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Researches 131-140
 
131 - La Pronostication « facétieuse » pour 1555
 
132 - La fortune et la réception de l’almanach de Nostradamus pour 1562
 
133 - Le projet du Recueil des Présages Prosaïques
 
134 - Les almanachs de Nostradamus pour les années 1563-1567
 
135 - Nostradamus et l’éclipse éclipsée
 
136 - Les quatrains centuriques et les « mémoires « de 1561 et 1566
 
137 - Nostradamus et l’an 1566 : le binome prose- vers
 
138 - Les éditions Benoist Rigaud 1568 et le modèle Chevillot
 
139 - Imposteurs ou gardiens de l’œuvre nostradamienne ?
 
140 - La question des pages de titre des Centuries
 
 
 

 

 

Researches 131-140

131 - La Pronostication « facétieuse » pour 1555
Par Jacques Halbronn

On dispose désormais de cette Pronostication pour 1555 dont on n’a longtemps connu que la page de titre, d’ailleurs tout à fait remarquable, comme on l’a signalé ailleurs, pour la mention du mot Marcellinus qui figure dans la « préface »- à ne pas confondre avec l’épitre au pape Pie IV, de l’almanach pour 1562. Est-ce un hasard si Nostradamus a choisi ce nom pour désigner l’Antéchrist. Au vrai, la présentation de la page de titre de la Pronostication pour 1555 est assez atypique puisque l’on prend la peine de nous dire comment se nommait autrefois Salon de Craux, à savoir Saluvium, du temps de Massilia. Cette information ne se retrouvera plus à l’avenir.
Ce qui fait problème par ailleurs avec cette Pronostication pour 1555 tient au fait qu’elle comporte des quatrains mensuels, ce qui est tout à fait exceptionnel, ceux-ci étant réservés aux almanachs mais rien n’exclut que l’almanach pour 1555, disparu, n’ait également comporté les dits quatrains Rappelons que les Pronostications qui paraitront par la suite comporteront, in fine, des éléments succincts de l’almanach/.
Vient s’ajouter à notre dossier le recours à une nouvelle méthodologie, que nous avons appliquée par ailleurs aux deux épitres centuriques, à savoir la fréquence du mot « Dieu », Jésus, la Vierge, dans le texte, quand on compare avec celui d’autres publications de telle ou telle époque.
Ci-dessous, le résultat de notre sondage relatif à la dite Pronostication pour 1555, censée parue chez Jean Brotot, à Lyon, adressée à une personnalité des territoires du Pape, autour d’Avignon (Comtat Venaissin) :le révérend Prélat Mgr Ioseph des Panisses, prevost de Cavaillon, Primat du Conte & premier gentilhomme Davignon.

1 Remettant le tout soubz la puissance & protection de Dieu le créateur
2 « Priant à IESUS & à sa glorieuse mère nous vouloir maintenir en santé etc « 27 janvier 1554 pour l’an 1555
3 « La prophétie de Iesuschrist sera bien accomplie, Vae praegnantibus »
4 Dieu veuille par sa grâce que lapparence que fait le dernier jour de Mars soit veritable
5 Prions à Dieu tout puissant & à toute la court (sic) céleste de Dieu qu’il nous vueille preserver ceste année »
6 Dieu veuille tenir en sauvegarde & bonne protection la fureur du 15 juillet
7 O Seigneur Dieu éternel combien voy ie de malheur sapprester
8 Prions à Iesus que la tempeste qu appert
9 Dieu veuille que le 23 septembre & tout le moys doctobre
10 Or prierons le bon Iesus qu’il veuille preserver le prince de luy advenir ce que infalliblement luy adviendra »
11 Et aussi prierons à Dieu qu’il nous donne grace de passer ce malheureux automne lequel est autant à craindre qu’il fut 20. ans ha.
12 Dieu par sa grace nous preserve de pestilence
13Les ecclesiastiques du regne doivent triumpher grandement & leglise estre en plus hault regne que iamais & son fils IESUS CHRIST ensemble sa glorieuse mère qu’il nous veuille prester longuement le sang Martial Troyen
14 Nous prierons le Seigneur Dieu….
15 Je remetz le fait à Dieu le créateur qui est le Seigneur universel du monde. Ie me tays & pour cause »
Soit une quinzaine d’occurrences, en quelques pages, ce qui correspond à peu près au sondage que nous avions effectué pour un autre texte censé également être paru en cette année 1555, chez Macé Bonhomme, à Lyon.
Nous pensons que cette tonalité est nettement supérieure à celle qui peut s’observer pour divers pronostications pour 1557 et 1558 ainsi que pour l’almanach pour 1557 ou encore pour les Présages pour 1557, voire pour la Pronostication pour 1559, que nous connaissons par la traduction anglaise, tous ces documents se trouvant numérisés dans la Bibliothèque Nostradamus (en ligne) de Mario Gregorio. Certains cas semblent outrés et caricaturaux comme cette invocation (qui semble contredire le commandement de ne pas invoquer en vain le nom de Dieu) concernant ce qui devrait avoir lieu tel ou tel jour de l’an 1555. On pense à une parodie de Nostradamus, dans le genre [1] de la, Prognostication: & amples predictions a tousjours & jamais a commencer de ceste presente annee. Composee & calculee par Mesaire Panthalamus, grand Docteur en Argorine, Residant es Villes Recreatiues & Ioyeuses. Paris, Par Guillaume de Nyverd . On retrouve des formules telles que :
« combien que pour ne pas espouvanter le peuple je n’ay pas voulu insérer tout ce que possible n’adviendra. »
« De la France je treuve par mes escriptz accordez que ceste année 1555 & quelques ans de surplus … »
En fait, la comparaison avec le contenu des faux almanachs Barbe Regnault (1561, 1563) est assez frappante dans l’outrance prêtée à un Nostradamus présenté comme un dévot fanatique ce qu’il était d’ailleurs devenu peu ou prou à partir de l’almanach pour 1560. On n’est donc plus dans le contexte psychologique de 1554, date de rédaction de la Pronostication pour 1555.. Nous pensons que l’almanach anglais pour 1562 qui comporte les mêmes quatrains que ceux de la dite Pronostication est la traduction d’un almanach perdu pour 1562, lequel aura servi pour produire par la suite la Pronostication pour 1555../
Quant à ce Marcellinus, associé de façon assez incongrue à la ville de Salon, en page de titre, on peut se demander s’il ne s’agit pas d’un clin d’œil ironique au nom de l’Antéchrist que Nostradamus propose dans la Préface (que l’on ne connait imprimée que dans sa version italienne) de l’Almanach pour 1562.
L’examen des quatrains vient confirmer l’idée d’une satire. Que l’on songe au quatrain pour septembre 1555 qui s’achève ainsi : » Ne taire Nasceu secret & à quoy tu tamuses » : « Pleurer le ciel, a il cela fait faire ?. Chevignard place deux points d’interrogation, dans ce quatrain, qui ne figurent pas dans l’imprimé Deux points d’interrogation dans un seul et même quatrain, voilà qui est on ne peut plus inhabituel. Et plus encore, ce tutoiement.
Ce « tu t’amuses », c’est un jeu de mots sur Nostradamus. On connait cette série de formules comme Monstre d’abus, Monstradamus, propres à ses détracteurs, ses « haineux ». Celle là n’avait pas encore été repérée. Rappelons qu’il y a une vingtaine d’années nous avions découvert une Declination des papes. Contrepronostication à celle de Nostradamus, Reims 1561 en appendice d’un Cantique Spirituel,, à propos des relations de Nostradamus avec le nouveau pape Pie IV, qui ne régnerait que jusqu’en 1565[2], non signalée par Olivier Millet, lequel n’identifie pas non plus cette fausse Pronostication pour 1555 .[3].
Que dire, aussi, des « présages » pour mai, juillet et aout : « Le cinq, six, quinze, tard é tost l’on sejourne », « Huit, quinze & cinq, quelle desloyauté » et « Six, Douze, treize, vint parlera la Dame » qui sonnent creux ?
Nous aurions donc affaire à une parodie de Nostradamus – on pense aux Prophéties du Seigneur du Pavillon - soulignant ce penchant qui allait s’exacerber dans les années 1560 à en appeler à Dieu, sous n’importe quel prétexte.
Cette pronostication pour 1555 parait chez Jean Brotot. Mais l’adresse du libraire n’y figure point comme à l’accoutumée.
Il ne semble pas que le vocabulaire utilisé soit correct :
« le présent Ephemeris pour les quatre temps de l’année » et les régions & regnes mesmes de l’Europe & les moys de ce que les astres m’ont fait cognoissance »
Un Ephemeris comporte un calendrier, c’est en fait un almanach. Le produit qui nous est proposé sous le titre de Prognostication est hybride. On ne parle pas d’un Ephemeris pour les quatre saisons. Dans sa correspondance, Nostradamus emploie le terme pour désigner un almanach comme dans le cas de l’almanach pour 1562, comportant bel et bien un calendrier dans lequel s’inscrivent les quatrains, adressé au pape et que son correspondant Io. Rosenberg décrit ainsi : « Quod Ephemeridem anni 1562 in qua multa prodigia, multae calamitates , quae Europae nostrae miserrimae imminent, latius explicantur, Gallice more tuo confecisti Pioque IIII. Pont. Maximo dedicasti »[4]
Ajoutons que l’on passe directement sur la même page de la fin de l’épitre à Panisses au début de la pronostication consacrée au Printemps alors que normalement, au vu des pronostications pour 1557 et 1558, se place un prologue intitulé « De la disposition generale de la presente année »
On note aussi que l épitre à ce Joseph des Panisses comporte en son début « M. Nostradamus » au lieu de « Michel Nostradamus ». Cette forme M. Nostradamus est certes utilisée dans les centuries- dont nous pensons qu’elles appartiennent à une toute autre décennie- mais elle n’est pas habituelle dans les années 1550 dans les textes émanant de Nostradamus lui-même.
Il est indispensable d’être très rigoureux au niveau terminologique et iconographique si l’on veut être en mesure de détecter des contrefaçons. On ne peut ainsi comme le fait R. Benazra (RCN, p. 51) écrire « Citons deux éditions apocryphes de l’almanach pour 1562 » en désignant la Prognostication nouvelle pour 1562, Paris, Barbe Regnault, qui n’a d’ailleurs rien d’un almanach et qui, de surcroit, ne comporte aucune adresse au pape.. Il est vrai qu’à propos de la Pronostication pour 1555 (RCN, p. 5), le même auteur écrivait : « Il existe un exemplaire unique de cet almanach dans la Bibliothèque de Daniel Ruzo »
Selon nous, les termes d’almanach et de pronostication correspondent à des genres fondamentalement différents : l’un est voué à une publication annuelle, du fait de la lourdeur du travail que cela implique, à savoir quatre cartes du ciel à dresser et à interpréter par mois alors que l’autre se limite à l’érection de quatre thèmes par an, ce qui exige donc un travail bien moindre, un produit bas de gamme, en quelque sorte, bien moins couteux. L’almanach a une certaine pertinence astronomique, les cartes du ciel correspondant à des configurations précises entre le soleil et la lune alors que dans le cas de la Pronostication, il s’agit de dresser des thèmes pour le début de chaque saison (temps), ce qui ne correspond à aucun critère proprement astronomique, à l’instar d’ailleurs du thème natal. On notera que la page de titre de l’almanach de Nostradamus ne comporte aucune illustration alors que celle de la pronostication s’orne d’une vignette représentant l’astrologue à sa table de travail – cela dénote un « produit » plus populaire, plus accessible. Une telle différence cessera d’ailleurs d’être respectée à partir de l’almanach pour les années 1565, 1566, et 1567 (peut être de 1564 qui n’a pas été conservé) et d’ailleurs il n’y a plus cette dualité almanach/pronostication. En revanche, les almanachs d’une libraire comme Barbe Regnault dès le début des années 1560, comportent une vignette calquée sur celle des pronostications mais ne comportant pas la frise des 12 signes du zodiaque. La traduction anglaise de l’almanach pour 1563 comporte une vignette « astrologique », car il vient de l’almanach Barbe Regnault[5]. Précisons que le titre italien « pronostico et lunario »[6] désigne l’almanach et non une pronostication, tout comme en allemand pronosticon signifie almanach. Chaque pays a ses codes.
Le quatrain est un « plus » strictement réservé aux almanachs et n’a pas à figurer dans une pronostication, d’autant qu’il est censé, selon nous, résumer le contenu des « prédictions ou présages » rédigés mois par mois. A priori, selon nous, le Recueil des Présages prosaïques n’était censé ne contenir que les textes de l’almanach et non ceux des pronostications, dont on peut d’ailleurs se demander si Nostradamus n’en chargeait pas quelque assistant. Quand, en 1561, il décidera de s’adresser au pape Pie IV et de publier une « préface » sur les événements à venir jusqu’en 1570, il choisira de le faire au sein de l’almanach.
Pour en revenir au caractère facétieux de la Pronostication pour 1555, celui-ci peut échapper au lecteur moderne. Nous pensons ainsi à ce passage :
« s’il est vray de ce que les astres nous menassent, je ne cuyde point que nous ne soyons à la fin du dernier periode du monde car au temps de son entrée le temps sera froit, la terre imbibée par les fréquentes pluyes etc »
Nous pensons qu’il y a là un effet comique à faire cohabiter un discours sur la fin du monde avec des considérations météorologiques du moment[7].
On nous objectera que ces quatrains de la Pronostication de 1555 sont attestés par les almanachs Barbe Regnault qui les reprennent. Mais justement, nous pensons que la production de cette fausse Pronostication pour 1555 date du début des années 1560. Chomarat note d’ailleurs que l’almanach anglais pour 1563 est constitué de ces mêmes quatrains, ce qui confirme que c’est à cette époque qu’ils sont réellement parus..
Si l’on confronte la Pronostication pour 1555 avec le Recueil des Présages Prosaïques pour l’année 1555, soit la fin du Livre Premier du dit Recueil[8], l’on note qu’il combine plusieurs pièces consacrées à la dite année 1555 en une seule, selon un procédé que nous avons pu observer pour l’Epitre à Henri II de 1558. D’où la présence de quatrains, de développements sur les saisons, sur les principales puissances européennes etc, une sorte de « patchwork », ce qui ne signifie nullement que ne soient parues séparément et précédemment les pièces concernées. Il est peu probable que cette pronostication facétieuse ait été réalisée à partir du Recueil des Présages Prosaïques. Elle l’aura été à partir des imprimés parus pour la dite année 1555. Toutefois, on ne saurait supposer que les quatrains de notre Pronostication pour 1555 aient existé dans les publications émanant de Nostradamus et de ceux travaillant avec lui. On sait par ailleurs que ces quatrains apparaissent à partir des années 1560 dans certains almanachs parisiens et également londoniens. Le fait qu’il y ait une allusion à Marcellinus, au sous titre de notre Pronostication pour 1555 serait liée à la parution fin 1561 de l’Almanach pour 1562. On serait donc tenté de situer cette pseudo Pronostication reprenant des éléments déjà existants, du début de 1562, d’où leur traduction anglaise dans l’almanach pour 1562 dont on n’a pas l’original français
Nous pensons que le même processus de détournement de certains publications de Nostradamus a eu lieu avec les Significations de l’Eclipse de 1559 lorsque tout d’un coup l’on tombe sur un passage qui n’est plus de Nostradamus mais s’adresse à lui, sur le mode du tutoiement en brocardant ses Présages Merveilleux. Or, ces deux publications « facétieuses », procédant par interpolation d’un texte authentique, dont la présence est validée par le Recueil des Présages Prosaîques, se présentent sous la même vignette empruntée aux pronostications de Nostradamus, comportant encastré, sur trois niveaux, son nom « M (sans point !, ce qui donne MDE) Nostre Dame » en blason. C’est là un type de contrefaçon qui n’avait pas été identifié jusque là et qui montre que même le recours à une telle vignette n’est pas une garantie d’authenticité.
On s’est également interrogé à propos de l’almanach pour 1563, imprimé, nous dit-on, à Avignon, chez Pierre Roux (ce qui correspond à l’adresse signalé dans les Grandes et Merveilleuses Prédictions, 1555)
Benazra note « Cet ouvrage est décrit par Buget (Bulletin du Bibliophile) qui le considère comme "une sanglante satire de l'astrologie"! Il pourrait peut-être s'agir d'une contrefaçon réalisée chez l'imprimeur de pamphlets virulents contre Nostradamus! ». Pierre Roux, en effet, avait publié en 1558 la Déclaration des abus, ignorances et séditions de Michel Nostradamus, à Avignon, chez Pierre Roux et Ian Tramblay.
Nous pensons toutefois qu’il faut faire la part d’une certaine évolution du discours de Nostradamus qui peut expliquer certaines outrances. On notera cependant une anomalie dans la désignation de Pie IV où il n’est pas précisé « de ce nom » (cf p ; 26 de la réimpression de 1905) comme il est de mise à l’époque (cf almanach Pour 1561 :’Pape Pius 4. de ce nom ». Nous pensons que l’épitre au parent du pape a été traduite de l’italien vers le français, d’où la forme « Tacuino o vero Almanacco o Pronostichi amplissimi » rendue en français par « le Tacuino ou vrai Almanach et les amples pronostics »

