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            | Researches 191-200 |  
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            | 191 - 
            Rabelais et Nostradamus faiseurs d’almanachs |  
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            | 192 - 
            L’attirance pour l’inconsistance : l’exemple des Centuries et du 
            thème natal |  
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            | 193 - 
            Nostradamus : la biographie à la merci de la bibliographie |  
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            | 194 - 
            Les Centuries, entreprise inachevée ou tronquée. |  
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            | 195 - 
            Nostradamus et Morin de Villefranche : le vivant et le posthume |  
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            | 196 - 
            Les Centuries, comme œuvre d’un poète inconnu |  
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            Les centuries comme métamorphose du discours nostradamien |  
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        Researches 191-200 
        
          | 191 - 
          Rabelais et Nostradamus faiseurs d’almanachs Par Jacques Halbronn
 
 On connait une « Grande et vraye Pronostication nouvelle pour l’an 
          1544 » de Rabelais alias Seraphino Calbarsy (anagramme), reprise dans 
          le volume de La Pléiade, sur Rabelais (pp. 951 et seq) que l’on peut 
          rapprocher de la production parue sous un titre assez proche sous le 
          nom de Nostradamus, au cours de la décennie suivante.
 Le lecteur de l’Epître à Henri II est frappé par un passage de cette 
          publication rabelaisienne :
 « En laquelle Saturne depuis le premier de mars iusques au XX. de 
          juillet parfera sa retrogradation, Iupiter dès le VII mars au VI 
          juillet sera molesté de rétrogradation . Mars dès le XXII may jusques 
          au XXVI juillet retrogradera. Vénus dès le commencement de l’année 
          iusques au XIV de janvier sera rétrograde. Mercure depuis le XXVI de 
          mars iusques au XVII d’avril et dès le XX juillet et jusques au XII 
          d’aoust et oultre ce depuis le XIV novembre jusques au IIII décembre 
          il retrocedera »
 Dans la Pantagruéline pronostication, au chapitre de l’éclipse de 
          l’année, il est fait une bréve référence au fait que telle planéte 
          puisse être « rétrograde », « directe » ou « inconstante ». On sait 
          toute l’importance que Nostradamus accordait aux éclipses à la fin de 
          sa vie.
 
 Epitre à Henri II
 « depuis le temps que Saturne qui tournera entrer à sept du moys 
          d’Avril iusques au 25. D’Aoust Iupiter à 14. De Iuin iusques au 17. 
          D’Octobre etc » On notera un probléme de ponctuation. Il y aurait du y 
          avoir une virgule entre les positions de Saturne et celles de Jupiter. 
          Cette faute trahit le peu de soin du travail de « saisie » et de 
          compréhension du texte par le compilateur. On sait que ces positions 
          concernent l’an 1606 mais cela n’est même pas indiqué explicitement. 
          Il reste que ce type de développement sur les rétrogradations 
          correspond à la pratique des Pronostications. Toutefois, l’on ne 
          retrouve pas un tel exposé systématique dans les exemplaires qui nous 
          sont parvenus des Pronostications de Nostradamus (pour 1557 et 1558). 
          L’on peut donc se demander si les compilateurs de l’Epitre à Henri II 
          ne se sont pas servis de publications relativement anciennes 
          antérieures à la période de production de Nostradamus.
 Dans quelle mesure la Pantagruéline Pronostication se calque sur les 
          Pronostications « normales » de Rabelais ? On y trouve un chapitre sur 
          les Eclipses dans les deux cas mais dans la Pantagruéline 
          pronostication, on ne trouve pas de données astronomiques précises. On 
          a gardé le cadre mais vidé en partie le contenu de sa substance, quand 
          bien même une année précise serait donnée qui favorise la mépris
 L’exemplaire de la BNF pY2 21 donne le titre suivant pour la 
          Pantagruéline Pronostication : (p. 225) : « Pour l’An Mil cinq cens 
          quarante & sept »/ Par la suite, la formule sera « pour l’an perpétuel 
          »
 Il est étonnant que la forme « 1547 » soit signée François Rabelais 
          alors que la forme « perpétuel » est signée « Maistre Alcofribas 
          architriclin dudict Pantagruel » On aura abandonné la forme »An 
          perpétuel » pour donner une échéance précise mais par la suite on 
          reviendra à la formule « An perpétuel » et à Alcofribas, anagramme.
 Cette variante « 1547 » n’est pas signalée dans le volume de la 
          Pléiade (notes de François Moreau, pp. 1703-1704) qui ne dépasse pas 
          les années 1530. Or, en 1547, le titre de la Pantagruéline 
          Pronostication ne reprend pas la formul de l’An Perpétuel mais renoue 
          avec la fixation d’une année correspondant à la date de parution de 
          l’ensemble du recueil. ». Cette mention de 1547 pour la Pantagruéline 
          Pronostication, non signalée par les spécialistes de Rabelais renforce 
          les particularités de cette édition (dont la BNF a un exemplaire), 
          dont notamment le « Prologue Pantagruel » qui ne sera pas repris à la 
          veille de la mort de Rabelais. Les éditions des années 1550 
          reprendront la forme « An perpétuel ». Rappelons à ce propos que dans 
          la Préface à César, il est fait référence à de « perpétuelles 
          vaticinations »..
 On notera que simultanément Rabelais publie d’une part une 
          Pantagruéline Pronostication pour 1547 sous le nom de François 
          Rabelais, au sein d’un ensemble de quatre « livres » et une vraie 
          Pronostication sous le pseudonyme de Seraphino Calbarsy.
 On notera la similitude des titres pour Calbarsy et pour Nostradamus :
 La grand pronostication nouvelle avec portenteuse prédiction pour l’an 
          MDLVII composée par Maistre Michel de nostre Dame, Docteur en Medecine 
          de Salon de Craux en Provence.
 On connait une précédente édition (cf Pléiade pp. 945 et seq) pour 
          1541 dont le prologue est identique mais les calculs différents. 
          Nostradamus évitera, en revanche, de se répéter d’une année sur 
          l’autre .
 Au lecteur bénivole. Salut et paix en Iésus le Christ (formule reprise 
          dans la Pantagruéline Pronostication) : « En ce peu de papier qu’il 
          restoit blanc, je respondroys voluntiers à la calumnie d’aucuns ocieux. 
