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Researches 111-120
 
111 - Nostradamus et ses Quatrains & (ou) Prophéties
 
HR112 - Le rôle majeur de la production avignonnaise au XVIIIe siècle
 
113 - Le passage du premier au second volet des Centuries
 
HR 114 - Les quatre temps de la formation du canon à dix centuries
 
HR 115 - Comment lisait-on les Centuries au XVIe siècle
 
116 - La production nostradamique face au doute (XVIe-XVIIIe siècles). Imposteurs et impostures.
 
117 - Avatars de l’épitaphe de Nostradamus
 
118 - Nouvelle approche des éditions parisiennes de la Ligue « Garde toy bien qu’en ton pays ne vienne/ Il y auroit de terribles dangers/ En maints contrees, mesme en la Vienne » (Centurie VIII, 6, Prophéties, Paris, 1588)
 
HR 119 - Les tribulations du nostradamisme au prisme de l’Italie
 
120 - La grande « Préface » oubliée de Nostradamus et l’épitre au pape Pie IV de 1561
 
 
 
 

 

 

Researches 111-120

111 - Nostradamus et ses Quatrains & (ou) Prophéties
Par Jacques Halbronn

Si le nom de Prophéties a été choisi pour désigner ce qui allait être connu comme les « Centuries », terme qui au départ a une connotation plus historique que prophétique, ce n’est probablement pas sans raison mais connait-on des œuvres de Michel de Nostredame parues de son vivant sous ce nom, en dehors bien entendu des éditions antidatées des dites « Centuries » (1555-1560) ? L’article Nostradamus de La Croix du Maine (1584) emploie ce terme de « prophétie » à propos des œuvres de Nostradamus et ce sans référence aux centuries dont il semble bien ignorer totalement- et pour cause- l’existence ?.
La Croix du Maine parle des « quadrins ou prophéties » de Nostradamus, parus en 1556 et un peu plus haut des «quadrains & prophéties », à propos du commentaire (inconnu) de Jean Dorat, mais cela ne désigne –t-il pas plutôt les quatrains des almanachs, bien que l’on ne dispose pas des quatrains pour cette année 1556. Il faut ajouter à cela, nous dit-on, les Prophéties d’Antoine Couillard, en cette même année 1556.

Ce qui nous interpelle, à vrai dire, c’est l’importance accordée aux quatrains. Faut-il d’ailleurs opter pour la forme « Quadrains ou prophéties » ou pour « Quadrains & Prophéties » ? Nous préférons la seconde expression car il est clair que les « prophéties » de Nostadamus ne se réduisent pas à des « quatrains » mais viennent en sus des quatrains, comme le montre le contenu des almanachs. Bien plus, ce ne sont pas les quatrains qui tiennent lieu de « prophéties ».
La Croix du Maine cite parmi les œuvres de Nostradamus les Prédictions pour vingt ans, imprimées chez Guillaume Nyverd en 1567 dont il est dit qu’il a « imprimé plusieurs de ses prophéties, conjointement (« ensemble ») avec Jaques Kerver & autres qui ont imprimé ses almanachs & Prognostications » . On sait que Kerver a publié en 1566 l’almanach ainsi que la Prognostication pour 1557 et également les Présages Merveilleux pour cette même année.[1]
La Croix du Maine semble avoir pris le pli de désigner par le mot « Prophéties » les diverses activités prédictives de Nostradamus. Mais on notera aussi qu’il mentionne une édition des Prédictions pour 20 ans parue chez Nyverd que Benazra reléve, à partir justement de l’article de La Croix du Maine en notant » L’auteur est sans doute « Michel Nostradamus le jeune » en se référant à l’édition de Rouen Brenouzer 1568. Il est possible en tout cas qu’avant l’édition de Rouen ait existé une édition de Paris, l’année précédente. La Croix du Maine, en tout cas, pense que ce « Nostradamus le Jeune » est bien, selon ses propres termes, le fils de Michel de Nostredame puisque à la suite de la notice du père on nous fournit celle du fils. dont il dit qu’ il a publié un « almanach ou Prophéties de l’an 1568 » à Paris et « autres lieux ». Une fois de plus le mot Prophéties apparait dans une combinatoire encore différente. Il est vrai que l’on connait une Prophétie ou Révolution Merveilleuse (…) par Mi. de Nostradamus « depuis l’an présent iusques en l’an de grande mortalité 1568 » ( Lyon, Michel Jove,, 1567), ce qui montre bien que le mot Prophétie est employé en dehors de toute référence « centurique ».[2] Mais selon nous, ce Mi. de Nostradamus ne saurait être confondu avec Nostradamus le Jeune ou Mi. de Nostradamus le Jeune. Dans la Pronostication pour 1567, comme le note Jean Dupébe[3], ce Mi. de Nostradamus reconnait être un disciple de Michel de Nostredame mais ne plus souhaiter poursuivre, à présent que celui-ci est décédé, ce qui nous a conduit à penser qu’il continuera sous le nom de Florent de Crox.
Nostradamus le Jeune, selon nous, ne compose pas d’almanach mais se contente de publier des textes de son père, en 1567 et 1568, et par la suite en 1571 : il s’agit toujours du même ouvrage posthume. Le fait que les « Prédictions » - c’est le terme utilisé - commencent en 1564 n’a rien pour nous surprendre puisque par définition ce qui est posthume est composé (sinon publié) du vivant de l’auteur.
Rappelons qu’en 1588, vingt ans plus tard, les « centuries paraitront à Rouen puis à Anvers sous le titre de « Grandes et Merveilleuses Prédictions de M. Michel Nostradamus » mais cette fois avec un contenu « centurique » alors qu’à Paris, paraissent, avec un contenu du même ordre les « Prophéties de M. Michel Nostradamus », ce qui montre que le titre est indifférent. En 1571, les Prédictions étaient parues sous le nom de Présages, autant de synonymes interchangeables.
Ce qui ressort de l’article de La Croix du Maine, c’est que les quatrains sont bien un élément essentiel de la production nostradamique, ce qui nous explique précisément pourquoi les Centuries seront constituées de quatrains. On peut même penser que l’article de la Bibliothèque de La Croix du Maine a pu directement inspirer les faussaires, qui ont d’ailleurs probablement commis un contre-sens en considérant que quatrain et prophétie étaient synonymes, ce qui ressort de l’intitulé du premier volet des « Centuries » : « Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il en y a trois cents qui n’ont encores iamais esté imprimées ». Or ce volume comporte exclusivement des quatrains, en dehors de la Préface à César. Trois cents prophéties correspondent ici bel et bien à 300 quatrains. On a vu plus haut que La Croix du Maine emploie la formule « Prophéties ou Quatrains » qui semble avoir inspiré la formulation de la page de titre du premier volet, laquelle formulation figure dès 1589 au titre de l’édition de Rouen, Raphaël du Petit Val, et Anvers 1590 St Jaure, à sept centuries. La même faute de français est commise dans l’édition Antoine du Rosne (1557, Budapest et Utrecht) : « dont il en y a », ce qui sera corrigé chez Rousseau, 1590 et Rigaud.
Tout se passe comme si les faussaires étaient partis sur cette base erronée à savoir que Michel de Nostradamus aurait de son vivant publié des recueils de quatrains. L’article Nostradamus de la Bibliothèque de Du Verdier entérinera cette version des choses : « Dix Centuries de Prophéties par quatrains » mais cette fois le mot « Centurie » apparait. On est passé de l’article de La Croix du Maine qui génère un malentendu à partir d’une production qui ne comporte jamais exclusivement des quatrains mais qui n’en est pas moins caractérisée par ce couple « quatrains/prophétie « à un concept de Prophéties intégralement constituées de quatrains, en précisant que l’article de Du Verdier ne paraitra qu’après sa mort, entre 1605 et 1610, soit après la publication des deux volets de centuries qui n’eut pas lieu avant le début des années 1590. (Cahors, J. Rousseau)
Si l’on examine la liste des ouvrages comportant le nom de Nostradamus suivi de Le Jeune, , nous trouvons les Prédictions des choses plus mémorables depuis cette présente année [1572] iusques à l’an 1585, Troyes, C. Garnier, qui ne mentionnent même pas le nom de Nostradamus ni même sa bibliothèque, en tant qu’auteur, En revanche, au même moment, à Paris, le même Nostradamus le Jeune publie un ouvrage censé avoir été trouvé dans la bibliothèque de son père.
Ces deux ouvrages obéissent au même principe de prédictions ou présages « an par an ». Dans les deux cas, le texte est censé être une compilation de différents auteurs, nommé dans un cas et point dans l’autre !
A « prinse tant de (…) que du….. & autres »
-B « recueillies de divers autheurs & trouvées en la bibliothèque de défunct maistre Michel de Nostredame »
En 1575, Nostradamus le Jeune est signalé comme le compilateur des Annotations de plusieurs revelations et prophéties extraictes de divers livres, Venise, Sgr de Castavino.

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On connait enfin une réédition parue vers 1569, chez Guillaume de Nyverd : Bastiment de plusieurs receptes, pour faire diverses Senteurs & lavemens pour l'embellissement de la face & conservation du corps en son entier : Aussi de plusieurs Confitures liquides, et aultres Receptes secretes et desirées non encore veües. Avec la formule suivante : "ces deux Opuscules, jadis composez par nostre predecesseur maistre Michel de Nostre Dame" P. Guinard signale[4] que « le portrait au titre du dit Nostradamus le Jeune est celui apposé au titre des Predictions pour vingt ans du même (Rouen, Pierre Hubault, vers 1569),
Ce Nostradamus le Jeune ne semble avoir rien publié qui ne soit une réédition ou une compilation, à la différence de Mi. de Nostradamus avec lequel certaines bibliographes comme Benazra[5] le confondent allégrement. Le seul texte de Nostradamus qu’il publie est la réédition du Traité des fardements et confitures, qui date de 1552, traité dont il reconnait d’ailleurs qu’il ne s’agit que d’une réédition de son « prédecesseur «, sinon il semble qu’il s’agisse de documents se trouvant éventuellement dans la bibliothèque de son père, ce qui pose le problème du testament et de la biographie de Nostradamus, sur lesquels nous ne reviendrons pas ici.
Benazra rapppelle dans un développement sur Dorat [6] dont traite La Croix du Maine dans son article sur Nostradamus que le fait que Dorat ait été un interprète de toutes sortes d’oracles se retrouve dans l’épitre de Jean de Chevigny à Larcher, en tête de l’Androgyn de Dorat (M. Jove, 1570). Selon nous, cette épitre date au plus tôt de 1586 (date de la parution des Poematia de Durat comportant le texte du poéte sur l’Androgyn) donc serait postérieure à l’article de La Croix du Maine et l’on peut penser que c’est plutôt le texte de La Croix du Maine qui aurait inspiré la rédaction de la dite épitre. On notera que Du Verdier, dans sa Bibliothèque cite cette fausse édition de 1570, ce qui n’est pas concevble si l’on admet que cet ouvrage date de 1585.. La présence d’un quatrain référencé selon sa centurie dans la dit épitre nous situe cette contrefaçon au lendemain de la parution des quatre premières centuries.
Pource donc que luy mesme [Dorat] confesse qu’il a profité & allegue les carmes d’un Prophete, qui fut Monsieur de Nostradame (auquel en son vivant ay esté fort familier & ami, & duquel j’ay encores riere moy tous les œuvres tant en oraison prose que tournee, que bien tost je mettray en lumière) je vous en ay bien voulu donner ce contentement. C’est le quatrain quarante cinquieme de sa seconde Centurie prophetique, où il dit ainsi,
Trop le ciel pleure. Androgyn procreé
Pres de ce ciel sang humain respandu.
Par mort trop tarde grand peuple recreé.
Tard & tost vient le secours attendu.”
On notera que la première attestation de la présende de quatrains centuriques (extraits des seules quatre premières centuries) figure dans l’almanach pour 1587 d’Himbert de Billy (cf BNF Gallica).
C’est à ce moment là qu’un basculement s’opére et que les « quatrains » ; sur la base d’une lecture biaisée de l’article Nostradamus de La Croix du Maine, au lieu de n’être qu’une addition aux « prophéties » le & plutôt que le « ou ») de Nostradamus en deviennent la substance même, au prix de la fabrication ou de la récupération de quelques centaines. Et ce n’était là qu’un début puisque début des années 1590, on en arrivera à près d’un miillier, par vagues successives...Mais cette substitution n’aura au départ que des effets limités puisque Chavigny, dans le Janus Gallicus, accorde encore aux quatrains des almanachs la part du lion dans son commentaire historique et que Cormopéde, comme l’a noté Benazra recycle[7] , avec la bénédiction de Chavigny, dans son Almanach des Almanachs, pour 1592, 1593 et 1594, paraissant chez Benoist Rigaud, divers quatrains des almanachs de Nostradamus, sans trop se soucier de la parution des premières éditions, non conservées, des Centuries.(à partir de 1586-1587)...Quant au mot centurie, il n’entre dans le champ prophétique que vers 1586 et probablement d’abord chez himbert de Billy avant de passer chez le pseudo-Nostradamus. Par là nous n’entendons pas Nostradamus le Jeune, qui selon nous, avait un réel lien familial avec Michel de Nostredame mais ce Nostradamus auteur prétendu de Centuries de quatrains.
En ce qui concerne Antoine Couillard, on notera qu’il n’est pas oublié par les deux Bibliothèques de La Croix du Maine et de Du Verdier. C’est au sein même de l’article Nostradamus que La croix du Maine cite les Contreditz à Nostradamus de 1560 chez L’Angelier. Il ne cite pas en revanche les Prophéties du Seigneur du Pavilon (alias Couillard) qui reprennent des éléments de la Préface à César mais qui initialement sont un ouvrage sur les prophéties au sens biblique du terme (cf liste Muireau à la fin des Antiquitez et singularitez du dit Couillard). D’ailleurs, la notice Nostradamus de Du Verdier cite les Prophéties du dit Pavillon sans pour autant se référer à Nostradamus. Nous pensons que cet ouvrage est une contrefaçon parue au moment des premières centuries et qu’il ne date nullement de 1556. D’ailleurs il y est précisé que l’auteur est mort alors que l’on connait une épitre du dit Couillard datant de 1573. Rappelons que la notice de Du Verdier concernant Nostradamus comporte un passage sur un recueil couvrant les années 1550-1567 à l’évidence repris du « Brief Discours de la Vie de M. Michel de Nostredame » (Janus Gallicus 1594)
L’article Nostradamus dans la Croix du Maine (1584) aura, selon nous, joué un rôle clef dans la programmation des Prophéties de quatrains attribuées à Nostradamus On aura voulu créer une suite à la production du dit Nostradamus. Si les premiers quatrains allaient de 1555 jusqu’en 1567, comme le note Chavigny, il était logique que l’année suivante, 1568, .il y eut une nouveau train de « prophéties » pour un certain nombre d’années.. Mais là encore, il y a une mauvaise lecture, Chavigny ne dit pas que l’on a en 1555 publié des quatrains pour une série d’années mais que ceux-ci ont été recueillis non sans peine, ce qui explique que manque l’année 1556, ce qui ne ferait guère sens si tout avait été composé d’un seul bloc à l’instar de Prédictions pour 20 ans –(1567) publiées par les soins de Nostradamus le Jeune et dont il est question dans l’article Nostradamus de La Croix du Maine. L’existence même de ces séries étalées sur 20 ans explique que l’on ait cru qu’il en avait été de même pour les quatrains des prophéties (ou almanachs).
En fait, il nous semble que l’on se trouve en face d’une formulation assez inhabituelle qui qualifie de « prophéties » tout ce qui traite peu ou prou du futur, sous les appellations les plus diverses : almanachs, prédictions, présages, pronostications, sans que le terme lui-même ait nécessairement désigné un genre particulier. D’où la tentation de produire des documents portant justement le titre de « prophétie » et d’y mettre un contenu spécifique à savoir des séries de quatrains. Paradoxalement, le mot « prophétie » ne désigne pas des quatrains mais des textes en prose éventuellement accompagnés de quatrains. Il aura suffit d’un article de la Bibliothèque de La Croix du Maine où, selon nous, par erreur, l’on a écrit « Quatrains ou Prophéties »- au lieu de « Quatrains & Prophéties « pour que l’on puisse considérer que chaque quatrain pouvait être une prophétie. Le quatrain qui était un élément annexe – la cerise sur le gâteau- est devenu prédominant.

JHB
07. 09. 11

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[1] Cf Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed Ramkat, 2002
[2] Cf planche in M. Chomarat, Bibliograhie Nostradamus, p 55
[3] Nostradamus. Lettres inédites, Droz, Géneve, 1983
[4] CORPUS NOSTRADAMUS 9 – « Le Traité des Fardements et des Confitures «
[5] « Les imposteurs et pièces apocryphes sur Nostradamus » Espacz Nostradamus
[6] cf RCN, p..96
[7] ,(RCN, p. 129)
 
HR112 - Le rôle majeur de la production avignonnaise au XVIIIe siècle
Par Jacques Halbronn

Nous voudrions montrer que l’affaire de l’édition Pierre Rigaud 1566 produite à Avignon, au XVIIIe siècle pourrait n’être que le sommet de l’iceberg. Précédemment, nous avions envisagé que l’ensemble des éditions Benoist Rigaud 1568 datait lui aussi de ce siècle et ce sont d’ailleurs ces deux documents qui seront à la base des travaux d’un Torné Chavigny au siècle suivant. Rappelons que Le Roux déclare en 1710 ne jamais avoir mis la main sur une édition Rigaud 1568 dont les éditions troyennes du XVIIe siècle (Du Ruau) ne cessèrent d’évoquer et d’invoquer l’existence. Mais, d’autres observations nous conduisent à élargir notre champ, d’une part vers la production des Grandes et Merveilleuses Prédictions, laquelle se réfère à une publication avignonnaise d’origine- ce dont Ruzo a traité à sa manière dans le Testament de Nostradamus et de l’autre le dossier Antoine Crespin qui comporte certaines zone d’ombre, un Crespin apparemment concerné par ce qui se passe en Avignon...

I Les Grandes et Merveilleuses Prédictions Rappelons qu’à la fin de cette série, il est fait référence à une édition Pierre Roux Avignon 1555.
On ne trouve certes une telle mention que dans l’exemplaire d’Anvers, F. Sainct Jaure, 1590 mais tout invite à penser que la même mention devait figurer dans la même série, pour Rouen 1588 et 1589, si ce n’est que dans le premier cas, le document est introuvable et dans le second, le seul exemplaire conservé est tronqué sur le cahier final.
On notera qu’au XVIIe siècle, il est fait référence sur les pages de titre de la série Vrayes Centuries et Prophéties à des éditions 1556 et 1558 mais pas à une édition 1555. Reste bien évidemment le cas de Macé Bonhomme 1555 mais toute la question est justement de savoir quand cette contrefaçon a été confectionnée et à quelle date la dite contrefaçon a été confirmée. Le temps n’est plus en effet, en 2012, à débattre du fait qu’il y a eu contrefaçon ou non mais de quand cela date..
Pourquoi, au vrai, y aurait-il eu au même moment des éditions portant le nom de Prophéties et d’autres celui de Grandes et Merveilleuses Prédictions ? Cela fait désordre. Si l’on compare le contenu de ces deux séries, le décalage est considérable. En 1588, on trouve une édition parisienne qui en est encore à terminer la centurie VI, à évoquer un rajout au milieu de la Centurie IV, embourbée dans la formation d’une centurie VII récupérant des quatrains de l’almanach de Nostradamus pour 1561 et en cette même année 1589 une édition de Rouen sans marque d’ajout à la IV, avec une centurie VI à 99 quatrains et une centurie VII ayant dépassé les 30 quatrains. L’édition parisienne des « Prophéties » de la Ligue se réfère à une édition augmentée de 1560, celle de Rouen à l’édition Pierre Roux Avignon 1555. :
« Fin des Professies de Nostradamus réimprimées de nouveau sur l’ancienne impression imprimée premièrement en Avignon, par Pierre Roux, Imprimeur du Légat en l’an mil cinq cens cinquante cinq. Avec privilège du dit Seigneur » Si l’on met de côté la série Grandes et Merveilleuses Prédictions, en la plaçant au XVIIe voire au XVIIIe siècle, la formation du premier volet se présente sous un jour quelque peu différent.
On serait amené à supposer une édition manquante faisant interface entre Paris 1589 Pierre Mesnier et Cahors 1590 Jaques Rousseau, à 40 quatrains à la VIIe centurie. Cette édition manquante, c’est justement celle que reprend la contrefaçon avignonnaise Anvers 1590 mais aussi la contrefaçon Lyon Antoine du Rosne 1557 (Budapest) à 40 quatrains à la VII, sans l’avertissement latin ni le quatrain VI 100. On a pu observer que les contrefaçons permettent de restituer des chaînons manquants ou tout simplement sont bel et bien les chainons manquants.
D’ailleurs, on note que les Grandes et Merveilleuses Prédictions comportent la même coquille au titre que Du Rosne 1557 : « dont il en y a « au lieu de « dont il y en a », ce qui nous conduit à penser que du Rosne 1557 a servi à fabriquer Rouen 1589 et si ce n’est pas cette édition, c’est en tout cas une édition très proche avec quelques quatrains en moins à la VII. (Anvers a 35 quatrains à la VII).
On notera aussi le cas de l’édition Rouen, Pierre Valentin, sous le titre Les Centuries et Merveilleuses Prédictions » qui se terminent également par « Fin des Centuries et merveilleuses Prédictions de Maistre Michel Nostradamus de nouveau imprimées sur l’ancienne impression, premièrement imprimées en Avignon, par Pierre Roux, Imprimeur du Légat. Avec privilège du dit sieur » Il est précisé que l’édition de Rouen « iouxte la copie imprimée en Avignon. 1611 ».
En revanche, l’année 1555 n’est pas mentionnée cette fois, à la différence de l’édition Anvers 1590 (cf supra). Le mot « prophétie » a cette fois carrément disparu alors qu’il figurait sur Anvers 1590.
La seule mention de 1555, en dehors de certaines éditions centuriques se trouve dans le Petit Discours ou commentaire sur les Centuries de Maistre MichelNostradamus, imprimées en l’année 1555, paru en 1620, sans nom de libraire, sur les seules sept premières centuries[1].

