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Researches 151-160
 
151 - La « miliade » et la mise en place du canon centurique au début du XVIIe siècle
 
152 - Nostradamus et la durée du monde
 
153 - Les années 1530 dans le processus nostradamique.
 
154 - Nostradamus, réformateur de l’Astrologie
 
155 - Les incohérences du Janus Gallicus
 
156 - Nostradamus : de la « divine inspiration » au « naturel instinct »
 
157 - Nostradamus et la question du CHIREN
 
158 - Nostradamus et les prévisions cycliques
 
159 - Les convergences entre le Mirabilis Liber et le système prédictif nostradamique
 
160 - Nostradamus et la piste Lichtenberger
 
 
 

 

 

Researches 151-160

151 - La « miliade » et la mise en place du canon centurique au début du XVIIe siècle
Par Jacques Halbronn

Le début du XVIIe siècle est un temps fort de la mise en place du canon centurique. Mais force est de constater que le résultat final ne correspond pas au projet initial de la « miliade » tel que formulé dans l’Epitre à Henri II. S’il y a des mazarinades, on pourrait aussi parler de concinades, lesquelles, l’une comme l’autre, recourent à Nostradamus. La mort d’Henri IV (d’où l’intérêt pour IV, 14 infra) a pour pendant celle de son fils Louis XIII, ce qui occasionne une régence dans les deux cas. Les espoirs concernant le « Dauphin », le futur Louis XIII, se manifestent bien avant la mort de son père, comme l’attestent les sixains tout comme le fils de Louis XIII se verra promettre un avenir radieux(d’où le quatrain cryptogramme, à la fin de la Xe centurie, visant 1660) que n’a pu atteindre son père.
Pour preuve de cette effervescence de la fin du règne d’Henri IV et des années qui suivirent, sous la régence de Marie de Médicis, entourée de son compatriote Concini, deux pièces :
1 Les charmes de Conchine desquels il devoit se servir pour éviter les coups de pistolet. De la manière que les estrangers doivent vivre en France. Avec la prédiction de Nostradamus, tiré de la 4. centurie du fol. 41 (sic). Imprimé à Lyon 1555 (Bib. Arsenal 8°H 7169 (7)

2 Petit Discours ou commentaire sur les Centuries de Maistre Michel Nostradamus, imprimées en l’année 1555, 1620 (BNF), soit le commentaire le plus ample depuis celui de Chavigny en 1594-1596, avec quarante quatrains tirés des seules centuries I à VII.

Ce qui nous frappe, c’est dans les deux cas la mention de l’année 1555 et dans l’une celle de Lyon. C’est là selon nous le signe d’une tentative de mise en place du canon centurique, Si l’on s’en tient à la seconde pièce, on a donc bien affaire à une édition à 7centuries, à l’instar des éditions ligueuses et cela ne nous apprend donc rien sur l’édition Macé Bonhomme. Il s’agirait d’une autre filière qui conduit des éditions de Rouen (1588/1589) et Anvers (1590) jusqu’à celle de Pierre Valentin, à Rouen ; Les Centuries et merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus, contenant Sept centuries dont il en y a (sic) qui n’ont iamais esté imprimées, s. d. (jouxte la copie imprimée en Avignon, 1611)

Revenons donc à la première pièce, non signalée par Chomarat, Benazra ou Brind’amour dans son édition critique des « Premières Centuries » (Droz, Genève, 1996), et relevons une permutation : le quatrain qui s’y trouve cité ; Il ne s’agit pas de 41 mais 14 de la centurie IV. On lira « au folio 41 » et non « du folio », le mot folio désignant ici un quatrain.. « La mort subite du premier personnage/ Aura changé & mis un autre au regne etc » (p. 6). On aura voulu relier ce quatrain à l’assassinat d’Henri IV.

Un autre quatrain, celui-ci inventé de toutes pièces, commence par « En l’an 1617, plains de mots inouys » ce qui vient rimer avec « le sceptre de Louys » (XIII). Nostradamus est utilisé en rapport avec l’assassinat de Concini, en 1617, voulu par le jeune Louis XIII.

Deux autres pièces sont à considérer que nous avons déjà abordées dans une précédente étude :
1 le Discours sur le bonheur des alliances de France & d’Espagne avec l’explication de deux propheties de Nostradamus sur le mesme subject, Pierre Bertaud, 1612 (Bib. Arsenal ; autre édition de la veuve Bertaud, BNF)
On y trouve [1] deux quatrains dont on ignore l’origine :
Le Coq Royal eveille le Lion
Pleure Memphis & ville Macédone
Leurs mariages esjouiront Sion
Bizance aura sa première couronne
Et
De l’Hetrurie on voit naitre la fleur
Qui donnera le fruict au grand Monarque
Du grand CHIREN malgré tout le malheur
Maison d’airain se met dedans la barque

Ce quatrain est censé concerner le fils (le fruit) de feu Henry le Grand (Marie de Médicis est signalée par l’Hetrurie) et son mariage/

2 Les Prophéties de Morgard.
Prophéties (…)présentées au Roy Henry le Grand pour ses estrennes en l’an 1600, contrevenant plusieurs predictions sur l’alliance d’Espagne[2],
Rappelons qu’en 1612, Nostradamus fut au cœur d’une polémique autour du mariage espagnol[3] entre le jeune Louis XIII et Anne d’Autriche, c’est alors qu’émergent les 58 sixains, puisque Morgard qui les publie se réfère au dit mariage espagnol. On lit donc Nostradamus au cours de cette décennie. Et l’on sait par le Mercure de 1610, que les sixains étaient alors parus, mais probablement pas encore au sein d’une édition des centuries. On dispose d’un manuscrit (reproduit par D. Ruzo, in Testament de Nostradamus, 1982) intitulé : Prédictions de M. Michel Nostradamus pour le siecle de l’an 1600 présentées au Roy Henri 4. au commencement de l’année par Vincent Aucane de Languedo[4]c
La mention dans les deux premières pièces(cf supra) d’une édition Lyonnaise 1555 nous apparait comme le premier volet d’une entreprise qui va s’adjoindre un second volet, l’ensemble étant censé paru en 1568. Rappelons qu’en 1603 paraissait la Nouvelle Prophétie de M. Michel Nostradamus qui n’ont iamais esté veues, n’y (sic) imprimées que en ceste presente année. Dédié au Roy, Paris, Sylvestre Moreau (Bib. Arsenal, 8° S 14343) qui ne comporte que le second volet.
Selon nous, il faut attendre ces premières années du XVIIe siècle, au lendemain de l’édit de Nantes de 1598, qui entend réconcilier les esprits, pour que paraisse une édition à dix centuries. En fait, se met en place alors une dynamique qui intègrera les trois volets avec trois épitres (à César 1555, à Henri II 1558 et à Henri IV 1605), si l’on tient compte des sixains, alors que ceux-ci initialement sont séparés. On peut raisonnablement penser que l’édition lyonnaise de 1555 comportait deux versions, l’une à quatre centuries et l’autre, disparue à sept centuries, avant que l’on n’envisage de situer l’achèvement du premier volet un peu plus tard (d’où Antoine du Rosne 1557)
C’est dans un tel chantier qu’il convient de situer la mise en place des 58 sixains, prévus à l’évidence, au départ, pour compléter la centurie VII laquelle a atteint 42 quatrains (cf. Du Rosne, 1557, Bibliothèque d’ Utrecht). Pour on ne sait quelle raison, les sixains furent finalement déportés en une centurie XI . Selon nous, il est probable que le volet sixains aurait du, en principe, avec l’épitre de 1605, s’intercaler entre les deux volets mais l’on aura préféré suivre l’ordre chronologique des épitres. (1555 puis 1558 puis 1605). A partir de là, l’idée de supposer et de se référer à une édition 1568 pouvait être envisagée sans avoir à dépendre d’une édition 1605.
On aura compris que, selon nous, on doit impérativement tirer un enseignement du fait qu’il y a 58 sixains. Il est tout à fait anormal que cette pièce ait été placée en troisième position, même si c’est présenté ainsi dans l’épitre à Henri IV qui évoque les deux premiers volets.
Peut-on concevoir ce qui se serait passé si l’on avait intercalé les 58 sixains entre la fin du premier et le début des seconds volets ? On comprendrait mieux alors pourquoi l’Epitre à Henri II parle d’atteindre les 1000 articles. Ajoutons que le manuscrit de la BNF[5] à 56 sixains au lieu de 58 témoigne selon nous du fait que l’état de la VIIe centurie a été fluctuant : il a probablement atteint 44 quatrains (d’où les 56 sixains) puis est revenu à 42 (d’où la mouture finale à 58)
« J’ay esté en doute longuement à qui je viendrois consacrer ces trois Centuries du restant de mes Propheties, parachevant la miliade »On notera que le mot « quatrain » ne figure pas dans ce passage, même s’il est placé peu après « la plupart des quatrains prophétiques etc’ » et « comme plus à plain par aulcuns quadrins lon pourra veoir » On notera que le terme ne s’orthograpie pas de la même manière au sein de la même épitre de 1558 : quatrain et quadrin.
Nous pensons que la dite épitre a été composée alors que les sixains se plaçaient dans la continuité de la VII et que l’on aura gardé, par mégarde, cette présentation après avoir renoncé à une telle organisation.
Certes, la Première Face du Janus François comporte-t-elle un premier essai d’intégration exégétique des dix centuries mais nullement de façon systématique, ordonnée et exhaustive. Bien plus, le projet qui est à l’œuvre en 1589-1596 ; est centré sur encore un autre volet, celui des quatrains des almanachs, ce qui selon nous correspond à une entreprise de recyclage des quatrains-présages en vers qui se passait fort bien des « quatrains prophétiques », pour reprendre la formule de l’épitre à Henri II, dont on peut raisonnablement penser qu’elle ne peut être antérieure, du moins dans la mouture que nous connaissons, à l’intégration des sixains car sinon on ne pourrait parler de « miliade »..
. Mais dans le « Brief Discours sur la Vie de M. Michel de Nostredame », il est indiqué, en tête de cet ouvrage, que trois centuries sont incomplètes, la VIIe, la XIe et la XIIe. (Ce qui deviendra ensuite du fait d’une coquille, dans les rééditions du Discours, la VII, la IX et la XII)
L’épitre à Henri IV 1605 est probablement un produit tardif, qui correspond au report des sixains dans un troisième volet et elle est incompatible avec la mention conservée de la miliade figurant dans l’Epitre à Henri II.
Le cas du texte de Morgard prête à confusion. Il est évident que l’on ne publie pas un texte avec sa clef sauf si l’on traite d’un texte déjà existant dont on entend montrer que l’on a la vraie « interprétation ». Il ne faut donc aucunement supposer que Morgard affirme sa paternité sur les sixains. Comme il le dit, il veut répliquer à sa façon aux prédictions de certains se référant à une édition des Centuries (1555), concernant le mariage espagnol à savoir (cf supra) le Discours sur le bonheur des alliances de France & d’Espagne avec l’explication de deux propheties de Nostradamus sur le mesme subject
Morgard met en place une certain grille de lecture, qui s’applique à un texte qui est lui-même déjà certainement à clef mais il ajoute à la dite clef des éléments de son cru, comme Espagne pour Sangsue ou Anglais pour Loup. Ce quatrain vise évidemment, dans l’esprit de l’auteur de la pièce (et ce dès 1555) l’assassinat d’Henri IV « la mort subite du premier personnaige / Aura changé & mis un autre au regne etc », ce qui ne dit rien de l’alliance espagnole
En réalité, ce qui en constitue la teneur du texte de Morgard- qu’il faut considérer comme un interprète des sixains, c’est la page finale (p. 14) sur laquelle figure une liste de 12 noms, sous le titre « Interprétation des noms ». Le code proposé est en lui-même un commentaire et le premier nom de la liste est « Espagnol » correspondant dans les sixains à « sensue ». Rappelons que dans les quatrains centuriques mais aussi dans ceux de l’année 1555 des almanachs, on a aussi un tel code quand on considère que Faulx signifie Saturne ou Estang Jupiter (etain)) ou Verseau.
Ce qui est étrange, dans la grille de Morgard, c’est qu’il y est question du Dauphin (le Pourvoyeur) alors que depuis 1610, il n’y a plus de Dauphin, ce dernier étant devenu Louis XIII. Autre anomalie avec le 50e sixain
« Un peu devant ou apres l’Angleterre/ Par mort de Loup mis aussi bas que terre » On ne peut relier le Loup à l’Anglais, comme le propose la clef de Morgard, puisque l’Angleterre est désignée en clair dans le même sixain. Mais l’on sait qu’un tel exercice exige des accommodements.
Pour la grille Morgard, le Dauphin est le Pourvoyeur. Louis XIII fera ce que son père n’a pas su faire. Il est en fait annoncé au sixain 57 (par erreur il est indiqué LXVII, 67) que le Dauphin (Pourvoyeur) se joindra à l’Empereur (griffon) pour combattre le Turc (Elephant). C’est donc l’alliance avec l’Allemagne (griffon) qui est préconisée par la lecture de Morgard et non avec l’Espagne (sangsue) ni avec l’Angleterre (loup). On aura compris que l’on peut ainsi faire dire aux sixains ce que l’on veut et c’est pour cela que les sixains apparaitront dans l’ensemble centurique sans aucune « clef ». Néanmoins, il nous semble assez évident que les sixains, comportaient dès l’origine une certaine clef, ce qui les met à part, par delà la question qu’il s’agit de sixains et non de quatrains. Les dates qui y figurent sont soit prospectives, soit rétrospectives. Mais d’une certaine façon, les sixains annoncent une tendance à caractère symbolique de l’exégèse nostradamique. En revanche, le nom des astres et des signes zodiacaux y est donné en clair même si l’on peut s’interroger sur ce à quoi cela renvoie. On a l’impression de bribes de textes. (voir aussi sixain 49)
On note des connaissances astrologiques assez sûres au sixain IV : « Saturne en Libra en exaltation. Maison de Vénus en descroissante force ». Ce sont là des éléments du thème natal du futur Louis XIII qui sera surnommé le Juste du fait qu’il est né sous le signe de la Balance, domicile de Vénus et lieu d’exaltation de Saturne. Mais en 1601, année de naissance du fils d’Henri IV et de Marie de Médicis, Saturne venait de quitter ce signe. Tout se passe comme si l’on avait cru que l’enfant était né non pas le 29 septembre 1601 mais 1600. Alors effectivement, Saturne était bien en balance et Vénus en chute, en Vierge.

Sixain 46
« Quand Mars sera au signe du mouton
Ioinct à Saturne & Saturne à la Lune etc

On pense à propos du 46e sixain au quatrain de l’almanach pour 1555, pour le mois de mars (repris à la fin de la Pronostication pour cette même année) :

« O Mars cruel, que tu seras à craindre
Plus est la faux avec l’Argent conioint etc »

Il ne fait guère de doute que l’un des deux textes est repris de l’autre, si l’on traduit Faux par Saturne et Argent par Lune[6]. En toute logique c’est le texte qui occulte le nom des astres qui est l’emprunteur. Si l’on consulte les éphémérides de 1555 (cf Grandes Ephémérides de Gabriel , tome I, ed Trédaniel- La Grande Conjonction, c 1990), Mars n’est pas en bélier (mouton) à aucun moment de l’année, ce qui n’est pas de chance vu qu’il y passe tous les deux ans et qu’il n’est pas non plus conjoint à Saturne, ce qui ne sera le cas qu’en mars 1556. Ajoutons que le quatrain 1555 ne donne pas l’information du sixain relative au bélier et on voit mal le sixain ajouter celle-ci. L’hypothèse que nous formulerons est la suivante : les sixains auraient eu accès à un état antérieur du quatrain de mars 1555, avant que celui-ci ne fasse l’objet d’une transposition. Cela suppose que les sixains seraient porteurs de certaines données anciennes. On sait que pour nous le XVIIe siècle est marqué par une certaine résurgence de pièces disparues, comme dans le cas d’une mouture de la Préface à César. Quant à la Pronostication pour 1555, nous pensons que les quatrains qu’elle véhicule ne correspondent pas à ceux de l’almanach pour 1555, si tant est que celui-ci en ait eu, leur présence dans le Recueil des Prosaïques ne faisant pas foi. Cette tendance à allégoriser des éléments astronomiques ne nous semble nullement le fait de Nostradamus, aucun autre quatrain des almanachs en fournissant un exemple. En revanche, le quatrain I, 16 est de la même eau. « Faulx à l’estang, ioint vers le Sagittaire » alors que la source chez Roussat est (Livre de l’Estat et Mutation du monde, Lyon, 1552[7] p. 131) est « Saturne & Jupiter au Sagittaire ». Les sixains auront échappé à cette pratique. C’est l’occasion de souligner ce que les centuries –sinon Nostradamus- doivent à Roussat : ainsi ce passage (p. 155) : « durée de dix révolutions saturnales » qui se retrouve, d’ailleurs déformé, au quatrain I, 54 « Deux revolts faits du malin falcigère » en est la transposition. Comme le note Yves Lenoble, il faut lire « Dix revolts ». Cela dit, on peut penser que Nostradamus était un lecteur de Roussat dont il épouse le style dans nombre de ses épitres ; il nous semble qu’il paraphrase celui –ci, à propos de l’Age de la Lune (dont il est question dans la Préface à César), qui est celui de l’ange Gabriel « Vrayment, Messieurs les liseurs, je vous asseure que si Gabriel n’ayde au pauvre Monde, je ne scay que ce sera sinon que toute perpléxité & désolation ». (p. 95). Mais Nostradamus va remplacer Gabriel directement par Dieu.
Pour nous résumer, nous dirons que le vrai canon centurique devrait non seulement comporter les sixains, sans les clefs qui ne sont qu’un commentaire mais devrait les placer à la fin de la centurie VII. D’ailleurs, au XVIIe siècle, nombre d’éditions comportaient des annexes (prises des éditions parisiennes de la Ligue et du Janus Gallicus), à commencer d’ailleurs par la centurie VII. Nous savons, d’expérience, à quel point certains revirements laissent des traces qui échappent à l’attention de ceux qui entendent les mener à bien. A l’historien d’exploiter de telles traces afin de rétablir les étapes d’un processus que d’aucuns tentent de télescoper.
Il convient donc selon nous de ne situer aucune des éditions du second volet avec l’épitre à Henri II 1558 avant le début du XVIIe siècle et celles que nous connaissons, de par leur contenu, correspondent déjà à un état relativement tardif, qui a renoncé à compléter la centurie VII, les états antérieurs, incluant les sixains, entre la centurie VII et la VIIIe ayant disparu. Si l’on peut situer dans les années 1590 le premier volet de la série des éditions Rigaud (et cela vaut pour l’éd. Jaques Rousseau, Cahors 1590), en revanche, le second volet est ajouté nettement plus tard, ce qui explique qu’il soit mis en page différemment. .Ce faisant, l’on en arrive à mettre en évidence une activité nostradamique intense au début du XVIIe siècle alors que l’on tendait jusqu’alors à la centrer sur la fin du XVIe siècle.
En ce qui concerne les sixains, l’épitre à Henri IV datée de 1605–qui ne figure ni dans le manuscrit ni dans l’imprimé Morgard- aurait été rédigée une fois ce statut de troisiéme volet décidé. Le fait que les sixains comportent un grand nombre de dates du début du XVIIe siècle n’est nullement incompatible avec l’Epitre à Henri II dont nous savons qu’elle s’articule autour des annéees 1605 à 1607, du fait de l’éclipse d’octobre 1605 et de la conjonction de Jupiter et de Saturne en Sagittaire. On est donc bel et bien avec un tel ensemble de 58 sixains et de 300 quatrains largement axé sur les années 1600.


