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Researches 21-30
 
21 - Fil d’Ariane pour le dédale de la chronologie centurique
 
22 - La postdatation, un nouveau genre de contrefaçons nostradamiques
 
23 - Méthodes de datation des documents antidatés
 
24 - Bréviaire pour la (re)datation des nostradamica à l’intention des librairies anciennes
 
25 - Essai de Dictionnaire du nostradamisme
 
26 - La Préface à César et le prophétisme régentiel (1525, 1561, 1611, 1643-1716)
 
27 - La fausse édition rouennaise Raphael Du Petit Val 1588
 
28 - Le noyau dur de la production de Nostradamus et ses dérives / dérivés
 
29 - Les éditions doublement antidatées
 
30 - Le rôle de César de Nostredame dans le revival nostradamique des années 1580
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 

 

Researches 21-30

 

21 - Fil d’Ariane pour le dédale de la chronologie centurique

(A propos d’une étude de la littérature nostramique du XXe siècle)

Si l’on peut parler de ‘notre «  thèse », elle pourrait se résumer en une formule : les centuries nostradamiques sont le résultat d’un travail collectif, étalé dans le temps qui ne trouva sa forme « officielle » et « définitive » qu’au milieu du XVIIe siècle, à la suite donc d’un siècle de tribulations. Un processus en vérité assez complexe qui n’était nullement programmé au départ,- et certainement pas par Michel de Nostredame - ce qui rend l’usage de certains termes quelque peu artificiel. C’est ainsi que certains usages pour décrire certaines éditions des Centuries nous semble poser problème par ce qu’il présuppose et induit notamment quant à l’emploi de l’épithète ‘complet «  et de son contraire « incomplet », généralement au féminin, associé à « centurie »

Anatole Le Pelletier fournit une ‘Dissertation bibliographique sur les éditions les plus connues des Centuries de Nostradamus » in‘Les Oracles de Michel Nostradamus » (1867) : « La première édition des Centuries de Nostradamus et par conséquent la plus ancienne est de 1555 (…) ce volume contient 1° la Préface de Michel Nostradamus à ses prophéties 2° l’Epitre à César datée du Ier mars 1555 et 3° les trois premières centuries complètes et cinquante trois quatrains de la quatrième. Sur la dernière page du volume on lit « ce présent livre a été achevé d’imprimer le IIIIe jour de may MDLV » (p. 38). Bizarrement, Le Pelletier présente comme deux textes distincts (la Préface et l’Epître), ce qui n’en fait qu’un en réalité. On peut donc se demander s’il a bien eu entre les mains comme il le prétend le volume. Il semble que le niveau de connaissance des éditions des Centuries ait singulièrement baissé par la suite. Jusque dans les années trente du siècle passé, il apparaît que la plupart des nostradamologues se contenteront de rapporter les mentions figurant sur certaines pages de titre du XVIIe siècle et se référant à diverses éditions. A part cela, ils avaient les dates de la Préface à César et de l’Epitre à Henri II, telles qu’elles étaient reprises jusque dans les éditions les plus récentes, respectivement 1555 et 1558. Ainsi en 1650, dans l’édition de Leyde – mais aussi en 1668 à Amsterdam - trouve –t-on «  Revues & corrigées suyvant les éditions imprimées en Avignon en l’an 1556 & à Lyon en l’an 1558 ». Mais dans les années 1690, les titres renoncent aux dates en contrepartie de toute une série de lieux d’éditions, dans cet ordre «  Paris, Rouen, Lyon, Avignon, Troyes, Hollande » En tout état de cause, au début du XXe siècle, on se contente de reprendre de telles informations sans accès aux éditions du XVIe siècle.

Si l’on prend le cas de l’ouvrage (conservé à la Bibliotheca Astrologica) de Jean Blanchard et Ch. Reynaud-Plense, conservateurs des Musées de l’Empéri. Salon de Provence, La vie et l’œuvre de Michel Nostradamus, 1933 Salon, on note que les auteurs ne mentionnent pas (p. 14) d’édition à 4 centuries mais seulement à 7, dont la septième incomplète (à 42 quatrains) puis encore 3 autres centuries. Ils mentionnent des Présages mais sans préciser que ceux-ci sont issus des almanachs de Nostradamus, ce qui les fait englober les dits Présages parmi les « additions » suspectes. «  « comme provenant de ses papiers », trouvés à sa mort, et en tout cas très inférieures aux prophéties publiées par Nostradamus lui –même », En fait, ces auteurs se contentent de décrire quelque édition du XVIIe siècle et d’en tirer quelque enseignement rétrospectif, ignorant de toute évidence l’existence d’une édition à 4 centuries qui, il est vrai, ne saurait être « devinée » à partir d’éditions tardives.