Pourquoi ce changement de titre ? Cela peut tenir à certaines considérations locales dans les territoires du Pape, au XVIIIe siècle. En consultant le répertoire chronologique nostradamique de Benazra, on reléve ainsi sur plus de 20 ans( entre 1765- et 1790, date de l’annexion d’Avignon à la France) une série intitulée « Nouvelles et curieuses prédictions de Michel Nostradamus (… ) augmentée de l’ouverture du Tombeau de Nostradamus « Salon de Provence. (bib. Amiens) avec une variante « Nouvelles Pronostications » (dans certains cas) avec le même sous titre nécrologique qui rejoint celui de Pierre Rigaud 1566, comportant également référence à l’épitaphe. Certes, Salon de Provence n’est pas Avignon mais ce sont des villes provençales voisines et surtout le nom de Salon figure dans l’édition Pierre Rigaud 1566, tant au titre que sur l’épitaphe.
Par ailleurs, ce sont des prédictions sur plusieurs années, donc datées. Il reste qu’à cette époque il se vendait dans la région des Prédictions de Nostradamus, non pas merveilleuses mais curieuses.

II Crespin.
« Roy de Bloys en Avignon régner »
En ce qui concerne le dossier Crespin, on est dans un scénario posthume en rapport avec Benoist Rigaud 1568 et concernant les 2 volets.
Il semble qu’au XVIIIe siècle, l’on se soit acheminé vers un scénario mixte : une partie des centuries serait dite parue du vivant- celle du premier volet- et une autre parti après sa mort, à la façon d’une suite inédite. C’est ainsi que certaines pièces sont datées de 1569.[2], selon la permission d’imprimer, même si elles ne paraissent qu’un peu plus tard..
Crespin est, nous dit-on, un provençal. Dans la première pièce qui nous est conservée du moins au regard de la date, à savoir la Prognostication avec ses présages pour 1571, Paris, Robert Colombel, Crespin est présenté comme « M. Anthoine Crespin dict Nostradamus, de Marseille en provence (…) Médecin ordinaire de Mgr le Comte de Tande, Admiral du Levant » Benazra note que « le quatrain du titre est une combinaison des quatrains (X, 1) et (VIII, 29), quatrains du second volet. Mais dès les années suivantes, la qualité de provençal de Crespin ne figurera plus et l’on passe « Crespin Nostradamus » et non plus « dict Nostradamus ». Dans les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation françoise, ce sont des dizaines de lambeaux de quatrains qui sont ainsi stockées, issues des seules centuries – aucun emprunt aux quatrains des almanachs.
Nous accordons une importance particulière à une pièce de Crespin visant directement Avignon[3] . Il s’agit de la Demonstracion de l’Eclipse lamentable du Souleil qui dura le long du jour de la Sainct Michel dernier passé 1571 (…) par M. Anthoine Crespin Nostradamus de Provance (sic) (..) dédié à nostre S. Père le Pape, Paris, Nicolas du Mont, 1571. Ce texte aborde la question des Juifs d’Avignon et offre un caractère assez nettement hostile aux Juifs.
On y trouve notamment le verset doublement présent dans le second volet, « Roy de Bloys en Avignon regner ».
La production parue sous le nom de Crespin semble vouloir valider la parution des centuries dans les années 1568 et suivantes.
Dans deux œuvres différentes, il est fait mention d’une Epitre à Henri II datée du 27 juin 1558. « dédiée au feu Henry grand Roy & Empereur de France, l’autheur de laquelle Prophétie est mort & décédé’. Le mot ‘ »prophétie » désigne ici l’épître en prose et non point quelque quatrain[4].
On perçoit là un caractère posthume.
On pourrait ajouter au dossier une autre épitre de 1558, cette fois dédiée à J. M. Sala, évêque de Viviers, vice légat d’Avignon, parue sous le titre de Significations de l’Eclipse qui sera le 16. septembre 1559, Paris, Guillaume Le Noir et qui selon nous est une contrefaçon comportant le mot « centurie » terme qui n’est pas entré en usage dans le champ des prédictions avant 1586.
..L’épitre est datée du 14 août 1558, donc peu après la date de l’Epitre à Henri II. Il faudrait aussi considérer le cas de l’édition contrefaite Michel Jove 1570, de l’Androgyn de Dorat, comportant le mot centurie et le texte d’un quatrain dans l’Epître de Jean de Chevigny adressée à Mgr L’Archer. On notera que le nom de L’Archer, superintendant pour le Roy sur la justice de Lyon figure sur le privilège daté du 21 mai 1571, accordé à A. Crespin Nostradamus[5] (Démonstracion d’une Comette, Lyon, Iean Marcorelle, 1571). Chavigny connait bien les œuvres de Dorat, dont il traite notamment dans son épitre sur l’ »Advenement à la Couronne » placé à la fin du Janus. On y trouve mentionné l’ « Epithalame de Dorat sur le mariage d’Anne duc de Joyeuse & M. Marie de Lorraine au 4. livre de ses Poémes ».

Toute cette production datée des années 1570 vient ainsi accompagner l’édition lyonnaise Benoist Rigaud 1568 et aussi Pierre Rigaud 1566. Il semble que Crespin exista d’abord réellement sous le surnom – c’est le cas de le dire- de Crespin Archidamus, dont le nom figure à partir de 1574 dans des publications couvrant plusieurs années de suite et ne comportant pas d’épitres adressées à des grands. C’est ainsi qu’on le nomme en 1585 et 1586 pour ses Prognostications Astronomiques pour cinq/six ans. Sous la forme Crespin Nostradamus, en revanche, il semble que l’on ait affaire à des contrefaçons du XVIIIe siècle. .[6].
On signalera notamment cette publication de Archidamus, parue chez Benoist Rigaud, en 1578, comportant pour vignette un motif qui sera repris pour l’édition Benoist Rigaud 1558. : Au Roy. Epistre et aux autheurs de disputation sophistique[7] La vignette avec le nom d’ Archidamus en blason, calquée sur celle des Pronostications de Nostradamus, avec en blason M. de Nostre Dame, est retouchée en Nostradamus et non l’inverse. Ce sont les premières éditions qui sont antidatées et les dernières qui sont authentiques, comme dans le cas des éditions centuriques...Crespin Archidamus se présente comme Sieur de Hauteville, qualité qui n’est pas associée à Crespin Nostradamus.
Il n’y aurait donc pas eu de Crespin Nostradamus avant le XVIIIe siècle mais seulement un Crespin Archidamus de Hauteville. C’est dire que ce siècle aura connu une présence nostradamique nettement plus importante que celle qui ressort des bibliographies Chomarat et Benazra puisque toute une partie de la production des années 1568-1572 serait à déplacer du XVIe au xVIIIe siècles mais cela vaudrait aussi pour une partie des éditions 1588-1590 type Grandes et Merveilleuses Prédictions..
Nous pouvons dès lors mieux décrire, par élimination, la genése des premières éditions des « Centuries » en privilégiant la filière parisienne et en oubliant la filière rouennaise et anversoise. Toutefois, la filière de Rouen nous restitue un état extrémement ancien, en l’exemplaire daté de 1588 puisque l’on y trouve une série de 349 quatrains non encore divisés en centuries. (en dépit du titre « divisées en quatre centuries »). Cette date de 1588 est au demeurant fort improbable, elle est contemporaine d’une édition parisienne (Veuve Nicolas Roffet 1588, qui reparait l’année suivante, cette fois avec sa «rose blanche » et non plus une vignette nostradamique, par le truchement de l’imprimeur Charles Roger) qui se référe à une édition à 4 centuries augmentée au-delà non pas du 349e quatrain mais du 353e., Augmentation due à une actualisation prophetico-politique liée au départ d’Henri III de Paris pour Tours (cf IV, 46). Les éditions parisiennes ne nous sont pas toutes parvenues. Entre 1589 et 1590, une édition à six centuries a du exister se terminant par un avertissement latin . Puis, nous apprenons par les pages de titre des éditions parisiennes, à dissocier de leur contenu, qu’une édition à 7 centuries a existé comportant successivement 38 puis 39 quatrains à la VII (voir la mention au titre des éditons parisiennes où est indiqué un addition à la dernière centurie de 38/39 articles, pour 1561). On sera passé à 42 quatrains, au premier volet de Cahors 1590. Toute la production Rouen Du Petit Val 1588-1589 est donc fictive. Le sous titre « esquelles se voit représenté une partie de ce qui se passe en ce temps, tant en France, Espaigne, Angleterre que autres parties du monde » est selon nous repris de celui de la série des Vrayes Centuris et Prophéties qui constitua une partie de la production centurique de la seconde moitié du XVIIe siècle mais qui est encore attestée au début du siècle suivant avec une édition de Rouen 1710 –comme par hasard – chez J. B. Besongne : « où se void représenté tout ce qui s’est passé tant en France, Espagne, Italie, Allemagne, Angleterre qu’autres parties du monde ». On notera que la forme « ce qui s’est passé » de 1710 est plus correcte que la forme « ce qui se passe » de 1588-1590 (Rouen, Anvers). On notera aussi que l’adresse du libraire Raphaël Du Petit Val est indiquée dans l’édition 1588 « devant la grand porte du Palais » mais non dans celle de 1589. Quant à la forme qui figure égalment au titre de l’édition Rouen 1589 et Anvers 1590, elle n’a pas été utilisée avant la mise en place des deux volets. : « dont il en y a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées », texte mal recopié à partir de Cahors 1590, dont il a du exister une édition à un seul volet, à partir du quel la contrefaçon Du Rosne 1557 Budapest fut réalisée, à 40 quatrains seulement à la VIIe centurie.[8]
Ajoutons que les éditions parisiennes datent la Préface à César du Ier mars 1557 (ce qui pourrait correspondre au Ier mars 1558, selon la pratique actuelle, soit très peu de temps avant l’epitre à Henri II de juin 1558). Le passage à 1555 n’aurait eu lieu qu’en 1590 avec l’édition Cahors. Or, les éditions Rouen 1588 et Anvers 1589 sont datées du 22 juin 1555. Il est fort peu probable qu’un tel décalage de 2 ans ait eu lieu entre éditions parues en même temps. On aura fixé définitivement la date de la Préface au Ier mars 1555 (ou 1556, selon la pratique actuelle) qu’à partir de 1590, alors que le style de Pâques n’a plus cours..
Pourquoi donc cette première option 1557 pour la Préface à César et donc pour les premières centuries avant de préférer 1555 ? Est-ce lié à la question du voyage de Nostradamus à la Cour ? A-t-on voulu faire paraitre ces centuries avant le voyage pour laisser entendre que c’est le succés même des Centuries qui aura été cause du dit voyage comme on le lit dans certaines biographies ? Patrice Guinard situe[9] ce déplacement durant l’été 1555 et non, comme l’indique Chavigny, en 1556 (Brief Discours, in Janus, 1594, p. 3) :
Nostradamus « se mit à escrire ses Centuries (…) De ce bruit & fame empennée esmeu le tres puissant Henry II Roy de France, l'envoya querir pour venir en Cour l'an de grace 1556 & ayant avec iceluy communiqué de choses grandes, le renvoya avec presens."
Il fallut donc avancer la rédaction à 1555 (achevé d’imprimer 4 mai 1555), soit plus d’un an avant le voyage de 1556, ce qui se concevait alors que quelques mois seulement avant n’aurait pas été crédible..
Mais au départ, ce scénario des Centuries en rapport avec le voyage n’avait pas encore été considéré, d’où la date de 1557 pour la Préface à César. D’ailleurs, l’Epistre de Nostradamus à Henri II, en tête des Présages Merveilleux pour 1557 est datée de janvier 1556, donc au retour du voyage de 1555. Mais Chavigny ne disposait pas du texte de la dite épitre : dans le Recueil des Présages Prosaïques, il est signalé que l’on n’en dispose point. Il semble bien que le passage de 1557 à 1555 ait été marqué par une intervention de Chavigny dans la mise en œuvre des éditions centuriques. C’est dire que l’édition Macé Bonhomme dotée d’une préface datée de 1555, comme étant le premier stade du processus centurique est désormais encore plus douteuse. .
Dans son Testament de Nostradamus, Daniel Ruzo a développé il y a 30 ans, en 1982 (du moins pour la traduction française, aux ed. du Rocher, qui avaient publié l’année d’avant Fontbrune), une thèse à propos de cette dualité Rouen-Paris, dans les années 1588-1589. Selon lui, il y aurait eu, dans les années 1550 deux foyers « centuriques », l’un à Avignon et l’autre à Lyon. R. Benazra considére qu’un tel intitulé ne correspond pas à la manièrere de Nostradamus : « . La sobriété dans les titres des éditions 1555 et 1557 est plus authentiquement nostradamienne »[10].
P. Guinard situe les éditions avignonnaises, à la fin des années 1550[11].
La série des Vrayes Centuries et Prophéties, - à dix centuries - à partir de 1649 - mentionne, en son titre « éditions imprimées en Avignon en l’an 1556 et à Lyon en l’an 1558 », ce qui implique que le premier et le second volet se sont succédées sur un court laps de temps. Elles sont accompagnées d’une ‘Vie de l’Autheur’ qui situe le voyage à Paris en 1556. Rien ne prouve que cette édition d’Avignon aurait porté le titre de Grandes et Merveilleuses Prédictions. Etant donné que Nostradamus publia chez Pierre Roux son almanach pour 1563, on peut supposer que l’on ait imaginé, sous la Ligue, une édition du premier volet des centuries chez le dit libraire, ce qui aurait conduit, par la suite, les éditeurs avignonnais à produire la série en question mais en la situant, cette fois, en 1555 et non en 1556. Mais pour les éditions avignonnaises, le second volet ne serait parue qu’en 1568, à Lyon, chez Benoist Rigaud et c’était déjà le cas dans les éditions troyennes du XVIIe siècle. Pour les unes (Vrayes Centuries), la date de 1558 de l’épitre indique celle de parution, pour les autres (Prophéties), ce n’est que la date de la composition et l’Epitre est placée en tête du volume et non du second volet. Au XVIIIe siècle comme au siècle suivant (XIXe), la thèse d’un second volet posthume prédominera (Pierre Rigaud 1566, Benoist Rigaud 1568), ce qui n’était nullement incompatible avec des épîtres datées respectivement de 1555 et 1558, la préface à César ayant un caractère testamentaire et l’Epitre à Henri II étant supposée être confidentielle..

JHB
10.09/12
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[1] Cf Benazra, RCN, p . 162
[2] Cf Benazra, RCN, p.103
[3]Cf notre etude ; "Roy de Bloys en Avignon regner" The Centuries and the Avignon context of the years 1560-1570”, Halbronn’s researches.
[4] Cf Documennts inexploités sur le phénomène Nostradamus, pp. 52-53
[5] Cf Benazra, RCN, p. 99
[6] Cf planche in Chomarat,, Bibliographie Nostradamus, p. 76
[7] Planche Cf Répertoire Chronologique Nostradamus, propheties.it
[8] Cf planches, in Benazra, RCN, p. X
[9] CORPUS NOSTRADAMUS 43 « Le voyage à la cour durant l'été 1555, la lettre à Morel (1561) et le Cum nostra damus nil nisi nostradamus »
[10] Voir aussi CORPUS NOSTRADAMUS 25 -- par Patrice Guinard « Les premières éditions des Prophéties 1555-1563 (État actuel des recherches, repères bibliographiques, et conjectures) «
[11] « Les principales éditions des Prophéties de Nostradamus », Espace Nostradamus
 
113 - Le passage du premier au second volet des Centuries
Par Jacques Halbronn

Comment est-on passé de quatre centuries à sept et de sept à dix, et à quel moment le passag s’est-il effectué, à quel rythme ? Il reste encore des zones d’ombre dans la chronologie de la bibliographie centurique. On a souvent préféré négliger de telles interrogations : rien à signaler ! De toute façon, nous explique-t-on , il ne s’agissait de rien d’autre n’est-ce pas que de restituer un texte déjà établi avant même la mort de Nostradamus et qui va resurgir quelques décennies plus tard. Mais pour nous les choses sont loin d’être aussi simples pour l’excellente raison que ce qui nous intéresse, c’est précisément de comprendre comment le premier volet a atteint sa forme finale et comment un second volet s’y est adjoint. Or si l’on s’en tient à la chronologie « factuelle » de la fin des années 1580 et du courant des années 1590, le moins que l’on puisse dire est que c’est très encombré. Ce sont les embarras de Paris.
En fait, nous avons affaire à quatre volets et non pas à deux, en laissant de côté les additions du XVIIe siècle avec les Sixains et l’Epitre à Henri II.
.Les éditions parisiennes indiquent bien que ce que les nostradamologues qualifient de premier volet en comporte en réalité trois. (le quatriéme étant celui des Centuries VIII-X, cf infra)
Il y a deux marques d’addition : après le 52e quatrain de la Ive centurie et après le 71/74e quatrain de la Vie centurie (cf infra).

