logo1

P r o p h e t i e s   O n   L i n e   

logo2

The largest library about Nostradamus for free !

logo3

 
 
 
Researches 161-170
 
161 - La réception européenne des « almanachs prophétiques » de Nostradamus pour les années 1560-1567
 
162 - L’astrologie populaire au milieu du XVIe siècle et le Kalendrier des Bergers
 
163 - Sur les premières utilisations du terme Centurie en tant que synonyme de Prophéties ou de Prédictions
 
164 - Les sources centuriques de Jean-Aimé de Chavigny
 
165 - Nostradamus et les Chroniques historiques. Le modèle Carion.
 
166 - Nostradamus et les « prophéties » mal nommées
 
167 - Les centuries et l’épopée lorraine du François de Guise
 
168 - Les centuries et le duc François de Guise
 
169 - Nostradamus : le Prince et le Prophète
 
170 - Autour de la seconde chronologie de l’Epitre à Henri II
 
 
 

 

 

Researches 161-170

161 - La réception européenne des « almanachs prophétiques » de Nostradamus pour les années 1560-1567
Par Jacques Halbronn

Les almanachs de Nostradamus à partir des années 1559-1560 sont atypiques et ce qui fait leur succès dans toute l’Europe. Ils comportent en effet des développements qui concernent toute la décennie et non pas seulement l’année mis en avant dans les éditions françaises. En ce sens, nous les qualifierons d’almanachs prophétiques pour les distinguer des almanachs ordinaires que Nostradamus publia jusqu’en 1558/1559. Les éditions étrangères ne s’y trompent pas qui, dans leur sous titre, tant en allemand qu’en italien[1] indiquent clairement la véritable ambition de ces ouvrages qui, véritablement, ne sont pas de «simples » almanachs comme ils tendent à se présenter dans les éditions d’origine.
A ne pas comprendre les vrais enjeux, certains chercheurs veulent voir dans le cas anglais une piste qui apporterait quelque présomption quant à la parution en Angleterre- et donc par voie de conséquence en France, des Centuries, dès les années soixante. Serait-il donc paru une édition des Centuries en Angleterre dans les années 1560 ? C’est ce que soutient Patrice Guinard ( Corpus 25). En réalité, il faudra encore attendre un bon siècle avant que cela n’ait lieu, grâce à Théophile de Garencières, en 1672.
Mais quels sont les éléments qui auront conduit ce bibliographe à de pareilles conclusions ? Cela tient à une information concernant une vingtaine de libraires londoniens qui auraient eu à régler une amende pour avoir vendu une pronostication. C'est ce que signale Bernard Capp (.Astrology and the Popular Press, English Almanacs 1500-1800. London : Faber and Faber, 1979. p. 29) à propos de l’année 1562 : « In 1562 twenty booksellers were fined for selling a prognostication by Nostradamus » Edward Arber (A transcript of the registers of the Stationer’s Company of London, 1554-1640, Vol. 1, Londres 1875 p. 216, 92b 93, 93, « Fynes for breaking of good orders (…) for selling of Nostradamus », 22 july 1562- 22 july 1563), se demande, en effet, pour l’année d’enregistrement 1562-1563 ce qui a pu conduire les autorités à infliger à toute une série de libraires de telles amendes concernant une édition de l’éditeur William Powell, non conservée et dont on ignore jusqu’au titre. On ignore s’il s’agit de l’almanach pour 1562 ou pour 1563 mais cela n’a pas une grande importance car Nostradamus développera, dès 1559, pour son almanach pour 1560, son discours prophétique d’une année sur l’autre et ce jusque dans l’almanach posthume pour 1567, dont nous avons une traduction italienne, comportant une trentaine de pages relatives aux années à venir. Le pivot de ces vaticinations est l’éclipse du mois d’avril 1567, dont on sait qu’il est également présent dans la littérature associée à Lichtenberger, mais sur des bases fort différentes (cf. notre étude Nostradamus et la piste Lichtenberger, HR 160)
Il semble que l’on n’ait pas pris garde de distinguer deux cas de figure dans les documents recueillis par Arber. D’une part, des amendes pour les imprimeurs, dans une section particulière et de l’autre des sanctions visant les libraires, dans une autre section en rapport avec toutes les atteintes à l’ordre public (« Fynes for breaking of good orders « ) ce qui n’est pas pareil que « For takinge of fynes for Copyes » sans que ce soit cette fois aucunement réservé aux libraires. Or, le cas signalé concerne cette dernière section. La présentation y est différente : dans la première section, le nom des ouvrages concernés est fourni et nombre d’almanachs et pronostications sont visés, Nostradamus n’étant ici qu’un cas parmi bien d’autres alors que dans la seconde section, on se contente d’indiquer en lettres capitales NOSTRADAMUS. Les libraires sont condamnés pour avoir vendu du Nostradamus et peu importe quoi du dit Nostradamus. Cela dit, dans la première section, il est bien précisé qu’il s’agit d’un almanach et pronostication de Nostradamus - « an Almanacke and Pronostication of Nostradamus « -, un genre qui est soumis à des règles bien précises de par sa périodicité.
En France, en tout cas on a le cas de l’Almanach pour 1562 qui semble avoir été censuré en raison d’un long mémoire relatif à la fin des années 1560, daté de 1561. En effet, on ne dispose plus en tant qu’imprimé français que d’une version tronquée du dit almanach lequel avait été dédié au pape Pie IV.En revanche, le manuscrit en a été conservé et réédité au début du XXe siècle. On peut d’ailleurs se demander si le fait que l’almanach ait été adressé au pape n’a pas joué par ailleurs. Ajoutons que ce même almanach fut également largement diffusé dans sa traduction italienne dont Li Presagi et Pronostici di M.Michele Nostradamo quale principiando l’anno MDLXV diligentemente discorrendo di Anno in Anno fino al 1570, (…)Alla Santita del Papa (BNF Réserve V 1195). C’est dire la fortune d’un texte qui circulé d’un bout à l’autre de l’Europe. Et en Allemagne, l’on connait le Prognosticon Michaelis Nostradami ad Annum 1560. Diss ist eine kurze Practica welche anzeigt von dem 60. Jar biss in das 67. was sich in der Zeyt verlaufen und zutragen soll. (Bib Wolfenbüttel) qui se fait déjà l’écho de prédictions assez calamiteuses. Ce qui caractérise tous ces textes, c’est qu’ils dépassent délibérément le cadre annuel et se projettent sur une série d’années et notamment sur une certaine année buttoir.
On peut dire ainsi que l’œuvre de Nostradamus s’organise sur trois pieds : la publication annuelle est le prétexte de départ dont vont dériver d’une part les quatrains et de l’autre les « prophéties » pluriannuelles qui sont restées le parent pauvre au regard du travail des nostradamologues alors même que tout indique que c’est ce dernier aspect qui va le plus contribuer à la stature de Nostradamus, à partir de la fin des années 1550.
Ecoutons Patrice Guinard défendre sa thèse (cf « Histoire des éditions des Prophéties de Nostradamus (1555-1615) », Revue française d’histoire du livre, n° 129, 2008 p. 41) : « The Prophecies of Nostradamus [ ?], London, William Powell, 1563 (..) Un tel succès ne peut concerner un simple (sic) almanach (…) Cet ouvrage de Nostradamus pourrait être la première traduction anglaise des Prophéties (‘…) On se demande bien pourquoi une vingtaine de libraires et imprimeurs se seraient mis subitement et en cette unique occasion à distribuer frauduleusement un simple (sic) almanach ! Il est fort probable (sic) que cette traduction perdue des Prophéties aura été retirée assez rapidement des circuits de distribution’
Il y a là un malentendu : les almanachs de Nostradamus ne sont nullement, à parti de 1559, de ‘simples » almanachs, ils comportent des annexes, des additions qui en font tout l’intérêt et c’est d’ailleurs, par exemple, en Italie, ce qui est traduit en priorité, en signalant au titre que l’ouvrage couvre plusieurs années. La forme de l’almanach n’est qu’une façade, une couverture, un détournement du genre, ce que Guinard n’a pas su appréhender alors que par ailleurs il surinvestit l’importance des quatrains, comme si les quatrains pouvaient avoir un effet plus fort que la prose prophétique.
L’incident anglais apporte une pièce manquante au puzzle nostradamique car il montre que précisément l’Angleterre n’est nullement, comme on aurait pu le croire de par l’absence de l’ouvrage ainsi dénoncé, restée étrangère aux « vaticinations » prosaïques de Nostradamus. Des mesures draconiennes semblent avoir été prises à l’encontre de tout ce qui touchait la circulation de quoi que ce soit de nostradamique en Angleterre. Il ne s’agit plus ici d’amendes liés au non respect de certaines formalités mais bien d’une interdiction pure et simple de mettre en vente du Nostradamus, un astrologue qui, soulignons-le, représente les intérêts de la France.
D’ailleurs, Nostradamus, rappelons-le, est mis en cause en 1560 par un ANTIPRO-/ GNOSTICON/ that is to saye, an inuectiue a-/ gaynst the vayne and vnprofitable/ predictions of the astrologians/ as Nostrodame, de William Fulke[2] qui s’en prend à Nostradamus, en son titre, conjointement à d’autres astrologues. Ces « simples » almanachs, qui semblent devoir incarner l’ordre immuable des jours et des lunes sont en fait truffés de remarques capables d’affoler les esprits.
Quand on examines la collection des publications anglaises effectuées sous le nom de Nostradamus pour les années 1550-1560 (cf les textes en ligne sur propheties.it), on ne saurait se persuader qu’ils restituent de façon complète ce qui a circulé. Ce sont des fragments, parfois limités au seul calendrier. Certes, pour les nostradamologues qui ne voient le corpus nostradamus qu’au prisme des quatrains cela peut à la limite suffire, mais cela ne suffit certainement pas à appréhender correctement l’effets des almanachs sur l’opinion et les réactions qui en résultèrent. C’est ainsi que l’’almanach pour 1562, dans sa version anglaise, se réduit à quelques pages du calendrier, sans aucune épitre et sans aucun développement en prose, sinon quelques formules lapidaires glissées au sein du dit calendrier. Rien n’est pire pour un historien que de bâtir un discours sur la base d’un corpus visiblement tronqué alors même qu’il dispose de divers moyens de recoupement- en l’occurrence les publications françaises, italiennes et allemandes ainsi que les réactions anglaises connues - pour combler les lacunes..

JHB
02. 12. 12


[1] Cf M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, Baden Baden 1989, pp. 33, 41- et seq
[2] Invective againts Astrology peut être inspiré par La Première Invective (….) contre Monstradamus, Lyon, Michel Jove, 1558 cf Benazra, RCN, pp 30 et seq
 
162 - L’astrologie populaire au milieu du XVIe siècle et le Kalendrier des Bergers
Par Jacques Halbronn