JHB
03. 10. 12

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[1] Cf Christine Arsenault La pronstication joyeuse de Jean Molinet à François Rabelais : typologie et évolution d’un genre littéraire, Université du Québec à Rimouski, 2011
[2] Une attaque reformée oubliée contre Nostradamus (1561), in revue Réforme Humanisme Renaissance, 33, 1991
[3] . « Feux croisés sur Nostradamus au XVIe siècle », Divination et controverse religieuse en France au XVIe siècle (Cahiers V.-L. Saulnier, 4, Collection de l’E.N.S.J.F.), Paris, 1987, p. 103-121.
[4] Jean Dupébe traduit par erreur Ephemris par Pronostication, laquelle ne comporte pas d’adresse au pape, cf Nostradamus, Lettres Inédites, Geneve, Droz, 1983, pp. 112-115
[5] Cf M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, p. 38, n°55
[6] Cf Benazra, RCN, p. 62 désigne à tort cette pièces comme une « pronostication »
[7] Danielle Le Prado-Madaule « L’astrométérologie et évolution en France 1520-1640 » 1996 Histoire économie et société 15-
[8] ,(cf Chevignard, Présages de Nostradamus, pp. 218 et seq
 
132 - La fortune et la réception de l’almanach de Nostradamus pour 1562
Par Jacques Halbronn

L’édition critique amorcée par Bernard Chevignard n’a été publiée que pour la partie du Recueil des Présages Prosaïques concernant les années 1550. Bertrand Chevignard a balisé l’ensemble du manuscrit conservé à Lyon (cote 6852) ;’il en donne un résumé global, en fournissant le contenu de chacun des douze « Livres » entre lesquels est présenté le dit Recueil.(pp. 387-392) On s’intéressera au Livre VII, alors que la partie publiée au Seuil s’arrête au Livre IV et à l’année 1559..
Chevignard décrit ainsi le Livre VII (p. 390) : « Année 1562 : 539 présages (sic)
20 [commentaire] « Des présages de l’an 1562 » avec treize quatrains ; pp. 269-318 du manuscrit
21° [commentaire] « D’un autre présage sur la mesme année » pp 319-332)
Chevignard précise « Les n°20 et 21 sont l’Almanach nouveau pour l’An 1562 (Paris, Guillaume Le Noir et Jehan Bonfons) et la Pronostication nouvelle pour l’an 1562 (Lyon, Antoine Volant & Pierre Brotot). Un exemplaire du premier est conservé aux Archives Générales du Royaume à Bruxelles) »
Depuis 1999, on a retrouvé la Pronostication nouvelle parue à Lyon, qui ne diffère pas sensiblement, d’ailleurs, de celle qui était déjà identifiée à l’époque comme conservée à la Bibliothèque de Munich, parue à Paris chez Barbe Regnault. On trouve ainsi la même introduction avec référence à l’almanach pour 1562, dont on n’a pas conservé la production Barbe Regnault sinon par le biais d’une traduction anglaise ne comportant pas les mêmes quatrains.(on y trouve ceux qui figurent dans la pronostication pour 1555)
Commençons par l’almanach pour 1562 dont Chevignard ignore l’existence d’une édition parue en 1906 à Mariebourg (sub St Michaelis invoc), sous le titre de ‘Reproduction très fidèle d’un manuscrit inédit de M. de Nostredame. Dédié à S.S. le Pape Pie IV », sans autre précision au titre. Or, nous pensons que ce n’est pas l’imprimé signalé par Chevignard et conservé en Belgique qui correspond à la première partie du Livre VII du RPP mais bien le manuscrit dédié au pape, non sans quelques différences entre les deux manuscrits, qui sont la règle, quand on compare le manuscrit du RPP pour une année donnée et l’imprimé correspondant. Autrement dit, nous pensons que le manuscrit édité en 1906 est une copie de l’imprimé alors que le RPP comporte les brouillons d’origine avant impression. »
Certes, le début de ce texte est-il au niveau du manuscrit quasi illisible mais en haut de la page 270, on lit très clairement :...
« soubz nue redondant par intelligence à l’année 1564 où la substance de l’Eglise tendra à une si grande devalée pour le faict de la temporalité que jamais elle ayt fait, tant depuis le primat de Sainct. Pierre iusques au temps de Constantin l’Empereur qui l’augmenta & depuis le temps de Constantin iusques à présent »
Ce passage se retrouve (en gras), avec des variantes et des inversions minimes dans le manuscrit reproduit en 1906 et non pas dans l’imprimé (cf par Google « Bibliothèque Nostradamus, propheties.it ») :

« Loué soit nostre Seigneur Jesus-Christ, le vray Seigneur de Vertu, de regne et de parfaite lumière, lequel par certitude véridique et expérience manifeste nous fait apparoistre sa volonté et se voulant soy mesme exprimer et montrer sa puissance a crée les montagnes, les mers et fait les cieux environnans le tout et a mis les estoiles mouvantes en iceux à la similitude de chandelles luisantes et en icelles estoiles a posé certains signes faisant division du temps et d’autres choses par lesquelles sa gloire et sainte benediction appert estre sempiternelle/ Et par sa sempiternelle déité nous vient à provoquer de proférer que luy seul soit de Dieu le fils benedict. Parquoy je supplie le souverain Dieué éternel omnipotent et son unique fils, Jesus Christ que par sa sainte miséricorde me vienne aider à diriger au droit sentier de vérité et en la voye de la declaration des futures choses et aventures de la presente année 1562 qu’est l’année de laquelle tous les Astrologues ont doubté [lire redouté] toujours et ont parlé comme soubs nuée. Pour cause de ceste année icy redondant par intelligence de l’année 1564 que sera l’année que la substance de l’Eglise tendra à une si grande devalée pour le faict de la temporalité que jamais elle ayt fait, tant depuis le primat de S. Pierre iusques au temps de Constantin[l’Empereur] qu’elle augmenta que depuis le temps de Constantin iusques à présent. Et la dévalée sera telle et si estrange que vrayment la pouvre Eglise aura à perdre beaucoup »
Ce développement ne se trouve pas dans l’imprimé de l’almanach conservé à Bruxelles contrairement à ce que note Chevignard..
. On regrettera, en outre, que B. Chevignard n’ait pas cru bon, dans son édition, de restituer la présentation de chaque livre telle qu’elle figure dans le manuscrit du RPP. Il ne fournit pas au lecteur certaines données qui auraient pu lui être utiles et permettre certaines comparaisons avec d’autres documents..
On ajoutera que B. Chevignard se sert de l’expression « présages » d’une façon assez insolite. On a vu plus haut que pour lui, le Livre VII était constitué de 539 présages du fait que l’on trouve un numérotation allant de 1 à 539. Or, il est fort improbable que le Recueil des présages prosaïques puisse ainsi comporter des milliers de présages, puisqu’un seul des 12 livres en présente à lui tout seul plus d’un demi-millier. Il est vrai que les premiers à décrire le dit manuscrit tel P. Brind’amour pensèrent, à tort, du fait de la numérotation du texte qu’il s’agissait de présages séparés alors qu’il s’agissait, comme pour la Bible, d’une division en «segments » de façon à s’y retrouver aisément, sur le modèle du Memorabilium d’Antoine Mizauld. En fait, chaque présage ou prédiction mensuels est découpé dans le manuscrit voire dans l’imprimé au cas où celui-ci serait effectivement paru, ce que nous ignorons. Il y a donc beaucoup moins de présages que ne semble vouloir dire Chevignard, en fait douze par an si l’on s’en tient aux almanachs qui sont la partie centrale du travail de Nostradamus, le mot présage ou prédiction n’étant pas en usage dans les Pronostications, comme on l’observe aisément dans les deux fac simile fournis en annexe par Chevignard.(pp. 394 et seq)
En effet, chaque livre débute ainsi :
Recueil des presages prosaïques de Mich.de Nostradamus
Livre….
Extrait des Commentaires d’iceluy sur l’an ….
Chevignard n’a conservé que l’indication de l’Extrait. Il ne signale pas l’abréviation « Mich. « pour Michel et « de Nostradame » et non pas Nostredame, ce qui est au demeurant plus proche de Nostradamus. C’est bien d’ailleurs la forme Nostradame qui figure sur la page de titre du manuscrit, avec un titre repris en tête du premier livre. Le chapeau revient pour chaque livre mais sous une forme abrégée. Or, comment ne pas faire le rapprochement avec la présentation de chacune des 10 Centuries avec une reprise du chapeau et en fait du titre, en tête de chaque centurie ? « Propheties de M. Nostradamus. Centurie…. ». Les faussaires auront conformé la présentation des Centuries sur celle du RPP, ce qui suppose qu’ils y aient eu accès.

On note que Nostradamus, dans le texte concerné,- dans la partie non traduite en italien - annonce viser deux années de suite à savoir 1562 et 1563, tout en publiant son travail plus tôt qu’à son habitude pour que le monde ait le temps de se préparer et de faire en sorte que les choses n arrivent pas comme prévu. :
« et est ce jour d’huy sabmedi premier du moys de fevrier à 6 heures de soir 1561 pour l’an 1562 et 1563 que m’apparaissent tant de grandes desolations (…) Je me suis avancé de mettre mon Almanach en lumière devant temps pour donner advertissement aux Monarques si tels sinistres evenemens se pourroient divertir (lire empêcher, détourner (…) Et pour ce que telles adventures sans faille adviendront et ceux qui vivront m’en porteront plus ample tesmoignage, je l’ay voulu mettre par escrit à fin que puis apres ne soit imputé aux plus grands n’en avoir esté auparavant avertis » (p. 19)

On note donc trois dates situées entre février et avril 1561 : Le Ier février 1561 pour la rédaction de cette « Préface » pour reprendre l’expression de l’épitre au Pape, le 17 mars 1561 pour la dite épitre. Et le 20 avril pour la date figurant dans l’imprimé disparu mais dont on a gardé le manuscrit, laquelle date ne correspond pas à celle de février 1561 qui figure dans le corps du texte.
Comment expliquer l’existence de trois dates ? La véritable date de rédaction est selon nous de février 1561 mais cela ne vaut que pour l’exposé général. La rédaction des prédictions pour 1562 correspond à la date terminale du 20 avril 1561 : il ne s’agit pas ici d’un texte adressé au pape, il est d’ailleurs, dit Nostradamus, présenté en priorité à Catherine de Médicis. Quant à l’épitre au Pape, dans l’imprimé, elle date du 17 mars 1561 alors que l’épitre au pape dans le manuscrit 1906 est datée du 22 avril 1561 tout comme les Prédictions. Mais selon nous, cette seconde mention du 22 avril ne fait pas sens. Il est peu probable en effet que l’épitre au pape date du même jour que les Prédictions pour 1562. Quant à la date du 17 mars 1561 de l’imprimé, elle nous semble suspecte et l’on connait nos réserves au sujet du dit imprimé..

Le manuscrit nous apprend que ce que l’imprimé appelle « préface » et qui désigne l’exposé sur une série d’années précédant les prédictions pour 1562 est qualifié dans le Recueil des Présages Prosaïques d’ »Epître Liminaire ». (p. 269) alors que l’Epitre au Pape ne figure pas dans le dit Recueil. On sait qu’entre le manuscrit et l’imprimé, il pouvait exister divers ajustements.
Nous disposons donc pour l’année 1562 d’un ensemble assez remarquable de pièces : deux manuscrits français (celui du Recueil et celui de l’almanach 1562) , un imprimé français (un almanach 1562 tronqué) et une série d’imprimés italiens tronqués plus une traduction anglaise d’un almanach pour 1562 dont on n’a pas l’original français qui est lui-même une contrefaçon comportant des quatrains qui ne sont pas de Nostradamus. Certes, l’on sait que les faux almanachs reprenaient des quatrains déjà parus mais ce processus ne commence en fait qu’avec l’almanach pour 1563. (Barbe Regnault). L’almanach Regnault pour 1561 – cela a été assez souligné par certains- n’a pas de quatrains. L’on peut tout à fait supposer que pour l’an 1562, on ait composé d’autres quatrains et que ceux-ci aient été ensuite repris dans la fausse Pronostication pour 1555..
Cette épitre liminaire transmise à Catherine de Médicis sera donc restée ignorée, sous sa forme intégrale, des travaux consacrés à Nostradamus depuis 1562 soit depuis 350 ans. Sa réimpression en 1906 ne semble guère avoir eu d’impact. . On note que Nostradamus préfére désormais s’adresser aux Grands de ce monde et dépasser le cadre annuel et que les publications annuelles pour le grand public vont désormais passer au second plan. Selon nous, Nostradamus déléguera largement à des assistants, à partir des années 1564 et suivantes.. Il s’agit là d’un texte autrement plus intéressant que les deux épitres centuriques.(à César et à Henri II) ou que les divers quatrains. L’édition Chevignard du dit Recueil aurait du en 1999 être l’occasion d’une réémergence de ce texte. Mais d’une part, Chevignard n’a pas publié la partie des années 1560 du Recueil des présages Prosaîques et en outre, on l’ a vu, dans son balisage d’ensemble, il laisse entendre que le dit Recueil correspond à l’almanach 1562 conservé à Bruxelles. Ce fut donc une occasion manquée.
Nous ne pensons pas que le manuscrit de l’almanach soit de la main de Nostradamus et ce en dépit la signature qui selon nous fut imitée comme ce fut le cas, selon nous, pour le testament de 1566. En effet, ce manuscrit serait selon nous non pas un brouillon de Nostradamus comme on en trouve dans le Recueil des Présages Prosaïques mais bien plutôt une copie de l’imprimé, sans la partie calendrier et sans les quatrains qui l’accompagnent. A contrario, le Recueil, quant à lui, comporte les dits quatrains mais ne correspond pas à l’imprimé. On rappellera que d’une façon générale, on ne trouve pas les épitres adressés à un dédicataire précis dans le Recueil et cela vaut aussi pour Pie IV. Néanmoins, certains éléments de l’épitre liminaire des prédictions de l’almanach peuvent servir pour composer une épitre. Ce fut le cas ainsi de l’épitre à Catherine de Médicis qui récupère des éléments de l’épitre liminaire de l’almanach pour 1567
On notera que les partisans de la parution des quatrains centuriques du vivant de Nostradamus ne semblent pas si zélés que cela. Ils ne devraient négliger aucun document qui pourrait aller dans leur sens, à commencer donc par cet almanach pour 1562, dans sa version longue. Le Recueil des Présages Prosaïques doit ainsi être exploré systématiquement. Or, force est de constater que depuis 1999 et la parution du travail de B. Chevignard, soit depuis plus de 12 ans, aucun progrès n’aura été enregistré, jusqu’au présent article, pour connaitre le manuscrit au-delà de 1559 . Quant au manuscrit de l’almanach pour 1562, réimprimé en 1906, il ne semble pas être disponible en ligne, à ce jour. Il est vrai que la Pronostication pour 1562, parue chez Brotot,(cf bibliothèque Nostradamus. Propheties.it) quant à elle, comporte une référence à un quatrain relatif à l’assassinat du duc de Guise. Mais cette Pronostication semble bien être un faux. La véritable adresse à Vauzelles aura été modifiée. On en connait une version censurée dans la Pronostication pour 1562 parue chez Barbe Regnault. (Bibl Munich). C’est dire que l’année 1561 fut assez bousculée et donna lieu à l’époque à des censures et de l’autre à des contrefaçons postérieures au dit assassinat.