A Début du second volet :
« Propheties de M. Nostradamus adioustées outre les précedentes impressions.
Centurie quarte
Prophéties de M. Nostradamus Centurie cinquiesme puis Prophéties de M. Nostradamus. Centurie sixiesme
B Début du troisiéme volet:
Prophéties de M. Nostradamus adioustées nouvellement. Centurie septiesme. Prophéties de M. nostradamus Centurie huictiesme et FIN
Disons tout de suite que le troisiéme volet aboutira à une centurie VII mais qui ne correspond en rien au contenu de cette addition. Comme lors du passage du premier au second volet, cela se fait au milieu d’une centurie, la Ive et la Vie sii ce n’est que probablement par erreur, au lieu de garder sixiéme centurie, on a mis septiéme centutie mais tout en poursuivant la numérotation de la Vie centurie, comme cela avait été le cas pour la Ive Centurie. En fait, dans cette série des édtions parisiennes de la ligue, la septiéme centurie correspond à ce que l’on a appelé la huitiéme centurie, qui trouvera un nouveau souffle avec les trois denières centuries VIII, IX. X.. Autrement dit, ces trois centuries feraient partie du troisiéme volet mais en tant que supplément, elles constituent bien un quatriéme volet.
Or, on notera que les titres des premiers volumes, dans la version Cahors 1590, comportent et bien la mention de quatre parties :
Première partie : les Prophéties de M. Michel Nostradamus
Deuxiéme partie : Dont il y en a trois cens qui n’ont encore jamais esté imprimées ; c’est l’édition à Six centuries
Troisiéme partie : Adioustées de nouveau par le dict Autheur. Cela correspond à la centurie VII et fait écho à l’addition de 1560.
Quatriéme partie : Centuries VIII, IX, X qui n’ont encores iamais esté imprimées.
Les éditions parisiennes correspondent aux trois premières parties, si ce n’est que leur troisiéme partie n’a rien en commun avec la troisiéme partie qui prévaudra comme dans Cahors 1590.
L’édition Pierre Mesnier, non datée, à la différence de l’édition Pierre Mesnier datée de 1589[1], comporte trois quatrains de plus à la sixiéme centurie, mais tout en conservant l’ancienne numérotation de la VIIe, si bien que l’on a deux quatrains 72, deux quatrains 73 et deux quatrains 74., comme si la centurie VII n’avait plus rien à voir avec la centurie VI tout en conservant une numérotation dans la continuité dans l’ancienne version de la VI à 7& quatrains..
Les trois quatrains en question de cette édition non datée seront conservés dans la version à 100 quatrains de la VI. Mais ensuite, on n’a plus conservé que des éditions à sept centuries sans plus aucune marque d’addition au sein du premier volet mais ce sont là des éditions singulièrement plus tardives, on pense notamment aux editions de Rouen 1589 et d’Anvers 1590 ou aux éditions du Rosne 1557, aucune de ces dates ne correspondant à la réalité.(cf nos études sur ce sujet). Et puis, en ligne de mire l’édition de Cahors à dix centuries en deux volumes. Les quatrains des centuries VIII à X sont déjà utilisés avec ceux des autres, dès 1591 dans l’Almanach des almanachs de Cormopède pour 1592, 1593 et 1594, sans parler de leur commentaire dans le Janus de Chavigny..
Comment en aussi peu de temps sera-t-on passé d’une centurie VI qui ne dépasse par 74 quatrains dans l’éditon Mesnier augmentée par rapport à celle datée de 1589 (cf supra)[2], à un ensemble de 10 centuries, numérotées de I à X comme il se doit.(Cahors 1590) ? Apparemment, une année 1590 singulièrement chargée. Comment sera-t-on passé de six à sept centuries puis de là à 10 centuries ? Ajoutons que tout semble indiquer qu’il y eut un pallier à 600 quatrains, se terminant par un avertissement latin (Legis Cautio), à la fin d’une centurie VI à 100 quatrains français. Ce pallier à six centuries n’a pas été conservé et par la suite, le quatrain VI, 100 sera introuvable, bien que commenté dans le Janus.. Et tout de suite, la centurie VII est mise en chantier et on élabore à ce propos la fiction d’une addition réalisée en 1560 du vivant d l’auteur. On a gardé la trace d’une telle présentation par les éditions parisiennes de la Ligue et celles qui sont antidatées. Nous avons expliqué dans de précédents études qu’il convenait de dissocier totalement et presque toujours titre et contenu dans le maquis centurique.
Cela vaut au demeurant pour le titre d’une pièce intitulée Nouvelle Prophetie (sic) de M. Michel Nostradamus qui n’ont iamais esté veues n’y imprimées que en ceste presente année Dédie au Roy qui correspond à un état antérieur à celui de Cahors 1590, dont le second volume s’intitulé :
Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Centurie VIII. IX. X qui n’ ont encores iamais esté imprimées. On aura supprimé « que en ceste présente année ». Le titre de cette pièce (dont on connait une édition Paris, Sylvestre Moreau, datée de 1603 et une autre de 1650[3]) nous montre qu’une édition ainsi appelée, au sous titre plus approprié, aura précédé celle de Cahors 1590. Où serait parue cette première édition, probablement séparée, de ce qui allait être le tome II des Centuries ? Il semble que l’on puisse décaler la date de parution de l’édition de Cahors 1590 d’un an environ, ce qui laisserait un petit peu plus de place pour caser autant d’éditions., à savoir
-Pierre Mesnier 1589 , à 71 quatarains à la VI/
- Pierre Mesnier sans date (adresse Saint Victor, à Paris) à 74 quatrains à la VI, avec une annexe comportant à 12 centuries à la VI (par erreur indiquée VII)
-Une édition à 100 quatrains à la VI. (non retrouvée), sans cette annexe.
-Une édition augmentée à VII centuries, avec plusieurs stades : 35, 40, 42 quatrains, notamment (Anvers, Antoine du Rosne 1557 Budapest et -Utrecht, correspondant au titre des éditions parisiennes de la Ligue.
-Une édition séparée de 3 nouvelles centuries (cf. Sylvestre Moreau)
-Une édition à dix centuries, de I à X. (cf. Cahors) à 42 quatrains à la VII, suivie d’éditions Rigaud non datées.
Ajoutons au tableau, la mise en place du procédé des mots mis intégralement en capitales : Si l’on examine la « Prognostication de l’Advenement à la Couronne (…) le tout tiré des Centuries de M. Michel Nostradamus », Paris, Pierre Sevestre (conservée à la Bibliothèque Mazarine), on note qu’il ne s’y trouve pas de mots en capitales alors que le même texte au sein du Janus en comporte un nombre assez appréciable. Cette épitre est datée du 19 février 1594. A cette date, Chavigny n’aurait pas encore adopté un tel procédé qui est pourtant généralisé dans tout le Janus. On notera que l’épitre à Henri IV placée en tête du dit Janus est datée du premier juillet de la même année 1594. Le procédé aurait été appliqué au cours du premier semestre de la dite année, dont l’usage n’a pas été élucidé mais qui se retrouve dans Macé Bonhomme 1555 et Antoine du Rosne 1557 Utrecht.
C’est dire l’intensité de l’activité nostradamique entre 1589 et 1594, ce qui pourrait avoir été fonction du basculement politique exigeant un certain réajustement. C’est ainsi que Chavigny reprochera, dans son épitre à d’Ornano, écrite au lendemain du couronnement à Chartres, début 1594, de s’être trompé du fait du même prénom porté par Henri III et Henri IV.
En ce qui concerne les deux éditons Antoine du Rosne, celle de la Bibliothèque de Budapest n’annonce que deux parties alors qu’elle en comporte trois en réalité, avec une centurie VII à 40 quatrains. La page de titre de cette édition est celle d’une édition à six centuries. En revanche, celle de la Bibliothèque d’Utrecht mentionne bien en son titre les trois parties du premier volet., tout comme le premier volume de l’édition Cahors 1590 et les éditions Rigaud qui suivront. Dans la plupart des cas, le second volet ne porte pas de date. (par exemple Benoist Rigaud 1568). Une des rares exceptions pour les éditions à 10 centuries (et donc à 4 parties) est Cahors 1590 mais l’on peut sérieusement douter de la valeur de cette date pour le second volet, d’autant que la mise en page des deux volets diffère sensiblement.
Ce qui est quand même assez étonnant, c’est que le premier volet ait gardé la trace de ces trois strates successives tout en supprimant toute marque d’addition à l’intérieur dans les éditions du Rosne, Cahors, Rigaud. En revanche, la série des Grandes et Merveilleuses Prédictions Rouen1589 Anvers-1590 – qui sont à situer au XVIIIe siècle- s’en tient à la présentation des éditions à six centuries alors même qu’elles comportent une troisième partie. Quant à l’édition Rouen Du Petit Val 1588, la seule « authentique » - le seul vrai faux de la série - elle ne porte en son titre que l’annonce d’une seule partie : « divisées en quatre Centuries », ce qui devait être le titre d’origine d’une édition à une seule partie.
A-t-il existé une contrefaçon pour le second volume, datée de 1558, comme l’indiquent les Vrayes Centuries et Prophéties en leur sous- titre « Lyon 1558 » ? On n’en a pas de preuve. Il est possible que cela ne renvoie qu’à la génése du premier volet :
1556 : 4 centuries, 1558 : 6 centuries, 1560 : 7 centuries. On sait à quel point les titres des éditions sont décalés par rapport à leur contenu, comme dans le cas de ces éditions à sept centuries (série Grandes et Merveilleuses Prédictions) qui se présenteront, à la dernière page, comme reprises d’une édition de 1555 tout en comportant en leur titre « dont il en y a (sic) trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées »

JHB
12/ 09/ 12

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[1] Cf CORPUS NOSTRADAMUS 65 -- par Patrice Guinard L'édition Regnault 1561, modèle des éditions parisiennes facétieuses de 1588-1589
[2] Conservée à la réserv e de la Bibliothèque Mazarine
[3] Cf BEnazra, RCN, pp. 153-154
 
HR 114 - Les quatre temps de la formation du canon à dix centuries
Par Jacques Halbronn

On parle souvent des deux volets des Centuries mais en fait on a affaire à une structure quaternaire qui a été maintenue dans la présentation du « canon » depuis le XVIIIe siècle à travers les éditions Rigaud et Chevillot qui ont depuis prévalu sur les autres éditions et ce en dépit des tentatives de présenter les Centuries comme un seul bloc ou en deux blocs. Par ailleurs, la question d’un volet supplémentaire constitué de la lettre à Henri IV et des sixains, sans oublier la question des « présages » aura fait débat pour finir par être évacuée du canon.
De nos jours, les avis sont partagés mais l’on s’en tient généralement à trois stades : le stade 4 centuries, le stade 7 centuries et le stade 10 centuries et parfois à deux seulement : le stade 7 centuries et le stade 10 centuries, correspondant aux deux textes en prose qui les introduisent respectivement, dédiés l’un à César, l’autre à Henri II. Quant au stade 5, il n’a pas la cote et rares sont ceux qui l’intègrent dans le canon centurique, ne serait-ce qu’en raison du passage du quatrain au sixain et ce en dépit de l’existence d’une troisième épitre adressée à Henri IV et datée de 1605, et qui n’est donc pas signée Michel de Nostredame mais de celui qui est supposé avoir exhumé les dits sixains..
Se pose également la question de savoir si les 10 centuries seraient parus du vivant de Nostradamus ou seulement les 7 premières ou aucune, ce qui correspond à la thèse posthume intégrale, sans oublier la thèse de la contrefaçon intégrale que nous défendons, pour notre part. Mais restons-en, ici, à la description du scénario par delà la réalité des productions.
Parmi les positions en présence, nous trouvons celle qui laisse entendre que les 7 premières centuries seraient toutes parus dès 1555. C’est ce qui semble ressortir de l’édition Anvers St Jaure qui se réfère à une édition avignonnaise Pierre Roux. Etant donné que nous ne disposons pas actuellement de l’exemplaire Rouen 1588 des Grandes et Merveilleuses Prédictions à 349 quatrains, nous ignorons si cela renvoie déjà à 1555. Mais c’est très probable et dans ce cas les additions successives à 6 puis à 7 centuries n’auraient fait que reprendre la date initiale de 1555. D’ailleurs, cette thèse nous semble relativement récente et dater en fait du XVIIIe siècle. Les éditions concernées qui ne sont qu’à 7 centuries- ce qui correspond à l’état existant sous la Ligue- suppriment d’ailleurs toute mention d’addition au sein des 7 premières centuries et ne conviennent que de l’addition d’un second volet.
Elle est en tout cas bien peu compatible avec les titres des autres éditions de la fin du XVIe siècle qui, quant à elles, ne dissimulent nullement un processus d’additions successives, ce qui vaudra aussi pour les éditions Antoine du Rosne 1557 (cf.infra).
En fait, à la fin du XVIe siècle, l’on admet tout à fait l’idée de quatre couches centuriques en dépit de l’existence de seulement deux épitres, la Préface à César introduisant de ce fait aussi bien 4 que 6 ou que 7 centuries, ce qui laisse un certain flou sur ce qu’elle était censée accompagner initialement. Car de deux choses l’une, ou bien elle introduit les 7 centuries ou bien elle n’introduit que trois centuries et demie environ, le reste des centuries ne constituant que des annexes, des avenants comme pour le testament de Nostradamus doté d’un codicille. On notera aussi que l’on a une version de la préface datée de 1555 et une autre, sous la Ligue, datée de 1557, ce qui serait une façon de tenir compte de l’addition aboutissant à un ensemble de six centuries tout en évacuant la préface –d’ailleurs identique- datée de 1555...
On évoque en vérité rarement, chez les nostradamologues, le stade des six centuries qui est pourtant crucial. Il est formalisé par le sous titre de l’édition Du Rosne 1557 Budapest : « dont il en y a trois cents qui n’ont jamais esté imprimées » et dans celui des Grandes et Merveilleuses Prédictions, Rouen 1589 et Anvers 1590, ce qui ne correspond pas à leur contenu, lequel comporte une addition supplémentaire, à savoir la centurie VII. Toutes ces éditions, au vu de leur contenu, devraient comporter une mention supplémentaire comme c’est le cas pour Du Rosne Utrecht, et le premier volet de Cahors 1590 et de Rigaud (1568 et sans date, sans oublier 1566), à savoir « adioustées de nouveau par le dict Autheur », ce qui reprend en fait le sous titre des éditions parisiennes qui sont typiques de la présentation à 7 centuries : « reveues & adioustées par l’Autheur, pour l’an 1561, de trente neuf articles à la dernière centurie », qui est celle des éditions parisiennes de la Ligue, si l’on ne s’en tient qu’au titre. Rappelons que notre méthode de travail implique de constituer trois corpus, l’un sur la base des titres des éditions, l’autre sur celle des contenus, et un troisième sur la base des éditions du vivant de Nostradamus, l’ensemble permettant de se faire une idée assez juste de l’ensemble de la production.
Cette édition à six centuries qui n’a pas été conservée en ce qui concerne son contenu mais qui est attestée par l’étude des titres, a consisté en l’ajout de 247 quatrains à la mouture à 353 quatrains. Autrement dit, il n’y a pas eu comme il est indiqué au titre une addition de 300 «prophéties » et on aura laissé croire que le premier stade n’avait compris que 300 quatrains lui aussi. Les computations alambiquées de Patrice Guinard pour expliquer en quoi consistait cette addition de 300 quatrains ne semblent guère crédibles. Il semble, en réalité, que les éditeurs du corpus aient, assez vite, entendu présenter trois séries de 300 quatrains, avec une centurie VII intercalaire, d’où cette organisation en deux « livrets » (selon la formule de l’Epitre de 1605 introduisant un troisième « livret »). Le titre du second volet est clair : « Centuries VIII. IX. X. », total 300, soit un troisième groupe de trois centuries.
L’ensemble à six centuries pleines s’achevait sur un avertissement latin, à un stade où l’on pensait que cela n’irait pas plus loin. Par la suite, certaines éditions ont gardé le dit avertissement conclusif tout en plaçant une septième centurie (Rosne Utrecht 1557, Rigaud (1568 et autres, Chevillot) et d’autres l’ont éliminé (Antoine du Rosne 1557 Budapest, Anvers 1590). On passera sur le sort du quatrain VI 100 qui a été supprimé de toutes les éditions conservées du XVIe siècle mais qui a certainement figuré dans au moins une édition, si bien que le dit quatrain se retrouve commenté dans le Janus. D’aucuns ont soutenu que l’avertissement latin tenait lieu de centième quatrain de la Vie centurie.
Mais encore faut-il préciser que l’on a pas ajouté 300 quatrains d’une seule traite ou plutôt 247 quatrains. Les éditions parisiennes de la Ligue au regard de leur contenu –et non cette fois de leur titre- attestent de l’existence d’une centurie VI à 71 quatrains (Mesnier 1589 et autres) puis à 74 quatrains (Mesnier sans date), sur les 100 quatrains qui formeront, au final, la centurie VI « canonique ». L’idée de constituer un nouvel ensemble de 300 quatrains avec le début de la centurie IV n’aura pris forme que progressivement. Dans un premier temps, il s’est agi de compléter la centurie IV, de constituer une centurie V et d’ajouter un certain nombre de quatrains à une VIe centurie avant de passer à la constitution d’une VIIe centurie par la suite. Les éditions parisiennes de la Ligue témoignent d’une certaine confusion : en effet, la centurie VI à 71 quatrains se poursuit avec des quatrains numérotés jusqu’à 83 mais sous le titre de centurie VII. Il s’agit probablement d’une erreur. Les choses auraient du se calquer sur la centurie IV, comportant une addition avec une numérotation continue après le 53e quatrain. Au lieu de reprendre le fil de la centurie VI on aura amorcé une centurie VII, avec d’ailleurs un premier quatrain non numéroté mais correspondant au n° 72 du fait des quatrains suivants.
Nous abordons la question de cette troisième partie du premier volet qui n’ avait pas été traitée, jusqu’à présent, comme il convenait, y compris d’ailleurs dans nos précédents textes. Pourtant, au niveau des titres, l’addition à la Vie centurie d’un nouveau module est particulièrement soulignée. D’une part, dans les éditions de la Ligue, au titre, par l’annonce d’une adjonction à la « dernière centurie », ce qui renvoie explicitement à la centurie VI, réputée dernière d’un ensemble de 600 quatrains – ce nombre sera repris par Pierre de Larivey, au siècle suivant- de 38 et de 39 « articles », selon les éditions et confortées par la production d’éditions antidatées pour 1560, pour faire bonne mesure et d’autre part, par la mention finale du titre du premier volet en une typographie distincte « Adioustées de nouveau par le dict Autheur ». Autant d’éléments qui vont constituer le troisième wagon du premier volet, toujours introduit par la seule préface à César de 1555, ce qui est évidemment à prendre avec du recul. Il est clair que tout le monde avait compris que cette préface de 1555 ne pouvait prendre en compte l’addition de 1560. La dite préface n’apparait que comme une caution et non réellement comme une introduction à une certaine édition comportant un certain nombre de centuries. D’où son maintien en dépit des additions successives. Ce qui nous conduit à penser qu’initialement, il s’agissait d’une logique de parution posthume révélant successivement les pans d’un ensemble. Autrement dit, en tant que parution posthume, il est évident que l’ensemble était censé être déjà bouclé dès avant la mort de Nostradamus si ce n’est que tout ne sera pas divulgué en même temps. Il s’agit là bien entendu d’une fiction commode qui permet de produire de nouveaux quatrains en prise sur les enjeux politiques du moment, c'est-à-dire de la Ligue. Mais par la suite, on a carrément fabriqué des éditions supposées parues en 1555, 1557, 1560 et on en passe, sans parler du cas 1566 -1568 qui est certes posthume mais d’un posthume faisant immédiatement suite à la mort de Nostradamus, version qui aura fait suite à celle d’ un posthume de vingt ans plus tardif
Comment l’épitre à Henri II, datée de Juin 1558 pouvait-elle dès lors concerner des centuries VIII-IX-X postérieures à la VIIe centurie qui n’était censée être apparue qu’en 1560 ? Il y a là une énigme.
Tout se passe comme si les centuries VIII-X étaient antérieures à la centurie VII mais avaient été publiées plus tard. On a cette fois un autre décalage, celui de la date de rédaction et de la date de publication, c'est-à-dire depuis un siècle, d’impression.
Mais il est clair que les centuries VIII-X ont été produites après le premier train de centuries, ne serait-ce que parce qu’elles reflètent un autre contexte politique, à savoir l’avènement d’Henri de Bourbon, avec l’annonce bien connue, en clair comme de façon cryptée de sa victoire sur le parti lorrain, du fait notamment de sa conversion et de son couronnement..Il n’empêche que c’est bien 1558 qui est mis en avant de façon à montrer qu’un tel dénouement avait été vu et prévu de longue date. Maladresse néanmoins qui ne semble pas avoir tenu compte de l’addition de 1560., laquelle édition, il est vrai, avait fort bien pu être ignorée par les rédacteurs des nouvelles centuries. Ce qui est inconcevable dans le monde réel peut exister dans le monde virtuel des chronologies et bibliographies imaginaires.
La rédaction d’une épitre à Henri IV datée de 1605 évite ce genre de mésaventure. En outre, on ne prend pas le risque de se voir placé en face d’une précédente épitre de Nostradamus à Henri II, datant de 1556, en tête des Présages Merveilleux pour 1557, à laquelle l’épitre de 1558 ne prend même pas la peine de se référer alors même qu’elle a servi de modèle. Cela dit, les 58 sixains, comme cela a été souvent signalé par les uns et les autres, sont le pendant des 42 quatrains de la VIIe centurie., constituant une sorte de VIIe centurie bis, placée cette fois non pas comme la Centurie VII première à la fin du premier volet mais à celle du second.
Le canon centurique nous semble donc avoir intégré l’idée d’une formation progressive en quatre temps. La mention d’une addition « par l’Autheur » en 1560 pour 1561 d’un supplément à la sixiéme centurie- ce qui constituera la centurie VII, montre que la thèse d’un ensemble déjà constitué en 1555 ou en 1557 ne correspond pas à la version officielle. Signalons que la tentative au milieu du XVIIe siècle de compléter le second volet à trois centuries avec les Présages de 1555 à 1567, fera long feu. On peut se demander pourquoi les Présages n’ont pas plutôt été ajoutés aux Sixains. Si les éditions troyennes Pierre du Ruau comportent les Présages, en revanche, les éditions troyennes Pierre Chevillot, qui selon nous sont plus tardives – le prénom des libraires ne devant pas être pris au sérieux- les rejettent du nouveau canon, ce qui pourrait être le signe que l’on considère alors qu’il faut distinguer la production du vivant de Nostradamus constituée des Présages de celle du canon centurique posthume, constituée de quatrains non encore datés. On se demandera si l’on n’a pas jugé que ces collections de « présages » non datés constituaient un vivier dans lequel on pourrait venir puiser pour alimenter les prédictions mensuelles tout comme les prophéties an par an (Prédictions pour 20 ans) pouvaient servir à nourrir les pronostications annuelles..