Pourquoi Nostradamus mettait il des quatrains dans ses almanachs, un par mois ? Est-il le premier à avoir procédé ainsi [1]? Quelle était la place de l’astrologie- et de l’astronomie- dans la culture populaire du milieu du XVIe siècle ? Quelle était la place du latin dans la terminologie zodiacale ? D’où venait la vignette qui ornait la Pronostication annuelle de Nostradamus ? Il faut, selon nous, aller voir du côté du Kalendrier et Compost des Bergiers, apparu dans les dernières années du XVe siècle[2], contemporain de la Pronosticatio de Lichtenberger à laquelle nous avons consacré récemment une de nos études- dont on notera qu’il connut une fortune certaine en Angleterre, un des pays qui accueillit avec le plus d’intérêt les almanachs à quatrains de Nostradamus (Shepherd’s Kalendar) dans les années 1559-1567..
Une différence entre les almanachs de Nostradamus et le Kalendrier et Compost des Bergers tenait au fait que le Kalendrier ne paraissait pas chaque année mais se présentait comme une sorte de calendrier perpétuel en dépit du fait que toute une série d’éditions comporte les données planétaires du mois de décembre 1497, ce qui peut laisser à penser qu’à l’origine, il ait pu s’agir d’un almanach annuel reconverti par la suite en almanach perpétuel. Une autre différence tenait à la richesse de l’iconographie dans le Kalendrier des Bergers qui jure avec la nudité de l’almanach de Nostradamus.
Ajoutons que le Kalendrier en question connut un grand nombre d’éditions et qu’il en paraissait encore à la fin des années 1550. La famille de libraires Bonfons (Jean, sa veuve, puis son fils Nicolas), notamment, en assura, depuis Paris, la diffusion, parallèlement à la production troyenne[3]. Nous avons retrouve un exemplaire de 1558, paru chez Jean Bonfons[4], qui cessa d’exercer en 1566, et donc exactement contemporain des premiers almanachs à quatrains de Nostradamus. Le calendrier qu’on y trouve comporte des quatrains, ce qui lui était propre depuis les années 1490. ainsi que des bandeaux correspondant aux activités mensuelles, ce qu’en revanche, on ne trouve pas dans les almanachs de Nostradamus. Ces bandeaux sont néanmoins assez réduits si on les compare aux 12 vignettes de l’édition troyenne de 1529 (réédition quatre siècles plus tard)[5].
Il convient de décrire le contenu du Kalendrier et Compost des Bergiers, lequel comportait trois parties, l’ »Astrologie des Bergers », comportant notamment une série de sept vignettes correspondant aux « enfants des planétes » (Planetenkinder, en allemand), illustrant les activités propres à chaque planète tout comme les vignettes du calendrier, illustraient les activités de chaque mois. Une présentation de 12 étoiles fixes était également proposée au lecteur. On y retrouve notamment le Cœur du Scorpion – que l’on n’appelait pas encore Antarès- et dont on nous dit qu’il se situe dans le signe du Sagittaire (du fait de la précession des équinoxes). On reconnait aussi le poisson austral (alias Fomalhaut) qui est alors encore dans le signe du verseau. Cette partie de l’Astrologie des Bergers s’achève sur les positions planétaires, très précisément indiquées correspondant à l’an 1497 et cela même quand on nous dit que ce sont les positions de l’an 1500 ou dans une édition datée de 1525 ou de 1558 : « Saturne à 5° bélier, Jupiter à 4° Sagittaire, Mars à 4° scorpion, Vénus en Verseau, Mercure en Capricorne, la tête du dragon en Lyon, le Soleil à 26° Capricorne etc. »
On passe ensuite à la « Physionomie des Bergers », avec notamment les 4 tempéraments et enfin un petit traité d’astrologie populaire pour connaitre sa planète et son signe zodiacal. Contrairement à ce que d’aucuns ont affirmé, les descriptions mensuelles des signes, dument accompagnés de leurs vignettes - ne datent pas d’hier. Les gens connaissaient leur signe solaire – de la moitié du mois à la moitié du mois suivant –avant la Réforme grégorienne de 1582- déjà à cette époque- et c’était notamment conseillé pour mieux connaitre ses enfants- et même leur planète de naissance, si ce n’est qu’elle était déterminée selon une correspondance heures/planétes. Si l’on naissait à telle heure, on était de planète et ainsi de suite. On pouvait ainsi combiner signe et planète alors qu’à présent on combine signe solaire et signe ascendant.
On peut trouver une influence sur Nostradamus ou sur ses libraires dans le choix de la vignette placée sur les almanachs de Nostradamus, entourée d’une frise zodiacale, tout de même, et censée représenter l’auteur du Kalendrier comme celui de l’almanach. On notera que les faux almanachs de Nostradamus ne comportent pas cette frise pas plus d’ailleurs que les éditions des Centuries datées de 1555 (Macé Bonhomme) et de 1557 (Antoine du Rosne), lesquelles reprennent les vignettes des dits faux almanachs. L’almanach anglais pour 1563 reprend une vignette d’une édition pirate.
Nous avons souligné l’intérêt que Nostradamus accordait aux éclipses. Or, cette information n’est nullement absente du Kalendrier et Compost des Bergiers et dans l’édition de 1558, figure une série d’éclipses – un véritable eclipsium- dont celle d’avril 1567 qui servira de pivot à toute la prévision nostradamienne, ,notamment dans l’almanach pour 1562, comportant une épitre au pape Pie IV.
Le Kalendrier et Compost n’est d’ailleurs pas indifférent à l’Histoire : dans certaines éditions, l’on trouve un écho à la défense, en 1472, sous Louis XI, de la ville de Beauvais par Jeanne Hachette face à Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, représenté par un escargot. Une édition du Kalendrier, enluminée, fut offerte à Charles VIII, le fils de Louis XI.(BNF).
Les signes étaient alors désignés, même pour le peuple, par leur nom latin, ce dont nous avons gardé la trace notamment pour les Gémeaux –(Gemini) et le Cancer mais déjà l’on recourait à une sorte de bilinguisme dans ce domaine. Nostradamus, également, privilégiait le latin, à la différence des quatrains centuriques qui se servent le plus souvent du français, ce qui dénote leur caractère tardif de la fin du XVIe siècle..
Il y avait dans ce calendrier des bergers, des quatrains, en latin et en français et cela n’a pas pu ne pas influer sur le style des almanachs parus sous le nom de Nostradamus. Mais la nouveauté tenait au fait que ces textes reprenaient en rime, des mots issus de la partie prédictive des almanachs, laquelle fait totalement défaut au Kalendrier et Compost des Bergiers.
Le succès de cet ouvrage, tant en France qu’en Angleterre, était du à la diversité des enseignements que l’on pouvait y trouver, formatant ainsi une certaine culture voire une certaine sagesse/sapience populaire. Dans le cas des almanachs de Nostradamus, l’enjeu n’était pas le même mais l’on pourrait penser, par certains côtés que Nostradamus apporte une sorte de commentaire, d’application au Kalendrier des Bergers en traitant du destin des peuples. La différence sera encore plus sensible lorsque Nostradamus sera tenté, à partir de 1559, d’abuser du genre de l’almanach pour y joindre des prophéties politico-religieuses notamment autour de l’éclipse de 1567, ce qui n’ira pas sans réaction de la part des autorités (cf l’édit d’Orléans, pris en 1560 contres les almanachs). .
Bien évidemment, on sait que ces quatrains des almanachs (souvent appelés au XVIIe siècle « présages ») inspirés du Kalendrier et Compost des Bergiers, mais avec une teneur ne se référant pas au caractère du mois comme c’était le cas dans le Kalendrier, donneront naissance par la suite aux quatrains des centuries dont l’origine remonte donc à un certain type d’almanach, d’où le choix de la même vignette pour illustrer almanachs et centuries. Mais ces quatrains centuriques ne parviendront Outre Manche, du moins en anglais, que dans le dernier tiers du XVIIe siècle (1672), mais on peut supposer qu’ils étaient couramment lus directement en français par le lecteur anglais cultivé du XVIe siècle..
On notera enfin que la fortune anglaise du Kalendrier des Bergers avait pu créer, dès le tout début du XVIe siècle, un sentiment favorable à ce qui venait de France et donc profiter à Nostradamus. Dans la vignette représentant Nostradamus (en écusson il est inscrit M. de NostreDame, mais pas dans les contrefaçons), on peut entrevoir par une fenêtre le soleil et la lune alors que l’auteur manipule un astrolabe. On notera que les derniers almanachs de Nostradamus (1565 et en italien 1567) ont pour vignettes des scènes de plein air qui ne sont pas sans évoquer les scènes des vignettes avec bergers des éditions des années 1520-1550 du Kalendrier des Bergers.
Ajoutons que la formule du Kalendrier et Compost des Bergiers reléve d’une certaine forme d’imposture. Un tel savoir n’est nullement le fait des bergers. Il serait plutôt conçu à leur intention. La référence aux bergers nous semble venir de la vignette d’un mois de l’année, à la fin du printemps, représentant la tonte des moutons.
En 1558, Jehan Bonfons, avons-nous dit, (cf l’exemplaire de la Bibliothèque de l’Ecole Supérieure des Beaux Arts, laquelle possède, dans le fonds Masson, une fort belle collection du Kalendrier, cf en ligne le catalogue « cat’zarts »)publiait une belle édition, en format moyen, du Kalendrier. Or, il était également associé à un autre libraire parisien Guillaume le Noir pour la publication de l’ »almanach nouveau » de Nostradamus pour 1562[6], celui qui était adressé à Pie IV et qui connut quelque mésaventure du fait de ce qu’il annonçait pour les années à venir, almanach qui connut une certaine fortune, notamment, en Italie..
Ajoutons que dans le dernier tiers du XVIe siècle et au cours du siècle suivant, la mode des quatrains se répandra en France, non seulement du fait des éditions centuriques mais au niveau des almanachs populaires. Telle fut la fortune des quatrains du Kalendrier et Compost des Bergiers.

JHB
03. 12. 12

[1] Cf Le texte prophétique en France, Ed du Septentriion, 1999
[2] Perre Saintyves (alias Nourry), L’Astrologie populaire, 1937. Reed Rocher
[3] Voir notre recension des éditions sur le CATAF (sur grande-conjonction.org), n° 384 « Compost et calendrier des bergers.
[4] Fonds Masson n° 63, Bibl. de l’Ecole supérieure des Beaux Arts, Paris
[5] Cf notre postace au fac simile du Centilogue de Nicolas Bourdin, Paris, 1993
[6] Cf R. Benazra, RCN, pp.47 et seq, en ligne sur propheties.it.
 
163 - Sur les premières utilisations du terme Centurie en tant que synonyme de Prophéties ou de Prédictions