JHB
07. 11. 12

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[1] Cf Benazra, RCN, p. 174
[2] Ouvrage non signalé par Benazra, ni par Chomarat,
[3] Cf Benazra, RCN, p ; 174
[4] Sur Vincent Sceve le signataire de l’Epitre datée de 1606,- et la famille de Nostradamus, Cf R. Benazra, Les principales éditions des prophéties de Nostradamus, sur Espace Nostradamus.
[5] Cf Benazran RCN, pp ; 163-164
[6] B. Chevignard ne fait pas ce rapprochement, Présages de Nostradamus, p. 115
[7] Fac simile gutenberg reprints 1981 avec postface de Jean-Pierre Brach
 
152 - Nostradamus et la durée du monde
Par Jacques Halbronn

Nostradamus semble avoir été contraint de respecter la chronologie du monde et d’y soumettre ses calculs astrologiques. Au départ, il avait plutôt l’approche inverse, c’est l’astrologie qui devait sous tendre le scénario de la fin des temps. C’est du moins ce qui ressort de l’Epitre à Henri II dans laquelle figurent deux chronologies du monde à forte teneur scripturaire. Certains nostradamologues se sont demandé à quoi pouvaient servir deux chronologies différentes au sein de la dite Epitre. Comme le note R. Benazra, on trouve en annexe une chronologie au sein de l’Almanach pour 1566 mais sans commentaire et qui ne prête guère à conséquence, commençant à la Création du Monde et s’arrêtant à Jésus Christ.
Dans nos travaux sur le prophétisme (Le texte prophétique en France, notamment), nous avons souligné l’importance de la chronologie du passé pour déterminer les dates à venir ( « Pierre Du Moulin et le thème du pape Antéchrist« in Formes du millénarisme en Europe à l’aube des temps modernes ; Honoré Champion, 2001, dir JR Fanlo et A. Tournon).
En 1561, Nostradamus prétend encore déterminer la date de naissance- pour avril 1567, de l’Antéchrist, qu’il prénomme Marcelinus, du fait qu’il naitra peu avant le jour de la fête de Saint Marcelin. Mais un tel procédé va déplaire à l’Eglise qui ne permet pas que l’on fixe la date de la fin du monde aux seuls astrologues à partir de leurs grandes conjonctions Jupiter-Saturne et des éclipses. Mais on peut se demander si une telle évolution de la part de Nostradamus correspond à la réalité ou si c’est ce qu’on lui fait dire. Selon nous, le contraste reste marqué entre les textes des almanachs et des pronostications composés sinon parus du vivant de Nostradaùmus et l’Epitre à Henri II. Dans l’almanach pour 1563, Nostradamus déclare que « les astres sont courroucés » et que la fin du monde est pour bientôt si Dieu ne fait pas preuve de miséricorde. Or, pour l’Eglise, la durée du monde est fixée. Rien ne saurait la modifier. Même pas Dieu. En 1575 l’astrologue romain Francesco Liberati, fait un rappel à l’ordre dans son Discours contre Cyprian Leovitius et autres modernes astrophiles, lesquels pour les effects des quatre eclipses solaires, unions des planettes [sic] au signe d’Aries, & grande conjonction, qui doivent ensuivre depuis l’an mil cinq cens soixante dix neuf, jusques à l’an mil cinq cens quatre vingt Paris, Guillaume Auvray (Bib. Mazarine 8 °S 26643 (pièce 5) et nous avons déjà indiqué ailleurs que cette pièce d’une douzaine de pages avait pu servir à composer la dernière mouture de l’Epitre à Henri II. Il y a en effet d’assez remarquables similitudes entre les deux textes.
L’idée de Libérati est de montrer que les « chronographes » divergent entre eux et c’est pour cela qu’il donne deux listes bien différentes notamment quant à leur durée. Or, l’Epitre à Henri II lui emboite le pas et fournit, elle aussi, deux chronologies (voir à ce sujet les études de Theo Van Berkel). La différence, c’est que Liberati s’oppose aux astrologues qui se servent des grandes conjonctions et des éclipses ! D’où le titre intérieur ‘Discours des effets merveilleux de la Grande Conjonction et des quatre éclipses de soleil ». Or, Nostradamus est un fervent adepte des éclipses et des rencontres planétaires, dont il use et abuse.
Il importe donc de lire attentivement son propos pour saisir l’articulation entre ces différents plans. Certes, Nostradamus ou du moins celui que l’on fait parler sous ce nom, avance-t-il les dates de 1585 et de 1606, mais en se hâtant d’ajouter « & passant outre bien loing iusques à l’advenement qui sera après au commencement du septième millénaire (…) où les adversaires de Iesus Christ & de son eglise commenceront plus fort de pulluler »
Liberati s’explique ainsi sur les chronologies (p. 10) :
Il est « nécessaire de scavoir iustement les annees qui ont esté depuis la creation du monde iusques à présent et par là voir le temps qui reste selon la dicte Prophetie de Daniel laquelle sera fort différent de l’opinion de Cyprian (…) Donc depuis la creation du monde iusques à la première monarchie des Assyriens (..) 1996 ans etc »
Il ironise sur les astrologues qui « font grans iugemens qu’il doive s’ensuivre voire la fin du monde »
On assiste dans l’Epitre à Henri II à une sorte de mariage étrange entre astrologie et chronologie biblique, mais on plus l’impression d’une juxtaposition de deux corpus sans véritable articulation.
Comment les deux chronologies sont-elles amenées dans l’Epitre à Henri II ?
Première chronologie :
« me remettant sous la correction du plus sain iugement, que le premier homme Adam fut devant Noë environ 1242 ans, ne computant les temps par la supputation des Gentils comme a mis par escrit Varron mais tant seulement selon les Sacrées Escriptures & selon la foiblesse de mon esprit, en mes calculations astronomiques » (p. 7, ed 1568, Ed Chomarat, 2000)

Seconde chronologie
« Toutefois comptant les ans depuis la creation du monde iusques à la naissance de Noë sont passez 1506 ans etc
(…) Et ainsi par cette supputation que j’ay faicte colligée par les sacrées lettres sont environ 4673 ans et 8 mois peu ou moins. ». Mais à la fin, l’épitre revient sur la formule du début « & cela sera proche du septiesme millénaire »
Alors que Liberati cite ses sources prophétiques et notamment Daniel, l’Epitre à Henri II se contente d’évoquer les « sacrées lettres » (Saintes Ecritures) sans autre précision, sans se référer aux « monarchies » successives que l’on extrait du Livre de Daniel.

Nostradamus d’ailleurs affirme ne pas tout dire :’ iusques à ce, Sire, que votre maiesté m’aye octroyé ample puissance pour ce faire pour ne donner cause aux calomniateurs de me mordre »
Nostradamus, dans cette épitre, n’est pas sans nous faire songer à Galilée. De même que Galilée, au début du XVIIe siècle, affirmait certaines choses de l’ordre de la Science ne correspondant pas à une certaine lecture des Ecritures – on pense à Josué arrêtant le soleil- de même il nous apparait, que Nostradamus rencontre un conflit entre ses calculs astrologiques et l’affirmation scripturaire selon laquelle le monde doit durer six millénaires tout comme il a été crée en six jours. On ajoutera qu’étant donné que cette Epitre à Henri II date en fait du début du XVIIe siècle, elle se retrouve peu ou prou contemporaine de l’Affaire Galilée. E pur si muove !
Liberati s’efforce de placer les astrologues dans une situation intenable en partant du cycle de 800 ans des grandes conjonctions Jupiter-Saturne qui revient à la fin des poissons et au début du bélier dans cet intervalle de temps. Soit l’on prend comme échéance l’année 1584 où la conjonction revient à la fin du zodiaque en poissons et reprend un nouveau cycle en bélier – mais alors c’est trop tôt car les 6000 ans ne sont pas accomplis, soit on attend encore 800 ans et le temps imparti sera dépassé. Il crée ainsi un dilemme : faut-il que les astrologues rompent avec un tel schéma de 6000 ans ? Peut-on annoncer l’avènement de l’Antéchrist avant ce laps de temps ? Il y a là un choc de chronologies, l’astrologique est-elle compatible avec la prophétique ?
Selon nous, Nostradamus n’avait pas de tels scrupules. Les Sainte Ecritures ne l’intéressaient que par rapport à l’Antéchrist – qui est également évoqué par Liberati. Il n’avait pas l’intention de repousser ses échéances sine die. Il pensait que l’astrologie avait voix au chapitre en matière de temps, laissant à l’Eglise les détails du scénario.
L’Epitre est un document hybride : elle évoque l’éclipse d’octobre 1605 – et au demeurant ne revient pas sur celle de 1567, ce qui serait étonnant si l’on devait admettre l’authenticité de l’épitre datée de 1558. Dans sa préface de 1561 (Almanach pour 1562) Nostradamus dit clairement que l’Antéchrist naitra en avril 1567. Il est probable qu’il ait été particulièrement marqué par l’état de la France à ce moment là.
Cette combinatoire planétes-éclipses reste au cœur de l’astrologie « mondiale » de Nostradamus. Il ne faut pas se tromper : ce qui comptait, c’était le perfectionnement du modèle des grandes conjonctions en l’associant à des éclipses, quitte à ne pas s’intéresser particulièrement au cycle de 800 ans. Dès lors, le report de 20 ou de 40 ans ne faisait pas problème, si les données se représentaient peu ou prou. En fait, Roussat, dans son Livre de l’Estat et Mutation des Temps a raison de situer le changement de triplicité (on passe de l’eau au feu) non pas d’abord en bélier – à moins d’admettre une petite marge, une orbe- mais en Sagittaire dans les années 1600 – d’où le quatrain I, 16. En fait, encore une fois, comme dans les années 1580, la conjonction se fait à la fin des poissons, à quelques degrés près. Mais Roussat a du penser qu’elle se ferait en bélier, du fait d’une certaine approximation..
« Cette presente triplicité aquatique terminée (dequoy nous reste seulement du calcul de cette présente année 1548, quatre vingts quatorze ans) viendra la triplicité du feu & lors se conjoindront Saturne & Iupiter au Sagittaire, signe de feu ». Or, si l’on ajoute 94 à 1548, cela donne en effet 1642, année où les deux astres supérieurs se trouvent conjoints au bélier !. Or pour Liberati, la conjonction Jupiter-Saturne se formant dans les années 1580 était considérée comme « fin Pisces debut Aries ». Tout est affaire de définition. L’astrologie devait parfois prendre quelque liberté par rapport à la réalité astronomique. Il fallait que le changement de triplicité ait lieu dans les délais. Affirmer qu’en 1642, la conjonction était en poissons c’était casser le modèle. On ne pouvait pas repasser du sagittaire aux poissons, il fallait admettre que depuis les années 1580, on était entré dans une nouvelle triplicité avec, de 20 ans en 20 ans bélier, lion, sagittaire et à nouveau bélier[1]..
. On notera que dans l’épitre à Henri II, à la différence du livret de Liberati, aucune référence n’est faite aux conjonctions Jupiter-Saturne. Mais cela tendrait à montrer à quel point ce texte est défectueux et douteux. En effet, dans son épitre liminaire à Pie IV du 17 mars 1561 (almanach nouveau pour 1562), Nostradamus évoque les « grandes conjonctions que se font de Saturne & Jupiter au commencement d’Aries qui se font de 960 ans » et il mentionne le ‘commencement de chascune triplicité commme sont celles que s’ensuyvent & qui s’approchent de 240 ans, pour ce que telles malignes conionctions se font communément à un chascune triplicité douze fois plus ou moins & quelquefois treize »

JHB
08. 11. 12

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[1] Il n’est donc pas approprié comme le propose P. Guinard de souligner qu’en 1642, la conjonction se fait en poissons. C’est vrai astronomiquement mais pas astrologiquement Cf CORPUS NOSTRADAMUS 63 -- par Patrice Guinard « Le quatrain I.16 et l'annonce de la chute définitive de la Monarchie (1842-1848)
 
153 - Les années 1530 dans le processus nostradamique.
Par Jacques Halbronn

Certains nostradamologues comme Eugene Parker et avant lui l’auteur des Lettres critiques de 1724 dans le Mercure de France ont montré que certains quatrains renvoyaient des événements antérieurs à 1555, date présumée de la parution des premières centuries. Mais une autre question se pose : pourquoi la ¨ Première Face du Janus François se réfère-t-elle en son sous titre à l’an 1534 et pourquoi le commentaire des quatrains débute-t-il en cette année là ? Même la réédition de 1596 s’en tient à cette date comme point de départ d’une chronologie qui s’étend jusqu’au temps présent. Que la période correspondant aux 20 années allant de 1534 à 1555 soit traitée en très peu de quatrains ne change rien à l’affaire et que cette date de 1534 fasse sens historiquement ne suffit pas à expliquer en quoi cela ferait sens que Nostradamus ait « prévu » des événements antérieurs à ses publications. En l’occurrence, les quatrains qui sont proposés pour ce faire sont tous issus des centuries (III, 67, III 76, II, 35, II, 91, VI, 70, I, 14 alors que dès que l’on arrive à 1555, l’on passe pour l’essentiel à des quatrains d’almanachs
Il est vrai que le début du titre du Janus Gallicus se présente comme un ouvrage d’Histoire et même la mention « extraite et colligée des centuries et autres commentaires » ne comporte aucune connotation astrologique ou prophétique, le terme centurie, à l’époque pouvant s’appliquer à n’importe quel corpus organisé et répertorié au moyen d’un index. On se garde bien de signaler que Nostradamus est astrologue. Même la « Pronostication de l’Advenement à la Couronne de France de (…) Henri de Bourbon Roy de Navarre » devient quand il est adjoint au Janus Gallicus Discours de l’advenement etc.
Il y a là selon nous, une tentative de ne pas éveiller l’attention qui correspond assez bien à la rétractation qui a été exigée de Chavigny et dont il est fait mention en tête de l’ouvrage. Certes, quand on ouvre le livre, l’on risque fort de découvrir le pot aux roses mais même, comme on l’ a dit, la chronologie suivie du fait qu’elle démarre en 1534 donne le change.
Cependant, comme nous l’avons noté, les quatrains centuriques sont seuls mobilisés pour « couvrir » très succinctement, c’est le moins que l’on puisse dire, les 20 premières années. : 3 quatrains pour 1534, 1 pour 1545, 1 pour 1547 et un pour 1553. Et c’est tout.
Nous formulerons l’hypothèse suivante :et si les quatrains des centuries étaient censés couvrir les 20 années allant de 1534 à 1554 inclus et si l’on avait laissé entendre que Nostradamus avait produit des centaines de quatrains avant de produire ceux de ses almanachs ?
Le titre du Janus est ambigu : « contenant sommairement les troubles & guerres civiles & autres choses mémorables advenues en la France & ailleurs dès l’an de salut MDXXXIIII iusques à l’an MDLXXIX » mais en latin, il prête encore plus à confusion « Historiam Bellorum civilium (…) breviter complectens » puisque le mot Histoire est présentée.
Les quatrains antérieurs à 1555 détectés par Parker et par quelques autres avant et après lui auraient d’abord figuré dans le tout premier « livre », 1555 étant la première année des almanachs à quatrains. Notons que 20 ans c’est une durée permettant d’intégrer quelques centaines de quatrains. Selon le scénario initial, Nostradamus aurait commenté des « livres de prophéties » pour une période précédant justement 1555, date de la Préface puis une autre série aurait été expliquée sur la base des données astronomiques commentées par Nostradamus, sur la base de ses quatrains d’almanachs en deux volets : ce qui va jusqu’en 1565/1566 (Première Face) et ce qui concerne les décennies suivantes ;(Seconde Face) et qui resterait à l’état brut de quatrains non couplés avec des commentaires en prose des données astronomiques..
On comprendrait dès lors qu’il y ait tant de quatrains couvrant une période d’avant 1555, surtout si ces quatrains étaient censés avoir été composés avant 1534- Nostradamus ayant été alors âgé de 30 ans.. C’est alors qu’il se trouve à Agen, se marie et qu’il a des enfants, d’un premier lit. Il « vint à Agen, ville sur la rivière de Garonne où Jules Cesar Scaliger l’arresta (…) Là prist à femme une fort honorable Damoiselle, de laquelle il eut deux enfants, masle & femelle, lesquels decedez, se voyant seul & sans compagnie, delibera soi retirer du tout en Provence, son naturel pays (…) A Salon de Craux (..) il se maria en secondes nopces » (Brief Discours sur la vie de M. deNostredame). On notera qu’après 1596, la référence à 1534 ne sera jamais plus mentionnée. On notera d’ailleurs que le Brief Discours comporte très peu de dates. On ne nous dit pas en quelle année Nostradamus arriva à Agen. On ne trouve que 1503, l’année de sa naissance puis plus aucune date pendant 40 ans jusqu’en 1546, à propos de la Peste d’Aix (en Provence), puis 1556 pour son voyage à Paris et enfin 1566 l’année de sa mort.
. . Mais pourquoi a-t-on jugé bon de rappeler, dans les années 1590, une date remontant aux années 1530 avec au demeurant aussi peu de profit puisque les 20 premières années ne sont pas couvertes ? La seule date majeure est le 31 mars 1547 qui est celle de l’avènement d’Henri II (Chiren, VI, 70)..En note, on ajoute 1552, année au cours de laquelle Henri II « donne secours aux Allemands »/ Le texte latin ne donne pas la date du début du règne mais indique que le nouveau roi est âgé de 28 ans. « ad duodetriginta annos « . On a l’impression de bribes. C’est un ensemble très décousu.
Si l’on examine le texte de la Préface à César, l’on note que l’astrologie qui y est présentée diffère de celle que Nostradamus pratiquera dans ses almanachs et pronostications. En revanche, plusieurs quatrains correspondent à ce système fictif repris de Trithème, où chaque planète couvre 354 ans. Autrement dit, nous aurions là un texte qui daterait des années 1530 et qui correspondrait à une autre posture tant au regard de l’astrologie que de la prophétie, en contraste net avec l’Epitre à Henri II.
Le système est exposé dans le Livre et Mutation des Temps de Roussat (Seconde Partie p. 95) et on le retrouve dans la Préface à César.
« Car encores que la planète de Mars parachève son siècle & à la fin de son dernier période si le reprendra-il (…) Et maintenant que sommes conduicts par la lune (..) que avant qu’elle aye parachevé son total circuit, le soleil viendra & puis Saturne. Car selon les signes celestes, le regne de Saturne sera de retour, que le tout calculé le monde s’approche d’une anaragonique revolution & que de présent que ceci j’escriptz avant cent & septante sept ans troys moys unze iours etc « . 177 est la moitié de 354 qui est la durée d’un âge planétaire.
Chez Roussat, on retrouve la même formule « La Lune qui de présent gouverne ». Mais Roussat emprunte au Période du Monde de Pierre Turrel.
Quant aux quatrains, signalons I 48
« Vingt ans du regne de la lune passés »,
Pierre Brind’amour nous donne – sans se référer au Janus Gallicus – une autre piste, dans son commentaire du quatrain ci-dessus. (cf Les Premières Centuries ou Prophéties, Ed Droz, 1996, pp. 118-119) :
« La chronocratorie de la Lune, dans la doctrine des cycles de 354 ans, avait commencé à s’exercer vers 1533(cf Les Premières Centuries ou Prophéties, Ed Droz, 1996, pp. 118-119) :
En effet, Roussat, qui est cité, fixe à 1886 et 8 (soit 1887) mois (de l’ère chrétienne), le passage à l’âge du soleil. 1887-354= 1533.
On aurait donc commencé la chronologie historique avec le début de l’âge de la Lune. Et 20 ans après, on arrive aux années 1550, ce qui confirmerait la date de l’épitre de 1555.
Or, il est clair que Nostradamus revendique un passé sinon astrologique du moins prophétique remontant vingt ans en arrière et dont il entend dresser le bilan. Si Nostradamus n’avait commencé à prophétiser que dans les années 1550, le bilan serait par trop bref en 1555. En resituant l’activité de Nostradamus à partir du début de l’Age de la Lune, alors qu’il séjournait à Agen et fondait une famille, l’on comprend mieux le ton de cette Epitre.
Il conviendra donc de retenir les passages de la Préface où Nostradamus parle de son travail prédictif bien antérieur à son activité de faiseur d’almanachs.
« Depuis longtemps, j’ai plusieurs fois prédit longtemps à l’avance ce qui s’est produit et en quelles régions, attribuant le fait à la puissance et à l’inspiration divines etc. »
Il est clair que Nostradamus remonte bien plus haut dans le temps que quatre ou cinq ans. La thèse donc d’un Nostradamus qui n’aurait commencé à prévoir que dans les années 1550 doit être abandonnée et c’est bien là le sens de la mention de 1534 comme point de départ du Janus Gallicus. Les quatrains centuriques pourraient être issus de la prose produite par Nostradamus au cours de ces 20 ans. Et il ne faut donc pas s’étonner qu’il y soit évoqué des événements antérieurs à 1555 puisque Nostradamus dresse un bilan de ses prévisions. Il faudrait même remonter plus haut jusque dans les années 1520, s’il est vrai que certains quatrains, comme le propose Parker, renvoient à cette décennie tel II, 72 qui évoquerait le désastre de Pavie, en, 1525.
« Armée Celtique en Italie vexée (…) Près du Thesin etc. »
Pierre Brind’amour apporte de nombreux éléments au dossier sans pour autant conclure que Nostradamus aurait pu prophétiser avant d’arriver à Salon. Il signale notamment, au prix de recoupements, les deux éclipses du printemps 1540 (Nostradamus astrophile, pp. 221 et seq) et les quatrains III, 4 et 5. mais aussi VIII, 15. qui parle des « deux éclypses ». Dans l’almanach pour 1567, dans le mémoire italien, Nostradamus remonte en effet à l’an 1540 et à l’année 1544 avec ses 4 éclipses. Cela nous indique que Nostradamus s’intéressait déjà à ces sujets à la fin des années 1530. Le chercheur québécois s’intéresse également (pp/ 225 et seq) à une « tentative d’empoisonnement en 1546. (II, 48, VII, 24, VII, 42). Puis il passe (pp. 227 et seq) au « tremblement de terre du 4 mai 1549 » qu’il met en rapport avec X 67. Mais là c’est tout à fait évident étant donné que les positions planétaires sont fournies. Mais il ne s’agit évidemment pas de prévisions mais de notes prises après coup qui sont le fait d’astrologues tenant une sorte de journal. Ainsi, Brind’amour à propos d’un théatre qui correspondrait à III, 40, écrit ‘ »Nostradamus nous livre son diagnostic de l’accident. Nostradamus n’agit point là en tant qu’historien mais bien en tant que spectateur astrophile du monde.
Jetons un coup d’œil sur la mouture de la Préface à César, publiée vers 1691 par Antoine Besson. On retrouve le passage « Combien que depuis long-temps (…) j’ay prédit (…) A donc ay mieux aymé m’estendre declarant (…) par obstruses & perplexes sentences etc’ » On n’y trouve pas, en revanche, l’exposé sur les âges planétaires. Rappelons aussi que des emprunts ont été effectués au Compendium Revelationum de Savonarole, comme l’a relevé Torné-Chavigny. Mais même sous la forme dépouillée de l’édition Besson, nous ne pouvons que constater – peut être encore plus nettement, que Nostradamus en 1555 se présente doté d’un bilan d’une activité prédictive de probablement plus de 20 ans. Apparemment, le Brief Discours ne met pas en évidence une telle activité et laisse entendre que Nostradamus n’aurait « prophétisé » qu’à partir de son installation à Salon, ce qui est contredit à la fois par le sous titre même du Janus Gallicus et par le contenu de la Préface à César..
La renovation du monde, l’ »anaragonique révolution », dans le systéme des 7 âges et des 7 anges, correspond à un changement de planéte. L’avénement de l’âge de la Lune devrait donc correspondre à une telle rénovation mais cela implique que Nostradamus ait commencé à prédire à la veille du changement de planéte, donc avant 1533/34. C’est l’époque à laquelle Turrel publie son Période du Monde..(Bib. Ste Geneviève), repris par Roussat dans les annés 1550. Le fait que la préface à César parle de 177 ans, signifie qu’à la moitié de l’âge de la Lune, il faut s’attendre à une échéance majeure, ce qui désignerait l’an 1710.(1533+177). Cela suppose que l’auteur écrive en 1533, sinon ce nombre de 177 ne ferait pas sens. : « que de present que ceci j’escriptz avant 177 ans etc ». Le point de départ ne saurait être 1555 mais un début de cycle dont la mi-temps serait décisive. Tout nous raméne vers les années 1530. Mais par la suite, il semble que Nostradamus ait exploré d’autres pistes et notammen celle des années 1560, ce qui peut surprendre car les années 1580 du fait qu’elles correspondairent, dans un autre systéme qui est celui du cycle des Grandes Conjonctions de 800 ans, à un retour au premier signe du Zodiaque, semblaient plus indiquées, si ce n’est que Nostradamus prend en compre l’éclipse de 1567, les années 1580 n’étant marquées que par des éclipses de second ordre. Sinon il falllait attendre jusqu’en 1605, avec la conjonction en Sagittaire, avec un retard de 20 ans. Que préférer : être en avance de 20 ans ou en retard de 20 ans ? En fait, Nostradamus finira par considérer que les éclipses ont la préséance par rapport aux planétes.


