume des années 1580 alors même que pendant une cinquantaine d’années, l’on avait voulu persuader le public que le processus centurique avait émergé du vivant même de Nostradamus. Or, même la fixation de l’édition Rigaud sur l’année 1568 – reprise dans l’édition de 1605 - allait dans le sens d’une parution posthume faisant écho d’ailleurs à la production néo ou post –nostradamique- mais extra-centurique- des années 1560-1570.

Prédictions pour 20 ans (…) extraictes de divers auteurs & trouvées en la bibliothèque de defunct maistre Michel de Nostredame (…) par M. de Nostradamus le jeune »

« Présages pour treize ans (…) recueillies de divers auteurs & trouvées en la bibliothèque de defunct maistre Michel de Nostredame (…) par M. de Nostradamus le jeune », Paris, Nicolas du Mont, 1571

(cf RCN, pp ;90 et. 98)

On notera au passage que ce genre des prédictions ou présages pour un certain nombre d’années, qui joue un rôle important dans la production néo-nostradamique, nous semble témoigner fortement en faveur de l’idée selon laquelle Nostradamus lui-même aurait contribué de son vivant à un tel type d’ouvrage, bien que cela n’ait pas été retrouvé, à moins que l’on ne considère la possibilité que cela ait pu être désigné sous le nom de « prophéties »- comme il ressort de recueils de librairie, signalés par Gérard Morisse. A ce propos, on observera à quel point les termes employés sont interchangeables, le même type d’ouvrage se voyant-ci-dessus, désigné sous le nom de « Prédictions » et de « Présages ».Rappelons que sous la Ligue, certaines éditions des centuries, parurent à Rouen et à Anvers sous le nom de Grandes et Merveilleuses Prédictions, alors qu’à Paris –elles paraissaient sous le nom de Prophéties. En 1672, l’édition anglaise emploiera la formule «  The true propheties or prognostications », formule que l’on retrouve au début de l’Epitre à Henri IV datée de 1605 qui rapporte avoir « recouvert certaines Prophéties ou Pronostications faictes par feu Michel Nostradamus ». Expression que l’on retrouve étrangement dans l’ »Extraict des registres de la Sénéchaussée de Lyon », placé en tête de l’édition Macé Bonhomme 1555 : « sur ce que Macé Bonhomme (..) ha dict avoir recouvert certain livre intitulé Les Propheties de Michel Nostradamus », étrange formule en effet quand on sait que Nostradamus, à cette date de 1555 était encore en pleine activité et qui ne diffère guère de la formule signalée pour 1605. Notons dans l’extraict que la mention du livre est fautive  en ce qu’elle omet le « M. » devant Michel Nostradamus, qui pourtant figure au titre de l’ouvrage qui fait suite.. Ajoutons que les privilèges en tête des productions de Nostradamus avait une valeur globale «  (cf. nos Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002, p. 201), cela comporte « les almanachz, presages & Pronostications de Maistre Michel Nostradamus » bien plutôt qu’un privilège pour un ouvrage en particulier. Quant à Crespin, un « successeur » de Nostradamus, l’on sait qu’il utilisait couramment le mot Prophéties  (cf. Privilège, in Documents, p. 206)  « certaines profecies », ce qui n’introduit pas, faut-il le souligner, des quatrains mais bien des « présages prosaïques », pour reprendre le titre du recueil manuscrit de la production nostradamique dont B. Chevignard a donné une édition (Présages de Nostradamus, Seuil, 1999), c’est dire que le terme présage ne désigne pas d’office des quatrains, même si par la suite, dans le cadre notamment de la production troyenne il en arrivera à désigner une série de quatrains tirés des almanachs, en les reprenant en fait du Janus Gallicus (1594), d’où leur recension incomplète.

Nous en arrivons ainsi au cœur de notre exposé, à savoir le caractère compilatoire et en quelque sorte encyclopédique de la production troyenne des années 1630-1640 du XVIIe siècle Tout se passe en effet, comme si les éditeurs troyens – prenons, ici, cette expression pour ce qu’elle vaut- avaient engagé une entreprise de rassemblement systématique de tout ce qui touchait à Nostradamus, de près ou de loin. On a vu que la série des Présages était récupérée, patiemment, des commentaires du Janus Gallicus qui en cite, de temps à autre, quelques uns au service de son exégèse. On a vu que des sixains étaient ainsi également présents dans l’ensemble (Chevillot) daté de 1611 (comprenant le Recueil des Prophéties anciennes et modernes), ceux-ci ayant paru sous le nom de Morgard, qu’il les ait emprunté ou non à quelque corpus nostradamique (cf nos Documents, pp. 227 et seq). Mais cela va plus loin encore puisque les libraires ont dépouillé ou fait dépouiller des éditions de 1588-1589, dont nombre de quatrains ne figuraient pas dans les éditions de Rouen et Anvers (1589-1590), faisant d’ailleurs le tri en observant que certains quatrains étaient repris de la série des présages, puisque ces éditions parisiennes avaient puisé, in fine, dans les quatrains de l’almanach pour 1561 de Nostradamus, année qui figurait au titre.. Mais les éditeurs ne disposaient pas cependant de la totalité des « présages ».(cf. Benazra, RCN, p. 121). On trouve ainsi des annexes : « Autres prophéties cy devant imprimées soubz la Centurie septiesme » »Autres propheties imprimées soubz la Centurie huictiesme ». (car le premier volet des éditions parisiennes avait amorcé une centurie VIII, sans rapport avec ce qui se trouve dans le deuxième volet et qui prendra également cette appellation de centurie VIII.

Les éditions Du Ruau vont plus loin que les éditions Chevillot dans la reconstitution du puzzle nostradamique. C’est ainsi que la pseudo édition 1605 fournit le quatrain 100 de la Vie centurie- repris du Janus Gallicus- tandis que la pseudo édition Chevillot 1611 en reste à 99 quatrains à la VI, suivi de l’avertissement latin, comme si la trouvaille du dit quatrain n’avait pas encore été effectuée par le dit Chevillot, ce qui placerait Chevillot- ou du moins ce qui parait sous son nom - plus tôt que Du Ruau.. De même Chevillot n’inclut-il pas les quatrains d’almanachs (présages) du Janus Gallicus, ce qui vient confirmer une exploitation plus systématique menée par Du Ruau, éventuellement dans un deuxième temps d’exploration du dit corpus chavignien.

Mais venons-en à présent au cas des éditions Benoist Rigaud 1568 auxquelles se réfère, en son titre même, l’édition de 1605, formule qui, au demeurant, n’est pas présente au titre des éditions Chevillot 1611. On observe d’entrée de jeu que le contenu de l’édition du Ruau ne coïncide évidemment pas avec celui de la série des éditions 1568, longuement étudiée et décrite par Patrice Guinard, si ce n’est qu’il est précisé «  reveues & corrigées sur la coppie imprimée à Lyon par Benoist Rigaud. 1568 ». Que faut-il entendre par là ? Que l’édition 1605 se serait alignée sur l’édition 1568 mais l’on sait pertinemment que les éditeurs ont recouru à des sources bien plus récentes chronologiquement, encore qu’ils ne les citent jamais nommément. En fait Du Ruau quand il se référe à Rigaud 1568, sait pertinemment que dans son volume, il intégre une Epitre datée de 1605 ou que les quatrains mensuels ne vont pas au-delà de 1567. Et quand il publie une édition datée de 1605, s’agit-il davantage d’une supercherie ? Ce qui est sûr, c’est que les bibliographes de la seconde partie du XXe siècle seront les victimes de tout ce jeu de dates.

Comment donc reconstituer la chronologie de ces diverses éditions – et plus largement celles des éditions que nous jugeons antidatées (cf. nos divers travaux) Macé Bonhomme 1555 et Antoine du Rosne 1557. Rappelons préalablement que l’exemplaire de la Bibliothèque d’Utrecht est très proche du premier volet de l’édition Benoist (pas de quatrain VI, 100), le second volet ne nous étant pas parvenu mais déjà annoncé à la page de titre du premier., avec une vignette qui est identique à Macé Bonhomme 1555 ainsi qu’à Veuve Nicolas Roffet 1588 (British Library), dont on a dit que l’édition troyenne avait pris connaissance pour « compléter » les centuries VII et VIII. A contrario, l’édition Benoist Rigaud 1568 ne comporte pas la dite vignette pas plus d’ailleurs que les éditions troyennes.

Il semble néanmoins que le « dernier » Benoist Rigaud, celui de ce « long dix-septiéme siècle » que nous faisons démarrer autour de 1584 (avec la crise dynastique enclenchée par la mort du duc d’Alençon), après avoir encouragé la poursuite de la filiation nostradamique au travers de divers « successeurs » deviendra un artisan majeur d’un premier « revival » lyonnais précédant le second qui est troyen, lequel en est le prolongement. Rappelons que Rigaud publiera successivement les quatrains des publications annuelles et rassemblera, une fois le processus centurique enclenché auquel il ne participe guère, les deux ensembles en un seul volume, lequel sera intégré dans le commentaire du Janus Gallicus, en 1594.

. Selon nous, à partir d’une recension considérable de pièces, il devenait techniquement possible de produire toute une série d’éditions se succédant selon une chronologie impliquant, à chaque reprise, une certaine addition de pièces dont il convenait de doser la progression pour en arriver à un état ultime, celui de l’édition 1605. C’est ainsi que nos libraires, secondés certainement par des collaborateurs très experts, remarquèrent que dans les éditions parisiennes de1588, qu’ils avaient pratiquées on l’a vu, figurait l’indication d’une addition après le 53e quatrain de la Ive centurie. ¨Pourquoi ne pas produire une « première » édition à 353 quatrains ? De là l’édition lyonnaise Macé Bonhomme 1555. On notera ce parti pris lyonnais qui ne se démentira pas. Certes, on nous objectera qu’il est bien paru à Rouen en 1588 une édition à 4 centuries, mais qui ne parvenait pas, faut-il le préciser, à 53 quatrains à la IV. Mais personne ne nie qu’une telle édition à 4 centuries ait précédé l’entreprise troyenne puisque l’on vient de dire que celle-ci s’était inspirée d’éditions de 1588 ou 1589. Mais force est de constater que la première tentative d’édition à 4 centuries ne correspondait pas au format 353. Cette édition à 4 centuries, actuellement introuvable mais décrite (RCN, pp. 122-123) par Benazra, suivant les informations de Daniel Ruzo qui l’avait dans sa collection, en copie (microfilm) ou en original). Il faut bien comprendre que les libraires troyens ne sont évidemment pas la première génération de faussaires, la première datant du temps même de Nostradamus, la deuxième du temps de la Ligue, ce qui produisit notamment l’édition Antoine du Rosne 1557 (exemplaire de la Bibliothèque de Budapest, décrit successivement par Benazra et Gérard Morisse) sans oublier Benoist Rigaud qui antidate ses diverses éditions des années 1580-1590 pour 1568. Ce qui ne signifie pas nécessairement que les dits Troyens avaient conscience du caractère de contrefaçon de la production centurique antérieure, mais ce n’est pas tout à fait inconcevable. Apparemment, ils devaient ignorer l’édition à 4 centuries de Rouen, sinon, ils auraient peut être produit une édition Macé Bonhomme à 49 quatrains.