Par Jacques Halbronn

En 1621, un certain Jacques Barret, dans une épitre à Louis XIII, se référé aux sixains (à commencer par le quatrieme d’entre eux qui vise l’an 1601, celui de la naissance du fils d’Henri IV) comme faisant partie intégrante des « Centuries » - c’est le terme qu’il emploie « en « l’une de ses centuries » à propos des sixains- de Nostradamus. L’ouvrage ainsi introduit n’est autre qu’une nouvelle édition du Recueil lichtenbergien des Prophéties et Révélations tant anciennes que modernes, sous le nom de Chant du Coq François (Paris, Denis Langloi, BNF), ouvrage[1] non signalé par Chomarat ou Benazra dans leur bibliographie nostradamique. Or, l’on sait que le dit Recueil paraitra avec les Centuries, au cours du XVIIe siècle. Il eut été souhaitable d’explorer plus systématiquement tout ce qui concernait un tel Recueil.
Cette mention nous contraint à repenser la bibliographie des éditions centuriques dans la première moite du XVIIe siècle. Certes, on connait des éditions Pierre Chevillot qui sont datées par les bibliographes pour 1611, suivant en cela la date du Recueil signalé plus haut. Mais l’on peut fortement douter de la valeur à accorder à une telle déduction concernant une édition non datée par elle-même mais seulement reliée à un autre ouvrage qui lui fait suite, daté de 1611. Les sixains sont signalés en 1610 par le Mercure François mais sans référence à Nostradamus. On ne reviendra pas ici sur l’émergence des sixains[2] et on se limitera à leur intégration dans une édition centurique.
Ce qui nous frappe, c’est l’usage du mot « centuries » pour désigner ce qui était connu jusque là sous le nom de Prophéties, même si celles-ci étaient divisées en »centuries ».
Quelles sont les attestations dans ce sens ? Chomarat signale en 1611, la parution, chez le libraire rouennais Pierre Valentin, de Centuries et Merveilleuses Prédictions de M. Michel Nostradamus (..) Iouxte la copie imprimée en Avignon 1611[3], ce qui vient modifier le titre antérieur de Grandes et Merveilleuses Prédictions (Rouen 1588, 1589 et Anvers 1590).
Par ailleurs, en 1620, parait un Petit Discours ou Commentaire sur les Centuries de Maistre Michel Nostradamus imprimées en l’année 1555, qui n’est concerné que par le premier volet.
Signalons que cette référence à 1555 et à Avignon est propre précisément à la série des Grandes et Merveilleuses Prédictions. On a en tout cas cette mention à la fin de l’édition d’Anvers, chez François Sainct Jaure, les autres éditions étant introuvables ou tronqués. Hormis la production d’une édition Macé Bonhomme 1555, la mention de cette année n’est attestée par ailleurs ni au XVIe siècle ni au XVIIe siècle qui connait des éditions se référant en leur sous titre à l’an 1556.[4] : Les Vrayes Centuries de M° Michel Nostradamus (Rouen, 1649) puis à partir de 1650 Les Vrayes Centuries et Prophéties (Leyde) qui attestent que ce terme de «centurie » entre dans les mœurs nostradamiques au long du xVIIes siècle. Nostradamus devient l’auteur des « Centuries ».
Selon nous, Barret se réfère à une édition manquante, portant quelque part la date de 1555 à l’instar de la série mentionnée. Il n’aura donc pas fallu attendre la naissance du fils de Louis XIII en 1638 pour que de nouvelles éditions paraissent à Troyes annonçant pour ce prince un avenir radieux pour 1660 alors qu’en 1633 on célébrait encore les espérances attachées à son père (qui mourra 5 ans après la naissance de son fils), en les nourrissant du recueil lichtenbergien.
En effet, les sixains, comme le souligne Barret dans son épitre au roi mettent en avant Louis XIII de par le quatrième de leur liste. D’un rond, d’un lis, naistra un si grand Prince
En fait en septembre 1601, lorsque le dauphin nait, Saturne est en scorpion et non plus en balance comme l’indique le sixain : « Saturne en libra, en exaltation ». Il y a là une erreur, volontaire ou non pour désigner celui qui sera connu sous le nom de « Juste » (référence à la balance).
Cette date de 1555 qui semble en vigueur en 1620 est évidemment liée à la date de la Préface à César. On peut se demander si la fabrication de l’édition Macé Bonhomme 1555 ne se situe pas en ce début du XVIIe siècle, si ce n’est que cette édition ne porte pas en son titre le mot « centurie ».
A partir de 1649, de fait, les sixains sont bien intégrés dans une édition rouennaise – Rouen reste ici un fil rouge- produite par plusieurs libraires, Jacques Cailloué, Jean Viret, et Jaques Besongne. Mais cette fois, étrangement et probablement par inadvertance, 1555 est devenu 1556 et toujours à Avignon. A partir de cette édition rouennaise se profileront diverses éditions dont celles d’Amsterdam dans les années 1660, continuant à véhicule 1556 pour 1555.
Une autre année figure au sous titre, celle de 1558 qui selon toute vraisemblance est censée signaler le second volet, reprenant simplement la date de l’Epitre à Henri II. Rappelons que pour Pierre Du Ruau, l’année importante est 1568, donc avec une édition posthume.. Il y a une tension qui perdure jusqu’à nos jours entre la thèse des Centuries parues du vivant de Nostradamus et celle qui veut qu’elles soient parue peu après sa mort.
En tout cas, Barret par son épitre à Louis XIII atteste, en 1621, de la « centurisation » des sixains et de l’usage du mot « centurie » qui ne sera pas utilisé par les éditions troyennes, autour de 1644. L’existence d’un Petit Discours ou Commentaire en 1620 – autour de 40 quatrains - est le signe d’une certaine dynamique nostradamique. Le phénoméne n’est pas si fréquent. Rien d’aussi substantiel n’est paru depuis le Janus Gallicus et rien de conséquent ne le sera avant les Advertissements de Mengau sous la Fronde, préfigurant l’Eclaircissement des quatrains de Giffré de Réchac (1656)
En ce qui concerne l’Epitre datée de 1605 censée avoir été adressée à Henri IV, elle serait parue pour la première fois au début des années 1620, introduisant l’arrivée des sixains dans le corpus centurique, ce qui n’empêche pas que les sixains aient pu être associés à Nostradamus antérieurement, comme l’atteste un manuscrit..Prédictions de Me Michel Nostradamus pour le siècle de l’an 1600 présentées au Roy Henri 4e de ce nom au commencement de l’année par Vincent Aucane de Languedoc[5]. A la lecture de l’épitre de 1605, on est bien là dans le scénario d’une parution posthume, à savoir des textes restés inédits où l’on évoque des « mémoires de feu M. Michel Nostradamus » qui auraient été recueillis, ce qui reprend déjà le titre de certaines parutions se référant à 1568[6]. Cette année 1605 va également générer une édition centurique troyenne antidatée[7], selon le principe de prendre pour date d’édition la date de l’épitre. On peut se demander en l’occurrence, cependant, si la date de 1568 n’aurait pas été corrigée en 1558, au titre des éditions du XVIIe siècle, à commencer par celle de Rouen 1649- du fait de celle de l’épitre à Henri II, aucune édition centurique datée de 1558 n’ayant jamais été retrouvée. L’idée d’une épitre non publiée immédiatement ne fait pas problème. Un certain consensus voudrait que seules les premières centuries aient été publiées du vivant de Nostradamus. Mais la mention 1555 devait déjà figurer dans la série Grandes et Merveilleuses Prédictions pour une édition à 4 centuries avant d’être augmentée à six puis à sept centuries, sans que la date de 1555 ait été modifiée. On notera à propos de l’usage du mot « centurie » que l’édition de Rouen 1588 comporte étrangement ce terme inhabituel en son titre mais sans pour autant désigner l’ouvrage comme ce sera le cas par la suite. « Prédictions de M. Michel Nostradamus divisées en quatre Centuries »[8], formule qui ne figure pas au titre de l’édition Macé Bonhomme laquelle ne donne aucune information sur son contenu.
Le titre introduisant les sixains dans les Centuries, est Prédictions Admirables pour les ans courans en ce siecle[9], il est, à l’évidence (admirable équivaut à merveilleux) en phase avec la série Grandes et Merveilleuses Prédictions, titre qui ne sera abandonné par les libraires rouennais qu’en 1649. Signalons qu’en 1691, c’est Jean-Baptiste Besongne, fils de Jacques Besongne qui publiera les Vrayes Centuries et Prophéties mais cette fois sans plus préciser au titre les années des éditions mais seulement les lieux d’édition. Mais en 1648, deux libraires rouennais, Jean L’Oyselet et P. de La Motte, seront les premiers à publier Jacques Mengau avec le Glorieux evenement (sic) à la Couronne Imperiale de Louis XIV (…) à présent régnant, prédit par plusieurs Saincts Pères, Sybilles, Michel Nostradamus & autres[10]. Louis XIV n’est alors âgé que de 10 ans et Louis XIII n’est mort que depuis cinq ans. C’est dans ce contexte qu’il faut situer le quatrain cryptogramme ajouté à la dixième et dernière centurie, qui renvoie à l’an 1660. Le roi est mort, vive le Roi.
Selon nous, le mot Centurie ne servira à désigner les prophéties de Nostradamus qu’à partir du XVIIe siècle. Mais ce n’est que durant quelques années qu’il se suffira à lui-même sans être associé au mot « prophétie ». On retrouve cet usage en 1627, lors du siège de La Rochelle, avec les Heureuses advantures du sieur de Soubise (…) avec les Centuries de Nostradamus, Bordeaux, Jacques du Coq.[11] C’est cet usage propre au premier tiers du XVIIe siècle qui sera repris bien plus tard, sans autre précision et ajout. Sous la Fronde, la formule « centuries de Nostradamus », s’impose . se situe en 1649 chez Mengau : « L’Horoscope de Iules Mazarin (…) expliquée (sic) des Centuries de M. Nostradamus ».[12]. En 1650, on voit paraitre à Anvers une Grande et merveilleuse prédiction (…)tirées (sic) des Centuries de Nostradamus. En 1652, Mengau fait paraitre Les Vrayes Centuries de Me Michel Nostradamus, Paris, I. Boucher. Puis c’est Jacques de Jant, dans les années 1670, qui adoptera la formule pour ses Prédictions tirées des Centuries de Nostradamus. Puis l’usage se perd jusqu’au XIXe siècle. Des érudits comme Bareste en 1840, et dans les années 1860 Torné Chavigny,y recourent.. Le XXe siècle n’y recourt que rarement avant 1990. On notera un Raoul Auclair, dans les années Cinquante : Les Centuries de Nostradamus ou le dixiéme livre sibyllin, Paris, Nouvelles Ed. Latines. L’usage ne se confirme qu’à l’approche de l’An 2000 et au début du siècle suivant, comme le montre une revue des titres du RCN de R.Benazra (Paris, 1990).
En fait, l’un des premiers à avoir lancé cette expression pourrait être Jean Aimé de Chavigny comme dans sa Prognostication de l’advenement à la Couronne de France (…) le tout tiré des Centuries & autres commentaires de M. Michel de Nostradame, Paris, Pierre Sevestre (1594/1595) également placée au titre de la Première Face du Janus François (1594), forme qui n’apparait pas dans la mouture latine du titre. Dès 1596, on précise : « Commentaires du Sr de Chavigny sur les centuries et prognostications de feu M. Michel de Nostradamus Mais dans les Pléiades, il recourt en 1603 à « Oracles » et non plus à centuries, au titre.
Ainsi, l’usage de « centuries de Nostradamus » semble remonter à Chavigny, dans les années 1590, puis est repris dans les années 1620 durant un demi-siècle environ- avant de disparaitre jusqu’à la Monarchie de Juillet et le Second Empire sans parvenir à s’imposer avant les vingt dernières années. Pour le corpus nostradamique des XVIe- XVIIe siècle, cela reste un usage localisé, le mot centurie ayant fini par devenir synonyme de prophétie, notamment chez un Jean Belot, dans les années 1620..

JHB
07.12.11


[1] Cf CATAF, n° 135
[2] Cf Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed Ramkat, 2002
[3] Bibliographie Nostradamus, n° 173
[4] Cf R. Benazra, RCN, pp. 206 et seq.
[5] Cf Benazra, RCN, pp./ 163-164
[6] Cf RCN, p. 90
[7] Cf RCN p. 156
[8] Cf RCN, p. 122
[9] Cf Benazra, RCN, pp./ 163-164
[10] Cf RCN, p ; 205
[11] Cf RCN, p. 187
[12] RCN, p. 213
 
164 - Les sources centuriques de Jean-Aimé de Chavigny
Par Jacques Halbronn

En 1594, Chavigny publie le « Janus Gallicus » qui est un recueil de quatrains issus des 10 centuries et des almanachs. Mais de quelle édition centurique a-t-il pu se servir ? Et cette édition diffère-t-elle par son contenu des éditions connues ? De quand daterait une telle édition ?
Les bibliographes ne signalent, en dehors des prétendues éditions posthumes de 1568, qui selon nous ne parurent qu’au XVIIIe siècle, aucune édition à 10 centuries avant les années 1590 mais le second volet n’est daté dans aucune des éditions conservées lequel peut fort bien avoir été ajouté par la suite, d’autant que la présentation du second volet diffère toujours de celle du premier, ce qui laisse penser que les deux volets n’ont pas été produits conjointement. En somme, le Janus Gallicus est l’attestation la plus certaine de l’existence d’un second volet, dument divisé en centuries et en quatrains.
Nous disposions déjà, au début des années 1570, avec Antoine Crespin[1] d’une première série d’éléments assez disparates appartenant au second volet mais sans numérotation.
Dans les Pléiades, en 1603, Chavigny continue à reprendre un certain nombre de quatrains dont certains issus du second volet et au Livre IV (p. 123), il reprend deux versets du quatrain 100 de la Centurie X, expressément nommée en marge, (Cent. 10., quat. 100.) mais avec une variante :
« Le grand empire sera par Angleterre
Du Prépotent des ans plus de trois cents.

La version habituelle est « Du Pempotam » dont on nous dit que le mot a été crée par Nostradamus alors que « prépotent » existe en français, à partir du latin praepotens. On peut donc penser que la forme « prépotent » est plus juste. Les commentateurs ont considéré, à juste titre, que « potam » signifiait puissance.
Toutefois, on retrouve dans l’Epitre à Henri II, ce mot « pempotam » : « Est grande cité comprenant le Pempotam la Mésopotamie de l’Europe », le mot « potam » signifiant ici fleuve. Cela nous conduit à penser que l’Epitre à Henri II aurait pu récupérer certains éléments des centuries qu’elle est censée introduire.
Mais il y a dans la même page des Pléiades un autre passage qui n’est pas numéroté que l’on peut référer à VIII, 76 :
Non Marcellin mais Roi en Angleterre
Clément, benin²

Le premier verset « classique « est :
Plus Macelin que roy en Angleterre (..) Son temps s’approche si pres que je souspire

Pour celui qui connait la version longue de l’Almanach Nouveau de Nostradamus pour1562, ce Marcellin est une vieille connaissance puisqu’il désigne le personnage sinistre qui naitra le jour de l’éclipse d’avril 1567, portant le nom d’un des saints du calendrier pour ce mois. Nostradamus propose un jeu de mots consistant à supprimer le « r » de Marcellin pour en faire Macelin, à rapprocher d’un mot signifiant boucher.
« Et ne vous veux rien mettre de l’an 1567 que dans le mois d’Avril naistra un de quelque grand Roy et monarque qui sera sa fin cruelle et sanguinolente (..) On le nommera Marcellinus mais on lui ostera de son nom l’R (..) Je suis en frayeur etc»
On connait aussi le quatrain VIII, 54 : « D’espaignolz fait second banc macelin »[2]
Quant à la suite « Clément, bénin », elle ne figure pas dans les centuries que nous connaissons..
Signalons aussi que Chavigny reprend le quatrain VI, 100 qui ne figure dans aucune édition conservée. « Fille de l’Aure etc »
Par le biais de Chavigny, nous avons accès à des données qui ne nous sont pas accessibles par ailleurs, si ce n’est par ceux qui lui emprunteront par la suite mais ce n’est en tout cas pas le cas pour ces deux quatrains du second volet.
On peut éventuellement supposer que Chavigny a eu accès à un manuscrit puisque tout imprimé dépend d’un manuscrit, à l’époque tout comme il disposait du manuscrit du Recueil des Présages Prosaïques dont on ignore s’il fut jamais imprimé bien que le manuscrit comporte jusqu’au lieu et la date prévue d’édition, Grenoble, 1589.
Mais si manuscrit, il y a, on peut aussi s’interroger sur le délai qu’il fallut pour passer au stade de l’imprimé sans que cela eut empêché pour autant Chavigny de faire paraitre son Janus Gallicus alors que les quatrains-présages des almanachs n’étaient probablement pas encore parus. On n’en connait d’ailleurs aucune édition avant 1999, par les soins de B. Chevignard (Présages de Nostradamus, Ed. Seuil) et uniquement pour les années 1550.
Nous proposons donc d’admettre que Chavigny travaille à partir de manuscrits encore inédits, du moins pour le second volet et sa description du corpus nostradamique à la fin du Brief Discours sur la Vie de Nostradamus ne préjuge pas de ce qui est ou non imprimé. On peut d’ailleurs supposer qu’il dispose aussi des centuries XI et XII, ce qui ne correspond pas à la miliade annoncée dans l’Epitre à Henri II qui semble décrire un autre état, où la centurie VII serait complète (pour faire 1000), ce qui n’est possible que par l’adjonction des 58 sixains, qui n’ont pu paraitre avant le début du XVIIe siècle, de par leur contenu signalant notamment la naissance du futur Louis XIII en septembre 1601 ainsi que l’affaire Biron (tourné en Robin). En effet Chavigny déclare que la centurie VII est incomplète mais se réfère-t-il à l’imprimé ou au manuscrit ? Il est clair en tout cas que Chavigny renvoie à un ensemble de 12 centuries non imprimé en tant que tel. On ne connait aucune édition comportant les quatrains que Chavigny présente dûment numérotés pour les centuries XI et XII./....
Le texte de Chavigny est le suivant :
« Il a escrit XII Centuries de predictions comprises brievement par quatrains, que du mot Grec il a intitulé Prophéties dont trois se trouvent imparfaites, la VII., XI. & XII. Ces deux dernières ont long temps tenu prison, en fin nous leur ouvrirons la porte. ». Cela laisse entendre que la VIIe qui fait partie du premier volet est bien parue, toute imparfaite qu’elle soit.
Avec Chavigny, nous aurions, accès au manuscrit des Centuries, comme nous avons accès à celui des manuscrits ayant servi à l’impression des almanachs et pronostications ; Dans les deux cas, il existe des variantes entre manuscrit et imprimé, qui tiennent à diverses causes, corruption du texte mais aussi ajouts ou retouches en aval.
Le cas du « Pempotam » est assez caractéristique de la production d’un barbarisme à partir d’un manuscrit recourant à un terme correct, Prépotent, qui donne aussi prépotence et est synonyme de despotisme, tyrannie.
Dans le Discours de 1594 sur l’avènement à la Couronne de France (à Dornano), Chavigny cite les quatrain à anagrammes annonçant la victoire de la maison de Vendôme (Mendosus) sur celle des Guises : IX, 45 et IX 50. Une variante est à signaler pour IX, 45 au quatrième verset :
« Piedmont, Picar. Paris, Tyrrhen le pire »
Au lieu de dans les imprimés :
« Pymond (sic), Picard, Paris, Tyrron (sic) le pire ».
Là encore, la version Chavigny semble plus correcte et chaque fois d’ailleurs, les commentateurs corrigent (cf M. Dufresne, Dictionnaire Nostradamus, 1989, Québec).