JHB 12. 09// 12
 
HR 115 - Comment lisait-on les Centuries au XVIe siècle
Par Jacques Halbronn

Quel intérêt pouvait-on trouver, dans le public, à la lecture des Centuries alors que celle-ci ne sont même pas complétées par un commentaire ? Comment ne pas se perdre dans un tel labyrinthe de mots, véritable auberge espagnole où chacun trouve ce qu’il veut ? Il devait pourtant exister un certain consensus herméneutique, un certain modus operandi – un non –dit allant de soi, diraient les ethnométhodologues (Garfinkel) - pour décrypter les centuries ou plutôt ce que d’aucuns voulaient qu’il fût appréhendé dans les quatrains.
Selon nous, le lectorat ne passait pas des heures à feuilleter les centuries comme le propose Chavigny qui n’a probablement pas le profil type, dans son Janus. Ce lectorat devait particulièrement s’intéresser aux « additions », aux rajouts, d’où cette succession d’augmentations, de révisions qui faisaient « vivre » le texte. Cela expliquerait précisément la multiplicité des variantes tant quant au contenu des quatrains que de leur nombre. On comprend mieux la fonction des centuries inachevées ou ne se constituant que par à coups. Les centuries qui se prêtèrent le plus à cet exercice furent la Ive, la Vie, la VIIe et finalement la Xe.
Cela dit, nous verrons que dans certains cas, une centurie incompléte l’est non pas parce qu’elle est en construction mais parce qu’elle fait l’objet d’une censure, ce sera notamment le cas pour la sixiéme centurie qui serait passée de 100 à 99, 74 et à 71 quatrains. Et non pas l’inverse. En revanche, certains nostradamologues ont poussé cet argument trop loin et parlent, comme R. Benazra, de quatrains « manquants » quand il s’agit bel et bien d’un processsus en cours d’élaboration, comme dans le cas de la centurie IV, passant de 49 à 53 quatrains ou de la centurie VII passant de 35 à 42 quatrains. En tout état de cause, les deux approches sont à envisager, au cas par cas..

A La quatrième centurie
L’édition Rouen 1588 ne comporte que 349 quatrains, quatre de moins, comme le note Benazra, que l’édition Macé Bonhomme 1555 ou que les éditions parisiennes qui fixent la première addition après le 53e quatrain de la IV[1]. Nous avons ainsi montré que parmi ces 4 quatrains supplémentaires, le IV, 46 faisait écho à l’actualité du départ d’Henri III pour Tours, à la suite des Barricades de Paris, début 1588. Ce qui explique que les Etats Généraux fussent réunis, en cette même année, non loin de là, à Blois.
Ensuite la Ive centurie fut complétée et la centurie intéressante fut la Vie.

B La sixième centurie
On connait une centurie VI à 71 quatrains, une autre à 74 quatrains (Paris, P. Mesnier, sans date) et puis l’on passe à 100 quatrains, puis on revient à 99 quatrains. Il est probable que durant un certain temps, le public accordât une certaine importance aux derniers quatrains de la Vie centurie avant que celle-ci ne soit clôturée, passant le relais à la VIIe centurie
P. Guinard a décrit ces éditions mais il ne signale pas le fait que l’édition P. Mesnier sans date comporte trois quatrains supplémentaires (72-73-74) qui feront partie de la centurie VI terminée.[2]. Il note que l’édition Charles Roger ressemble beaucoup à l’édition Veuve Nicolas Roffet mais ne reléve pas le fait que la dite édition Roger comporte en sa page de titre la rose propre à Jeannne Leroy, veuve Roffet.
On ne saurait par ailleurs oublier les quelques quatrains d’une centurie VIII, qui n’a rien à voir avec celle du « canon » et qui correspond certainement au contexte ligueur. On aura compris que toutes les additions ne sont pas vouées à se maintenir, à commencer par l’étrange présence des quatrains de l’almanach pour 1561, qui fait écho au sous titre « revues & additionnées par l’autheur pour l’an mil cinq cens soixante & un ». On pourrait expliquer cette initiative par le fait que les libraires auraient tenté d’ajuster le contenu au titre. Faute de produire 38 ou 39 « articles » à la VII – ou ne comprenant pas de quoi il retourne- ils n’auraient rien trouvé de mieux que de recycler les « présages » de 1561.
On ne peut en effet négliger l’enseignement de tels décalages entre titre et contenu. Nous avions suggéré, dans de précédents textes, que cela pouvait tenir à la volonté de commercialiser un stock déjà dépassé sous un titre plus récent- ce qui reléve d’une forme d’escroquerie sur le produit mais une autre thèse semble désormais plus probable : la volonté de faire croire qu’une édition n’a pas été modifiée en préservant une certaine apparence propre à une édition plus ancienne. Le même phénoméne serait à observer avec les éditions dont le contenu a été toiletté tout en gardant une présentation indiquant une succession d’additions. On pense aux éditions Rouen 1589, Anvers 1590, Du Rosne 1557 (Budapest, Utrecht), Rigaud 1566 et 1568). Mais un tel stratagéme est déjoué par la conservation des éditions parisiennes de la Ligu en ce qui concerne la centurie IV, lesquelles éditions n’en seraient pas moins contrefaites pour les centuries VI et VII, avec notamment 39 quatrains redoublés et retouchés, comme l’a noté P. Guinard..
.Dans le cas des éditions parisiennes de la Ligue, existe-t-il une édition Veuve Roffet 1588 avec un autre contenu avec 39 quatrains à la VII, par exemple ? Ou bien une édition Veuve Roffet 1588 avec le même contenu mais un titre différent correspondant davantage au contenu ? On aurait donc en fait deux éditions parisiennes (1588/1589) à 71 quatrains à la Vie centurie et une édition (non datée) à 74 quatrains à la dite centurie, qui correspondent à des états débouchant sur Cahors Rousseau 1590 à six centuries pleines et 42 quatrains.. Quel intérêt y aurait-il eu à publier après 1590 des éditions comportant une centurie VI encore en formation à moins que les particularités des éditions parisiennes au regard des centuries VII et VIII aient été en réaction par rapport au canon constitué et donc postérieures à 1590 ? Dans ce cas, nous n’aurions plus que la page de titre des dites éditions parisiennes avec un contenu décalé plus tardif sous couvert des titres anciens. Autrement dit, le contenu des dites éditions parisiennes ne serait pas le fait de ces éditions, lesquelles seraient des contrefaçons dont nous ignorons le lieu et la date de fabrication. La présence d’une rose blanche sur l’édition Charles Roger serait due à une erreur et la mention à l’édition Mesnier non datée d’une adresse correspondant à des éditions plus tardives du libraire nous oriente vers ce libraire, d’autant que, comme le note P. Guinard, Mesnier aura eu des successeurs comme cela fut le cas pour Benoist Rigaud ou pour Pierre Chevillot. L’activité de la maison Mesnier se poursuit tout au long des 20 premières années du XVIIe siècle, autour notamment de l’astrologue Jean Petit. On notera aussi que la contrefaçon d’une édition Veuve Nicolas Buffet 1561 pourrait s’expliquer du fait de son successeur, Michel Buffet, qui publie, notamment, en 1589 un Discours des grandes persécutions (…) Avec un présage merveilleux advenu en Lorraine, en l’année 1512[3]
Il est d’ailleurs possible que le début du XVIIe ait accordé un plus grand intérêt au premier qu’au second volet, ce dont témoigne la parution en 1620 d’un Petit Discours ou Commentaire sur les centuries de Maistre Michel Nostradamus imprimées en l’année 1555[4], adressé au jeune Louis XIII dont les 40 quatrains commentés sont tirés des seules sept premières centuries.



C La septième centurie
L’on sait qu’il exista des versions de cette centurie à 35 quatrains (Anvers 1590) et probablement moins (Rouen 1589, dont la fin est tronquée) et l’on sait que l’on passa à 38 quatrains, puis 39, puis 40 puis 42, du moins si l’on s’en tient au XVIe siècle. Autant d’occasions de faire passer quelque message par le biais d’une addition d’un ou plusieurs quatrains. A ce propos, il est clair que le mot « article », utilisé au sous-titre des éditions parisiennes de la Ligue, est bien synonyme de quatrain, ce que semble contester P. Guinard. Témoin, cette mazarinade, la Prédiction de Nostradamus sur la perte du Cardinal Mazarin en France ; extraictes de la Centurie huitiéme, article neuf- ( Paris 1649) Le quatrain en question n’est d’ailleurs pas celui des éditions centuriques, c’est en fait VIII, 19 mais qu’importe [5]:
Le XVIIe, notamment sous la Fronde, usera largement du support de la VIIe centurie[6] Mais à la différence de la production de la Ligue, celle de la Fronde ne sera pas retenue dans le canon, lequel sera clos avec l’édition Pierre Rigaud 1566 (réalisée au XVIIIe siècle, à Avignon), lequel rejettera tout l’apport du XVIIe siècle mais entérinera celui de la Ligue en le situant dès la mort de Nostradamus, ce qui revient à limiter le processus des additions à 1566-1568. Ce sera ensuite la chasse aux quatrains et sixains supplémentaires/..Le nouveau canon du XVIIe siècle ne sera pas retenu au-delà du début du siècle suivant, comme si on l’avait mis entre parenthèses.

D les centuries X et XI
Une fois les dix centuries mises en place, d’autres solutions se présentèrent dont l’addition d’un quatrain cryptogramme, parfois appelé 101 et dont l’échéance se situait en 1661, dont les sixains (parfois sous le titre de centurie XI), dont les présages, dont quelques quatrains des centuries XI et XII, qui ne se trouvent que dans le Janus, dont quelques quatrains placés à la fin des éditions parisiennes de la Ligue. Mais le premier canon aura prévalu avec le refus d’un troisième livret. Toutefois, signalons que pour le tricentenaire de la mort de Nostradamus, l’on réédita à Paris l’édition Pierre Chevillot avec les sixains, lesquels étaient absent de Pierre Rigaud 1566. On aurait pu concevoir que des sixains additionnels eussent été ajoutés aux 58 existants mais ce ne fut apparemment pas le cas..
Nous avons signalé, dans de précédentes études, le cas du quatrain IX, 86 qui comporte le mot Chartres en référence selon nous au couronnement d’Henri IV, début 1594. Est-ce qu’il ne faudrait pas supposer que la centurie IX aura pu être, à un certain stade, en position « terminale » ? Faute de quoi, on voit mal comment le lectorat aurait pu s’y intéresser, ce qui était à l’évidence le but de toute l’opération. On envisagera donc un état intermédiaire, au sein du bloc des centuries VIII-X, au niveau de la centurie IX, ou de ce qui lui correspondait. On ne sait pas grand-chose en effet de la genèse du dit bloc. Nous sommes très sceptiques quant à l’intérêt de produire uniquement des centuries pleines, car cela ne permet pas d’exciter l’intérêt du public, ce qui n’est le cas que des centuries inachevées.
On ne saurait soutenir, comme le font certains nostradamologus, que les centuries VIII-X auraient disparu dans les années 1580 pour réapparaitre à la décennie suivante. En revanche, comme on l’a envisagé plus haut, on ne peut exclure que dans les années 1620, les dites centuries aient été mises de côté pour ne réapparaitre qu’à la mort de Louis XIII, d’autant que de nouvelles centuries sont mises en circulation, comme celles d’un Pierre de Larivey le Jeune alias Pierre Patris, faisant suite à Pierre de Larivey, suivant là un processus de succession qui n’est pas sans évoquer le néonostradamisme des années 1560-1570, toutes proportions gardées. La question de la publication du second volet n’est pas absolument réglée. Rappelons qu’en 1603 parait une
Nouvelle Prophetie de M. Michel Nostradamus, qui n'ont jamais esté veuës, n'y imprimees, que en ceste presente annee. Dédié au roy, chez le libraire parisien Sylvestre Moreau. Ce libraire fait paraitre en cette même année un Discours des terribles espouventables signes,( iouxte la coppie de Rouen)[7]

Cet ouvrage ne comporte que les centuries VIII-X et sa parution pourrait laisser entendre qu’à cette date la jonction entre les deux volets n’est pas encore chose faite. Rappelons que les éditions Benoist Rigaud, Héritiers Rigaud, Pierre Rigaud que l’on situe généralement entre 1594 et 1600[8] ne comportent pas de date de publication.

Quelle est la morale de cette histoire ? Le corpus centurique n’est pas figé. Même les épitres semblent bel et bien avoir évolué, si l’on considère l’enseignement que l’on peut tirer de l’édition Antoine Besson (c 1691) et qui nous fait suspecter des interpolations. Certains quatrains peuvent aussi avoir disparu du canon, comme VI, 100. (Fille d’ l’Aure etc) On procède par révélations, dévoilements successifs (cf. Jean de Chevigny, Androgyn, M. Jove, 1570, Chavigny, Janus, P. Roussin, 1594)
Mais on ne saurait oublier un autre procédé, celui de quatrains produits non plus par Nostradamus mais par d’autres faiseurs d’almanachs, dont les plus prolixes auront probablement été Pierre de Larivey le jeune (alias Pierre Patris) et ses Six Centuries et Jean Belot, curé de Milmonts, dans les 20 premières années du XVIIe siècle.
Il reste un énorme travail à faire consistant à situer le contexte événementiel auquel se réfère un certain contrat. Le dit contexte n’est pas celui du temps de Nostradamus mais bien celui des 100 années qui suivirent sa mort. L’autre voie est évidemment celle de la glose, dont un des exemples les plus notoires est celui du Janus, dès 1594. On n’augmente pas le nombre de signifiants mais l’on plaque des couches de signifié.
En conclusion, nous dirons que l’attention des lecteurs devait se limiter aux centuries en gestation, soit successivement la Ive, la VI, la VII, la X.
On a déjà signalé par ailleurs l’usage des mots rendus en capitales, ce fut probablement un moyen d’attirer l’attention de lecteurs plus ou moins assidus, sur un certain quatrain. Chavigny recourut à ce procédé à partir du printemps 1594. On peut classer les éditions centuriques entre celles comportant des mots en majuscules et celles qui n’ont pas un tel usage. Peut être ne s’agit-il pas d’attirer l’attention sur un quatrain mais de constituer un quatrain au moyen des mots ainsi soulignés.
Selon nous, un principe doit être respecté, à savoir qu’un nouveau quatrain est lié à un certain contexte. Si l’on abandonne la fiction d’un Nostradamus ayant par avance rédigé l’intégralité de ses « centuries prophétiques », pour adopter la formule de Jean Belot, par opposition aux centuries « poétiques » d’un Guillaume de La Perrière, l’on doit conclure que toute addition correspond à un état des choses plus tardif et donc de plus en plus éloigné du temps de Nostradamus.
On ajoutera que la fabrication d’éditions antidatées aura compliqué encore plus le jeu. On en connait deux types : celles qui restituent la marque des additions ( Veuve Buffet, Veuve Roffet 1561) et celles qui les effacent du moins en leur contenu, mais pas toujours en leur titre.(Antoine du Rosne 1557, Raphael du Petit Val 1589 et Anvers St Jaure 1590 (selon nous XVIIIe siècle), Benoist Rigaud 1568 (XVIIIe siècle) et Pierre Rigaud 1566 (idem). Mais ces contrefaçons sont précieuses car elles correspondent à des états dont nous n’avons pas les originaux des dites éditions antidatées. Situation quelque peu paradoxale que celles où les éditions comportant les dates les plus ancienns ne sont que les calques d’éditions plus tardivement datées.

JHB
13. 09/12

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[1] Cf J. Halbronn, Les prophéties et la Ligu, in Prophétes et Prophétiesn Presses de l’Ecole Normale supérieure, 1998
[2] CORPUS NOSTRADAMUS 65 –« L'édition Regnault 1561, modèle des éditions parisiennes facétieuses de 1588-1589 «
[3] Voir cataloge en ligne Bibl. Mazarine
[4] Cf Benazra, RCN, p ; 182
[5] Cf Benazra, RCN, p 212
[6] Cf Benazra, RCN pp. 188, 190, 192
[7] Exemplaire à la Bib. Mazarine.
[8] Cf Benazrea, RCN, pp ; 140-149
 
116 - La production nostradamique face au doute (XVIe-XVIIIe siècles). Imposteurs et impostures.
Par Jacques Halbronn

Le nostradamologue est confronté à deux questionnements dont il ne saurait faire abstraction : la question des contrefaçons et celle des imitateurs. Il semble que le plus souvent, on préfére dénoncer ceux qui osent se servir du nom de Nostradamus- comme Nostradamus le Jeune ou Crespin Nostradamus que de traiter des textes qui paraissent sous son nom, à commencer par les Centuries.

Robert Benazra cite, dans son Répertoire Chronologique Nostradamique deux passages assez remarquables qui évoquent ceux qui exploitent impunément le filon Nostradamus.
1571 Premier passage (p. 99) :
« L’éditeur (Nicolas du Mont, Paris) dénonce tous ceux qui écrivent « sous le nom de Nostradamus… ils abusent grandement de cuider donner bruit & reputation à leurs ineptes escrits, pour faussement s’adonner estre ou voisins ou parents ou serviteurs de Nostradamus. L’un pour se faire valoir emprunte le territoire de Nostradamus, qui lui sert de surnom. L’autre pour estre mieux venu se dit disciple de Nostradamus : comme si Nostradamus avoit autrefois tenu escole, ou escrit livres par lesquels on pouvoit estre instruit en cet art. Celuy là natif de Paris renie sa patrie & se dit Provençal & cestuy –cy se dit Nostradamus le Jeune » Du Mont d’ailleurs écrit ce texte à la fin de son impression desPrésages pour treize ans (..) recueillies (sic) de divers autheurs & trouvées en la bibliothèque de defunct maistre Michel Nostradamus (…) mises (sic) en lumière (..) par M. de Nostradamus le Jeune. Le libraire déclare avoir été sommé de publier le dit texte, en quelque sorte contre sa volonté.

1578 Second passage (pp. 114- 115) : « Advertissement de Archidamus Astrologue de France. Il y a trois ans qu’il n’a composé Almanachs n’y intention pour l’advenir d’en faire pour l’occasion de la fausseté que y commettent en son nom au mépris que ont (sic) voit ordinairement en presence de tout le monde aucuns faux libraires, imprimeurs de ce Royaume se disant avoir mandement de luy. Laquelle chose iournellement avec leurs faussetez impriment au nom dudit, encores qu’il n’y a jamais pensé & pour endormir le peuple mettent avec privilége du Roy & si controuvent plusieurs noms comme Nostradamus le Jeune & Florent de Crolz & autres faux noms inventez & mettent en lumière un Almanach de Iean Colony qui a un an qu’il est décédé » Et Benazra de conclure : » Après cet exposé, nous nous devons de décerner la palme de l’escroquerie à Antoine Crespin dit Archidamus ! L’épitre est datée de Saint Denis, le 10 Novembre 1577 »
Les deux textes se recoupent en partie : il est dans les deux cas, fait allusion à Florent de Crox (pour Salon de Craux) et à Nostradamus le Jeune.
Quant à Archidamus, il se plaint d’imitations dont il serait victime alors que dans le premier texte, c’est lui qui est probablement visé quant à sa prétendue origine provençale qui est affichée au titre de la Pronostication avec ses présages pour 1571 (..) par M. Anthoine Crespin dict Nostradamus de Marseille en provence, Paris, Robert Colombel. Il est également question dans l’épitre de 1577 de Colony et il est d’ailleurs étrange que le lyonnais Benazra ne mentionne pas les ouvrages de ce Colony (Jean Maria et Marc) dont certains sont conservés à la Bibliothèque de Lyon La Part Dieu.