Ensuite, nos libraires troyens, selon notre scénario, auraient envisagé un deuxième étage avec l’édition 1557 Antoine du Rosne. Il suffisait d’en faire une réédition, à nouveaux frais, refaire la gravure, qui serait identique à l’édition Macé Bonhomme 1555. C’est l’exemplaire de la Bibliothèque d’Utrecht qui ne comporte aucune marque d’addition à la Ive centurie mais qui annonce des ajouts au titre. Toutefois, comme on l’a dit, cette édition Utrecht est déjà un diptyque à la différence de l’édition Budapest. On aurait donc sauté directement entre 1555 et 1557 de 4 à 10 centuries, en plaçant le volet désormais VIII-X récupéré par les Troyens- mais sans citer nommément les éditions parisiennes - et qui correspondait au parti d’Henri de Navarre, centuries totalement exclues de la production ligueuse, on s’en doute. Il reste que le premier volet 1557 (le second volet fut peut être daté de 1558 et comportait une nouvelle Epitre à Henri II, qui ne figurait pas selon nous dans le volume initial à 3 centuries, du fait même que la dite épître se référé à la préface à César. Cette refonde d’une précédente épître placée en tête des Présages Merveilleux pour 1557 (cf. nos Documents, pp. 194 et seq) fut probablement réalisée dans le cadre troyen et remplaçait selon nous une épître à J-M Sala (Significations de l’éclipse pour 1559), les deux épîtres étant datées de 1558, à quelques semaines d’intervalle, donc à la veille de la mort tragique d’Henri II, d’où le choix du destinataire et le changement de date de l’épître initiale de 1556. Nous ne connaissons ce diptyque de 1557-1558 que par les éditions Benoist Rigaud 1568 qui en sont la copie. On a dit que ce qui distinguait les éditions Chevillot des éditions Rigaud, était l’adjonction de quelques pièces (issues des éditions parisiennes 1588-1589) tout comme ce qui distinguait les éditions Chevillot des éditions du Ruau était encore d’autres additions (quatrains d’almanachs, VI, 100). Notons que la série des sixains est intitulé chez Chevillot Centurie XI, ce qui n’est pas le cas chez Du Ruau. Visiblement, c’est à partir du niveau précédant le niveau Chevillot que l’on aurait fabriqué Benoist Rigaud 1568 mais aussi des éditions non datées sous son nom ou ceux de la famille Rigaud, avec ou non leur accord, notamment pour Pierre Rigaud. Par la suite, Du Ruau, en dépit de nouvelles additions, continuera à se référer (1605) au dit Benoist Rigaud.

Un trait essentiel permettant de distinguer la série des faux antidatés de celle des faux d’époque, tient au fait que l’ensemble des premiers ne restitue que très partiellement le processus des faux d’origine, c'est-à-dire- la chronologie étant inversée, d’époque, du temps des libraires troyens. Logiquement, ce qui vient après n’a pas à repasser par tout un enchainement de progressions, on se sert carrément de l’édition la plus complète. Or, ici, la diversité des éditions parues sous la Ligue et au-delà surclasse totalement celle des éditions supposées parues dans les années 1550-1560 et ce d’autant plus que toutes les étapes n’ont pas été conservées, nous pensons notamment à un état à 6 centuries qui est attesté par les éditions indiquant pour 1561 une addition de 39 quatrains à la « dernière centurie ». On est là, on l’aura compris, à la deuxième et non à la troisième génération de faux. Etrangement d’ailleurs, cette édition à 39 « article » à la dernière centurie est incompatible avec l’existence d’une édition à 7 centuries, censée parue (exemplaire Budapest) dès 1557, chez le libraire imprimeur lyonnais Lyserot alias Antoine du Rosne. Reconstituons cette première chronologie –pré-troyenne- de faux  relatifs au premier volet : une édition à 4 centuries (49 quatrains à la IV) puis une édition à six centuries (avec indication d’une addition à la Ive centurie), disparue, puis une édition avec une centurie VII, indiquée comme ajoutée, puis une édition à VII centuries ne comportant aucune mention d’addition et ce parallèlement à la parution d’éditions du temps de la Ligue avec lesquelles elles sont en dialectique diachronique. Que s’est-il passé ? Les faussaires de deuxième génération, après avoir mis en avant l’addition de 1561 ont préféré en revenir à l’idée d’une édition déjà à 7 centuries, parue déjà en 1557. Malheureusement pour eux, ces éditions 1561 ont été conservées, du moins au niveau de leur intitulé, ce qui n’a d’ailleurs pas conduit les bibliographes du XXe siècle à en tirer toutes les implications, à savoir qu’on était dans une chronologique fictive et virtuelle, susceptible de revirements à loisir...

En conclusion nous dirons qu’il faut probablement situer la production de plusieurs éditions datées des années 1550-1560 au début du XVIIe siècle mais que la dite production ne fait que poursuivre une tradition de contrefaçons enclenchée une vingtaine d’années plus tôt, au cours des années 80 du précédent siècle, elle –même tributaire des contrefaçons des années soixante, auxquelles elles empruntent les vignettes représentant l’auteur en son étude, gravées pour les faux almanachs des dites années soixante, notamment chez la libraire Veuve Barbe Regnault, date à laquelle seront situées les éditions censées dater de 1560-1561. Ce sont ces mêmes vignettes reprises en 1588 par la Veuve Nicolas Roffet, dans son édition du « premier volet » de centuries que l’on retrouvera dans la production des contrefaçons troyennes pour les années 1550. En tout état de cause, nous avons là une diversité d’initiatives, pas forcément compatibles entre elles et brouillant d’autant – ce dont diverses tentatives, même récentes, témoignent- la possibilité d’une recension bibliographique digne de ce nom.

A ces trois générations de contrefaçons et d’éditions- le sens anglais (edit) sous-tend une idée de retouche, de mise en forme, en page, il convient d’ajouter une quatrième, qui correspond, à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIIe siècle, lequel est marqué par un nouvel élan du nostradamisme, du commentaire, et dont le produit le plus emblématique est la production des éditions Pierre Rigaud 1566 qui va éclipser les grosses compilations du XVIIe siècle, au lendemain de la mort de Louis XIV (1715). Désormais, il n’est plus besoin des additions aux VIIe et VIIIe Centuries, plus besoin des sixains et de l’Epitre à Henri II ; plus besoin des Présages issus des almanachs de Nostradamus, lesquels apportaient, au moins, une certaine présence authentique de Nostradamus –encore que les dits quatrains ne soient probablement pas formellement son œuvre propre mais une compilation versifiée de ses « présages prosaïques-, on assiste à une sorte de repli stratégique, voulu en 1656 par Giffré de Réchac, au nom d’une « critique » nostradamique pendant, en quelque sorte, de la critique biblique qui se développe dans la seconde partie du XVIIe siècle chez certains membres des ordres religieux (cf. notre post doctorat, EPHE Ve section, 2007, sur le site propheties.it). C’est cette fois Avignon qui prend le relais, avec l’imprimeur Toussaint Domergue qui n’hésite donc pas à faire le grand écart en produisant des documents qui ne sont pas antidatés de quelques décennies mais carrément d’un siècle et demi, pour le cent cinquantième anniversaire de la mort de Michel de Nostredame. Mais, comme le note Robert Benazra, l’illusion n’existe que dans les éditions tronquées dans lesquelles un portrait dument daté de 1716 figurait le plus souvent disparu ; ce n’est pas par hasard que cette édition parait au début de la période dite de la Régence dans la mesure où le prophétisme français rebondit à chaque fois que le nouveau roi est trop jeune pour régner, comme en 1643 (avec une édition antidatée à 1611, correspondant au début de la régence de Marie de Médicis). On a placé dans cette édition antidatée à 1566, des éléments liés à la mort de Nostradamus, comme la reproduction de la pierre tombale, ce qui manquait chez Benoit Rigaud 1568, dont on a vu qu’il ne s’agissait pas d’une édition censée être liée à la mort de Nostradamus mais une réédition d’un document censé être paru au moment même de la rédaction d’une épître à Henri II, retouchée et redatée, pour les besoins de la cause. L’édition avignonnaise du cent cinquantième anniversaire est ainsi la seule véritable édition posthume, d’où sa date qui est celle même de la mort de Nostradamus. Mais, au XIXe siècle, les éditions troyennes prendront leur revanche, dans la seconde moitié du siècle, avec notamment la réédition parisienne, cent cinquante ans plus tard, de la version Chevillot 1611 qui, tout en étant moins ample que la version Du Ruau – elle ne prend pas en compte les « présages » dont chacun est lié à un mois et à une année, ce qui fait problème face à des centuries dont les quatrains ne sont pas datés. Rappelons en en effet le titre dans l édition de 1605 : « Présages tirez de ceux faictz par M. Nostradamus, es années 1555 & suyvantes iusques en 1567 ». Paradoxalement, ces présages qui auraient du être le cœur du dispositif nostradamique, sa matrice, sont ainsi passés par-dessus bord. D’aucuns avaient d’ailleurs douté de leur authenticité en comparaison avec les quatrains centuriques...

Le XVIIe siècle se présente à nous, dans son rapport au siècle précédent, du moins au regard de l’entreprise nostradamique, comme celui qui met en forme ce qui a été produit par le XVIe siècle. On l’a vu, plus haut, un Pierre Du Ruau aura recueilli précieusement la moindre bribe de ce qui portait la marque, réelle ou fictive, de Nostradamus, ordonnant chaque élément de l’ensemble en un certain nombre de volets, tout en veillant à ce qu’à cette synchronie structurelle fasse pendant une diachronie d’éditions antidatées C’est ce siècle qui aura ainsi établi la présentation en deux volets des centuries, avec ses deux épîtres censées être introductives et qui surtout confèrent leur datation interne aux dits volets, outre le fait que des éditions datées des années des épîtres sont également mises en circulation. La résistance de la part des modernes seiziémistes à cette OPA troyenne un XVIIe siècle qui débute en fait avec l’avènement de la dynastie Bourbon, dans les années 1590, autour de l’édit de Nantes (1598) sur « leur » siècle nous semble assez manifeste. Nostradamus se voit ainsi revendiqué tant par le monde valois que par le monde bourbon, poursuivant ainsi la guerre civile qui aura clivé le discours centurique et dont témoigne encore l’existence des deux volets.

 

16 - Sur la date de la première impression des Centuries VIII-X (« second volet « )

A l’occasion de la parution de Nostradamus et l’éclat des empires, de Patrice Guinard

En centrant son ouvrage (paru chez BoD, en Allemagne) sur la centurie VIII, Patrice Guinard nous donne l’occasion de faire le point, une fois de plus, sur le statut de ce qu’on appelle généralement le second volet des Centuries, bien qu’il ne consacre que fort peu de pages à cette question du contexte dans lequel parurent les Centuries VIII à X.

Il est un point sur lequel nous serons d’accord avec Guinard (p.14) - à moins que ce ne soit plutôt l’inverse- à savoir qu’il a du exister une édition, « introuvable » du second volet chez Antoine du Rosne. Cela tient notamment, de notre point de vue, à la similitude entre la page de titre de l’édition Du Rosne 1557(Bibl. Utrecht) et celle du premier volet des éditions Benoist Rigaud 1568. La différence, c’est que pour nous toutes ces éditions furent réalisées dans les dernières années du XVIe siècle et non en 1558 ou 1568, elles sont donc antidatées. Cette édition du second volet était-elle datée ? C’est peu probable comme l’atteste l’édition Benoist Rigaud 1568, qui en est la réédition, dont le second volet n’est jamais daté, ce qui a l’avantage de pouvoir servir à la fois pour une édition antidatée que pour une édition non datée. Elle devait en revanche comporter le nom d’Antoine du Rosne.

Dans le cas de l’exemplaire de la Bibliothèque d’Utrecht, nous dirons qu’il est sensiblement plus tardif que l’exemplaire de la Bibliothèque de Budapest qui, lui ne concerne que le premier volet, comme il ressort également de la page de titre. Le dessin de la vignette de l’exemplaire de Budapest (voir les fac similis édités successivement par Robert Benazra, en 1993 et par Gérard Morisse, en 2004) diffère de toutes les vignettes nostradamiques représentant un homme devant une table (sur le modèle du mois de janvier dans les almanachs), par sa facture, qu’il s’agisse des pronostications de Nostradamus ou des éditions Macé Bonhomme 1555 ou ligueuses (Paris, 1588-1589) ou encore de celle des faux almanachs produits dans les années 1560 par Barbe Regnault. Vignette qui diffère également de celle d’une pronostication de Jean Sconners, parue chez le même Antoine du Rosne.(cf Catalogue Thomas Scheler, 2010, p. 32) ..

Il est notamment intéressant de revenir sur le fait que l’édition Macé Bonhomme 1555 comporte la même vignette que l’édition « Utrecht ». Or, comme le note Guinard, il y a de fortes similitudes entre l’édition Utrecht 1557 et les éditions Benoist Rigaud 1568 et nous dirons qu’elles sont contemporaines. On notera que les éditions Rigaud 1568 ne comportent pas le type de vignette que nous avons décrite plus haut, ce qui nous conduit à penser qu’elles ne visaient pas à prendre l’apparence des éditions nostradamiques de l’époque de Nostradamus, à la différence de l’édition qui en dérive, Antoine du Rosne, 1557/1558 Utrecht.