          (..) Laissant doncques telles resveries, je me convertis à brievement 
          vous exposer ce que je trouve de ceste presente année »,
 On notera ce point commun entre Rabelais et Nostradamus faisant 
          référence à la calomnie. Il y a dans les Significations de l’Eclipse 
          de 1559 « avec une sommaire responce à ses dettracteurs »– et qui 
          comporte exceptionnellement la vignette des Pronostications- qui selon 
          nous est une contrefaçon, un développement assez rabelaisien : (cf ed 
          . Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999 ; pp. 465 et 
          seq) « ce gros animal est si téméraire & si hébété d’entendement de se 
          dire Philosophe (..) Quelle cause te vient esmouvoir de calumnier 
          celuy qui ne fait ne dict mal à personne »
 Un autre passage est quasiment identique entre la version pour 1541 et 
          celle pour 1544
 « De la disposition des biens et fruictz de la terre »
 Selon les influences célestes, je trouve que nous aurons bonne année 
          de touz biens et fruictz provenant de la terre, mesmement de grain, de 
          foin, lesgumages et cultivages. Lesquels seront bien dangereux d’estre 
          gastez à caus de grand vermine que la terre produyr a ceste année » (p 
          946)
 Le texte pour 1544 varie à la fin : » « dangereux d’estre gastez à 
          cause des planétes dessusdictes qui regneront cette année », ce qui 
          nous semble plus approprié.
 On dispose de deux publications annuelles pour 1541(reprises in Volume 
          Pléiade, pp . 941 et seq). Etrangement, l’almanach pour 1541 est signa 
          François Rabelais alors que la pronostication est signée Seraphino 
          Calbarsy comme s’il était plus honorable de signer un almanac h qui 
          n’est qu’un calendreir qu’une pronostication plus marquée par 
          l’astrologie. Or nous avons observé que tantôt la Pantagruéline 
          pronostication est signée Alcofribas et tantôt Rabelais. Les almanachs 
          de Rabelais pour les années 1533 et 1535 sont bel et bien signés 
          Rabelais. A la différence des Pronostications, Rabelais présente des 
          propos introductifs différemment rédigés.
 On notera que chez Nostradamus, les vignettes sont réservées aux 
          seules pronostications, du moins au cours des années 1550, la 
          présentation des almanachs étant plus sobre (cf notammment le 
          triptyque de 1557 (dans notre édition de 2002, Ed. Ramkat). On trouve 
          dans un coin de la vignette la forme » M. de Nostredame », au sein 
          d’un blason.
 Rappelons que la vignette de la Pronostication chez Nostradamus est à 
          rapprocher de celle de la Pantagruéline Pronostication pour 153 7 (BNF 
          Réserve, pY2 164), vignette qui représente l’auteur et que l’on 
          retrouve à diverses occasions, comme à propos de « la généalogie et 
          antiquité de Gargantua ». ou encore, comme déjà signalé ailleurs, du « 
          Prologue Pantagruel » du Quart Livre, dans l’édition de 1547, texte 
          qui ne sera pas repris par la suite.
 JHB
 06. 05. 13
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          L’attirance pour l’inconsistance : l’exemple des Centuries et du thème 
          natal Par Jacques Halbronn
 
 Parfois, l’on nous demande : mais qu’est ce qui a fait le succès des 
          Centuries de Nostradamus ? En fait, il vaudrait mieux se poser la 
          question suivante : pourquoi de toute l’œuvre de Nostradamus n’a-t-on 
          retenu que les Centuries mais pour s’interroger ainsi encore faut-il 
          savoir que Nostradamus n’est pas l’auteur des seules Centuries. La 
          même question peut se poser à propos de l’astrologie : pourquoi est-ce 
          cette partie de l’astrologie qui occupe l’essentiel du terrain et 
          point d’autres parties ? Mais là encore faut-il avoir une vision 
          globale de l’Astrologie, ce qui n’est pas donné à tout le monde.
 En fait, ce qui aura surnagé tant au regard de Nostradamus que de 
          l’Astrologie semble concerner les productions les plus touffues, les 
          plus inconsistantes donc les moins « falsifiables » (Popper). Dans le 
          cas de Nostradamus, on le sait à présent, les centuries sont très 
          vraisemblablement un recyclage posthume de ses brouillons, de ses 
          notes éparses, un peu comme pour le Cinquième Livre de Gargantua et 
          Rabelais, pour ne pas parler des Pensées de Pascal. Dans le cas du 
          thème natal, le mode d’emploi en est aussi souple que celui des 
          quatrains.
 Comme dirait Darwin, ce qui est conservé est ce qui aura le mieux 
          résisté. En fait, à partir du moment où un texte connait une certaine 
          fortune, il s’enrichit de commentaires, d’applications et donc se 
          renforce, se consolide s’impose.
 Autrement dit, ce sont les éléments les plus inconsistants qui 
          surnagent, qui survivent à la postérité ou plutôt, la postérité 
          conserve le pire et le meilleur, le plus « mou » et le plus « dur ». 
          Cela signifie qu’au sein de chaque domaine, il y aura une sorte de 
          guerre intestine entre les « survivants » et que ce n’est pas 
          forcément le plus valable qui l’emporte.
 Dans nos travaux sur ces deux questions, nous avons clairement montré 
          à quel point cette dualité pouvait exister et résister. En astrologie, 
          on a en effet d’une part le thème astral qui est un salmigondis de 
          données éparses que l’on cherche à unifier mais qui change d’un cas 
          sur l’autre, on pourrait dire d’un instant à l’autre face à n cycle 
          universel qui intègre les principes mêmes de l’ordre socio-historique 
          et d’autre part, on a les centuries qui n’ont d’ailleurs rien 
          d’astrologique face à une œuvre astrologique du dit Nostradamus qui .s’inscrit 
          dans le droit fil d’une quête d’une astrologie s’articulant sur un 
          nombre limité de données, et notamment sur les éclipses, un aspect de 
          son œuvre totalement inconnu du public et qui aura d’ailleurs connu 
          des applications plus ou moins heureuses du fait même de leur 
          précision ,
 Ce qui nous renvoie à un problème de méthodologie et à la maladie 
          infantile de l’astrologie, à savoir q qu’il ne faut pas chercher à 
          être précis dans les détails mais juste dans les grandes lignes. C’est 
          là une quadrature du cercle à laquelle se heurtent la plupart des 
          astrologues et qu’ils gèrent diversement. L’astrologie ne peut se 
          passer, selon nous, d’une certaine dose d’abstraction dans ses 
          formulations et elle doit également « nettoyer » son objet d’étude. On 
          ne théorise pas sur des assiettes sales quand on veut élaborer l’idée 
          d’assiette. Trop d’astrologues, à la façon des médecins d’autrefois 
          qui ne se lavaient pas les mains avant d’opérer, ne prennent même pas 
          la peine de toiletter les données qu’ils entendent analyser, ce qui 
          les condamne à l’échec. Mais parfois, cette négligence leur apporte un 
          semblant de succès. Que dire si l’on place dans le même ensemble des 
          produits différents mais qui ont été exposés à un même ingrédient, ce 
          qui leur donne un même aspect, un même « goût » ?