Que conclure ? Que Chavigny disposait probablement, au même titre que pour le Recueil des Présages Prosaïques, du manuscrit des 12 Centuries devant servir à l’impression, lequel manuscrit a pu être connu de quelques uns et dont il s’est servi pour réaliser son Janus Gallicus.. De quand date ce manuscrit, on l’ignore ? Nous avons un exemple de retouche du manuscrit non plus en comparant avec la production de Chavigny mais en se référant à la Guide des Chemins de France de Charles Estienne, avec le quatrain IX, 86 où Chastres aura été remplacé, au premier verset, par Chartres pour correspondre au lieu de couronnement d’Henri IV.
Comme nous le laissions entendre plus haut, l’Epitre à Henri II ne correspond pas à une description comportant 12 centuries. Là encore, décalage entre le manuscrit et l’imprimé dont rend compte a posteriori la dite Epitre, nécessairement postérieure à 1594, où l’on parlait des 12 centuries. Cette Epitre au Roi est signalée et commentée- c’est le tout premier commentaire que nous connaissions d’une épitre centurique - dans les Pléiades : Livre I (pp. 11-12) : « En l’espistre sur les centuries 8. 9. & 10. adressée au Roy Henry II. ou le Vaticinateur promet escrire des choses de nostre siecle & temps où nous sommes, il dit cecy qui fait bien à remarquer. ».Là encore, des variantes assez mineures mais à relever :
« Lors seront deux Seigneurs en nombre d’Aquilon, victorieux sur les Orientaux & sera par iceux fait si grand bruit & tumulte bellique que tout l’Orient tremblera de frayeur d’iceux freres non freres Aquilonaires »
A comparer avec le texte de l’édition 1568 qui est défectueuse par rapport aux autres éditions connues qui sont sensiblement plus proches du texte repris dans les Pléiades :
« & seront lors les Seigneurs deux en nombre d’Aquilon victorieux, sur les orientaux & sera en iceux faict si grand bruict & tumulte bellique que tout iceluy orient tremblera de l’effrayeur d’iceux freres non freres Aquilonaires »
Si l’on compare Benoist Rigaud 1568 et héritiers Rigaud, on note que cette dernière édition est beaucoup plus proche de la version Chavigny. Rigaud 1568 est une version corrompue d »Héritiers Rigaud s.d. l’édition fac simile Chomarat comporte les mêmes vignettes pour les 2 volets que celle des Héritiers Benoist Rigaud. Bien loin d’être une première édition, c’est une édition tardive et ce ne sont pas des archaïsmes qui la caractérisent mais des corruptions.
La forme « l’effrayeur » est commune à toutes les éditions 1568. Même l’édition Pierre Rigaud 1566 comporte « frayeur ». Les éditions troyennes ont la forme « frayeur « ; L’édition Cahors 1590 comporte aussi « frayeur ».
La comparaison entre l’édition 1568 de l’Epitre à Henri II et d’autres éditions fait apparaitre un certain nombre de particularités :, les nombreux textes en latin qui truffent l’épitre ne sont pas présentés avec une police spécifique comme cela se pratiquait au XVIe siècle, à une exception près, ce qui montre que le modèle- vraisemblablement une édition Héritiers Benoist Rigaud, non datée, en comportait. Nous reviendrons plus en détail dans une autre étude sur ce point.
Il semble donc qu’en 1603, Chavigny ait adopté la formule à dix centuries apparemment entérinée par la dite Epitre- en réalité il s’agit d’une interpolation - et il signale par la même occasion explicitement la parution du second volet et des centuries VIII, IX et X. Il ne dit mot des 58 sixains qui auraient pu venir compléter la centurie VII jugée incomplète dans le Brief Discours. Quel arrangement aura été trouvé pour justifier la mention d’une « miliade » ?.La première mention des sixains date de 1610, dans un passage du Mercure François. Les sixains sont marqués par les premières années du XVIIe siècle. Peut-on exclure que la première édition des sixains soit concomitante de celle de l’épitre à Henri II et de la parution des Pléiades en 1603 ?
Rappelons le texte de l’Epitre : « consacrer ces trois Centuries du restant de mes Propheties parachevant la miliade ».
Bien évidemment, l’Epitre (datée de 1605) à Henri IV est plus tardive mais elle n’est nullement indispensable. On peut s’être contenté, au départ, de la formule du manuscrit signalée plus haut, assez proche, au demeurant, de celle utilisée par Morgard quand il éditera les 58 sixains séparément. Elle n’aura sa raison d’être qu’après qu’il aura été décidé de placer les sixains en position de troisième livret, donc non pas avant les Centuries VIII-X mais après.
En ce qui concerne l’Epitre à Henri II, nous pensons que Chavigny a pu avoir récupéré divers brouillons d’épitres de Nostradamus et qu’on les a combinés pour produire l’Epitre à Henri II. En effet, la dite épitre est visiblement constituée de deux versions successives que l’on aira mises bout à bout. Le caractère double de cette épitre a été signalé par certains chercheurs comme Theo Van Berkel, notamment à propos de la double chronologie qui s’y trouve mais cela fera l’objet d’une prochaine étude.

JHB
08. 12.12

[1] Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus, 2002
[2] Signalé marcelin par erreur in Dictionnaire Nostradamus de M. Dufresne, 1989, p. 222
 
165 - Nostradamus et les Chroniques historiques. Le modèle Carion.
Par Jacques Halbronn

Dans une précédente étude «Les centuries et l’Angleterre. La question des sources « (sur le site Espace Nostradamus, ramkat.free.fr) nous avions montré que certains quatrains pouvaient s’être inspirés de l’ Epître des Champs Elysées au Roi d’Angleterre de Jean Bouchet, parue chez Macé Bonhomme en 1544.. Nous y trouvions l’origine du quatrain IX, 49 relatif au Sénat de Londres. Rappelons qu’une édition des Prophéties porte référence à ce même libraire lyonnais pour l’année 1555/ Il s’agissait là d’un texte en rapport avec Henri VII.
Certains chercheurs se sont demandés pourquoi certains quatrains des Centuries concernaient des périodes nettement antérieures au temps de Nostradamus. La question est de savoir si la composition de certains quatrains ne tient pas à une source principale et si certains passages n’ en ont pas été directement récupérés. Nous n’aborderons pas ce point dans la présente étude et nous contenterons de signaler la piste Carion du fait du profil singulier de ce personnage dont Lucas Cranach nous a laissé le portrait.
Nous pensons que cela pourrait tenir, en particulier, au prestige de cet astrologue berlinois, dont le nom devait avoir été Nägelein[1]. . En effet, Carion s’était fait connaitre par des Chroniques de Jean Carion philosophe, avec les faictz et gestes du roy François, jusques au règne du roy Henry deuxième de ce nom, à présent régnant, traduit en françois par maistre Jean Le Blond, lesquelles furent notamment traduite en français dès les années 1540, sous le règne de François Ier et qui couvre toute l’Histoire de l’Humanité connue alors. Ces Chroniques furent notamment utilisées au service d’une eschatologie protestante[2] :
Chronique et histoire universelle contenant les choses mémorables avenues ès quatre souverains Empires, royaumes, républiques et au gouvernement de l'Eglise depuis le commencement du monde jusques à l'Empereur Charles cinquiesme, dressée premièrement par Jean Carion puis augmentée... par Philippe Melancthon et Gaspar Peucer, et réduite en cinq livres traduits du latin en françois, plus deux livres ajoutés de nouveau aux cinq autres, comprenant les choses notables avenues sous l'empire de Charles V, Ferdinand 1er et Maximilian II. Paris, J. Berjon, 1579
Nous pensons qu’un lien puissant existe entre chronologie et prophétie, notamment pour déterminer si l’on s’approche de la fin du monde. Nous en avions traité dans notre ouvrage sur la prophétie des Papes de Saint Malachie (Papeset prophéties, Ed Axiome 2005) et dans le Janus Gallicus, les chronologies sous tendent le commentaire des quatrains. En fait, il semble que les chroniques aient un double emploi : elles servent d’autant plus à décrypter certains textes qu’elles les ont inspirés au départ.
Notre hypothèse, qui reste à vérifier dans le détail, serait que Nostradamus se serait amusé à mettre en quatrains certains passages de la dite Chronique sans la moindre intention prophétique ou prédictive et qu’ayant retrouvé ceux-ci, on les aurait intégré dans des centuries. En outre, dans l’épitre à Henri II, l’on trouve pas moins de deux chronologies.
Plusieurs éléments étaient notre propos.
Le fait que Nostradamus ait, en 1553, appelé un de ses fils César le rapproche du monde allemand, « impérial ». (Kayser)
Carion est l’auteur de publications astrologiques également traduites en français et couvrant plusieurs années, comme cette « Pronostication nouvelle » parue à Anvers :
Pronostication ou signification et manifestation des influences des véritables cooi
Cours célestes (…) calculée sur douze ans parlant de tous
pays & estats comme vous verrez cy après en ceste
Pronostication nouvelle,(BNF Res V 1902)

On notera chez Carion l’emploi de la forme « Pronostication nouvelle », que Nostradamus utilisera à maintes reprises (1555, 1557, 1558, 1562), y compris dans son « Almanach nouveau » (1562)

Carion y écrit en 1528 :
« Multitude de prophéties & pronostications, l’ung dict cecy, l’autre dict cela & plusieurs se meslent
De prophétiser hors de leur propre teste & les autres sans quelque fondement. Par quoy n’est pas advenu grand-chose de toute leur prophétie (…) les imprimeurs & vendeurs les contreuvent & les vendent au peuple (…) donnant au livre un grand tiltre de plusieurs matières (…) les acheptant le peuple est trompé »

Carion accorde une grande importance aux éclipses qui lui servent de fil directeur année après année.
Il introduit y compris dans sa Chronologie des considérations prophétiques, en appendice, évoquant carrément la fin du monde..
« L’abbé Joachim : Un grand Aigle viendra qui vaincra tous fors un lequel finalement condamné sera délaissé du peuple » ( p. 229 ). On y trouve d’ailleurs mention du nom de Lichtenberger.Notons toutefois que les Chroniques ont fait l’objet d’additions qui ne sont pas nécessairement de Carion lui-même.[3]
Au niveau iconographique, certaines éditions françaises comportent une vignette qui a pu inspirer celle qui figure sur la page de titre des almanachs de Nostradamus. Elle est entourée chez Nostradamus d’une frise zodiacale assez semblable à celle qui figure sur une édition française d’une Pronostication de Carion. Plusieurs hypothèses ont été proposées sur l’origine de cette vignette mais la piste Carion ne doit pas être négligée. Le personnage représenté est imberbe mais porte le même couvre chef. Ce qui nous intéresse, c’est la source directe et de préférence avec un faisceau d’indices convergents.