Il faut comprendre qu’aucune édition comprenant les deux volets n’a du paraitre avant la réconciliation nationale correspondant au sacre d’Henri IV, donc reconverti au catholicisme romain- autrement dit les deux volumes Antoine du Rosne 1557 (dont la Bibliothèque d’Utrecht ne conserve que le premier volet) ne sauraient être antérieures à cet événement. Nous n’avons pas d’ailleurs la certitude d’une parution antérieure aux premières années du XVIIe siècle pour les éditions à 2 volets. Si le Janus Gallicus(1594) reprend certains quatrains du second volet, rien ne nous assure que c’est issu d’une édition à deux volets, tout comme le dit recueil commente des quatrains des almanachs alors que ceux-ci n’étaient pas parus depuis le temps de Nostradamus si ce n’est éventuellement sous la forme d’un Recueil des Présages Prosaïques, dont le titre même ne renvoie d’ailleurs pas à des quatrains, recueil qui fut peut être imprimée mais dont le manuscrit a été conservé (Bibl. Lyon La Part Dieu).

A partir de là, il nous faut nous interroger sur la date de fabrication de l’édition Macé Bonhomme 1555 dont nous avons dit que la vignette ressemblait fortement à celle de l’exemplaire Utrecht. Il nous semble très improbable en effet que cette fausse édition ait été réalisée avant Antoine du Rosne, 1557 Budapest, du fait de la différence des vignettes et même si selon une logique chronologique primaire, l’édition 1555 devrait être antérieure aux éditions du Rosne 1557, tant Budapest qu’Utrecht. Selon nous, il dut y avoir d’abord une édition 1555 à 7 centuries (signalée dans l’édition Anvers St Jaure, 1590) reprise par l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest et qui devait porter la même vignette qu’Antoine Du Rosne Budapest qui en serait la copie.

On ne doit pas ici négliger l’apport des éditions troyennes, à commencer par celle datée de 1605. Chez ces libraires – et notamment chez Pierre Du Ruau, la connaissance des éditions ligueuses est attestée par les annexes à certaines centuries, réalisées à partir de quatrains des dites éditions ligueuses, éliminés par la suite et d’ailleurs empruntant aux quatrains de l’almanach de Nostradamus pour 1561..Or, dans ces éditions ligueuses, la marque d’addition après le 53e quatrain de la Centurie IV aura mis sur la piste d’une édition initiale s’arrêtant à IV 53, d’où, selon nous, l’idée de fabriquer ce premier état et de le dater de 1555, comme état antérieur de l’édition 1557 Utrecht, avec la même vignette. Nous aurions ainsi d’ailleurs deux « couples » d’édition dont deux éléments nous manquent (1555 à 7 centurie et Utrecht Second volet, 1558, date de l’Epitre à Henri II) :

Premier couple ;

Une édition à 7 centuries, non conservée, mais attestée en 1590 et correspondant d’ailleurs à un état qui ne saurait être antérieur à cette date, du fait que l’édition d’Anvers n’a encore que 35 quatrains à la VII, alors que sa réédition Du Rosne 1557 Budapest a 40 quatrains à la VII, et qu’elle n’a plus, à l’instar d’Anvers 1590, de centième quatrain à la VI ni d’avertissement latin.

Second couple

Une édition à 4 centuries, dont 53 à la IV, Lyon Macé Bonhomme que nous daterons vers 1600-1605, couplée avec l’édition Antoine du Rosne Utrecht regroupant toutes sortes de quatrains de type nostradamique et que l’on avait donc collecté et rassemblé, à commencer par le second volet. Le second volet a disparu. On ne le connait que par son « original » daté de 1568, qui en est en quelque sorte la réédition.

Quelques observations sur ce second volet dont est issue la Centurie VIII commentée par Patrice Guinard. Nous noterons que certains quatrains semblent relever d’un autre mode de communication que d’autres, les uns étant « cryptés », recourant à des anagrammes tandis que d’autres sont « en clair ».

Comment se fait-il, en effet, que l’on trouve au sein du même « volet » des quatrains recourant aux anagrammes Mendosus (pour Vendôme) et (pour Lorrain) Norlaris (IX, 50 cf aussi IX 45 et VIII, 60)- cf Guinard, p. 104- ?

« Mandosus tost viendra à son hault régne

Mettant arrière un peu de Norlaris »  Notons que dans ses almanachs, Nostradamus se servait d’une autre anagramme pour Lorrain, à savoir Lorvarin (présage d’octobre 1562), ce qui permet de douter sérieusement, au niveau du texte, de sa paternité sur les quatrains concernés du second volet.(cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, p. 155)

et d’autres annonçant directement la victoire d

X, 18 « Le rang lorrain fera place à Vendosme »

Autre exemple de ce double niveau de langage, au cœur même de la VIIIe Centurie.

Guinard s’interroge (p. 111) sur le quatrain VIII, 67 :

PAR CAR NERSAF, à ruine grand discorde

(…)Nersaf du peuple aura amour & concorde

Il note que Nersaf est l’anagramme de France. Mais il ne fait pas le rapprochement avec VIII, 4, tout au début de la VIIIe Centurie :

Dedans Monech le coq sera receu

Le Cardinal de France apparoistra

Par Logarion Romain sera déceu

Foiblesse à l’aigle & force au coq naistra

Or, il nous semble bien que ce Car Nersaf – en capitales- renvoie au Cardinal de France. Quant à PAR de VIII 67, on pourrait le rapprocher de VIII 4 : Par, se trouvant dans « apparoistra » suivi de par. Guinard, quant à lui, rapproche PAR de Paris et CAR de Carcassonne.

A quoi bon dans ce cas, comme pour Norlaris et Mendosus, avoir à la fois des anagrammes et leur clef ? Nous expliquerons cette bizarrerie de la façon suivante : le second volet serait une compilation hybride et un peu désordonnée de toute une littérature nosrtradamique favorable à Henri IV, dont l’anagramme est Chyren (VIII, 54, cf Guinard, p. 96 qui y voit Henri II), d’où le regroupement de données redondantes et formulées dans des styles divers. On aura complété un tel assemblage par des quatrains fabriqués un peu à la va vite, empruntés à la Guide des Chemins de France d’Henri Estienne (cf. Guinard ; p. 12) - nous avons montré qu’il fallait se servir d’autres guides du même auteur, comme les Voyages - et à d’autres récits régionaux. La mise en évidence de tels emprunts par Chantal Liaroutzos est d’un intérêt inépuisable. Cela nous aura permis d’étudier la façon dont certains de ces quatrains géographiques avaient été retouchés, notamment IX, 86, avec Chartres remplaçant Chastres. Mais, si l’on en reste à la centurie VIII, on remarquera (cf. Guinard, pp. 20-21) que le quatrain VIII 20 est extrait des Voyages de 155218. mais l’on voit aussi que ce quatrain a été interpolé et vise les Lorrains, dont la capitale est Nancy.

Au fort chasteau de Viglanne & Resviers

Sera serré le puisnay de Nancy

Dedans Turin seront ards les premiers

Lors que de dueil Lyon sera transy.

Signalons aussi VIII, 52, qui semble recopier de quelque atlas de la France19 :

Le roy de Bloys dans Avignon régner

D’Amboise & Séme viendra le long de Lyndre

Ongle & Poitiers sainctes aesles ruiner

Devant Boni

Guinard (p. 94) relève quelques noms de villes mais n’en repère point d’autres : il ne note pas la référence à la Ville de Saintes, ni probablement à Saumur (Sème). « Ongle » est probablement une corruption d’un nom de lieu, peut être Orléans ? Quant à Boni, il pourrait bien s’agir comme le note Guinard de « Bonny sur Loire (sous Briare et à hauteur de Blois) ». L’existence d’un verset manifestement incomplet dans les diverses éditions, y compris celle marquées Benoist Rigaud 1568, nous fait souligner le fait que les éditions prétendument les plus anciennes des centuries ne différent guère de celles jugées plus tardives par les bibliographes, ce point a visiblement été négligé par les faussaires.

Là encore, n’a –t-il pas eu retouche du quatrain initial avec l’introduction d’Avignon (référence au pape) qui n’appartient pas à cette région. Le premier verset semble comporter un message politique pas plus que Chartres n’appartenait à la région parisienne. On notera le quatrième verset tronqué, ce qui vient confirmer le caractère rétrospectif d’archivage de l’entreprise post-centurique du début du XVIIe siècle.

Nous voudrions terminer en mettant en avant un critère qui ne semble guère avoir retenu l’attention de P. Guinard, à savoir le recours aux lettres capitales (majuscules). L’on notera que l’édition Budapest ne comporte pas de mots en capitales du moins dans les quatrains alors que l’exemplaire Utrecht en comprend un certain nombre – et cela vaut pour les deux volets dans les éditions Benoist Rigaud 1568. Or, l’édition Macé Bonhomme 1555 dispose aussi de quatrains dont certains mots sont en capitales. Il suffit de s’arrêter aux premiers quatrains de la première centurie pour en convenir. ¨Par exemple le BRANCHES de II, 2/ Voilà qui vient confirmer la parenté que nous proposions entre Macé Bonhomme 1555 et Utrecht 1557 avec Benoist Rigaud 1568 et nous conclurons que l’exemplaire Antoine du Rosne 1557 Budapest est d’une autre mouture. Quant aux raisons d’un tel procédé, elles devaient correspondre à un certain mode de cryptage, mettant en avant une certaine série de mots. Ce cryptage n’était pas encore de mise lors de la fabrication de l’édition Budapest pas plus d’ailleurs que dans les éditions parisiennes ligueuses, ou de Rouen/Anvers 1588/1589. Nous daterons ce procédé d’une période plus tardive autour de 1600-1605.20

En forme de conclusion, nous relèverons que dans ses « repères biographiques » qui mélangent fâcheusement données biographiques et bibliographiques, ces deux domaines relevant de méthodologies distinctes, (pp. 166 et seq), Guinard propose :

« 1555 ; parution en mai, à Lyon, chez Macé Bonhomme de la Ière édition des «Prophéties ». (353 quatrains). Retirage en juin 1555

« 1557 : Parution en septembre, à Lyon, chez Antoine du Rosne, de la 2e édition des « Prophéties » (642 quatrains). Réédition en novembre 1557

-Parution à Lyon, chez le même imprimeur de la « Paraphrase de C. Galien. » Réédition postdatée de 1558

1558 Parution à Lyon, probablement toujours chez Antoine du Rosne du second livre des « Prophéties » (300 quatrains)

(…) 1568 Parution à Lyon, chez Benoist Rigaud de l’Ière édition complète des Prophéties (942 quatrains)

Prudemment, Guinard ne mentionne pas le cas d’une édition pour 1561 à 39 articles à la dernière centurie et dont nous avons montré ailleurs qu’il s’agissait non seulement d’une contrefaçon antidatée mais probablement correspondant à un état antérieur aux éditions Antoine du Rosne 1557 (Budapest et Utrecht). On n’a gardé de ces éditions que des pages de titre utilisées de façon assez étrange par les libraires parisiens de la Ligue. En effet, ces éditions 1561 indiquent pour cette date la mise en place de la centurie VII, appendice à la Vie centurie qui fut un temps conclusive donc « dernière » terminée par l’avertissement latin. On n’a pas conservé d’édition à six centuries mais elle a du exister, dans les années 1580. Ces éditions 1561 complètent l’édition à six centuries. On peut ainsi penser – milieu 1580 - à un premier « train » de contrefaçons sur la base de 600 + VIIe centurie, qui sera suivi d’un deuxième train de contrefaçons – début 1590- comportant Antoine du Rosne Budapest 1557 et d’un troisième train, début XVIIe siècle, comportant Antoine du Rosne Utrecht à 2 volets et Benoist Rigaud 1568. On ne peut évidemment pas souscrire à l’indication de P. Guinard, dont, selon la quatrième de couverture, « les études bibliographiques et (les) recherches sur l’histoire du texte nostradamique font autorité en France et à l’étranger »- sur la seule base des mentions finales, plaçant la parution d’Antoine du Rosne Utrecht avant Antoine du Rosne Budapest, position d’autant plus intenable qu’il considère que cette dernière édition était complétée par un second volet, ce qui n’était pas le cas de la première. Quant à sa mention (1557/1558) de la Paraphrase de Galien, laquelle comporte la même vignette que celle d’Utrecht 1557 chez le même libraire, nous ne pensons pas qu’elle date davantage de cette période, il s’agit probablement d’une traduction manuscrite trouvée dans la bibliothèque de Michel de Nostredame et imprimée également vers 1600, conjointement avec l’exemplaire Utrecht...