 On ne cessera donc de le répéter : l’utilisateur d’un modèle 
          astrologique doit « laver » son objet, doit le réduite, le décanter. 
          C’est là une opération préalable. Et inversement, toute prévision 
          astrologique devra être ajustée à un contexte et ne pas se présenter 
          dans sa nudité. Nous suggérons que chacun s’applique à lui-même le dit 
          modèle plutôt qu’il ne l’applique à un tiers. Car applique le modèle 
          astrologique à un inconnu, c’est basculer dans la divination, c’est 
          outrepasser les limites de l’astrologie et c’est finalement aboutir à 
          une astrologie boursouflée. Ce qui signifie qu’avant d’appliquer un 
          quelconque modèle astrologique, il importe de le nettoyer, de 
          l’aseptiser, de le délester de ses souillures, le rendre à sa 
          virginité. Trop souvent, la propreté extérieure d’une personne, d’un 
          lieu masque la saleté et le désordre intérieurs si ce n’est que 
          d’aucuns nous disent que le thème natal nous décrit cet intérieur tel 
          qu’il est. En aucune façon, pensons-nous l’astrologie n’est 
          responsable de la souillure, de la pollution, du monde et c’’est un 
          scandale que de sanctuariser ce qui est dévoyé..
 Selon nous, les centuries défigurent Nostradamus tout comme le thème 
          natal est une énorme verrue sur le nez de l’astrologie.
 
 JHB
 10. 05.13
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          Nostradamus : la biographie à la merci de la bibliographie Par Jacques Halbronn
 
          
          En histoire de l’art, la datation des œuvres est intimement associée 
          avec ce que l’on sait de la vie des peintres. On s’intéresse de près à 
          l’évolution de leur style et au contexte dans lequel telle œuvre a été 
          réalisée. La question de la datation est toujours au cœur du débat. En 
          est-il ainsi pour les études sur Nostradamus ? On peut raisonnablement 
          en douter. Trop souvent, des données bibliographiques discutables 
          s’insèrent d’office dans le champ biographique. On retrouve ainsi dans 
          le récit de la vie de Michel de Nostredame le fait qu’il s’est occupé 
          de publier « ses » Centuries au cours des années 1550. Ce qui fait foi, 
          c’est tout simplement la mention de telle ou telle année sur les 
          impressions comme si ce qui était imprimé était sans appel.
 La vie de Nostradamus (1503-1566) serait donc structurée au prisme de 
          sa production et celle-ci ne serait pas datée au prisme de sa vie 
          comme si le chercheur ne disposait pas d’outils pour ordonner 
          chronologiquement l’ensemble de l’œuvre parue sous son nom. C’est 
          ainsi que les centuries, les almanachs, les pronostications de 
          Nostradamus seraient parus de concert dans le cours des années 1550.
 La thèse d’une simultanéité de parution de textes aussi différents 
          nous parait cependant bien difficile à soutenir, tant dans le style et 
          la conception des textes que dans la présentation des documents. C’est 
          ce télescopage, cet écrasement temporel qui constitue un problème 
          majeur de la chronologie de l’œuvre de Nostradamus.
 Il semble bien, tout au contraire, que l’on doive replacer dans des 
          temps successifs et sur une période qui dépasse singulièrement les 
          limites de la vie de Nostradamus les publications respectives. Nous ne 
          reviendrons pas ici sur le détail des arguments. On dira seulement que 
          les vignettes ornant la prétendue production des années 1550 des « 
          Prophéties » diffèrent de celles dont se sert Nostradamus, au même 
          moment, pour ses Pronostications. (cf. la probable influence la 
          Pantagruéline Pronostication de Rabelais dans un précédent article) . 
          On ajoutera qu’il y a un décalage considérable entre le contenu des 
          textes des publications annuelles de Nostradamus et celui des « 
          Centuries » qui apparaissent comme placées en vrac sous cette forme « 
          centurique » qui permet de s’y retrouver à partir d’un index des 
          versets, index qui manque d’ailleurs dans les éditions qui nous sont 
          parvenues. Ce « vrac » est assez caractéristique des œuvres posthumes 
          (cf. le cas des Pensées de Pascal ou du Cinquième Livre de Rabelais)
 Les biographies de Nostradamus doivent ainsi compter parmi les moins 
          fiables qui soient, dans le genre, et cela tient, comme on l’a dit, à 
          une certaine indifférence des chercheurs quant à la vraisemblance et 
          la négligence des solutions de continuité pourtant assez flagrantes.
 Une grave lacune des biographes de Nostradamus est à relever par 
          ailleurs. Elle concerne certaines « prédictions » (qui sont par 
          ailleurs attestées en italien et reprises partiellement dans certains 
          quatrains centuriques) faites par Nostradamus concernant l’année 1567 
          (il meurt lui-même en 1566). Le fait d’avoir négligé le contenu d’un 
          manuscrit concernant l’almanach pour 1562, dédié au pape Pie IV, 
          lequel almanach semble avoir été censuré en France mais pas en Italie, 
          tend à fausser les perspectives.