JHB
09. 10/12
 
 
133 - Le projet du Recueil des Présages Prosaïques
Par Jacques Halbronn

Il est possible qu’il y ait eu plusieurs moutures de ce Recueil (cf microfilm de la BNF Dept. Des MS, cote R 110774), si l’on reléve les corrections manuscrites concernant les titres des 12 « livres » qui le composent. A partir du troisième livre, en effet, on a droit à des ratures visant à modifier la numérotation fixée initialement.
L’hypothèse la plus probable qui nous apparait est la suivante. Il semble pour commencer que la division, la « réduction » par l’éditeur - comme dit Chavigny en son titre- en 12 ait été fixée et considérée comme immuable. On pouvait en revanche jouer sur le contenu des dix livres lequel n’impliquait pas nécessairement une année d’almanachs et de pronostications par « livre ». Il semble qu’il y ait eu trois temps et notre argument s’appuie sur les ratures qui interviennent à partir du livre III. La forme « ième » est conservée mais initialement ce ne pouvait être « troisième », sinon il n’y aurait pas eu de correction pas plus que second puisque la finale est « ième », cela ne pouvait donc être que quatrième ou cinquième.
Premier temps : une série allant de 1550 à 1567, avec pour le livre I, les années 1550 à 1554, pour le livre II l’an 1555, pour le livre III l’an 1556 et ainsi de suite jusqu’au XIIe correspondant à l’an 1567.
Second temps : une série prévoyant deux années supplémentaires pour 1568 et 1569, ce qui correspondait aux années couvertes par la « prophétie » pour les années 1562 à 1570, avec un regroupement des premières années, 1555 et 1556 se retrouvant associés respectivement à 1554 et 1557. Or, il n’y avait aucune raison pour que l’année 1557 doive partager avec 1556 alors que l’année 1558 avait un livre à elle toute seule.
Troisième temps : on renonce à ces deux années supplémentaires du fait de la mort de Nostradamus et l’on répartit autrement les 12 livres. Il faut alors renuméroter pour que le livre XII corresponde à l’an 1567. En fait, il eut été tout à fait possible de poursuivre jusqu’en 1569, sur la base notamment de l’almanach pour 1562 qui entendait couvrir une période allant jusqu’en 1570. Considérer que Nostradamus n’avait rien à dire au-delà de l’an 1567, année de son dernier almanach est aberrant concernant un astrologue a priori tout à fait capable de baliser des périodes plusieurs années à l’avance. C’est vouloir ignorer sciemment ou par ignorance tout ce que Nostradamus avait annoncé pour la fin des années soixante et ce dès l’an 1561 et son mémoire transmis à Catherine de Médicis.
On y aura renoncé, s’en tenant aux seules parutions strictement annuelles. On note qu’à la fin du Brief Discours sur la vie de Nostradamus, l’année 1567 apparait comme l’année terminale. Or, l’on sait que pour Nostradamus, le processus dépassait cette année, comme on peut le voir notamment par le biais des traductions italiennes.
Le raisonnement qui nous a conduit à une telle reconstitution chronologique s’appuie sur le fait
On notera que le manuscrit s’achève sur une rubrique intitulée « Aphorismi » en latin, répartis en 27 sections (pp. 719 et seq). On trouve également un « errata » : « Fautes survenues à la quotation d’aucuns (lire quelques) présages » et suivi (cf infra) de l’annonce d’un « Index des choses plus mémorables ». Cet « errata » indique que l’on avait en vue une édition mais que l’entreprise a été, pour quelque raison, suspendue.

Le RPP est un ouvrage qui, sous la forme que nous lui connaissons est en chantier, ce qui n’exclut pas qu’il ait pu paraitre dans une mouture antérieure.
On note qu’à la fin du manuscrit figure la mention « Indice des choses plus mémorables », qui devait être prévue pour accueillir un index des présages, resté inachevé et en tout cas absent du manuscrit. On trouve ce type d’index, en latin, sous la forme « Index Rerum Memorabilium », dans la Première Face du Janus François, reliant les événements aux quatrains. Dans le cas du Recueil, l’index aurait du relier les événements à des présages, sur la base de leur numérotation. En fait, sans cet index, cette numérotation qui ponctue le dit Recueil n’a aucun intérêt. Dans une précédente étude, nous avons signalé que l’exemple de ce type de présentation, couplant index et numérotation, avait été donné dès 1566 par Antoine Mizauld dans Memorabilium Centuriae, ouvrage qui comporte neuf centuries divisées en cent paragraphes et qui reparait dans les années 1580.
A plus d’un titre le RPP annonce les Centuries : d’une part parce que chaque livre du RPP reprend le titre du recueil comme il est de coutume dans les éditions centuriques et de l’autre parce que, à l’évidence, les deux projets (RPP et Centuries) sont formellement similaires. Tout se passe comme si le projet « quatrains » avait pris le dessus sur le projet « présages prosaïques », le second ayant été reporté et en partie repris dans les Pléiades que Chavigny publiera en 1603, chez Pierre Rigaud, à Lyon. .
La comparaison des titres des deux ouvrages est édifiante : le sous titre du RPP comporte le passage suivant « Histoire de noz troubles et guerres civiles de la France dez le temps qu’elles ont commencé iusques à leur entière fin et période (…) extraict des commentaires d’iceluy (Nostradamus) et réduict en XII livres par Iean Aimé de Chavigny Beaunois » (Grenoble, 1589)
Le sous titre de la Première face du Janus François est le suivant : « contenant sommairement les troubles, guerres civiles & autres choses mémorables advenues en la France & ailleurs dès l’an 1534 iusques à l’an 1589 (…) extraite et colligée des Centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame »
La version latine est plus proche du titre du RPP en ce qu’elle utilise le terme « Historiam Bellorum Civilium », le terme Historiam est en effet absent du titre français. D’ailleurs, souvent, l’ouvrage sera désigné non pas sous le nom de Première Face du Janus François mais sous celle d’Histoire de nos troubles qui pourrait avoir été le premier titre : on sait que nous ne disposons que d’éditions censurées, ce dont Chavigny s’explique dans sa ‘rétractation ».

On peut supposer, au demeurant qu’ai pu exister un manuscrit, perdu, regroupant un certain nombre de quatrains composés, en une sorte de loisir, de distraction, par Nostradamus, à partir de ses textes en prose – et non pas directement- outre les quatrains des almanachs et qui aura servi à constituer les premières centuries. Mais là encore, ce projet fut suspendu et ne prit tournure que dans le cours des années 1580, en s’inspirant du découpage centurique cher à Antoine Mizauld, un autre médecin astrologue, de Montluçon auquel Jean Dupébe consacra sa thèse d’Etat soutenue en 1999 (Université Paris X), sous la direction de Jean Céard, quelques semaines après notre propre soutenance, dans le même cadre, J. Dupébe qui avait en 1983 édite un autre manuscrit de Nostradamus, regroupant sa correspondance. (Ed. Droz) mais qui ne semble pas avoir rapproché les Centuries de Mizauld de celles de Nostradamus. Or, les 9 centuries correspondaient aux 9 muses et l’on sait que fondamentalement, les centuries nostradamiques s’articulent autour de trois ensembles de trois centuries..
Etrangement, on aura fini, au XVIIe siècle, par nommer « présages » les quatrains des almanachs alors que les présages, comme l’indique le nom même du Recueil, sont « prosaïques », le terme « présage »désignant, tout comme le mot « prédiction », avec lequel il est interchangeable, dans les almanachs, une étude mensuelle, elle-même divisée en quatre parties liées aux positions lunaires (nouvelle lune, pleine lune et quartiers). Cela dit, le quatrain résume en quelque sorte le texte en prose en en reprenant certains mots. A contrario, le mot « pronostication » est réservé aux seules études des ‘quatre temps », saison par saison, ce qui est une approche beaucoup moins fouillée (4 thèmes au lieu de 48 en moyenne, par an), de bas de gamme et vendue à vil prix..Ce caractère populaire de la pronostication est souligné par l’usage d’une vignette attrayante alors que la présentation de l’almanach est nettement plus sobre et plus conforme aux données astronomiques. Ce n’est qu’à partir de l’almanach pour 1565 que les almanachs de Nostradamus s’orneront d’un dessin, peut-être même dès l’almanach pour 1564, mais l’impression ne nous en a pas été conservée. En revanche, les almanachs pirates parisiens de Barbe Regnault (et de la Veuve N. Buffet) ont comporté des vignettes assez proches de celles figurant sur les pronostications de Nostradamus, dès l’almanach pour 1561, vignettes qui de ce fait se retrouvent en Angleterre (almanach pour 1563). Etrangement, les éditions centuriques 1555 et 1557 ne recourant pas aux vignettes des pronostications de Nostradamus des années 1557-1558 mais à celles des almanachs parisiens des années 1560, ce qui est une maladresse rédhibitoire de la part de faussaires, mal avertis des entreprises de contrefaçon antérieures.


JHB
10. 10. 12
 
134 - Les almanachs de Nostradamus pour les années 1563-1567
Par Jacques Halbronn

Sur les cinq almanachs- les derniers de Nostradamus- seul l’almanach pour 1566 nous est parvenu dans sa mouture française intacte. En effet, la traduction italienne de l’almanach pour 1567 semble tronquée et l’édition française pour 1565 qui nous est parvenue est bien imparfaite, Quant à l’almanach pour 1564, nous ne le connaissons que par le manuscrit du Recueil des présages prosaïques encore appelé les Merveilles de nostre temps.
Jusqu’à l’almanach pour 1563, la pronostication parait séparément mais à partir de l’almanach pour 1564, son contenu se trouve avant l’étude des mois.
Un examen trop rapide de l’almanach pour 1565 pourrait faire croire que ce développement consacré à l’année en général ne s’y trouve pas. Il s’agit en fait d’une erreur au niveau de l’imprimé, qu’on ne retrouve pas dans le Recueil des Présages Prosaïques. On a mis « janvier » au lieu d’annoncer la description de l’année. L’almanach pour 1566 confirme le nouveau dispositif intégrant l’interprétation des 4 thèmes – ou «ingrés » (entrée du soleil), correspondant aux points équinoxiaux et solsticiaux et qui permet de couvrir rapidement toute l’année au lieu de dresser un thème hebdomadaire.
On peut dès lors se demander si le quatrain de l’an n’est pas lié au contenu de la pronostication correspondante, si le quatrain figurant par exemple à la page de titre des almanachs pour 1561, 1562, 1563 ne renvoient pas aux prognostications. A partir de l’almanach pour 1564, la vignette de la pronostication figure sur la page de titre de l’almanach et le quatrain de l’an ne se trouve plus à cet endroit.. On ne connait pas de quatrain annuel dans les almanachs pour 1557 et 1558, selon le manuscrit du Recueil. On en a un pour 1559(mais non pour l’épitre liminaire qui est très fournie) mais pas pour 1560. En revanche, on a un quatrain pour l’an 1555 à ne pas confondre avec celui de l’epistre liminaire de l’almanach à ne pas confondre avec la pronostication, ce qui fait 14 quatrains pour 1555. En revanche, l’épitre liminaire de l’almanach pour 1557 n’est pas rendue par un quatrain mais est reprise dans l’épitre à Catherine de Médicis au sein du même almanach. L’épitre liminaire de l’almanach pour 1558 n’a pas non plus fourni un quatrain ; Dans le cas de l’almanach pour 1556, aucun quatrain ne semble avoir été proposé et pas plus pour son épitre liminaire
Ces almanachs, comme dans le cas, de celui pour 1562 incluaient également, du moins dans certains cas, des développements sur plusieurs années, accordant de l’importance au thème des éclipses ainsi qu’aux conjonctions planétaires. Il semble que cela ait été le cas de l’almanach pour 1567 que l’on ne connait que par une traduction italienne (conservée à Cracovie) comportant un important développement qui reprend peu ou prou celui de l’almanach pour 1562, mais se limitant cette fois aux années se succédant jusqu’en 1570 et renvoyant à l’almanach, ce qui pourrait signifier des publications à l’origine séparées.
Le contenu du quatrain général pour 1562 est à l’évidence axé sur les saisons :
Saison d’hiver, ver (Printemps) bon, sain, mal esté (Eté)
Pernicieux automn’ sec, froment rare
De vin assez, mal yeux, faits, molesté
Guerre, mutins, séditieuse tare
Nostradamus avait trois occasions pour dresser et interpréter un thème : les conjonctions soli-lunaires (balisées dans le calendrier par les 12 signes du zodiaque, traversés en un mois par la Lune), les thèmes (ou révolutions) du passage du soleil sur les axes équinoxiaux et solsticiaux, et enfin les thèmes d’éclipses. Par ailleurs, il s’intéressait aux conjonctions des planétes mais cette fois sans dresser le thème en signes et en maisons (de l’horoscope/Ascendant). Ces différentes approches correspondaient à des échelles de temps différentes. Il semble que Chavigny ait, notamment dans le « Brief Discours sur la vie de M. Michel de Nostredame » conduit à ce que l’on privilégie les almanachs, certes agrémentés de quatrains allant de 1555 à 1567 mais il est clair que Nostradamus ne se limitait pas à l’année en cours et donc écrivit pour $des années au-delà de 1567, notamment dans le mémoire remis en 1561 à Catherine de Médicis et qui fut partiellement traduit en italien.
Abordons enfin la question des almanachs parisiens parus au début des années 1560, notamment chez Barbe Regnault, une femme libraire. Les bibliographes (de Ruzo à Benazra et à Guinard) se sont intéressés à son cas et ont signalé notamment que les quatrains utilisés étaient des quatrains parus dans de précédents almanachs et quelque peu retouchés, phénoméne que l’on retrouve dans les éditions centuriques parisiennes datées de 1588-1589 où certains quatrains apparaissent à deux reprises mais sous des présentations décalées. Ce décalage vaut également sur le plan iconographique avec des vignettes remaniées mais restant assez proches de l’original mais ne pouvant se confondre avec lui, ce qui s’apparente au genre de la satire grimaçante plus que du plagiat.
On ajoutera les observations suivantes : l’épitre de ces « faux » almanachs n’est pas datée (jour, mois, an). Les données astronomiques sont celles d’autres années que celle censée traitée dans l’almanach. La présentation de la page de titre est calquée sur celle des almanachs de Nostradamus qui est de mise jusqu’en 1562 : Almanach pour l’an (….) composé par Maistre Michel Nostradamus Docteur en Medicine, de Salon en provence.
La partie du milieu de la page de titre est toutefois remplacée par une vignette imitant celle des pronostications.
A partir de l’almanach pour 1563, la présentation du « vrai » almanach change : le nom du dédicataire ( François Fabrice de Serbellon) figure sur la page de titre (on ne connait la page de titre que par la réimpression de 1905, Mariebourg) qui restitue selon nous fidèlement l’original sans pour autant être un fac simile). Or, étrangement, cette pratique est appliquée pour la Pronostication pour 1555, avec le nom du dédicataire. (Joseph des Panisses). Certes, il s’agit là d’une pronostication et non d’un almanach mais cette pratique n’est pas davantage attestée dans les années 1550 pour les pronostications (1557 et 1558). Cela nous confirme dans l’idée d’une contrefaçon qui ne peut être antérieure à 1563, seul exemple connu de la dite pratique qui ne sera d’ailleurs pas reprise pour les années suivantes..
Autre changement à partir de l’almanach pour 1563, Avignon, Pierre Roux : Almanach pour l’an 1563 avec les présages, calculé & expliqué par M. Michel Nostradamus, Docteur en médicine, Astrophile de Salon de Craux en Provence ». Cette présentation se retrouve à l’identique pour l’almanach 1565 (Lyon, Benoist Odo) – on n’a pas la page de titre de l’almanach pour 1564 (non conservé) mais l’on peut supposer qu’elle était semblable. Pour les almanachs 1566 et 1567, la forme « M. Michel Nostradamus » redevient « Maistre Michel de Nostradame (sic) » (la forme Nostradame (plus proche de Nostradamus) est utilisée dans le Recueil des Présages Prosaïques C’est la forme »M. Michel Nostradamus » qui se retrouve chez Barbe Regnault 1563 alors que l’almanach Regnault 1561 a « Maistre Michel Nostradamus » (cf bibliothèque Nostradamus. Propheties.it). On notera que pour la même année 1557, on trouve diverses formes :
Almanach et Présages = Maistre Michel Nostradamus
Pronostication = Maistre Michel de nostre (sic) Dame
Mais on a pour l’année suivante 1558 : Maistre Michel Nostradamus.
Ces descriptions ont pour but de permettre de détecter les contrefaçons mais aussi de signaler les variantes au sein même de la production authentique. Ces évolutions rendent difficile le travail de contrefaçon dans la mesure où il y a un risque d’anachronisme quand on prend modèle d’un almanach comme celui de 1563 pour composer une pronostication pour 1555 ou tout simplement une édition Macé Bonhomme de la même année 1555 recourant à une vignette empruntée à l’almanach Barbe Regnault pour 1561. et utilisant la forme « M. Michel Nostradamus » qui n’est pas encore alors en usage/ Il apparait donc que le début des années 1560 ait marqué les contrefaçons de la décennie précédente. Il s’avère qu’il est souvent utile d’aller étudier non pas tant ce qui précéde une période-comme cela se pratique usuellement, que ce qui lui fait suite pour analyser un document.