Or, en cette même année 1933, dans la collection « Les grands Illuminés », Jacques Boulenger . Nostradamus Paris, Excelsior, 1933, place à 1554 la date de rédaction des Centuries.(p.99)/ En ce qui concerne les sources, Boulenger (pp. 103 et seq) associe les premiers quatrains de la première Centurie à Jamblique. On nous donne le nom du libraire lyonnais, Macé Bonhomme (p. 109) et visiblement l’auteur a eu sous les yeux l’édition datée de 1555 « les trois premières centuries seulement (..) plus cinquante-trois quatrains de la quatrième » avec la date de l’achevé d’impression. Il semble donc mieux informé que les conservateurs de Salon. Il est fait référence au système de Piobb (p. 162) En appendice, nous trouvons une liste assez bien fournie des éditions d’œuvres de Nostradamus ou à lui attribuées (pp. 183 et seq) Il déclare que les « bibliothèques publiques françaises n’en possèdent guère » . Certaines de ses descriptions, souvent prises de Brunet, comme il le reconnaît, n’en sont pas moins assez justes : il cite celle d’Antoine du Rosne, 1557, en précisant qu’elle est à 7 centuries, mais avec seulement 40 quatrains à la VIIe, ce qui correspond à la description de l’exemplaire de Budapest.

En 1939, P. Edouard ; publie le Texte original et complet des prophéties de Michel Nostradamus. De 1600 à l’an 2000. Deuxième édition, Paris, Les Belles Editions. On y peut lire : « Les Prophéties de Michel Nostradamus parurent pour la première fois en 1555, chez Macé Bonhomme à Lyon. Cette édition contenait les trois premières centuries complètes et quelques quatrains de la quatrième. En 1557, parurent chez Antoine du Rosne à Lyon également les six premières Centuries et quelques quatrains de la septiéme.En 1560, parurent chez Barbe Regnault, à Paris, les sept premières centuries complètes. C’est probablement en 1568 que parurent chez Rigaud à Lyon les Centuries telles que nous les connaissons actuellement » (Avertissement, p. 5). Etrangement P. Edouard suppose qu’en 1560, on aura « complété ». En fait, il suppose que l’édition Antoine du Rosne 1557 ne comporte que « quelques quatrains » et que c’est l’édition 1560 qui arrive à l’état « complet » de la VIIe, dans les 40 quatrains. En cela, P. Edouard adopte une certaine logique, si ce n’est qu’il ne soupçonne pas que l’édition 1557 est plus tardive dans sa présentation que celle de 1560 ! De même avait-il décrit l’édition Macé Bonhomme sans la connaitre, en ne donnant pas le nombre de quatrains de la Ive centurie, information pourtant fournie en 1933, six ans plus tôt, par Boulenger.

Dans les années Quarante, Jean de Kerdeland, dans son De Nostradamus à Cagliostro, Paris, Ed. Self, 1945 précise bien (p. 58) le nombre de quatrains de l’édition Macé Bonhomme 1555 ; « Le 4 mai 1555, le libraire lyonnais Macé Bonhomme pouvait mettre en vente (. …) les Prophéties de Maistre Michel Nostradamus. Retenons cette date : 4 mai 1555 presque aussi importante que celle de la première représentation du Cid, elle marque le début d’une blague immense et géniale dont le succès, après quatre siècles écoulés, est fort loin d’être épuisé  (…) trois cent cinquante-trois quatrains (…) Tels quels les quatrains prophétiques du Salonais remportèrent un succès immense »

Dans la même décennie, Maurice Alliaume, Magnus Rex de Nostradamus et son drapeau, Sur les oracles des Centuries, chez l’auteur, 1948, Chartres, connait l’existence de l’édition Macé Bonhomme mais croit qu’elle est à 7 centuries ( chapitre VI « Sur les premières éditions des Centuries et sur leur dédicaces » (pp. 77 et seq) : « Les sept premières portent la date du Ier mars 1555 : c’est le jour où elles ont été remises à l’imprimeur pour la première édition chez Macé Bonhomme à Lyon. » Il poursuit «  Les trois dernières ont été éditées un peu plus tard et portent la date du 27 juin 1558 », cela de toute évidence sur la base de la date de l’Epître à Henri II. Quant à la date du Ier mars 1555, elle n’est en réalité que celle de la préface à César. Il ne cite pas le 4 mai 1555 qui ne figure que dans les exemplaires Macé Bonhomme.