 Il semble bien que contrairement à ce que l’on affirme volontiers, 
          Nostradamus ait entendu s’exprimer en clair et que la forme versifiée 
          n’aurait pu être qu’un pis-aller. A partir du moment où cet aspect de 
          son œuvre a été négligé, il devenait plus facile de laisser croire que 
          Nostradamus avait voulu, en parallèle, délivrer un certain message 
          plus ou moins crypté. Au vrai, Nostradamus ne se voulait pas seulement 
          auteur besogneux d’une activité annuelle d’interprété de dizaines de « 
          cartes du ciel ». En 1561, il décide d’annexer à son almanach qui 
          connait une certaine diffusion un « mémoire » qui dépasse de très loin 
          le cadre normal de l’almanach, qui en outrepasse les bornes. Alors que 
          des directives prises en 1560, à Orléans, tentent de réglementer 
          l’impact de cette production annuelle, ne voilà-t-il pas Nostradamus 
          qui vient affoler les populations avec ce qu’il dit d’une certaine 
          éclipse prévue de longue date pour le mois d’avril 1567 et dont on 
          comprend qu’elle touche quelque part à l’Antéchrist. Il serait bon que 
          les futurs biographes signalent cette fièvre prophétique qui s’empare 
          de Nostradamus se prenant pour un prophète biblique, tel Jonas 
          annonçant la chute de Ninive. En ce sens, on ne peut nier à 
          Nostradamus le statut de prophète mais non pas pour ses centuries 
          appelées « prophéties »- bien qu’elles s’en fassent l’écho 
          sensiblement déformé et dilué mais pour ses appendices à sa production 
          annuelle. Faut-il préciser que l’on peut parler ici d’un certain échec 
          posthume de Nostradamus à prophétiser l’avènement de celui qu’il nomme 
          « Marcelin » en jouant sur le mot « macelin », boucher (macelino). Le 
          jeu de mots existe surtout en italien et l’on peut se demander si 
          Nostradamus n’avait pas d’abord rédigé son texte dans cette langue. 
          Notons que l’almanach pour 1563, paru l’année suivante, comporte une 
          épitre bilingue français/italien et que le texte italien fut largement 
          conservé en plusieurs éditions.
 Comme nous le rappelions, il est fort peu probable que les centuries – 
          même si certaines données sont bien prises des « papiers » conservés 
          dans le bureau de Nostradamus,- parurent avant les années 1580. Le 
          travail de datation des différentes éditons des centuries est 
          extrêmement complexe à conduire vu que des éditions antidatés des 
          années 1550-1560 continueront à être produites jusqu’en plein XVIIIe 
          siècle, ce qui est notamment le cas des éditions « posthumes », datées 
          de 1566 et de 1568.
 Il serait donc conseillé à l’avenir que les biographes de Nostradamus 
          suppriment la mention d’une publication des centuries de son vivant 
          mais s’intéressent en revanche au « prophétisme » antéchristique de 
          cet auteur, dans les années qui précédèrent sa mort d’autant que cette 
          activité proprement prophétique qui a pu justifier de publier certains 
          textes sous le nom de « Prophéties », sous la Ligue.
 JHB
 14. 05. 13
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          | 194 - Les 
          Centuries, entreprise inachevée ou tronquée. Par Jacques Halbronn
 
 Si nous avons concédé que les centuries pouvaient reprendre certains 
          textes en prose – le cas « macelin » témoigne du recours à l’appendice 
          de l’almanach pour 1562- il est deux points qui ne sauraient pour 
          autant être admis : d’une part, en ce qui concerne la mise en vers de 
          la prose de Nostradamus et d’autre part en ce qui concerne les 
          éditions censées parues du vivant de Nostradamus.
 Sur le premier point, il nous semble tout à fait hors de question que 
          Nostradamus ait lui-même versifié ses notes manuscrites d’autant que 
          selon nous les quatrains des almanachs (par la suite désignés, au 
          XVIIe siècle, sous le nom de présages) obéissent au même schéma de 
          versification par un tiers de la prose.
 Sur le second point, la thèse des brouillons retrouvés à la mort de 
          Nostradamus exclue d’emblée toute publication des Centuries avant son 
          décès. Ce qui est une vérité de La Palisse.
 Les historiens de l’Art ont l’habitude de débattre de l’authenticité 
          de telle ou telle œuvre. Ils admettent volontiers que tel auteur ait 
          des collaborateurs. C’est ainsi que nous lisons dans une « Histoire de 
          la Peinture », que « Rembrandt compte de nombreux imitateurs. Ils 
          reproduisent si fidèlement son style qu’il est quasiment impossible de 
          distinguer leurs œuvres des siennes. Cette incertitude fait l’objet de 
          nombreuses recherches » (Collectif, Ed France Loisirs, p. 246, 2008)
 On se souvient de tel nostradamologue qui déclarait « inimitable » le 
          style de Nostradamus pour évacuer la thèse selon laquelle il ne serait 
          pas l’auteur des Centuries. Position d’autant plus intenable qu’elle 
          prenait pour référence les « présages » dont l’attribution à 
          Nostradamus est bien improbable. La forme versifiée est aux antipodes 
          de la démarche de Nostradamus qui voulait que son lecteur suivît de 
          près son argumentation, sans se dissimuler derrière une esthétique 
          baroque et contournée..
 La recherche nostradamologique ne saurait se réduire à recopier les 
          dates figurant sur les pages de titre des éditions, ce dont se 
          contentent le plus souvent les bibliothécaires. Il importe de 
          respecter une vraisemblance, une logique, un contexte. Dater une pièce 
          non datée ou antidatée n’est évidemment point chose simple et 
          accessible au premier venu et si certaines contrefaçons grossières ont 
          pu être démasquées, comme les éditions Pierre Rigaud 1566 parues, hors 
          du royaume, à Avignon au XVIIIe siècle, d’autres ont échappé à la 
          critique dès lors qu’elles respectaient une certaine façade, comme 
          Macé Bonhomme, Lyon, 1555 dont on nous dit que ces éditions sont « 
          conformes » à certaines pratiques du dit Bonhomme, comme s’il était si 
          difficile que cela de récupérer certains éléments anciens, d’une 
          génération à l’autre. Plus l’on est savant et plus il est loisible de 
          contrefaire les choses.
 Le recoupement par le jeu des traductions nous semble assez concluant 
          et force est de constater que si certaines publications de Nostradamus 
          se retrouvent au XVIe siècle en italien, en allemand, en flamand ou en 
          anglais, il n’y a point, à l’époque, trace des centuries, dans une 
          langue étrangère, alors même que certains quatrains-présages sont 
          traduits, Ce n’est qu’en 1594 que le Janus Gallicus offre une 
          traduction partielle latine à la fois des quatrains-présages et des 
          quatrains centuriques.
 Le bilan des témoignages de quatrains centuriques parus du vivant de 
          Nostradamus ou même avant les années 1580, est terriblement maigre et 
          ce d’autant plus que nous avions mis au défi les chercheurs, voilà 
          près d’une vingtaine d’années de nous en fournir des preuves. En fait, 
          c’est nous qui avons signalé certains cas allant dans ce sens et notre 
          exposé de soutenance en 2008, à la Sorbonne, en postdoctorat (cf sur 
          teleprovidence), avait été centré sur l’Epitre de Jean de Chevigny à 
          Larcher, en tête de la traduction de l’Androgyn de Dorat (1570, Bib, 
          Arsenal), dans laquelle épitre figurait un quatrain dument numéroté. 