Il faut bien comprendre que les contrefaçons ne restituent aucunement tout le cours de la production centurique tel qu’il se développe à partir des années 1580 avec un « revival » de Nostradamus, personnage d’une autre époque mais bien qu’elles n’en reprennent que quelques états. Il est donc regrettable que ce sont ces contrefaçons bien partielles qui sont présentées comme le commencement de la genèse des Centuries. Ce faisant, l’on parvient peut être à sauver la paternité de Nostradamus sur les centuries mais par ailleurs, l’on donne naissance à une genèse assez invraisemblable de cette œuvre qu’il vaut mieux qualifier de collective – les deux volets sont liés et marqués par des camps opposés - qui fut le vecteur de sa postérité21.

 

17 - Les filiations improbables des recherches astrologiques et nostradamologiques.

 

Le débat autour de l’astrologie et de Nostradamus est délibérément faussé par certains de ceux qui prétendent défendre les couleurs de ces deux domaines qui ne sont pas sans traits communs quant aux pathologies dont ils sont victimes par delà ce qui peut les rapprocher quant à leur extraordinaire fortune à travers les siècles.

Le tort que font nombre de chercheurs et de commentateurs marqués par une certaine tendance apologétique tient au fait qu’ils sont en quête de filiations improbables. Tout serait tellement plus simple si les spécialistes des centuries renonçaient à démontrer que celles-ci sont dues à Nostradamus ou si les experts en astrologie cessaient de placer leur pratique sous le signe de l’Astronomie. On sait que la tentation est forte de se placer sous la houlette d’une autorité prestigieuse mais cela se révèle le plus souvent assez contre-productif et génère des amalgames fâcheux.

Tout comme l’astronomie s’est séparée de l’astrologie- nous renvoyons à la polémique de Videl – ce qui ne suffit nullement à expliquer le déclin de cette dernière- Colbert a bon dos ! – de même les spécialistes de Nostradamus n’ont pas grand-chose à voir avec les interprètes des Centuries. Certains ont cependant tenté de faire le grand écart et d’affirmer une unité de l’astrologie tout comme – car ce sont parfois les mêmes- une unité du nostradamisme..

LE XXIe siècle devrait voir entériner le clivage entre des plans que d’aucuns voudraient à tout prix voir converger. Dans le cas de Nostradamus, on voit encore mener des combats d’arrière garde, assez désespérés et désespérants, pour valider les manipulations des éditeurs de la fin du XVIe siècle qui ont monté le «canular » d’un Nostradamus auteur des Centuries. Dans un premier temps, nos libraires ont joué la carte de publications tardives, que l’on fait émerger sous la Ligue, jamais encore « imprimées ». C’est d’ailleurs la formule utilisée : « dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées » et par la suite, « Centuries VIII, IX X Qui n’ont encores iamais esté imprimées ». Puis ils s’enhardirent – tout en gardant les mêmes intitulés ! - et n’hésitèrent plus à dater certaines éditions en indiquant l’année des épîtres : puisqu’il y avait une préface de 1555 eh bien on dirait que les Centuries sont de cette année là et puisqu’il y a une épître de 1558, qu’à cela ne tienne, on produirait des Centuries parues en la dite année.(Du Rosne, Bibliothèque Utrecht – le second volet est manquant mais la page de titre témoigne). Même l’édition Benoist Rigaud 1568 n’est pas posthume –elle n’en a pas le style en son titre- mais n’est qu’une supposée réédition de celle (perdue) de 1558. [1]

Ce qui n’était au départ qu’un stratagème de libraire rencontra un écho considérable chez certains chercheurs et ce dès le XVIIe siècle, qui se persuadèrent que les Centuries ne faisaient véritablement sens que si elles étaient l’œuvre de Nostradamus, preuves à l’appui, d’où leur attachement en quelque sorte viscéral à toutes les éditions des années 1550-1560 des Centuries et par voie de conséquence une forme d’hostilité, de mépris affiché à l’encontre des éditions « ligueuses » et «post-ligueuses » des années 1580-1590. Leur idée est asses simple et circulaire : les centuries sont prophétiques parce qu’elles sont l’œuvre d’un « prophète » et si elles se vérifient, c’est bien que leur auteur méritait bien ce nom de prophète. CQFD. Il ne leur suffit pas d’interpréter les quatrains, il leur faut aussi que ces quatrains soient impérativement l’œuvre de Michel de Nostredame. Si on leur dit que ces quatrains n’ont pas besoin d’être de Nostradamus pour être prophétiques –puisque eux-mêmes nous donnent des « preuves » de leur validité prophétique – ils répondent que leur joie serait singulièrement compromise, entachée, si l’on devait découvrir un jour que l’ensemble ne se constitua qu’en plusieurs temps, après une éclipse de 20 ans entre la mort de Nostradamus en 1566 et les toutes premières éditions des Centuries. Evidemment, si les quatrains ne sont pas de Nostradamus, ils pourraient aussi bien avoir été composés après coup. Mais qu’est ce que cela change ? De toute façon, on a encore trois siècles (1700-2000) pour déployer l’exégèse, même en considérant que les Centuries ont continué à se former au XVIIe siècle. En fait, nous savons que les Centuries constituent une addition à l’œuvre de Nostradamus, qu’elles en sont le prolongement, à telle enseigne que sur l’ensemble considérable des documents manuscrits et imprimés, dont l’authenticité ne fait point problème, on ne trouve pas de mention des quatrains centuriques du vivant de Nostradamus..

Mais passons à l’astrologie que nous avons placée en parallèle. Tout, là encore, serait tellement plus simple, si les astrologues avaient la sagesse de ne pas confondre l’axe central de l’astrologie avec ses divers prolongements et avatars se prêtant à une appréhension du réel dans ses plus infimes méandres. Là encore, même syndrome, même obsession de valider des additions successives en faisant croire qu’elles font partie intégrante d’un plan initial. Même incapacité, impuissance, à séparer, à dégager ce qui est au centre, à l’origine et ce qui est à la périphérie. Là encore, qu’est ce qu’il en couterait de ne pas parler d’astrologie pour des techniques qui ne sont qu’un simulacre que l’on peut traiter à sa guise, à l’instar des quatrains ? Si ces procédés « marchent », eh bien tant mieux  mais quel besoin de les qualifier d’astrologiques ? Déjà il y a 800 ans Ptolémée mettait en garde dans la Tétrabible : « Beaucoup d’individus appâtés par le gain abusent le profane en exerçant sous le couvert d’art astrologique un autre art »(Livre I ; trad. Pascal Charvet, Paris, Ed  Nil, p. 33)

Il est vrai qu’il n’est pas si simple de dégager le vrai du faux. Et quand nous employons ces termes, nous ne disons pas que les centuries ont « tout faux » mais qu’elles sont des contrefaçons. Or un texte peut être un faux et être « dans le vrai ». Un astrologue peut désigner pour astrologique ce qui ne l’est pas – et usurper un certain titre- et néanmoins être « dans le vrai ». Inversement, quelqu’un peut dire des choses « vraies » mais se les attribuer faussement, commettre un plagiat. Etrangement, le contraire du plagiat est aussi répréhensible, quand on attribué à autrui ce qui est notre propre œuvre ! Il faudrait trouver un mot pour désigner un tel forfait. Dans les deux cas, il y a un problème de paternité usurpée. Est-ce qu’attribuer à quelqu’un ce qu’il n’a pas fait n’est pas un acte condamnable, quand bien même cela pourrait être considéré comme flatteur. Peut être que ceux qui attribuent ces « merveilleux » quatrains croient se libérer la conscience en se disant que c’est plutôt flatteur pour l’intéressé, qu’ils lui font un beau cadeau. C’est pourquoi plus ils pratiquent l’interprétation des quatrains ou des thèmes, avec succès, plus ils se sentent dans leur bon droit de pouvoir associer tel personnage ou tel savoir à leurs pratiques présentées sous leurs parrainages.

On ne sera donc pas surpris de voir Patrice Guinard se hasarder dans le champ exégétique, par le biais de son Nostradamus ou l'Éclat des Empires - "Nostradamus et ses visions passées et à venir"- édition BoD, 2O11) « L'objet de cet ouvrage, écrit-il, est de montrer, voire démontrer, la réalité des visions du prophète provençal, mal lu, mal interprété, mal compris, depuis plus de quatre siècles » mais Guinard n’en revendique pas moins le statut de bibliographe expert dans les premières éditions, de façon à pouvoir consolider l’historicité de Nostradamus, comme si celle-ci était fonction des ouvrages qui lui étaient attribués. Ce faisant, PG , en voulant jouer sur plusieurs tableaux, hypothèque son discours, le fragilise, le mettant à la merci de la critique alors qu’il pourrait se contenter de montrer, puisqu’il prétend pouvoir y parvenir- que les Centuries ont vu « juste », quelle qu’en soit la provenance. En fait, tout se passe comme si la validation du texte nostradamique au regard des événements validait ipso facto le lien ainsi instauré, bibliographiquement, entre Nostradamus et« ses »centuries.
 

De même, il serait beaucoup plus simple, pour tout le monde, que l’on ne confondît pas le tronc central de l’astrologie avec des prolongements aléatoires et souvent déformés avec le temps - et que le même Guinard, dans sa production astrologique laquelle obéit à la même problématique que sa production nostradamique- qualifie pompeusement de « structures » alors qu’il ne s’agit que d’échafaudages amovibles - ce qui ne les empêche d’ailleurs nullement, de «marcher ».

Cette affirmation unitaire : une Astrologie – et l’emploi du singulier est ici crucial- un Nostradamus. Si l’on devait psychanalyser un tel rejet de ce qui pourrait séparer, défaire, déconstruire, on songerait au syndrome d’une famille se décomposant, au traumatisme d’une unité défaillante. En s’évertuant à plaider l’unité d’un corpus, d’un savoir, l’on vient ainsi au secours d’un enfant terrorisé par une unité parentale à la dérive. A partir de là, la dimension proprement scientifique du travail devient très relative, elle ne sert plus que de prétexte à la résolution d’une problématique existentielle et les personnes ainsi affectées s’efforcent de faire partager à autrui leurs fantasmes unitaires.

Au vrai, quand on examine de plus près les dossiers ainsi présentés, il nous est bien difficile de nous extasier face à des mises en relation d’un corpus et d’une certaine réalité du terrain, quand celles-ci laissent à l’interprète une si grande latitude. Mille quatrains pour chaque fois rendre compte d’un événement et peu importe quel quatrain l’on choisira….. Quant au dédale protéiforme de l’étude des configurations astrales, il est bien évident que plus on connait l’astrologie, moins on est dupe, contrairement à l’idée, démagogique, selon laquelle ceux qui n’y connaissent rien seraient mieux placés pour en juger.

Nous pensons que Saturne doit dévorer ses enfants, légitimes ou non, autrement dit que tout ce qui émane d’une source ne doit pas se maintenir indéfiniment mais doit être évacué périodiquement. Sinon ce serait garder le bébé avec l’eau du bain.

18 - L’étude négligée des épîtres centuriques en prose

Daniel Ruzo est l’auteur d’un ouvrage bien connu des chercheurs, Le Testament de Nostradamus (Ed. du Rocher, 1982) et l’on sait que Patrice Guinard s’est beaucoup intéressé au « testament » laissé par Michel de Nostredame, dont il tire toutes sortes d’enseignements et de renseignements, la succession des éditions et des découpages centuriques obéirait à un plan d’ensemble, ce qui poursuit, semble-t-il, la démarche d’un Ruzo..