Commençons par quelques observations : Le texte que Du Mont publié en 1571 n’est nullement une pièce originale mais la refonte d’un ouvrage paru en 1568 sous le titre de Prédictions pour vint ans, continuant d’an en an,(…) mises en lumière par M. de Nostradamus le Jeune » Rouen Pierre Brenouzer et quoi n’est enfait- on le verra dans une prochaine étude- que la reprise d’un ouvrage italien traduit en français en . On a remplacé Prédictions par Présages, d’où le féminin incorrect du sous titre de 1571, à deux reprises. L’Epitre au duc d’Alençon est reprise en 1571 mais on ne sait pas si elle est de Nostradamus le Jeune ou de Michel de Nostredame puisque Nostradamus le Jeune se contente de le « mettre en lumière ». Signalons qu’une adresse à un très jeune prince se retrouvera pour le fils d’ Henri IV, né en 1601, chez l’astrologue Jason de Netlac :dans son Almanach ou Ephémèride pour l'an Mil six cens quatre contenant amples prédictions du changement et mutations de l'air...le tout diligemment calculé. A Monseigneur le Dauphin ( Paris, F. Hubyt,BNF 8°V 12736), ouvrage comportant un quatrain par mois non centurique Quant au contenu, il serait pris de divers auteurs figurant dans la bibliothèque du dit Michel de Nostredame. Pour notre part, nous n’excluons pas que l’épitre ait été de la plume de « Nostradamus » mais nous ne pensons pas qu’elle ait été adressée au duc d’Alençon, tant le texte est éloigné du style d’une épitre adressée à un jeune prince. On comparera d’ailleurs cette épitre à celle figurant en tête de la Pronostication pour 1567 d’un certain Mi. de Nostradamus, à Paris, chez Guillaume de Nyverd, lequel avoue, dans cet ouvrage qu’il est un disciple de Nostradamus, point relevé par Jean Dupébe mais que désormais il écrira sous un autre nom (probablement celui de Florent de Crox).
Pour
tout dire cette déclaration de Nicolas du Mont à propos de ces Présages pour treize ans semble assez incongrue vu qu’il ne s’agit que d’une resucée, assez maladroite, d’une série de prédictions annuelles dont Nostradamus le Jeune ne revendique même pas la paternité dans l’édition d’origine de 1568, réalisée peu après la mort de Nostradamus. Cette mise en cause de Nostradamus Le Jeune nous semble assez outrée d’autant que le même Nicolas du Mont publie en cette même année 1571 la Demonstracion de l’éclipse lamentable que dura le long du jour de la Sainct Michel dernier passé 1571 (…) par M. Anthoine Crespin Nostradamus de Provance »ainsi que l’Epistre demonstrative faicte à (..) Elizabeth d’Autriche, fille d’Empereur & Reine de France par M. Anthoine Crespin Nostradamus. La mention provençale a cette fois disparu.
En
ce qui concerne le second passage, le dit Crespin Archidamus (et non Nostradamus) parle d’almanachs parus sous son nom. Or, nous n’avons pas connaissance de ce type de publication annuelle ni sous le nom de Crespin Nostradamus ni sous celui de Crespin Archidamus. On a l’impression que l’on a remplacé le nom d’un autre auteur par celui de Crespin.
Ce que nous retenons, c’est que dans les deux passages distants de sept ans environ, on met en cause Nostradamus le Jeune et que c’est ce même Nostradamus le Jeune dont le nom figure sur la page de titre de l’ouvrage à la fin duquel est placé cet avertissement du libraire Nicolas du Mont. Or, à notre connaissance, cela fait plusieurs années, en 1577, que l’on ne voit plus figurer le nom de Nostradamus le Jeune. Même la forme Crespin Nostradamus n’est plus utilisée depuis 74, remplacée par celle d’Archidamus. Mais c’est bien sous le nom de Crespin Nostradamus que deux textes sont parus chez Nicolas du Mont, en 1571.
Nous
serions donc enclins de voir dans ces passages une opération dirigée contre Nostradamus le Jeune en ce qu’on le met dans le même sac que des auteurs se servant à leur façon du nom de Nostradamus. Cela nous renvoie au dossier Nostradamus Le Jeune qui jette une lumière assez singulière sur la succession et le testament de Michel de Nostredame (ou Nostradame), et sur l’an 1566 et notamment sur la fortune de l’épitaphe, dont on connait plusieurs moutures, ce qui pose aussi la question du personnage de César Nostradamus dont le nom figure sur une certaine version de la dite épitaphe, telle qu’elle est reproduite à la fin de l’édition 1698, de Lyon, des Prophéties[1].
Or en 1566, César n’est âgé de 13 ans environ.
Mais l’on sait à quel point le cas Crespin est complexe. D’une part du fait du changement de surnom, passant de Crespin (dict) Nostradamus à Crespin Archidamus, seigneur de Haute Ville, autour de 1573 et d’autre part en raison de la présence massive dans les écrits de Crespin Nostradamus (et non Archidamus) de passages qui se retrouvent dans les Centuries, sans que le mot « centurie » ne soit utilisé. On peut dire que les publications de Crespin Nostradamus sont truffées d’extraits de quatrains issus des centuries prophétiques, ce qui va plus loin que le simple usage d’un nom propre. On connait aussi l’usage des quatrains-présages y compris dans les éditions parisiennes des Centuries datées de 1588-1589 ou non datées.(empruntant à l’almanach pour 1561). L’usage de quatrains centuriques n’ est pas, à notre connaissance, attesté avant 1586/1587. Or les publications de Crespin Nostradamus, avec emprunts centuriques, se situent dans les années 1570-1573, soit une quinzaine d’années plus tôt à une date où les Centuries de Nostradamus n’étaient pas encore parues.. Nous avons envisagé, récemment, l’hypothèse de deux auteurs ayant successivement écrit sous le nom d’Antoine Crespin : le premier, Crespin dict Nostradamus puis Crespin Nostradamus mariant la prose et les vers et un second Crespin se surnommant Archidamus qui produisit surtout des prédictions pluriannuelles, dites « astronomiques » dans le style de la « Préface » de Michel Nostradamus « jusqu’à 1570 » dans l’almanach pour 1562 (cf notre récente étude sur Nostradamus et l’Italie) et autres prédictions perpétuelles sur 28 ans. Ce second Crespin, « seigneur de Hauteville » ayant exercé à partir de 1574.
La comparaison des pages de titre des deux séries nous a conduit aux observations suivantes : Crespin Archidamus, en 1573 (chez Benoist Rigaud), se présente comme ‘astrologue ordinaire du dit Roy & de la Royne Princessse de Savoye et de Monsieur l’Admiral de ce Royaume ». La même formule est reprise en 1574 dans l’Epistre de profetie de paix, Lyon Jean Patrasson Alors qu’en cette même année 1573, Crespin Nostradamus est désigné (à Vienne, chez Nicolas Martin) comme « Astrologue ordinaire du grand Roy & Empereur de France. Et de la duchesse de Savoye & de l’Admiral du dit Royaume ». Cette formule se retrouve en 1571 au titre de la Demonstracion de l’éclipse lamentable, chez Nicolas du Mont et en 1572 au titre des Prophéties par l’astrologue du tres chrestien Roy de France & de Madame la Duchesse de Savoye, Lyon François Arnoullet..
Est-ce que la Duchesse de Savoie aurait changé de qualité pour devenir « Royne Princesse de Savoie » ? Marguerite de France, fille de François Ier, sœur d’Henri II, devint duchesse de Savoie en 1559, à la suite du traité du Cateau Cambrésis, et mourut à Turin, le 15 septembre 1574, ce qui explique que Crespin Archidamus ne s’y référe plus après cette date. Mais il semble qu’il avait pris l’habitude de ne pas la désigner en tant que « duchesse de Savoie », probablement en raison de sa naissance royale. Le fait que CrespinNostradamus utilise la forme « duchesse de Savoie » nous semble donc pouvoir faire problème. Pourquoi aurait-il changé de formule aussi soudainement ? Signalons que le nom de Crespin est familier en Savoie, on le retrouve sous la forme Saint Crespin (commune proche de Briançon). Certaines de ses épitres sont envoyées de Turin. Ce qui pourrait expliquer un certain attachement de ce « Crespin », probablement un savoyard, à sa « reine » Marguerite de Savoie et la forme particulièrement flatteuse dont il use...A propos de la Savoie, signalons, par la suite, en 1600 l’Oracle de Savoie qui met en cause le duc de Savoie (Lyon, Claude Gilet, BNF Res 8° Lb35 752)
On sait que certains détails « tuent ». L’usage de « duchesse de Savoie » n’est pas attesté sous la plume d’Antoine Crespin Archidamus, d’où la nécessité de distinguer entre Crespin Archidamus, personnage authentique et Crespin Nostradamus, personnage fictif, situé non pas après lui comme divers imposteurs mais avant lui. Que vaut dès lors le «témoignage » de Nicolas du Mont concernant cet astrologue provençal, ce qui recoupe les intitulés de 1571 associés à Crespin Nostradamus ? Les textes les plus marqués par les Centuries sont les Prophéties de 1572 et la Demonstracion de l’Eclipse, tous deux signés Crespin Nostradamus. Mais Benazra note (RCN, pp. 94- 95) que dès la première pièce recensée, à savoir la Prognostication avec ses présages pour l’an 1571, Paris, R. Colombel, « le quatrain du titre est une combinaison des quatrains (X, 1) et (VIII, 29), extraits donc du second volet » Trois solutions s’offrent à nous : A- ces parutions du Crespin dict Nostradamus sont authentiques et on a la preuve définitive de l’existence sinon des centuries du moins des éléments qui les composent, dès la fin des années 1560 (on trouve une référence à 1569)
B- les éditions à 10 centuries étaient déjà parue en 1568 chez Benoist Rigaud 1568 dont deux textes de Crespin Nostradamus signalent l’épitre de Juin 1558, in Epistre envoyée à M. Crespin Nostradamus et in Epistre à la Royne Mère[2], toutes les deux en date de 1573. Or, l’une des épitres est signée Crespin Nostradamus, et l’autre Crespin Archidamus, chez Benoist Rigaud. Crespin Archidamus », chez un petit libraire de Vienne (Dauphiné), Nicolas Martin, pièce calquée sur l’Epistre de prophétie de paix, par Crespin Archidamus Lyon, J. Patrasson, 1574. L’année 1573 est en effet l’année de jonction entre les deux Crespins.
C - ou bien ces parutions de Crespin Nostradamus sont des contrefaçons –une demi-douzaine environ- puisque les autres sont bel et bien de Crespin Archidamus, encore que la Prophétie merveilleuse (…) depuis 1590 iusques 1598, dédiée à l’éphémère « Charles de Bourbon X. de ce nom », Paris, Pierre Mesnier, soit contrefaite à partir des Pronostications astronomiques du dit Crespin Archidamus –mais avec des positions planétaires ne correspondant pas aux années indiquées- paraissant chez un des libraires parisiens publiant les Centuries.(1589 et seq). Nous avons retrouvé une Prognosticatiion générale du cieclee soleire (sic) qui se fait en XXVIII ans (…) par M. C. Archidamus, Lyon, Jean Patrasson, 1604, un des libraires attitrés depuis le début d’Archidame jamais associé à Crespin Nostradamus. Le nom Crespin a disparu est est remplacé par [3]une initiale.
Benoist Rigaud semble avoir été actif dans le lancement de ce Crespin Nostradamus. S’il a publié du Crespin Archidamus, on le trouve également faisant paraitre en 1571 du Crespin Nostradamus. L’Epistre dédiée à Charles IX, parait en effet à la fois à Paris chez Martin Le Jeune et à Lyon chez Benoist Rigaud, ce que ne signalent pas les bibliographies de Chomarat et de Benazra.
L’intention de placer ce Crespin Nostradamus au lendemain de la mort de Michel de Nostredame est illustrée dans l’Epistre envoyée à M. Crespin Nostradamus, Lyon, Benoist Rigaud, 1573 envoyée de Constantinople, en date du 20 septembre 1572 : « prophéties (..) par le dict Astrologue surnommé de France Nostradamus nous a délaissées obscures & involuées tant de luy que du defunct Maistre Michel Nostradamus ». Comme on l’a dit les textes de ce Crespin Nostradamus fourmillent d’emprunts aux centuries, alors que Crespin Archidamus, par la suite, étrangement, n’en aura cure.

La question qui reste posée en cas de contrefaçon concerne la date, le contexte et le mobile. Le mobile, c’est évidemment la volonté de valider une parution avant 1570 des Centuries, ce qu’est censé confirmer un Antoine Couillard, par ailleurs, avec ses emprunts à la Préface à César. Il y a toutefois une objection : qui prit connaissance de ces « preuves » ? Ce que les historiens peuvent connaitre de nos jours était-il conscient à l’époque ? Est-ce que lorsque « Crespin » utilise tel et tel verset des Centuries, l’on s’en rend compte, qui s’en aperçoit ? De même d’ailleurs, peut-on se demander qui remarque que tel quatrain évoque tel événement quand cela n’est pas explicité ? Il faut probablement faire la part d’une certaine tradition orale comme par exemple sous la Révolution, on s’était passé le mot qu’il fallait absolument aller lire telle page du Mirabilis Liber dans telle bibliothèque parisienne.[4].
On est là dans une dynamique de rumeur. Quant à la fixation de la période où l’on aurait construit ce « Crespin Nostradamus » pour valider après coup des éditions elles-mêmes antidatées, cela se situe dans une logique d’éditions posthumes, de peu antérieures aux débuts du dit Crespin Nostradamus (1569-1570) et donc forcément pas avant l’émergence des dix premières centuries. On notera que ces textes attribués à ce Crespin Nostradamus accordent une grande importance à l’an 1584. C’est assez logique, chaque génération d’astrologue ayant ses propres échéances, de vingt ans en vingt ans, du fait des conjonctions Jupiter- Saturne qui se renouveellent à un tel rythme/ L’émergence des sixains au XVIIe siècle aura certainement éveillé un certain scepticisme dont Giffré de Réchac se fait l’écho dans son Eclaircissement des véritables quatrains (1656)[5] en s’interrogeant sur l’authenticité des quatrains présages, du fait des faux almanachs qui circulaient déjà de son vivant, dans les années 1560.. Les éditions du milieu du xVIIe siècle se soucient des éditions peu fiables.
Ainsi, en 1668, peut-on lire en tête d’une édition des centuries (Paris, J. Ribou, sur la copie d’Amsterdam) : « Toutes les autres impressions ont esté pleines d’erreurs tant par rapport à l’orthographe des mots qu’à cause de la substance des vers qu’on y a changez & à quoy j’ai remédié dans celle cy « . Il est probable que la publication, sous la Régence, de l’édition Pierre Rigaud 1566 ait tenté de calmer certaines interrogation qui sont notamment exprimées en 1724 dans une « Lettre Critique sur la personne & sur les écrits de Michel Nostradamus », (Mercure de France, Aout 1724, novembre 1724). C’est probablement pour faire taire certains doutes que l’on se mit à produire de fausses éditions datant du lendemain de la mort de Nostradamus. On y réussit assez bien en dépit de la bévue du choix du libraire pour Rigaud 1566, (avec épitaphe à l’appui) au point que cette édition soit désignée comme « princeps » chez Torné Chavigny, sous le Second Empire. Pourquoi ne l’aurait-on pas fait pour ce Crespin Nostradamus, garant de la parution à la fin des années 1560 des dix Centuries d’autant que la bibliophilie nostradamique prenait son essor, condition nécessaire à toute entreprise de contrefaçon ? Toutefois, la thèse d’un Crespin Nostradamus fabriqué ultérieurement après la parution des Centuries fait probléme.,. D’une part,, parce qu’à aucun moment il n’est fait référence au mot « centurie » chez Crespin Nostradamus ni d’ailleurs chez Crespin Archidamus et parce que la fabrication de plus d’une demi douzaine de pièces contrefaites semble disproportionnée.
D’autre part, parce que, contrairement à ce que d’aucuns pensent, on ne pouvait pas se prétendre impunémnt un « Nostradamus ». Pour nous, ni Nostradamus le Jeune ni Crespin Nostradamus ne sont des imposteurs en recourant à ce patronyme latinisé. Nous proposons actuellement une thèse à trois niveaux : 1 le niveau Michel le fils ( années 1568-1571) 2 le niveau Antoine Crespin (années 1571-1586) 3 le niveau César de Nostredame (1587-1594)
Le premier niveau s’articule autour de l’ainé de la fratrie, Michel qui, à part le fait d’avoir réédité l’Opuscule, s’est contenté de reprendre une traduction française prise de l’italien (cf notre récente étude sur Nostradamus et l’Italie). Il reste l’épitre au duc d’Alençon dont nous ne sommes nullement certains qu’il soit l’auteur. Il est tué en 1574 mais on ne connait plus rien de lui après 1571.
Le deuxiéme niveau s’articule, à partir du début des années 1570 sur Antoine Crespin qui apparait d’ abord sous le nom de « Crespin dict Nostradamus », au demeurant fort doué pour l’écriture, surpassant probablement Michel de Nostredame par son style, tant en prose qu’en vers. Etrangement, il reprend à son compte dans les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation française un quatrain utilisé par Nostradamus le Jeune, placé sous le portrait de celui-ci, lequel figurera en tête de la première centurie.
Le troisiéme niveau concerne César lequel se barde, au cours des années 1580, d’une fausse « préface » dans laquelle Nostradamus lui aurait confié, à lui son fils préféré, certains documents, en l’occurrence les centuries. Un César qui semble beaucoup moins bien formé aux ficelles de l’astrologie que son frère Michel mais qui a un fort penchant pour la poésie..
On aura compris que le plus prometteur de ces trois personages est bel et bien Antoine Crespin dit Nostradamus. Ce qui expliquerait que l’on ait fait les Centuries en puisant notamment dans son œuvre. Doit-on d’ailleurs dissocier Antoine Crespin Nostradamus de Nostradamus le Jeune ? Certains éléments nous conduisent à penser que Nostradamus le Jeune a pu opter pour cette nouvelle identité. On retrouve le fameux quatrain que Nostradamus le Jeune mettait en exergue sous sons portrait, en tête des adresses des Prophéties de Crespin, parues à Lyon chez Arnoullet. Ce même quatrain qui se placera en tête des Centuries. Le passage de Crespin Nostradamus à Crespin Archidamus correspond à la date de mort de Nostradamus Le Jeune en 1574, dans le Vivarais. Le Crespin Archidamus semble plus fortement lié à la Savoie que son prédécesseur, cela ressort de la façon, on l’a vu, dont il qualifié la duchesse Marguerite de Savoie, « royne & princesse »[6]..


JHB
20.
0 9 12

________________________________

[1] Cf Benazra, RCN, p. 279-280 n’en a pas donné
le texte complet qui comporte mention du diit César
[2]Cf Documents inexploités sur le phenomene Nostradamus, pp. 52-( 53
[3] Benazra, RCNn 105-106
[4] Cf Le Texte prophétique en France, formation
et fortune, Ed. du Septentrion, 1999
[5] Cf notre post doctorat 2007, Le dominicain Giffré de Réchac et la naissance de la critique
nostradamique au xVIIe sièclen EPHE Ve
sectionn, propheties. it
[6] Cf nos longs développements sur Crespin dans notre présentation du reprint des
« Prophéties dédiées à la puissance
divine & à la nation française », Ed Ramkat, 2002
 
117 - Avatars de l’épitaphe de Nostradamus
Par Jacques Halbronn

Les éditions d’ouvrages de Nostradamus, quels qu’ils soient, qui paraissent au lendemain de sa mort ne comportent pas d’épitaphe même si au titre elles se référent à son dossier. On trouve cette épitaphe dans le Brief discours sur la vie de M/ Michel de Nostredame (in Première Face du Janus François) ou du moins une version de ce texte. Mais peut être ce Brief Discours aura-t-il connu une édition qui se serait perdue et dont il serait issue puisqu’il se présente comme un résumé, un ‘sommaire »[16] ?
Toujours est-il que d’autres versions du Brief Discours et par là même de l’épitaphe, vont circuler au XVIIe siècle et notamment dans les éditions Troyes Pierre Du Ruau, dans l’Eclaircissement des Véritables Quatrains de Giffré de Réchac (1656), dans leur traduction anglaise de 1672. Le dominicain est allé voir sur place :
« Il fut enterré dans l’Eglise des Cordeliers à main gauche de la porte de l’Eglise, où la veufve fit dresser un Epitaphe, sur une table de marbre, attachée à la muraille avec son pourtrait au naturel & ses armes dont voicy les paroles qui estoient dessus » L’épitaphe se conclut ainsi : « Anne Ponce Gemelle souhaite à son mary tres aimable la félicité » (pp 35-37) Ce dernier élément est absent dans la version rendue par Chavigny : Le nom de la dernière épouse de Michel de Nostredame n’est pas fourni ni à cet endroit ni dans le cours du récit de la vie de Nostradamus. On a déjà signalé dans d’autres études que la liste des enfants de Nostradams n’est pas non plus la même, la liste de Giffré de Réchac met en premier un fils prénommé Michel, alors que dans le Janus, le premier fils est César. On pressent une histoire de famille.
En 1698, parait à Lyon, une édition ne comportant pas la Vie de Nostradamus mais le seul texte de l’épitaphe, à l’instar de ce qui se passera lors de l’édition Pierre Rigaud. Dans un cas, l’épitaphe est en queue, dans l’autre, il est en tête Dans le Brief Discours, on lit : ‘Sur son sepulcre fut inscrit & gravé tel Epitaphe, fait à l’imitation de celui de Tite Live (…) qui aujourd’hui se void en l’Eglise des Cordeliers de Salon où le corps d’iceluy fut ensevely honorablement & porté. Qui pour estre allégué cy après en Latin tel qu’il est insculpé, je le traduyrai ainsi »
On trouve dans l’édition 1598 avec marqué « Epitaphe gravée sur le tombeau de Mr Nostradamus à Salon en provence, un chapeau en latin absent ailleurs » En dessous, commence l’Epitaphe par ces mots : «Michael Nostradamus regis medicus et consiliarius. Opus Cesaris. Epitaphium .D. O. M. « Le nom de César de Nostredame y figure en tant qu’auteur du travail de gravure. Mais à quel moment cela eut-il lieu ? Le reste du texte est inchangé.