C est en 1948 qu’Edgar Leroy termine le manuscrit qui ne paraitra qu’en 1972, à Bergerac, sous le titre « Nostradamus. Ses origines, sa vie, son œuvre ». Il signale (P. 153) : « Les spécialistes signalent une édition qui serait la première intitulée Les Prophéties de M. Michel Nostradamus, à Lyon, chez Macé Bonhomme (dont) cinquante-trois quatrains d’une quatrième inachevée » et de mentionner le 4 mai 1555 pour l’achevé d’imprimer. Il ajoute « Il n’existe plus, semble-t-il d’exemplaire de ces Prophéties imprimées chez Macé Bonhomme » Et de se référer à l’édition d’Amsterdam 1668 qui mentionne 1556 en son titre (cf supra). Il n’est pas question de l’édition Macé Bonhomme 1557 mais de celle de Pierre Rigaud 1566 (utilisée par Anatole Le Pelletier)

A la décennie suivante, Georges Madeleine. dans La prochaine guerre mondiale vue par Nostradamus. Ed Provencia, Toulon, 1952, écrit (p. 23) « En 1555, parait la première édition de ses prophéties, édition réduite puisqu’elle ne comprend que trois centuries et demie (353 quatrains) ; elle n’en connait pas moins un succès inouï (…) les éditions se succèdent à la cadence d’une au moins par an : elles s’augmentent successivement » On relève la surprise de l’auteur qui ne peut s’empêcher de parler d’une « édition réduite ». pour désigner ce qui se présente comme une première édition.

En 1959, Jean-Charles Pichon signe « Nostradamus et le secret des temps » (Ed. Les productions de Paris) en s’appuyant sur F. Parker.(p. 150) : « De 1555 à 1566, année de la mort de Nostradamus, on reléve de nombreuses éditions des Centuries, deux certaines en 1557 et 1558, deux probables (je ne les ai pas eues en main) en 1560 et 1562. Chacune est enrichie de plusieurs poèmes de telle sorte que des 358 (sic) quatrains de 1555 on en arrive par additions successives au chiffre de 942 ; dans l’édition de 1566 (la septième centurie demeurant inachevée » Et de se référer au jugement d’Eugène F. Parker : «  Cet ensemble de circonstances fait planer un doute sérieux sur la valeur prophétique des Centuries V, VI et VII (..) Quant aux dernières Centuries, il vaut mieux n’en point parler »

Il faudra, on le sait, attendre, les années quatre vingt du siècle dernier (1984, Les Amis de Michel Nostradamus, Roanne (42)) pour que les chercheurs aient à nouveau accès à l’édition « originale » de Macé Bonhomme 1555. Mais il ne semble pas que l’on ait partagé ou prolongé le questionnement de Jean-Charles Pichon concernant le caractère additionnel des centuries au-delà de l’état de la dite édition 1555.

Que nous dit Robert Benazra dans sa présentation du fac simile (p. 26) ? «  La première édition (…) comprenait quatre centuries dont la Ive incomplète (sic) à 53 quatrains. (…) L’édition suivante (…) publiée chez Antoine du Rosne en 1557 ajoutait 286 quatrains (…) Enfin, l’édition de Benoît Rigaud à Lyon en 1568 ajoutait 303 quatrains (soit sept centuries dont la VIe incomplète (sic) à 99 quatrains et la VIIe incomplète (resic) à 40 quatrains »

Dans la plupart des cas signalés – et notre recension ne se prétend pas exhaustive mais se limite à nos collections actuelles, quant aux livres de la Bibliotheca Astrologica- on nous parle d’une édition « incomplète », au regard des éditions suivantes qui vont « compléter » la Ive centurie, ce qui la rend « incomplète » rétrospectivement, bien que Benazra désigne également la VIIe centurie comme étant « incomplète » et au bout du compte, ces éditions à 7 centuries seraient elles-mêmes « incomplètes » par rapport à un ensemble à dix centuries. Dans le Répertoire Chronologique Nostradamique, Ed. La Grande conjonction-Trédaniel (pp. 10-11) R. Benazra use d’une autre formule : « Le livre contient les trois premières centuries renfermant chacune 100 strophes de 4 vers de 10 syllabes (quatrains) et les 53 premiers quatrains de la Ive centurie »