          De même avions nous signalé l’usage ponctuel du mot Centurie dans les 
          Significations de l’Eclipse de 1559. Et bien entendu, il y a le cas 
          Antoine Crespin, certaines de ses œuvres fourmillant de versets 
          centuriques, au début des années 1570 (cf notre édition, Ramkat, 
          2002).
 En fait, nous sommes tellement habitués à associer le mot Centurie au 
          mot prophétie que l’on oublie que ce terme était purement technique et 
          consistait à faciliter la recherche d’un passage précis, grâce à une 
          table des matières comportant la liste de chaque verset, comme on peut 
          le voir dans le Janus Gallicus. La méthode centurique sert au 
          classement et permet de retrouver rapidement ce que l’on cherche. Il 
          est d’autant plus étonnant qu’un tel index ne figure pas dans les 
          éditions de la Ligue alors même que le dispositif centurique est en 
          place, comme si l’entreprise n’avait pu être menée à son terme. Les 
          Centuries ne seraient-elles point une œuvre inachevée ?. Une telle 
          hypothèse militerait paradoxalement en faveur d’un projet propre à 
          Nostradamus lequel aurait esquissé un travail qui n’aurait pu aboutir 
          mais dont le plan était plus ou moins tracé.
 Une autre hypothèse, à laquelle nous tendons actuellement à souscrire, 
          serait qu’il y aurait bien eu une première édition centurique posthume 
          mais que l’on n’en connaitrait que des moutures tronquées, parues en 
          l’état faute de mieux. L’absence de mode d’emploi milite dans ce sens.
 Une telle carence, on l’a dit, sera réparée partiellement dans le 
          Janus Gallicus mais l’on peut aussi se demander si ce commentaire 
          n’est pas inspiré d’une première édition centurique perdue. On 
          comprendrait ainsi la présence du quatrain VI, 100 dans le Janus 
          Gallicus alors qu’elle ne figure dans aucune édition centurique du 
          XVIe siècle. On sait que d’aucuns ont tenté de masquer l’absence de ce 
          quatrain en laissant croire que le quatrain latin jouait ce rôle (Legis 
          cautio) alors que le dit quatrain latin témoigne d’une édition se 
          terminant justement à la fin de la Vie centurie et qui n’a pas été 
          retrouvée. Le même Janus Gallicus fournit des commentaires des 
          quatrains qui manquent totalement dans les éditions centuriques 
          censées parues dans la seconde moitié du XVIe siècle.
 Nous proposons donc le point de vue suivant : il a été perdu une 
          première édition posthume des « Centuries » comportant un commentaire 
          et un index des versets. Cette édition était connue de ceux qui ont 
          mis en place le Janus Gallicus.
 Pour quelque raison, on ne disposerait que d’éditions « pirates » très 
          incomplètes de la dite édition. Ceux qui achetèrent ces éditions 
          furent trompés sur la marchandise. Mais on peut penser que la vente 
          des dites éditions n’était pas liée à un commentaire des centuries 
          mais bien à certains quatrains complaisamment ajoutés ou retouchés 
          dont le public était averti par la rumeur comme il le sera sous la 
          Révolution.(cf notre étude sur la fortune du Mirabilis Liber à cette 
          époque)
 
 JHB
 21. 05.13
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          | 195 - 
          Nostradamus et Morin de Villefranche : le vivant et le posthume Par Jacques Halbronn
 
 Dès le début des années soixante-dix, nous avions été confrontés à 
          cette problématique des publications posthumes, lesquelles se situent 
          au cœur du débat nostradamologique.
 En découvrant à la Bibliothèque de l’Arsenal les Remarques 
          Astrologiques de Jean-Baptiste Morin connu au XXe siècle sous le nom 
          de « Morin de Villefranche », ce fut un choc (dont je m’entretins avec 
          André Barbault). Choc en effet de pouvoir lire Morin écrivant en 
          français alors que l’on ne nous présentait que des traductions (partielles) 
          du latin (Selva, Hiéroz). En 1975, nous publiâmes dans la Bibliotheca 
          Hermetica, dirigée par René Alleau, l’ouvrage en question.(Ed Retz), 
          ce fut notre premier livre paru.
 Or, avec le recul, nous percevons comme un signe avant-coureur de nos 
          travaux sur Nostradamus, engagés à la fin des années 80, à savoir la 
          problématique des parutions posthumes en dialectique avec les 
          parutions du vivant de l’auteur.
 En effet, les Remarques Astrologiques sur le Centiloque, dont Nicolas 
          Bourdin avait donné peu avant un commentaire, (cf notre postface à 
          l’édition du dit ouvrage de Bourdin, Paris La Grande 
          Conjonction-Trédaniel, 1993), se référaient à un ouvrage qui n’était 
          pas encore paru, à savoir l’Astrologia Gallica, ouvrage qui parut en 
          1661, quelques années après la mort de Morin.. Morin n’avait 
          d’ailleurs décidé de faire paraitre quelques éléments de son magnum 
          opus qu’en raison de sa polémique avec le dit Bourdin, marquis de 
          Vilennes. Et les morinologues n’avaient pas accordé d’intérêt à ces 
          Remarques.
 Si l’on en revient à Nostradamus, il est clair que celui-ci n’avait 
          pas tout publié de son vivant, comme semble en témoigner son testament 
          de 1566 qui se soucie de ce qui adviendra de ce qu’il laisse derrière 
          lui. Si l’on prend les Significations de l’éclipse de 1559, on note 
          qu’il y est fait référence à une « seconde centurie ». : « comme plus 
          amplement est déclaré à l’interprétation de la seconde centurie de mes 
          prophéties » (fol B II, fac simile Chevignard, Présages de Nostradamus, 
          Seuil, 1999, p. 455).
 On songe à Morin annonçant dans ses Remarques qu’il traitera de tel 
          point dans son Astrologia Gallica, à paraitre. Mais est-ce à dire pour 
          autant que Nostradamus avait dès 1558 – année de l’épitre à Henri II 
          mais non de sa parution - sinon déjà publié ses premières centuries du 
          moins les avait déjà rédigées ou en tout cas planifiées ? Est- ce que 
          ces Significations sont authentiques ? Ce qui est clair, c’est que 
          l’on ne connait pas d’ »interprétation » par Nostradamus de ses 
          Prophéties disposées en centuries.