En tout cas, voici qu’émerge le nom de César. « Opus Cesaris ». La mention n’en est faite ni dans le Brief Discours, ni chez Giffré de Réchac.
Un détail : dans le Brief Discours, on dit que Nostradamus est mort âgé de 62 ans, six mois et 17 jours alors que dans la version, prise directement, il est mort âgé de 62 ans, six mois et 10 jours.

Tout au long du XVIIe siècle, c’est la version Chavigny du Brief Discours qui correspond à « Vie de l’Autheur » annoncée au titre. La seule exception est donc en 1672 la traduction anglaise de l’Eclaircissement The True Prophecies or Prognostications of Michael Nostradamus.
Nombre d’éditions centuriques ne comportent toutefois pas de « Vie ».
En 1698, nous avons vu qu’une autre version de l’épitaphe est publiée, à Lyon, qui ne correspond tout à fait ni à la version du Brief Discours ni à celle de la description de l’épitaphe telle qu’elle apparaissait à Salon. Elle nous semble plus complète que les deux autres. On ignore d’où pouvait bien sortir un tel document, qui ne sera pas repris lors dans l’édition Pierre Rigaud 1566/ On sait que la seconde parti du XVIIe siècle voit reparaitre diverses pièces comme une version plus correcte de la Préface à César.

L’épitaphe nous ramène au testament de Nostradamus de 1566 et dont nous avons déjà traité ailleurs. La thèse que nous soutenons présentement est la suivante : le texte repris en 1698 pourrait correspondre au modèle de l’épitaphe, dont on aurait retrouvé le manuscrit. Le texte gravé sur la tombe diffère par l’absence du chapeau latin et la mention de César : opus Cesaris. Enfin, le texte du Brief Discours en faisant disparaitre et le nom de la mère et de César correspond à la version la plus répandue.
Mais Réchac ne propose seulement un texte rétabli de l’épitaphe gravé sur le marbre mais aussi d’autres données biographiques relatives aux fils de Nostradamus. Or, l’on ignore ses sources sinon qu’elles semblent ici corroborées par l’examen de la production nostradamique avec l’évidence d’un rôle imparti à Nostradamus le Jeune.
Autre élément important : le Testament ne semble guère compatible avec la Préface à César ou plus exactement au fait que le texte de la Préface soit adressé à César, ni daté initialement de 1555. Le testament indique en effet en 1566 que Nostradamus n’a pas encore décidé à quel fils il léguerait ses papiers. Tout se passe comme si cette Préface, sous une forme proche de celle recueillie par la traduction anglaise (et en français par Antoine Besson), était datée de 1566 et ne précisait pas le nom du fils, laissé en quelque sorte en blanc.
Préface de Michel Nostradamus adressée à son fils (……) / A plusieurs reprises, la forme « mon fils » est reprise, valant pour n’importe lequel de ses fils. Sauf au début où le nom de César est présent mais il aura été rajouté, en complément de « mon fils ». « Ton tard avenement en ce monde terrien, Cesar Nostradamus mon fils etc » Et aussi à la fin « Prens donc, mon fils César, ce don de ton progéniteur Michel Nostradamus ». Le caractère posthume du texte ne fait guère de doute : « à toy délaisser un mémoire après la corporelle extinction de ton progéniteur au commun profit des humains etc » Il est clair qu’en 1555, une telle épitre ne faisait guère sens d’autant que Nostradamus n’avait pas encore composé une grande partie de son œuvre. Le ton se prête mieux à un mourant dont les jours sont comptés et qui a préparé sa succession. Même en 1566, ses fils sont encore bien jeunes sans être au berceau.
Pour notre part, nous pensons que l’ainé de ce nouveau lit portait le prénom de son père, Michel (nom biblique) et il n’est pas étonnant que le nom de Nostradamus le Jeune apparaisse non pas en tant qu’auteur mais que responsable de la publication de certains textes. Il semble que son frère étant mort assez tôt (en 1574), César ait voulu prendre le relais en promouvant des textes qui n’étaient pas de son père, à savoir les Centuries, profitant d’une certaine ambigüité due au fait que Nostradamus avait publié des quatrains dans ses almanachs et qu’il avait probablement rédigé un « Commentaire » à leur sujet/ « espérant à toy déclarer une chacune des Prophéties & quatrains cy mis » . Cette formule se retrouve dans l’article Nostradamus de la Bibliothèque de La Croix du Maine ; On y parle des « quadrins ou prophéties » de Nostradamus, parus en 1556 et un peu plus haut des «quadrains & prophéties » C’est, selon nous la forme « Quadrains & Prophéties » ou « Prophéties & Quatrains » qui doit prévaloir. Cela signifie qu’il y a d’une part des Prophéties et de l’autre des quatrains, ce qui décrit fort bien les deux volets de l’almanach : les prophéties sont en prose, les quatrains en vers.
En fait, si l’on examine les différentes versions de la Préface « à mon fils », on trouve : « une chacune des propheties des quatrains icy mis » (Rosne 1557 Utrecht, Rigaud etc) «every prophecy of these Stanza’s » (Garencières, 1672) Le passage ne figure pas dans Rosne 1557 Budapest.
En fait, la seule version qui nous semble correcte est celle rendue par Antoine Besson, vers 1691, quelques années seulement avant l’édition Lyonnaise de 1698 porteuse d’une version singulière de l’épitaphe.

En supprimant la conjonction de coordination copulative « et » pour la remplacer par une conjonction de coordination disjonctive « ou », l’on ouvrait la porte aux centuries de quatrains prophétiques, avec une extraordinaire économie de moyens. Toute la partie en prose était ainsi gommée d’un trait de plume, et ce en dépit de l’existence d’un Recueil des Présages Prosaïques. Selon nous, donc César dans les années 1580 entend se servir de sa qualité de fils de Nostradamus pour mettre en place une nouveau travail supposé légué par son père. Il se veut désormais chargé de ce qui avait été d’abord dévolu à son frère et pour éviter tout débat, il situe l’épitre testamentaire non pas en 1566 mais au lendemain de sa propre naissance (fin1553). Mais nous pensons que parallèlement, il conçoit un nouvel épitaphe pour se poser définitivement en tant que fils désigné et responsable de ce que son père a laissé. Et c’est ce texte qui reparait en 1698.. Quant au Brief Discours de la Vie de son père il est également retouché de façon à ce que ce soit bien César qui apparaisse en tant qu’ainé. Il faut aussi que le testament soit modifié en conséquence pour qu’il n’y ait plus trace de Michel. Mais par précaution, on laisse entendre que ce Nostradamus le Jeune est un imposteur, d’où la déclaration prêtée à Nicolas du Mont, Crespin Nostradamus la reprenant à son compte.
Mais la vérité résiste et l’état antérieur de la Vie de Nostradamus réapparait, que l’on retrouve chez Giffré de Réchac en 1656.
Mais pourquoi le nom d’Anne Ponce Gemelle est-il effacé en deux endroits ? Il y a là certainement quelque règlement de compte. Peut être s’était-elle opposée au subterfuge consistant à attribuer à son époux des textes dont il n’était pas l’auteur.
C’est dire que l’on n’hésitait guère en ces temps là à contrefaire le passé et notamment les textes qui en traitent. Mais il est difficile de supprimer totalement les documents d’origine et il revient aux historiens de débrouiller l’écheveau de tels procédés. En attendant, l’on peut se demander ce qu’il est advenu du « commentaire » annoncé par Nostradamus concernant ses « prophéties » mensuelles, annuelles, an par an, et ses quatrains. Nous pensons que ce commentaire a été peu ou prou récupéré dans la première face du Janus François pour les années allant jusqu’à la mort de Nostradamus, probablement jusqu’en 1565. En cela, l’édition Paris 1596 comporte une formulation erronée : Commentaires du Sr De Chavigny sur les Centuries et prognostications de feu M. Michel de Nostradamus. On note la conjonction « et », ce qui signifie que les Centuries sont les quatrains et les prognostications les textes en prose, comme dans la version Besson de la Préface au Fils. En revanche, l’édition anglaise donne « The true Prophecies or Prognostications », ce qui porte à confusion. Notons au XVIIe siècle, la forme « Vrayes Centuries et Prophéties » qui préserve le ‘et ». et ne doit pas être lue comme un « ou ». Etrangement, le fait d’avoir nommé simplement « Prophéties » certaines éditions des Centuries nous apparait comme une aberration, puisque Prophéties ne saurait désigner en aucune façon les quatrains mais bien les textes en prose.
P. Guinard [17]a accordé beaucoup d’importance au témoignage de Claude Haton. Il veut y voir la pièce maitresse, datant de 1570, concernant la parution des éditions des Centuries aux dates de 1555, 1557 et 1560. Citons deux passages des mémoires de Haton. Premier extrait ; « Pour ce temps entroit en grand bruict ung astrologue mathematicien de Salon de Craux, en Provance, nommé maistre Michel Nostradamus, docteur en medicinne, faiseur de propheties et almanacz ; lequel, par sesdictz almanacz et propheties, predisoit mout de cas à advenir en la chrestienté, mesmement la desolation d'icelle, et nommement ès pays de France et Allemagne, parlant une fois appertement du mal à advenir esdictz pays, une aultre fois par termes couvers, enigmes et dictions desguisée ; principallement des maux futeurs à advenir à la France, touchant le changement de la monarchie françoise, de l'Eglise et de la religion catholicque, chose que les plus expertz ne povoient comprandre, jusques à ce qu'ilz ont veu l'execution des faictz de laditte prediction ».
Nos commentaires : on mentionne des almanachs et des prophéties, ce qui correspond aux publications annuelles des almanachs (pour les 12 mois) et des prognostications (pour les 4 saisons), lesquelles pouvaient être extraites de publications pour plusieurs années, étant donné que rédiger une pronostication prenait en gros trois fois moins de temps que de composer un almanach, lequel comporte des quatrains mensuels plus éventuellement un général pour toute l’année..

Second extrait :« Luy-mesme n'entendoit pas, en maniere de prophetie, du mal qui est depuis advenu dix, douze et quinze ans après qu'il l'a predict et mis par escript : lesquelles predictions ou propheties ont esté entendues par l'execution qui en a esté faicte à veu d'œil. » Que comprend le lecteur de ce passage ? Que Nostradamus a publié un texte en 1555 et que l’on a pu vérifier ses dires en 1565, 1567, 1570. Mais Guinard, lui, comprend autre chose dans sa recherche laborieuse et tirée par les cheveux de « preuves » : qu’il y a eu trois éditions successives (cf supra). La seule question qui se pose réellement est la suivante : qu’est ce que cette publication datée de 1555 et qui désignait-elle ou telle année dix, douze, quinze ans plus tard et l’on s’arrête là puisque on est en 1570 ? A notre connaissance, avant Chavigny, dans la Première Face du Janus François (1594) l’idée que l’on pouvait interpréter un texte sans tenir compte de la date à laquelle il est référé ou, pis, sans date du tout si le texte ne concerne aucune date particulière ne correspondait pas à une pratique avérée 25 ans plus tôt. On a toujours félicité Nostradamus de son vivant pour la précision des années voire des mois, compliment que l’on aurait eu du mal à lui adresser avec les quatrains centuriques, - le mot centurie comme le mot quatrain n’étant d’ailleurs pas employé par le dit Claude Haton. Mais alors à quelle publication Haton fait-il allusion ? Un almanach ou une pronostication ne couvrent qu’un an. Comme le note Brind’amour, in Nostradamus astrophile, cité par Guinard, il semble bien que le dit Haton songe à des Prédictions pour plusieurs années dont on connait une édition « mise en lumière » - Prédictions pour 20 ans - par Nostradamus le Jeune en 1568 mais dont la première année du recueil de prédictions est 1563 et dont on dispose d’une réédition abrégée des années déjà écoulées, en 1571, Présages pour 13 ans, Paris, Nicolas Du Mont. Etonnamment Guinard réfute le point de vue avisé du chercheur québécois ainsi « Enfin Brind'Amour croit qu'il aurait pu confondre les almanachs de Nostradamus avec les publications, probablement collectives, signées au nom de Nostradamus le Jeune à partir de 1571 : c'est très improbable, d'autant plus que la rédaction de son témoignage a précédé la sortie de ces publications. » Comment se peut-il que Guinard ignore que l’édition citée par Brind’amour n’est qu’une réédition d’une impression parue en 1568, à Rouen chez Pierre Brenouzer et que Benazra cite (pp. 90-91) dans son RCN paru en 1990, soit quinze ans avant son article, ouvrage également signalé par Chomarat dans sa Bibliographie Nostradamus (p. 63, n°107 ? Il est vrai que ni Benazra ni Chomarat ne font le lien entre l’édition de 1568 et celle de 1571, alors que l’épitre au duc d’Alençon qui figure dans les deux cas, à l’identique, aurait du les mettre sur la voie. Il reste la question des 15 ans qui implique une publication du même ordre mais plus ancienne que celle que nous venons de mentionner. Nous pensons que Claude Haton a du avoir dans les mains des Prédictions sur plusieurs années d’une édition datant de 1555 et il serait logique que Nostradamus le Jeune n’ait fait qu’éditer un type de publication qui était déjà paru, cette fois, sous le nom de Michel de Nostredame, couvrant des années antérieures.. Il est vrai que Guinard ayant décidé que tout ce qui portait le nom de Nostradamus le Jeune était suspect et par là même négligeable, a exclu d’office que Nostradamus ait pu produire ce type de publication couvrant plusieurs années alors que c’est justement de cela que traite Haton.
On remarquera que Haton quand il écrit «qui est depuis advenu dix, douze et quinze ans après qu'il l'a predict et mis par escript : lesquelles predictions ou propheties ont esté entendues par l'execution qui en a esté faicte à veu d'œil. » ne se référe pas nécessairement à 1555. Il peut s’agir d’une publication plus ancienne, datant par exemple du début des années 1550 et on ne voit pas pourquoi Haton jugerait pour ce qui concerne l’année 1570, non encore achevée vraisemblablement au moment où il écrit. C’est probablement ce même type d’ouvrage qui est visé en Angleterre- et dont P. Guinard tire argument pour attester d’une édition des Centuries[18] en 1563, année justement de départ des Prédictions pour 20 ans éditées en 1568. Des archives de librairies ont également interpellé certains chercheurs comme Gérard Morisse, à propos de l’usage du mot « Prophéties » associé un peu vite et un peu tôt avec les Centuries.

JHB 17 09. 12
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[1] Cf Benazra, RCN, pp. 67-68
[2] Il y a 20 ans, nous avions abordé cette question dans « Une attaque réformée oubliée contre Nostradamus (1561) in revue Réforme, Humanisme Renaissance, n°33, Décembre 1991, que l’on peut trouver sur Internet.
[3]Cf planches in Chomarat, Bibliographie Nostradamus, pp. 42 et 50
[4] Cf Benazra, RCN, p. 77
[5]CORPUS NOSTRADAMUS 54 -- par Patrice Guinard« Quatre pronostications sous influence nostradamique »
[6]CORPUS NOSTRADAMUS 65 –« L'édition Regnault 1561, modèle des éditions parisiennes facétieuses de 1588-1589 «
[7] Reris sur papier en 2008 dans la Revue Française d’Histoire du Livre
[8](RCN, pp. 118 et seq
[9] Voir le travail de Catherine et Robert Amadou à ce sujet.
[10] Cf notre étude « Les prophéties et la Ligue. » Paris, 1998
[11] Cf Benazra, RCN, p. 279-280 n’en a pas donné le texte complet qui comporte mention du diit César
[12]Cf Documents inexploités sur le phenomene Nostradamus, pp. 52-53
[13] Benazra, RCNn 105-106
[14] Cf Le Texte prophétique en France, formation et fortune, Ed. du Septentrion, 1999
[15] Cf notre post doctorat 2007, Le dominicain Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamique au xVIIe sièclen EPHE Ve sectionn, propheties. it
[16] J. Halbronn « Contribution aux recherces bio-bibliographiques sur Michel de Nostredame », Espae Nostradamus
[17]CORPUS NOSTRADAMUS 11 –« Les Mémoires de Claude Haton : un témoignage exceptionnel sur Nostradamus »
[18]CORPUS NOSTRADAMUS 25 -- par Patrice Guinard « Les premières éditions des Prophéties 1555-1563 (État actuel des recherches, repères bibliographiques, et conjectures)«
 
118 - Nouvelle approche des éditions parisiennes de la Ligue « Garde toy bien qu’en ton pays ne vienne/ Il y auroit de terribles dangers/ En maints contrees, mesme en la Vienne » (Centurie VIII, 6, Prophéties, Paris, 1588)
Par Jacques Halbronn