Si dans le cas de la Vie centurie, l’on peut en effet juger qu’elle est incomplète (encore que l’avertissement latin entre la VI e et la VIIe centurie ait pu servir de 100e quatrain pour certains nostradamologues comme Patrice Guinard1)par l’absence du 100e quatrain, il semble assez problématique d’employer une telle expression dans les autres cas, y compris d’ailleurs dans celui des éditions ligueuses de 1588-1589. Voyons comment R. Benazra mais aussi Chomarat décrivent les dites éditions.(RCN (pp. 118 et seq) : signalons en passant l’usage de « complet » à propos de l’édition 1568 : « l’édition complète de Benoist Rigaud » ou encore à propos de l’édition de Rouen, Raphaël du Petit Val, de 1588, à 4 centuries : « il manque les quatrains 44, 45, 46, 47 de la centurie IV qui se termine par le quatrain 53. » . Cet exemplaire n’étant pas disponible – bien que probablement existant quelque part, ce qui est un cas assez exceptionnel- on ne sait pas si par «quatrain 53’ Benazra désigne ce qui correspond au quatrain 53 ou si la centurie se termine par un quatrain ainsi numéroté2. Nous supposons probable que cette centurie comportait des quatrains numérotés jusqu’à 49. Signalons aussi le cas de la centurie VII dans l’édition 1590 d’Anvers de François de Saint Jaure : (RCN p. 127) : « VII 1-35. Il manque les quatrains 3, 4, 8 ; 20 et 22 de la centurie VII de sorte que le quatrain numéroté 35 correspond ainsi au n°40 »

Il est assez amusant de comparer les descriptions parallèles des éditions 1555-1557 d’une part et de l’autre les deux éditions 1588 et 1590. Dans les deux cas, on a des choses qui manquent, qui ont été « ajoutées », qui sont « complètes «  ou « complétées ». A priori, dans le second cas, l’affirmation d’un manque semble plus légitime que dans le second, puisque 30 ans séparent ces deux groupes. En fait, selon nous, une telle formulation est fâcheuse en tout état de cause. Pour le premier groupe, l’état de la Ive centurie pourrait fort bien correspondre à un premier stade qui n’était pas fatalement voué à subir une addition. Comment savoir si une telle addition dans le cours de la Ive centurie était pertinente ? Les éditions ligueuses d’ailleurs signalent bien qu’il y a eu addition, ce qui n’est pas le cas, étrangement, de l’édition prétendument plus ancienne de 30 ans qui ne comporte pas une telle mention d’ajout. Que la marque d’un ajout puisse disparaitre en cours de route peut se concevoir mais l’inverse beaucoup moins, quand cette mention se présente aussi tardivement. Pour le second groupe, est-on certain que la centurie IV à 53 quatrains n’a pas d’abord été à 49 quatrains seulement ou que la centurie VII à 40 ou 42 quatrains n’en a pas d’abord compté seulement 35 ?

D’ailleurs, R. Benazra se demande si les éditions parisiennes de 1588 ne reflètent pas un état intermédiaire  (p. 121) : « On peut légitimement se demander s’il n’a pas existé après la publication du premier recueil de 1555 (s’arrêtant justement au 53e quatrain de la Ive Centurie) et avant l’édition de 1557 (s’arrêtant au 40e quatrain de la VIIe centurie) une autre édition comprenant justement cette seconde partie’(s’arrêtant au 71e quatrain de la Vie centurie). Nous soumettons au lecteur cette hypothèse »

Qui de la Bibliographie Nostradamus de Michel Chomarat et Jean-Paul Laroche (Valentin Koerner,Baden-Baden, 1989). Reprenons à 1555 : (p. 16) : « Centuries I, II, III complètes (…) et 53 quatrains pour la Ive »/ Peut être l’adjectif se réfère t-il au principe selon lequel une centurie doit comporter 100 unités ? Pour 1557 (p. 23) : « Les Centuries I à V sont complètes ; la VI ne comprend que 99 quatrains et la VII 40 quatrains » . Cas délicat, on la vue que celui de la Vie centurie dont nos auteurs ont quelque difficulté à qualifier d’incomplète car elle l’est encore dans l’édition « complète » de 1568  à moins que cela ne soit celle des années 1590 quand les choses sont « rétablies »

Passons aux éditions ligueuses, vues par M. Chomarat : (pp. 78 et seq) : « Centuries I à V complètes, 71 quatrains pour la Vie, les quatrains 72 à 83 de la VIIe Centurie et 6 quatrains de la VIIIe Centurie » (notice 145). Pour l’édition 1590Anvers St Jaure : « les centuries I à V complètes, 99 quatrains pour la Vie centurie et 35 quatrains pour la VIIe centurie »

On rappellera que la notion d’addition est récurrente dans les titres des éditions centuriques à la seule exception de l’édition Macé Bonhomme 1555. Déjà dans l’édition Antoine du Rosne, « dont il en y a trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées », Prophéties étant ici synonymes de quatrains. » ou dans les éditions Benoist Rigaud 1568 « Centuries VIII, IX X qui n’ont encores iamais esté imprimées ». En revanche, ni Chomarat, ni Benazra ne signalent dans leur description des éditions ligueuses l’indication d’une addition à la Ive centurie, après le quatrain IV 53, mention inexistante, on l’a dit, dans les éditions Antoine du Rosne.