Par définition, un testament se rédige de son vivant et parfois longtemps avant le décès. Nostradamus, né en 1503 eut un fils, en 1553, César, quand il atteignait la cinquantaine. On sait qu’il s’adressa à lui par un texte auquel fait écho Antoine Couillard, en 1556, dans texte satirique intitulé « Prophéties » et dont il semble concevable que le dit Couillard ait pris connaissance non pas du fait d’une quelconque parution mais du fait de quelque « fuite ». D’ailleurs, quel intérêt y aurait-il eu à reproduire largement un document qui venait d’être mis en circulation par voie d’impression ? C’est l’occasion de rappeler l’importance des manuscrits dans la communication des années 1550-1560 et au-delà parallèlement à celle des imprimés. On connaît le cas assez étrange des « emprunts » d’Antoine Crespin ainsi que notre lecture de la lettre de Jean de Chevigny à Larcher

Nous voudrions revenir ici sur un mot synonyme de testament qui est celui de mémoire, qui existe également en anglais. Dans son adresse à son très jeune fils César, datée de 1555, Michel de Nostredame, évoque l’existence ou en tout cas le projet d’un « mémoire ». Cette adresse sera reprise dans les années 1580 en tête des premières éditions imprimées des Centuries, qui ne comportaient initialement que 4 sections. (cf l’édition de Rouen de 1588, chez Raphaël du Petitval, malheureusement introuvable, mais dont la description fut transmise par Ruzo à Robert Benazra, lors du Colloque de Salon de Provence de 1985, il y a donc un bon quart de siècle) mais cette description ne fournit pas de précision sur le contenu exact de la Préface qui nous intéresse ici). Dans les années 1580, César de Nostradamus parvenait à la trentaine. Il est possible qu’il ait eu en mains un « mémoire » que son père lui aurait laissé et qu’il ait souhaité le publier, d’où la présence de la dite Préface à lui adressée par son père car nous n’excluons aucunement que César ait participé peu ou prou à ce revival nostradamique des années 1580. Son nom est cité par Jean Aimé de Chavigny à la fin de sa biographie de Nostradamus, en tête du Janus Gallicus (1594) d’une façon qui laisse entendre une certaine proximité. D’ailleurs César publiera des textes touchant, par endroits, aux « prophéties » paternelles.

Le mot « mémoire » figure expressément dans les premières lignes de la « Préface » mais il est souvent mal interprété, y compris par Pierre Brind’amour, auteur d’une édition des 4 premières Centuries, sous leur forme à 353 quatrains. (Droz, 1996). Le plus souvent la forme « délaisser mémoire » n’est nullement interprétée comme renvoyant à un quelconque mémoire et ce, en dépit du contexte :

« referer par escript, toy délaisser mémoire, après la corporelle extinction de ton progéniteur (….)vu qu’il n’est possible te laisser par escript ce que seroit par l’injure du temps oblitéré. »

Nous reproduisons ici le texte « classique » mais nous avons déjà par le passé signalé des versions quelque peu différentes et selon nous sensiblement plus fiables comme la version – certes tardive (fin XVIIe siècle) du libraire lyonnais Antoine Besson- « vu qu’il n’est loisible te laisser par trop clair escript », où l’on trouve carrément « à toy laisser un mémoire ». ce qui correspond à l’anglais de Theophilus de Garencières (1672) « a memorial », on est bien loin de la mémoire dont on se satisfait habituellement, ce qui occulte la question de l’existence d’un document. Peu nous importe ici que ces impressions soient tardives tout comme nous était indifférent que Crespin ait ou non été un faussaire : ce qui compte ici c’est le texte et le fait que si l’on compare les versions en question de la fin du XVIIe siècle à celles de la fin du siècle précédent, force est de constater que les sources des unes nous apparaissent comme moins corrompues que celles des autres. Nous ne reviendrons pas en détail ici sur l’inconsistance des premières lignes de la Préface en rapport avec la naissance « tardive » de César, dans les versions du XVIe siècle.

Mais revenons au texte et que faut-il entendre par le fait que d’une part il soit question d’ un mémoire et de l’autre de ce qu’on peut laisser par écrit. On a d’abord un développement où il semble assez évident que Nostradamus envisage de laisser une sorte de testament qui sera transmis à sa mort. Précisons que nous ne sommes pas ici en train de commenter un document authentique mais bien celui qui émerge dans les années 80 et qui est inspiré d’une version recueillie partiellement par Antoine Couillard dès 1556. Il semble d’ailleurs assez patent que les 353 quatrains qui font suite à la Préface pourraient bel et bien constituer le dit mémoire, en précisant que si une telle édition à 4 centuries parait en 1588, c’est parce qu’il n’y a pas eu d’édition à 7 ou à 10 centuries antérieurement car quel intérêt y aurait-il eu, vingt ans après, à restituer la genèse des éditions successives alors même que l’on était censé disposer d’une édition compléte à 10 centuries ou en tout cas à 640 quatrains, depuis 1557 ?. Nous pensons d’ailleurs que l’idée d’une Epître à César accompagnée de diverses notes prises lors de « vigilations nocturnes » et mises par la suite en quatrains, par d’autres, est en gros acceptable, vu que nous pensons que la première présentation des Centuries fut posthume avant qu’il y ait un revirement en faveur d’une thèse selon laquelle une partie des textes serait parue du vivant de Nostradamus, ce qui est en contradiction avec le contenu de la Préface tel que nous venons de le décrire.

On est en effet un peu perplexe par les formes négatives que l’on trouve à propos de la mise par escript. En fait, comme le note la version Besson, ce n’est pas l’impossibilité de mettre par écrit qui est posée mais celle d’une présentation par trop directe, « par trop clair ». En supprimant délibérément ou par mégarde « par trop clair », on produit une contradiction et nous rappelons que le texte « canonique » de la Préface souffre de telles suppressions. On s’est souvent plaint de l’obscurité des quatrains mais celle des textes en prose n’a guère à leur envier alors que, d’une façon générale, l’on est en droit d’ être plus exigeant à leur égard. Il semble que les quatrains ont contaminé les préfaces et aient conduit à un certain laxisme de la lecture des dites Epîtres. Une des retombées fâcheuses –du moins pour certains- de nos observations est évidemment de mettre en cause les premières éditions des deux volets, encore que l’on puisse toujours penser que les éditions du XVIIe siècle signalées viendraient d’un manuscrit d’origine.

On notera cependant que Garencières est également victime de cette suppression du « par trop clair » : « since it is not possible to leave thee in Writing », on n’y trouve pas le « too clearly ». Revenons à Brind’amour qui traduit « mémoire », dans son édition critique –il n’a visiblement pas lu Garencières ni Besson dont il ne mentionne pas les « variantes » - par « souvenir » (p. 2). On ne voit pas très bien ce que cela pourrait avoir signifié. Quant à la négation devant « possible », le chercheur québécois préfère la considérer comme un »ne explétif » (p.4) et de proposer « vu qu’il est possible de te laisser par écrit. »

En conclusion, nous dirons que certaines erreurs méthodologiques ont été commises par divers chercheurs, ce qui a conduit à une fausse représentation de l’historique du processus de formation du corpus centurique. On n’a pas pris la peine de comparer les diverses versions des Epitres, sous quelque prétexte, alors que celles-ci étaient disponibles et accessibles, mais non décrites par Chomarat ou Benazra. Michel Chomarat va même, cependant, jusqu’ à reproduire (p. 165 de sa Bibliographie Nostradamus, 1989) le frontispice de l’édition Besson. (Voir aussi sa notice sur Garencières pp. 144-145). Quant à Benazra, l’année suivante, (pp. 265-268) en dépit d’une assez longue notice, il ne signale aucunement à quel point les deux préfaces différent des éditions françaises précédentes. Pour Garencières,¨( pp 246-247), pas un mot sur les importantes différences entre le texte anglais et un original français qui ne semble pas être celui des éditions françaises connues des Centuries. Rétrospectivement, il nous parait assez évident qu’il fallait commencer par une étude rigoureuse des textes en prose. Or, nos bibliographes se sont exclusivement intéressés à la question des quatrains et de leur interprétation, au nombre de quatrains de chaque édition voire à certaines variantes d’un même quatrain mais ils ont fait totalement l’impasse sur les deux grands textes en prose qui ouvraient les 10 centuries.

Encore conviendrait-il de ne pas négliger la « troisième » Préface, celle adressée à Henri IV et placée en tête des « Sixains », en date de 1605. C’est elle qui vraisemblablement donne son nom à l’ouvrage de Garencières, « Prophecies or Prognostications ». On y trouve enfin une dimension posthume qui évidemment ne figure pas ou plus dans les autres préfaces, rédigées par Michel de Nostredame. Mais cela vaut la peine de s’y attarder : « Ayant (…) revouvert certaines Prophéties ou pronostications faites par feu Michel Nostradamus (…) par moy tenues en secret iusques à présent & vu qu’elles traitaient des affaires etc »

Un tel scénario nous semble, en effet, avoir été calqué sur celui qui présida aux toutes premières éditions : au départ, on se référait à « feu Michel de Nostredame » et l’on exhumait un texte, un « mémoire » adressé à son fils César qui aurait été conservé « en secret ». On notera d’ailleurs la bévue de Benoist Rigaud quand il publie des éditions datées de 1568 et ne prend même pas la peine, au titre, de signaler que Nostradamus vient juste de mourir, ce que l’on n’aurait pas manqué de faire si c’était vraiment paru en 1568 comme l’attestent de vraies parutions « nostradamiques » de cette année, dans certains cas des faux authentiques en quelque sorte. La mention d’une dédicace au Roi ne figure même pas. Or, encore une fois, le XVIIe siècle vient à notre secours avec la parution chez Sylvestre Moreau d’une ‘ »Nouvelle prophétie de M. Michel Nostradamus…. DEDIE AV ROY »et qui ne comporte que l’Epitre à Henri II et le second volet de quatrains » (Sylvestre Moreau, cf Benazra, pp. 153-154). Il semble donc que le second volet des Centuries serait d’abord paru séparément sous la Ligue – on n’a pas gardé l’impression d’origine mais elle est reprise, on l’a vu, au siècle suivant - ce qui se conçoit puisqu’il émanait du camp d’Henri de Navarre – puis repris, sans la mention « Au Roy » par Benoist Rigault.

Rappelons que nous avons montré que les 58 sixains en question parurent, en tant que « Prophéties », sous le nom de Noel Léon Morgard sans aucune référence à Nostradamus, en 1600 (1) ce qui laisse entendre que les sixains n’étaient pas encore parus à cette date, avec la dite Epître, ce qui alimente évidemment la thèse selon laquelle on aurait attribué à Nostradamus des textes qui n’étaient pas nécessairement de sa plume et qui n’appartenaient même pas initialement à la mouvance pseudo-nostradamique. Mais l’on peut aussi penser, dans le cas de Morgard, qu’il ait pu « pirater » un manuscrit nostradamique-comme celui conservé à la BNF, qui n’avait pas encore de circulation officielle.

Ajoutons que si ces deux épîtres à César et à Henri II furent retouchées – on a l’original de l’Epitre à Henri II en tête des Présages Merveilleux pour 1557 – il convient d’étudier d’autres épîtres de Nostradamus, moins suspectes d’avoir été retouchées –et elles ne manquent pas - lesquelles ne mentionnent jamais l’existence des Centuries, si ce n’est dans le cas, que nous avions signalé à Brind’amour – des Significations de l’Eclipse de 1559, qui sont une sorte de longue épître, dont le contenu est en partie repris de Léovitius comme l’avait déjà remarqué Torné-Chavigny, au XIXe siècle, où il est question d’une « seconde centurie » sans que l’on sache de quoi il pouvait s’agir. On ne peut exclure cependant que ce terme de « centurie » ait correspondu à un travail que menait parallèlement Nostradamus ou dont il avait en tout cas le projet. Car il n’y a pas de fumée sans feu. Le travail des faussaires reprend autant que possible certaines données authentiques ou du moins jugées telles. Le mot de « Prophéties » ne devait pas être étranger à l’activité de Nostradamus mais il ne désignait point des quatrains ou pas seulement. Rappelons que les almanachs de Nostradamus comportaient des quatrains dont il n’était d’ailleurs pas forcément l’auteur. Nous avons déjà évoqué l’existence d’une véritable bibliothèque nostradamique dont les faussaires firent grand usage, non sans parfois se fourvoyer, confondant allégrement les éditions authentiques et les contrefaçons déjà abondantes du vivant de Nostradamus. C’est la mésaventure de l’arroseur arrosé.

 

19 - La culture de l’imposture dans le champ nostradamique

Nostradamus est à l'honneur dans la  Revue Française d'Histoire du Livre (n° 129, fin 2008)  et accueille une grosse étude de Patrice Guinard, directeur du CURA, bien connu du milieu astrologique, notamment par son Manifeste et son site trilingue (Cura.free.fr),  mais depuis quelques années, (re) converti aux études nostradamiennes, suivant en cela, en partie, notre propre exemple, ce qu'il faut prendre  à la lettre en raison de la masse de documents que nous avons mises à sa disposition (voir en décembre 2000, sur teleprovidence, le Colloque "Frontières de l'astrologie").