L’étude de Patrice Guinard[6] consacrée aux « éditions facétieuses de 1588-1589 » ne parvient pas à expliquer le décalage existant entre le titre de ces éditions et leur contenu.
Dés 1840, Bareste signalait cette bizarrerie : « En 1589, Pierre Menier publia sous ce titre une nouvelle édition des Centuries (…) Ce titre (..) est loin d’être exact ( ;.) car ce volume est encore moins complet que les autres »
Or, un tel phénoméne ne peut pas être négligé, il indique la tentative de faire passer une chose pour une autre, ce qui est une façon de réécrire le passé. Mais une telle réécriture implique un certain décalage dans le temps et pose donc la question : quand cette substitution s’est-elle produite et qui s’en est chargé ? Probablement pas les libraires dont les noms figurent sur les pages de titre datées de 1588-1589 ou sans date et dont les contenus des éditions ont été changés. Ces libraires parisiens ne disposent plus que d’enveloppes vides ou plutôt « fourrées » de données qui n’étaient pas celles d’origine.
Cela ne signifie pas, pour autant, que nous ignorions en quoi consistait ce contenu dans la mesure où celui-ci a été conservé par d’autres voies, celles des Grandes et Merveilleuses Prédictions, Rouen 1589 du Petit Val, Anvers 1590 St Jaure –dont nous pensons qu’elles sont également antidatées et postérieures aux éditions parisiennes d’origine- et par les éditions (antidatées) Antoine du Rosne 1557 (Bibliothèques de Budapest et Utrecht), mais surtout par l’édition Cahors 1590 Rousseau, pour le premier volet puisque c’est du seul premier volet à sept centuries qu’il s’agit ici.
L’abord des pages de titre est assez déconcertant puisque les éditions parisiennes portent un titre qui correspond quasiment au contenu des éditions Rouen, Anvers, du Rosne si ce n’est que lesdites éditions Rouen-Anvers etc ont été à l’évidence toilettées, ce qui donne un contenu décalé par rapport à leur titre mais surtout par rapport à celui des éditions parisiennes dont le contenu certes a été « trafiqué » mais uniquement pour les centuries VI et VII.. C’est donc tout un puzzle qu’il importe de résoudre. C’est en fait un labyrinthe dont il faut savoir s’échapper quand on y a pénétré..
P. Guinard nous parle d’éditions de 1561 qui auraient servi pour les éditions parisiennes datées de 1588-1589. En effet, les dites éditions 1561 sont identiques tant en leur titre qu’en leur contenu aux éditions parisiennes dont il est ici question. Et c’est bien là que le bât blesse puisque nous pensons que ces éditions parisiennes comportent en fait un contenu plus tardif et sensiblement différent de ce fait si bien que nous sommes en droit de penser que les éditions datées de 1561 ont été fabriquées en même temps que les contrefaçons des éditions parisiennes. En revanche, les éditions Antoine du Rosne 1557, par ailleurs antidatées correspondent assez bien au contenu initial des dites éditions parisiennes et devraient en porter le titre, ce qui n’est pas le cas puisque leur titre est aligné sur celui des éditions Rouen 1589 et Anvers 1590, si l’on fait abstraction de la formule « Grandes et Merveilleuses Prédictions » avec la même maladresse « dont il en y a « au lieu de ‘dont il y en a ». En fait, comme on l’a dit, toutes ces éditions sont suspectes, à un titre – c’est le cas de le dire – ou à un autre mais aussi sont porteuses d’informations qui peuvent faire défaut ailleurs. C’est ainsi que la centurie IV des éditions parisiennes, avec la marque additionnelle après le 53e quatrain se présente comme d’un seul tenant dans les éditions du Rosne 1557, ce qui dénote une présentation tardive. D’où une chronologie bibliographique très délicate à reconstituer et qui ne correspond guère à ce que nous en propose P Guinard dans son travail.[7].
La thèse que nous défendons ici en ce qui concerne les éditions parisiennes de la Ligue peut se résumer ainsi : le fait que dans ces éditions la centurie VI soit inachevée alors qu’elle est à 100 quatrains ou en tout cas à 99 dans l’édition Cahors 1590 que nous prendrons pour référence car c’est la seule dont la date soit authentique pour cette période, ne signifie pas, comme nous avions pu le proposer à un certain stade de nos « recherches » (cf Halbronn’s researches (HR) sur propheties.it) que nous soyons face à un stade antérieur de la formation de la dite centurie VI et de la centurie VII mais ) un stade postérieur de déconstruction délibérée et donc d’occultation. Là est bien le débat. En ce sens, Benazra n’a pas tort[8]de parler de quatrains manquants si ce n’est qu’ils ne le sont pas au regard d’éditions datées des années 1550 mais bien des années 1588-89, vu que ces éditions parisiennes qui nous sont parvenues et leurs calques datées de 1560 sont à dater pour une période plus tardive qui reste à préciser.
P. Guinard reléve après Benazra qu’un certain nombre de quatrains manquent dans les dites éditions parisiennes, non pas seulement ceux de la centurie VII et de la fin de la centurie VI et qu’ils ont été remplacés par des quatrains déjà existants et qui auront été remaniés pour faire illusion. « Dans tous ces quatrains répétés, note Benazra, l’ordre des vers a été changé pour dissimuler la répétition etc » Au total, comme le note Guinard, 39 quatrains ont été ainsi évacués qui s’ajoutent aux 39 quatrains de la VII plus aux quatrains de la fin de la centurie VI, qui s’arrête au 71e dans Mesnier 1589 et au 74e dans Mesnier sans date. Cette centurie VI comporte en outre un 100e quatrain qui, lui, fait défaut dans toutes les éditions connues du moins jusqu’aux éditions du siècle suivant sans parler de la Première Face du Janus François qui le commente. (1594), ce qui est l’indice d’un certain problème au regard de la fin de la Vie centurie dont la cause n’a pas été identifiée. On aurait donc plus d’une centaine de quatrains ainsi supprimés et remplacés ou non, on peut parler d’éditions expurgées, ce qui n’est nullement à mettre sur le dos des éditions parisiennes d’origine (Veuve Roffet, Charles Roger et Pierre Mesnier) qui ne s’en référent pas moins à une édition du vivant de Nostradamus pour l’an 1561 qui n’a pas été retrouvée mais dont le contenu correspond à la centurie VII de l’édition Cahors 1590. En effet, les éditions pour 1561 qui nous sont parvenues (Barbe Regnault, Veuve Buffet) sont calquées sur les fausses éditions parisiennes expurgées. Il nous faut revenir sur ce qu’écrit Benazra sur ces éditions datées de 1561, et sur ce qu’apporte à ce sujet P. Guinard : « Onze des douze quatrains de la VIIe centurie, note Benazra, ont donc été empruntés à l’Almanach pour 1561 ». On nous explique que le fait que cet almanach ne comporte pas les quatrains de l’an 1561 est la preuve que les dits quatrains ont été placés en lieu et place de la centurie VII dans l’édition des centuries, en cette même année réalisée par Barbe Regnault comme si Barbe Regnault était censée publier les quatrains de Nostradamus alors qu’elle produit des contrefaçons de ses almanachs. On sait que c’est Guillaume Le Noir, également à Paris, qui s’en est chargé, notamment depuis que des éléments de plusieurs exemplaires ont été retrouvés[9]à la Bibliothèque Sainte Geneviève. Reste à comprendre comment ces quatrains sont parvenus à la connaissance des auteurs de ces éditions expurgées, ce qui repose la question de la date de la réalisation des dites éditions. A présent que l’on connait l’existence du Recueil des Présages Prosaïques édité par Chavigny, dont est conservé le seul manuscrit à la Bibliothèque de Lyon La Part Dieu – (Grenoble, 1589), l’on peut tout à fait se dispenser de la thèse de la duplication, sous la Ligue, d’une édition Barbe Regnault des Centuries. 1561.
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Abordons à présent le contenu des éditions expurgées dont on connait au moins quatre présentations différentes au niveau des pages de titre, comme on l’a vu plus haut. Elles sont expurgées certes mais elles sont aussi truffées de nouveaux éléments à savoir une centurie VII constituée des quatrains de l’almanach pour 1561 que Nostradamus a fait paraitre, et une centurie VIII qui rassemble quelques quatrains lesquels ne figurent pas dans les autres éditions. En ce qui concerne les quatrains de l’almanach pour 1561, l’explication nous semble assez simple : étant donné que les éditions à modifier comportaient en leur titre l’an 1561, l’idée de placer les quatrains de l’almanach pour cette année a du se présenter sans qu’il faille accorder un intérêt particulier aux dits quatrains. Quant au choix initial de l’an 1560/1561, il reléve d’une logique simple à savoir que l’on est dans un scénario selon lequel Nostradamus aurait ajouté un certain nombre de quatrains ou articles à la Vie centurie.
Il convenait donc de situer cet ajout à une date convenable/ On a pris 1561 comme on aurait pu aussi bien prendre toute autre date comme 1560 ou 1562.
On laissera de côté les 39 quatrains épars qui ont été évacués et qui correspondent aux 39 quatrains additionnels dont il est question au titre. Il semble qu’initialement l’on ait voulu purement et simplement remplacer la VIIe centurie par ces 39 quatrains de façon à masquer la suppression des 39 quatrains de la dite centurie et que l’on y ait renoncé, sans rétablir les choses en l’état. Il est possible que le choix de ces 39 quatrains supprimés ait été purement aléatoire. On a vu qu’une autre formule s’est imposé, celle de mettre les quatrains de l’almanach pour 1561, ce qui avait l’avantage de recourir à un document authentique d’époque.
On en restera donc à l’examen du dernier tiers supprimé de la centurie VI et de l’addition des quatrains de la VIII.
A Les quatrains supprimés de la Vie centurie On peut penser que l’on aura visé des quatrains favorables à la Ligue et aux Guises évoquant peut-être l’assassinat du duc à Blois, en 1588. Ce qui est plus surprenant c’est plutôt que ces quatrains supprimés aient survécu dans l’édition Cahors 1590 et les suivantes. D’ailleurs, les six quatrains de la VIIIe centurie figurant dans ces éditions expurgées seront conservés dans les éditions du siècle suivant (à commencer par Du Ruau (c 1644) qui à la différence de Chevillot (c 1650) comporte les Présages), en annexe de la centurie VIII du second volet (« Autres (sic) cy devant imprimées soubz la Centurie huictiesme ») alors que les quatrains de la VII empruntés à l’almanach pour 1561 seront placés à la suite de la centurie VII, au premier volet (« Autres prophéties cy devant imprimées soubz la Centurie sesptiesme ») mais uniquement les quatrains ne figurant pas dans la section Présages de 1555 à 1567 constituée à partir de la Première Face du Janus François, les autres quatrains n’ayant pas été identifiés faute d’accès alors à la série complète. On se situe en effet pour ces éditions avec annexes au milieu du XVIIe siècle et l’on ne dispose plus des sources ayant servi à constituer la centurie VII de substitution, à savoir leRecueil des Présages Prosaïques.
Ces 6 quatrains constituent bel et bien le cœur du message de ces éditions contrefaites car une suppression ne fait sens que pour ceux qui ont connaissance de ce qui a été supprimé. On notera que le dernier quatrain comporte un vers assez disloqué : « Las quel de siront (sic) Princes estrangers/ Garde toy bien qu’en ton pays ne vienne/ Il y auroit de terribles dangers/ En maints contrees, mesme [lire surtout] en la Vienne ». Pourquoi terminer sur la Vienne ? La Vienne désigne des territoires contrôlés par les adversaires de la Ligue, on pense à Chinon, arrosé par la Vienne, non loin de Tours. En fait, cela rejoint le quatrain IV 46[10]qui a été ajouté à une première mouture à 349 quatrains : « Garde toyTours de ta proche ruine ».
On notera la similitude du style : « Garde toybien qu’en ton pays ne vienne/ Il y auroit de terribles dangers/ En maints contrees, mesme [lire surtout] en la Vienne » On peut donc placer cette production dans le camp de la Ligue, ce qui laisserait a contrario entendre que l’édition que l’on entendait expurger était trop favorable au camp hostile aux Guises. Cela nous conduit évidemment à réfléchir sur l’origine des quatrains qui constituent les Centuries. Il semble que celles-ci aient été tiraillées entre les camps en présence, d’où des additions et des suppressions. On peut d’ailleurs se demander s’il ne faudrait pas inverser les analyses et envisager que ce que nous avons appelé des éditions expurgées auraient précédé les autres éditions mais la suppression de 39 quatrains plaide dans l’autre sens. Nous pensons que l’on doit situer ces éditions « pirates » dans les années qui précédent immédiatement l’avènement d’Henri de Navarre, soit entre 1590 et 1593, car après cela n’aurait plus eu beaucoup de sens, paraissant en parallèle avec l’édition Cahors 1590 favorable à Henri de Navarre et qui allait se voir ajouter trois centuries annonçant sa victoire et son couronnement (cf. IX, 86). On peut se demander si le premier volet n’a pas été constitué par un premier train de 353 quatrains incluant le quatrain « anti-Tours » IV 46 lequel aurait pu être supprimé dans certaines éditions à 349 quatrains. Le passage à 6 centuries aurait pu être le fait du camp Bourbon. Puis on aurait produit, vers 1591 une édition anti-Bourbon avec le quatrain terminal VIII, 6 avant d’en revenir, vers 1593 à l’ensemble à 7 centuries dont 40 puis 42 à la VII, mais accompagné de trois nouvelles centuries favorables à « Navarre » alias Mendosus (anagramme de Vendôme) ensemble intégré par Chavigny dans la Première Face du Janus François.
Il nous apparait, au bout du compte, que les éditions parisiennes de la Ligue comportant la centurie VIII sont authentiques. Ce sont ces éditions qui se substituent à des éditions antérieures disparues et qui emanaient du camp adverse dont on aura supprimé un certain nombre de quatrains qu’on ne souhaitait pas mettre au crédit de Nostradamus. Nous percevons là une sorte de va et vient entre les deux camps s’articulant autour de IV, 46 » Tours » correspondant à une édition corrigée à 4 centuries et 53 quatrains à la IV, puis une édition favorable à Navarre à six centuries (disparue que l’on retrouve dans Rouen 1588 par exemple) puis une édition ligueuse autour de VIII, 6 ‘Vienne » qui fera long feu, puis une édition à dix centuries, favorable au nouveau roi.


JHB 17. 09. 12
 
HR 119 - Les tribulations du nostradamisme au prisme de l’Italie
Par Jacques Halbronn

Les relations entre la France et l’Italie dans les années 1560 sont d’un grand intérêt et méritaient qu’on s’y intéressât de plus près. Disons d’entrée de jeu qu’elles ne sont pas à sens unique et qu’elles font apparaitre des problèmes récurrents tout au long de l’Histoire du nostradamisme. C’est ainsi en Italie que nous trouvons les premiers commentaires de textes attribués à Nostradamus, avec les « breve annotationi » de Francesco Barozzi, dans son Pronostico Universale pour 1565-1570 (cf infra). Signalons que l’almanach de Nostradamus pour 1563 sera dédié au général cousin du pape, François Fabrice de Sarbellon, l’épitre, datée du 20 juillet 1562, étant en italien.[16].

Mais jusqu’à présent l’on n’avait guère signalé[17] quels étaient les textes qui avaient été traduits de français en langue italienne.[18]. On se heurte en outre à un souci que nous avons déjà signalé, à savoir que les pages de titre ne correspondent pas toujours à leur contenu.
Alors que le Pronostico Universale (..) il qual comincia dal principio dell’anno 1565 & finisce al principio dell’anno 1570 (Bib Mazarine) couvre successivement les années indiquées, en revanche un titre tel que « Li presagi et pronostici di M. Michele Nostradamo quale principiando l’anno MDLXV diligentemente discorrendo di Anno in Anno[fin] al 1570, n’est en fait consacré qu’à l’année 1565 et a le même type de contenu que « ‘Il vero Pronostico » pour l’année suivante 1566[19]. On trouve dans les Presagi et pronostici une épitre à Pie IV, dont Nostradamus est présenté comme l’auteur : « Michele Nostradamo medico di Salon de Craux in provenza ; Alla Santita di Papa Pio IIII. di questo nome composto. ». Mais le même texte reparait adressé au Duc d’Orléans, l’année suivante. Il faut y voir vraisemblablement une mauvaise restitution d’Alençon, jeune frère du roi de France, auquel une certaine littérature nostradamique a coutume de s’adresser , comme Crespin qui, dans sa Pronostication et prédiction des quatre temps pour 1572, Lyon, Melchior Arnoullet, sous prétexte de s’adresser au prince finit par interpeller Charles IX, son frère.. Rappelons que Nostradamus a bien dédié son almanach pour 1562 au même souverain pontife, Pie IV. Si l’almanach ne couvre que l’année en question, en revanche, l’épitre va de 1562 à 1570.
-Almanach pour 1562 (Paris, Guillaume Le Noir & Jean Bonfons) : « J’ay calculé dans la présente Préface manifestant iusques à l’an 1570 là environ que au commencement de ma calculation j’ay communiqué à la sérenissime maiesté de la Royne mere regente de France (…) espérant en brief faire entendre à V. S. œuvres de plus longue durée » (17 mars 1561). On notera l’usage du mot « préface » que l’on trouve dans la « préface à César ».
Cette « préface » est en fait bizarrement absente de l’almanach conservé puisqu’elle y est annoncée- et c’est elle qui comporte les pronostics pour la période allant jusqu’en 1570, terme conservé dans les éditions italiennes.
-On la trouve, en revanche, dans le manuscrit[20] précédée d’une épitre datée de quelques semaines plus tard, au 20 avril 1561.
« Comme aussi par le sommaire que j’ay calculé en la préface suivante iusques à l’année 1570 là environ. Laquelle préface au commencement de ma calculation ie communiquay à la sérenissime Maiesté de la Royne mère Régente de France etc » c'est-à-dire l’Italienne Catherine de Médicis, de Florence.
On en connait en fait une version abrégée qui est celle du dit almanach et une version longue dont un manuscrit a été conservé – signé de Nostradamus reproduit en 1906 sous le titre « Reproduction tres fidele d’un manuscrit inédit de M. de Nostredam. Dédié à S.S. le pape Pie IV. (Marienbourg, avec une épitre au pape datant du 13 décembre 1906.,. Les traductions italiennes qui se référent à la période allant de 1565 à 1570 en seraient extraites, tout en conservant le principe d’une adresse au même pape Pie IV. Ce procédé de raccourcissement est connu ; c’est ainsi que les Prédictions pour vingt ans, dont on connait une édition « Nostradamus le Jeune » pour 1568 reparaitront en 1571 sous le titre « Présages pour treize ans » (cf infra)
Normalement, l’almanach pour 1562 aurait du paraitre avec cette « Préface ». Il est possible que l’exemplaire qui nous est parvenu (conservé à Bruxelles) ait été élagué et qu’il ait existé une impression compléte du dit almanach.
Les versions italiennes présentent la Préface comme étant l’Epitre au pape, et du fait des années écoulées ne commencent, comme indiqué en leur titre que pour 1563, sans préciser que Nostradamus avait écrit cette Préface dès 1561.
PRONOSTICO DELL'ANNO M.D.LXIII Coposto & calculato per M.Michele Nostradamo, Dottore in Medicina di Salo di Craux in Proveza (…) Nel quale si cotiene la dechiaratione di tutti qsti Anni del 63. fino al 70. dedicata al nostro Santissimo padre Papa Pio Quarto Con privilegi di papa pio Quarto, & dell'i tutti i s. Signor Duca di Fiorenza, & Siena.
On en connait une édition italienne qui part de 1565 sous un autre titre qui est plus cntré sur la « Préface » : Li Presagi et Pronostici di M. Michele Nostradamo quale principiando l’anno MDLXV diligentemente discorrendo di Anno in Anno fin al 1570. Il semble que l’éditeur italien ait complété dans chaque cas le texte de Nostradamus par une étude plus ample de l’année de parution et l’on peut se demander si Francesco Barozzi n’a pas cru qu’il s’agissait là d’un texte de Nostradamus alors que ce n’était qu’un ajustement d’origine locale..
Ajoutons que cette même Préface sera réadressée au Duc d’Orléans dans une autre édition italienne. Quant au commentaire de Barozzi, il se greffe bel et bien, mais uniquement à partir de 1565 sur la dite Préface. On notera que dans l’Epitre au Pape, Nostradamus exprime le souhait . Le texte du manuscrit recoupe celui de l’imprimé « esperant en brief luy faire voir une œuvre de plus longue haleine et durée ». On a l’impression que Nostradamus entendait par là couvrir par ses prédictions des périodes plus longues, ce qui correspond à la logique d’un astrologue qui sait qu’il ne vivra pas encore très longtemps –il décédera en 1566- et souhaite laissser néanmoins des présages pour des périodes allant bien au-delà de sa durée de vie. Mais est-ce que ce document est celui que va mettre en lumière un Nostradamus Le Jeune en 1568, avec les Prédictions pour vingt ans ? Il y aura là un subterfuge que nous avons détecté..
Pour ce qui est des Prédictions pour 20 ans, il s’agit, en effet, d’un tout autre scénario en quelque sorte inversé; nous avons, en effet, retrouvé l’ouvrage dont s’est servi Nostradamus le Jeune. Il est d’ailleurs conservé à la Bibliothèque Nationale. Et cet auteur est italien. Il s’agit de Pamphilius Riccius (Panfilo Riccio), florentin, chevalier de l’Ordre de Saint Etienne, dont la Réserve de la BNF (V 1368) possède une publication datant de 1556 et qui est une pronostication annuelle.. Pronostico overo giuditio, passant en revue le destin des principaux princes de ce monde, y compris celui du roi de France, qui fait suite au pape et à l’empereur jusqu’aux roitelets italiens. La série se retrouve en 1565 (BNF, V1192), à Padoue et à Brescia, en concurrence donc avec « Nostradamo ». On observe d’ailleurs la même présentation avec référence à 1570 qui n’indique plus une étude an par an comme avec Barozzi : Pronostico overo Iudicio (….) per l’anno corrente 1565. Dove si narra tutte le cose che hanno da succedere per tutto l’anno 1570 »
Mais l’ouvrage qui nous intéresse directement avait pour titre Il vero giudicio per anni vinti cominciando l'anno 1564. Continuando di anno in anno per fino a l'anno 1583. Il qual Narra Cose Marauigliose, e degne di gran consideratione, Estratto fedelmente da moderni autori - ouvrage publié à Rome chez Paris Mantouano (alias il Fortunato) et imprimé par Antonio Blado, 1564 ( Biblioteca dell'Accademia nazionale dei Lincei e Corsiniana – Rome) dont la BNF a un exemplaire paru à Padoue, avec une vignette représentant un astrologue.(BNF, V 1368)
.
Ricci était l’auteur de pronostications perpétuelles (perpetuie pronostici) dont une éditons parut à Bologne, en 1565. chez Alessandro Benaccio, 1565. Or ce même Benaccio a publié Il vero pronostico de Nostradamo pour 1566..[21]. Ces « prophéties perpétuelles » paraissaient avec chaque fois un point de départ différent, par exemple en 1573, comme pour ces Perpetue naturali pronostici della mutatione de tempi tolti dalli moderni Autori con il vero giudicio per anni dieci cominciando l’anno 1573 continuando perfino tutto l’anno 1583.Estratto fidelmente da molte profetie per Missier Panfilio Riccio, (BNF res V 1203) .elles fonctionnaient selon un cycle de sept ans liés aux sept « planétes » (luminaires inclus) se répétant indéfiniment sans aucun lien avec la réalité astronomique.
Or, il existe une traduction française, imprimée en 1565, à Vianen, par A. Christiaenz La Vraye prediction pour 20 ans commençant l’an 1564 (…) iusques en l’an 1583, trad.. fr de M. E.B/
L’ouvrage, traduit en français[22], comporte une épitre adressée au Cardinal Saint Fiore, datée du 31 décembre 1564, et qui sera reprise telle quelle par Nostradamus le Jeune en l’adressant cettte fois au duc d’Alençon. Cette épitre figure déjà dans nombre d’éditions italiennes.
Succés européen puisqu’on en connait également une version en langue allemande : Des Prognostica Hochgelehrten Astronomi Pamphili Ricci Florentini vor zwentzig jaren vom bocal 64 bis auff das pot de 1583, imprimée à Vianen (près d’Utrecht) comme la traduction française.
Il semble que l’on n’avait pas jusqu’alors pris la mesure de la fortune de l’ouvrage de Ricci en France, au sein du corpus nostradamique, en dépit de la collection de prédictions italiennes dont dispose la BNF tant concernant Nostradamus que Riccius, Nostradamo que Riccio. C’est en recherchant dans le catalogue opale par les noms du titre et non par auteur, que nous avons découvert l’existence de l’ampleur de cette collection concernant les années 1560-1570.
En relisant les Prédictions pour 20 ans continuant d’an en an iusques en l’an 1583 (..) extraictes de divers auteurs etc (…) reveues & mises en lumière par Mi. de Nostradamus le Jeune» parues en 1568, à Rouen, chez Pierre Brenouzer (BNF), également en 1569, chez un autre libraire de la ville, ¨P. Hubault (British Library), nous avions été intrigués par le caractère axé sur l’Italie des textes, ce qui était assez insolite pour une publication française et c’est alors que l’idée nous vint de comparer les Prédictions année par année chez Ricci, en Italien et chez Nostradamus le Jeune. Il devint évident que l’on était en face d’une traduction française de l’italien. Ainsi ce passage pour l’an 1566 qui nous sembla assez insolite : « Au Royaume de Naples, en Lombardi, en Friol et en France » ou pour 1568 « Et l’Italie triomphera comme jadis elle a faict du temps de Iulius Caesar & l’aigle blanche perdra les ailes (..) et sera renouvelée la cruauté d’Attila contre ceux qui auront esté ennemis d’Italie restaurée » Bien entendu, les Présages pour treize ans parus en 1571 à Paris, chez Nicolas Dumont sont dans le même cas mais cela vaut aussi, avec des retouches mineures pour les Prédictions des choses plus mémorables qui sont advenues depuis cette présente année iusques à l’an mil cinq cens quatre vingt & cinq, Troyes, Cl. Garnier, BNF) dont nous avons souligné qu’elle ne se référait pas, à la bibliothèque de Nostradamus comme le font les Présages pour 13 ans et paraissait parallèlement, toujours sous la houlette de Nostradamus le Jeune...Le produit n’avait pas la même présentation à Rouen et à Troyes. Signalons que Jean du Ruau, un autre libraire de Troyes, prédécesseur de Pierre du Ruau, avec une vignette nostradamique typique mais originale un almanach pour l’an 1574 composé par le disciple M.M. Notradamus, dont on a une édition parisienne pour 1561, avec la variante « M. Michel Nostradamus »’ chez la Veuve N. Buffet, qui se verra gratifier d’une édition des Centuries, au même titre que Barbe Reganult..
Les Prédictions pour 20 ans sont un ouvrage qui appartient au genre des prophéties perpétuelles, d’an en an(cf la forme « Vaticinations perpétuelles » dans la Préface à César). Il faudrait prendre connaissance de ce qui parut avec ce titre (cf. supra) sous le nom de Pamphilus Riccius. Il est possible que Michel Nostradamus en ait fait un certain usage mais nous n’avons pas la certitude qu’il utilisait le système de correspondance entre années et planétes. Ce qui est certain que Nostradamus le Jeune exploita largement cette formule qu’il déclina de diverses façons.
La question reste posée de savoir si Nostradamus le Jeune était ou non le fils ainé de Michel de Nostredame. Qu’il se soit approprié la traduction française déjà existante des Prédictions pour 20 ans de Riccius est une chose, qu’il ait été un usurpateur du nom de Nostradamus en est une toute autre. Nostradamus le Jeune n’a jamais prétendu que les dites Prédictions étaient l’œuvre de Nostradamus. Or, il n’en est pas de même pour ceux qui lui attribuèrent les « Centuries », à commencer par César.
Toutefois, il est possible que Nostradamus le Jeune (qui serait décédé dramatiquement en 1574 devant Le Pouzin(Vivarais) ait apporté des éléments qui ne figuraient pas chez Riccius en ce qui concerne les années 1584 et 1585 qui ne figurent pas chez l’astrologue italien mais que l’on trouve dans les Prédictions Mémorables (..) jusques à l’an 1585 mais il a fort bien pu les prendre chez Leovitius qu’il cite d’ailleurs.
.Etrange circuit en tout cas que suivent les échanges entre la France et l’Italie. On nous dit que Nostradamus est traduit en italien et on oublie de signaler que Riccius est repris, sans que son nom ne soit mentionné, dans la production nostradamique. Le libraire de Bologne Alessandro Benacci jouait sur les deux tableaux, il publiait aussi bien Riccius que Nostradamus. En 1565, il fait paraitra les Perpetui e naturali pronostici della mutatione de tempi etc (Bibl. Communale dell’ Archiginnasio, Bologne)
Le cas de Barozzi, le premier commentateur de Nostradamus est aussi assez singulier puisqu’il semble bien qu’il ait eu sous les yeux, pour ses « brèves annotations » un texte de Riccius, année par année.
Il reste que Nostradamus le Jeune a suivi les intitulés de Ricci à la lettre en se substituant à lui puisque Ricci lui-même ne prétendait pas être l’auteur des dites Prédictions : la formule finale du Vero Giudicio est en effet « Estratto fedelmente da molte profetie per M. Panfilo Riccio (…) con somma diligentia revisto & posto in luce », ce qui est rendu mot pour mot dans les éditions françaises par « lesquelles ont esté en grande d’iligence (sic) mise en lumière par M. Michel de Nostradamus le Jeune, Docteur en médecine » (Troyes, 1571) ou ailleurs « à tres grand’ diligence reveues & mises en lumière par Mi. de Nostradamus le jeune » (Rouen, 1568 et Paris, 1571). Signalons cependant la Pronostication peppetuelle (sic) Recueillie de plusieurs Autheurs, par Maistre Michel Nostradamus, . Paris, Jean Bonfons [23]