On éprouve un double malaise chez les bibliographes, d’abord à propos des éditions des années 1550 puis à propos de celles des années 1580. Il est vrai qu’entre 1568 et 1588, on ne connait pas d’édition des Centuries, si bien que ces deux périodes se jouxtent en quelque sorte. Qu’est-ce donc que cette édition à 4 centuries dont on se passerait bien mais qui aurait néanmoins refait son apparition à la lecture attentive des éditions parisiennes de la ligue insistant sur une addition effectuée au-delà du 53e quatrain de la IV ? Ne serait-ce pas, comme le pressentait Pichon, alimenter un doute sur la valeur des centuries « additionnelles », selon leur propre aveu, au titre ? On nous objectera que justement en 1588, l’on n’avait pas craint d’indiquer une telle addition. Mais on n’a pas non plus craint de le faire au titre des éditions à 7 et à 10 centuries. Ce n’est qu’au XVIIe siècle que toutes ces indications d’addition vont disparaitre. On se contente alors de signaler l’existence d’éditions antérieures du XVIe siècle mais sans préciser leur contenu. Tout au plus indique –t-on ce qui ne mange pas de pain « revues et corrigées ». En fait, il n’en est pas tout à fait ainsi : des mentions d’addition subsistent mais pour d’autres endroits : (cf Edition d’Amsterdam, 1668) : » ;

-« autres quatrains tirez de 12 soubz la Centurie septiesme »

- « autres quatrains cy devant imprimez soubz la Centurie Huictiesme »

- « Adiousté depuis l’impression de 1568 »(à la fin de la centurie X)

Il s’agit de quatrains que les libraires troyens du début du XVIIe siècle, comme Pierre Du Ruau, ont cru bon de récupérer, de recueillir, dans les éditions parisiennes ligueuses des années 1588-1589 et dans le Janus Gallicus de Jean Aimé de Chavigny (1594).

Mais la grande question qui subsiste est celle de l’arrivée des Centuries VIII-X. Autant l’on peut suivre les différentes étapes de la formation de ce qu’on appelle généralement le « premier volet » des Centuries (I à VII), autant ne connaissons-nous les trois « dernières » centuries que sous la forme de 300 quatrains, et cette fois sans aucune marque interne témoignant d’un processus progressif et étalé dans le temps. Cependant, certaines sources nous sont connues comme la Guide des Chemins de France de Charles Estienne, grâce au travail de Chantal Liaroutzos (RHR 1986) qui ne concerne que le second volet. La façon dont certains noms de lieux furent retouchés nous a permis notamment de dater le quatrain VIII, 86 comportant Chartres au lieu de l’original Chastres, le couronnement d’Henri IV ayant eu lieu exceptionnellement dans la cathédrale de cette ville.

Il nous semble assez clair que le passage de sept à dix centuries est tardif et correspond au plus tôt à l’avénement d’Henri de Navarre à la couronne de France. (1593-1594), date de la sortie du Janus Gallicus qui comporte nombre de quatrains issus du second volet. Précédemment, bien qu’on n’en ait aucune trace imprimée, les trois centuries en question durent circuler, annonçant notamment la victoire des Vendôme (Bourbon) sur les Lorrains (Guises.

On comprend dès lors ce qu’il peut y avoir d’assez dérisoire à parler de « centuries » incomplètes, de quatrains « manquants » au regard d’une forme canonique bien établie certes in fine mais relativement tardive. Il est assez étrange de nous présenter comme un processus involutif de déperdition ce qui est une structuration évolutive et c’est bien à un tel exercice que s’évertuent un Robert Benazra ou un Patrice Guinard.