JHB
08. 11. 12
 
154 - Nostradamus, réformateur de l’Astrologie
Par Jacques Halbronn

En hommage à Pierre Brind’amour

Il importe de comprendre comment travaillait Nostradamus au niveau des prévisions mondiales. On ne trouve pas ces éléments dans sa correspondance et bien évidemment pas dans ses quatrains. Même sa production annuelle se présente de façon très classique avec ses « commentaires » de semaine en semaine, sur la base des aspects soleil-lune, plus encore que de mois en mois.
La façon dont Nostradamus aborde les enjeux à long terme peut sembler assez déconcertante en ce qu’il procède par anticipation ou/et étudie les effets sur plusieurs années. Autrement dit, la position proprement dite de la configuration planétaire ou de l’éclipse s’étend bien au-delà de l’année concernée, comme il ressort notamment des annexes à l’almanach pour 1562, qui n’ont en principe rien à y faire. Tout se passe comme si Nostradamus instrumentalisait ses almanachs pour y placer ses prévisions sur plusieurs années, par-dessus le marché, l’almanach étant un support privilégié. On peut parler d’un certain abus et il est possible que la condamnation par le pouvoir des almanachs soit liée à de telles dérives...
Lire la prose de Nostradamus exige une grande attention- et celui qui ne pratique que « ses » quatrains risque fort d’avoir pris l’habitude de ne pas chercher à comprendre sérieusement ce qui est écrit, tant la lecture des quatrains favorise un certain imaginaire. Les nostradamologues de la prose ne travaillent pas comme les nostradamologues des quatrains.
Prenons, pour commencer, la brève Epitre de 1561 à Pie IV. Nostradamus commence par y évoquer la conjonction de Mars et de Saturne puis le cycle des grandes conjonctions Jupiter- Saturne ! Il déclare que ces deux types de conjonctions ne sont « guère dissemblable(s) ». Il rappelle que la rencontre des deux planétes supérieures au début du signe du Bélier (Aries) se fait de « 960 en 960 ans’. Puis il précise que le changement de triplicité a lieu tous les 240 ans, soit le quart du temps/ Il qualifie ces conjonctions de « malignes » C’est alors que Nostradamus aborde la situation du moment : « comme sont celles qui s’ensuyvent et s’aprochent (sic) de deux cens quarante ans » Puis il annonce qu’il a « calculé (…) iusques à l’année 1570, là environ »
Passons à présent à la « Préface » qui fait suite à l’Epitre :
Il explique pourquoi cette année 1562, qui est celle de l’année à venir a toujours été « doubtée » (lire redoutée). Pourquoi, demande-t-il. Réponse « Pour cause de cette année icy redondant par intelligence de l’année 1564 »qui est en fait, noterons-nous, celle d’une grande conjonction dans le signe du Cancer mais Nostradamus ne le précise pas. « Et Nostradamus d’ajouter ‘ « Et depuis la présente année 1562. iusques là , le fait ecclésiastique temporisera » Mais « vrayment parvenu en iceluy temps que sera faicte la grande conjonction sera le temps de (…) plus sinistres avantures que iamais advinrent sus la terre » (p 7 de la réimpression de 1906). L’année 1562 serait donc « concatenée [enchaînée] avec l’année 1563 & 1564 à la proximité d’un temps à l’autre !,
Le changement de triplicité est déterminant, affirme Nostradamus. Il mentionne l’an 1425, au 30 août, quand la conjonction se fit en Scorpion, un des trois signes de la triplicité d’eau/(cf B. Tuckerman, Planetary, Lunar & solar Position,1964). Ce fut, dit Nostradamus, le début du déclin de la « puissance temporelle » de l’Eglise. Et cette période se prolongera jusqu’au passage des grandes conjonctions dans une nouvelle triplicité, celle de feu, avec une conjonction en « Sagittarius », en 1603 - ce qui correspond, mais ce n’est pas Nostradamus qui le signale, au quatrain I, 16, ( Faulx à l’estang etc). On est donc à quarante ans, en 1562, de cette échéance mais dit-il il faut s’y préparer. Et de citer le 4e aphorisme du Centiloque.- en réalité c’est le 5 (cf notre édition des Remarques Astrologiques sur le Commentaire du Centiloque de Ptolémée de J. B. Morin (1654), Ed Retz, 1975, p. 69) que Nicolas Bourdin rend ainsi : « Celui qui est savant peut éviter plusieurs événements des astre lorsqu’il aura connu leur nature et se préparer avant leur venue » . Rappelons que cette œuvre n’est pas de Ptolémée mais est un abrégé de la Tétrabible par Albumasar, selon Richard Lemay (Beyrouth, 1972)
On aura compris que Nostradamus préconise une astrologie préventive. Et d’ailleurs il signale qu’il a publié son almanach « devant temps pour donner advertissement aux Monarques, si tels sinistres evenements se pourrayent divertir » (p.20).
Après avoir anticipé sur la grande conjonction à venir pour l563 qui sera toujours en signe d’eau en cancer il aborde les années qui s’en suivront 1565 et 1566. Quant à celle qui aura lieu 20 ans plus tard, il semble qu’il la situe encore en signe d’eau, en poissons, bien que pour d’autres astrologues, il faille associer les poissons au bélier, le signe suivant pour disposer d’une première conjonction de feu dans le premier signe de feu, ce qui correspond à la fin d’un cycle de 960 ans (ou de 800 ans selon la nouvelle école). Nostradamus n’adhère apparemment pas à l’idée que la triplicité de feu commence dans les années 1580 et il reporte son début de 20 ans, ce qui lui permettra de relier la conjonction à l’éclipse d’octobre 1605 (cf Epitre à Henri II). En fait, il n’évoque pas la conjonction de 1583 en « Pisces-Aries » comme le fera Liberati en 1575. Rappelons l’importance accordée notamment à l’an 1588 par un Regiomontanus –plus tard la date sera changée en 1788 (cf notre étude in Politica Hermetica)
Nostradamus va faire naitre un certain Marcelinus, que l’on peut assimiler à l’Antéchrist- bien que ce mot ne figure pas dans l’almanach pour 1562 – ce terme en revanche est récurrent dans l’Epitre à Henri II datée de 1558- avec la grande éclipse de 1567. Il est entré dans une logique de la fin des temps, selon la vision apocalyptique. On va donc vivre 40 années terribles jusqu’à ce que Saturne et Jupiter cessent de se retrouver en signe d’eau et que Jupiter rejoigne Saturne dans son domicile en Sagittaire.
Comparons avec le mémoire « italien » de l’almanach pour 1567, en date du 22 avril 1566, donc cinq ans plus tard. Plus un mot désormais sur le cycle des grandes conjonctions. On ne parle plus que des éclipses de 1567 et de 1605, pas même de la grande conjonction en Sagittaire de 1603 qui devait sonner la sortie de la triplicité d’eau, si néfaste pour l’Eglise. A l’évidence, Nostradamus ne jure plus que par les éclipses qui sont un phénoméne visible alors que le passage des conjonctions Jupiter-Saturne est un artefact intellectuel, toute conjonction de ce type, survenant tous les 20 ans, ressemblant à la suivante, selon une mécanique imperturbable. Seuls les astrologues se retrouvent dans ces histoires de triplicités de tel ou tel Elément. Notons que l’épitre à Henri II ne dit mot des grandes conjonctions, ce qui montre qu’elle appartient à une période plus tardive que cette année 1558 qui est celle où elle aurait été écrite. Il évoque certes le « règne de Saturne » & siècle d’or » mais c’est dans le cadre des cycles fictifs de 354 ans, sans rapport avec les données astronomiques.
Terminons notre investigation avec un texte daté du 14 août 1558 et qui s’intitule Significations de l’éclipse de septembre 1559, donc deux ans et demi avant l’épitre au pape d’avril 1561, du moins si cette épitre est authentique, étant par ailleurs en partie reprise de Leovitius . Point de trace de propos sur les triplicités articulées sur les rencontres Jupiter Saturne. Les positions planétaires signalées ne sont que celles des « révolutions », c'est-à-dire des thèmes qui englobent toutes les planétes. En revanche, il est question de 1605 mais pas un mot sur l’éclipse de 1567, pourtant signalée dans l’almanach pour 1567. On peut donc dire que cette épitre a été composée après cette date, ce qui explique qu’on n’en fasse plus mention.
Nostradamus aura donc jugé que la conjonction Jupiter-Saturne de 1583 n’était pas la fin du cycle « aquatique » qu’il repousse de 20 ans.
Qu’en est-il de Roussat sur cette question en 1548, ? Dans la tierce partie du Livre de l’Estat et Mutation des Temps, le chanoine de Langres écrit : «Il est heure de dire plus oulte de la triplicité aquatique, soubz laquelle nous vivons en assez grandes fascheries (..) mesment nous Chrestiens. Laquelle triplicité commencea (sic) soubz le Scorpion, mil quatre cens & deux »(p. 144). Cette date ne veut rien dire. C’est Nostradamus qui a raison :c’est 1425. 20 ans ; plutôt, on était dans la triplicité d’Air. Pour Roussat (p. 131), ce qui est repris par Nostradamus
« Cette présente triplicité aquatique terminée (..) viendra la triplicité du feu & lors se conioindront Saturne & Jupiter au Sagittaire, Signe de feu ». En fait, selon Roussat, il faudra attendre 1702 pour que la dite conjonction se fasse en Bélier. Si 1702 est bien une année où les deux planétes se retrouveront en bélier, Roussat se trompe quant à la première occurrence : ce sera en 1644 soit 60 ans après celle de 1583, après être passée en Sagittaire et en Lion. Roussat repousse donc considérablement les échéances liées à un nouveau cycle conjonctionnel de 960 ans.
En fait, il faut reconnaitre que la conjonction en sagittaire est bien la première de la triplicité de feu. En effet, si la première conjonction en Eau eut lieu en Scorpion en 1425, il faut se situer deux siècles plus tard pour changer de triplicité, donc au XVIIe siècle. La conjonction des années 1580 appartiendrait donc bel et bien encore à la triplicité aquatique
Il nous faut revenir, à la lumière de ces développements sur les 177 ans avancés dans la Préface à César[1]. Selon Laurent Videl, un des critiques de Nostradamus, en effet, l’âge de la Lune aurait commencé en 1525 alors que pour P. Brind’amour, cela aurait eu lieu 10 ans plus tard. Nous avons expliqué dans une précédente étude que 1534 correspondait au début de la chronologie de la Première Face du Janus François (1594), ce qui apparait déjà en son titre complet..Nostradamus dit qu’il y a 177 ans, à partir du temps où il écrit, soit la moitié d’un règne de la Lune de 354 ans. avant de parvenir à un seuil important. Or, il est évident qu’il ne peut écrire ainsi qu’au début du dit règne, donc en 1534. Il ne peut donc s’adresser à César qui ne naitra qu’en 1553. Mais là encore, il semble que Nostradamus ait renoncé à ce système exposé dans la Préface à César et qui marque sa jeunesse.
Pierre Brind’amour, dans un ouvrage (Nostradamus astrophile) sous titré « Les astres et l’astrologie dans la vie et l’œuvre de Nostradamus » consacre un chapitre (pp. 199 et seq) aux grandes conjonctions mais non point aux éclipses si ce n’est celles de 1540 qui montrent que Nostradamus était déjà très féru d’astrologie à la fin des années 1530. A propos de Leovitius, Brind’amour traduit un passage de son De conjonctionibus (1564) où il est clair que si l’on reconnait que la grande conjonction de 1564 a bien lieu « dans le dernier décan des poissons’, il n’en faut pas moins signaler « un très grand rassemblement de presque toutes les planètes dans le Bélier vers la fin du mois de mars et vers le début d’avril » Mais voyons ce que dit Brind’amour sur l’intérêt que Nostradamus portait aux grandes conjonctions (pp 209 et seq) Le quatrain VI, 2 associerait deux grandes conjonctions en 1584 et 1702 dans le Bélier :
« En l’an cinq cens octante plus & moins
On attendra le siecle bien estrange
En l’an sept cens & trois cieux en tesmoings
Que plusieurs regnes un à cinq feront change

Selon nous, il serait fâcheux de percevoir Nostradamus comme ayant une position constante sur ces questions ou de vouloir concilier entre elles des positions successives. Ce n’est pas parce que tel quatrain renvoie à telle technique que Nostradamus aura conservé celle-ci dans son arsenal jusqu’à la fin de sa vie. De toute l’astrologie mondiale, Nostradamus ne gardera plus, dans ses dernières années, que les éclipses et, ce faisant, il se démarque non pas de l’astrologie mais des astrologues de son temps qui privilégient les grandes conjonctions et ont convaincu le monde que les années 1580 seraient cruciales. Il est vrai qu’elles marquèrent en France une crise dynastique majeure, bien plus que la fin du règne d’Henri IV. Pour Nostradamus, les planétes ne sont à considérer qu’en rapport avec les éclipses principales. On peut donc parler d’une réforme nostradamienne de l’astrologie comme il y aura peu après, au début du XVIIe siècle, une réforme képlerienne de l’astrologie (cf Gérard Simon ; Kepler, astrologue, astronome, 1979), laquelle ne voulait retenir que les aspects et évacuer le zodiaque du champ de l’astrologie. Dans les deux cas, un désir de simplification de l’outil astrologique.