 Le scénario posthume nous semble le plus vraisemblable, d’où la 
          pertinence du parallèle avec Morin de Villefranche avec une œuvre en 
          annonçant une autre déjà prête mais dont la parution est reportée. 
          Imagine-t-on un faussaire publiant une édition de l’Astrologia Gallica 
          antidatée pour qu’elle soit parue du vivant de Morin. On notera 
          d’ailleurs qu’il existe deux éditions des Remarques dont la seconde, 
          celle de 1657, est posthume (exemplaire de l’Arsenal)
 Mais jusqu’où va le parallèle ? En effet, la comparaison entre 
          l’Astrologia Gallica et les Centuries est frappante. Autant le premier 
          ouvrage est construit, cohérent, autant le second est constitué de 
          fragments réunis de façon factice en centuries. Tout se passe comme si 
          Nostradamus avait eu le projet de publier un ouvrage et que cet 
          ouvrage n’a pas été retrouvé si tant est qu’il ait été achevé et qu’à 
          la place, faute de mieux, on ait publié sous le même intitulé un 
          ensemble assez inconsistant.
 Autrement dit, le titre « prophéties » n’aurait été employé que par 
          référence à un projet resté en plan ou dont on n’aurait pas trouvé de 
          trace sinon dans le cas de quelque « préface à César » . Cela nous 
          fait penser au cas d’Antoine Couillard dont sont annoncés en 1556, à 
          la fin de ses Prophéties une sorte d’inventaire dressé par un parent, 
          à sa mort, ce qui, ipso facto, nous fait considérer cet ouvrage 
          lui-même comme posthume et donc antidaté à l’instar des Prophéties de 
          Nostradamus dont il restitue partiellement la préface à César. On peut 
          d’ailleurs regretter ne pas disposer d’un tel inventaire pour ce que 
          Nostradamus avait laissé derrière lui. Il est remarquable que ceux qui 
          ont étudié les recoupements entre Couillard et la dite Préface n’aient 
          pas remarqué qu’elle comportait des éléments manifestement posthumes (voir 
          notre étude à ce sujet dans les Halbronn’s researches, site 
          propheties.it)
 On ne peut évidemment exclure que dans les Prophéties de Nostradamus 
          aient pu être inséré ici et là des éléments en prose de la plume de 
          Nostradamus-rendus en vers par d’autres (comme déjà dans le cas des 
          quatrains de ses almanachs annuels) car une chose est certaine, 
          Nostradamus n’a pas laissé de quatrains mais on fait des quatrains à 
          partir de ce qu’il avait laissé. Tout indique, en effet, que 
          Nostradamus entendait être compris « en clair », comme dans le mémoire 
          de son Almanach Nouveau pour 1562 (traduit en italien) . On peut dire 
          d’une certaine façon que certains passages du mémoire de 1561 ont pu 
          être rendus en quatrains dans les éditions des Centuries (cf notre 
          étude sur « macelin » dans les Halbronn’s researches), ce qui pouvait 
          être une façon de faire passer un message censuré. Malheureusement, la 
          forme éclatée du texte en prose rendue en vers en hypothèque 
          singulièrement l’intelligibilité du propos.
 Cela dit, l’authenticité des Significations de l’éclipse est douteuse 
          et il est improbable que dès 1558, Nostradamus ait envisagé de publier 
          des Prophéties. Si le terme est de son cru, nous pensons qu’il 
          correspond à une période plus tardive lorsque Nostradamus se prenait 
          pour « prophète » et se passionnait pour les éclipses, annonçant en 
          1561 une naissance redoutable pour 1567, celle du « macelin » né un 
          jour d’éclipse. Or, comme par hasard, le passage en question figure 
          dans les Significations de l’éclipse de 1559. Rappelons que cet 
          ouvrage recopie l’Eclipsium de Leovitius, comme l’ a montré Torné. Le 
          parallèle avec Morin fonctionne jusqu’à un certain point. Il est 
          patent que l’Astrologia Gallica, ouvrage composé en latin, et les 
          Centuries sont les œuvres les plus connues/fameuses de ces deux 
          médecins astrologues français nés sur l’axe rhodanien (à Villefranche/Saône 
          et à Saint Rémy de Provence) au point d’éclipser les autres. Tous deux 
          ont atteint le XXe siècle. Mais la qualité de Nostradamus en tant 
          qu’astrologue s’est estompée au profit de celle de « vaticinateur 
          poète » alors que Morin incarne l’astrologie, quelques années avant 
          l’échéance de 1666 qui est censée, dans la légende dorée de 
          l’astrologie, marquer la fin d’un cycle (édit de Colbert).
 
 JHB
 01. 06. 13
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          | 196 - Les 
          Centuries, comme œuvre d’un poète inconnu Par Jacques Halbronn
 
 On ne saurait contester l’importance des Centuries par-delà le débat 
          sur la date de leur parution. Il s’agit d’un ensemble qui a suscité un 
          nombre considérable de commentaires, jusqu’à nos jours. Quand bien 
          même, la prose de Nostradamus aurait servi à produire ces centaines de 
          quatrains, cela n’en fait pas l’auteur et c’est à ce versificateur 
          inconnu qu’il convient d’attribuer le mérite d’une telle entreprise.
 Réduire les Centuries –on laissera de côté ici les textes en prose qui 
          encadrent les dix centuries en deux volets- à leur source nous semble 
          inacceptable, ce serait comme réduire une sculpture au bloc, au 
          matériau, dont elle est issue.
 Nous pensons ainsi que pour que les centuries aient connu une telle 
          fortune, il aura fallu qu’elles possèdent certaines qualités 
          littéraires remarquables qu’il ne convient pas d’attribuer à 
          Nostradamus.
 Nous avons déjà relaté de quelle façon les quatrains des almanachs 
          avaient été confectionnés en reprenant de façon assez libre – c’est le 
          moins que l’on puisse dire- la prose assez sèche des publications 
          annuelles de Nostradamus, que de nos jours ne (re)lisent que quelques 
          spécialistes. Alors que le discours de Nostradamus est étayé, 
          immédiatement intelligible, il n’en est rien des quatrains qui en 
          émanent. L’idée que Michel de Nostredame ait pu être l’auteur des 
          quatrains – quels qu’ils soient, ceux des almanachs ou ceux des 
          centuries- nous parait tout à fait improbable. Que Nostradamus en soit 
          considéré comme l’auteur du fait qu’il fournit les données « brutes 
          serait bien abusif.