Selon nous, le projet centurique devait s’en tenir à 3 centuries et nous n’aborderons pas ici ce qu’il doit réellement à Michel de Nostredame, sur le fonds comme sur la forme. Une quatrième centurie – portant ce nom alors même qu’elle ne comportait que quelques dizaines de « prophéties »- a du constituer un premier appendice. Par la suite, on aura jugé bon de « compléter » ces « premières » centuries, avec des éléments qui ne devaient probablement plus grand-chose à  Nostradamus ni de près ni de loin, cette fois. Par la suite, multiples furent les tentatives pour préserver une impression d’unité du « corpus », en gommant les marques d’addition. En fait, il semble qu’il y ait eu, à un certain stade, revirement dans la politique éditoriale. On note ainsi que les éditions de Rouen et d’Anvers (1589-1590) ne s’embarquent pas, à la différence des  « Prophéties » parisiennes dans des indications d’additions, elles les nient par omission. Elles ne s’intitulent d’ailleurs pas « Prophéties » mais « Grandes et merveilleuses Prédictions ». A contrario, les éditions parisiennes et troyennes- sous le titre de « Prophéties » - ne cessent de signaler des additions, des augmentations. Et les contrefaçons antidatées de 1555, 1557, 1568 bien que se disant toutes lyonnaises obéissent à un tel modèle, se présentant comme constitué d’ajouts successifs et en quelque sorte s’y complaisants. C’est qu’entre temps, la thèse d’une révélation progressive des Centuries se sera imposée notamment dans le Janus Gallicus, à la fin du « Brief Discours sur la vie de M. Michel Nostradamus ». Il n’y a donc pas de problème à faire ressortir un flux de centuries, se libérant progressivement de la « prison » où on les tenait. D’où l’existence de ces éditions hybrides datées de 1557 et de 1568 qui se présentent, en leur titre, comme le résultat d’additions successives et répétées alors même qu’elles sont marquées, dans le texte, par des tentatives de supprimer diverses marques d’additions, notamment à la Ive Centurie. En revanche, les éditions de Rouen 1589 et d’Anvers 1590 – qui ne paraissent pas sous le label « Prophéties » - ne signalent nullement en leurs titres la moindre addition.

En fait, le caractère posthume de l’édition Benoist Rigaud 1568 doit être remis en question. L’exemplaire de l’édition Antoine du Rosne de la Bibliothèque de l’Université d’Utrecht- inconnu de R. Benazra comme de M. Chomarat, lors de la publication de leurs bibliographies – en témoigne. Son titre diffère sur un point important de l’exemplaire hongrois. On y trouve en effet au dessous de la formule « Dont il en y a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées », une autre formule « Adioustées de nouveau par ledict Autheur » ; absente de l’exemplaire de la Bibliothèque Nationale de Budapest. Or, une telle expression est typique des éditions à 10 centuries. Nous sommes en fait en présence de la page de titre d’un ensemble de dix centuries. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la page de titre de ce que l’on appelle le premier volet est en fait celle des deux volets et en récapitule le contenu globale. Par comparaison, l’exemplaire de Budapest correspond à la page de titre du seul premier volet et ne comporte donc pas mention d’une addition supplémentaire qui est celle, précisément, du second volet, qui n’est en fait qu’une annexe, un appendice. On nous objectera que l’exemplaire d’Utrecht ne comporte pas le dit second volet. De fait, celui-ci n’aura pas été conservé mais la seule existence de la page de titre est une preuve suffisamment évidente.

Dès lors, il est clair que l’exemplaire d’Utrecht est sensiblement plus tardif que celui de Budapest. On peut assez bien reconstituer ce qui s’est passé. Quand on a voulu opter pour un ensemble de 10 centuries paru du vivant de Nostradamus et comportant l’Epitre à Henri II de 1558, l’on a songé à l’édition Antoine du Rosne à 7 centuries et à la possibilité de lui adjoindre un supplément. Pour cela, on a remanié la page de titre sur le modèle des pseudo éditions 1568 Benoist Rigaud, et l’on a adjoint les centuries VIII, IX et X. ainsi que la dite Epître au Roi. C’était plus astucieux que de choisir encore un autre libraire. Autant que ce fût le même et probablement le second volet fut-il daté de 1558. Etrangement, la Paraphrase de Galien, également censée parue chez Antoine du Rosne, connaitra deux datations : 1557 et 1558. On peut là véritablement parler du caractère « incomplet » de l’exemplaire d’Utrecht. Cette absence du second volet aura contribué à compliquer encore plus la pseudo-chronologie des Centuries faisant ainsi cohabiter la posture «du vivant de Nostradamus » et la posture, plus ancienne, « posthume », ce qui fera dire à Bruno Petey Girard, dans son édition Garnier Flammarion (2003), que le second volet ne saurait être attribué à Nostradamus. Un tel doute n’aurait probablement pas existé si l’exemplaire Utrecht II avait été conservé. Les éditions Benoist Rigaud 1568 ne seraient donc pas en fait posthumes mais seulement la réédition de l’édition Antoine du Rosne Utrecht (à 42 quatrains au lieu de 40 à la VII). D’ailleurs, aucun caractère posthume ne figure sur les éditions 1568, comme ce sera le cas de divers textes nostradamiques parus à partir de 1566 ; et notamment en 1568 (cf le RCN, op. cit., p. 90 ) ce qui est somme toute assez paradoxal si l’on devait admettre que ces éditions sont autre chose qu’une réédition d’une prétendue édition du vivant de Nostradamus.