Carion se sert de quatrains dans sa Chronique, qui sont rendus par son traducteur Jean Le Blond comme celui relatif au saccage de Rome en 1527:
« Le nombre des ans est compris en ce quatrain
Après l’esmotion des allemand paysans
Et prinse des Françoys tout justement deux ans
Par le duc de Bourbon Rome fut assiégée
Et des gens de César destruite & saccagée »

Ainsi que :
« Paris fils de Priam plus que nul de sa race
Est du grand Iuppiter en hayne & malegraces
Mais le bon prince Aenée & sa posterité
Sera sus tous Troyens en grande authorité » (fol . 235 v)
Nous avons rappelé récemment ce que l’almanach nostradamique devait au Kalendrier des Bergers mais il convient aussi de signaler le quatrain de l’astrologue allemand Regiomontanus ( alias Johann Müller) à propos de l’an 1588[4]H,

JHB
11/12 12

[1] Reiner Reisinger. Historische Horoskopie. Das iudicium magnum des Johanns Carion für Albrecht Düreres Patenkind. Harrassowitz Verlag 1997, pp. 296 et seq
[2] A. H. Williamson, Apocalypse then. Prophecy and the making of the Modern World, 2008
[3] Cf article Wikipedia sur Johann Carion.
[4] Cf J. Halbronn « L’exegese prophetique de la Revolution sous la Monarchie de Juillet, Politica Hermetica n°8 1994, Prophétisme et politique.
 
166 - Nostradamus et les « prophéties » mal nommées
Par Jacques Halbronn

Comment qualifier les « Centuries », à quel genre cet ouvrage appartient-il ? Le nom de « prophéties » a souvent été utilisé du moins jusqu’au XVIIIe siècle, pour les désigner. A la fin du XVIe siècle, quand elles font leur apparition imprimée, elles sont aussi qualifiées de « Prédictions ». Mais ne s’agit-il pas là d’un malentendu ? D’ailleurs en 1594, Jean-Aimé de Chavigny préfère parler de l’Histoire de ce qui s’est passé de 1534 à 1589, pour qualifier son « Janus François » (Janus Gallicus). En fait, il semble bien que les « centuries » s’inscrivent, du moins au regard de l’époque, au sein de la production historique. Or, le seul fait d’appeler « prophéties » ces centuries induit le lecteur à percevoir les quatrains comme des représentations du futur./.
Il y a là un problème d’ordre épistémologique, en un temps où la Sociologie n’est pas encore distincte de l’Histoire – elle ne le deviendra qu’au XIXe siècle, notamment avec Auguste Comte. Or, la sociologie a une vocation prédictive que n’est pas censée assumer l’Histoire. Donc en plein XVIe siècle, l’Histoire n’a pas renoncé à être une « sociologie » et par voie de conséquence à faire appel à l’astrologie qui quelque part préfigure l’émergence de la sociologie.
Par ailleurs, l’Histoire ne s’est pas détachée alors des fables, de la mythologie, des Saintes Ecritures. D’où à nouveau un certain risque de confusion par anachronisme.
Il n’y aurait donc pas de raison de s’étonner d’avoir affaire à une Histoire à double visage- ce que Chavigny décrit fort bien avec le recours à l’image du Janus. L’Histoire est rétrospective mais aussi rêve d’être prospective. L’Académie Royale des Sciences, fondée par Colbert, en 1566, ne pardonnera pas à l’Histoire une telle ambivalence aux dérives embarrassantes et ne l’acceptera pas en son sein pas plus d’ailleurs que l’Astrologie.
Dans une précédente étude «Les centuries et l’Angleterre. La question des sources « (sur le site Espace Nostradamus, ramkat.free.fr) nous avions montré que certains quatrains pouvaient s’être inspirés de l’ Epître des Champs Elysées au Roi d’Angleterre de Jean Bouchet, parue chez Macé Bonhomme en 1544.. Nous y trouvions l’origine du quatrain IX, 49 relatif au Sénat de Londres. Rappelons qu’une édition des Prophéties porte référence à ce même libraire lyonnais pour l’année 1555/ Il s’agissait là d’un texte en rapport avec Henri VII.
Certains chercheurs se sont demandés pourquoi certains quatrains des Centuries concernaient des périodes nettement antérieures au temps de Nostradamus. La question est de savoir si la composition de certains quatrains ne tient pas à une source principale et si certains passages n’ en ont pas été directement récupérés. Nous n’aborderons pas ce point dans la présente étude et nous contenterons de signaler la piste Carion du fait du profil singulier de ce personnage dont Lucas Cranach nous a laissé le portrait.
Nous pensons que cela pourrait tenir, en particulier, au prestige de cet astrologue berlinois, dont le nom devait avoir été Nägelein[1] (1499.-1537) . En effet, Carion s’était fait connaitre, d’abord en allemand en 1533, puis en 1546 en France (Paris, L’Angelier, BNF) par des Chroniques de Jean Carion philosophe, avec les faictz et gestes du roy François, jusques au règne du roy Henry deuxième de ce nom, à présent régnant, traduit en françois par maistre Jean Le Blond, lesquelles furent notamment traduite en français dès les années 1540, sous le règne de François Ier et qui couvre toute l’Histoire de l’Humanité connue alors. Ces Chroniques dédiées à Joachim Margrave de Brandebourg, furent notamment utilisées au service d’une eschatologie protestante[2] :
Chronique et histoire universelle contenant les choses mémorables avenues ès quatre souverains Empires, royaumes, républiques et au gouvernement de l'Eglise depuis le commencement du monde jusques à l'Empereur Charles cinquiesme, dressée premièrement par Jean Carion puis augmentée... par Philippe Melanchton et Gaspar Peucer, et réduite en cinq livres traduits du latin en françois, plus deux livres ajoutés de nouveau aux cinq autres, comprenant les choses notables avenues sous l'empire de Charles V, Ferdinand 1er et Maximilian II. Paris, J. Berjon, 1579
Nous pensons qu’un lien puissant existe entre chronologie et prophétie, notamment pour déterminer si l’on s’approche de la fin du monde. Nous en avions traité dans notre ouvrage sur la prophétie des Papes de Saint Malachie (Papes et prophéties, Ed Axiome 2005) et dans le Janus Gallicus, les chronologies sous tendent le commentaire des quatrains. En fait, il semble que les chroniques aient un double emploi : elles servent d’autant plus à décrypter certains textes qu’elles les ont inspirés au départ.
Notre hypothèse, qui reste à vérifier dans le détail, serait que Nostradamus se serait amusé à mettre en quatrains certains passages de la dite Chronique sans la moindre intention prophétique ou prédictive et qu’ayant retrouvé ceux-ci, on les aurait intégré dans des centuries. En outre, dans l’épitre à Henri II, l’on trouve pas moins de deux chronologies.
Plusieurs éléments étaient notre propos.
Le fait que Nostradamus ait, en 1553, appelé un de ses fils César le rapproche du monde allemand, « impérial ». (Kayser)
Carion est l’auteur de publications astrologiques également traduites en français et couvrant plusieurs années, comme ce texte paru à Anvers[3] en 1528, donc avant les Chroniques :
Prognostication ou signification et manifestation des influences des véritables cours célestes, composée par le très excellent maistre Joannis Carionis Bretilraymensis et calculée sur douze années depuis 1529 jusqu'en 1540 de tous pays et états comme vous verrez et après en cette prognostication nouvellement traduite d'allemand en français ( BNF Res V 1902),

Carion y écrit en 1528 :
« Multitude de prophéties & pronostications, l’ung dict cecy, l’autre dict cela & plusieurs se meslent De prophétiser hors de leur propre teste & les autres sans quelque fondement. Par quoy n’est pas advenu grand-chose de toute leur prophétie (…) les imprimeurs & vendeurs les contreuvent & les vendent au peuple (…) donnant au livre un grand tiltre de plusieurs matières (…) les acheptant le peuple est trompé »

Carion accorde une grande importance aux éclipses qui lui servent de fil directeur année après année. Il semble qu’éclipse de 1540 lui ait semblé une échéance importante[4] . Roger Prévost a signalé que certains quatrains des centuries se référaient à celle-ci (III, 5)[5]. Il évoque cette éclipse dans l’appendice de son almanach pour 1567, dont on a la version italienne (cf sur propheties.it) Il introduit y compris dans sa Chronologie des considérations prophétiques, en appendice, évoquant carrément la fin du monde..
« L’abbé Joachim : Un grand Aigle viendra qui vaincra tous fors un lequel finalement condamné sera délaissé du peuple » ( p. 229 ). On y trouve d’ailleurs mention du nom de Lichtenberger. Notons toutefois que les Chroniques ont fait l’objet d’additions qui ne sont pas nécessairement de Carion lui-même.[6]
Au niveau iconographique, certaines éditions françaises comportent une vignette qui a pu inspirer celle qui figure sur la page de titre des almanachs de Nostradamus. Elle est entourée chez Nostradamus d’une frise zodiacale assez semblable à celle qui figure sur une édition française d’une Pronostication de Carion. Plusieurs hypothèses ont été proposées sur l’origine de cette vignette mais la piste Carion ne doit pas être négligée. Le personnage représenté est imberbe mais porte le même couvre chef. Ce qui nous intéresse, c’est la source directe et de préférence avec un faisceau d’indices convergents.

Carion se sert de quatrains dans sa Chronique, qui sont rendus par son traducteur Jean Le Blond comme celui relatif au saccage de Rome en 1527:
« Le nombre des ans est compris en ce quatrain Après l’esmotion des allemand paysans Et prinse des Françoys tout justement deux ans Par le duc de Bourbon Rome fut assiégée Et des gens de César destruite & saccagée »

Ainsi que :
« Paris fils de Priam plus que nul de sa race Est du grand Iuppiter en hayne & malegraces Mais le bon prince Aenée & sa posterité Sera sus tous Troyens en grande authorité » (fol . 235 v)
Nous avons rappelé récemment ce que l’almanach nostradamique devait au Kalendrier des Bergers mais il convient aussi de signaler le quatrain de l’astrologue allemand Regiomontanus ( alias Johann Müller) à propos de l’an 1588 qui connaitra une fortune remarquable jusqu’à la Révolution Française[7].

Quand un quatrain est relatif à un événement bien antérieur au temps de Nostradamus, cela ne montre-t-il pas que nous n’avons pas affaire à un ouvrage purement prospectif ou même qui décrirait le passé pour annoncer le futur ? Il est vrai que les épitres placées en tête des centuries contribuaient délibérément à entretenir la confusion. Ce n’est que récemment que certains chercheurs comme Pierre Brind’amour ont signalé l’erreur sur la marchandise.

JHB
12/12 12

[1] Reiner Reisinger. Historische Horoskopie. Das iudicium magnum des Johanns Carion für Albrecht Düreres Patenkind. Harrassowitz Verlag 1997, pp. 296 et seq
[2] A. H. Williamson, Apocalypse then. Prophecy and the making of the Modern World, 2008
[3] Cf notre recension sur Carion, in CATAF, en ligne sur grande-conjonction.org, n° 1184
[4] Cf Jonathan Green. Printing and Prophecy. Prognostications and media changes, (1450-1550) 2011, pp. 55 et seq
[5] Nostradamus, le mythe et la réalité. Un historien parle au temps des astrologues, Paris, R. Laffont, 1999, P ; 124
[6] Cf article Wikipedia sur Johann Carion.
[7] Cf J. Halbronn « L’exegese prophetique de la Revolution sous la Monarchie de Juillet, Politica Hermetica n°8 1994, Prophétisme et politique. Cf aussi « Pierre du Moulin et le thème du pape Antéchrist, in Formes du millénarisme en Europe à l’aube des temps modernes, dir JF Fanlo et A. Tournon, Paris H. Champion, 2001
 
167 - Les centuries et l’épopée lorraine du François de Guise
Par Jacques Halbronn