 Cela dit, la nature a peur du vide. Dès lors que l’on ne connait pas 
          l’auteur des quatrains, il est tentant, faute de mieux, de se 
          retourner vers Nostradamus mais c’est bien là un pis-aller qui 
          correspond à un syndrome des origines qui peut s’appliquer à nombre de 
          cas. Certes, il est bon de rendre à César ce qui est à César mais ce 
          n’est pas une raison pour télescoper le rôle d’un auteur anonyme qui 
          nous a laissé une telle œuvre en vers dont la postérité s’est emparée. 
          La valeur ajoutée lors du passage de la prose aux vers est 
          considérable, ce qui tend à éclipser la source, d’autant que l’on peut 
          penser que ce versificateur aurait eu, à la longue, autant de succès 
          s’il s’était attelé à versifier d’autres textes d’autres auteurs.
 Est-ce le même personnage qui aura versifié dès le milieu des années 
          1550 les almanachs et bien plus tard, dans les années 1580, 
          différentes pièces conservées dans la bibliothèque de Nostradamus ? 
          Nous ne tenterons pas ici d’éclaircir ce point. Rappelons que dans le 
          Janus Gallicus de Jean Aimé de Chavigny (1594), les divers quatrains 
          traduits et (re) traités sont intégrés dans un seul et même support 
          sur lequel articuler des « explications » en prose. On part de la 
          prose (les prédictions datées de Nostradamus)) et l’on revient à de la 
          prose (le commentaire)
 On est tenté d’attribuer ce mérite à Jean Dorat à la lecture des 
          Bibliothèques de La Croix du Maine et de Du Verdier qui lui attribuent 
          un grand mérite au regard de l’œuvre de Nostradamus (cf. nos études à 
          ce sujet), sans que l’on ait jamais bien su de quoi il retournait. On 
          peut en effet qualifier de « commentaire » poétique de l’œuvre en 
          prose de Nostradamus ces centuries de quatrains. Parmi les 
          publications parues sous le nom de Dorat, se signale le poème consacré 
          à l’Androgyn (Bib. Arsenal) dont le traducteur Jean de Chevigny, qui 
          fut un proche de Nostradamus, cite le quatrain approprié dans son 
          épitre à Larcher (Lyon, Michel Jove, 1570, cf. Benazra, Répertoire 
          Chronologique Nostradamique, Ed La Grande Conjonction-Trédaniel, 1990, 
          pp ; 95-96).
 Dans la mesure où nombre de ces quatrains se retrouvent chez Antoine 
          Crespin dit Archidamus (cf. nos Documents Inexploités sur le phénomène 
          nostradamus, Ed .Ramkat, 2002), sous une forme renouvelée, que l’on 
          pourrait qualifier de décousue, l’on voit que les auteurs du XVIe 
          siècle s’accordent une certaine liberté de réécriture, qui sublime le 
          plagiat.
 Dans le cas de l’almanach pour 1562, on rencontre un cas assez 
          singulier puisqu’il apparait que celui-ci aurait été censuré. On ne le 
          connait en français, dans son intégralité, que par un manuscrit 
          conservé mais aussi par une traduction italienne, dont plusieurs 
          versions sont conservées à la BNF. Quant à la version conservée (Bruxelles, 
          Archives du Royaume) de l’almanach en question, elle est 
          considérablement raccourcie et ne comporte pas la partie la plus 
          problématique mais seulement l’épitre au pape (1561). Nous avons 
          montré que certains quatrains des centuries reprenaient cette partie 
          supprimée, notamment ceux qui comportent le mot « macelin ». Dans ce 
          cas, l’on peut penser que certains quatrains visent à rendre peu ou 
          prou ce qui a été interdit, ce macelin se référant à l’annonce par 
          Nostradamus de la naissance d’une sorte d’antéchrist qu’il surnomme 
          Marcelin, macelin (boucher, en italien) étant un jeu de mots de 
          Nostradamus.
 En conclusion, nous dirons que la fortune du nom de Nostradamus doit 
          énormément au travail accompli en aval et qui aura abouti à un 
          ensemble voué à exercer une certaine fascination sur les esprits, de 
          par ses qualités d’écriture. Ensemble qui, par sa qualité d’évocation, 
          aura inspiré un grand nombre de commentateurs dans le monde, notamment 
          dans le champ prophétique.
 On peut d’ailleurs se demander si cette fortune des centuries n’aura 
          pas porté ombrage à Nostradamus, après sa mort. Cela pourrait 
          expliquer que l’on ait voulu les antidater et situer leur production 
          dans les années 1550, comme en témoignent les dates des deux épitres « 
          centuriques » censées annoncer les quatrains (ce qui est très 
          probablement une interpolation). Ce faisant, Nostradamus ramasserait 
          la mise. C’est ainsi que le quatrain « macelin » (VIII, 76, pour le 
          plus connu) serait ainsi attesté dès 1558 (qu’il soit ou non paru 
          alors) par l’épitre à Henri II, censée annoncer les trois dernières 
          centuries, donc avant 1561, date de l’almanach pour 1562 et de son 
          appendice prophétique censuré. Autrement dit, l’antidatation des 
          centuries aurait été motivée par la volonté de récupérer les centuries 
          au sein de l’œuvre de Michel de Nostredame.
 
 JHB
 15.06.13
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          | 197 - Les 
          centuries comme métamorphose du discours nostradamien Par Jacques Halbronn
 
 Nous avons montré dans de précédentes études que les quatrains étaient 
          issus de textes en prose et ne reprenaient jamais des quatrains déjà 
          composés. Cela signifie que l’on peut dater un quatrain, ou du moins 
          déterminer un « terminus » en deça duquel il ne saurait être situé, 
          dès lors que l’on a identifié le texte en prose d’où il est issu.