JHB
11. 10. 12
 
135 - Nostradamus et l’éclipse éclipsée
Par Jacques Halbronn

P. Brind’amour a accordé dans les années 1990 une certaine attention au rapport que Nostradamus entretenait avec la question des éclipses (cf. notamment pp. 380-381 des Premières Centuries, Droz, 1996). Il apparait que dès 1555, Nostradamus se soit intéressé à l’éclipse de 1567, puisque, note Brind’amour, Laurent Videl évoque à ce propos un passage de l’almanach (perdu) pour 1556.
Il mentionne l’almanach pour 1567 qui est introuvable et dont il indique qu’il comportait le thème de l’éclipse d’avril 1567 (cf Benazra, RCN, p. 74[1]). Le sous titre en est « avec ses amples significations ensemble les explications de l’Eclypse merveilleux & du tout formidable qui sera le IX. d’Avril proche de l’heure de Midy », Lyon, Benoist Odo..
Brind’amour ne semble pas s’être intéressé aux traductions italiennes de ce qu’il appelle la ‘Pronostication inédite pour 1562 dont on connait pourtant plusieurs éditions italiennes comportant le passage qu’il signale. Et il ne connait pas davantage le texte de 30 pages qui accompagne l’édition italienne du dit almanach pour 1567, conservé à Cracovie. Apparemment, ce texte de 1566 est absent de la réédition de 1904- puisque Ruzo ne le mentionne pas (cf Testament de Nostradamus, p. 344), dont l’original a disparu. Or, ce texte est essentiel pour le dossier et fait pendant à celui de la pronostication parue cinq ans plus tôt. Par ailleurs, P. Brind’amour ne s’interroge pas sur l’absence de mention de la dite éclipse d’avril 1567 dans les Significations de l’Eclipse de septembre 1559. Il ne note pas que dans la pronostication pour 1562, si la date d’avril 1567 est avancée, le mot éclipse n’y figure cependant pas.
Le texte d’une trentaine de pages porte en exergue la formule latine indiquant une certaine infaillibilité prophétique « Verum ego vaticinor, nec me praesagia fallunt », il est daté du 22 avril 1566/ « pro anno 1567. 1568. & 1569 cum anno 1570 » et vient compléter le « mémoire » de 1561, dont nous avons la réimpression de 1906 et qui, lui, couvre trois autres années 1562, 1563 et 1564 et dont nous disposons de traductions italiennes, là encore mais aussi d’un manuscrit français, cette fois. Il ne se trouve pas dans le Recueil des Présages Prosaïques pas plus d’ailleurs que le précédent. Parcourant probablement l’Eclipsium de Leovitius (1556) qui ouvre la période[1] allant de 1554, avec 4 éclipses jusqu’en 1606, Nostradamus passe en revue cette collection et reléve les années 1540, 1544, 1567 et 1605. Dans les Significations de l’Eclipse de 1559, ouvrage daté du 14 août 1558, Nostradamus désignait déjà cette année 1605 mais étrangement pas celle de 1567, qui est remarquable en ce qu’elle a lieu dans les signes équinoxiaux (Bélier ou Balance), Ptolémée étant cité à l’appui en latin. La lecture du mémoire « Médicis » manuscrit de 1561, censé avoir figuré avec l’almanach pour 1562 confirme certes l’intérêt de Nostradamus pour 1567 mais le mot éclipse n’y apparait guère en comparaison de la question des « triplicités » associées aux configurations planétaires.
L’ouvrage dont se sert Nostradamus, notamment pour ses Prognostications n’est pas l’Eclipsium qui n’a aucun caractère astrologique mais l’Ephemeridum qui comporte « Themata quatuor anni temporum cum brevi declaratione revolutionis mundi » (V), la déclaration du monde correspondant à l’heure du passage annuel du soleil à l’équinoxe de printemps,dans l’hémisphère boréal.
A la lumière des ces remarques, il nous semble que le mémoire-« préface » -selon la formule de l’épitre à Pie IV dans l’almanach pour 1562- a été retouché ou censuré pour que l’on ne se rende pas compte de l’importance que Nostradamus accordait à l’éclipse de 1567.
La production de 1559, dont les seuls imprimés sont en anglais –mais dont on a une mouture dans le Recueil des Présages Prosaïques, évoque bel et bien la dite éclipse 1559, dont les seuls imprimés sont en anglais, évoque bel et bien la dite éclipse.
Juillet : « L’éclipse équinoctial présage (trad. Chevignard du latin, p. 342) « un grand excès, répété et turbulent. En effet, les signes équinoxiaux protègent (sic, lire concernent) ce qui ressortit à la religion et à l’équilibre etc. » et encore dans le « Sommaire de l’an » (d’une pronostication dédiée au Cardinal de Lorraine, (Chevignard, op. cit, p ; 361) – la mention d’un dédicataire dans le Recueil est rarissime- » l’éclipse lunaire qui est à l’opposite du temps vernal (donc en balance, en septembre vient à signifier quelque tumulte & esmotion en la religion Chrestienne ou bien aux culteurs (sic)d’icelle ». C’est suffisant pour donner l’idée de ces Significations[2]. En fait, cette éclipse de 1567, nous explique-t-on dans le document de 1566 (en italien) serait censée agir sur une période de trois ans, d’où l’échéance de 1570
A la lumière des ces remarques, il nous semble que le mémoire-« préface » -selon la formule de l’épitre à Pie IV dans l’almanach pour 1562- a été retouché pour que l’on ne se rende pas compte de l’importance que Nostradamus accordait à l’éclipse de 1567. Tout y est sauf le mot éclipse. Notre explication est la suivante : en ne se référant pas à une éclipse pour désigner la date de naissance de l’Antéchrist alias Marcellinus – le macelin des centuries- on basculait dans le prophétisme. Dans le mémoire du 22 avril 1566, on parle de l’éclipse mais plus de cette naissance. Il y a une oscillation entre deux discours, l’un plus scripturaire, l’autre plus astronomique. Il y a toujours un élément qui manque. En ce qui concerne les Significations, on assiste à un stratagème visant à carrément occulter tout ce qui tourne autour de 1567, en laissant entendre que Nostradamus en 1558 avait uniquement en ligne de mire 1605. Rappelons que la présence du mot « centurie » dans cet ouvrage le situe en réalité au plus tôt à la veille de 1585, date figurant dans l’Epitre à Henri II. Dans ces Significations (dont la page de titre reprend celle des pronostications) qui sont précisément axées sur la question des éclipses, il y a bien là une volonté de replacer Nostradamus dans l’après 1570. On peut se demander pourquoi c’est l’année 1606, année « sans eclipse » mais Leovitius explique, dans la déclaration de la révolution du monde pour cette année là que les effets de l’éclipse de 1605 se feront sentir fortement en 1606. En effet une éclipse, selon divers auteurs du XVIe siècle[3], agit sur les années suivantes, comme le note Francesco Liberati dans : Almanach et amples prédictions pour l'an mil cinq cens quatre vingts et cinq, avec le jugement de l'éclipse du soleil, lequel sera du tout obscurcy vers l'angle d'occident, le soir du 29 jour d'avril, (BNF 8°V 28167) : « laquelle (éclipse) n’exercera aucunement ses forces mais bien l’an 1586 & 87 menace sur une reine etrangère »
Dans le Janus Gallicus, dans le commentaire du mois d’avril 1567, note Brind’amour, il est fait référence au quatrain IV, 94 « Quand le défaut du Soleil lors sera/ Sus le plein iour, le monstre sera veu ». Chavigny se contente de dire que cette éclipse fut vue « en plein midy fort grande » en mentionnant Leovitius. « en ses Ephemerides & Eclipse », sans la moindre allusion à une quelconque attente prophétique. La montagne accouche d’une souris. On peut penser que ce quatrain pourrait être issu de la production en prose de Nostradamus tout comme le quatrain VIII, 76 « Plus Macelin que roy en Angleterre/ Lieu obscur nay par force aura l’empire/Lasche sans foy, sans loy saignera terre/Son temps s’approche si pres que ie souspire », quatrain directement issu du mémoire de 1561 – où Nostradamus demandait de supprimer un L à Marcellinus- et qui évoque clairement l’avènement de l’Antéchrist, censé naitre le jour même de l’éclipse du 9 avril 1567. Ajoutons cependant ce passage de l’Epitre 1558 à Henri Second : « Puis le grand empyre de l’Antechrist commencera », « l’abomination de l’Antechrist, faisant guerre contre le royal (sic) qui sera le grand vicaire de Iesus Christ & contre son eglise (…) & le plus tenebreux (..) sera au moys d’Octobre (...) & ne tiendra tant seulement que septante trois ans, sept moys puis apres en sortira du tige celle (sic) qui avoit demeuré tant longtemps sterile procédant du cinquantieme degré qui renouvellera toute l’eglise Chrestienne etc ». L’auteur de l’épitre déclare renoncer à avancer, un « dénombrement » une date, information qu’il réserve au Roi. « iusques à ce, Sire, que votre maiesté m’aye octroyé ample puissance pour ce faire ne donner cause aux calomniateurs de me mordre »
Il nous semble que cette Epitre censée datée de 1558, comme les Significations de l’Eclipse, n’est guère compatible avec le Mémoire de 1561 censé avoir été envoyé à Catherine de Médicis, la veuve d’Henri II,, lequel mémoire est divulgué dans l’almanach pour 1562 dédié au pape Pie IV, et, en tout cas, dans ses traductions italiennes.
« au commencement de ma calculation j’ay communiqué à la sereniss. Majesté de la Royne mère régente de France »
C’est en tout cas cette Epitre qui annonce l’Antéchrist sans support astronomique précis qui est placée dans le canon centurique et non le mémoire-testament de 1566. On nous dit que ce n’est qu’à partir de 1792 que « commencera le peuple Romain de se redresser ». C’est le contraire de ce qu’en 1414 Pierre d’Ailly annonçait[4] et l’on peut se demander s’il n’y a pas là quelque contresens au niveau de l’épître de 1558 Le cardinal écrit ::
« Si le monde dure encore jusqu’à cette année-là, ce que Dieu seul sait, il y aura alors de grands, nombreux et étonnants changements dans le monde, principalement dans la loi et la religion [...] Peut-être que l’Antéchrist viendra à ce moment-là, avec sa loi et doctrine détestable, en tout contraire à la loi du Christ. En effet, même si l’homme ne peut connaître avec certitude le moment précis de sa venue, comme nous l’avons dit par ailleurs, l’astronomie peut permettre cependant, sans donner de date exacte, de conjecturer avec vraisemblance qu’il viendra vers cette époque »
Il convient de revenir sur l’importance que Nostradamus accorde parallèlement aux conjonctions Jupiter-Saturne, comme c’est notamment le cas dans le « mémoire » d’avril 1561. Il a en ligne de mire 1564 mais cela commence en 1562. »Et depuis la présente année 1562 jusques là, le fait ecclésiastique temporisera». Il faut attendre 1603 et la conjonction dans le signe de feu du sagittaire. Il rappelle le changement de 1425 quand on est passé de la triplicité « aérée » à la triplicité ‘aquatique », en scorpion. Ce passage de la « grande conjonction » dans les signes d’eau fut néfaste pour l’Eglise. « la puissance de l’eglise commença à estre abaissée » Il faut donc attendre le changement de triplicité en 1603 pour que les choses changent en faveur de la dite église. Mais en attendant, les épreuves vont empirer et notamment du fait de la convergence de deux indicateurs : la conjonction (en cancer, signe d’eau en 1563) et l’éclipse de 1567.
Un quatrain illustre l’attente de 1603, emprunté au Livre de l’Estat et Mutation des Temps de Richard Roussat (p. 131) « Saturne & Iupiter en Sagittaire Signe de feu (…) sera en son auge surhaussé & exalté ». Roussat ne signale pas l’année 1603 concernant cette configuration mais c’est bien à cette année qu’il se réfère. Cela se retrouve quasiment mot pour mot dans le quatrain I, 16 :

Faux à l’estang (lire estaing, métal de Jupiter) ioinct vers le Sagittaire/
En son hault auge de l’exaltation.
Peste, famine, mort de main militaire/
Le siecle approche de renovation.

Toutefois, l’on peut penser que le quatrain n’a pas été pris directement du passage de Roussat mais bien d’un passage du Discours de Nostradamus de 1561, pour le mois d’avril 1562 (p. 95 de la réimpression) lui-même repris de Roussat et que le dit Nostradamus aura transposé en quatrain tout en apportant la précision concernant le Sagittaire.