Quelle est la place des Guises dans les Centuries ? Est-celle que leur reconnait le JanuLe Janus Gallicus ou les divers commentateurs qui ont suivi ?
Le duc François de Guise est un véritable héros dont on national dont on
On ne se lasse pas de narrer les exploits et cependant il n’est guère présent dans le
Janus Gallicus lequel, du moins en son titre, entend relater l’Histoire de
France depuis 1534. C’est dans les années 1550 que le duc sera le plus
Brillamment illustré, notamment à l’occasion du siège de Metz, en 1552
Face à Charles Quint. Or, Chavigny n’en dit mot. Est-ce que l’événement ne
Figurait point dans les centuries mais dans ce cas quelle lacune !..
Pourtant un quatrain semble approprié pour célébrer l’expédition
Lorraine (à l’époque Strasbourg était considéré comme se trouvant en Lorrain
comme cela est indiqué dans les récits de l’époque, il s’ contemporains)
s’agit de VII, 29
« Le grand duc d’Albe viendra rebeller (…) Le grand de Guise le viendra debeller
Grand de Guise le viendra debeller »
Nous ne pensons pas nécessaire de restituer
l’intégralité du quatrain car nous pensons que dans
bien des cas, on est en face d’interpolations qui
préservent, du moins en partie, la couche première.
Initiale. Il s’agit selon nous des tentatives vaines de la part
de la part Du Duc d’Albe, au nom de l’empereur, pour
s’emparer de Metz ville que les Français
occupent.
C’est le même duc de Guise qui reprendra, par la
La suite Calais aux Anglais, vestige de la Guerre de Cent Ans.
De Cent Ans.
Or, le dit quatrain est associé par certains à une
expédition romaine du dit duc au cours de
laquelle en 1557, il s’affrontera à nouveau au duc d’Albe, événe
Dans des circonstances sensiblement moins
glorieuses mais également absentes du Janus
Gallicus.Or, il apparait que c’est à ces derniers événee
événements que l’on voudrait que l’on associât
le dit quatrain VII ; 29 (cf J. P. Clébert, Prophéties
De Nostradamus, Ed Dervy, 2003, pp. 815-816) :
« En 1556, le roi de France l’envoya (le duc de Guise)
Guise en Italie (…) le duc d’Albe mit fin à
l’expédition par une victoire à la Pyyrhus, se dérobant dev
dérobant devant l’ennemi ». Le duc de Guise ne
parviendra pas à s’emparer de Naples et ce sera
une revanche pour le duc d’Albe qui avait été
incapable de reprendre Metz, cinq ans plus tôt au dit duc .
aux mains du Duc de Guise.
L’écho de la victoire de Metz est resté
mémorable. Peu après parait, chez Charles
Estienne, « Le siege de Mets en l’an MDLII »
(Bibl Arsenal 4 H 2798) et l’on connait un
passage de la Chronique de Carion – ou plutôt dans les
des additions consacrée au règne d’Henri II – et qui ne
qui ne sont pas de Carion, mort en 1537- qui fait ainsi l’objet d’un
l’objet d’un tirage spécifique en 1847.
En tout état de cause, l’échec par le duc d’Albe
resta un événement majeur et qui d’ailleurs sera une des causes de l’abdication
serait une des causes de l’abdication
de Charles Quint, on a du mal à comprendre
Pourquoi cette première confrontation entre
les deux ducs a été gommée au profit de la seconde.
seconde. On peut se demander s’il n’y a pas
eu là une interprétation biaisée de ce quatrain dans l’in
par l’intérêt des Espagnols, sous la Ligue, dans
cette centurie VII assez tardive..
Mais qui est à l’origine de cette interprétation ?
On ajoutera que l’intérêt de préférer Naples à Metz t
Metz tient au fait que Metz est antérieure à la parution
supposée des premières centuries en 1555 alors que l
l’expédition italienne leur serait postérieure.
Or, selon nous, Nostradamus s’inspira de certaines
Chroniques, dont probablement celles initiées par Caron
par Caron pour composer des quatrains qui n’avaient rien
n’avaient, au départ, rien de prophétique mais qui mettaient en rimes l’Histoire de l
qui entendaient illustrer ‘ Histoire de la France. Metz a lieu sous le régne de Charles . Dans une
Dans un étude intitulée « Élection du pape Paul IV pro frta-français (1555) et Contre-attaque de Philippe II (1556): V-46

par Koji Nihei Daijyo
Français (1555) /Contre-attaque de Philippe
II (1556). Quatrain V, 46, « Koji
Nihei Daijyo (sur le site du CURA) affirme que
ne figure pas un seul quatrain célébrant Metz, ce .
ce qui signifierait, selon cet auteur, que les centuries auraient été
Centuries auraient été rédigées avant le
voyage allemand de 1552-1553/
Selon nous « rebeller » signifie ici protester
et « debeller » repousser, ce qui décrit bien lasituation à Metz, des parties en présence.
parties en présence.


JHB
13. 12. 12
 
168 - Les centuries et le duc François de Guise
Par Jacques Halbronn

Le duc François de Guise est un véritable héros national dont on
ne se se lasse pas de narrer les exploits au cours des années
1550 et cependant il n’est guère présent dans le
Janus Gallicus lequel, du moins en son titre, entend relater l’Histoire de
l’Histoire de la France pour ces années là au cours
desquelles, le duc se sera brillamment illustré, notamment à l’occasion du siége de Metz, en 1552
face à face avec Charles Quint et à son capitaine général, le duc
duc d’Albe.. A contrario, le réformé Louis de Bourbon,
prince du sang, est omniprésent dans le dit commentaire, même si c’est
c’est surtout de façon négative.
Pourtant un quatrain semble, selon nous, approprié pour célébrer l’expédition
les succcés lorrains d’Henri II[1] :
VII, 29
Le grand duc d’Albe viendra rebeller (…)
Le grand de Guise le viendra debeller

Nous ne pensons pas nécessaire de restituer
l’intégralité du quatrain car nous pensons que dans
bien des cas, on est en face d’interpolations qui
préservent, du moins en partie, la couche première.
Il s’agit selon nous des tentatives vaines de la part
Du Duc d’Albe, au nom de l’empereur, pour
s’emparer de Metz villle que les Français occupent.
C’est le même duc de Guise qui reprendra, par la
suite Calais Aux Anglais, vestige de la Guerre de Cent Ans.
Cent Ans.
Or, le dit quatrain est associé par certains à une
expédition romaine du dit duc au cours de laquelle en 1557, il s’affrontera à nouveau au duc d’Albe,dans des circonstances sensiblement moins
glorieuses mais également absentes du Janus
Gallicus.Or, il apparait que c’est à ces derniers
événements que l’on voudrait que l’on associât
le dit quatrain VII ; 29
« En 1556, le roi de France l’envoya (le duc de Guise)
Guise en Italie (…) le duc d’Albe mit fin à
l’expédition par une victoire à la Pyyrhus, se dérobant
devant l’ennemi ». Le duc de Guise ne
parviendra pas à s’emparer de Naples et ce sera
une revanche pour le duc d’Albe qui avait été
incapable de reprendre Metz, cinq ans plus tôt au dit duc .
Duc de Guise.[2]
L’écho de la victoire de Metz est resté
mémorable. Peu après parait, chez Charles
Estienne, « Le siege de Mets en l’an MDLII »
(Bibl Arsenal 4 H 2798) et l’on connait un passage
de la Chronique de Carion – ou plutôt dans les
additions consacrée au régne d’Henri II – et qui ne
sont pas de Carion- qui fait ainsi l’objet d’un
tirage spécifique en 1847.
En tout état de cause, événement majeur et
qui d’ailleurs sera une des causes de l’abdication
de Charles Quint, on a du mal à comprendre
Pourquoi cette première confrontation entre
les deux ducs a été gommée au profit de la seconde.
seconde. On peut se demander s’il n’y a pas
eu là une interprétation biaisée de ce quatrain dans l’intérêt des Espagnols, sous la Ligue, dans cette centurie VII assez tardive..
On ajoutera que l’intérêt de préférer Naples à Metz
tient au fait que Metz est antérieure à la parution
Supposée des premières centuries en 1555 alors que l’expédition italienne leur serait postérieure.
Or, selon nous, Nostradamus s’inspira de certaines
Chroniques, dont probablement celles initiées par Caron
Caron pour composer des quatrains qui n’avaient rien
de prophétique mais qui mettaient en rimes l’Histoire de
la France. Metz a lieu sous le régne de Charles
Quint et Naples sous celui de Philippe II[3]. Dans une
Etude intitulée « Élection du pape Paul IV profrançais (1555) et Contre-attaque de Philippe II (1556): V-46

par Koji Nihei Daijyo
IV pro-français (1555) /Contre-attaque de Philippe
II (1556). Quatrain V, 46, « Koji Nihei Daijyo sur le site du CURA) affirme que
Le fait que ne figure pas De quatrains célébrant Metz.
montre que l’événement avait déjà eu lieu et n’avait
Donc pas à être prophétisé. Le nostradamologue
Japonais situe donc la rédaction des centuries après 1552
1553/1553, oubliant la dimension historiciste
et rétrospective du projet centurique, outre le fait que
.qu’une telle affirmation quand à l’absence de quatrain
Quatrain sur Metz nous semble très contestable.
C’est l’option que prit en 1656 Giffrré de Réchac, dans
Dans son Eclaircissement des véritables quatrains
De Maistre Miche Nostradamus[4] et rendue en anglais en 1672 par Theophie de Garencières, dans *The True
True Prophecies and Pronostications (p/. 287)
En fait, l’exégése des Centuries s’est trouvée
bloquée jusqu’au XXe siècle par la nécessité de
relier les centuries à des événements postérieurs à
1555, au plus tôt. Mais pourquoi dans ce cas le Janus
Gallicus se référe-t-il à 1534 ? Nous pensons tout au
contraire qu’initialement les quatrains centuriquesavaien avaient
Centuriques avaient vocation à illustrer l’Histoire de
La France, sauf ceux qui étaient relatifs à
L’Antéchrist dont le régne était annoncé pour bientôt/.
A partir de 1555, il revenait aux quatrains des almanachs de
Almanachs de faire l’objet d’un bilan prophétique
concernant Nostradamus

JHB
13. 12/ 12

[1] P. Lemesurier, Nostradamus/ The ilustrated Prophecies, 2003, p. 258 commente ce quatrain “entirely unknown incident”
[2] cf J. P. Clébert, Prophéties de Nostradamus, Ed Dervy, 2003, pp. 815-816) :
[3] J. Habronn, « Remontrances à un ami nostradamologue à ses heures », Espace Nostradamus , site ramkat.free.fr
[4] Voir notre post doctorat, Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamique,
Site propheties.it
 
169 - Nostradamus : le Prince et le Prophète
par Jacques Halbronn

Le fait que César ait été le nom dévolu à l’un des fils de No
Nostradamus pourrait constituer une information utile
pour déterminer le modèle qui a pu inspirer l’idée même de
de Préface à César laquelle sera par la suite placée
En tête des premières Centuries mais qui semble d’abord
avoir eu une dimension testamentaire.
Nous avions précédemment signalé toute une série de précéden
précédents concernant ce genre d’épitre adressée par un
un père à son fils[3] mais ce qui importe, c’est de trouver une sour, .
la source directe et non la source de la source.
Une piste assez vraisemblable pourrrait être le testament de
« testament politique » de l’empereur (César) Charles Quint, ce qui expliquerait le choix du no..
Ce document rédigé le 18 janvier 1548, à Augsbourg
s’intitule, dans la traduction française d’Antoine
Teissier de 1699[4], « Instruction de Charles V à
Philippe II son fils ». On ignore à quelle date le
texte fut publié et si Nostradamus a pu en avoir
connaissance mais cela nous semble assez
vraisemblable. Charles Quint meurt en 1558, l’année
de l’Epître à Henri II et s’était retiré en octobre 1555, l’année de la Préface à César. Rappelons que selon
nous les textes de Nostradamus ont été rédigés bien plus tard.
Si le prénom de César peut être un hommage à l’empereur « romain », Nostradamus avait fréquenté
à Agen Jules César Scaliger, dans les années 1530 accueille Nostradamus lequel le comparera à un « Plutarque ».
Nous n’en suivrons pas moins la piste « impériale ». Le
Le texte en question est dans la ligne du Prince de
Machiavel et Charles Quint y formule en effet son
idée du Prince. Et le parallèle avec le Prophète n’est
pas sans intérêt surtout lorsqu’il s’agit d’un personnage
personnage comme Charles Quint qui est concerné
au premier chef par l’ordre du monde.
On trouve en effet un certain parallèle entre l’intérêt
de Nostradamus pour le destin des différents états et
celui de l’empereur. Dans son Instruction, ce dernier
passe en revue chaque pays comme cela se pratique
dans les pronostications. D’ailleurs Charles Quint
n’hésite pas à se projeter dans le futur de l’Europe. :
-« J’aurais à vous parler (…) en particulier de chaque Etat de ce pays »

Mais l’on retiendra le ton paternel qui lie les deux
: textes avec la récurrence de la même apostrophe :
: Ne vous imaginez pas, mon tres cher Fils »,
« J’ai résolu mon très cher fils » (..) « Je m’y suis aussi porté par la consideration de votre âge qui est meur (mür) pour la conduite d’un Etat « (…) Tous ces motifs m’ont déterminé à mettre sur vos épaules ce pesant fardeau & en décharger les miennes (…) Il faut maintenant, mon très cher Fils, qu’avec la même tendresse & le même amour
paternel (..) je vous exhorte d’avoir sur toutes choses,
devant les yeux, la crainte de Dieu & son saint
service »’(p. 4)
Quelque part, Nostradamus entendait préparer son fils au
métier de prophète comme Charles Quint au sien au
métier de prince, ce qui est d’ailleurs le sens du testament
que Nostradamus rédige en 1566, dans lequel il déclare qu’il ne sait pas encore lequel de ses fils lui succédera dans sa charge d’astrologue.
.L’histoire du prophétisme campe cette dualité du monarque et du prophète[5]. On a le sentiment que Nostradamus aurait souhaité être l’astrologue de l’empereur plus encore que du roi de France. Nous avons signalé, dans un autre texte, l’influence que pourrait avoir exercé le berlinois Jean Carion sur Nostradamus, lui qui était célébré pour ses talents d’historien et pas seulement d’astrologue, ce qui expliquerait le recours à des chroniques rendues sous la forme de quatrains...
A la mort d’Henri II durant l’Eté 1559, Nostradamus a pu se sentir orphelin, le royaume tombant en quelque sorte, de facto, en quenouille du fait du jeune âge des fils du roi défunt. Or, c’est alors que Nostradamus entre dans le costume du prophète, qu’il enfourche le thème de l’Antéchrist, qu’il annonce de terribles événements pour la fin de la décennie 1560.
Ajoutons que, selon la correspondance de Nostradamus, qui avait fait l’objet d’un recueil manuscrit Clarorum Virorum Epistolae ad D. D. Michaelem Nostradamum etc (cf J. Dupébe, Nostradamus. Lettres inédites, Droz, 1983), les contacts-en latin- de celui-ci avec le monde allemand étaient d’importance, sur le plan de sa clientèle, à l’instar de Johannes Rosenberg ou de Laurent Tubbe..
En outre, Nostradamus est un lecteur de Leovitius
dont les œuvres (Eclipsium et Ephemeridum)
paraissaient avec le privilège impérial.(cf. sa lettre à
Rosenberg du 15 octobre 1561, de Salon : « Si
Leowitz vous rend visite, n’oubliez pas
de le saluer de ma part » Dans une lettre à Lobetius datée
du 5 août 1565, donc peu avant sa mort,
Nostradamus, apparait comme étant en contact
avec des proches du successeur de Charles Quint, à
l’Empire, Ferdinand Ier de Habsbourg et exprime le
souhait « que la Majesté de César en soit
contente »(cf Dupébe, pp. 166 et seq)