JHB
10.11.12

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[1] Voir J. Halbronn « La prophétisme antéchristique », site ramkat.free.fr
 
155 - Les incohérences du Janus Gallicus
Par Jacques Halbronn

La lecture de la Préface à César nous montre en 1555 un Nostradamus ayant dressé un bilan d’une longue activité prédictive qui n’a guère à voir avec sa récente production d’almanachs et de pronostications qui ne remonte pas avant 1550, donc à 1549 pour la rédaction, si l’on en croit le Recueil des Présages Prosaïques (cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, 1999) : « Combien que de long temps par plusieurs fois j’aye predict long temps au paravant ce que depuis est advenu (…) le tout estre faict par la vertu & inspiration divine etc ». Si l’on rappelle que le Janus Gallicus commence à couvrir une période qui débute en 1534, tout s’explique. Ce sont 20 ans dont il a été dressé le bilan. Jean Aimé de Chavigny semble assez peu au courant des raisons d’être d’une telle indication et ce ne sont pas les quelques quatrains censés correspondre à une telle durée qui suffiront à donner le change. C’est dérisoire et il est étonnant que l’on ne s’en soit aussi peu soucié jusqu’à présent. Pourquoi ne pas commencer carrément à 1550, en accord avec le dit Recueil des Présages Prosaïques ? Probablement parce qu’il n’ pas osé changer un titre dont il n’était visiblement pas l’auteur. Plus que jamais le décalage entre Jean de Chevigny et Jean Aimé de Chavigny nous semble flagrant, n’en déplaise à B. Chevignard, justement responsable – ironie du sort- de l’édition du RPP qui ne dit mot de la période antérieure à 1550.. . A la fin du Brief Discours de la Vie de M. Michel de Nostredame, les deux séries de documents sont présentées de la façon suivante (p.7) :
« Il a escrit XII Centuries de prédictions comprises briévement en quatrains (qu’il a ) intitulé Propheties. (..) Nous avons de luy d’autres présages en prise faits puis l’an 1550 iusques à 67 qui colligez par moy la plus part & redigez en XII livres sont dignes d’êstre recommandez à la postérité. Ceux cy comprennent nostre histoire d’environ cent ans & tous nos troubles, guerres & menées dez un bout iusques à l’autre. Ceux là, scavoir les Centuries s’estendent en beaucoup plus longs siecles dont nous avons parle plus amplement en un autre discours sur la vie de ce mesme Auteur, qui bien tost verra la lumière »
Le texte latin de la Vita Auctoris offre toutefois de nombreuses variantes. Si le nom de César y figure, il n’y est pas indiqué que Nostradamus lui a adressé une préface ni l’an 1559 – non pas la production pour l’an 1559 mais celle qui est associée à cette année là par le rédacteur- qui se référerait à César comme cela figure dans la version française. Le nom de Dorat a disparu dans la dite version du Brief Discours, dont le dialogue n’est d’ailleurs fourni qu’en latin dans la Première Face du Janus François.
Pourquoi indiquer que ces quatrains d’almanachs de 1550 à 1567 couvriraient 100 ans d’histoire ? Un tel programme ne correspond pas à une série limitée à 1550-1567. Il a été à l’évidence tronqué et si l’on en revient à la Préface à César, Nostradamus prétendait avoir fait des prédictions de longue date. Il est possible que Nostradamus ait tenté d’expliquer a posteriori astrologiquement les événements depuis le début du XVIe siècle, activité assez typique d’un « astrophile » et qu’il ait recopié le récit de certains de ces événements en vue de les expliquer. Ce sont là des notes de travail qui auraient ainsi été mises en quatrains et pas forcément par Nostradamus. Certains nostradamologues, comme Brind’amour ou Roger Prevost (Nostradamus, le mythe et la réalité. Un historien au temps des astrologues, Ed Laffont, 1999, ont fait le chemin inverse, reconstituant la prose à partir des vers. Bien entendu, les quatrains centuriques ne constituent, au mieux, qu’un résumé assez baroque des études qui ont pu être menées par Nostradamus sur la suite des événements, au minimum depuis 1534... Ce serait donc une erreur d’optique que de laisser entendre que Nostradamus aurait attendu de s’installer à Salon pour entamer une carrière de pronostiqueur. Il faut probablement remonter à son premier mariage et à son séjour à Agen, dans les années 1530, point qui n’est pas abordé dans le Brief Discours décidément bien insuffisant au niveau biographique..Etrangement, le Discours ne signale pas que le recueil de textes de 1550 à 1567 comporte des quatrains, comme si le rédacteur l’ignorait au moment où il écrit. Il est vrai que le titre du recueil renvoie aux Présages Prosaïques qu’il désigne comme « autres présages en prose ». Nous pensons que Chavigny, quand il compléta le Brief Discours n’avait pas encore étudié de près les XII livres du dit Recueil.
On aura noté que, dans le Discours, l’on mentionne d’abord les « centuries de prédictions » réduites en quatrains dont il aurait été question dans un autre texte sur lequel Chavigny ne reviendra jamais, et ensuite seulement la série 1550-1567.
L’ordre est inversé par rapport à la chronologie des impressions mais Chavigny insiste sur le fait que certains éléments sont longtemps restés inédits.
Selon nous, c’est à ces « centuries de prédictions » que Nostradamus fait référence dans son épitre de 1555. et dont il affirme avoir vérifié le bien fondé. On ne trouve d’allusion à un tel recueil que dans les Significations de l’éclipse de septembre 1559 :
« adviendra l’an 1605 que combien que le terme soit fort long, ce nonobstant les effects de cestuy ne seront gueres dissemblables à celuy d’icelle année comme plus amplement est declaré à l’interprétation de la seconde centurie de mes Propheties » (B. Chevignard, Présages de Nostradamus, fac simile p. 455).
Il convient ici de faire un point terminologique : on appelle « commentaire » l’étude que Nostradamus fait de telle « révolution « dans ses publications 1550-1567 - et « interprétation » ce qui consiste à expliquer les centuries de quatrains.
On notera que les quatrains centuriques sont le parent pauvre de la Première Face du Janus François. Mais là encore, on a une cote mal taillée. Ils s’y trouvent néanmoins mais comme en surplus. On a l’impression que le texte contenu dans le Janus Gallicus se trouve bien trop au large, tant sur le plan chronologique que sur celui des quatrains centuriques alors même que le sous titre donne la priorité aux Centuries : « Extraite et colligée des Centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame ». Quant au titre latin, il ne mentionne que les quatrains « ex decantissimis illis tetrastichis » sans évoquer d’autres pièces.
L’on voit à quel point il est impératif de distinguer entre le titre d’un ouvrage et son contenu ainsi que de son « programme » tel qu’exposé liminairement. Nous l’avons signalé dans nos travaux à maintes reprises. A l’évidence, nous sommes là face à un tel décalage entre ce qui est annoncé et ce qui est exposé.
C’est également le cas de la Préface à César qui annonce un étude rétrospective des prédictions de Nostradamus sur de nombreuses années et non un exposé relatif au futur consistant en des centuries de quatrains. Il semble que Nostradamus n’aurait pas songé à présenter ses centuries de quatrains sans « explication ». Mais on n’a rien gardé d’une telle explication si ce n’est peut être quelques extraits épars dans le Janus Gallicus, à propos de tel ou tel quatrain centurique. Mais il semble bien qu’au bout du compte, plutôt que de revenir sur le bilan de 1555 – le Brief Discours (en français) se référe à la Préface à César mais sans donner la date de 1555 qui est celle des premiers quatrains mensuels) relatif à la période 1534-1549 (date correspondant à la composition du premier almanach signalé pour 1550 ) on ait préféré dressé le bilan de la période allant de 1550 à 1589. Mais tout cela s’est fait tout en cherchant à donner le change et à faire croire que le contenu correspondait au titre et au programme tel qu’annoncé à la fin du Brief Discours.
Etrangement, on nous dit à la fin du Discours dans la plus grande confusion que les présages de 1550 à 1567 « comprennent notre histoire d’environ cent ans & tous nos troubles, guerres & menées dez un bout iusques à l’autre ». Que l’on nous explique comment ces présages sur une douzaine d’années pourraient convenir. Par ailleurs, comment Nostradamus aurait pu, comme il le promet dans la Préface à César, faire le bilan sur des événements non encore survenus comme il est annoncé « les Centuries s’estendent en beaucoup plus longs siecles ». C’est probablement ce qui explique que Chavigny annonce une Seconde Face du Janus François qui ne nous est pas connue. C’est ce à quoi il est apparemment fait allusion, mais sans mentionner la « Seconde Face » alors que l’ouvrage s’intitule « Première Face « ou « Iani Gallicis facies prior’. On trouve à la place « «les centuries s’estendent en beaucoup plus longs siecles dont nous avons parlé plus amplement un autre discours sur la vie de ce mesme auteur », autrement dit ce texte serait déjà prêt. Quant au latin, il y a « videbit Lector in alio opere Centuriarum scilicet etc’ Tout se passe comme si Chavigny avait placé son double titre Première et Seconde Face du Janus François sur un contenu qui n’aurait pas été ajusté à une telle dénomination. A l’évidence, il semble bien qu’il a du exister un volume consacré à l’explication des centuries de quatrains qui ne nous est pas parvenu et qui concernait la période antérieure à 1555. Or, il apparait que l’on ait voulu nous faire croire que les centuries en question traitaient d’une période s’étendant sur les siècles à venir et c’est d’ailleurs ainsi que la postérité l’aura compris.
On perçoit chez Jean Aimé de Chavigny une mauvaise conscience qui le conduit à se référer à 1534 alors qu’il n’a aucune intention de couvrir ce qui n’appartient pas ce qui précède 1555, ce qui montre bien que toute tourne pour lui autour des quatrains. Il ne consacre que 8 numéros sur près de 350 à la période antérieure 1534-1554 et encore les deux premiers quatrains étudiés ne sont pas associés à une quelconque année. Selon nous, Chavigny ne s’intéresse- du moins au départ, qu’aux quatrains et aux « commentaires » des almanachs et des pronostications, soit au contenu du Recueil des Présages Prosaïques, qu’il avait l’intention de publier séparément. Il semble qu’il ait alors opté pour une autre solution consistant à publier son commentaire du dit Recueil – il avait prévu initialement quelques notes en marge du dit Recueil- sous couvert d’un volume consacré aux centuries, dont il n’aurait conservé que quelques quatrains – le vidant en quelque sorte, en grande partie, de son contenu initial pour le remplacer par son travail sur les quatrains présages.. Ce volume aurait en fait, au départ, correspondu à ce qui était annoncé dans la Préface à César, à savoir une « interprétation » d’un certain nombre de quatrains centriques. Il en garde la chronologie, y compris au titre mais il escamote allégrement les 20 premières années. On notera que les années 1534 à 1554 font appel à six quatrains centuriques dont un de la centurie XI, (quatrain 91) probablement ajouté par Chavigny –on nous dit qu’il y a 12 centuries de quatrains - que l’on peut considérer comme ayant figuré dans la version d’origine du volume. En fait, aucun des cinq autres quatrains ne dépasse le cadre des six premières centuries. Néanmoins, il ouvre l’ensemble avec le quatrain général de l’an 1555, seul quatrain qui est mentionné dans le Brief Discours.
Il est probable par conséquent que Chavigny ait eu entre les mains un volume traitant de ce qui était annoncé dans la Préface à César lequel ne pouvait se limiter à des quatrains mais impliquait leur interprétation. Nous pensons que ce qui accompagnait la dite Préface ne devait pas dépasser six centuries, et se terminait par l’Avertisssement latin Legis cautio/cantio. On sait que Chavigny est le premier à restituer le quatrain 100 de la Vie centurie (« Fille de l’Aure etc) qui manque à toutes les éditions antidatées de 1557 et 1568 mais aussi celles de Rouen, d’Anvers, de Cahors et de Lyon, dans les années 1580-1590 qui en sont les matrices- et bien entendu de Paris, sous la Ligue. Le quatrain VI, 70 (pour 1547, année de l’avènement d’Henri II et qui comporte l’anagramme CHIREN, c’est le seul événement significatif sur 20 ans à être signalé !) est le seul à comporter des mots entièrement en capitales. Il y a 3 quatrains pour l’an 1534 et trois quatrains pour couvrir les années 1535 à 1554 !Le troisième quatrain proposé pour 1534 (II, 35) est ainsi commenté en son dernier vers « Sol, Arc, Caper, tous seront amortis » : « Le Soleil se pourméne dans l’Arc ou Sagittaire dez la my-Novembre iusques à my décembre & dans le Chevrecorne dez la my Décembre iusques à my Ianvier, là environ. » On peut penser qu’il s’agit en fait de Jupiter et de Saturne en (grande) conjonction représentés par leurs domiciles zodiacaux respectifs. Ce n’est certainement pas le cas de l’an 1534 mais bien plutôt de 1544 en scorpion.
Est-ce que Nostradamus, en 1566, à la veille de sa mort, proposa comme il l’avait fait en 1555, mais sans qu’il y ait eu édition une interprétation du contenu du Recueil des Présages Prosaïques ? Nous pensons qu’à cette date, Nostradamus ne s’intéressait plus guère à un tel exercice et avait bien d’autres enjeux à considérer, avec ses éclipses. L/’on peut penser que Chavigny entendit réaliser ce que Nostradamus avait entrepris en 1555. L’on sait que l’entreprise de Chavigny fit long feu et qu’il ne parvint pas à substituer aux centuries les quatrains des almanachs, même en les recyclant bien au-delà de l’année initialement concernée, comme il s’en explique. Ce sont bien les quatrains évoqués en 1555 qui accompagneront l’epitre à César mais dépourvus de toute explication, hormis celles figurant dans le Janus Gallicus et qui ne seront même pas reprises dans les éditions centuriques. Ce n’est que dans la seconde partie du xVIIe siècle qu’un commentaire sera placé en annexe des éditions avec dans certains cas des illustrations (éxécution de Charles Ier (1649) et Incendie de Londres (1666). En réalité, durant cette période, les centuries étaient lues pour elles-mêmes, à ce détail près qu’elles véhiculaient de nouveaux quatrains ou des quatrains retouchés,(IV, 46, IX, 86 etc) dont le public était averti par la rumeur..
Il est probable que ces centuries aient figuré dans les papiers laissés par Nostradamus à sa mort. Elles commencèrent alors à circuler très discrétement mais ne parurent qu’au milieu des années 1580 avec l’épitre d’origine mais adressée à César, ce qui n’était pas à notre avis le cas initialement puisqu encore en 1566 dans son testament, Nostradamus déclare ne pouvoir désigner lequel de ses fils serait chargé de s’occuper des documents rassemblés dans une pièce de la maison..


JHB
10. 11. 12
 
 
156 - Nostradamus : de la « divine inspiration » au « naturel instinct »
Par Jacques Halbronn

Quand on aborde le canon nostradamique, l’écueil tient notamment au fait que les étapes successives s’entrecroisent du fait des éditions et des rééditions La confusion est due à ce que l’on veuille qu’il n’y ait eu qu’un seul Nostradamus tout au long de la carrière de Michel de Nostredame. Or, il apparait que sa démarche a évolué entre les années 1530 et les années 1560, qu’il s’est présenté sous des statuts différents. Il est alors vain de vouloir tenter quelque synthèse synchronique alors que la seule voie est celle de la méthode diachronique.
La thèse que nous défendrons ici est que Nostradamus est une sorte de voyant, de « mage » - qui se mêlera peu à peu d’astrologie. Un des rares documents qui attestent de ce fort penchant pour une certaine forme d’inspiration est la Préface à César qui semble être le révélateur d’une époque antérieure de la vie de Nostradamus. Or, c’est cette époque pré-astrologique, antérieure aux années 1550 qui marquera son nom au regard de la postérité, par le truchement des quatrains « prophétiques »...Les années 1580 sont le temps d’une résurgence de cette première époque de Nostradamus. D’où l’emploi du mot Prophéties pour désigner l’œuvre comportant des centuries de quatrains.
La comparaison entre la Préface à César et les autres épitres que nous connaissons est assez saisissante. Dans la Préface à César, Nostradamus avoue ingénument des pratiques qui n’ont vraiment rien d’astrologique et que l’on retrouve dans les deux premiers quatrains de la première centurie, tout en présentant le thème astral (astronomique revolution) comme un support.

I Nous commencerons par la version courte publiée par Antoine Besson, avant l’interpolation du Compendium Revelationum de Savonarole.
« »un mémoire (…) des singularitez & absconses evenemens dont la divine Essence m’a donné connoissance par calculs & astronomique revolutions ».
« mes revolues calculations qui ont esté accordantes à reveler (sic)) inspiration »
Il est possible que dans cette première époque, les quatrains aient été l’expression première à la différence de la seconde époque, celle des Présages Prosaïques.
« Vu qu’il n’est loisible te laisser par trop clair escrit «
Il semble bien qu’après quelques précautions, Nostradamus finisse par dévoiler le fonds de sa pensée :
« Je ne dis pas, mon fils, que par naturelle intelligence on ne puisse à la fin arriver au but de notions intellectuelles de choses lointaines & non ja advenues (…) mais que ma parfaite notice des causes obstruses ne se peut conquérir sans cette divine inspiration, vu que toute inspiration prophétique prend son principal & originaire mouvement de Dieu créateur & benin dispensateur »
Dans ce texte, Nostradamus ne cesse de tergiverser en disant une chose et son contraire, d’une phrase à l’autre, comme pour ne pas donner prise à aucun angle. Il réitère, in fine, qu’il faut suivre ses « revolues calculations qui sont accordantes à révélée inspiration ». Le plagiat commis à l’encontre de Savonarole ne fera que renforcer le pole prophétique de l’Epitre, dans sa version longue..
On ne trouve pas dans cette version courte le développement consacré aux différents âges planétaires de 354 ans chacun ni aux 177 ans qui sont la moitié d’un âge planétaire. Mais il n’est jamais fait mention d’une éclipse ou d’une conjonction planétaire.
La comparaison avec l’Epitre à Henri II est assez frappante et là encore on dispose de deux moutures grâce à Besson (cf document numérisé in Halbronn’s library, propheties.it) mais celle de Besson est assez insignifiante. En ce qui concerne la version longue, Nostradamus récuse le nom de prophète « je ne m’attribue nullement tel titre »/ Il n’’est plus question, notamment d’inspiration divine comme cela était repris si souvent dans la Préface à César. Il préfère parler de « naturel instinct ».
En revanche, Nostradamus aborde la question de l’Antéchrist mais il ne prétend plus être « inspiré ». L’astrologie doit désormais se suffire à elle-même. Elle n’est plus un simple support divinatoire, elle est une science à part entière et c’est dans cet esprit qu’il publiera année après année ses almanachs et pronostications, à partir des années 1550. Il ne doute certes pas que Dieu se trouve derrière toute cette mécanique céleste mais il pense plus- ou du moins n’affirme plus - qu’il soit en contact direct avec lui, si ce n’est par la prière pour sa miséricorde.
Selon nous, la Préface à César a valeur rétrospective, elle concerne les vingt années qui ont précédé 1555 et il s’agit pour Nostradamus non point tant de prédire l’avenir que de prouver que cela est possible au regard de ses prédictions par quatrains. A contrario, l’Epitre à Henri II traite du futur. On pourrait dire que la Préface à César est une sorte de Première Face du Janus François et l’Epitre à Henri II une manière de Seconde Face du Janus François, à base notamment d’éclipses. Balisage du passé et balisage du futur. L’heure du bilan n’a pas sonné pour ce second volet. On peut penser que les six premières centuries (et accessoirement la VIIe) correspondent comme il est indiqué à des quatrains déjà fort anciens, produits bien des années auparavant alors que les trois dernières sont pour l’avenir.
Le Janus Gallicus, comme on l’a dit ailleurs, ne fournit quasiment aucun développement sur la période antérieure à 1555 et par ailleurs certains quatrains centuriques sont utilisés pour après 1555.
On trouve un avis explicatif à ce sujet dans le Janus dont on pouvait penser qu’il concernait les quatrains des almanachs mais qui pourrait tout aussi bien concerner les premières centuries.
« Afin que tu ne sois trompé Lecteur, lisant ceste histoire, ie t’advertis que sont plusieurs quatrains (non tous)qui sur le front portent le nom & tiltre de telle & telle année, qui n’est pas celle à qui le présage doibt estre veritablement donné etc »
Mais rien ne dit que les sept premières centuries s’arrêtent à 1555 et donc leur présence pour les années suivantes n’a rien d’extraordinaire. Ce qui l’est davantage, c’est que les explications couvrant les années 1534-1554 ne figurent quasiment pas dans le Janus Gallicus. On ignore donc quels sont les quatrains qui ont fait l’objet d’une interprétation pour les dites années. On peut se demander quel fut le rôle de Dorat dans un tel volume disparu mais dont on essaie de nous faire croire, au titre du Janus qu’il y est inclus...
Rappelons que pour nous les sixains avaient vocation, au départ, à s’intercaler à la fin de la centurie VII. Dans l’Epitre à Henri II, il est indiqué que l’on parachève avec les trois nouvelles centuries une « miliade », ce qui signifierait qu l’epitre que nous connaissons fut rédigée à la suite de l’insertion des 58 sixains à la suite des 42 quatrains de la VIIe centurie.
Le caractère prédictif de l’épitre à Henri II est flagrant. Il met en place tout un scénario antéchristique. Un historien comme Roger Prévost ( Nostradamus. Le mythe et la réalité, Paris Laffont 1999) a tendance à situer les quatrains dans le passé du fait de sa formation. Mais il est plus que probable que nombre de quatrains visent des événements non encore accomplis et qui relévent des représentations scripturaires de la fin du monde. Il convient donc de relier les quatrains non seulement à l’Histoire événementielle mais aussi à toute une littérature prophétique. Prevost confond (p. 230) le Mirabilis Liber et le Livre Merveilleux. Par ailleurs, le référentiel astronomique ne saurait être négligé non seulement pour le passé mais aussi pour l’avenir. Enfin,il est clair que les quatrains doivent impérativement être reliés à la prose de Nostradamus, ce que Prevost ne fait jamais, l’empêchant de situer « macelin » (VIII, 76) en rapport avec un personnage censé, selon Nostradamus (Almanach pour 1562), apparaitre à la fin du seiziéme siècle et non comme référence à Frederic Barberousse (p. 219)
On notera la parenté entre le Discours sur l’advenement d’Henri de Navarre à la Couronne de France et les quatrains des dernières centuries qui visiblement traitent de ce qui s’est passé après 1589, on pense notamment à l’annonce réitérée de la victoire de Mendosus ( Vendôme) sur Norlaris (Lorraine). Néanmoins, certains quatrains issus de ce groupe sont commentés dans le Janus Gallicus. Logiquement, les années 1534-1589 auraient du être réservées aux six premières centuries. On peut penser que dans un premier temps, Chavigny ne devait pas disposer des quatrains centuriques non encore imprimés et qu’il aura voulu compenser ce manque en recyclant les présages en vers pour les années 1555-1567. Par la suite, ces quatrains centuriques seraient apparus et il leur aurait accordé une petite place au sein de l’ensemble.