«et cecy s’entend (..) par certaine conionction. Et Saturne elevé sus Iupiter, c'est-à-dire exalté plus proche de son auge au Zodiac vient à menacer icelle perilleuse depression des ecclesiastiques plus en leurs substances qu’autrement»
Notons aussi ce verset du quatrain précédent I, 15: « Auge & ruyne de l’Ecclesiastique »

Cependant, il nous semble que pour Roussat, 1603 ne soit pas une échéance aussi heureuse que pour le Nostradamus de l’épitre de 1558. Roussat mentionne en revanche 1702, où la conjonction se fera en bélier, premier signe du zodiaque.
Terminons avec le quatrain I, 17 qui fait suite à I, 16 : « Par quarante ans l’Iris n’apparoistra/ Par quarante ans tous les jours sera veu. La terre aride en siccité croistra/Et grans deluges quand sera aperceu »
Ces 40 ans nous semblent correspondre au temps restant entre 1563 et 1603.
Dès lors l’ éclipse de 1605 est à la conjonction de 1603 ce que celle de 1567 est à la conjonction de 1563. Mais dans l’épitre de 1558, les choses nous semblent très embrouillées et décalées par rapport aux quatrains susmentionnés. On y trouve deux échéances qui ne sont pas 1562/1564 et 1603/1605 mais 1585 et 1606. On s’attendrait au vu de la date à une échéance dans les années 1560. Selon nous on aura changé le 6 des dizaines en 8, quand on s’approcha des années 1580.
Le choix de l’année 1606 est à considérer au vu de l’Ephemeridum de Leovitius qui se termine, comme l’Eclipsium, justement en cette année – mais cela vaut aussi pour les éphémérides de J. Stadius commentées par l’astrologue F. Junctin- et qui comporte deux indications reprises dans l’Epitre à Henri II : d’une part l’indication qu’aucune éclipse n’est à attendre pour cette année et d’autre part la liste des rétrogradations (c’est le « Regressus planetarum » que l’on trouve aussi chez Stadius, chaque année (Ephemeris Anno Christi 1554 Cologne 1570). Quant à l’intérêt de telles informations qui prennent quasiment une page de l’épitre, il nous apparait, a priori, très faible –il s’agit d’une série de chiffres, de mois, de signez zodiacaux et d’astres - si ce n’est que les effets de l’éclipse de 1605, déclare Leovitius, se feront lourdement sentir en 1606.
Mais tout cela coexiste avec d’autres données reprises de Roussat (lequel d’ailleurs produit un certain nombre de quatrains (pp. 120 et seq) concernant la fin du xVIIIe siècle : « environ deux cens quarante troys ans (…) en prenant la date de la compilation de ce present traicté laquelle date est posée & escrite à la fin d’iceluy » Un vrai jeu de pistes ! On se reporte donc à la fin : « terminé & fini le quinziesme iour du moys de Febvrier l’an de grâce mil cinq cens quarante huict » (p. 180) ce qui donne 1791 et non 1792 et recoupe les 1789 de Pierre d’Ailly. Dans l’Epitre à Henri II, la présentation est comparable en ce qu’il est mentionné « à commençant depuis le temps présent, qui est le 14. de mars 1557 » si ce n’est que n’est pas fourni à la suite le nombre à ajouter (235 ans) qui devrait être pour parvenir à 1792 . Mais dans ce cas à quoi bon donner, un peu plus loin, 1792 « en clair » ? Si l’on compare Nostradamus à Roussat, il est clair que Nostradamus entend dans le mémoire de 1561 « avancer » les temps et se fixe sur le début du XVIIe siècle, indiqué par Roussat uniquement à coups de configurations astronomiques et apparemment dans l’intention de ne pas faire figurer de dates dans son livre. En revanche, Nostradamus, en dehors de l’épitre à Henri II ne vise pas le début du XVIIIe siècle dans sa prose ni d’ailleurs dans les quatrains centuriques qui en dérivent. Il est possible cependant que l’on ait trouvé dans ses papiers des extraits du livre de Roussat, calqué sur le Période du Monde de Pierre Turrel[5], qu’il n’aurait pas entendu utiliser et qu’on les ait inséré dans cette Epitre à Henri II.
Il nous apparait que les textes en prose de Nostradamus donnent souvent l’impression d’être lacunaires comme s’il fallait chercher ailleurs une certaine clef pour les entendre, à la manière des sixains dont on sait qu’à un certain stade ils étaient suivis d’une liste de correspondance.[6] . On dira par exemple que certains passages de l’Epitre à Henri II fournissant des degrés de latitude ne font sens qu’au regard d’éclipses alors même qu’il n’en est pas fait mention pour les passages concernés.

JHB
18. 10. 12.

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[1] Cf Fr Stephenson, J. E. Jones, L. V. Morrison “the solar eclipse observed by Clavius, in AD 1567”, Astron. Astrophys. 322, 1997
[2] Qur les Significations, Cf l’étude de T. W. M. Van Berkel, sur le site Astrology and the Bible. Debate
[3] Voir Leovtius, Grundliche klärliche Beschreibung und historischer Bericht der (…) Sonnen Finsternussen etc 1564, Laugingen BNF 4°V 1284, avec un Pr²ognosticon oder weissagung von dem 1564. jar .
[4] Repris de l’article wikipedia « Pierre d’Ailly », voire notre thèse d’Etat Le texte prophétique en France.
[5] Cf J. P. Brach, Intr. Au Livre de l’estat et mutation des temps, Gutenberg reprints 1981
[6] Cf Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus
 
136 - Les quatrains centuriques et les « mémoires « de 1561 et 1566
Par Jacques Halbronn

Il est probable que si nous disposons de deux collections de quatrains, c’est parce qu’il existe deux séries de textes en prose de nature assez différente. Nous pensons aussi que la première série posait moins problème pour une diffusion publique que la seconde. Cela dit, en ce qui concerne la seconde série, les quatrains en soi constituent un puzzle quasi insoluble. Il est heureux, dès lors, que nous disposions de la prose d’origine. Non pas que tous les quatrains centuriques en émanent mais probablement une proportion non négligeable.
La prose dont il s’agit correspond, selon nous, à deux « mémoires » ou « préfaces » si l’on utilise la terminologie de Nostradamus dans son épitre de 1561 au Pape Pie IV, dans son almanach nouveau pour l’an 1562. Durant la vie de Nostradamus, les quatrains issus de ces mémoires n’ont pas circulé et on ignore d’ailleurs à quelle date ils furent composés ni même par qui mais l’on peut dire avec une certaine assurance qu’ils furent réalisés à partir de la prose de Nostradamus./
Notre conviction tient au fait que les quatrains centuriques ont un contenu qui ne peut être relié à la production annuelle ordinaire de Nostradamus. On peut certes croire, à l’instar de nombre de nostradamologues, que ces quatrains auraient été composés directement mais nous avons exprimé l’avis depuis notre post doctorat de 2007 qu’un quatrain d’almanach émanait de prédictions en prose, de « présages prosaïques », pour reprendre le titre du manuscrit rassemblant la production de Nostradamus entre 1550 et 1567 (en partie éditée par B. Chevignard, Paris, Seuil, 1999).
La connexion entre le mémoire de 1566 et les quatrains centuriques est assez évidente, notamment en ce qui concerne le quatrain reprenant le mot « macelin », que l’on trouve à deux reprises dans la même centurie VIII, suivi du quatrain qui mentionne le mot « Antéchrist » (VIII 76 et VIII 77).
Plus Macelin que Roy en Angleterre
Lieu obscur nay par force aura l’empire
Lasche sans foy sans loy saignera terre
Son temps s’approche si pres que ie souspire

Macelin vient en effet de Marcelinus dont Nostradamus dit qu’il faut supprimer le R. et à l’évidence ce personnage peut être associé à l’Antéchrist.
Signalons aussi VIII, 54
« D’espaignolz faict second banc macelin »
Comment expliquer qu’un tel rapprochement n’ait, à notre connaissance, jamais été proposé ? Cela vient du fait que le texte en prose n’est plus connu sous sa forme imprimé, qu’en italien – on en connait plusieurs éditions des années 1560 que l’on retrouve sur le site de la Bibliothèque Nostradamus (propheties.it) et d’ailleurs plusieurs d’entre eux sont conservés à la BNF, alors que celle-ci par ailleurs ne dispose quasiment d’aucun exemplaire papier des publications annuelles de Nostradamus, pas même des réimpressions d’Henri Douchet, parues dans la première décennie du XXe siècle, à Mariebourg et qui ne semblent pas avoir respecté le dépôt légal. .
Dans le cas du mémoire de 1566, nous ne disposons que d’une traduction italienne, placée en annexe de l’almanach pour 1567 et comme l’on ignore quel était le contenu exact de l’édition française du dit almanach, nous ignorons si ce mémoire de 1566 y figurait ou non ou s’il a été joint à l’édition italienne. On ne le trouve pas, en tout cas, dans l’édition anglaise, The Prognostication, titre qui en fait correspond à Almanach pour 1567.
Il faudrait traduire d’italien en français ce document pour mener des recherches systématiques en recourant à la numérisation des deux mémoires, comme nous l’avions fait il y a 20 ans pour les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation française d’Antoine Crespin.(cf notre thèse d’Etat. Le texte prophétique en France, Université Paris Ouest Nanterre La Défense, 1999). Nous avons ainsi pu identifier que certaines pages de cet ouvrage étaient littéralement truffées d’éléments se retrouvant dans les Centuries.(cf nos Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus).

Dans le cas du document A, il semble assez avéré que l’impression en avait été censurée. Dans l’exemplaire de l’imprimé de l’almanach pour 1562, le document est annoncé dans l’Epitre à Pie IV mais il ne figure pas dans le dit almanach. Cet almanach ne comporte en fait des prédictions substantielles que pour les mois de janvier et de février, qui reprennent en partie celles que l’a dans le manuscrit. Pour les mois suivants, il se limite à une description très succincte de quelques données astronomiques. Etrangement, le privilége ne cite pas le nom de Nostradamus :

J. P. Barbier resitue ainsi cette période[1] : « en novembre 1561, les conseillers du roi sont très irrités de la publication des almanachs (…) Nostradamus vient de faire paraitre celui de l’année 1562 quand il est arrété et remis au comte de Tende. (…) On le relâche rapidement » On ne comprend pas cette mesure si l’on n’ a pas pris connaissance de l’intégralité de l’almanach pour 1562 adressé au pape. Nostradamus n’y allait pas de main morte et déjà dans son almanach pour 1556 (cf Recueil des Présages Prosaïques), il aurait pu être accusé de troubler l’ordre public par ses vaticinations apocalyptiques motivées par le spectre l’éclipse d’avril 1567.
Dans l’article « Nostradamus « (Wikipedia), on lit :
« L'ordonnance d'Orléans du 31 janvier 1561 (dont l'auteur ou un des auteurs fut le chancelier Michel de l'Hospital, hostile à Nostradamus) prévoit des peines contre les auteurs d'almanachs publiés sans l'autorisation de l'archevêque ou de l'évêque Peut-être une infraction à cette ordonnance est-elle à l'origine d'un incident qui n'a pas été tiré tout à fait au clair. Le jeune roi Charles IX écrit le 23 novembre 1561 au comte de Tende, gouverneur de Provence, apparemment pour lui donner l'ordre d'emprisonner Nostradamus, car le comte de Tende répond au roi le 18 décembre : « Au regard de Nostradamus, je l'ay faict saisir et est avecques moi, luy ayant deffendu de faire plus almanacz et pronostications, ce qu'il m'a promis. Il vous plaira me mander ce qu'il vous plaist que j'en fasse ». Le comte a donc fait arrêter Nostradamus et l'a amené avec lui dans le château de Marignane. Les deux hommes étaient amis et la prison tenait plutôt de la mise en résidence. On ignore ce que le roi répondit au comte de Tende, mais tout indique que l'incident resta sans suites ». Nous pensons que l’une des conséquences fut la production d’un almanach pour 1562 dans une version sensiblement réduite. Il est étonnant que Nostradamus ait publié son document quelques semaines seulement après l’ordonnance du 31 janvier 1561. Quant à son engagement à ne plus faire d’almanachs ni de pronostications, qu’en aura-t-il été ? Il n’est peut être pas indifférent que l’almanach de Nostradamus pour 1563 ait été publié à Avignon, donc hors du Royaume.(cf sa réimpression en 1904, par Henri Douchet, Méricourt l’Abbé) avec une épitre bilingue (français-italien). Mais c’est aussi l’époque où paraissent des almanachs « pirates » sous son nom.
La décision de diffuser des quatrains reprenant la substance de certains messages censurés peut dater de cette époque. On ne peut donc éliminer l’hypothèse selon laquelle on aurait composé les quatrains qui seraient par la suite rangés en centuries pour permettre une certaine circulation d’un certain type de message autour du thème de l’Antéchrist. Cela dit, l’Epitre à Henri II, datée de 1558, peut être intégrée dans notre corpus du fait de la similitude des thématiques, soit qu’elle ait été rédigée telle quelle, soit qu’elle dérive des documents A et B.
En ce qui concerne la Première Face du Janus François (1594), on notera que Chavigny a tenté de montrer que les quatrains des almanachs valaient pour des périodes ultérieures à la date de leur échéance prévue et que dans un second temps, il aura intégré dans son commentaire les deux types de quatrains sans établir de rapport entre la prose et les quatrains.
Nous encourageons donc les chercheurs à suivre cette piste en reliant autant de versets que possible à des passages du document A dont il existe un exemplaire à la Bib. De Lyon La Part Dieu, fonds Chomarat).
On prendra le cas du thème de l’éclipse qui joue un rôle si crucial dans notre corpus. On retrouve plusieurs quatrains comportant ce mot ou un équivalent « défaut des luminaires ». On pourra se servir pour ce type de recherche du Dictionnaire Nostradamus. Définitions, fréquence et contextes des six mille mots contenus dans les Centuries (ed. 1605à de Nostradamus, élaboré par le Québécois Michel Dufresne, JCL Ed., Québec 1989

III, 4, 5
Quand seront proches le défaut des lunaires (lire luminaires)
Froid, siccité, danger vers les frontières
Mesme où l’oracle a prins commencement
Près loing defaut deux grands luminaires
Qui surviendra entre l’Avril & Mars
O quel cherté mais deux grands débonnaires
VIII, 15
Vers Aquilon grands efforts par hommasse
Presque l’Europe & l’univers vexer
Les deux eclypses mettra en telle chasse
Et aux Panons vie & mort renforcer

Inversement, l’on devrait pouvoir détecter des données étrangères à notre corpus, à moins que dans certains cas, elles aient été retouchées. On pense ainsi au célèbre quatrain associé à l’éclipse de 1999/
«X, 72 :
« L’an mil neuf cens nonante neuf sept mois
Du ciel viendra un grand Roy deffraieur
Ressusciter le grand Roy d’Angolmois
Avant après Mars régner par bon heur. »
En effet, on ne trouve rien dans la prose de Nostradamus ni dans la littérature de son temps qui ait trait à cette année 1999. Certains proposent de lire 1666 inversé, 666, nombre de la Bête dans l’Apocalypse étant associé à l’Antéchrist.
Déjà dans l’épitre à Pie IV qui, quant à elle, nous est conservée en tant qu’imprimé et qui résume le mémoire nous lisons : « j’ay calculé dans la présente Préface manifestant iusques à l’an 1570 »
Notons que le mot éclipse ou un équivalent ne figure pas, hormis le mot « ciel », dans X, 72.. Mais on peut relier le personnage ainsi décrit à l’Antéchrist dont on a deux occurrences par ailleurs
VIII, 77
L’antechrist trois bien tost annichilez
Vingt & sept ans sang durera sa guerre
Les heretiques mortz, captifs, exilés
Sang corps humain eau rogie (rougie), gresler terre
X 66
Le chef de Londres par regne l’Americh
L’isle d’Escosse tempiera (sic) par gellée
« Roy Reb auront un si faulx antechrist
Qui les mettra trestous dans la meslée

On aura remarqué l’usage du mot « préface » par Nostradamus dans son épitre au pape. Ce terme désigne en fait notre mémoire, il ne saurait être confondu ni avec l’épitre, ni avec la série des présages en prose pour 1562. On peut se demander s’il n’y a pas un jeu de mots sur « préface » et « prophétie ». Toujours est-il qu’en tête des centuries, figure une Préface (à César). Si préface désigne le texte en prose, il est logique qu’il soit suivi de quatrains qui en dérivent. Le fait qu’un texte en prose précède d’une part un lot de 7 centuries et de l’autre un lot de 3 centuries, rétablit selon nous la hiérarchie prose/vers. Cela n’empêche d’ailleurs pas que ce diptyque ne soit précédé d’une épitre, comme dans le cas de l’almanach pour 1562 mais cela n’est le cas d’aucun des deux volets centuriques, ce qui souligne le caractère de publication posthume de nos deux documents.
Il reste que l’image d’un Nostradamus astrologue – ce qu’il est avant tout au prisme de ses « mémoires » est sensiblement brouillée. En 1903, Henri Douchet cite dans un article (in Extrait. Les prophéties de M.Nostradamus. d’après l’ edition de Pierre. Chevillot, 1611 1903, BNF 8 Lb57 13574, cite, sans autre précision, Nostradamus : «Dans un de ses almanachs » : «Tant qu’à ceux qui me reprochent trop legierement de me servir de l’Astrologie justement condamnée par les saints canons, je déclare à iceux que je m’en passerai le plus possible et je m’en servirai seulement pour fixer les époques des événements que Dieu me faict connoitre »
Quant à Torné Chavigny, il met les astrologues au défi : ‘ »Nostradamus se moque de l’astrologie et des astrologues pour faire connaitre que l’astrologie n’est pour rien dans sa prophetie » ; « est ce que les astrologues les plus entichés de cette vaine science ont jamais pensé qu’avec l’astrologie on pouvait prédire « le commun advenement, l’avenir de la société ou communauté tout au long, limitant les lieux, temps et le terme perfix « ?