Reste la question délicate des vignettes des deux exemplaires Budapest et Utrecht. Celle d’Utrecht est de meilleure facture et semblable à celle de la fausse Pronostication de Nostradamus pour 1562 (Bibl. de Munich) qui orne le RCN de R. Benazra mais aussi de l’édition Macé Bonhomme 1555, différant de celle des vraies pronostications de Nostradamus, comme celles de 1557 et 1558.(Bibl de La Haye)3. Cela nous conduit à penser que l’édition Macé Bonhomme 1555 pourrait être plus tardive, quant à sa fabrication, que l’exemplaire Antoine du Rosne Budapest qui pourrait être la contrefaçon la plus ancienne de toutes celles connues, d’où le caractère assez unique de sa vignette. Cela peut sembler paradoxal, au premier abord. N’aurait-il pas été « logique » de mettre d’abord sur le marché du faux une édition à 4 centuries ? Mais l’on sait qu’une édition à 4 centuries – comme indiqué en son titre, ce qui n’est pas le cas de l’édition Macé Bonhomme- est attestée à Rouen en 1588 – on en a, en tout cas, la photo de la page de titre sinon le contenu intégral (cf RCN, p. X). Comme on l’a dit plus haut, il y eut des revirements. Progressivement, l’idée d’éditions successives et augmentées allait faire son chemin. C’est alors probablement que l’idée de produire une édition à 4 centuries, sur le modèle de l’édition rouennaise de 1588, non sans ajouter quelques quatrains à la Ive centurie, mais cette fois antidatée à 1555, date de la préface à César, sera appliquée, non sans un luxe de détails (achevé d’imprimer, extrait des registres de la sénéchaussée de Lyon, respect du style du libraire, de ses lettrines) que l’on ne retrouve dans aucune autre édition « du vivant de Nostradamus ».

Il reste que notre mode de chronologisation des éditions n’a pas encore été largement accepté par les chercheurs en ce domaine. D’aucuns ont argué du fait que les éditions que nous disons contrefaites n’ont pas leur exact équivalent dans les éditions de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle dont elles seraient issues. Certes, stricto sensu, ils ont raison puisque l’on n’a pas l’original exact des dites éditions. L’édition Anvers St Jaure 1590 est certes très semblable à celle d’Antoine du Rosne Budapest (avec absence du quatrain VI 100 et même de l’avertissement latin) mais elle n’a que 35 quatrains au lieu de 40 à la centurie VII. En revanche, le premier volet de l’édition de Cahors, Jaques Rousseau de la même année 1590 (conservée à Rodez) semble correspondre. Quant à l’édition Macé Bonhomme 1555, elle diffère certes pour quelques quatrains de celle de Raphael du Petit Val, 1588 . On sait par les éditions parisiennes de la Ligue qu’il exista bel et bien une édition à 4 centuries et à 53 quatrains – ce qui n’est pas encore le cas de l’édition rouennaise - du fait qu’il y est indiqué qu’il y a eu « addition » au-delà du dit 53e quatrain. L’édition rouennaise actuellement hors circuit revêt un intérêt considérable. Elle correspondrait en effet au tout premier état des Centuries. Rappelons en le titre qui ne sera pas repris pour l’édition Macé Bonhomme 1555, ce qui disqualifie cette dernière : Les Grandes et merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus divisées en quarte (sic) centuries esquelles se voit représenté une partie de ce qui se passe en ce temps tant en France, Espaigne, Angleterre que autres parties du monde ». On notera la formule «en ce temps », qui se réfère au temps de la publication, c'est-à-dire 1588 comme si l’on avait voulu ainsi montrer que ce que Nostradamus écrivait en 1555, comme l’indiquait la date de la préface à César, valait pour l’époque, ce qui justifiait qu’on exhumât ce texte.

Si la chronologie des Centuries est un dédale, que les chercheurs se méfient donc du Minotaure qu’il s’agisse de celui des contrefaçons ou de celui des disparitions.

22 - La postdatation, un nouveau genre de contrefaçons nostradamiques


 

On connait nos positions à propos d’éditions antidatées. On sait également à quel point les diverses biographies de Nostradamus relèvent à nos yeux de l’imposture. On sait aussi que du vivant de Nostradamus circulaient déjà des fausses éditions sous son nom et que des personnages se présentèrent comme étant ses successeurs avec la bénédiction des libraires, désireux de prolonger le filon. On sait que certains documents ont été interprétés de façon biaisée pour leur faire dire ce qu’ils ne disaient pas, tant le manque de preuves de la circulation des centuries était flagrante jusque dans les années 1580, parfois en acceptant délibérément d’être bernés par des procédés assez grossiers..Il n’est décidément pas aisé de sortir indemne de l’engagement dans le champ nostradamique et la moindre faille expose à des errements.