Son étude volumineuse - et qui correspond à une certaine consécration dans une revue publiée par les éditions Droz, qui font référence au niveau académique- a été parrainée par Gérard Morisse (voir son exposé sur teleprovidence, Colloque de novembre 2004).

Ceux qui connaissent le monde des nostradamistes savent que nous divergeons sur l'essentiel, à savoir la question de la paternité des Centuries et il eut été plus équitable de la part de M. Morisse de nous laisser nous exprimer sur ce point, ce qui fait que le dossier présenté est loin d'être placé dans une perspective suffisamment documentée au point d'ailleurs que notre nom ne figure nulle part, pas même en note, si ce n'est indirectement dans certaines études auxquelles Guinard renvoie et qui me citent. C'est ainsi que notre post doctorat  de 2007 "Le dominicain Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamienne au XVIIe siècle" n'est même pas mentionné alors que Guinard y avait fait écho sur son site, de façon d'ailleurs diffamatoire. Il ne semble d'ailleurs pas qu'il l'ait lu alors qu'il est accessible sur Internet, sur le site propheties.it.  Guinard ne cite pas davantage des travaux plus anciens comme notre thèse d'Etat, Le texte prophétique en France, formation et fortune, dont un tiers environ est consacré à Nostradamus pas plus que l'ouvrage publié aux Ed. Ramkat, en 2002 "Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus

Nous reviendrons sur deux points:

-le premier est l'absence remarquable des vignettes des pronostications et des almanachs de Nostradamus ou pseudo-nostradamiques - sans parler de la vignette de la Paraphrase de Galien. On nous répondra que ce n'était pas le sujet qui était de traiter des Centuries si ce n'est que précisément tout le problème tient à l'interférence entre les Centuries et ces publications annuelles. Et il eut été équitable de signaler que les vignettes différent pour les mêmes années entre celles des pronostications et celles des Prophéties (Centuries).

- le second point tient à la question de la "vraisemblance" d'éditions antidatées réalisées dans les années 1580 et se présentant comme parues trente ans plus tôt environ. Sans nous citer, Guinard passe son temps à nous répondre mais en se gardant bien de développer de façon satisfaisante nos positions qui sont évoquées le plus vaguement du monde  et nous donnerons ici, préalablement, quelques échantillons de ces  allusions  qui ne nous semblent pas dignes d'un travail universitaire quand elles ne prennent même pas la peine d'exposer ou de référer:<

"Quelques récentes études refusent  d'accorder à Nostradamus la paternité des quatrains au profit de supposés clans organisées de faussaires".

On confond le débat sur la paternité de Nostradamus sur les quatrains et le problème d'éditions antidatées. La première question restant évidemment en partie ouverte et l'on peut parler de quatrains retouchés mais dont l'origine reste obscure.

Autre exemple:

"Cette étude invalide définitivement  le hypothèses tendant à disqualifier les premières et authentiques (sic) éditions au profit d'éditions ultérieures (...) Quelques amateurs ici ou là le plus souvent débarqués dans le champ miné des études nostradamienes, mal informés,  ou n'ayant pas effectué les recherches  et vérifications nécessaires  ont pu mollement prété l'oreille à ces tentatives"

Que l'on se mette à la place du lecteur de la dite Etude parue dans la vénérable Revue  Française d'histoire du Livre. On est en plein obscurantisme, on ne sait pas de qui ni de quoi il est question, on est dans l'allusion, dans la rumeur.....

Donc voilà Patrice Guinard réfutant des thèses dont il ne dit ni où ni quand elles ont été émises, ni par qui ni si elles sont toujours soutenus par l'auteur des dites thèses. En fait, Guinard choisit de s'en prendre à un point que nous avons depuis belle lurette reconsidéré mais cela lui convient d'en rester là.  On appréciera le procédé!

Guinard met en avant l'argument selon lequel on ne peut avoir mis en circulation un nombre excessif de faux documents antidatés et notamment de publications annuelles:

"Peut-on  considérer l'ensemble des impressions Regnault comme des contrefaçons antidatées parues à la fin des années 80 ou au début des années 90? C'est peu vraisemblable (..) Le scénario parfois soutenu est plus qu'invraisemblable".  Ce qui est amusant, c'est que précisément l'argument des éditions Regnault que nous avions, il y a quelques années insuffisamment exploité est au cœur de notre dossier- puisque le « scénario » en question serait nôtre- mais plus du tout sous la forme relatée par P. Guinard

Pour notre part, nous ne soutenons absolument plus que ces éditions d'almanachs aient pu être antidatées et nous tenons tout à fait compte des révélations bibliographiques de la Collection Ruzo, vendue avant la soutenance de notre post-doctorat. En fait guinard se comporte comme si nous étions morts autour des années 2005 en se refusant à prendre connaissance de notre....production en  quelque sorte posthume, ce qui est assez ironique compte tenu du fait que précisément les Centuries, selon nous, se sont d'abord présentées comme une oeuvre posthume.

Rappelons notre position actuelle : les faussaires, disposant de bibliothèques remplies de toutes sortes de publications portant le nom de Nostradamus ou un anagramme assez transparent,  notamment chez ses adversaires, mais aussi chez ses imitateurs, ont été victimes des contrefaçons! En voulant faire du Nostradamus à partir de la bibliothèque ainsi constituée et conservée, ils ont utilisé, par mégarde, du pseudo-Nostradamus, ignorant que des générations de faussaires se sont succédé avant eux. Ce faisant, ils ont pris les faux almanachs de Nostradamus, publiés par Regnault, pour de vrais almanachs et ils en ont adopté les vignettes, ces fameuses vignettes que M. Guinard se garde bien de montrer à ses lecteurs.

Guinard fait preuve d'une certaine naiveté ce qui hypothèque une grande partie de ses conclusions et de ses datations. Il cite (p. 40) une édition datée de 1588 et qui se référe en sa page de titre à une édition de 1557 et de conclure "Cette indication ne peut être l'invention d'une édition tardive parue une trentaine d'années après l'original".  Or, précisément, tout le débat est là : puisque précisément il existe des éditions bel et bien datées de 1555, 1557, 1568 et que selon nous elles sont calquées sur des éditions datées des années 1580, cela signifie que les libraires des années 1580 avaient toutes les raisons de mentionner de fausses éditions anciennes qui leur étaient d'autant plus connues qu'ils en étaient les maitres d'oeuvre!

Si on lit entre les lignes, l'on se rend compte que le bilan de M. Guinard est bien maigre et ce en dépit de la vente Ruzo qui n'a nullement apporté de confirmation relative aux Centuries et Guinard de promettre (p. 43) des "surprises" qui n'ont pas encore eu lieu qui mettraient définitivement un terme aux "dénégations hasardeuses", à la "mise en doute par certains". (p. 66)

On connait le maigre dossier des tenants d'éditions parues du vivant de Nostradamus et notamment le fait que Nostradamus ait pu de son vivant publier des "prophéties", ce qu'a bien montré Gérard Morisse, au vu d’archives de librairie mentionnant ce titre, d’ailleurs assez peu vendu. Mais le problème, c'est que nous ignorons tout de ce qui parut sous ce titre d'une part et que d'autre part, la logique des faussaires ne consiste-t-elle pas - on a vu qu'ils sont profusément -même un peu trop-documentés- à fabriquer du faux avec du vrai.?

C'est pourquoi, ironie du sort, le principal mérite qui restera des effots de M. Guinard, consistera à avoir montré comment les faussaires procédérent, leur volonté d'éviter au maximum les anachronismes, en recyclant des éléments d"époque,  réalisant ainsi un travail "scientifique" de reconstitution d'un passé, comme de nos jours, l'on produit des films de fiction en costume.

. Il est évident que le passé ne nous est connu que par rapport à ce qui nous en est connu et que nous projetons ce qui nous est parvenu du passé sur le dit passé. D’ailleurs, ne dit-on pas que l’on ne décrypte les quatrains qu’après coup ? C’est le futur qui nous éclairerait sur ce que « Nostradamus » a « prophétisé » .

Dans son article consacré à Pierre Brind’amour, sur le site du CURA, Patrice Guinard s’en prend à la question des sources, qui était un sujet d’intérêt du chercheur québécois. Il insiste sur le fait que d’une façon générale les sources ne sont pas reprises exactement telles quelles dans la production nostradamique et que même quand elles le sont, elles peuvent revêtir un sens bien différent, hors du contexte de départ. Autrement dit, celui qui emprunte, qui reçoit serait plus à l’image d’un conquérant que d’un disciple, il se sert de ce bon lui semble, à sa guise.22. Ce serait une façon de dédouaner Nostradamus de certaines accusations de plagiat qui vont mal avec l’image, la légende dorée, d’un prophéte inspiré.

Certes, il y a bien Chantal Liaroutzos qui nous apprend que plusieurs quatrains sont repris de la Guide des Chemins de France. Mais peut-être est-ce là, à en croire P. Guinard, quelque code mystérieux  qui aura permis de citer le nom de Varennes? Pour notre part, profitant des observations de Chantal Liaroutzos, parues en 1986 dans la revue Réforme Humanisme Renaissance, nous avons montré d’ailleurs que certains noms de lieux avaient été modifiés, comme Chastres en Chartres (VIII, 86). Mais ne pourrait-on nous rétorquer que cette « coquille » a valeur prophétique en vue d’annoncer le couronnement d’Henri IV dans la cathédrale de Chartres et non de Reims ? Il est vrai que l’enjeu est de taille puisque si jamais ce changement avait bien eu lieu à l’approche du dit couronnement, les éditions 1568 comportant « Chartres » ne pourraient être antérieures à 1593.La seule solution dans ce cas est la fuite en avant : Nostradamus était prophète et donc il savait ce qui allait se passer, plus de 25 ans à l’avance.

Le grand reproche que nous ferons, pour notre part, à Brind’amour est paradoxal, c’est celui d’avoir recherché ses sources en amont et non pas en aval. Il est vrai qu’en général, une source se place chronologiquement avant et non après. Mais précisément, il convient d’aborder cette problématique sans idées préconçues, c'est-à-dire en gardant un doute sur la date du document étudié, lequel peut avoir été antidaté. Avouons que le cauchemar du chercheur dans le domaine du prophétique est double : selon qu’il rencontre des « collègues » qui considèrent que tel auteur pouvait savoir ce qui allait se passer bien après sa mort ou d’autres qui voient partout des contrefaçons, des faux aux dates suspectes. P. Guinard correspond plutôt au premier type, et nous-mêmes plutôt au second.

Il reste que Brind’amour n’aura à aucun moment envisagé que certains quatrains – notamment post eventum - s’origineraient non pas avant mais après la date de certaines éditions dument datées. Pour lui, comme pour bien d’autres bibliographes du champ nostradamique, ce qui est daté – comme c’est marqué - d’après vient après. Si une édition de 1588 ressemble à une édition 1557, c’est forcément que celle de 1588 aura « copié » sur celle de 1557. Si l’on objecte que l’on voit mal pourquoi on aurait publié sous la Ligue des états antérieurs à l’édition de 1568, comme telle édition à 4 centuries ou telle autre à six ou sept centuries, alors que l’on avait déjà à sa disposition un volume de 10 centuries, chez Benoist Rigaud, l’on est tout disposé à expliquer que des quatrains se sont perdus en route ou ont été confisqués, séquestrés pendant vingt ans puisqu’aucune édition des Centuries ne nous a été conservée, dument datée en tout cas, entre 1568 et 1588.

A propos de « sources », d’aucuns n’hésitent pas à souligner que ce n’est pas par hasard que l’on appelé certaines éditions des Centuries du nom de « prophéties » car Nostradamus a bien publié des ouvrages sous ce titre. Mais n’oubliait-on pas alors que le mot « prophéties » pouvait désigner non pas des textes obscurs et sans rapport avec une année précise mais tout au contraire, des prédictions –éventuellement sur plusieurs années comme le sont les « vaticinations perpétuelles » évoquées dans la préface à César. ? De là à conclure que ce que Nostradamus a publié sous ce titre coïncide forcément à ce qui paraitra par la suite sous ce même titre, il n’y a qu’un pas assez vite franchi, apparemment. De même, ne sait-on pas que Nostradamus a publié des quatrains dans ses almanachs, n’est-ce pas assez pour que l’on puisse, sans état d’âme, lui attribuer d’autres quatrains paraissant sous son nom dans le cadre de Centuries ? On trouve dans une bibliographie des années 1580 mention de quatrains à l’article Nostradamus, c’est forcément des Centuries qu’il s’agit et si en plus le mot « centurie » est employé dans telle autre « bibliothèque », le doute n’est plus permis. Il est impératif, entend-on, que Nostradamus soit à la source de tout ce qui est paru en matière d’éditions centuriques. Même la répartition des quatrains dans telle ou telle édition aurait été programmée par le dit Nostradamus.