 Un cas remarquable est le texte en prose datant de 1561, ayant figuré 
          au sein de l’Almanach Nouveau pour l’An 1562 (cf Benazra, RCN, pp. 52 
          et seq). On y trouve une forme très particulière, à savoir le nom de 
          Marcelin par lequel Nostradamus entend nommer un personnage qui 
          naitrait en 1567. (cf Reproduction très fidèle d’un manuscrit de M. de 
          Nostradamus dédié à S. S. le Pape Pie IV. (1906). Il signale, au prix 
          d’un jeu de mots, que le caractère de ce Marcelin (un des saints du 
          mois d’avril) ressortirait mieux si l’on supprimait la lettre « R », 
          ce qui donne « macelin », (en Italien, boucher)
 « Et ne vous veulx rien mettre de l’an 1567 que dans le mois d’Avril 
          naistra un de quelque grand Roy et monarque qui fera sa fin cruelle et 
          sanguinolente mais la ruine de son regne oncques ne fut pire ne plus 
          sanguinaire. On le nommera MARCELLINUS mais on lui ostera de son nom 
          l’R » (Ed 1906, et manuscrit p. 31)
 C’est ce texte qui sous tend l’occurrence de « Macelin » dans la 
          centurie VIII.
 VIII, 76
 « Plus Macelin que roy en Angleterre » alors que VIII 77 commence par
 « L’Antéchrist ».
 Ces deux quatrains dériveraient selon nous des prédictions de 
          Nostradamus pour 1567 qui figuraient dans l’almanach pour 1562.
 On a un autre quatrain VIII 54 avec « macelin », donc également dans 
          la première centurie du second volet. Il semble d’ailleurs que la 
          forme « marcelin » ait été rétablie dans les éditions troyennes (1605, 
          à en croire le Dictionnaire Nostradamus de Michel Dufresne)
 Ces observations nous conduisent à conclure que ces quatrains ne 
          peuvent avoir été composés avant 1561, ce qui exclut toute parution 
          datant de 1558 sur la base de la date de l’epitre à Henri II de cette 
          même année. La dite épitre ne peut donc en 1558 introduire le mot « 
          macelin » dans un quatrain de la VIIIe Centurie.
 On notera le cas des éditions parisiennes ligueuses des « Prophéties » 
          qui traitent de l’an 1561 en leur sous-titre à propos d’une « addition 
          » de 39 articles (sic). Il est possible que l’on ait eu là l’embryon 
          du second volet des Centuries. Dans ce cas le second volet de 
          centuries serait extrait du développement prophétique de 1561 mais à 
          une période bien plus tardive. Rappelons que nous tentons de rétablir 
          la chronologie des faux et non celle d’éditions authentiques parues du 
          vivant de Nostradamus..
 Selon nous, la septième centurie aurait été le premier mouvement en 
          direction de ce que l’on connait comme «second volet » ( VIII-X), la 
          date de 1561 correspondant à la parution de l’Almanach Nouveau pour 
          1562. Cette année 1561 est importante. Nous l’avions déjà rencontrée 
          il y a 20 ans, avec la parution du Cantique Spirituel et consolatif (RHR, 
          1991). Il est probable que dans l’entreprise centurique, 1561 ait été 
          initialement le moment d’un nouveau développement, ce qui correspond 
          au contenu du manuscrit de l’almanach pour 1562 largement rendu par 
          des imprimés faisant connaitre Nostradamus en langue italienne. Pour 
          nous l’épitre à Pie IV (conservée dans l’imprimé français) et son 
          appendice correspond à un aboutissement de la démarche 
          astroprophétique de Nostradamus qui sera largement occulté et édulcoré 
          par sa transposition en quatrains dans la VIIIe Centurie qui ouvre le 
          second volet. Mais ce second volet est introduit par une épitre datée 
          de 1558 qui vient en quelque sorte se substituer à l’épitre à Pie IV . 
          Or, sous la Ligue, l’année qui est associée à une addition est celle 
          de 1561 :
 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus (…) revues & additionnées par 
          l’autheur pour l’an mil cinq cens soixante & un de trente neuf 
          articles à la dernière centurie . (Paris, 1588/1589)
 Cette fixation de Nostradamus sur l’an 1567 –à p artir du début des 
          années 1560 – aura fait probléme à la fois parce qu’elle affole les 
          esprits – ce qui trouble l’ordre public (cf. les ordonnances d’Orléans, 
          1560) et parce qu’elle échoue, au lendemain même de la mort de 
          Nostradamus, au point que l’on peut se demander si les Centuries ne 
          servent pas à brouiller le discours nostradamien et de ce fait à le 
          désenclaver de cette année 1567 que Nostradamus avait imprudemment 
          désignée comme fatale et à laquelle il se tiendra jusqu’à la fin de sa 
          vie. On est avec ce texte dans un prophétisme à très court terme qui 
          se limite aux années 1560 mais qui sera recyclé pour d’autres 
          échéances par les interprètes qui se succéderont. On voit les 
          inconvénients d’un texte par trop précis et définitif qui ne respecte 
          pas le principe de cyclicité et d’éternel retour qui est au cœur de la 
          pensée astrologique. Nostradamus en s’engageant dans cette prédiction 
          pour 1567 se diminue. A contrario, les Centuries lui confèreront, bien 
          malgré lui, une autre stature en éclipsant ce délire antéchristique 
          par trop daté.
 .On nous objectera que le projet additionnel après la Vie et « 
          dernière » centurie (d’où l’avertissement latin qui clôturé ce cycle 
          de six centuries) se réduisit dans l’immédiat à une centurie VII de 
          quelques dizaines de quatrains. Il faudra en effet attendre quelques 
          années de plus – ce qui est attesté par le Janus Gallicus de 1594 qui 
          comporte des quatrains issus des centuries VIII-X- pour que le second 
          volet se mette en place avec l’épitre à Henri II de 155 et la 
          référence à l’an 1561 sera très largement négligée et remplacée par 
          une date antérieure celle de 1558, Henri II étant mort l’année 
          suivante. C’est donc le choix même du dédicataire qui déterminait le 
          terminus de la date de l’épître, le remplacement du roi de France par 
          le pape.
 Ce sur quoi nous avons voulu insister, par delà telle ou telle 
          application parmi d’autres possibles, c’est la nécessité pour 
          l’historien de respecter une certaine vraisemblance dans le 
          déroulement des choses. Le quatrain ne devient matriciel que dans un 
          second temps, il est d’abord issu d’un texte en prose. Par ailleurs, 
          le processus centurique de ce fait même correspond à un état tardif de 
          la production nostradamique qu’il convient de qualifier de posthume. 
          Le centurisme est une métamorphose post mortem que subit ainsi 
          Nostradamus sans laquelle le dit Nostradamus serait tombé dans les 
          oubliettes de l’Histoire..
 
 JHB
 01 07 13
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