JHB
18. 12.12

[1] .(voir les travaux de Theo Van Berkel à ce sujet).
[2] (Nostradamus le mythe et la réalité, Paris, Laffont, 1999, p. 53) ;
[3] Voir dans la série des Halbronn’s researches, propheties.it
[4] Instructions de l’empereur Charles V à Philippe II Roi d’Espagne, Berlin Robert Roger 1699 Ars 8° H 14627, 1700 La Haye 8° H 14628
[5] Cf Le texte prophétique en France. Formation et fortune, Ed du Septentrion, 1999
 
170 - Autour de la seconde chronologie de l’Epitre à Henri II
Par Jacques Halbronn

L’on se perd en conjectures sur l’origine des deux chronologies juxtaposées au sein de l’ Epître centurique à Henri II[1]On peut certes attribuer certaines particularités à l’auteur, quel qu’il soit de l’Epitre – en fait une double épitre comme nous l’avons montré dans un précédente étude mais la recherche des sources conduit souvent à relativiser le rôle du dit auteur lequel n’a souvent fait que reprendre des données antérieures, parfois reprises incomplètement voir imparfaitement. Les travaux de Chantal Liaroutzos concernant l’apport de la Guide des Chemins de France nous mettent sur la voie d’un recours à des ouvrages extérieurs au champ prophétique. C’est également le cas très probablement pour des quatrains empruntant à des chroniques historiques, à des «historiques » - comme on disait parfois à l’époque- lesquels se voient recyclées sous la forme de quatrains sans intention prophétique particulière au départ.
Il nous faut rappeler à quel point l’œuvre nostradamique est duelle, ce qui est excellemment défini par le dieu Janus. Un Janus qui contemple le passé, l’advenu, et qui est historien et un Janus qui regarde se projette sur le futur, l’a(d)venir. On connait l’œuvre éditée par Jean-Aimé de Chavigny sous ce nom mais celle-ci prête à confusion en ce qu’elle est décalée chronologiquement, le propre de l’avenir étant à terme de se muer en advenu. La genèse de cet ouvrage est d’ailleurs complexe et comporte plusieurs strates.
Si l’on examine l’intitulé des index de la Première Face du Janus François, on lit :
« Indice des quatrains qui servent à la presente histoire »
Ce qui donne en latin
“Index quaternionum ad hanc historiam facientium »
Cet index est donc censé correspondre à un travail se voulant historique.
D’aucuns ont conclu à tort que l’enjeu consistait à montrer comment les prophéties recoupaient le cours de l’Histoire. C’est là un contresens. Les deux volets sont complètement distincts. D’une part, on est dans le rétrospectif, dans l’autre dans le prospectif. Il ne s’agit pas, initialement de montrer que le prospectif est validé rétrospectivement, ce qui est d’ailleurs discutable car le prospectif ne peut que rester en deçà de l’historique. Chavigny crée de la confusion en introduisant une exégèse du prophétique par le truchement de l’historique, ce qui selon nous confirme qu’il reprend à son compte un projet dont il n’est pas l’auteur et qu’il détourne de son but tout en conservant l’enveloppe. D’où cette étrange présentation hybride de la Première Face du Janus François.
En réalité, nous sommes en présence de deux volets : nous avons avec la Première Face une « Chronique » du passé et avec la Seconde Face des « prophéties » qui parlent de ce qui n’est pas encore advenu. Mais à partir du moment où l’on cherche à montrer que les quatrains des almanachs (de 1555 à 1567) – qui constituent le cœur de la Première Face- sont confirmés par l’Histoire de la France de 1555 à 1589, on est dans la confusion des genres, ce qui explique pourquoi Chavigny n’a jamais publié la Seconde Face du Janus François en qu’il a entremêlé les deux volets pour en faire une cote mal taillée, ce qui était d’ailleurs inévitable étant donné le décalage dans la parution de l’œuvre dont l’enjeu ne faisait plus guère sens en 1594.
L’Epitre à Henri II offre cette même dualité historico-prophétique : elle nous parle de l’Antéchrist à venir mais aussi de la chronologie depuis l’origine du monde et c’est de ce matériau chronologique que nous entendons traiter ici et plus particulièrement de la seconde chronologie, en nous intéressant à une Chronique particulièrement réputée à l’époque, celle de l’Allemand Johann Carion, qui fut traduite en français dès les années 1540 d’abord sous le titre suivant :
Le livre des chronicques du seigneur Jehan Carion philosophe, où sont comprins tous haultz actes et beaulx faictz... depuis le commencement du monde jusques au règne du... roy François premier de ce nom, duquel mesmes les gestes sont contenuz en la fin du présent livre et continuez jusques en l'an mil cinq centz quarante six... Tourné de latin en françoys par maîstre Jehan Le Blond..
On les vend à Paris par Charles l'Angelié, tenant sa boutique au premier pillier du Palais, devant la chapelle de Messieurs les presidents : et en la rue de la vielle drapperie, pres Saincte Croix, au logis dudict l'Angelié. 1546 (BNF Réserve pG 24)
On a dit dans un précédent article que Carion était l’incarnation par excellence de l’historien prophète, reconnu à la fois en tant qu’historien et comme astrologue mais ne confondant pas pour autant les deux facettes, les deux « casquettes ». C’est pourquoi nous avons formé l’hypothèse d’une influence de Carion sur le corpus nostradamique en notant que la Chronique de Carion remonte à la création du monde, en son titre, à l’instar de la seconde chronologie de l’Epitre à Henri Second datée de 1558..
Mais avant d’en arriver là, on s’arrêtera sur le quatrain IV, 54, signalé par Roger Prévost [2]
. »Même facilité d’interprétation pour le quatrain 54 de la 4e Centurie :
Du nom qui oncques ne fut au Roy Gaulois
Jamais ne fut un foudre si craintif etc
«En 1515 aucun roi français n’avait encore porté le nom de François « Or, n’y eut-il entre tous rois françois/ Jamais un seul qui fut nommé François./ En propre nom fors que par nom vulgaire » lit-on dans l’Epître envoyée au Tres Chrestien Roi de France de par les Empereurs Pépin et Charlemaigne, ses magnifiques prédécesseurs’
Or, il n’est pas indifférent, selon nous, que ce quatrain ouvre l’addition à la centurie IV, laquelle s’était arrêtée au niveau du quatrain 53, amorçant ainsi un nouveau cycle.
Dans les éditions en français de Carion, une annexe est, en effet proposée à partir de François premier, et prolongée par la suite pour Henri II puis ses successeurs jusqu’à Henri III. « on ajoute ce qui concerne les rois de France » (Au lecteur)
« Des faicts et gestes du Roy François premier de ce nom ensemble ce qui a esté faict digne de mémoire depuis le regne de Henry deuxiesme de ce nom, à présent Roy de France. » (1553)
On pourrait donc supposer qu’à un certain stade, en tout cas, les 353 premiers quatrains couvraient la partie centrale de la Chronique de Carion et que les quatrains suivants correspondaient aux annexes françaises, à partir de 1515, début du règne de François Ier. On connait une édition datée de 1553 qui englobe le début du règne d’Henri II (chez J. Caveiller « Les Chroniques » (Bib. Arsenal 8° H 1721)
Cela expliquerait les stades successifs des centuries du moins pour les six premières centuries, chaque nouvelle addition correspondant en fait à un prolongement chronologique rétrospectif et non pas prospectif.

Mais ces considérations se trouvent confirmées par le parallèle assez frappant entre la chronologie figurant dans les éditions françaises et la seconde chronologie de l’Epître à Henri II.
Carion, édition française :
« La table des ans du monde, extraicte de la Bible & de Philo
Depuis la creation du monde iusques au deluge 1659 (sic)
Depuis le Deluge iusques à la nativité d’Abraham 292 (…)
Depuis l’issue d’Egypte iusques à la construction du temple de Salomon 480
On comparera mot à mot les deux séries, tant en ce qui concerne le découpage événementiel que la durée des périodes ainsi déterminée :
Ed française de la Chronologie augmentée de Carion :
Carion
« Ordre des années prins de Philo Iuif «
I
« Depuis la creation du Monde iusqu’au déluge, il y a mil six cens cens cinquante six ans
Epître à Henri II, seconde chronologie
« toutefois contans les ans depuis la creation du monde iusques à la naissance de Noe sont passez mil cinq cens et six ans
Il y a une différence de 150 ans mais le découpage est le même. Nous pensons qu’il s’agit d’une erreur de copie 1656 devenant 1506.

II
Annexe Carion :
Depuis le Déluge jusqu’à Abraham deux cens nonante deux ans
Epitre Henri II :
« Et depuis la fin du deluge iusques à la nativité d’Abraham passa le nombre des ans de deux cens nonante cinq
Le décalage n’est plus ici que de 3 ans.

III
Annexe Carion :
« Depuis la sortie d’Egypte iusques au bastiment du temple de Salomon, quatre cens huitante ans »
Epître Henri II :
« et depuis l’yssue d’Egypte iusques à l’édification du temple par Salomon au quatriesme an de son regne passerent quatre cens octante ou quatre vingts ans »

Cette fois, la formulation et le décompte coincident presque parfaitement. L’édition 1553 est plus proche en ce qui concerne le texte de la chronologie :

« La table des ans du monde, extraicte de la Bible & de Philo (fol 265 v) :
Depuis la creation du monde iusques au deluge 1659 (sic)
Depuis le Deluge iusques à la nativité d’Abraham 292 (…)
Depuis l’issue d’Egypte iusques à la construction du temple de Salomon 480 »

Par comparaison, la première chronologie de l’Epître à Henri n’est pas structurée de la même façon.

On trouve la forme « issue » et non « sortie » d’Egypte et c’est bien « issue « qui figure dans l’epitre à Henri II.

Il convient de considérer également une chronologie du monde figurant dans l’almanach de Nostradamus pour 1566 (Lyon, Volant & Brotot):
Création du monde jusqu’au Déluge 590 ans
De Noé jusqu’à Abraham 326 ans
D’Abraham à la sortie d’Egypte 539 ans
De la sortie d’Egypte à la construction du premier Temple : 514 ans
De la Construction du temple à la Captivité de Babylone 414 ans
De la Captivité de Babylone à la naissance de Jésus 613 ans
Une chronologie qui ne correspond à aucune des chronologies de l’Epître à Henri II.


Il nous apparait que l’on a très vraisemblablement affaire à des notes manuscrites qui ont été reprises en commettant un certain nombre d’erreurs de chiffres. Le fait qu’il y ait dans cette Epitre deux chronologies vient confirmer que l’on est en face d’une compilation de données qui ne seront imprimées pour la première fois, selon nous, qu’au début du XVIIe siècle, ce qui disqualifie ipso facto la thèse d’une parution du second volet en 1568. Ce XVIIe siècle qui verra divers documents faire surface comme le texte d’origine de la Préface à César traduit en anglais en 1672 à partir d’un original français disparu.
Ajoutons que l’édition française des Chroniques comporte un quatrain, à la fin de la chronologie traduit du latin et déjà présent dans les premières éditions latines :

« La prophetie d’Homère touchant l’empire Romain « :

Paris filz de Priam plus que nul de sa race
Est du grand Iuppiter en haine et male grace
Mais le bon prince Aenee & sa posterité
Sera sur tous Troyens en grande authorité

Cela dit, il y a un décrochage à partir du Temple de Salomon ; l’Epitre à Henri II, en ses deux chronologies, se contente de résumer très succinctement la chronologie à partir de là : « Et depuis l’édification du temple iusques à Iesus Christ » alors que la chronologie de départ est bien plus détaillée, telle qu’on la trouve à la fin du IIIe Livre des Chroniques et avant l’étude du régne de François Ier (cf fol 265 verso « La table des ans du monde, extraicte de la Bible & de Philo »ed 1559 Jehan Caveiller, Bib. Arsenal 8 ° H 1721). Elle est déjà présente dans l’édition latine de 1558 (Lyon ; Iehan Frellon, p. 493 : « Tabula annorum mundi ex Bibliis & Philone »)
En fait, l’Epitre à Henri II, en ses deux chronologies, ne suit son modèle que jusqu’au Premier Temple pour ensuite résumer, par des additions d’ailleurs fautives, le temps écoulé jusqu’à Jésus Christ en une seule durée,. Dans la première chronologie, l’on précise toutefois « depuis le temps de l’humaine redemption iusques à la seduction detestable des Sarrazins s’ont est six cents vigt & un ans, là environ », ce qui correspond au début de l’Hégire.