JHB
12.11 12
 
 
157 - Nostradamus et la question du CHIREN
Par Jacques Halbronn

Dans le Janus Gallicus, on ne trouve quasiment rien sur la période 1534-1554 qui est pourtant censée être couverte par les commentaires et les centuries de Nostradamus. Une seule date importante est mise en avant, celle de 1547, qui est celle de la mort de François Ier et de l’avènement du dauphin Henri, né en 1519, qui avait cette position depuis 1536, du fait de la mort de son frère aîné. C’est le quatrain VI, 70 :
Au chef du monde le grand Chyren sera/
Plus oultre apres aymé craint redoubté/
Son bruit & loz les cieux surpassera/
Et du seul titre victeur fort contenté

On nous explique que Chyren est l’anagramme d’Henri.
« Henri II vient à la couronne de France le 31. de Mars 1547/ CHIREN mot contourné de HENRIC. Le latin place carrément HENRICUS dans le quatrain, ce qui évite d’avoir à expliquer qu’il s’agit d’un anagramme/ On ne donne pas la date du couronnement dans le texte latin mais l’on précise que le roi est alors âgé de 28 ans « ad duodetriginta annos »
Ce commentaire est remarquable en ce que c’est la seule fois où Chiren est associé à Henri II, alors que pour les autres quatrains, il l’est à Henri III ou Henri IV.
Mais quand ce quatrain a-t-il été écrit ? Cela ne pouvait être qu’avant son avènement si l’on relie ce quatrain à 1547. Il n’y a pas de mérite à annoncer quelque chose qui a déjà eu lieu. Cela ne peut pas non plus avoir été avant 1536 quand son frère François était alors le dauphin. On retrouve une période qui correspond assez bien à ce qui précède 1539, qui est, aux dires de la Première Face du Janus François, la date de départ de la validation des centuries.
Cette espérance mise sur le dos d’un jeune prince n’est pas inhabituelle au regard du prophétisme. On verra le même phénoméne se produire avec le futur Louis XIII comme pour le futur Louis XIV, au siècle suivant mais cela s’observera autour de François d’Alençon, le dernier fils d’Henri II, dès la fin des années 1560 et la mort de ce dernier en 1584 déclenchera une crise dynastique autour d’un autre Henri, roi de Navarre, un Bourbon. Ce prénom d’Henri sera porteur de bien des ambigüités, il est porté par Henri III mais aussi par Henri de Guise et Chiren peut servir dans chaque cas. Chavigny reprochera, en 1589, à Dorat de s’être trompé d’Henri dans ses interprétations des centuries..
Mais il nous semble évident que le Henri dont il s’agit dans les Centuries n’est autre que Henri II, ce prince auquel Nostradamus s’adressera en 1556 et surtout en 1558, si l’on en croit la date de cette dernière épitre. Mais par de là la question de l’authenticité de celle-ci, on en retiendra l’intitulé des deux épitres : « Au tres invincible & trespuissant Roy, Henry second de ce nom, Michel de Nostradame (sic) souhaite victoire & félicité » qui devient « A l’Invictissime tres puissant et tres chrestien Henry Roy de France second, Michel Nostradamus (…) victoire & félicité » On notera en passant que Nostradamus semble devoir être relié non pas à Nostredame mais à Nostradame..
Selon nous, Nostradamus a beaucoup cru dans le jeune Henri de Valois, marié à Catherine de Médicis, en 1536, l’année de la mort du frère d’Henri qui en fait, de façon inespérée, le nouveau dauphin, qui prend le titre de duc de Bretagne.
Reconnaissons que ce prince ne parvint pas aux sommets auxquels le destinait Nostradamus dès la fin des années Trente, notamment du fait de sa disparition soudaine en 1559, à l’âge de 40 ans mais déjà l’étoile du Roi avait singulièrement pâli et pâti, avec la signature peu glorieuse traité du Cateau Cambrésis avec Charles Quint, en cette même année 1559..
Pourquoi cet anagramme « Chiren » ? Probablement parce que justement Henri n’était pas encore sur le trône et qu’il aurait été quelque peu indélicat de louer le fils du vivant de son père François Ier, autour duquel certaines espérances avaient été déçues, à commencer par l’échec à l’élection impériale face à Charles Quint, en 1519 et la captivité espagnole à la suite du désastre de Pavie (1525). L’historien du prophétisme est familier du report des attentes sur le dauphin, même à l’âge le plus tendre. L’on retrouve cette attente dans le quatrain cryptogramme placé à la fin de la Xe centurie, en surplus et qui annonce 1660. Il s’agit bien évidemment du futur Louis XIV, né en 1638 et succédant à son père en 1643, à l’âge de cinq ans, ce qui permet de dater ce quatrain au plus tôt de 1644 et donc les éditions centuriques qui le comportent (Chiren ou Chyren).
II 79 IV 34 VI 70 VIII 54 VI 27 IX 41
On peut ainsi rassembler tout ce qui pèse sur le destin imaginaire d’Henri II :
II, 79 « Le grand Chiren ostera du longin. Tous les captifs par Seline banière
IV 34 Le grand mené captif d’estrange terre
D’or enchainé au Roy Chyren offert
VI 27 Par le croissant du grand Chyren Selin
Selin renvoie à l’Islam marqué par la Lune, le croissant (en grec Séléné)
Ajoutons ces deux quatrains du second volet :
VIII 54 Fait magnanime par grand Chyren selin, qui rime avec «macelin » nom sous lequel Nostradamus désigne l’Antéchrisr.
IX 41 Le grand Chyren soy saisir d’Avignon

Le destin d’Henri II semble devoir être lié à quelque croisade contre le Turc, tant son nom est associé à Selin.

Selon nous, si Chiren est par la suite repris dans d’autres acceptions, il va d’abord désigner le futur Henri II. Il y a cette analogie entre le prophétisme et le dynastisme, c’est que dans les deux cas, l’on est amené à reporter les attentes d’une génération à l’autre. Quand on étudie les textes prophétiques, il faut éviter de tomber dans le piège consistant à se reporter à des événements réels. Une grande part du discours prophétique est constituée d’espérances vaines et il est toujours loisible de les replacer dans un futur plus lointain mais dans ce cas, l’on risque l’anachronisme. L’échec prophétique doit absolument être intégré dans le propos de l’historien du texte prophétique et il lui revient de rechercher les traces de telles attentes, dans les coulisses de l’Histoire. Bien des textes prophétiques s’articulent autour de dates qui ne sont pas restées dans la mémoire collective, de « non événements ». C’est la rançon de toute approche prospective que d’en rester souvent au stade du balbutiement.

JHB
12. 11. 12
 
 
158 - Nostradamus et les prévisions cycliques
par Jacques Halbronn

Quelque part, Nostradamus incarne par le destin littéraire qui fut le sien un certain déclin de l’image de l’astrologie. La façon dont Nostradamus a été traité depuis quatre siècles et demi est scandaleuse, du point de vue d’un astrologue qui se respecte mais le pire, c’est que la plupart des astrologues ont une idée totalement fausse de l’œuvre de Nostradamus. C’est donc un cercle vicieux. Ces astrologues, en effet, n’ont pas la formation historique leur permettant d’aller au-delà du mythe. .
Le malaise astrologique dont nous parlons tient au fait que de plus en plus on ne s’intéresse pas tant au raisonnement des astrologues mais à leur pronostic brut du genre ‘il a prévu ou il n’a pas prévu ça’. C’est là un propos de béotien. Et cela nous conduit à parler d’une nostradamisation de l’astrologie, entendant par là, le fait de ne considérer l’astrologue que comme un oracle dont on se moque bien des méthodes, ce qui le réduit à l’état de voyant alors qu’en astrologie, seule la méthode importe, plus encore que les résultats qui peuvent se jouer souvent à pile ou face.
Il est vrai que les astrologues sont les premiers responsables de cet état de fait puisque leur astrologie est devenue une véritable usine à gaz et que l’on n’en retient que la conclusion « Cause toujours ! » Ile le reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes quand ils prétendent qu’il faut des années pour devenir astrologues car en disant cela, ils condamnent la consultation astrologique à n’être qu’un propos oraculaire enrobé dans un jargon opaque.
Réduire Nostradamus à ses centuries, c’est se moquer du monde. Mais comme on l’a dit, dans bien des cas, les astrologues ne peuvent que prendre le train en marche et n’ont pas les moyens de se démarquer d’un certain consensus. Ils ignorent donc le plus souvent le vrai visage de Nostradamus. Or, Nostradamus était fondamentalement un astrologue, passionné par l’astrologie mondiale et pas seulement par le travail alimentaire des almanachs annuels, avec des prévisions semaine après semaine, comme de jours certains rédigent les horoscopes des hebdomadaires..
Certes, on peut penser qu’en tant qu’astrologue, NOstradamus a échoué alors que ses quatrains auront connu une fortune inouïe. Mais on ne juge pas un astrologue comme un vulgaire devin. Ce qui compte avant tout c’est la méthode et quant à ses applications, elle peut donner des résultats variables et perfectibles. L’astrologie n’est pas une carabine à un coup. Elle est d’abord un outil dont on se sert plus ou moins heureusement. L’astrologue n’avance rien sans le situer dans une chronologie articulée sur un processus cyclique donc qui se reproduit périodiquement.
Pour notre part, nous avons découvert un autre Nostradamus que celui que nous a laissé la postérité et en tant que chercheur nous ne saurions nous contenter de ce type de mémoire du passé décalé par rapport aux réalités, se substituant à la vérité Réduite Nostradamus à des quatrains est donc une fumisterie. Mais c’est peut être au prix d’un tel subterfuge que Nostradamus a pu survivre. Quel dilemme !... On imagine tel astrologue interprétant le thème de Nostradamus pour le faire correspondre à des données bibliographiques en grande partie fausses. Cela résume en fait le cas fréquent dans lequel des astrologues biographes se mettent quand ils étudient tel ou tel personnage. Ils se contentent de faire correspondre le thème avec quelques lieux communs, la seule recherche sérieuse qu’ils aient menée se réduisant, en définitive, à trouver l’heure de naissance auprès de l’état civil. C’est d’ailleurs cette obtention d’une telle donnée qui légitime leur démarche comparative et analogique..
Que s’est-il passé avec Nostradamus ? Nostradamus a abusé du genre bien installé de l’almanach qui se présentait, en principe, comme une étude semaine après semaine, consistant à dresser le thème de la conjonction, du carré et de l’opposition Lune-Soleil, soit environ 52 cartes à interpréter par an ! Il s’est permis d’y glisser des développements à plus long terme, au-delà même du cadre annuel. Cela a conduit en 1560, à une réglementation, à un contrôle plus strict du contenu des almanachs. Et il est possible que cela ait été ce « plus » qui en ait fait le succès un peu sulfureux. Ce ne sont pas tant ses prédictions à court terme qui marquèrent les esprits mais ses « prophéties » sur plusieurs années. C’est d’ailleurs ce contenu qui sera traduit en italien et en allemand dans les années soixante, sous des titres évocateurs et provocateurs alors qu’en France, le titre des ouvrages n’indiquait rien de dramatique et se contentait d’annoncer les prédictions ordinaires pour l’an qui venait, ce qui ne correspondait pas vraiment à leur contenu, en dépit des apparences. Il y avait là une certaine duplicité rendue nécessaire probablement par une certaine politique décidée par les autorités, visant à ne pas affoler les populations. Cela avait été le cas du Mirabilis Liber, ouvrage reprenant des publications allemandes mais sans les gravures évocatrices alors qu’en Italie les dites graveurs n’avaient pas été censurées. .La France nous apparait donc tout au long du XVIe siècle, de François Ier à Henri III, voire bien au-delà, comme un espace qui ne permet l’expression des spéculations prophétiques du moins au niveau des titres qui sont soumis au privilège royal, et à celui des images (cf. notre catalogue d’exposition à la BNF, Merveilles sans images, Paris, BN, 1994). On aura compris que Nostradamus était d’une certaine façon plus connu, au moment de sa mort en 1566, hors des frontières du royaume, dans les territoires impériaux et pontificaux.
Restaient ses quatrains qui se prêtaient à des interprétations qui furent d’abord orales. Ces quatrains ne s’inscrivaient dans aucun cadre chronologique précis, ce qui les rendait assez insignifiants au premier abord. Ces quatrains extraits de sa prose n’en étaient qu’une expression désarticulée, même si des spécialistes peuvent y retrouver la trace de pronostics astrologiques liées aux conjonctions planétaires et aux éclipses.
C’est en Italie que la pensée astrologique de Nostradamus aura été le mieux observée. On peut trouver en italien (toscan) une demi-douzaine d’éditions successives des « commentaires » de Nostradamus sur les années 1560 relatifs aux données astronomiques. Le cas de l’almanach pour 1567 est emblématique- nous n’en connaissons pour notre part que la traduction italienne. On y trouve pas moins de 30 pages couvrant une période nullement circonscrite à la dite année.On aura compris que par nostradamisation de l’astrologie, nous entendons des textes déconnectés de leur substrat astronomique matriciel et qui référent une prédiction à son auteur sans se soucier de la façon dont il y est parvenu. Ce sont les utilisateurs qui se servent et qui font leur cuisine, sans prendre la peine de déterminer ce que l’auteur a voulu (pré)dire. Le centurisme est le triomphe de l’anarchie. Le public prévaut sur l’auteur et impose sa lecture par la rumeur, ce qui explique l’absence de commentaires dans les éditions centuriques jusqu’au milieu du xVIIe siècle, ceux –ci relevant d’une tradition orale dont d’ailleurs les commentaires écrits seront la réplique tardive.
Toujours est-il que personne ne se préoccupe sérieusement de ce que Nostradamus avait vraiment et clairement annoncé notamment à partir de 1560. En fait, Nostradamus s’inscrit dans un courant qui accorde la plus grande importance aux éclipses et d’ailleurs plusieurs des quatrains centuriques y font référence mais sans précision d’année. Or, pour Nostradamus, la datation est la clef de son travail. S’il parle de l’Antéchrist, comme dans l’épitre à Henri II qu’on lui attribue dans le canon centurique, cela ne peut se concevoir sans un substrat astronomique encore qu’il admette une « orbe » de deux voire trois ans à partir de l’éclipse considérée. Leovitius avait publié, outre Rhin, dans les années 1550 un Eclipsium pour une cinquantaine d’années dans lequel Nostradamus a du puiser. Il avait jeté son dévolu sur l’éclipse d’avril 1567 qui était la plus importante d’ici celle de 1605 et dans une épitre de 1561, il avait annoncé que naitrait au jour de l’éclipse un personnage assez terrifiant, qui ressemble singulièrement à l’Antéchrist. Mais comme on sait Nostradamus décéderait en 1566.
Ajoutons que l’activité astrologique de Nostradamus a certainement débuté bien avant les années 1550, comme ses biographes l’affirment ordinairement. La preuve en est que le grand commentaire de son œuvre, datant de 1594, débute sa rétrospective de l’an 1534. La Première Face du Janus François. Certains spécialistes s’étonnent du fait que certains quatrains semblent bien se référer à des événements antérieurs à 1555. Et en fait, dès 1555, Nostradamus semble avoir voulu dresser le bilan d’un travail engagé depuis déjà longtemps.
Le plus souvent, on ne connait de son œuvre en prose que deux épitres datées respectivement de 1555 (à son fils César) et de 1558 (à Henri II). Celles-ci sont d’une lecture rendue difficile par des ellipses, des allusions. Il y a certes des dates mais on ne nous dit pas à quoi elles correspondent astronomiquement. Ce qui est clair, c’est que ces dates ne visent pas la fin des années 1560, comme l’avait annoncé Nostradamus mais le début du siècle suivant. Les échéances auront été repoussées, faute d’accomplissement des prédictions, en temps et en heure. C’est bien là tout le problème : on garde le pronostic mais on change la date et on laisse croire que cette nouvelle date avait été avancée par l’auteur, en son temps. Une telle façon de procéder n’est d’ailleurs pas totalement inacceptable en astrologie, à condition de s’en expliquer et de montrer que la prévision reportée reste valable si la configuration est comparable et si l’on peut expliquer ce qui manquait pour que la précédente échéance n’ait pas donné ce qu’on en attendait. Ces épitres intégrées dans le canon centurique- alors que d’autres beaucoup plus explicites ne le sont pas -.prennent en compte la durée du monde, d’où la présence de chronologies commençant lors de la Création du monde. On aura compris que Nostradamus s’intéressait à la fin du monde et que la technique des almanachs ne l’inspirait que médiocrement
Cette image d’un Nostradamus prophète de la fin des temps a d’ailleurs été rappelée récemment par Stéphane Gerson.(en anglais) mais ne s’appuie que sur le canon centurique, elle reste donc à la merci des interprètes successifs au cours des siècles qui ne cessent de réactualiser le texte. Or, ce texte de référence n’est pas satisfaisant et ne resitue pas la pensée de l’auteur comme il se doit. On voit à quel point le flou a envahi l’œuvre et la pensée de Nostradamus. On ne le connait qu’au travers d’un miroir déformant et notamment au travers de quatrains dont, de toute façon, la paternité et l’authenticité fait débat.
Nostradamisation de l’astrologie, disions-nous, dans la mesure où c’est toute l’astrologie qui risque de se voir ainsi traitée. Les astrologues avancent des dates mais on ne s’intéresse pas à la façon dont ils s’y prennent. On saute les explications qui d’ailleurs sont alambiquées et embrouillées. On ne changera cet état de choses que lorsque l’astrologie se sera dotée d’un modèle chronologique transparent, quitte à ce que son discours se réduise à quelques termes abstraits mais bien dont la problématique aura été bien cernée.
Cela dit, il est vrai que du fait que l’astrologie est par essence cyclique, elle présuppose que ce qu’elle annonce soit récurrent et que le nombre de cas de figure soit limité. Le couple conjonction-éclipse, si prisé au XVIe siècle, tant chez Lichtenberger (mort en 1503) que chez Nostradamus (né en 1503), est en lui-même récurrent et vient compléter le système d’Albumasar (Xe siècle de notre ère). Ce qui lui correspond au niveau de la signification doit l’être également. Certes, la fin du monde n’est pas censée se reproduire et c’est bien là que le bât blesse quand on se sert de l’astrologie pour sous tendre le prophétisme biblique, car telle n’est pas la vocation de l’astrologie que de basculer dans l’eschatologie, elle peut tout au plus signaler que les conditions d’une fin des temps sont réunies pour telle année. D’où l’importance qu’il y a pour l’astrologue à étayer systématiquement son discours par des données cycliques et reproductibles...