Il y a dans de tels comportements une certaine méconnaissance du travail des faussaires quand ceux-ci sont payés pour œuvrer avec art. Il est assez évident qu’ils se documentent, qu’ils font du vrai avec du faux, qu’ils récupèrent éventuellement du papier d’une autre époque, que s’ils attribuent tel ouvrage à tel libraire, ils ne procèdent pas n’importe comment mais dans les règles à telle enseigne que de modernes bibliographes n’y voient que du feu, à plus de trois siècles de distance. Ici, la « source » n’est plus mise en doute quand elle vient conforter telle position et on n’est même pas très regardant à son endroit.. Mais parfois, ces faussaires commettent des bévues, se trompent de modèle ou bien prennent des libertés. Il est vrai qu’ils ne songent pas à nous modernes chercheurs, ayant réuni des collections impressionnantes de documents permettant des recoupements mais ne songeaient qu’à satisfaire un public certes exigeant mais pas omniscient. Qui, sous la Ligue, irait ergoter sur le fait que des éditions Antoine du Rosne datées de 1557 ne correspondaient pas tout à fait – mais suffisamment pour authentifier la source - de par leurs vignettes à celles que le dit Antoine du Rosne utilisait, ce que montre obligeamment le récent catalogue de nostradamica de la librairie Thomas Scheler 2010 à la planche de la page 32 ou encore que les vignettes des éditions de 1555 et de 1557 différaient de celles des pronostications authentiques publiées par Michel de Nostredame ? Qui irait, alors, montrer que l’Epître à Henri II a été reprise, largement retouchée, d’une précédente épître de Nostradamus en tête des Présages Merveilleux de 1557, dont déjà l’authenticité se discute ? Mais là encore, certains se satisfont d’approximations pour certifier la source. Et ceux là sont souvent les mêmes que ceux qui contestaient le droit d’un Brind’amour à situer telle ou telle source des quatrains centuriques.

On aurait dit à Pierre Brind’amour que l’état le plus ancien de la préface à César était à chercher dans la traduction anglaise de Théophile de Garencières, de 1672, il aurait- nous l’avons bien connu – gentiment haussé les épaules. Quelle idée d’aller chercher si loin et si tard- une « source » de ce texte en prose daté de 1555 ? Et si l’on avait ajouté que le texte français ayant servi de modèle à Garencières n’était attesté que vers 1690, chez le libraire Antoine Besson, cela n’aurait vraisemblablement pas accru notre crédit. Aurions-nous dit que le texte était nettement meilleur et cohérent, aurait-il soutenu que c’était du fait du zèle de certains « éditeurs » par trop zélés du XVIIe siècle. ? En tout cas Brind’amour ne signalera même pas ces variantes dans son édition critique parue chez Droz en 1996 !

Ah, nous confiait l’autre jour un « nostradamologue », que ne peut-on dater les documents au moyen de quelque produit chimique ?, avouant ainsi son impuissance à s’orienter dans un tel dédale.

En conclusion, nous prônons une nouvelle méthodologie concernant des corpus comportant un grand nombre de pièces, d’éditions. Il importe de ranger celles-ci selon un odore logique sans tenir compte du moins, dans un premier temps, des dates indiquées. On s’apercevrait ainsi que les éditions Antoine du Rosne se placent – selon leur stade d’achèvement- postérieurement aux éditions parisiennes de 1588. en cela qu’elles n’indiquent même pas l’addition survenue après le 53e quatrain de la Ive centurie, ce qui est en revanche signalé en 1588. Par quel extraordinaire concours de circonstance une édition de 1588 serait-elle dans un état d’ancienneté plus marqué qu’une édition de 1557 où la centurie IV est d’un seul tenant alors même qu’une telle présentation n’est pas attestée antérieurement ? Peut-on sérieusement affirmer que l’édition Antoine du Rosne 1557 (que ce soit l’exemplaire de Budapest ou celui d’Utrecht) serait la « source » des éditions Pierre Ménier, Veuve Nicolas Roffet ou Charles Roger, apparues trente ans plus tard ? Comment se fait-il que les éditions se référant à 1561 annoncent une addition à la « dernière centurie », ce qui correspond à la VIIe, ajoutée à la sixième se terminant par un avertissement conclusif en latin alors même que la dite VIIe centurie est déjà « attestée » en 1557 ? Selon nous, après une période de mise en chantier assez brouillonne donnant lieu à la contrefaçon à 4 centuries, et à diverses additions subséquentes, le mot d’ordre aura été de mettre en place une édition finale à sept centuries et datée de 1555, comme l’atteste le colophon de l’édition St Jaure d’Anvers 1555. Cette édition de 1555 à sept centuries n’a pas été retrouvée mais elle était certainement très semblable à l’édition Antoine du Rosne 1557 qui en serait, en quelque sorte, la réédition. Ironie de l’Histoire, l’édition à 4 centuries Macé Bonhomme n’avait pas été totalement supprimée : on en a retrouvé quelques exemplaires sans compter celle de Raphael du Petit Val datée de 1588, pièce à conviction. Quand dans les années 1980, Robert Benazra retrouva l’exemplaire de la bibliothèque d’Albi et localisa celui de la bibliothèque de Vienne- puis un peu plus tard quand il éditera l’édition 1557 Budapest, il ne lui viendra pas à l’esprit que la seconde contredisait jusqu’à l’existence de la première alors même qu’en 1588, l’on avait pris la peine –avant le revirement stratégique- d’indiquer l’ajout au-delà du 53e quatrain. .Cette découverte des éditions 1555 aurait du, il y a près de 30 ans maintenant, sonné le glas de l’édition 1557. Or, tout au contraire, il semblait tout à fait normal que l’on soit passé d’une édition à 4 centuries à une édition à sept centuries et l’on n’avait vaiment aucunement à se soucier de « sources » se situant trente ans en aval ! Attitude d’autant plus étonnante chez l’auteur du Répertoire Chronologique Nostradamique (1990) qui était parfaitement au courant de l’existence des éditions successives, vu que sa recension remonte jusqu’à la fin du XXe siècle. Elle ne saurait donc être mise sur le compte de l’ignorance des documents. Il y a là, aurait dit Gaston Bachelard, un sérieux ‘obstacle épistémologique » qui a fait perdre des décennies à la recherche nostradamologique. Mais, au vrai, si la méthodologie que nous préconisons avait été en usage pour d’autres corpus littéraires, pourquoi n’aurait-elle pas été aussi appliquée dans le nostradamique ? Pourquoi dans ce cas des historiens du XVIe siècle auraient-ils adopté, encore jusqu’à nos jours, des exposés bibliographiques obsolètes et décalés concernant Nostradamus et l’œuvre à lui attribuée ? That is the question.

On ne saurait trop insister, en effet, sur le fait qu’aucune biographie de Nostradamus n’est envisageable sans avoir résolu les questions bibliographiques. La dernière biographie de Nostradamus, chez Payot, en 2011, Un médecin des âmes à la Renaissance de Denis Crouzet, , dans une collection dirigée par Sophie Bajard, ne prend aucune précaution méthodologique. Il est clair que dans le cas de Nostradamus, une biographie valable doit traiter ou en tout cas signaler les questionnements quant à l’authenticité et à la datation d’une œuvre à l’évidence collective. Le fait d’attribuer d’office à Nostradamus la paternité de tout le corpus nostradamique, tel qu’il se présente dans des éditions à dix centuries, en approchant le dit corpus comme étant d’un seul tenant avec une unité d’inspiration, fait de cet ouvrage un travail scientifiquement obsolète avant même sa sortie. Rien ne nous est évidemment épargné quant à la date exacte de parution de la première édition à 353 quatrains chez Macé Bonhomme. (p. 21) d’autant que la biographie se dote d’une chronologie, où se côtoient faits historiques et dates de publication des Centuries, 1555, p. 422, 1557, p. 424 et cela se termine par 1568, p. 432 avec une énorme bévue : « Lyon, Chez Antoine du Rosne (sic), 1568 Il eut été bien plus prudent de se référer au corpus centurique sans l’inscrire impérieusement dans le cadre d’une biographie à moins de le présenter dans une partie consacrée à la fortune posthume du personnage, étant entendu qu’il importait de travailler avec les textes en vers et en prose des almanachs et pronostications (notamment celui rendu par B. Chevignard2324), en laissant prudemment de côté les épîtres intégrées dans le dit corpus.

20 - Les titres des éditions et la question des 39 articles ajoutés à la « dernière « centurie

La vigilance est de rigueur, dans le domaine nostradamologique, probablement plus qu’ailleurs, en ce qui concerne la terminologie. Un même mot peut recouvrir des acceptions diverses, un même titre peut concerner des contenus bien différents, il en est ainsi pour les mots « centuries » ou  ‘prophéties » dont d’aucuns voudraient qu’ils renvoient nécessairement à des quatrains nostradamiques... Bien des erreurs d’appréciation ont été dues à une certaine précipitation à conclure que tel terme renvoie nécessairement à tel type d’ouvrage.

Le chercheur dans le champ nostradamique ne peut pas ne pas avoir été intrigué, de temps à autre, par le décalage entre le titre d’un volume et son contenu, tel qu’au premier abord en tout cas il lui apparaît. On pourrait parler de découplage entre ces deux niveaux. Un des cas les plus flagrants concerne les éditions parisiennes parues sous la Ligue, dans les années 1588-1589 et dont le titre a déjà fait couler pas mal d’encre.

Ces éditions comportent en effet un intitulé fort alambiqué à propos duquel on ne peut que s’interroger.

Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Dont il y en a trois cens qui n’ont encores est imprimées, lesquels sont en ceste présente édition. Reveues & corrigées par l’Autheur, pour l’an mil cinq cens soixante & un, de trente-neuf articles en la dernière centurie »

D’entrée de jeu, pourquoi un tel luxe de détails à l’attention du lecteur des Centuries ? Pourquoi ce besoin, en 1588  de renvoyer à une édition vieille de près de 30 ans, pourquoi indiquer une telle addition de 39 « articles » ? On observe là en tout cas un souci bibliographique assez remarquable pour une littérature somme toute populaire. Et l’on sait que les contrefaçons étaient réalisées avec le plus grand souci du détail « vrai », ce qu’atteste sans le vouloir nécessairement Gérard Morisse, dans son Nostradamus, cet humaniste, (Budapest, 2004) et à sa suite un Patrice Guinard.

Mais quand on ouvre le livre, y trouve-t-on ce qui correspond à un tel titre ? Où sont donc les 39 articles, c'est-à-dire des quatrains ? Où commence l’addition pour 1561 ? On trouve bien une addition, non datée, à la Ive centurie, après le 53e quatrain mais il reste alors 47 quatrains pour finir la centurie « Prophéties de M. Nostradamus adioustées outre les précédentes impressions » et plus loin « Prophéties de M. Nostradamus adioustées nouvellement. Centurie septième » . Quid des 300 prophéties, c'est-à-dire des quatrains, dont on nous dit, au titre général, qu’elles ont été ajoutées à un premier lot ?

On notera le recours à des synonymes : le mot quatrain n’est même pas employé, il est remplacé par « prophétie », par «article », chaque centurie comporte un certain nombre de « prophéties » si bien que l’on a affaire ainsi à des centaines de « prophéties ». Un autre terme sera également employé par la suite, à la place de quatrain, celui de ‘présages ». La chose semble en tout cas entendu, on attribue à Nostradamus non pas une prophétie, mais, comme l’indique le pluriel, déjà au titre, des Prophéties, terme sous lequel il semble bien que l’on désigne des quatrains, dont on sait qu’il en figurait dans ses almanachs, ceux là mêmes que l’on désigne, dans les éditions compilatoires du XVIIe siècle, sous le nom de « présages ».