JHB
31. 10. 12

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[1] In Ma bibliothèque poétique Ive Partie. tome V Contemporains et successeurs de Ronsard, Genéve, Droz, 2005, p. 439
 
137 - Nostradamus et l’an 1566 : le binome prose- vers
Par Jacques Halbronn

1566 est l’année de la mort de Nostradamus, laquelle survient le 2 juillet. On connait le testament de Nostradamus en date du 17 juin, suivi d’un codicille le 30 juin 1566 (cf D. Ruzo, Le testament de Nostradamus, ed. fr. Le Rocher, 1982, p. 17). Dans ce texte, Nostradamus déclare qu’il ne lui a pas été possible d’assurer sa succession spirituelle.
« A prélégué et prélégue ledict Maistre Michel de Nostradamus testateur toutz et ungs chescungs ses livres qu’il à celluy de ses filz qui profittera plus à l’estude et qui aura plus beu de la fumée de la lucerne, lesquels livres ensemble toutes les lectres missives que se treuveront dans sa (sic) maison du dict testateur le dict testateur n’a voulu aulcunement estre invantarizées ne mis par description ains estre serrés en paquetz et banastes jusques ad ce que celluy qui les doybt avoyr soyt de l’eaige de les prandre et mis et serrés dans ungne chambre de la meyson dudict testateur » (Ruzo, op. cit. p. 23)
De cette liste, nous connaissons le volume de correspondance édité par Jean Dupébe (Lettres Inédites, Droz, 1983). Il faut probablement ajouter ce qui allait devenir le Recueil de Présages Prosaïques, constitué des manuscrits (prose et quatrains des mois de l’année) transmis aux libraires et complété par différents éléments – épitres, données techniques etc..

La rédaction même du testament est évidemment en contradiction avec la Préface à César de 1555, censée avoir été rédigée –et qui plus est publiée, - plus de dix ans auparavant et par la suite du vivant de Nostradamus. En effet, cette « Préface » a tout l’air d’un testament ou du moins d’un codicille. »après la corporelle extinction de ton progéniteur ». Selon nous, ce document, au départ, n’était pas adressé à un fils en particulier et la formule « mon fils » valait pour l’un ou l’autre de ses fils, puisque dans son testament, on l’a vu, il ne décide pas de quel fils il s’agira. Ce texte devait être communiqué au fils élu. Il est question de « prélegs ». Qui appliquera le testament si ce n’est quelque conseil de famille chargé de suivre la progression des enfants ? Il n’était certainement pas daté de 1555 mais bel et bien de 1566 et on peut le supposer du mois de juin ; au plus tard. Autrement dit, le document que nous connaissons est un faux – tout comme d’ailleurs le testament qui selon nous visait non pas trois fils mais quatre : on a oublié Michel l’aîné et remanié la biographie en conséquence.
Ce document est généralement daté du Ier mars 1555 (mais on a aussi l’année 1557), un peu plus d’un an après la naissance de César et est adressé à César. En fait, la mention de César tient à peu de choses : une formule latine en tête du document « Ad Caesarem Nostradamum filium »- qui fait écho, dans le discours de 1566, à « ad Caesarem & regem »- et quelques mentions du prénom suivi du nom de famille (on aurait pu s’attendre au seul prénom) de temps, au tout début, à autre, mais souvent on ne trouve que la forme « mon fils », comme dans la phrase finale.. Comment Nostradamus aurait-il pu désigner César en1555 alors qu’en 1566, il n’était toujours pas fixé ? Il aura préparé un texte à transmettre au fils le plus méritant, sans précision du prénom. Si, donc, la préface à César est antidatée, l’épitre à Henri II, datée de 1558, qui s’y référe explicitement, l’est également : « dedans l’épistre que ces ans passez ay dédiée à mon fils Cesar Nostradamus ». On notera qu’on emploie ici le mot Epistre et non point Préface. C’est plutôt Antoine Crespin qui publiait des textes intitulés épitres dédiées à divers personnages. On peut supposer que ce n’est que dans un deuxiéme temps, que l’épitre à César, forcément postérieure au testament soit devenue Préface introduisant des quatrains, dans les années 1580. Rappelons que Crespin au début des années 1570 signale une épitre à Henri II datée de juin 1558[1].
*****Disons quelques mots sur le sort de ces divers documents, assez peu connus du public hormis la Préface à César, bien évidemment, dont on ne connait d’ailleurs pas la version initiale. Le testament figure aux archives départementales des Bouches du Rhône, Fonds 375 E n°2 (Giraud) des notaires de Salon, registres 676, folios 507 à 512 et 675 non folioté sous le titre de « Testament pour Monsieur Maistre Michel Nostradamus, docteur en médecin, astrophile, conseiller et médecin ordinaire du Roy ». Pour notre part, nous pensons qu’il s’agit d’un texte retouché et sensiblement plus tardif, probablement du milieu des années 1570, du fait de la suppression du nom de Michel ‘Le Jeune ». On rappellera que l’épitaphe tel que restitué dans la Première Face du Janus François (1594) est tronqué et ne comporte plus le nom de la veuve, à la différence de la pierre tombale que l’on connait par ailleurs[2]. Il y a certainement un imbroglio pouvant impliquer le secrétaire Jean de Chcvigny, qui allait devenir Jean Aimé de Chavigny, par la suite. Selon nous, Michel de Nostradamus Le Jeune s’est bel et bien occupé, peu après la mort de son père et nous disposons d’un ensemble d’impressions se référant à des pièces trouvées dans la « bibliothèque » de Nostradamus (Père) après sa mort. On ne peut exclure que ce Michel Nostradamus le Jeune, dont on ignore la date de naissance mais qui fut tué en 1574 dans le Vivarais, ait été « coaché » par le secrétaire. On ne confondra pas ce Michel avec Mi. de Nostradamus, nom sous lequel paraissait du vivant de Nostradamus, et en tant que collaborateur et disciple, l’auteur de certaines publications annuelles comme celles parues chez Guillaume Nyverd, d’une part l’ Almanach : & Prédictions pour l’an 1567 (Vente Ruzo, non localisé) et dédié à Charles IX, dont la page de titre comporte une vignette qui aura été reprise pour orner la série des contrefaçons Benoist Rigaud 1568, étrangement dépourvues de toute mention de la mort de Nostradamus (cf. page de titre in Bibliothèque Nostradamus. Propheties.it)


*******Et de l’autre la Prognostication et amples prédictions, dédiée, celle là, au duc d’Alençon,-(Bib . Wolfenbüttel) un diptyque qui reprend la coutume suivie par Nostradamus dans les années 1550 et qui, quelque part, sur un plan formel se retrouve avec les deux volets des éditions centuriques comportant deux présentations jumelles avec des vignettas distinctes, comme dans les contrefaçons Benoist Rigaud 1568.. On note le même quatrain en page de titre.

Avant de parler d’imposteurs, il serait bon de prendre en compte les accords ayant pu exister entre les différentes parties. Selon nous, César Nostradamus est, à sa manière, un imposteur .
La prétendue ¨Préface à César qui est un véritable testament datant de 1566 comporte la formule « possum non errare, falli, decipi »[3] qui semble faire pendant à celle qui ouvre le mémoire de 1566 « Verum ego vaticinor, nec me praesagia fallunt »

******Passons à présent à notre troisième « mémoire » qui est une refonte de celui de 1561. Il ne nous est accessible qu’en Italien (toscan) et on ne sait pas exactement sous quelle forme il apparut en français. Il est, selon nous, le testament astrologique que Nostradamus entendait laisser. On ne le connait cependant que dans une traduction italienne – ce qui est d’ailleurs en partie le cas pour le mémoire de 1561, dont l’original français ne nous est connu qu’en manuscrit mais qui dut bien exister comme imprimé, au sein de l’almanach pour 1562. On serait tenté d’en dire autant pour le mémoire de 1566 mais nous n’en avons pas de certitude, étant donné que la réimpression de 1904 par H. Douchet est introuvable. Ruzo qui la décrit ne mentionne pas un tel document qui fait quand même 30 pages dans la version italienne et la traduction anglaise ne le contient pas davantage. On peut supposer cependant comme dans le cas de l’almanach 1562 qu’il dut y avoir des éditions censurées et donc que l’édition italienne est prise d’une édition complète. En fait, Nostradamus utilise les almanachs comme une couverture, il se sert de ce cadre pour faire passer un message d’une toute autre envergure. Le titre de l’almanach pour 1567 évoque « un (sic) éclypse merveilleux » (cf Benazra, RCN, p. 74) qui aura lieu le 9 avril de la dite année. Mais à la fin du mémoire de 1566, Nostradamus se réfère à son almanach pour 1567 comme s’il s’agissait d’une autre pièce déjà composée. « vedere piu largamente l’Almanach che gia ho composto per l’anno 1567 »
C’est dire que Nostradamus laisse derrière lui une bombe à retardement.
Il importe de comprendre que Nostradamus ne saurait être réduit à quelque sorte de versificateur ni à un besogneux astrologue travaillant à la petite semaine. Il veut laisser le souvenir d’un astrologue prophète et pour cela il a souhaité perfectionner l’astrologie des grandes conjonctions en la reliant avec le phénoméne des éclipses. Cela lui permet de localiser les événements, de fixer des latitudes. Rappelons que l’Epitre à Henri II de 1558 énumère diverses latitudes, ce qui correspond à une information liée aux éclipses bien plus qu’aux planétes, même si la triplicité dans laquelle se produit une conjonction correspond à certaines régions : « délaissant les 50. & 52. degrez de hauteur « , « 48. degrez d’hauteur », « quarante cinq & autres de quarante un, quarante deux & trente sept », le mot degré étant ici sous entendu.
Le Discours de 1566 , quand on le compare à celui de 1561 nous semble assez insignifiant. L’on peut d’ailleurs se demander s’il est bien de la plume de Nostradamus. C’est un travail assez besogneux autour des thèmes astraux dressés pour le moment de l’éclipse considérée, mais sans même mention du mot antéchrist ni même allusion à un tel personnage. C’est à partir du discours de 1561 et non celui de 1566 qu’ont été extraits certains quatrains repris dans les Centuries comme le quatrain comportant « macelin » qui n’a sa clef que dans celui de 1561 avec Marcellinus nom martien sous lequel Nostradamus désignait une sorte d’Antéchrist. En 1566, Nostradamus n’évoque plus ce personnage et ne se réfère pas davantage à son précédent discours. Il semble invoquer moins que cinq ans plus tôt la protection divine, préférant considérer que le verdict des astres suit un déroulement que rien ne saurait enrayer et correspondant au plan divin.
Mais il convient de revenir à la lumière de cette mise en perspective sur la raison d’être des quatrains centuriques. S’agit-il simplement d’extraits des textes en prose ou bien plutôt de compléments plus ou moins cryptés des dits textes en prose dont il nous est apparu, plus d’une fois, qu’ils étaient lacunaires ? Si l’on peut prouver que les quatrains sont des clefs pour comprendre pleinement les mémoires – on ne pourrait comprendre les uns sans les autres et vice versa- l’on aurait avancé singulièrement et l’on situerait mieux le rôle d’Antoine Crespin Nostradamus[4] quand il réunit, sans s’en expliquer et sans les attribuer à Nostradamus- des dizaines d’éléments que l’on retrouvera dans les Centuries. On y trouve notamment ces deux passages :
« plus macelin que roy en Angleterre, lieu obscur nay par force aura l’Empire, froid, siccité, danger vers les frontières, mesme où l’oracle a prins commencement », ce qui correspond à VIII, 76 et à III, 4 (A la maison de monsieur de Cursol)
Et « L’entechrist (sic) trois bien tost ennichilez (sic) vingt & sept ans durera sa guerre, avant sa mort un longtemps languira, apres sa mort lon verra grand merveille » (A monsieur de S. Iullian president en Piedmont), pour VIII, 77.
Selon nous, ces quatrains ont un statut que l’on peut qualifier de « secret »/ Ils sont d’apparence innocente tant qu’on ne les relie pas aux textes en prose et ces derniers restent assez elliptiques. On prendra un seul exemple, pour l’heure, celui du quatrain IX 72 déjà abordé plus haut :
L’an mil neuf cens nonante neuf sept mois
Du ciel viendra un grand Roy deffraieur
Resusciter le grand Roy d’Angolmois
Avant après Mars régner par bon heur

.Mars peut se référer à ce Marcellinus qui est le nom que Nostradamus donne à ce qui ressemble fort à l’Antéchrist. Le nom de Marcellinus figure dans le mémoire de 1561 mais pas dans celui de 1566/ Rappelons que le mot « macelin » figure dans deux quatrains de la centurie VIII dont VIII, 76
« Plus Macelin (avec M majuscule) que roy en Angleterre
Lieu obscur nay par force aura l’empire
Lasche sans foy, sans loy saignera terre
Son temps s’approche si pres que je souspire
On a là un des rares quatrains à la première personne du singulier.
En conclusion, nous pensons que Nostradamus entendait associer des quatrains à son discours de 1566 mais en prenant certaines précautions. Il est probable que ces quatrains aient commencé à circuler, sous forme manuscrite, dans le courant de l’année 1566, ce qui expliquerait le choix de cette année pour produire certaines éditions (dont la fausse édition Pierre Rigaud 1566 produite au XVIIIe siècle n’est peut –être qu’un calque maladroit). L épître de Jean de Chevigny à Larcher datée de 1570 (Lyon, M. Jove) -accompagnant un texte latin de Jean Dorat sur la naissance d’un androgyne)- pourrait refléter cette circulation clandestine (mais l’édition imprimée dont nous disposons en serait une réédition retouchée) quand on voit le dit Chevigny fournir un quatrain comme s’il s’agissait d’une denrée rare, ce qui est incompatible avec l’existence d’une édition existante en bonne et due forme. Il faudrait aussi revenir sur l’épitre de Nostradamus à Jean de Vauzelles, en tête de la Pronostication de 1562, dans laquelle Nostradamus félicite le dit Vauzelles pour sa perspicacité dans l’interpretétation de ses textes. Certes, les éditions des Prophéties quand elles paraissent dans les années 1580, sont-elles un ensemble constitué de textes en prose et de quatrains mais sans mode d’emploi explicite et pour cause car le dit mode d’emploi consiste à lire la prose à la lumière des quatrains – c’est une problématique herméneutique de relecture des textes - et non à appliquer, au moyen de quelque grille, les dits quatrains directement et aux événements.[5] Mais les deux textes en prose faisant partie du canon centurique ne suffisent pas, ils doivent être complétés par les Discours de 1561 et 1566. On ajoutera que les anagrammes Mendosus et Norlaris pour désigner Bourbon et Guise vont dans le même sens. Or, les quatrains annoncent la victoire du camp anti.Guise, à la suite de la mort de François II, à la fin de 1560, thème qui retrouvera toute son actualité sous la Ligue avec la crise dynastique.. Il est clair que Nostradamus se sentait à l’étroit dans ce métier de faiseur d’almanach, à l’année alors qu’en Allemagne et en Italie, des astrologues, se projetaient sur des décennies. Un Junctin de Florence commentait les Ephémérides de Stadius, Nostradamus y voyait là certainement la consécration d’une carrière si ce n’est qu’en France, l’astrologie, sur la défensive ; devait donner des gages au religieux quitte à jouer sur l’ambiguité du champ prophétique et de se retrouver inclassable..
Quand au XVIIe siècle, dans les années 1650, l’Europe sera agitée par la question des éclipses, le nom de Nostradamus ne sera pas mentionné car il n’est nullement désormais associé à ce phénoméne, bien que des éditions des Centuries circulent.[6]

JHB
20. 10.12

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[1] Cf nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, ed Ramkat, 2002
[2] CORPUS NOSTRADAMUS 10 -- par Patrice Guinard « Naissance de Michel de Nostredame : le 21 décembre 1503 »
[3] CORPUS NOSTRADAMUS 4 -- par Patrice Guinard « Pronostication pour l'an 1552 «
[4] Cf Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, 2002
[5] D’où les limites du travail de Gilles Polizzi qui ne se sert que du corpus centurique cf « Le thème millénariste dans les prophéties de Nostradamus », in Formes du millénarisme en Europe à l’aube des temps modernes, Dir J. R Falo et A.. Tournon, Paris, Champion, 2001
[6] Cf E. Labrousse, L’entrée de Saturne au Lion. L’Edlipse de Soleil du 12 août 1654 ; Ed Nijhoff, La Haye, 1974
Compte rendu J. Halbronn : Elisabeth Labrousse, L'entrée de Saturne au Lion. L'Eclipse de Soleil du 12 août 1654 ; n°1 ; vol.33, pg 85-87revue d'histoire des sciences - Année 1980 - et
« Questions autour du texte de 1654 attribué à Gassendi », in Gassendi et la modernité, dir . S. Taussig, Brepols, 2008.
 