JHB
17.11. 12
 
 
159 - Les convergences entre le Mirabilis Liber et le système prédictif nostradamique
Par Jacques Halbronn

En 1999, dans notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France. Formation et fortune (en ligne sur propheties.it, voir aussi SUDOC), nous avions consacré une partie au Mirabilis Liber et une autre à Nostradamus. Nous ouvrons à présent une série d’études consacrées aux liens existant entre ces deux corpus. La récente relecture de la traduction française du Mirabilis Liber nous a en effet prendre conscience d’une probable empreinte du premier corpus qui appartient à la fin du XVe siècle et au début du siècle suivant sur le texte nostradamique. Il est vrai que ces rapprochements ont été déjà mis en évidence par d’autres chercheurs[1] mais leur connaissance de la prose de Nostradamus était souvent assez limitée, notamment en ce qui concerne la version longue de l’almanach pour 1562, rédigée en 1561, année de la parution de la Première Partie du Recueil des Prophetis et revelations », Paris, Robert Le Mangnier/ Vincent Sertenas (les deux éditions sont à la Bibliothèque de l’Arsenal), qui n’est autre que la traduction française de la partie latine du Mirabilis Liber[2].. Ce texte ne nous est connu que par un manuscrit (imprimé au début du XXe siècle[3]) et par une traduction italienne partielle de l’époque. Par ailleurs, ce recueil est directement dérivé d’un ouvrage, la Pronosticatio – dont les gravures sont supprimées dans le Mirabilis Liber[4] - de la fin du XVe siècle de l’astrologue rhénan Johannes Lichtenberger, ce qui n’est pas toujours signalé et donc antérieur à la production de Heinrich Von Hutten au début du XVIe siècle avec lequel certaines similitudes ont été signalées, notamment par Patrice Guinard.[5].
L’étude qui suit n’ambitionne que de défricher le terrain mais elle sera suivie d’autres travaux car il est probable que le Mirabilis Liber soit une clef de la production nostradamique, qu’il s’agisse de Nostradamus lui-même ou de ses prolongements. Mais il est essentiel de reconstituer avec la plus grande précision possible tout ce qui sous tend, notamment astronomiquement, certains passage. On ne peut exclure notamment que certains passages du Mirabilis Liber relatifs à la naissance de vrais et de faux prophétes n’aient été interprétés par certains comme annonçant Nostradamus, né en 1503, donc lors d’une grande conjonction Jupiter-Saturne en cancer, en 1504. Nostradamus tout au long de sa vie ne put en tout cas ignorer un tel ouvrage et ce dès les années 1520. Il est essentiel de ne pas situer l’intérêt de Nostradamus pour l’astrologie et le prophétisme dans les années 1550. Nous avons montré, ailleurs, qu’il fallait remonter au moins au début des années 1530.
On rappellera que le corpus dont reléve le Mirabilis Liber est d’une grande richesse par la diversité de ses éditions dans toute l’Europe[6]. On en trouvera une bibliographie dans la « On line Bibliography of Saint Birgitta and the Birgittine order » par Stephan Borge Hamman & Ulla Sander Olsen (2003) et notamment dans une liste des œuvres improprement attribuées à Sainte Brigitte. On y trouve notamment une série sur les 12 Sibylles qui comporte en annexe de tels textes. Or, en 1586, Dorat, dont on connait les liens avec le texte nostradamique, publia, en latin, un ouvrage sur ce sujet. Sibyllarum duodecim oracula, Paris, J. Rabel, 1586
Rappelons qu’au XVIIe siècle, plusieurs éditions des Centuries paraissent conjointement avec le Recueil des Prophéties et Révélations tant anciennes que modernes contenant un sommaire des révélations de saincte Brigide, S. Cyrille & plusieurs autres Saincts & religieux personnages : nouvellement reveues & corrigées. Et de nouveau augmentées outre les precedentes impressions[7], daté de 1611, et à l’enseigne de Pierre Chevillot, Troyes, qui n’est autre qu’une version française du Mirabilis Liber, lui-même issu de la Pronosticatio de Johannes Lichtenberger[8], astrologue mort en 1503, année de la naissance de Nostradamus. Mais dès 1575, le même texte avait été édité par Nostradamus le Jeune. Cet ouvrage longtemps introuvable est désormais en ligne du fait de la dispersion de la collection Ruzo (site propheties.it). Nostradamus le Jeune accompagne cette réédition d’ »Augmentations »- jamais rééditées- ornées de son portrait officiel (qui sera repris par Pierre du Ruau, au xVIIE siècle, à Troyes pour ses éditions des Centuries) dont le thème central est l’avènement de l’Antéchrist, en rapport avec Arnauld de Villeneuve et le XIVe siècle. On notera que dans sa présentation, le dit Nostradamus Le Jeune (il serait en fait mort, peu avant, en 1574) se présente comme une sorte d’élu.
Le Mirabilis Liber comporte une proportion non négligeable de chapitres et de développements relatifs à l’Astrologie, notamment concernant les grandes conjonctions et les éclipses et sur la durée de leurs effets, combinatoire qui est au cœur des spéculations de Nostradamus sur l’Antéchrist (cf le « deuxiéme livre » du Mirabilis Liber) Les dates qui figurent dans les version successives ont fait l’objet de réajustements successifs et de fait, certaines dates recoupent celles figurant dans le texte nostradamique. Il est possible que Nostradamus le Jeune ait trouvé cet ouvrage dans la bibliothèque de son père, référence qui est récurrente dans ce qui parait associé à son nom.
Arrêtons- nous sur un chapitre traitant de la question de savoir « comment l’influence des corps célestes peut durer longtemps », point que nous avons abordé dans de précédentes « researches ». Le chapitre s’ouvre ainsi « Les effects des conjonctions des planettes & des eclipses ont accoustumé d’estre continuez & fortifiez par longtemps » On y mentionne la « grande conjonction (qui) fut faicte au signe du Scorpion dessus l’image d’Eridanus (…) qui durera iusques à l’an 1566 ou environ ». Rappelons l’importance que Nostradamus accorde à l’an 1567, du fait de l’éclipse d’avril, qu’il associe à la naissance d’un certain Marcellinus (Macelin). Mais une question se pose : ces interpolations ne sont-elles pas précisément dues à une influence d’almanach de Nostradamus pour 1562 ? Il faudrait pour cela vérifier le texte des éditions françaises antérieures aux années 1560.
On ajoute « Apres en viendra un (sic) autre mauvaise (conjonction) au signe de Aquarius dessous l’image d’Alpheras ». On notera la combinatoire planète-étoile fixe (Eridanus, Alpheras). Les mentions de signes zodiacaux, dans le Mirabilis Liber, nous font penser à un passage assez obscur de la Préface à César :
« Car encores que la planette de Mars paracheve son siecle & à la fin de son dernier période si le reprendra il mais assemblés les uns en Aquarius par plusieurs années, les autres en Cancer par plus longues & continues ». Les signes peuvent désigner des pays selon une certaine chorographie. Mais rappelons que la Préface à César emprunte, comme le nota au XIXe siècle Torné-Chavigny, au Compendium Revelationum qui figure dans le Mirabilis Liber. Or, cet ouvrage est constitué d’un dialogue et l’on trouve à plusieurs reprises la forme « mon fils » qui est récurrente dans la dite Préface..
Il y est question, au chapitre suivant, d’Albumazar (De magnis coniunctionibus), auteur fréquemment cité dans le texte nostradamique sur « l’élévation de Saturne dessus Iupiter », ce qui n’est pas sans nous faire penser à tel passage de Nostradamus qui en serait inspiré.
Autre chapitre sur « ‘la qualité, le lieu & le temps d’une constellation admirable : « Nous devons considérer une conjonction des planetes principales c’est à savoir de Saturne & de Iupiter laquelle fut faicte l’an 1484 le 25 novembre à six heures & quatre minutes après midy, lors que Cancer estoit dessus nostre horizon & horoscope »
Au chapitre suivant « De la duration de ceste constellation », on trouve en ligne de mire l’an 1567, qui est celui de l’éclipse à laquelle Nostradamus accordait tant d’importance. On trouve cette mention dans les éditions françaises parues en 1561, en 1575 – dont une de Benoist Rigaud (Bib. Arsenal)- mais dans l’édition de 1611, 1567 devient 1667. Or, dans le Mirabilis Liber, ce passage n’existe pas, c’est donc une interpolation. Ailleurs, on trouve 1566 mais cette fois même l’édition de 1611 ne corrige pas. Et là encore, pas de trace de cette année dans le Mirabilis Liber.
« Et pour ce que l’effect de ceste maligne conionction durera longtemps c’est à savoir depuis le temps nommé iusques à l’an 1567/ 1667 ». Cette mention de 1667 est à rapprocher du quatrain cryptogramme à la fin de la centurie X ; qui comporte la date de 1660. Par ailleurs, signalons la mention de l’an 1572 (année de la Saint Barthélémy) alors que dans le Mirabilis Liber, on avait 1576.
/ Plus loin, il est question d’une éclipse : »il advint en l’an mil quatre cens LXXV le XVI de Mars une horrible & cruelle éclipse de Soleil laquelle est survenue en la conionction dessus nommée & rendra l’effect d’icelle encore pire que paravant. Or, cette théorie qui considère qu’une grande conjonction associée à une éclipse majeure est une échéance terrible se retrouve chez Nostradamus.
Les dates ne manquent certainement pas, Un chapitre s’intitule : » La dissension de l’Eglise sera depuis l’an mil quatre cens nonante deux & seront de diverses rebellions iusques en l’an 1642. », Année qui se trouve être celle qui précède la mort de Louis XIII. On notera la possibilité d’un rapprochement entre 1492 et 1792 (Epitre à Henri II)
Un chapitre se réfère explicitement en son titre à une Eclipse « Par l’Eclipse dessus nommée », référence reprise au chapitre suivant « les indices de l’éclipse nommée seront cruels & horribles qui n’ont esté veuz de mémoire d’homme tellement que la signification d’icelle me donne crainte »
Dans les Augmentations de Nostradamus le Jeune, Lichtenberger est cité nommément, tant en latin qu’en français –l’ouvrage, censé paru à Venise, étant bilingue à propos de Saint Cyrille : « L’ »éclypse qui se fera l’an 1585 le XV. Jour de Mars décide qu’il se fera une destruction & opression du Clergé par la tyrannie du bras seculier »-Or, nous savons que dans l’Epitre à Henri II, l’année 1585 est en bonne place. On notera enfin que cette édition de 1575 parait à Venise, si l’on en croit la page de titre. Or, dans l’épitre à Henri II, Venise est mentionnée.
« Venise en apres en grande force & puissance levera ses aysles etc »
Les prochaines études viendront compléter et préciser ces problématiques. Le fait que l’on trouve dans les centuries des quatrains se référant à des événements antérieurs aux années 1530[9], comme le sac de Rome de 1527 par Charles Quint, tiendrait à l’utilisation du Mirabilis Liber, où l’on trouve un chapitre à ce sujet : « Un Empereur entrera dedans Rome à main armée & fera de grandes persecutions aux Prelats & aux Clercs ».
Une autre piste concerne le quatrain « Varennes) IX, 20 « Le moine noir en gris dedans Varennes ». On peut se demander s’il ne s’agit pas là d’un ajout à un quatrain géographique, à l’instar de IX, 86, qui a été retouché pour faire apparaitre le nom de Chartres, ville du couronnement d’Hentri IV, en 1594 ; on trouve, en effet, dans la version française du Mirabilis Liber un chapitre (XXXII), au Livre II, ainsi résumé « Il viendra un Moine gris etc » , sorte de faux prophéte, à partir du latin « Monachus quidam griseus » ( cap XXXII). Luther se reconnaissait dans le moine de la gravure correspondante et écrivit à ce sujet en 1527 dans une édition de la Pronosticatio de Lichtenberger reprise dans le Mirabilis liber.
Il est assez clair que la parution conjointe des deux ouvages au XVIIe siècle – sans parler d’une réédition au XIXe siècle- n’est pas insignifiante. Quelque part, le recueil des prophéties et révélations vient compléter la partie en prose défectueuse du canon centurique et apporter un éclairage approprié aux quatrains.


JHB
23.11. 12

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[1]Site Arche de Marie Mirabilis Liber, prophéties anciennes (déformées), compilation du 16ème siècle par Alchy, 19 Avr 2011 -
[2] Patrice Guinard. Corpus Nostradamus... 136- Contenu et postérité du Mirabilis liber, cet attrape-mouches des études nostradamiques
[3] Cf R. Benazra, RCN, pp.52 et seq.
[4] Cf notre catalogue d’exposition à la BNF, Astrologie et prophétie. Merveilles sans images, Paris, 1994
[5] CORPUS NOSTRADAMUS 47 -Pronostication pour l'an 1557
[6] Britnell, J. and Stubbs, D., “The Mirabilis liber, its Compilation and Influence” in the Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, Volume 49, 1986
[7] Cf Benazra, RCN, pp. 272-173
[8] Dietrich Kurze (1960) Johannes Lichtenberger (+1503) : eine Studie zur Geschichte der Prophetie und Astrologie
[9] Cf R. Prevost, Nostradamus, le mythe et la réalité. Paris, Laffont, 1999
 
160 - Nostradamus et la piste Lichtenberger.
Par Jacques Halbronn

Il importe de désenclaver le champ nostradamique en l’intégrant dans un ensemble plus vaste, tant dans l’espace que dans le temps et ne pas s’enfermer dans un corpus Nostradamus étroit, ce qui peut générer des erreurs de perspective et d’appréciation mais il convient aussi d’éviter des rapprochements fondés sur des similitudes aléatoires, notamment en ce qui concerne l’importance accordée à l’an 1567 tant dans le corpus lichtenbergerien que dans le corpus nostradamique..
Nous avions développé une approche très extensive dans notre thèse d’Etat, soutenue en 1999,- ce qu’exprimait le titre même « Le Texte prophétique en France », mais en œuvre dès le début des années 90, dans la foulée de la publication par nos soins du Répertoire Chronologique Nostradamique de Robert Benazra, préfacé par Jean Céard, notre directeur de thèse. Mais, il va de soi que cela ne dispense en aucune façon d’avoir une approche aussi exhaustive que possible de la production proprement nostradamique, faute de quoi les passerelles entre les différents corpus prophétiques ne pourront être signalées. Or, dans Le Texte prophétique en France, formation et fortune, notre connaissance de la prose de Nostradamus était insuffisante pour que certains liens puissent être mis en évidence. Notamment, nous n’avions pas pris la mesure de la place qu’y occupait la question des éclipses en liaison avec les grandes conjonctions, et ce, en dépit du fait, que nous avions consacré dès 1991 une étude à l’Epître à Pie IV de 1561.(in revue Réforme Humanisme Renaissance), ce qui nous aurait permis de mieux saisir les liens existant des Centuries avec le Mirabilis Liber, ouvrage auquel nous avions consacré une place importante au sein de la dite thèse et qui comporte des annexes ne figurant pas dans la Pronosticatio, comme le Compendium Revelationum de Savonarole, que l’on retrouve en partie dans la Préface à César. En 2007, quand nous avons soutenu notre thèse de post doctorat, centrée autour de Nostradamus, nous n’avions toujours pas pleinement appréhendé cette dimension et même en 2011, dans notre dossier paru dans la Revue Française d’Histoire du Livre, qui constituait une sorte de troisième volet.
Pourtant Denis Crouzet, dans les Guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion (c 1525-1610) avait, dès 1990 ( Ed Champ Vallon, Reed 2005), avait suggéré un lien entre l’importance que Nostradamus accorde à l’an 1567 et la mention de cette même année chez Lichtenberger, alias Johannes Gruembach[1]. De fait Bernard Capp, qu’il signale, avait associé (p. 165) le nom de l’astrologue rhénan à l’année 1567 sur la base d’un recueil de divers auteurs, datant de 1549 : Propheceien und Weissagungen …Doctoris Paracelsi, Johan Lichtenbergers.
Cette coïncidence va nous obliger à investiguer en profondeur la chronologie de la production liée à Lichtenberger de façon à comprendre les raisons d’un tel rapprochement, alimenté par la parution au XVIIe siècle, dans des recueils troyens factices des Prophéties de Nostradamus et du Recueil des Prophéties et Révélations, constituant après coup une sorte de diptyque, à partir des années 1630..
En effet, la présence de telle ou telle date dans un texte prophétique n’a souvent aucun rapport avec l’auteur du dit texte mais n’est souvent qu’une interpolation voire dans ce cas une coquille (cf. infra). Il est toujours périlleux de relier un passage d’un texte prophétique à un auteur précis, notamment en matière de dates, lesquelles sont vouées, comme on va le voir, à changer. Il importe notamment de se demander sur quelles bases ces dates sont avancées pour déterminer si l’on peut les lier entre elles. La question des dates qui peut sembler cruciale dans ce domaine apparait en fin de compte quasiment comme subsidiaire, les dates étant d’une certaine façon indéfiniment interchangeables, c’est ce qui a d’ailleurs probablement fait la fortune des Centuries, dont les quatrains, à de rares exceptions près, ne sont pas datés ni datables. Il nous semble d’ailleurs que le propre de toute cyclicité renvoie à une sorte d’éternel retour, ce qui permet de recycler les textes sur de nouvelles bases. Il est clair notamment qu’il faille remonter jusque dans les années 1480 pour inclure Lichtenberger dans ses premières éditions et pas seulement dans celles des années 1520 – il meurt en 1503 ! - tout comme il importe de ne pas s’arrêter avant la mort de Louis XIII (1643) et non pas celle d’Henri IV (1610), soit en gros des Guerres d’Italie à la Fronde, du fait des éditions tant antidatées que postdatées. D’ailleurs, Johann de Lichtenberg – dont le nom n’apparait pas au départ au titre de la Pronosticatio – il se sert notamment d’un pseudonyme féminin biblique, Ruth, la glaneuse- emprunte lui-même- comme le signala le premier Aby Warburg[2] puis Kurze- aux Prognostica ad viginti annos duratura de Paul de Middelburg. (Cologne, 1484)[3]. En fait c’est Middelburg lui-même qui, en 1492, dénonça le plagiat dans ses Invectiva in superstitiosum quendam astrologum, Lubeck.
On notera que l’article de 1986 de Britnell et Stubbs (Journal of the Warburg and Courtauld Institute) ne signale, à aucun moment un lien entre la Pronosticatio de Lichtenberger et le Mirabilis Liber alors qu’en 1960[4], D. Kurze (que nous avions rencontré, à Berlin, dans les années 1980), dans son étude sur Lichtenberger donnait quelques pistes dans ce sens, ce qui montre que l’étude du texte prophétique doit être extensive et ne pas se restreindre par avance à un auteur ou à un texte spécifique, surtout quand il s’agit de compilation ; Les mérites de l’éditeur du Mirabilis Liber s’en trouvent évidemment singulièrement amoindris..
Au départ, en effet, la Pronosticatio de Lichtenberger, parue en latin en 1488 puis en allemand en 1490, tourne autour des années 1480 et notamment de la grande conjonction Jupiter-Saturne de 1484 en scorpion, de la triplicité d’Eau, qui correspond d’ailleurs à une vignette spécifique puisque, à la différence des éditions françaises censurées, celle-ci est truffée de vignettes suggestives. L’année 1488 est également pointée, car Saturne arrive alors en Capricorne, puis en Verseau, à la suite, ses deux « domiciles ». Par la suite, la « scène » prophétique sera transférée dans les décennies suivantes pour que dans les années 1520, on en arrive à mettre en avant- on verra plus loin dans quelles circonstances - l’an 1567 au titre même de certaines éditions de la Prognosticatio.
Prognosticatio Iohannis Liechtenberger quam olim scripsit super magna illa Saturni ac Iovis coniunctione qua fuit Anno MCCCCLXXXIIII praeterea ad eclipsim Solis anni sequentis videlicet LXXXV durans in annum usque MDLXVII etc Ed. Cologne 1526 (BNF, Réserve)
Ce titre est à comparer à celui des premières éditions :
« Prognosticatio Joannis Lichtenberger (…) super magna illa Saturni ac Iovis coniunctione quae fuit anno 1484 praeterea ad Eclypsim solis, anni sequentis, videlicet $ (BNF Res M. 3605) et
Pronosticatio Latina anno .LXXXVIII. ad magnam coniunctionem Saturni & Jovis quam fuit anno . LXXXIIII ac eclipsim Solis anni sequentis LXXXV (…) durabit pluribus annis etc» (BNF Réserve).