Il sera intéressant, à terme, de comparer la première traduction française, conservée à Amsterdam (Bibl. Univ. cote OK 78-125), avec les éditions de Rouen, de Paris et de Troyes pour apprécier plus précisément l’apport de Nostradamus le Jeune. On ne peut exclure que celui-ci n’ait également publié d’autres textes qui n’ont pas été retrouvés, comme ces « commentaires » de ses « prophéties & quatrains » que Nostradamus entendait faire connaitre, au vu de son testament, comme il ressort de la Préface à César laquelle fut peut être remaniée en substituant au nom de « Michel mon fils », celui de « César mon fils. ». .

JHB
21. 09. 12

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[1] (Les guerriers de Dieu La violence au temps des troubles de religion (vers 1525-vers 1610) Préface de Pierre Chaunu Avant-propos de Denis Richet Champvallon, 1990 p. 129)
[2] Sur cette libraire, Cf Ruzo, Testament, pp ; 259 et seq
[3] Sur le choix du nom de César, cf Ruzo, Testament, p. 84
[4] Cf M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, p. 36
[5] (Livre XIII, Lettre VI) »
[6] Ruzo considére (Testament, p. 44) que la dernière centurie est la septiéme alors que c’est la sixiéme à laquelle la VIIe sert d’appendice.
[7] Cf Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus
[8] Cf Notre ouvrage Papes et prophéties, Ed Axiome,2005
[9] Cf Ruzo, Testament, p ; 304
[10] Aticle in revue Autre Monde, février 1986, n¨° 103
[11] Le texte prophétique en France, Ed. du Septentrion 1999
[12] Cf Benazra , RCN, pp ; 52-54
[13] Cf Paul de Saint Hilaire, Ainsi parla Nostradamus, Bruxelles 1982
[14] Cf Le dominicain Jean Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamIque, propheties.it
[15] Cf nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus. Ed Ramkat
[16] Cf R. Benazra, « Le détective d’Orange ».
€[17] Cf Benazra, RCN, pp. 67-68
[18] Il y a 20 ans, nous avions abordé cette question dans « Une attaque réformée oubliée contre Nostradamus (1561) in revue Réforme, Humanisme Renaissance, n°33, Décembre 1991, que l’on peut trouver sur Internet.
[19] Cf planches in Chomarat, Bibliographie Nostradamus, pp. 42 et 50
[20] Cf L'astrologie de Nostradamus horoscopes / Robert Amadou, Salon-de-Provence ; [Paris] R. Amadou, 1987 et Poissy : ARRC, cop. 1992
[21] Cf Benazra, RCN, p. 77
[22] Dont nous avons obtenu une copie de la Bibliothèque de l’Université d’Amsterdam grâce à la diligence de notre ami Theo Van Berkel
[23] CORPUS NOSTRADAMUS 54 -- par Patrice Guinard « Quatre pronostications sous influence nostradamique »
 
 
120 - La grande « Préface » oubliée de Nostradamus et l’épitre au pape Pie IV de 1561
Par Jacques Halbronn

Les textes en prose de Nostradamus sont dans l’ensemble fort mal traités par les nostradamologues du fait de la priorité accordée aux quatrains et les seuls qui soient intégrés au sein du canon centurique sont loin d’offrit toutes les caractéristiques de l’authenticité, ayant été retouchés ici et là, tant et si bien que l’on ne connait que fort mal la démarche prévisionnelle de Michel de Nostredame. Bien pis, ne disposant pas de tous les éléments en prose, on se prive éventuellement des sources ayant pu servir à la composition des quatrains centuriques, quel qu’en soit par ailleurs l’auteur. .
Nous voudrions mettre l’accent ici sur un texte totalement absent des impressions nostradamique parues en français mais dont certains éléments furent traduits dans les années 1560, en langue italienne, dans des conditions que nous n’avons fait jusqu’à présent qu’évoquer rapidement (dans une précédente étude sur Nostradamus et l’Italie). Heureusement, nous disposons d’un manuscrit comportant le texte en question sous sa forme française, imprimé en 1906 ( « Reproduction tres fidele d’un manuscrit inédit de M. de Nostredame »[12]) et l’on peut regretter que Bernard Chevignard n’ait pu poursuivre son édition du Recueil des Présages Prosaïques au-delà des années 1550. On dispose certes du manuscrit du dit Recueil, conservée depuis une vingtaine d’années à la Bibliothèque de Lyon La Part Dieu (Réserve)) mais il est dans un état assez médiocre...Nous n’en avons pas moins pu comparer les deux manuscrits qui se recoupent et nous observons ainsi que l’imprimé qui nous est parvenu est très incomplet. On retrouve en effet tant dans le manuscrit (pp. 36 et seq) de l’almanach pour 1562 que dans le Recueil des Présages Prosaïques des Prédictions (pp. 282 et seq) mensuelles qui ne se trouvent pas dans l’imprimé conservé à Bruxelles, aux Archives Générales du Royaume[13], tout comme ne se trouve pas non plus dans cet imprimé la dite « Préface » si ce n’est qu’elle est annoncée dans l’épitre introductive au Pape Pie IV.C’est dire que le seul exemplaire imprimé qui nous reste (voir sur propheties.it) est excessivement défectueux, ne comportant ni les Prédictions mensuelles ni la Préface proprement dite, faisant suite à l’épitre au Pape. L’almanach se réduit quasiment en fait au seul calendrier comportant les quatrains. Si l’almanach imprimé avait au moins comporté les prédictions, on pourrait se dire que la Préface n’a pas été imprimé, mais le dit almanach n’a pas le profil des autres almanachs de Nostradamus que nous connaissons et en outre, les dites prédictions mensuelles pour 1562 figurent bel et bien dans le Recueil des Présages Prosaïques. Or, l’almanach s’ouvre sur cette formule : « Les prédictions de l'almanach de l'année. 1562. Contenant les déclarations d'vn chascun moys de l'an ». On trouve certes un exposé mensuel, d’abord sous le nom de Prédiction (jusqu’au mois d’avril) puis de Presaige mais ce sont des notations très succidenctes comparées à celles de nos manuscrits. En revanche, les quatrains de 1562 ont bien été composés à partir du texte en prose des dites Prédictions[14]. Bien plus, il apparait que tel passage de la prédiction pour 1562 (p. 95) aurait servi de source aux quatrains 15 et 16 de la première centurie:
Avril 1562
«…par certaine conjonction. Et Saturne elevé sus Jupiter, c'est-à-dire exalté, plus proche de son auge au zodiac vient à menacer icelle perilleuse depression des ecclesiastiques,
Mars nous menasse par la force bellique
Septante foys sera le sang espandre
Auge & ruine de l’Ecclésiastique
Et plus ceux qui d’un rien voudront entendre

Faulx [Saturne] à l’estang [ lire estaing, Jupiter] ioinct vers le Sagittaire
En son haut auge de l’exaltation
Peste famine, mort de main militaire
Le siecle approche de renovation

Par ailleurs, on retrouve aussi «main militaire » dans la Prédiction de mai 1562 :
« qui ne se passera que ne survienne la main militaire » (p. 109)

Nous pensons en effet que les 349 premiers quatrains (non encore disposés en centuries) furent composés à partir de textes en prose de Nostradamus ; Ce ne fut plus le cas par la suite.
Nous montrerons dans une prochaine étude qu’Antoine Crespin Nostradamus a eu connaissance du manuscrit- ce qui implique qu’il ait été proche de la famille Nostradamus - pour composer les « adresses » des ses Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation française de 1572 (Lyon, F. Arnoullet) ce que nous n’avions pas mis en évidence dans notre travail qui lui fut consacré, il y a dix ans.[15], non seulement dans les Prédictions mais aussi dans la Préface faisant suite à l’épître à Pie IV..

Si l’on compare le manuscrit de l’almanach pour 1562 à l’imprimé, on note que le début de l’épitre n’est pas identique. Toutefois, un tel décalage n’est guère étonnant et peut être observé lors des comparaisons entre le Recueil des Présages Prosaiques et les imprimés correspondants pour d’autres années.Mais ici, l on assiste là bel et bien à un processus de censure qui s’inscrit dans les récentes mesures prises à Blois, en 1560. Nous avons mis entre crochets des passages qui ne figurent que dans le manuscrit, lequel complète en fait le Recueil des Présages Prosaïque, ce que n’a pas noté Chevignard. Le fait que la date de l’épitre diffère de quelques semaines dans le manuscrit et dans l’almanach n’est probablement pas très significatif. L’est davantage le fait que l’épitre à Pie IV se présente comme la Préface en tant que telle alors que le manuscrit annonce un texte à suivre :
« i'ay calculé dans la presente preface » dans l’imprimé au lieu de ‘en la préface suivante » dans le manuscrit.
C’est donc tout à fait délibérément que l’on a évacué la dit Préface en laissant croire qu’épitre et préface ne faisaient qu’un. Il reste que le texte est bien arrivé en Italie probablement à partir d’un exemplaire non censuré à moins que la traduction italienne n’ait été effectuée qu’à partir du manuscrit.
Nous reproduirons l’épitre au pape figurant, elle, dans l’almanach en signalant certaines variantes avec le manuscrit :

Les predictions de l'almanach de l'annee. 1562. Contenant les declarations d'vn chascun moys de l'an. Consacrez à nostre sainct pere, le pape Pie quatriesme de ce nom, composez et calculez par M. Michel Nostradamus, docteur en Medecine, de Salon de Craux en Prouence.

Pio IIII. PONTIFICI MAX.
Tressainct Pere, vostre Saincteté ne prendra en mauuaise part, si à present i'ay voulu prendre la hardiesse de vouloir consacrer à V. S. ce mien Ephemeris, auquel est contenu la vniuerselle declaration de l'annee. 1562. selon le vray et parfait iugement des astres. Et pource que la presente annee depend totallement pour le fait de la Religion Chrestienne, et que la vostre saincteté est comme pere deffenseur et vray protecteur, ioint icelle conionction de Saturne et Mars que est, comme plus à plain est declairé par le contenu de la preface, consacree à vostre sainteté.Iupiter estant inferieur qui presage pour le fait de la spiritualité, plusieurs tristes et incroyables aduentures non gueres dissemblables aux grandes conionctions que se font de Saturne et Iupiter au commencement d'Aries qui se font de .960. ans, et par la seconde qui se fait au commencement d'vne chascune triplicité comme sont celles que s'ensuyuent et qui s'aprochent de .240. ans, pource que telles malignes conionctions se font communément à vne chascune triplicité douze fois plus ou moins, et quelquefois treze. Toutefois entrant d'vne triplicité en autre: mais veritablement celles conionctions que s'ensuyuent, presagent de choses grandes aduenir pour le fait principalement des substances de l'eglise, et aussi que plusieurs des
citez du pays Italique, se rebelleroyent enuers leurs monarques et dominateurs, combien que que pour le fait de la foy et religion le pays d'Italie en sera peu molesté[au regard de nostre France], et aussi ioint que souz vostre sainteté toute la chrestienté depend que plus à plain pourra veoir tant par le contenu d'vn chascun moys, comme par le sommaire que i'ay calculé dans la presente preface[en la préface suivante] manifestant iusques à l'an 1570 là enuiron que au commencement de ma calculation i'ay communiqué à la sereniss. maiesté de la Royne mere regente de France, monarque de incomparable debonnaireté.
Doncques pere tressaint vous plaira prendre en gré, ce mien exigue labeur annuel, esperant en brief faire entendre à V. S. œuures de plus longue duree, priant au seigneur Dieu eternel, que par long temps puissiez estre veu regner en terre, à la vniuerselle pacification de la Chrestient » dependante de vostre tressainte et infinie misericorde, que puisse reduire l'vniuers en paix, amour, vnion, concorde et perpetuelle tranquillité.[soyés par longtemps gouverner (…) entour l’universelle pacification de la pauvre et affligée Chrestienté] De Salon de Craux en Prouence ce. xvij. de Mars 1561. Par vostre treshumble tresobeissant seruiteur obseruateur de vostre sainteté.
M. Nostradamus.

On relèvera ce souhait : « Doncques pere tressaint vous plaira prendre en gré, ce mien exigue labeur annuel, esperant en brief faire entendre à V. S. œuures de plus longue duree » Cela signifie un ouvrage couvrant un plus grand nombre d’années. On est loin désormais, au début des années 1560 d’un Nostradamus se contentant de produire des prédictions pour l’année à venir
En 1566, Francesco Barozzi fera le commentaire- le premier du genre concernant les écrits de Nostradamus hormis les attaques de ses adversaires dans les années 1550- de cette Préface tronquée dans son Pronostico Universale di tutto il Mundo il qual comincia dal principio dell ‘anno 1565 & finisce al principio dell’anno 1570. Bologne. Il ne remonte donc pas à 1562, ce qui montre qu’il ne connait que la traduction italienne. Il ne traduit pas non plus directement du français comme il est indiqué sur wikipedia, à l’article qui lui est consacré : « c’est la traduction d'un recueil d'almanach (de prophéties) de Nostradamus pour les années 1565-1570. «
Si l’on prend la séquence géographique du manuscrit (p. 27) de la Préface « Portugal, Hongrie, Hibernie, Sclavonie et en certaines cités de l’Italie », elle se retrouve chez Barozzi, et dans les épitres italiennes à Pie Iv au au duc d’Orléans.
Le texte adressé au pape fait référence à Catherine de Médicis et non à Henri II. N’est ce donc pas une maladresse d’avoir imaginé Nostradamus consacrant une nouvelle épitre à Henri II, datée de 1558, alors que nous avons la preuve que Nostradamus envisageait de transmettre son travail à la reine. Il eut donc été logique de procéder ainsi. On notera que cette année 1561, qui est celle de l’Epitre au pape est celle qui fut choisie pour dater une édition augmentée des Centuries..
Nostradamus le Jeune publiera des Prédictions pour 20 ans, en 1568, à Rouen qui débutent en 1564 et dont nous savons désormais qu’elles ne font que reprendre un ouvrage déjà traduit en français de Pamphile Riccius. Mais il s’agit là d’un ouvrage qui n’a que fort peu d’assise astronomique et qui serait plutôt d’inspiration mythologico-symbolique que Nostradamus n’aurait guère apprécié, lui si attaché à une orthodoxie astronomique, à cent lieues des centuries, soit dit en passant. Cela dit dans les Présages pour 13 ans, qui en sont une réédition réactualisée les passages consacrés aux années 1584-1585 se rapprochent du style de la « Préface » autour d’une nouvelle grande conjonction Jupiter-Saturne. On sait la fortune que le mot « préface » connaitra. On peut voir dans ce texte la matrice tant de la Préface à César que de l’épitre à Henri II, sachant que pour nous ces deux épitres sont plus tardives.
Un des rares exemples montrant Nostradamus traitant d’une série d’années se trouve dans les Significations de l’Eclipse qui sera le 16 septembre 1559, Paris, Guillaume Le Noir, dont l’épitre est adressée à un proche du pape, J. M. Sala, en 1558. On peut se demander si ce n’était pas là un galop d’essai allant jusqu’en 1560 si ce n’est que cet ouvrage plagie, comme l’a noté au XIXe siècle Torné Chavigny, l’Eclipsium de Cyprian Leowitz . N’en aurait –t-il pas été ainsi pour la « Préface » ?

JHB 21. 09. 12

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Updated Tuesday, 07 April 2015

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