138 - Les éditions Benoist Rigaud 1568 et le modèle Chevillot
Par Jacques Halbronn

On sait que dans l’épitre à Henri II, dans sa version canonique, il y a une référence à la Préface à César mais certaines variantes sont à observer à ce sujet. Notons cependant que ce passage est absent de l’édition Antoine Besson (c 1691), et qu’il semble bien être une interpolation.

Ed anglaise Theophile de Garencières, Londres, 1672
« In the Epistle that within the late years I have dedicated to my Son Caesar Nostradamus, I have openly enough declared some things without prognosticating »

Ed. Benoist Rigaud, Lyon, 1568 ! (et Chevillot)
« Dedans l’Epistre que ses (sic) ans passez ay desdiée à mon fils Caesar Nostradamus, j’ay assez appertement déclaré aucuns poincts sans présage »

Ed Lyon, 1568, avec portrait de Nostradamus le Jeun. Ed. 1605
« Dedans l’Epistre que ces ans passez, ay dediee à mon fils César Nostradamus, j’ay assez apperteme(n)t déclaré aucu(n)s poincts sans presage »
Ed Héritiers Benoist Rigaud s. d. et Pierre Rigaud 1566)
« Dedans l’Epistre que ces ans passez, ay dediee à mon fils César Nostradamus, j’ay assez appertement déclaré aucuns poincts sans presage »

On aura pu observer que les éditions Benoist Rigaud 1568, Rousseau 1590 et Chevillot sont fautives : « ses ans » au lieu de « ces ans « . On reviendra plus loin sur ce point.

Un autre passage fait probléme, quelques lignes plus haut, cela concerne les « Azos-rains » qui sont rendus dans Benoist Rigaud 1568 par « Azoa-rains ». Chez Chevillot : les Azos rains.
« & sera delivree l’Eglise de Jésus Christ de toute tribulation, combien que par les Azos rains voudroit mesler dedans le miel du fiel (…) & cela sera proche du septiesme millenaire que plus le sanctuaire de Jésus Christ ne sera conculqué par les infideles etc »
On ne sait pas exactement ce que signifie « Azos-rains » mais la forme « Azoa » de Benoist Rigaud 1568 semble bien encore une fois se démarquer des autres éditions/ On pourrait certes soutenir que c’est la « preuve » qu’elle est plus ancienne mais nous pensons exactement l’inverse., à savoir que c’est la plus récente de tout notre corpus et qu’il faut la situer au XVIII e siècle.
On notera une particularité de la seule édition « Nostradamus le Jeune » Lyon 1568, à savoir la préférence pour l’usage des initiales/ I. C. Il arrive ainsi que Dieu ne soit signalé que par un D majuscule, suivi d’un point pour ne pas invoquer son Nom en vain. Les Juifs pour leur part désigne Dieu par ‘le nom », ce qui donne en hébreu « Hashem »/ Or, l’on trouve cette forme dans l’Epitre à Henri II : « la cité d’Hashem »/ On est donc en droit de se demander si la forma «I. C. » à la place de Jésus Christ n’a pax préexisté à la forme « pleine », ne serait-ce que pour ne pas trop attirer l’attention sur une certaine dérive prophétique quelque peu incongrue dans certaines publications. Dans ce cas, l’édition sans date que l’on situe généralement sous la Fronde en raison de quatrains ajoutés à la VIIe centurie, pourrait avoir bénéficié d’une résurgence, sous la forme d’une bibliothèque exhumée, comme nous avons montré que cela avait été le cas pour la Préface à César dans la seconde moitié du XVIIe siècle.
Cela dit, on aura noté que l »édition qui nous paraissait la plus ancienne, du moins par son contenu, se référait bel et bien à Lyon et à 1568 et comportait le portrait de Nostradamus le Jeune à l’instar de certaines publications datées de 1568 et qui présentent bel et bien celui-ci comme l’éditeur (sinon comme le libraire, cf. Benazra, RCN, pp. 90-91, en ligne sur propheties.it). Ce portrait figure aussi sur l’édition 1605, d’origine troyenne. Nous n’excluons pas qu’un volume de quatrains ait pu être produit au lendemain de la mort de Nostradamus, mais ne correspondant pas aux éditions centuriques que l’on connait, plus proche de ce qu’on en trouve dans les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation française d’Antoine Crespin. Nous pensons, en effet, qu’un tel volume avait vocation à paraitre avant 1570, dans la mesure où son contenu visait la période allant jusqu’à cette année. Il y avait donc urgence à ce que ces éléments soient publiées car ils étaient censés compléter certains textes en prose, comme le « mémoire « du 22 avril 1566/
On en donnera un exemple : dans les productions annuelles, on trouve des développements pour un certain nombre de pays. Il semble que l’on ait retenu dans l’Epitre des passages concernant l’Italie :
« Venise en apres en grande force & puissance levera ses ayles treshault ne distant gueres aux forces de l’antique Rome (…) en l’Adriatique sera faicte discorde grande ». Or, divers quatrains comportent « Hadrie’, « Adrie’ ou « Hadriatique » (cf Dictionnaire Nostradamus de Michel Duquesne. 1989)
Une fois passé ce cap de 1570, s’ouvrait une période de 40 ans, située entre deux grandes conjonctions et deux éclipses (cf. nos autres textes) et c’est à l’approche de la fin de la période qu’allaient paraitre les centuries.
II convient de distinguer les éditions Rigaud de la fin du XVIe siècle qui ne comportent pas le « ses ans passez » de ces éditions Benoist Rigaud, classées par Patrice Guinard, mais en dehors de tout repérage chronologique viable. Les dites éditions semblent appartenir à la vague néo-rigaldienne des XVIIIe-XIXe siècles si ce n’est qu’elles sont plus défectueuses que les éditions Pierre Rigaud 1566. Leur seul avantage sur les dites éditions Pierre Rigaud, c’est qu’elles utilisent le nom de Benoist Rigaud qui était bien en activité en 1568. Mais cela ne suffit évidemment pas, on s’en doute, à valider une telle date. On notera le caractère très rudimentaire de la présentation de l’Epitre (cf fac simile Ed. M. Chomarat, 2000), les passages en latin n’y sont pas indiqués dans un caractère différent. La date de l’ épitre est donnée ‘ Mil cinq cens cinquante huit » et non pas ‘ »huict ». Nous attirerons enfin l’attention sur le recours aux abréviations dans l’édition « Lyon 1568, Nostradamus le Jeune ». Non seulement en ce qui concerne, I. C., mais pour un très grand nombre de cas, notamment pour la lettre « n » et les participes présents, parfois le « m », avec recours au tildé. Cette pratique n’est que très rarement respectée dans les éditions Benoist Rigaud Lyon 1568/ On ne la retrouve que sporadiquement (notamment p. 12 du fac simile Chomarat), comme si l’on avait voulu y mettre un terme sans y parvenir tout à fait :
« le grãd vicaire de Iesus Christ
« remettant la saincteté profligée de long te(m)ps (…) le grãnd chien sortira (…) & comme(n)cera à merettiquer (de hérétique) & luxurier»
’ »par moye(n) des forces des Roys d’Aquilon & par la proximité de nostre siecle par moyen (cette fois, non abrégé) (..) cerchãt la mort »
« les antiques Marciaux s’accompagnerõnt aux undes »
« Mais voyant, ô Sereniss. Roy que quelcuns de la censure etc’ »
Au bout du compte, quelques cas résiduels comparés à la version Lyon 1568.
Selon nous, il s’agit là d’une dégradation, d’une déperdition et non pas d’un signe d’ancienneté. On a affaire à une cote mal taillée, avec le maintien de certains archaïsmes par rapport aux pratiques du XVIIIe siècle mais avec une résistance de la part des typographes qui n’entendaient pas accepter un surcroit de travail par le changement de police et le recours à des conventions oubliées. Il faudrait consacrer toute une étude à ces éditions Benoist Rigaud Lyon 1568 du point de vue de ce caractère hybride de l’ensemble, en prenant en compte les quatrains et la préface à César et en procédant à des comparaisons avec les autres éditions, cela va de soi..
En fait, nous pensons que ces éditions Benoist Rigaud 1568 dérivent d’une édition Pierre Chevillot dont on connait la fortune au XIXe siècle avec notamment en 1866 une réimpression parisienne,(Delarue) correspondant au tricentenaire de la mort de Nostradamus. On a vu que la forme « ses jours » figure chez Chevillot. Rappelons que cette forme n’est pas attestée dans les éditions Rigaud de la fin du xVIe siècle. Ne confondons pas ces éditions avec les éditions troyennes du XVIIe siècle qui se référent certes à une édition Benoist Rigaud 1568 mais n’en produisent pas de contrefaçon. En 1840, Bareste, dans les éditions de son Nostradamus, déclare avoir des doutes sur l’existence d’une édition Benoist Rigaud 1568. Torné Chavigny ne signale pas cet ouvrage dans le catalogue de sa Réédition du Livre des Prophéties de 1862, alors qu’il décrit l’édition Antoine Besson en signalant ses « étrangetés ».. En 1867, Anatole Le Pelletier est le premier à signaler avoir eu dans les mains cette éditioon et l’intègre, tout en notant qu’on ne trouve pas cette édition dans les bibliothèques de Paris. D’où ses Oracles de Michel de Nostredame (…) Edition ne varietur comprenant (..) le texte-type de Pierre Rigaud (Lyon, 1558-1566) avec les variantes de Benoist Rigaud (Lyon, 1568). Il déclare avoir corrigé Pierre Rigaud 1566 (dont le premier volet serait selon lui de 1558 et le second posthume) avec Benoist Rigaud 1568. Il dit de cette édition :« elle est moins défectueuse que celle de Pierre Rigaud dont elle est visiblemeent –quoique très imparfaite elle-même- un essai de rectificaton fait sur les manuscrits laissés par Nostradamus « (p. 9)/ Mais il en donne une description assez peu concluante : « elle porte le millésime imprimé de 1568 » et qui pourrait concerner une édition Du Ruau se référant au dit Rigaud, en son titre. Toujours est-il que Le Pelletier n’adopte pas la variante « ses jours » de l’édition Benoist Rigaud datée 1568. Rappelons que les « vraies » éditions Rigaud de la fin du xVIe siècle ne portent pas de date en leur page de titre. Robert Benazra ( RCN, pp. 320-321) met en paralléle, comme il l’avait déjà fait pour les éditions Pierre Rigaud (cf RCN, pp. 295 et seq) une impression avignonaise de 1772 assez remarquable, toujours autour de la famille de libraires Domergue en Avignon avec une série de centuries paraissant cette fois à l’enseigne de Benoist et non plus de Pierre Rigaud. Nous retiendrons qu’ à l’orée du XIXe siècle, le nom de Benoist Rigaud est alors associé aux Centuries.
Bareste, en 1840, comme le note Benazra (RCN, p. 386) « a reproduit le texte original de 1555 (Macé Bonhomme) jusqu’au 53e quatrain de la Ive Centurie et pour le reste le texte de Pierre Chevillot de 1611 ». Or, c’est bien à Pierre Chevillot que nous avons relié l’édition Benoist Rigaud 1568 de l’Epitre à Henri II.