A noter la forme abrégée avec seulement les dizaines et les unités mais qu’il faut lire précédée de MD. Dans la Pronosticatio, il est clairement indiqué le lien entre la grande conjonction et l’éclipse qui la suite. C’est bien un tel principe qu’appliquera Nostradamus en 1561 et qu’il appliquera cette fois pour les années 1560 et non plus pour les années 1480, à 80 ans de distance..
L’on est désormais averti de l’importance de cette échéance liée à l’éclipse d’avril 1567 pour Nostradamus, et ce notamment dans ses épitres de 1561, autour de l’almanach pour 1562, dédié au pape Pie IV. Mais l’on retrouve aussi la mention de cette année à deux reprises au début du Mirabilis Liber donc dès les années 1520. Etrangement, elle ne figure pas au début de la Première Partie du Recueil des Prophéties et Révélations (privilège de janvier 1560) paru à Paris chez V. Sertenas ainsi que chez R. Le Mangnier en 1561 –étrangement attribué par le catalogue de la BNF à François Gruget et non à Lichtenberger- qui n’est autre que la traduction française de la partie latine du Mirabilis Liber, la seconde partie(en français et sans rapport direct avec la Pronosticatio de Lichtenberger) étant annoncée comme à paraitre au cas où la première partie se serait bien vendue. Seules les premières pages de la seconde partie font suite pour donner quelque avant goût mais cette seconde partie, pourtant en français, ne reparaitra pas avant l’édition partielle d’Edouard Bricon, en 1830, avec une traduction complète du latin et à nouveaux frais.. Dans le premier cas, on trouve 1572 et non 1567 – nous verrons plus loin quelles conclusions en tirer- et dans le deuxiéme, le passage n’est pas reproduit. En revanche, on trouve 1567 dans une interpolation dans le cours de l’ouvrage, alors qu’à ce même endroit cela ne se trouve pas dans le Mirabilis Liber.
Dans l’édition de 1611, le passage de l’édition de 1561 sur 1567 est changé en 1667. A ce propos, on dispose d’éditions séparées, chez P. Chevillot et P. Du Ruau (Bib. Arsenal) n’accompagnant pas les Centuries, comme dans le cas des éditions généralement signalées dans les bibliographies nostradamiques, cette association des deux ouvrages, montrant les convergences perçues ou voulues entre eux. On a trop souvent conclu que dans les diptyques ainsi constitués la date de 1611 valait aussi pour les Centuries alors que celles-ci sont plus tardives. On note que l’écusson du Recueil, en page de titre, est sensiblement plus petit que celui des Prophéties, sauf dans l’édition de 1866 qui place la même taille d’écusson dans les deux cas. C’est bien là le signe de compositions qui n’ont pas eu lieu en même temps.
A propos de Louis XIII, nous disposons d’une édition de la traduction de la première partie du Mirabilis Liber datée de 1633 (Bib. Arsenal) et dont le titre est consacré à Louis XIII, âgé de plus de trente ans, dont le fils n’est pas alors encore né (1638).Or, dans cette édition datée de 1633 et portant le portrait du roi, figure déjà la mention de 1642.
Recueil des prédictions et révélations tant anciennes que modernes esquelles nous en voyons à présent les effects, tant de la venue du Roy de Suède en Allemagne que ce qui doit arriver du regne du tres Chrestien Louys XIII. Roy de France & de Navarre (Bib. Arsenal 8 S 14364).
L’on peut penser que contrairement à ce que l’on pouvait supposer, l’an 1642 ait été annoncé sans rapport avec la mort de Louis XIII. En revanche, l’on ne trouve pas encore la mention de 1667 alors que celle-ci figure dans les éditions datées de 1611. On peut donc raisonnablement situer les éditions 1611 postérieurement à 1633 et probablement après la mort de Louis XIII en 1643. (Richelieu étant mort l’année précédente, 1642), c’est à cette date qu’apparait, selon nous, le quatrain supplémentaire de la centurie X, constitué d’un cryptogramme pointant l’an 1660. Le prophétisme aime les prétendants jeunes et l’on n’allait pas annoncer le triomphe d’un souverain sexagénaire mais bien plus tôt de Louis XIV, qui serait âgé en 1660 de 22 ans et en 1667 de 29 ans. La publication en 1633 de ce texte consacré à Louis XIII correspond, en revanche, à cette exigence de jeunesse.
Revenons sur le procédé d’interpolation, il est vrai, fort maladroit.
« De la duration de ceste constellation » ( « constellation » à prendre dans le sens de configuration, associant notamment planétes et éclipse)
« Et pour ce que l’effect de ceste maligne conjonction durera long temps depuis le temps nommé iusques à l’an mil cinq cens LXVII. » Et après on repasse au texte d’origine, avec 1485 avec une éclipse de soleil et c’est d’ailleurs pour cela que l’interpolation a été faite à cet endroit : «une horrible & cruelle eclipse de soleil, laquelle est survenue à la conjonction dessus nommée et rendra l’effect d’icelle encore pire que paravant ».
On voit donc étrangement au début des années 1560, l’an 1567 figurer, en France (mais aussi en Allemagne cf supra) tant dans l’almanach pour 1562 de Nostradamus que dans la « Première Partie du Recueil ». Qui influence qui ? Nous pensons que les publications allemandes et françaises ne sont pas liées, sinon par leur objet, l’éclipse d’avril 1567, signalée dans l’Eclipsium de Leovitius depuis déjà les années 1550 comme une éclipse majeure. Si effectivement le Mirabilis Liber dérive de la Pronosticatio allemande, paraissant tant en latin qu’en allemand- il n’en suit pas pour autant les ajustements successifs. Il serait d’ailleurs utile de déterminer quelle est l’édition de la Pronosticatio qui servit pour le Mirabilis Liber. Une édition se référant à 1567 vraisemblablement, puisque l’an 1567 figure bien au titre de plusieurs éditions allemandes, y compris dans une édition se présentant certes, en son titre, comme imprimée à Mayence en 1492 mais indiquant in fine qu’elle date de 1526 (Arsenal S 252 (2).
Dise Practica unnd Prenostication ist gedruckt worden zu Mentz im M.CCCC. XCII. Jar and werdt bisz man zelt M.D. LXVII. Jar. On note que tout en bas de la page de titre figure “Johannes Lichtenberger”.
Rappelons cette autre édition (cf supra), en latin:.
Prognosticatio Iohannis Liechtenberger quam olim scripsit super magna illa Saturni ac Iovis coniunctione qua fuit Anno MCCCCLXXXIIII praeterea ad eclipsim Solis anni sequentis videlicet LXXXV durans in annum usque MDLXVII etc Ed. Cologne 1526 (BNF, Réserve)
On notera que dans un cas le nom de Lichtenberger ne figure pas et dans la plus tardive, il s’y trouve (cf infra)
On nous parle de l’éclipse de 1485 accompagnant la grande conjonction de 1484 mais on ne nous dit rien de l’éclipse de 1567 qui sous tend la dite échéance pour cette année là.
Il reste que dans l’édition de 1561 et celle de 1611, on trouve la mention de 1566.
« Dessus ceste presente conjonction qui durera iusques à l’an 1566 ou environ l’Eglise Romaine & toutes gens d’Eglise auront à souffrir des persecutions sans nombre »
Or, cette mention ne figure pas dans le Mirabilis Liber et encore moins dans la Pronosticatio. Il s’agit d’un passage assez obscur couvrant une période allant jusqu’à la fin des temps. Le choix de cet endroit pour interpoler 1566 –est laborieux on s’y reprend à deux fois : «une nouvelle secte laquelle print fondement [de l’an]Vuiclef (..). Dessus ceste présente conjonction [qui durera iusques à l’an 1566 ou environ] »
Tout se passe comme si les corrections et les ajustements n’avaient pas été réalisés de manière systématique et que diverses couches chronologiques se juxtaposaient ou se superposaient, comme on a pu le signaler au sein même de l’épitre à Henri II où 1606 est relié à 1585.. En fait, il suffisait pour le public que telle date figurât quelque part, au sein d’un ensemble aussi touffu fût –il par ailleurs- pour que cela produisît son effet. Ce sera encore le cas sous la Révolution Française pour le Mirabilis Liber.[5]
Abordons, à ce propos, les glissements de dates autour des éditions de 1522 (Mirabilis Liber), 1561, 1575 (l’édition de Nostradamus Le Jeune, Venise) et 1611, comme on les trouve en tête de l’ouvrage. Ces trois pièces sont en ligne sur le site propheties.it.
« Et commença l’an mil (….) Et durera iusques à l’an mil (…) :
Pour 1522, la fourchette est 1484-1567
Pour 1561, la fourchette est 1484-1572
Pour 1575 : 1484 – 1585
Et pour 1611 : 1584- 1682
Dans les deux premiers cas, on garde le point de départ d’origine, à savoir 1484, qui correspond aux premières éditions de la Pronosticatio de Lichtenberger. Mais en 1575, la date de 1572 étant passée (celle de la Saint Barthélémy), on repousse l’échéance à 1585, date que l’on retrouve dans l’Epitre à Henri II en tête du second volet des Centuries.
Dans le troisième cas, 1484 devient 1584. Il y a décrochage par rapport au XVe siècle et la nouvelle ligne de mire est 1682.
Signalons que dans l’édition de 1535, en français, si le titre indique 1567, c’est 1572 (et non 1576) qui est avancé à l’intérieur en tête de la présentation.
Lichtenberger signale que c’est en 1325 que la conjonction Jupiter-Saturne changea d’élément pour entrer en Scorpion. Elle quitte la série des signes d’air qui durait depuis 200//240 ans (Gémeaux en 1325, Verseau en 1345) et passe dans la triplicité d’eau. Et c’est encore en Scorpion qu’elle se produisit en 1425 puis en novembre 1484, soit tous les soixante ans. Par la suite, on notera que Martin Luther naquit en cette même année. Elle passera en signe de feu à la fin du XVIe siècle. En 1564, elle est encore en signe d’eau, en cancer et 20 ans plus tard cheval sur un signe d’eau (poissons) et un signe de feu (bélier) pour arriver en Sagittaire en 1603, autre signe de feu, dont un quatrain centurique se fera l’écho..(I, 16)
Il est probable que les Centuries aient été marquées par la Première Partie du Recueil et pas uniquement par le Mirabilis Liber. C’est ainsi que l’avertissement latin (« Legis Cautio/Cantio contra ineptos criticos ») qui conclut la centurie VI – et probablement un ensemble de six centuries qui n’a pas été retrouvé- fait écho aux mises en garde placées en tête du Recueil de 1560 : « Contre les devineurs & prognostiqueurs² » et s’appuyant sur Deutéronome XVIII. En effet, l’édition de 1561 de la « Première Partie » comporte toutes sortes de mises en garde, liée aux dernières mesures prises lors des Etats Généraux, tenus à Orléans, en 1560 : « les Prognostications avoient esté défendues , en tant mesmement qu’aucuns resveurs passant les termes d’Astrologie, se mesloient de prognostiquer des choses advenir contre l’expres commandement de Dieu ». L’ »Epitre du typographe au lecteur » constitue une apologie à propos d’une telle publication : « Je ne fay doute (…) que plusieurs médisans en leur manière accoustumée ne trouvent quelque chose à redire en ce petit livre, encores qu’il y ait passée quarante ans que premièrement il a esté mis en lumière, tant en langage vulgaire qu’en latin » (cela correspond à la parution du Mirabilis Liber, au début des années 1520 , lequel parut d’abord avec une épitre au Roi de France, qui fut tronquée puis supprimée). Les deux épitres Brevis auctoris prefatio suivie de Ejusdem ad Serenissimum Gallorum regem n’en feront plus qu’une. Mais qui est cet « auteur » du Mirabilis Liber qui s’adresse ainsi au roi ?
On trouve même tout au début un « sonnet »
« Ne cherche point (Lecteur) ces fols ambicieux
Qui des astres ayant un peu de cognoissance
Veulent ravir à Dieu sa divine puissance
Predisans l’advenir au peuple soucieux
Sont abuseurs de peuple et gens pernicieux etc »

On trouve une référence à 1530 dans la Première Partie du Recueil, rajoutée au texte du Mirabilis Liber.. C’est le lieu de rappeler que la traduction française ne date nullement de 1561 mais que des éditions sont connues pour les décennies antérieures. : « Et apres viendront de grands maux vers l’an 1530, si le peuple ne delaisse iniquité & ayme iustice » . Cette date ne sera ni supprimée ni corrigée par la suite, probablement par mégarde..