Il reste évidemment à exploiter davantage cette piste. Selon nous, le règne de François Ier qui s’étend sur plus de trente ans recouvre divers événements qui trouvent quelque écho dans les quatrains.
A partir de IV 54, nous passons aux affaires du Royaume de France et aux additions à la Chronique de Carion.
C’est ainsi que IV, 88 concerne le scandale lié à Antoine Duprat, en ’an 1535, accusé de malversations concernant la rançon de François Ier (cf Prevost, op. cit. p. 156).
« Le grand Antoine du nom de faict sordide/
De Phtyriase à son dernier rongé etc

On a déjà abordé le cas du siège de Metz de 1552, avec l’affrontement de François de Guise avec Charles Quint et le duc d’Albe.(cf. Prevost, op. cit, p 57).Selon nous, le quatrain approprié est VII, 29 :Le Grand duc d’Albe se viendra rebeller (…) Le grand de Guise le viendra debeller’ Il est donc improbable qu’un quatrain de la première centurie ( I, 35) concerne la fin du règne d’Henri II. «Le lyon jeune le vieux surmontera etc » sinon par une retouche ultérieure. (cage d’or : jeu de mots sur Orge, nom de Montgomery). Prevost a probablement raison (p. 21) de relier ce quatrain à VIII, 69 :
« Auprès du jeune le vieux Ange baisser
Et le viendra surmonter à la fin »
et de situer la scène en l’an 1204, lors du siège de Byzance, relaté dans les Chroniques.

Avec le siége de Metz, on ‘est sous le règne d’Henri II. On peut supposer que la centurie VII corresponde à un nouveau prolongement, lié à la sortie d’un second tome de la Chronique de Carion dans la partie relative à Charles Quint et à sa confrontation avec la France, à propos du siége de Mets (Metz) puis de la campagne d’Italie, où intervient le duc d’Albe....
Tout laisse à penser, cependant, qu’un tel plan, s’il a quelque pertinence, n’a qu’une valeur très relative.. Si l’on en croit Roger Prevost (p. 123), la centurie VI concernerait déjà l’après François Ier. Le quatrain VI 58 :
Entre les deux Monarques esloignez
Lors que le Sol par Selin clair perdue
Simulté grande entre deux indignez
Qu’aux Isles et Sienne la liberté rendue

« Il s’agit, commente Prevost, du conflit qui s’annonce entre Charles Quint et Henri II à travers celui du roi de France avec le pape et qui va se poursuivre l’année suivante avec la rébellion suscitée par la France de la ville de Sienne, le 26 juillet 1552. En 1553, par ailleurs, Henri II avertit le sultan turc Soliman de l’opportunité qui s’offre à lui de reprendre la lutte contre l’empereur, en particulier dans les « îles » de la côte italienne (‘..) L’éclipse du soleil par la lune (« Sol par Selin ») s’était produite dans le signe de la Vierge, à la fin de l’été 1551 etc’
On peut s’étonner de voir que Roger Prevost ne mentionne à aucun moment la Chronologie de Carion qui est un monument à l’échelle européenne et qu’il ne cherche pas à montrer l’existence de textes en prose purement et simplement repris dans les quatrains. Or, ce qui viendrait renforcer la thèse de Prevost serait justement la possibilité de montrer que tel passage d’une chronique a été repris, avec les mêmes mots, dans tel quatrain, ce qu’il ne fait à aucun moment, se comportant plus en historien événementiel qu’en historien des textes. Or, avec Nostradamus, ce sont les méthodes de la textologie qui s’imposent.
Mais ce n’est là qu’une esquisse et d’ailleurs, il est possible que l’ordre des quatrains ait été par la suite peu ou prou perturbé. Mais ce qui nous a intéressé, c’était de retrouver un éventuel plan initial, qu’il ait été ou non respecté par la suite.
Ce que nous retiendrons, c’est qu’un tel corpus n’aurait offert initialement qu’un intérêt au regard de l’Histoire, le lecteur devant, en quelque sorte, deviner à quel événement tel quatrain renvoyait, sans avoir à supposer qu’il pourrait s’agir d’une prophétie. On serait là en face d’un jeu de sociétés, un « quizz » de culture générale,
dont on sait à quel point le public cultivé est friand et cela n’a pas cessé jusqu’à nos jours comme on peut le voir à la télévision (« Questions pour un champion », par exemple) ou avec « trivial pursuit ».
Ce que propose d’ailleurs Chavigny dans la Première Face du Janus François est-il si différent d’un tel « jeu » de salon ? On peut supposer que c’est un jeu qui comporte les solutions mais ces solutions ne doivent pas être dévoilées aux joueurs.
Les éditions non commentées ne comprendraient donc pas les « solutions », ce qui éviterait de « souffler » les réponses.

L’ambigüité tient au fait que les quatrains des almanachs ainsi « commentés »’ sont censés avoir été produits avant les événements qu’ils sont censés évoquer. C’est peut être ce qui les a fait délaisser par la suite au profit de quatrains classés en centuries et référés commodément à des index et n’ayant pas vocation prophétique mais historique.
Le terme « Prophétie » désignerait donc les quatrains des almanachs et non ceux des centuries. Ce sont les quatrains «présages » par opposition aux quatrains « historiques ». Or l’on sait qu’une confusion s’est introduite qui a fait disparaitre les vrais quatrains présages et les a fait remplacer par les quatrains « historiques », devenant, du coup, « prophétiques ».
On sait à quel point le passage du jeu de société au jeu divinatoire est attesté dans le cas du tarot.
Pour en revenir aux chronologies, nous pensons que la seconde chronologie dérive directement et littéralement des éditions françaises de Carion, qui sont fort nombreuses jusque dans les années 1570 et au-delà. Le fait que certaines durées différent ne doit, selon nous, n’être imputé qu’à une corruption du texte nostradamique.
Quid des centuries VIII-X ? Il nous semble que ce lot concerne la partie prospective, cette fois, celle qui touche à la question de l’Antéchrist autour notamment des quatrains concernant Marcellin ou Marcelin, qui est le nom sous lequel Nostradamus dans son appendice de l’almanach pour 1562 désigne un personnage lié à la fin des temps, thème récurrent dans l’épitre à Henri II et absent de la préface à César. Or cette épitre au roi ouvre justement ces trois dernières centuries : la centurie VIII est remarquable en ce sens (VIII, 54) et notamment deux quatrains successifs VIII 76, VIIII 77.
Plus Macelin que roy en Angleterre etc
(…)
L’antéchrist trois bien tost annichilez
Vingt & sept ans sang durera la guerre etc

VIII, 97 comporte le mot « ¨Pom Potans » déformation de « prépotent » assimilable à l’Antéchrist comme nous l’avons montré dans une précédente étude, c’est notamment le cas du dernier quatrain du second volet X, 100 « Le Pempotam des ans plus de trois cens »
L’annonce d’une présence française à Avignon est récurrente dans le second volet (VIII, 38, VIII, 52, IX, 41)
Ce qui crée un trouble, à propos de tous les quatrains centuriques, c’est toutefois le recours systématique au temps futur alors même qu’il s’agit dans bien des cas d’événements révolus. C’est un parti pris constant qui est en porte à faux avec la démarche historique et qui nous invite à penser que ces quatrains, sauf peut être justement ceux des centuries VIII-X ne sont pas le fait d’un Nostradamus historien mais correspondent à un dessein de conférer à l’ensemble une dimension prophétique, comme en témoigne le titre même des ouvrages. On notera que le mot « centuries » a au moins l’avantage de ne pas entrer dans ce débat et d se contenter de décrire un agencement du texte..
Il convient en tout cas de respecter cette césure entre les deux volets des centuries, marqué par les deux épitres, entre un volet rétrospectif, issu de chroniques et un volet prospectif, apocalyptique issu des spéculations astrologico-scripturaires de Nostradamus. Ce second volet n’apparait pas sous la Ligue mais au début du XVIIe siècle , autour de la conjonction Jupiter-Saturne de 1603 en Sagittaire, première entrée de la conjonction dans la triplicité de feu, celle de 1584, en Poissons, ayant de peu manqué le bélier et étant encore associé à la triplicité antérieure aquatique. On trouve d’ailleurs l’an 1606 dans l’épitre à Henri II non seulement en toutes lettres mais par le biais des positions de rétrogradation des planétes pour la dite année, reprise des publications de Leowitz, datant des années 1550.(Eclipsium et Ephemeridum). Le quatrain VIII, 71- donc du second volet- mentionne l’année 1607 : « L’an mil six cens & sept par sacres glomes ». L’an 1609 figure également dans ce volet à X, 91 :
« Clergé Romain, l’an mil six cens & neuf »
La première décennie du XVIIe siècle apparait donc comme particulièrement visée et l’on ne manque pas d’y célébrer dans le second volet la victoire des Bourbons sur les Guises, en recourant notamment à des anagrammes..
On nous objectera que cette conjonction de 1603 correspond au quatrain I, 16 « Faux à l’estang ioincte vers le Sagittaire etc ». C’est dire que les interférences entre les volets ne manquent pas sans que cela doive nous interdire de dessiner un plan d’ensemble. Il suffit parfois de déplacer quelques pièces pour retrouver une cohérence globale. On a vu pour les rapprochements entre chronologies que certains décalages ne devaient pas décourager ou dissuader la recherche. Inversement, quelques interpolations tardives ne sauraient nous induire en erreur.
Il est possible que la parution de l’épitre à Henri II en tête d’un nouveau volet, cette fois proprement prophétique, soit à rapprocher de l’épitre à Henri IV datée de 1605 (placée en tête des sixains dans le canon centurique). Le contenu de la dite épitre convient d’ailleurs assez bien à l’émergence de nouvelles centuries: « Ayant recouvert certaines Prophéties ou Pronostications faictes par feu Michel Nostradamus etc »
On appréciera certes le travail d’un Roger Prevost et de quelques autres concernant certains quatrains mais il convient de respecter le cadre chronologique des deux volets. Il nous semble en ce sens assez clair que le quatrain X, 72, situé à la fin du second volet ne correspond pas comme le soutient Louis Schlosser, cité par Prevost (p. 47), au temps d’Henri II mais bien à l’an 1999.
« L’an mil neuf cens nonante neuf sept mois
Du ciel viendra un grand Roy d’effrayeur etc »
Prevost écrit : « Reste en tout cas que (…) les quatrains évoquent des événements précis et qu’il convient de les identifie » Pour Schlosser « Il s’agirait en fait du mois de juillet 1559 et cette fois véritablement de la mort du roi Henri II, Nostradamus ayant changé les 5 en 9 pour « détemporaliser » l’événement »
Il ne faudrait pas passer d’une extrême à l’autre : dans le domaine du prophétisme, il faut faire la part des prédictions « fausses » dans leur formulation ainsi que des prophéties qui restent en attente d’accomplissement. Chercher à tout prix à expliquer tous les quatrains centuriques au prisme rétrospectif, que ce soit par rapport au temps de Nostradamus ou à celui de tout interprète nous semble assez vain : nous sommes bel et bien en face d’un phénoméne double à l’instar de Janus et qu’il importe de ne pas placer sur le même plan : ce qui est à advenir ne saurait être décrit de la même façon que ce qui est déjà advenu. Il y a là deux épistémologies en présence qui quelque part sont en symbiose mais qui ne sauraient se confondre...L’on comprend d’ailleurs que l’astrologue voué à une certaine abstraction face au futur puisse être, par ailleurs, tenté par la démarche historique plus concrète, plus factuelle, à l’instar d’un Jean Carion. Quelque part, il est alors sur le fil du rasoir.
Si l’on compare les deux chronologies figurant dans l’Epitre à Henri II avec la chronologie généralement établie, on trouve des anomalies flagrantes et en sens inverse. C’est ainsi que dans la seconde chronologie, on nous donne 490 ans entre la construction du Temple de Salomon et la naissance de Jésus, alors que ce serait en fait près de 1000 ans, soit le double. Quant à la première chronologie, on nous donne 1350 ans entre le temps de David, père de Salomon et celui de Jésus, alors qu’il s’agirait plutôt de 1050 ans. Dans le premier cas, on peut penser qu’on 1050 est devenu 1350 et dans le second, 990 est devenu 490.

JHB
10. 01. 13

[1] .(voir les travaux de Theo Van Berkel à ce sujet).
[2] (Nostradamus le mythe et la réalité, Paris, Laffont, 1999, p. 53) ;

Read my blog below, or check it online at: 

Mario Freedom's Space

 

Note: All reasonable attempts have been made to contact the copyright
holders of any images that are not either the author's own, kindly made available to him or already in the public domain.

We would be grateful if any whom we have been unable to contact would get in touch with us.

 

 

Updated Tuesday, 07 April 2015

© All Rights Reserved 2009 - Designed by Mario Gregorio