JHB
17. 10. 12
 
139 - Imposteurs ou gardiens de l’œuvre nostradamienne ?
Par Jacques Halbronn

Nous pensons qu’il convient de réhabiliter tous ceux qui sont traités d’imposteurs par la plupart des nostradamologues. Il est vrai que ces prétendus imposteurs prennent la peine, le plus souvent, de se démarquer par quelque trait de leur « modèle » : Nostradamus le Jeune, Mi. de Nostradamus, Crespin Nostradamus/ Archidamus. Il ne faut donc pas être un grand expert pour détecter l’imposteur puisque tout ce qui parait sous son nom est par définition une imposture, ce qui exige nettement moins de talent que le fait de signaler de fausses éditions et de les redater.
En ce qui concerne Nostradamus le Jeune, nous pensons qu’il n’a pas agi sans avoir l’assentiment de ceux qui avaient pour charge de faire appliquer le testament de 1566. Le fait qu’il utilise dans ses productions un quatrain que l’on retrouve en tête des centuries -« Estant assis de nuit secret estude etc » - est, pour nous, le signe qu’il était bel et bien reconnu si l’on accepte la thèse que les centuries ne parurent pas avant les années 1580, alors que le dit Nostradamus le Jeune était déjà trépassé.. De même, Crespin qui reprend ce même quatrain, dans ses Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation françoise (« Au Roy par son astrologue, salut ») avec bien d’autres devait bien avoir eu accès à des documents restés confidentiels. Quant à Mi. de Nostradamus, il opéra, selon nous, en plein accord avec Nostradamus et c’est d’ailleurs de son propre chef qu’il décida à la mort de Nostradamus d’adopter un autre nom. Certes, il y eut quelques dénonciations de ces personnages, au début des années 1570 mais il faut prendre les propos d’un Nicolas du Mont, libraire parisien, avec précaution car ils servaient peut être certains intérêts. En tout état de cause, l’historien ne saurait se fier aux déclarations de tel ou tel que cela aille dans un sens ou dans l’autre, d’ailleurs. Quant à César Nostradamus, par exemple, il serait naïf d’accepter ses déclarations sans procéder à quelque forme d’inventaire. Il y aura aussi le cas de Chavigny que d’aucuns également auront traité d’imposteur qui se serait fait passer pour Jean de Chevigny. Si l’on ne peut suivre ce type d’accusation, il n’en reste pas moins que ses relations avec la veuve de Nostradamus, Anne, furent problématiques. D’où diverses tensions qui expliquent une animosité à l’égard des uns et des autres qui conduisit probablement à remanier le testament de 1566, en faisant notamment disparaitre le prénom d’un des fils du couple, à savoir Michel, l’ainé de la fratrie, ce qui se répercutera sur certaines versions de la « vie» de Nostradamus.
Selon nous, Nostradamus aurait bel et bien laissé des quatrains en dehors de ceux des mois de l’année. On verra qu’il entend couvrir au-delà de l’an 1567, année de son dernier almanach, et que ses prédictions pour jusqu’en 1570 sont bien connues en Italie.. Ces quatrains ont le même rôle que ceux des almanachs, à savoir qu’ils sont forgés à partir des textes en prose et sont liés à un cadre chronologique bien circonscrit par la prose.
Si cette thèse n’a pas été défendue jusque là, c’est pour la simple raison que l’on n’avait pas localisé la source en prose ou plutôt, à l’instar du québécois Pierre Brind’amour, on était allé chercher en dehors de l’œuvre de Nostradamus plutôt que d’en faire une recension aussi complète que possible. Par ailleurs, bien des quatrains centuriques ont été ajoutés à ceux que Nostradamus laissa à sa mort, et notamment « post eventum ». Chavigny, lui-même préfère prolonger la « vie » des quatrains présages et ne semble pas avoir pris la mesure de certains manuscrits, comme celui du texte intégral de l’almanach pour 1562, dédié à Pie IV, alors qu’il édite le Recueil des Présages Prosaïques lequel comporte l’intégralité des Prédictions, dont seules celles pour janvier et février sont restituées pleinement dans le dit almanach. En tout cas, Chavigny se garde bien de faire apparaitre les convergences entre cet almanach et divers quatrains centuriques, ce qui va entretenir le mythe de quatrains produits directement sans passer par la prose et sans cadre chronologique strict.
On prendra l’exemple de la prédiction pour le mois d’avril 1562 (absente de l’imprimé conservé). n° 276 (fol 300) du Recueil et 274 (fol. 95) du manuscrit des seules Prédictions – on notera la quasi identité du chiffrage des paragraphes -
« Et Saturne elevé sus Jupiter, c'est-à-dire exalté, plus proche de son auge au Zodiac vient à menacer icelle perilleuse depression des ecclésiastiques, plus en leurs substances qu’autrement. Significat etc
..Ce passage pourrait être relié à un quatrain de la première centurie, le seizième :
Faulx à l’estang (étain, métal de Jupiter) ioinct vers le Sagittaire
En son hault auge de l’exaltation etc ».
On nous objectera que ce quatrain appartient aux publications du vivant de Nostradamus et s’apparente en fait aux quatrains présages de l’année en question. Mais en même temps, nous savons que ce passage en prose n’a pas été publié. Cela peut avoir été la cause d’une telle entreprise. Il convient cependant de noter que le passage de l’almanach pour 1562 a été interpolé. A l’évidence, dans le contexte, il ne se référe pas à la conjonction en Sagittaire qui n’aura lieu que quarante ans plus tard mais à une conjonction en cancer.
Nous pensons donc que ce passage a pu être réajusté pour être en phase avec le début du XVIIe siècle, qui est au cœur de l’epitre à Henri II (1558), en ajoutant Sagittaire, ce qui rejoint le texte de Roussat.
Nous disposons, en tout cas, d’un texte de Chavigny de 1606, dans le IIIe Livre du Discours Parénétique (Lyon, Pierre Rigaud), qu’il attribue au « grand Prognostiqueur » (Nostradamus) : « Saturne le destructeur allant en son haut auge c'est-à-dire la plus grande distance & hauteur qu’il puisse avoir iusqu’au centre de la terre. Jupiter, au contraire, chéant toujours & tombant iusques à ce qu’il soit entièrement dans le signe de chute du Capricorne » Rappelons que Jupiter est domicilié en sagittaire mais qu’il est dit « en chute » dans le signe suivant. Cela dit, on notera que le signe du cancer est, a contrario, le point d’exaltation de Jupiter mais il n’est pas certain que nostradamus en 1561 emploie le mot « exalté » dans ce sens. En fait, l’on peut se demander s’il n’y a pas eu confusion : Jupiter est domicilé en Sagittaire, c’est son « trône », donc on peut dire qu’il y est exalté, mais pas selon la terminologie astrologque. C’est selon nous le sens du quatrain : il y aura une conjonction de Jupiter et Saturne dans le signe par excellence de Jupiter.
Dans le cas de la « Préface » annoncée dans l’épitre au pape, elle ne figure pas dans le Recueil bien qu’elle soit parue en italien. On ne sait donc pas si Chavigny en possédait le manuscrit qui nous est parvenu. Cela lui aurait permis de trouver l’origine d’un terme comme ‘macelin » qui figure à deux reprises dans les Centuries, à la VIIIe, mais aussi chez Crespin (adresse : A la maison de monsieur de Cursol[1]) dont Chavigny ne semble pas connaitre la production.
VIII, 76
Plus Macelin que roy en Angleterre
Lieu obscur nay par force aura l’empire.// Son temps s’approche si pres que je souspire » etc
Préface de l’almanach (fol 31, n° 106)
« On le nommera MARCELLINUS mais on lui ostera de son nom l’R (..) Je suis en frayeur », ce qui donne Macelin. Mais cette fois, cela concerne l’an 1567 sans appartenir pour autant aux publications posthumes de la dite année./
Si l’on avait suivi la piste de ce Macelin, on serait arrivé à la dite « Préface », largement répandue en Italie et on peut regretter que des nostradamologues italiens, comme Mario Gregorio, n’aient pas abouti à cette conclusion à savoir qu’une des sources des quatrains centuriques n’est autre que ce manuscrit de plus de 200 pages qui retint l’attention d’un Robert Amadou. Il s’agirait d’un manuscrit autographe « Manuscriptum in originali ab auctoris ipsa manu rarissimum » qui appartint à un certain Mathieu Schmoll ».
Ajoutons que ce manuscrit passé dans la collection de l’abbé H. Rigaux (dispersée en 1931) fut imprimé en 1906 (Mariebourg) et est donc accessible depuis plus d’un siècle. Un exemplaire de l’imprimé fait partie de la collection de Michel Chomarat (Bib.Lyon La Part Dieu) lequel ne le cite pas dans sa Bibliographie Nostradamus (1989). R. Benazra a décrit ce manuscrit (RCN, 1990, pp 52-54) sans établir de rapport avec les centuries.
Il est donc souhaitable, en ce 350e anniversaire de l’almanach de Nostradamus pour 1562, d’exploiter à fond cette source des centuries – qui est à numériser- de façon à trier les quatrains de Nostradamus des autres, en procédant comme le québécois Michel Dufresne dans son Dictionnaire Nostradamus (1989), sans oublier ce qui a été recueilli par Antoine Crespin, et dont nous avons été le premier en 1990 à découvrir ce qu’il en était.[2], piste suivie par P. Brind’amour dans son édition critique de 1996.
Un autre cas d’imposture ou supposée telle est celui de Barbe Regnault. Cette libraire parisienne publia au début des années 1560 un certain nombre d’almanachs et de pronostications se présentant comme étant l’œuvre de Nostradamus. R. Benazra (cf RCN, pp. 58-59) et P. Guinard ont montré que les quatrains des dits almanachs étaient repris des almanachs de Nostradamus pour les années 1550 et notamment pour 1555. Or, étrangement, au vu d’une traduction anglaise-d’ailleurs fort défectueuse, truffée de contresens, avec pour janvier 5 vers au lieu de 4) de l’almanach pour 1562 (cf Bibliotheque Nostradamus sur le site propheties.it), l’on note que ce sont les quatrains de l’almanach pour 1555 (que l’on ne connait en fait que par le biais d’une Pronostication pour cette année) qui ont été ainsi traduits en anglais. De là l’hypothèse suivante, à savoir que ces quatrains auraient été composés pour l’almanach Regnault pour 1562 et de là traduits en anglais. Il faut en effet respecter une certaine chronologie : quand les quatrains ont-ils commencé à paraitre chez Nostradamus et chez Barbe Regnault ?
On ne connait pas de quatrains de Nostradamus pour l’an 1556 et pas davantage de quatrains dans l’almanach Regnault pour 1561, absence dont Ruzo a tirés des déductions surprenantes . Nous pensons qu’avant de prendre l’habitude de compiler des quatrains des almanachs de Nostradamus, Barbe Regnault envisagea d’abord de produire une sorte de pastiche, ce furent les quatrains de l’an 1562, année dont on sait qu’elle fut compliquée pour Nostradamus. Il semble que par la suite, ces quatrains pour 1562 furent récupérés pour figurer dans la Pronostication de Nostradamus pour 1555. Certaines anomalies concernant les quatrains de l’an 1555 sont à observer, à savoir en ce qui concerne la notation des chiffres ordinaux.
En effet, alors que l’almanach anglais respecte les conventions consistant à placer un point à la suite du nombre, qu’il soit écrit ou non en toutes lettres, ce n’est pas le cas des quatrains de la Pronostication 1555, laquelle, comme un fait exprès, comporte à plusieurs reprises des nombres ordinaux, ce qui est peu attesté pour les années suivantes, ce qui les rend au demeurant atypiques. Bien pis, on trouve des points dans le texte en prose qui n’ont pas a d’être quand il s’agit de nombres cardinaux.
Mois de Mai
Le cinq, six, quinze tard & tost l’on séjourne
L’heraut de paix XXIII s’en retourne
L’ouvert V serre, nouvelles inventées
Mois de Juillet
Huit, quinze & cinq quelle desloyauté
Mois d’aoust
VI, XII, XIII, XX parlera la Dame
Le premier cas est le plus flagrant du fait de l’article.
Dans le texte anglais, il y a des points après les nombres, pas dans le texte français. En outre, il a été noté que les positions célestes sont bien celles de l’an 1562/ On peut donc dire que les premiers quatrains traduite en anglais sont parus dans un faux almanach, dont l’original français n’a pas été conservé. Comment ces faux quatrains se sont-ils retrouvés à l’occasion d’ une fausse pronostication pour 1555 ? Cela tient probablement à une erreur des faussaires qui notant que l’on avait deux séries de quatrains pour 1562 décidèrent d’en réaffecter une pour 1555, où cela manquait, de leur point de vue. Dans l’almanach pour 1563, Barbe Regnault utilisera, retouchera et combinera certains quatrains (dont les trois derniers : octobre, décembre) de son almanach pour l’an 1562 (désignés par Benazra comme 1555) - qu’elle mélangera avec des quatrains de Nostradamus.
Cela dit, on notera qu’au regard des vignettes, Nostradamus le Jeune a les siennes qui ne sont pas celles de son père, et que l’on retrouvera d’ailleurs au XVIIe siècle, qu’il en est de même pour Crespin mais aussi pour Barbe Regnault. Or, pour les éditions antidatées des Centuries 1555 et 1557 (mais aussi de la traduction par Nostradamus de la Paraphrase de Galien), ce seront les vignettes Barbe Regnault dont on se servira, ce qui montre que l’on n’avait pas de scrupule à recycler de la sorte la production dite « pirate » pour étoffer les années 1550.


JHB
21/ 10. 12

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[1] Fac simile Documents Inexploités, p ; 222, n°96
[2] Cf Documents inexploités sur le phénomene Nostradamus, 2002
 
140 - La question des pages de titre des Centuries
par Jacques Halbronn

Les pages de titre peuvent fourvoyer un chercheur. Dans le domaine « Nostradamus », il est rare qu’elles correspondent au contenu. On pourrait multiplier les exemples : un des cas les plus flagrants reste celui des éditions centuriques sous la Ligue. On nous parle d’une addition de 39 « articles » (38 dans l’édition Veuve N. Buffet antidatée) et il est assez vain de les y chercher en tant qu’entité à part. Quant aux éditions à sept centuries 1557, donc comportant une septième centurie, elles ne comportent au titre que des indications sur une addition de 300 « prophéties » pour du Rosne 1557 Budapest « dont il en y a (sic) trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées » et une mention supplémentaire pour du Rosne 1557 Utrecht, qui correspond probablement à la VIIe centurie. : « adioustées de nouveau par ledict Autheur »
On peut donc déduire du titre Utrecht que le premier volet, à lui tout seul, est constitué de trois strates puisqu’il y a deux mentions d’addition. On sait d’ailleurs qu’il en a bien été ainsi : une première strate d’un peu plus de 300 quatrains (349 puis 353) une deuxième qui arrive à 600 quatrains et une troisième qui ajoute encore une trentaine puis une quarantaine de quatrains.
Au siècle suivant, les pages de titre de la série Vrayes Centuries et Prophéties mentionnent deux années en leur page de titre : « reveues & corrigées suivant les premières éditions imprimées en Avignon en l’an 1556. & à Lyon en l’an 1558. » Les éditions parisiennes comporteront une variante « en Avignon en l’an 1558 (sic) et à Lyon en l’an 1558 « en Avignon en l’an 1558 (sic) et à Lyon en l’an 1558 (cf Benazra, RCN, pp. 243, 245. Par la suite, la mention des années et des éditions disparaitra au profit de « reveues & corrigées suivant les premières éditions », sans plus.
Certains nostradamologues ont cru devoir conclure que la mention d’éditions 1556 et 1558 correspondait aux deux volets et cela leur a permis de supposer la parution dès 1558 du second volet.
.Nous ne souscrivons pas à une telle lecture. Nous pensons que ces dernières pages de titre correspondent au seul premier volet et ne sont pas concernées par le second volet, introduit - il est vrai- par l’épitre à Henri II datée de 1558. S’agit-il là d’une coïncidence ?
Nous relierons 1556 à la première addition de 300 quatrains et 1558 à l’addition d’une septième centurie, selon le titre des éditions ligueuses (cf. supra). Cela permet un scénario (fictif) avec une première édition en 1555. On notera que dans l’édition d’Anvers St Jaure, il est fait référence à une édition Avignon, P. Roux, 1555 alors que cette édition datée de 1590 est dotée de sept centuries mais cela tient au fait que la présentation d’origine a été maintenue en dépit des additions, ce qui correspond à une autre politique éditoriale. Et puis, il y a aussi dans les éditions ligueuses mention d’une addition de 38/39 « articles » à la dernière centurie, ce qui se référé à une édition à six centuries augmentée. Le hic c’est que cette dernière addition est censée, au vu du titre, avoir eu lieu en 1560, ce qui ne convient pas à la mention 1558. D’ailleurs, s’il y a eu une édition 1560 pour ajouter une septième centurie, il ne peut avoir existé une édition avec les centuries VIII, IX et X alors que la centurie VII n’était pas encore en place. Cela aurait du plutôt être un volet avec les centuries VII, VIII et IX, ce qui correspondait d’ailleurs aux neuf centuriae, en prose, du Memorabilium d’Antoine Mizauld (1566). Il semble qu’à un certain stade, on ait voulu que les 7 centuries fussent parues avant la mort d’Henri II (1559). L’édition d’Anvers (et probablement avant elle celle de Rouen Petit Val 1589), rappelons-le, souhaitait placer l’édition première des 7 centuries en 1555, ce qui est bien l’indice d’un revirement et d’une volonté d’évacuer toute mention d’addition laissant entendre un travail en progrès. En ce qui concerne le second volet, la thèse dominante, notamment chez un Anatole Le Pelletier (Oracles, 1867) est celle d’un premier volet paru en 1566, année de la mort de Nostradamus, et un second en 1568 et ce, en dépit du fait que l’épitre à Henri II ait été datée de 1558. Mais une chose est la date de rédaction, une autre celle d’impression : quand un texte est posthume, il a par définition été réalisé avant la mort, faute de quoi il ne peut être attribué à l’auteur considéré.
On rappellera que l’on n’a conservé aucune édition des dix centuries datée de 1558. Cette date de 1558, dans le scénario qui s’impose au milieu du XVIIe siècle est bien celle de la dernière addition à un ensemble de six centuries, censé dater de 1556 Avignon, ce qui n’est pas incompatible avec un premier stade paru l’année précédente toujours en Avignon. On peut à la limite imaginer une épitre à Henri II en tête de la centurie VII, à 40/42 quatrains si ce n’est que dès 1557, les éditions Du Rosne 1557 comportent déjà la dite centurie VII, respectivement à 40 quatrains ( Budapest) et 42 quatrains (Utrecht). Mais précisément, la centurie VII aura connu plusieurs stades et 1558 pourrait être le dernier, titre qui ne nous est pas parvenu mais qui correspond à Rosne 1557 Utrecht, selon la pratique consistant à garder le titre plus ancien sans signaler les additions survenues entre temps..
On ajoutera que la politique suivie pour le premier volet semble avoir été radicalement différente de celle qui fut mise en œuvre pour le second qui ne nous est connu que comme un ensemble monolithique de 3 centuries pleines. Il ne s’agit pas d’une greffe sur le premier volet mais bien de la constitution d’un diptyque dont la page de titre se suffit à elle-même : « Centuries VIII. IX. X. qui n’ont encores iamais esté imprimées ». Ce second volet posthume comportant l’Epitre au Roi, étrangement, ne le signale pas en son titre, à la différence des Présages Merveilleux de 1557 pour une première mouture (1556) à laquelle la version 1558 ne se réfère même pas ou de l’édition séparée de 1603 (S. Moreau), Nouvelle Prophétie (…) dédié (sic) au Roy.
En réalité, faut-il le rappeler, il ne s’agit là de la part des libraires que d’une chronologie fictive, aucune impression des Centuries n’ayant eu lieu avant le milieu des années 1580. Mais ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une telle chronologie qu’il ne faut pas prendre la peine d’en restituer l’articulation.

JHB
22/ 10/ 12

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Updated Tuesday, 07 April 2015

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