Récapitulons : l’an 1567 est présentée dans le Mirabilis Liber comme un terminus majeur sans qu’il en soit donné une explication. Cette mention de 1567 est sensiblement moins nette dans la Première Partie du Recueil des Prophéties et révélations (Paris 1561) et dans les éditions qui suivirent (1575, 1611) alors même que Nostradamus met cette année 1567 en exergue. Même l’édition de Nostra Damus le Jeune ne met pas 1567 en avant et se contente d’actualiser l’échéance de 1572 en 1585. Si Nostradamus est un lecteur du Mirabilis Liber, il aura pris connaisance d’entré de jeu de cette échéance figurant dans le Mirabilis Liber, laquelle est également signalée comme terme dans certaines éditions de la Pronosticatio.
Mais subsistent certaines questions : on ignore sur quelle base l’année 1567 est signalée tant par le Mirabilis Liber que par certaines éditions probablement des années 1520 de la Pronosticatio. Vu qu’une autre échéance mise en avant est 1576, ne s’agirait-il pas d’une permutation aléatoire en 1567 reprise par le Mirabilis Liber ? Cette date figure déjà au titre de la première édition française (1515) de la Pronosticatio de Lichtenberger, en latin puis rendue en français en tant que Prophétie Merveilleuse, formule figurant au début de la Première Partie du Recueil ? En effet, on connait (cf infra) des éditions antérieures à 1561 sous ce titre. (cf Bibl des Beaux Arts, Paris)
Si l’on admet que le Mirabilis Liber est paru en 1522, cela impliquerait qu’une édition de la Pronosticatio comportant cette mention avait du paraitre précédemment. Cette mention de 1567 ne figure pas dans les éditions de 1488 ni de 1499 mais probablement dans l’édition de 1492, conservée à la Bayerische Bibliothek de Munich (en ligne) en tout cas aussi des années 1490.(cf infra) et rééditée en 1526.
Cela nous incite à établir une chronologie raisonnée des éditions de la Pronosticatio de Lichtenberger sur le modèle de notre travail sur les Centuries et sur le Splendor Solis ( voir in Revue Française d’Histoire du Livre), et dont toutes les éditions n’ont peut être pas été conservées. Par ailleurs, la date exacte de parution du Mirabilis Liber fait probléme car elle est peu ou prou contemporaine de la captivité de François Ier à la suite du désastre de Pavie, au début de l’an 1525 (1524 dans l’ancien style), ce qui conduira à une sorte de régence de la mère du roi[6]. Or, ce recueil reparaitra en 1561 et en 1611, voire en 1644, lors de régences dues à la disparition soudaine du souverain.(Henri II, Henri IV, Louis XIII). En 1611, à Paris, chez Pierre Chevallier, un Recueil Chrestien[7], dédié à Marie de Médicis, la Régente, reprendra le texte français de la Première Partie du Recueil, concernant Sainte Brigide. : « Belle Prophétie de Sainte Brigitte Royne d’Escosse ».(à partir d’un recueil de Claude Du Pré, 1608)
Déjà en 1515, lors de la mort de Louis XII, alors que l’on s’interroge sur la possibilité d’une régence de Marie d’Angleterre (Tudor), sœur d’Henri VIII, épouse de Louis XII, réputée, un temps, enceinte d’un fils, parait une première édition à Lyon de la Pronosticatio de Lichtenberger.(cf infra), donc avant le Mirabilis Liber. Finalement, c’est François Ier du nom qui succèdera en cette année qui fut celle de la bataille de Marignan.
On connait deux versions du Mirabilis Liber, l’une adressée au roi (Arsenal 8° T 6702), probablement avant Pavie et l’autre où le texte de l’épitre est .sensiblement remanié, sans plus mentionner le roi de France (Arsenal 8° T 6700), et qui pourrait correspondre à la période de captivité en Espagne.. Le Mirabilis Liber atteste, nous semble-t-il, de l’existence d’une édition de la Pronosticatio de Lichtenberger avec la mention 1567 avant 1525, donc avant l’édition de Cologne de 1526. Sinon, il conviendrait de se demander si la parution du Mirabilis Liber ne doit pas être placée après Pavie même si l’on connait des éditions datées de 1522 du dit Mirabilis Liber. Quant à l’édition 1492 se référant à 1567, c’est très certainement une contrefaçon antidatée, qui annonce des pratiques bien connues dans le domaine du texte ésotérique.
Le texte de la Pronosticatio au niveau de sa chronologie finale sera interpolé assez gauchement dans les éditions allemandes des années 1520-1530 (ce qui sera repris dans les éditions françaises) ; on passe ainsi d’un exposé sur les ans 1492-1493 aux années 1494-1495 avec un passage relatif aux années 1520, suivi ensuite à nouveau d’une étude des années 1490. « Et ces maux reviendront derechef l’an 1521 & 1523 ».. Mais cette interpolation est absente du Mirabilis Liber qui aurait donc utilisé une version plus ancienne de la Pronosticatio, probablement l’édition lyonnaise de 1515. Ce qui nous conduit à penser que la traduction française n’émane pas du Mirabilis Liber mais directement d’une édition des années 1520 de la Pronosticatio, ce qui expliquerait l’absence de la mention 1567 qui figurait nettement dans le Mirabilis Liber et qui aurait du exister s’il y avait eu usage du dit Mirabilis Liber. Le seul élément qui plaide en faveur d’un usage du Mirabilis Liber est l’usage du Compendium de Savonarole mais ce texte était accessible en dehors de ce recueil et d’autre part, il concerne le cas spécifique de la Préface (augmentée) à César. Toutefois, force est de constater que le nom même de « Première Partie du Recueil etc » ne fait sens que par rapport au plan du Mirabilis Liber et que la dite partie se termine par le début de la « seconde partie de ce livre» : « Un Roy sera en Gaule nommé K etc », ce qui peut évoquer Charles IX, qui succède à son frère François II, en 1561.
Il nous semble que l’on peut supposer que la traduction française s’est faite dès les années 1520 à partir de la Pronosticatio puis aura été rapprochée du Mirabilis Liber, ce recueil pouvant d’ailleurs avoir été composé – ce qui est le propre des recueils - après que soit parue une édition française, en latin, de la Pronosticatio, dès 1515, à Lyon.[8]
En ce qui concerne la mention de l’année 1567, elle figure sur plusieurs pièces, la plus ancienne étant la Pronosticatio quedam mirabilis (…) ab anno MCCCCLXXXIIII duratura ad annum MCCCCCLXVII/ (ref B8)/ En 1530 parait à Paris, la Prognosticatio Ioannis Liechtenberger (B12) qui a pour terme également 1567, comme c’est le cas dans le Mirabilis Liber mais non en son titre. Nous avons aussi reproduit la page de titre (B14) de la Prophétie Merveilleuse de madame Saincte Brigide, datant de 1535, qui comporte, en son titre, les dates suivantes : « depuis l’an mil CCCC LXXXIIII iusques à ceste presente année mil CCCXXXV (…) & durera la dicte prophetie iusques à l’an mil CCCCCLXVII, translatée nouvellement de latin en françoys/ », mais la première traduction française en date serait de 1527 soit 24 ans avant l’édition de la Première Partie du Recueil. A l’évidence cette édition de 1535, également présentée sous le nom de « Revelation pronosticale de saincte Brigide » est dérivée de l’édition parue vingt ans plus tôt et dont il aurait existé une première traduction dès 1527..
Ce qui est remarquable, c’est la présence de cette année 1567 qui ne figure, avant les années 1520, chez Lichtenberger que dans l’édition de Mayence de 1592 (BNF) et dans des éditions italiennes de l’époque[9] – du moins si l’on suppose que la reproduction est correcte- et dans ses dérivés à partir de 1527. Cela est confirmé par l’édition parisienne de 1530 qui se réfère à Lichtenberger, ce qui n’est le cas d’aucune autre édition française de l’époque.
En fait, l’année mise en avant comme terme aux prédictions de Lichtenberger n’est pas 1567 mais 1576. Il y a eu permutation de chiffres dans le titre mais pas dans le texte. Lichtenberger parvient jusqu’en 1576 laborieusement et sans d’ailleurs s’en expliquer astrologiquement. Dans un chapitre constitue d’une véritable chronologie prophétique, allant de la fin du XVe siècle aux années 1570, il procède par petites touches successives, dont le total aboutit à cette année 1576 (qui devient 1572 dans la Première Partie du Recueil (1561).
Force est de constater que les différents corpus concernés ne sont généralement pas reliés entre eux par les historiens des textes. C’est ainsi que dans leur bibliographie de la littérature « brigidienne », « On line Bibliography of Saint Birgitta and the Birgittine order », Stephan Borge Hamman et Ulla Sander Olsen (2003) ne suivent à aucun moment la piste de la Pronosticatio de Lichtenberger, dans la partie consacrée aux fausses attributions. En revanche, ils signalent une série dont les titres sont plus tardifs puisque datant au plus tôt de 1515, et qui renvoient non pas à 1567 mais à 1581, sous le titre de Auszug etlicher Practica und Propheceyen (Extrait (c'est-à-dire Recueil) de plusieurs pronostications et prophéties). Selon la recension de Kurze (J. Lichtenberger, op. cit. pp. 81 et seq) selon nous des éditions tardives de la Pronosticatio avec l’annonce, en leur titre, de 1’an 1567 qui serviront à produire tant l »édition lyonnaise latine de 1515 qui sera traduite en français dans les années 1520 que l’Auszug allemand lequel adoptera, en son titre, la date terminale pour 1581. A l’origine du Mirabilis Liber, l’on pense à l’édition conservée à Munich de la Pronosticatio de 1492, à Mayence, chez Jakob Meydenbach, Eyn Pronosticatio zu theutsch im jar LXXXVIII gemacht…. Und wirt weren byss man schreibt MCCCCCLXVII jar. Cette édition fautive qui mentionne en son titre 1567 (au lieu de 1576) sera reproduite en 1526 sous le titre de Dise Practica unnd Prenostication ist gedruckt worden zu Mentz im MCCCCXCII Jar.. Il nous semble très improbable que le texte allemand ait été rendu en latin par le compilateur français du Mirabilis Liber. On notera toutefois qu’il existe une édition en italien de 1492 de la Pronosticatio (cf BNF) alors que nous n’avons pas eu accès à l’édition allemande de 1492 si ce n’est par une reproduction. A ce propos, le procédé de 1526 ne peut qualifier une contrefaçon antidatée puisque la date de 1526 y est dument indiquée.
Il est plus vraisemblable que le ML ait repris la traduction latine lyonnaise de 1515 dont il reproduit le titre et dont il reprend en son début la référence à 1567.
« Pronosticatio quedam mirabilis divinitus partim revelata partim celesti constellatione premonstrata….... duratura ad annum domini MCCCCCLXII (sic). On l’a dit, cette présentation figure certes dans le Mirabilis Liber, mais non point en tête car elle est précédée de diverses pièces ajoutées qui ont peut-être pour but de ne pas faciliter l’identification du corpus d’origine. Mais les éditeurs de 1561 ne s’y sont pas trompés et sont allés chercher une traduction, même partielle, existante, laquelle d’ailleurs était issue de la source reprise dans le Mirabilis Liber.
Nous en arrivons ainsi à une généalogie partant de l’édition de 1592, à Mayence (en allemand), de la Pronosticatio, sans mention du nom de Lichtenberger (ou en italien, de Modéne, même année[10]), à partir de la quelle il y a divers embranchements
1 les éditions de 1520 de la Pronosticatio, à partir de la réédition en 1526 de l’édition de 1492, chez P. Quentel.
2 L’édition latine de 1515 se référant au titre à Sainte Brigitte et dont se servira le Mirabilis Liber de 1522, d’où l’emploi de l’épithète Mirabilis.
3 La traduction française de 1527 de l’édition latine de 1515, dont se servira la Première Partie du Recueil (1561) pour rendre partiellement la partie latine du Mirabilis Liber tout en s’inscrivant dans le cadre de celui-ci pour le début de la parti française et sans traduire en français le reste de la première partie latine mais en restituant le début de la seconde partie française du dit Mirabilis Liber.
L’édition de 1561 est une fausse réédition en français du Mirabilis Liber dont elle ne restitue du latin que ce qui est paru en 1527, omettant de rendre tant les pièces placées avant la Pronosticatio que celles se situant après, faisant ainsi la part belle à Lichtenberger sans toutefois que son nom soit une seule fois mentionné.
On y notera une bizarrerie qui remonte à l’édition latine de 1515, à savoir la mention de Saint Cyrille dans la liste des « saints personnages »- et même en tête au titre du Recueil - alors que ce saint ne figure pas dans la liste qui en est donnée par Lichtenberger, au début de sa Prognosticatio. On retrouve cependant ce Cyrille tout à la fin de la traduction française calquée sur l’édition latine de 1515 : « Bréve Monition du traducteur. Pour ce que plusieurs prennent delectation à savoir des choses nouvelles nous avons mis en vulgaire ce petit livre lequel contient des choses dignes de mémoire cogneues par Saincte Brigide, S. Cirille, Joachim abbé et Lolhardus ermite tant revelées par le sainct esprit etc « [11]
Le sous titre du Mirabilis Liber nous semble reprendre une formulation allemande que nous retrouvons en 1549
: Propheceyen und Weissagungen. Vergangne/ Gegenwertige und Kunftige Sachen[12], littérament « des choses passées, présentes et à venir », et dont il a pu exister une mouture latine, ce qui donne Mirabilis liber qui prophetias revelationesque, necnon res mirandas, preteritas, presentes et futuras, aperte demonstra à part l’addition de »mirandas » qui semble appartenir au style prophétique français, à rapprocher de mirabilis.
(Prophetia quaedam mirabilus, Mirabilis Liber)
En France, le nom de Lichtenberger ne sera jamais associé ni à la Prophétie de Dame Brigitte ni au Mirabilis Liber. Il est vrai que le nom de Lichtenberger n’est fourni, avant les années 1520, que très discrétement à la fin de l’Oratio Autoris[13], annoncé par une vignettee. G. Petrella signale le passage en question: « expande pallium gratie tue supra me Ruth (…) indigno servo tuo Iohann Lychtenberger explicandas reveles mentemque meam eterni tui etc »[14]
Pendant la période allant de 1588 à 1599, nous dirons que l’œuvre met en avant divers auteurs- représentés sur une même vignette, alors que le compilateur reste en retrait, et simplement désignée sous le titre de Prognosticatio, en latin, en allemand, en italien .(cf la collection numérisée de la Bibliothèque de Munich).
En 1515, la Pronosticatio avait débuté son périple français sous les auspices de Sainte Brigitte. On a la preuve que le Mirabilis Liber dérive de l’édition de 1515 du fait que celle-ci comporte des interpolations présentes au tout début de la Prophétie de Sainte Brigitte, figurant dans le Mirabilis Liber mais absentes dans la Pronosticatio, relatives à une série de pays : Empire (Romain Germanique), France, Espagne, Angleterre, Dace (Roumanie), Hongrie ; Bohème et Allemagne, ce qui donne dans les éditions latines françaises (1515 et 1522) « per romanum imperium etc », et en français. « Pareillement des choses qui doivent advenir à l’empire romain, au reaulme de France, Despaigne, Dangleterre, de Dace, de Hongrie, de Boesme & des Allemaignes »
On ne connait qu’un seul cas, en 1530, d’une édition française, en latin, de la Pronosticatio sous le nom de Lichtenberger, à la suite du renouveau de 1526 outre Rhin, sans qu’apparemment, l’on se soit douté aucunement à l’époque de la circulation en France de sa compilation, il est vrai dépourvue de toutes ses vignettes. En 1614, toutefois, parait un Vaticinium S. Brigitae Reginae Scotiae ex Iohannis Lichtenbergii praedictionibus, au sein d’un recueil de Claude Du Pré, le Pratum, paru à Paris, chez Jean Libert[15]. Ce bref passage est probablement repris d’une édition latine parue en 1530 sous le nom de Lichtenberger alors qu’à la même date paraissait une traduction française de ce même texte au sein du Recueil des Prophéties et Révélations, sans aucune référence à Lichtenberger..
Autre étrangeté, on l’a signalé, la présence de l’année 1567 dans l’ensemble du corpus du xVIIe siècle, tous pays confondus, sans que jamais on ne trouve, dans le contenu, la moindre explication à ce propos alors même qu’à partir de 1560, cette date va être mise en avant par Nostradamus, mais cette fois sur des bases astronomiques bien définies. Encore récemment une réédition de la Pronosticatio en langue vulgaire (par opposition au latin) signale[16] cette date de 1567 au titre de certaines éditions sans noter que rien n’en rend compte dans le corps du livre. On se perd en conjectures à ce propos. D’une certaine façon 1567 semble bel et bien une échéance vraisemblable, comme il ressort du cas Nostradamus. Cette année se situe dans le prolongement d’une grande conjonction –il n’y en a qu’une fois tous les 20 ans- et d’une éclipse, exactement comme pour les années 1464-1465, à un siècle de distance. Nous pensons que l’on ne peut exclure que certaines éditions de la Pronosticatio aient disparu qui comportaient bel et bien 1567 autrement qu’au titre et en ce sens, Nostradamus, de facto, aurait ainsi rétabli la chronologie d’origine, sur la base d’une étude des données astronomiques, telles que figurant dans les ouvrages de Leovitius ou de Stadius..
Le corpus nostradamique après la mort de Nostradamus comportera des éléments associés à cette littérature pseudo brigidienne, mais avec un contenu très différent.
La prophétie ou revolution merveilleuse (…)iusques en l’an de grande mortalité 1568 par Mi. de Nostradamus, Lyon, Michel Jove, 1567 [17] A rapprocher du titre de l’édition de 1535 : Prophétie Merveilleuse de Madame Saincte Brigide (….) & durera la dicte prophétie iusques à l’an mil CCCCCLXVII.
En 1575, nous avons vu que sous le nom de Nostradamus le Jeune, paraitra à Venise une nouvelle édition de la Première Partie du Recueil de revelations et prophéties, avec l’addition de l’adjectif « merveilleuses »[18]
La dimension allemande du dit recueil de Lichtenberger n’est pas liée au compilateur dont l’identité restera inconnue tout au long du XVIIe siècle. Quand Jacques Barret en 1621 réédite le dit recueil au sein d’un ensemble plus vaste qu’il intitule le Chant du Coq François (Paris, Denis Langloys), il parle d’un Hermite Allemand mais il pense à Reinhardt Lolhardt dont le nom est mentionné et non à Lichtenberger dont le nom ne figure dans un ouvrage en français que du fait de la traduction des Chroniques de Jean Carion (alias Nägelein) historien et astrologue allemand dont nous étudierons par ailleurs l’influence possible sur Nostradamus.
Leovitius est l’auteur allemand par excellence qui droit de cité officiellement en France, auréolé du prestige de son Ephemeridum et de son Eclipsium mais cela concerne une période plus tardive, celle des années 1560 : en 1565 paraissent des Prédictions des choses plus mémorables qui sont à advenir depuis l’an MDLXIII jusqu’à l’an Mil six cens et sept prise tant des éclipses et grosses Ephémérides de C. Leovitie que des prédictions de Samuel Syderocrate[19], Bâle. Benoist Rigaud, en 1570 fait paraitre à Lyon des Prédictions pour trente sept ans des choses plus mémorables qui sont à advenir après l’an miil cinq cens soixante et dix jusques en l’an 1607. Extrait des Eclipses et des Grosses Ephémérides de Cyprien Leovitie et en 1574, le même Rigaud réédite cet ouvrage avec toujours cette échéance de 1607.[20]
Un tel intitulé sera repris par Nostradamus Le Jeune, en 1571 : Prédictions des choses plus mémorables qui sont à advenir depuis cette présente année iusques à l’An mil cinq cens quatre vingt & cinq (…) prinses tant des Eclipses de Soleil & de la lune que du livre merveilleux de Cyprian Leovitie, Samuel Syderocrate etc (…) lesquelles ont esté en grande diligence mise en lumière par M. Michel de Nostradamus le Jeune, Docteur en médecine «, Troyes, Claude Garnier La date de 1607 est remplacée par une date plus proche, celle de 1585.. On note que les attributions sont emmêlées et l’on rappellera que le Livre Merveilleux n’est nullement l’œuvre de Leovitius.[21]
Le traitement des recueils prophétiques est chose délicate car on a affaire à des compilations de recueils s’emboitant les uns dans les autres. Si Peter Lemesurier a probablement raison d’accorder une certaine importance au Mirabilis Liber en tant que source de certains quatrains voire de certaines épitres, sa description de ce recueil laisse à désirer. C’est ainsi qu’il cite comme des pièces distinctes ce qui vient de Johann Lichtenberger « a composite collection from various named sources, first printed in 1488) » et « Another composite source combining (among others) St Brigid of Sweden, S. Hildegard of Bingen, the Cretan Sibyl, the Hermit Reynard and the celebrated Abbot Joachim of Flore”, alors qu’il s’agit dans les deux cas du même recueil compilé par le dit Lichtenberger.[22]
L’étude du Livre de l’Estat et Mutation des Temps, Lyon, 1550, qui ne fait que réaménager, comme le signale Richard Roussat dans son épitre à Joachim de la Baulme, un document plus ancien (Le Période du Monde de Pierre Turrel[23]). « iceluy tombé entre mes mains, imparfaict, sans goust, & fort mal en ordre (néantmoins copieux en substance & en occultes vertus) & l’ayant depuys non sans labeur instauré & orné voyre non moins que ressuscité & engendré par mon tel quel esprit, vous le presente & dédie »
Roussat y cite (pp. 97-98) le nom de Lichtenberger dont on a dit qu’il ne figurait pas dans le Mirabilis Liber et pas davantage dans le Recueil des Prophéties et Révélations. « Jean de Listember (sic) dit que ce planète s’estend & iette son influence sur les Germains (..)Et pourtant que par cest auteur de Listember (sic), lesdictz Germains sont nommez Scorpionnistes, fault entendre que le Scorpion qui est venimeux est (…) la tour (sic) & domicile de Mars etc ». Le chanoine Roussat, dans son développement sur les éclipses se référe (p. 174) à celle de 1485, qui est précisément celle qui est au cœur de la Pronosticatio de Lichtenberger : « Car il fut l’an mil quatre cens octante & cinq, au moys de Mars, une Eclipse de Souleil (sic) (..) avec quatre aultres subsecutives & de nostre temps ont influx en ce Monde ia plus que la rage etc ». Turrel n’est pas ici un lecteur du Mirabilis Liber mais bien d’une édition de la Pronosticatio Ioannis Lichtenbergers, probablement celle parue à Paris, en 1530 « apud Collegium Sorbonae » et qui porte en son titre même référence à la dite éclipse : » eclipsim Solis anni squentis, videlicet LXXXV. Durans in annum usque MDLXVII », toujours cette référence insolite à l’an 1567, celui de l’éclipse élue par Nostradamus.. En outre, l’intérêt de Roussat pour Methodius (pp. 164, 169, nom parfois corrompu en Bemechobus dans le Mirabilis Liber[24]) semble lié à la lecture du recueil de Lichtenberger. « il m’a semblé bon & fort convenable adiouster en ce present œuvre ou livret les preambules que monsieur sainct Methodius martyr (..) met estre à regner & apparoir avant l’advenement & naissance d’iceluy Antechrist »

JHB
01. 01. 13

[1] Cf Capp, Bernard. Astrology and the Popular Press, English Almanacs 1500-1800. London : Faber and Faber, 1979.
[2] A. Warburg, Gesammelte Schriften 2. Die Erneuerung der Heidnische Antike. Kulturwissenschaftliche Beiträge zur Geschichte der Europäischen Ren aissance, (Leipzig, 1932), pp. 514-515. Reed Berlin, 1998
[3] Cf Gustave Adolf Schoener, The coming of a « Little Prophet ». Astrological Pamphlets and the Reformation,”
[4] Johannes Lichtenberger (1503)Eine Studie zur Geschichte deruProphetie und Astrologie. Historische Studien Heft 379, Lübeck et Hambourg
[5] Jean Harmand Une prophétie du XVIe siècle sur la Révolution. Le liber Mirabilis. Revue des études historiques Sept Oct 1913
[6] Cf l’analyse des deux moutures de la Préface dans l’article de Britnell et Stubs sur le Mirabilis Liber.(1986)
[7] Cf le Texte Prophétique en France, op. cit.
[8] Dans notre thèse d’Etat, nous avons rassemblé une collection de pages de titre concernant ce dossier, ces images ne sont pas en ligne, à la différence du corps du texte - mais consultable sur microfiche dans les bibliothèques universitaires et à la BNF (SUDOC).
[9] Giancarlo Petrella « La Pronosticatio di Johannes Lichtenberger. Un testo profetico nell’ Italia del Rinascimento”, Oudine, Forum, 2010,
[10] BNF res D 8548 (1) Pronosticatione in vulgare ... infino al anno MCCCCCLXVIJ, Modena : Pierre Maufer, 14 IV 1492
[11] Exemplaire de la Collection Masson de la Bibliotheque de l’Ecole Supérieure des Beaux Arts, Paris, (catalogue en ligne « Cat’zarts) . La fin de l’exemplaire est tronquée.
[12] Fonds Masson, 1430 Bibl. de l’Ecole Sup. des Beaux Arts
[13] Cf W. Harry Rylands, Pronosticatio in Latino by John Lichtenberger A reproduction of the first edition (printed in Strasburh 1488), Manchester, Holbein Society, 1890, Intr. p.II
[14] voir aussi en italien le même passage in Pronosticatione in Vulgare, Milan, Antonio di Farre, 1500, p.116 de son édition 2010)
[15] Cf notre recension in CATAF (site grande-conjonction.org) n° 519
[16] Giancarlo Petrella. La Pronosticatio di Johannes Lichtenberger. Un testo profetico nell’ Italia del Rinascimento Forum, Oudine, 2010,
[17] Cf R. Benazra, RCN, pp. 79, 80 , 90
[18] Cf on line, Bibliotheque Nostradamus, propheties.it
[19] Alias Eisenmenger
[20] Cf notre recension dans le CATAF, op. cit, n°863. entrée Karasek z Lvovittsky
[21] Cf R. Benazra, RCN, pp. 90 et seq
[22] Cf Nostradamus. The illustrated Prophécies, Winchester, 2003, p. X
[23] Voir l’étude de J. P. Brach sur cet ouvrage de Roussat, Gutenberg Reprints, 1981
[24] Cf Le texte prophetique en France, op

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Updated Tuesday, 07 April 2015

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