Tout se passe comme si le titre de ces éditions ligueuses avait été emprunté à d’autres éditions dont le contenu était plus conforme au titre. Peut-on identifier de telles éditions correspondant au dit titre mais qui pourraient nous être parvenus sous un autre titre ? Prenons justement le cas de l’édition Antoine du Rosne, 1557 de la Bibliothèque Nationale de Budapest, dont Gérard Morisse fournit le fac simile, dont la brochure citée plus haut est un commentaire. Cette édition porte le titre : Les prophéties de M. Michel Nostradamus dont il en y a trois cens qui n’ont encores jamais esté imprimées. Arrêtons-nous sur une anomalie du titre « dont il en y a » que l’on retrouve dans l’édition de Rouen de 1589, chez Raphaël du Petit Val, mais sous un titre différent » Les Grandes et merveilleuses prédictions » et cette fois on donne »prédiction » pour quatrain. En effet, les éditions parisiennes de la Ligue ne comportent pas cette inversion et ont bien «dont il y en a ». Voilà donc bien quatre façons de désigner un quatrain : prophétie, présage, prédiction et très probablement article. Le mot « prophétie » ne nous apparait plus ainsi que comme un terme interchangeable, sans que l’on comprenne bien les raisons de telles circonvolutions. Bientôt, d’ailleurs, c’est le mot même de «centurie » qui parfois désignera un quatrain comme si le mot quatrain n’était pas assez explicite ou était réservé à quelque usage, dans un autre domaine.!

Mais revenons à l’exemplaire de Budapest dont Gérard Morisse nous dit (p. 23) qu’il comporte 639 quatrains. En relisant ce nombre il y a peu, nous n’avons pu en effet, nous empêcher de faire le rapprochement avec les « 39 articles » des éditions ligueuses et des prétendues éditions de 1561 auxquelles leur titre est censé renvoyer. Récemment, le catalogue « Nostradamus en son siècle » de la librairie Thomas Scheler (2010) a fourni un document remarquable (p. 49) : Prophéties (..) reveues & additionnées (…) de trente huict articles à la dernière centurie », Veuve N. Buffet, 1561. A première vue, nous aurions là le type d’édition auquel il aurait été fait allusion en 1588, en tout point conforme, par son contenu, à celui des éditions ligueuses, avec le même type de vignette représentant un personnage dans son étude, si ce n’est qu’au titre, ce ne sont pas 39 mais 38 articles qui sont annoncés. Michel Scognamillo, qui introduit le dit catalogue Scheler a raison de situer cette pièces sous la Ligue mais ce faisant il laisse entendre que l’on pouvait donc tout à fait produire à cette époque des éditions antidatées. Il était en effet de bonne guerre, tant qu’à faire, de produire conjointement, la copie et son prétendu original.

Il nous semble, en tout cas, que le titre de ces éditions ligueuses, toutes parisiennes, et dont les libraires avaient accès à des archives de leurs prédécesseurs – on restait sur Paris- décrive assez bien le contenu de l’exemplaire de Budapest dont nous pensons par ailleurs qu’il s’agit également d’une contrefaçon datant de la Ligue. D’abord, en ce qui concerne les 300 « prophéties » ajoutées, l’on peut penser que cela concerne les centuries IV à VI. On nous objectera, un peu naïvement, que l’on ne peut prendre les 100 quatrains de la IV puisqu’ils étaient déjà parus précédemment. Mais on notera que dans l’édition Budapest, il n’y a justement pas la marque d’addition après le 53e quatrain de la IV. Le lecteur se trouve donc face à deux lots de 300 quatrains. Mais en plus, il y a une septième centurie à 40 quatrains, ce qui n’est pas sans faire songer non plus aux « 39 articles  à la dernière centurie », à un quatrain près (et à deux si l’on se réfère au titre, mais non au contenu, de l’édition 1561 Buffet (cf Catalogue Scheler) ; c’est qu’en effet, le contenu des éditions ligueuses est sensiblement différent de celui de l’exemplaire de Budapest : il indique l’addition dans la Ive centurie, il comporte des centuries VI et VII bien moins fournies et qui d’ailleurs récupèrent certains quatrains de l’almanach de Nostradamus pour la dite année 1561, conservé à la Bibliothèque Sainte Geneviève mais aussi dans les Présages et le Recueil de présages prosaïques, édité partiellement par Bernard Chevignard (Présages de Nostradamus, Seuil, 1999) Autrement dit, l’édition 1557 semble paradoxalement bien plus achevée que celles qui seraient parues trente ans plus tard ! Bien plus, cette édition 1557 serait plus accomplie que l’édition 1561 alors qu’en son titre elle n’annonce aucune addition d’articles » à la dernière Centurie, qui serait logiquement la sixième, concluant, par un avertissement latin, un ensemble de 600 « prophéties ».

En d’autres termes, l’édition 1557 Antoine du Rosne Budapest- l’exemplaire d’Utrecht comporte 42 quatrains à la VII- serait plus récente par son contenu que les éditions ligueuses mais plus ancienne par son titre. En quelque sorte, on aurait affaire à une double contrefaçon : d’une part en ce qu’elle se présente comme parue du vivant de Nostradamus et d’autre part parce qu’elle comporte l’année 1557 alors qu’ont précédé des contrefaçons datées de 1561. Que s’est-il passé ? Un revirement dans la politique éditoriale des faussaires qui ont préféré mettre fin à des rajouts successifs en produisant une édition « compacte » et en la plaçant probablement en 1555, comme l’indique l’édition 1590 d’Anvers (Saint Jaure) en sa dernière page.

Mais revenons au décompte de Gérard Morisse quant à ces 639 quatrains. D’où vient-il ? Si l’on a 600 quatrains disposés en six centuries plus une centurie VII à 40 quatrains, ne devrait-on pas en arriver plutôt à 640 quatrains ? C’est que la fin de la Vie centurie comporte certaines particularités. Il y a manque le quatrain 100 ! Dans l’exemplaire d’Utrecht, on trouve un quatrain latin, l’avertissement qu’étudie d’ailleurs d’assez près Gérard Morisse. D’aucuns y ont vu un 100e quatrain mais il est bien plus probable qu’il clôtura initialement un ensemble de six centuries pleines (c'est-à-dire complétées par rapport à une première édition à 353 quatrains, on y reviendra). Or, ce quatrain 100, il va réapparaitre en 1594 dans le Janus Gallicus de Chavigny et de là dans les éditions troyennes et autres du XVIIe siècle.(Fille de l’aure etc , allusion à Catherine de Médicis, fille de Laurent)‘. On nous dira que tout cela n’explique pas pourquoi l’on annonce une addition de 39 articles. Selon nous, il doit s’agir d’une erreur de lecture. Voyant le nombre recensé quelque pat de 639 articles, quelqu’un aura probablement pensé que cela devait se décomposer logiquement en 600 + 39, sans aller voir le contenu, comme de toute façon,  il y avait un décalage entre le titre et le contenu, une telle éventualité nous semble somme toute envisageable.. Quant à la mention de 38 articles qui figure dans la contrefaçon de 1561, il doit s’agir de quelque initiative, de surenchère, visant à laisser entendre qu’il s’agissait d’une édition plus ancienne.

Mais pourquoi des éditions parisiennes de la Ligue purent-elles adopter des titres correspondant à un état plus tardif de leur contenu ? Nous proposerons l’explication suivante : les titres ont été rajoutés par la suite à partir d’éditions aux contenus plus « complets ». Voilà donc encore une autre catégorie de faux : ayant des stocks à écouler, les libraires parisiens auraient changé le titre de leurs parutions pour « fourguer » ce qu’ils avaient sur les bras. Ils optèrent non pas cependant pour la forme finale type Budapest (reprenant on l’a vu des éléments du titre de l’édition de Rouen de 1589) qui n’était probablement pas encore en circulation mais pour une forme intermédiaire supposant une addition pour 1561. On ignore donc quel fut le titre d’origine des éditions ligueuses, portaient-elles même le titre de « Prophéties » ? On peut en douter et penser qu’elles s’intitulaient, initialement, comme les éditions de Rouen et d’Anvers, Grandes et merveilleuses Prédictions.

Rappelons enfin que ces contrefaçons furent, de surcroit, elles-mêmes victimes des contrefaçons du temps de Nostradamus – qu’évoque Gérard Morisse, avec notamment les almanachs publiés par Barbe Regnault. Et il se passa la chose suivante : ne sachant pas faire la différence, les faussaires prirent modèle non pas sur les vignettes des pronostications de Nostradamus mais sur celles des almanachs de Barbe Regnault., que l’on retrouve donc tant en 1588, à Paris (mais pas à Rouen ni à Anvers) que pour les contrefaçons de 1555 (Macé Bonhomme) et 1557 (Antoine du Rosne). On nous objectera que l’on a deux éditions (1557 et 1558) de la Paraphrase de Galien, traduite par Nostradamus. Il est probable que cette édition ne date pas de ces années là. Il s’agit au mieux d’une traduction manuscrite de Nostradamus- à l’instar de celle d’Horapollon- qui sera produite en même temps que les fausses éditions Antoine du Rosne des centuries. A ce propos, le catalogue Scheler (p. 32) nous fournit la page de titre d’une pronostication d’un autre astrologue (Jean Sconners), parue bel et bien chez Antoine du Rosne en 1558, avec une vignette assez différente de celles des fausses éditions Antoine du Rosne, mais dont on aura pu tout à fait s’inspirer. On peut suivre ainsi les faussaires à la trace, compulsant une bibliothèque et des archives assez considérables mais devenant victimes d’une telle richesse au point de ne pas pouvoir distinguer, eux-mêmes, le vrai du faux. C’est ce qu’on appelle l’arroseur arrosé.

On aura compris que nous avons là trois niveaux bien distincts : celui des titres, des contenus et bien entendu des dates. Croire que les trois coïncident appartient à un autre temps, désormais obsolète, de la recherche nostradamologique dont les bibliographies parues en 1989-1990 furent le chant du cygne.

1 Voir pour l’année 1557, in Documents Inexploirés sur le phénoméne Nostradamus, Ed. Ramkat, 2002

2 Page de titre, n°34 du catalogue Nostradamus. 16th-18th Cenrury Books from the Collection of the late Daniel Ruzo, Swan, New York, 2007

3 Voir nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002

4 Voir Corpus Nostradamus n°65 d’où est pris le développement de son « Historique »

5 On n en connait que la page de titre, reprise sur Corpus Nostradamus 65, à partir de la présentation de la Collection Ruzo.

6 In Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus, op. cit.

7 On trouvera un exemplaire de Pierre Mesnier un des libraires parisiens de la Ligue, en 1589, sur gallica BNF NUMM.

8 Cg nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Feyzin, Ed Ramkat, 2002

9 Voir notre postface à son Introduction, ed Pardés 1990

10 Sur ce dossier, cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Seuil 1999

11 Cf nos Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus, op cit.

12 Cf nos Documents inexploités, op. cit pp. 52-53

13 Cf R. Benazra, RCN, pp. 194-195 qui place cette edition dans les années 1630 en ce que l’on ignorerait la date de publication.

14 Date de la permission mais qui ne figure pas au titre.(cf Ruzo, Testament, op. cit. p. 281). La date de 1611 est manuscrite selon le catalogue de la Maison de Nostradamus, (p. 40) qui posséde désormais cette édition

15 Cf RCN, op. cit ; p.. 35-37

16 Cf Le Texte prophétique en France

17 Cf Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, op. cit. pp. 158-159

18 Cet ouvrage du même auteur négligé par Chantal Liaroutzos touche à des pays au-delà du Royaume, faisnat l’objet de pèlerinage.(voir notre étude à ce sujet)

19 Signalons que le recours à ces guides est propre au seul « second » volet., ce qui selon nous indiqué une autre origine .

20 Rappelons nos travaux, Le texte prophétique en France, formation et fortune, Paris X, 1999 et le Dominicaiin Jean Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamique au XVIIe siècle, EPHE Ve Section, 2007, sur le site propheties.it. Guinard adopte notre thèse sur le fait que ce dominoicain est bien l’auteur anonyme de l’Eclaircissement, mais sans renvoyer à nos travaux dont il a eu cependant connaissance et d’ailleurs il se garde bien de citer notre nom dans son livre.

21
 

22 Voir dans ce sens son intervention au Colloque astrologique de Paris du 25 mars 2011, sur teleprovidence.

23 Dont le nom est d’un bout à l’autre du livre changé en Chevillard. (p. 437) y compris dans la bibliographie

24 ,


 

 

 

 

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Updated Tuesday, 07 April 2015

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