Mais d’autres stratagèmes peuvent être encore signalés qui compliquent encore un peu plus le travail de bibliographes quelque peu dépassés et débordés. Cela ressort du décalage entre le titre et le contenu de certaines éditions centuriques. On sait ainsi que le titre des éditions ligueuses ne correspond pas à leur contenu bien que cela n’ait pas été suffisamment souligné et signalé par les bibliographes. Nous avons proposé d’expliquer un tel décalage par la volonté d’épuiser un stock de livres devenus obsolètes du fait de plus récents développements en empruntant à des tirages plus récents, c'est-à-dire plus tardifs. Autrement dit, les pages de titres des éditions ligueuses ne correspondraient pas à la première occurrence des dites éditions et cela vaut également pour les vignettes qui s’y trouvent dans nombre de cas (Pierre Mesnier, Veuve Nicolas Roffet, 1588/1589). On ne sait d’ailleurs pas, dès lors, si le contenu des dites éditions fut produit par les dits libraires ou par d’autres. Soit c’est bien une Veuve Roffet qui jugea bon de présenter son ancienne production sous un autre titre plus alléchant, soit c’est un autre libraire qui empruntera l’identité de cette veuve, soit encore, cette libraire récupéra-t-elle d’anciens stocks d’un autre libraire pour les écouler sous son propre nom.

Rappelons pour ceux qui ne seraient pas au courant que le titre mentionnant 39 articles ajoutés à la dernière centurie ne correspond absolument pas au contenu des éditions concernées. En revanche, il correspond au contenu d’autres éditions ou du moins s’en rapproche, à savoir les éditions comportant une septième centurie à 40 quatrains, comme l’édition Antoine du Rosne Budapest 1557 et plus généralement comme le premier volet des éditions lyonnaises Benoist Rigaud 1568, que nous considérons d’ailleurs, les une comme les autres, comme antidatées..Mais inversement, ces éditions comportant une septième centurie, soit 40 quatrains ajoutés à la sixième et dernière centurie (comportant l’avertissement latin dont le caractère semble bien conclusif) n’ont pas, quant à elle, un titre relatif à leur contenu. Ces éditions sont bien « lissées » : pas de marque d’addition au milieu de la Ive Centurie, ni entre la sixième et la septième centurie, dont l’avertissement latin a disparu dans le cas de l’édition Du Rosne Budapest mais pas dans l’édition du Rosne Utrecht ni dans celle de Benoist Rigaud 1568 – les deux éditions étant liées mais nous y reviendrons. Les éditions Rigaud ressemblent assez bien de fait au titre des éditions ligueuses parisiennes (mais répétons –le non pas à leur contenu). Certes, elles n’ont que 40 quatrains à la VII, mais comme la Vie centurie n’a que 99 quatrains au lieu de 100, on peut penser que cela puisse faire sens, quelque part si l’on admet qu’un des quatrains de la VII aurait pu venir jouer le rôle du 100e quatrain, ce qui aurait mieux correspondu au titre du premier volet, impliquant une addition de 300 quatrains et non pas de 299. Il est donc possible que ce titre à 39 « articles » ait correspondu à une édition disparue. Rappelons aussi que le 100e quatrain de la VI réapparaitra au XVIIe siècle dans les éditions troyennes et déjà dans le Janus Gallicus (1594).

Signalons aussi que cette édition avec une addition de 39 articles à la « dernière centurie » est en principe plus ancienne que l’édition Antoine du Rosne qui a déjà en 1557 ses 40 quatrains alors que cette addition n’est censée n’avoir eu lieu qu’en 1560/1561. Tout cela pourrait sembler aberrant si l’on se place du vivant de Nostradamus mais est parfaitement compréhensible au regard des manipulations de faussaires jonglant allégrement avec le temps, comme des démiurges et décidant de changer de stratégie d’une fois sur l’autre. Autrement dit, cette référence à 1560 aura été supprimée du titre des éditions du Rosne et cette option 1560 carrément éliminée si ce n’est qu’elle s’est indument perpétuée par les changements de titre des éditions ligueuses, dont le contenu est véritablement archaïque avec l’indication d’une addition à la IV e centurie, correspondant au contenu des éditions à 4 centuries Macé Bonhomme 1555, édition par ailleurs également antidatée, édition augmentée – et donc plus tardive- par rapport à l’édition de Rouen Raphael du Petit Val de 1588 qui n’atteint pas encore 53 quatrains à la Ive Centurie..

Nous avons également montré que l’édition Utrecht était sensiblement plus tardive que l’édition Budapest comme il ressort de sa page de titre, conforme à celle des éditions Benoist Rigaud 1568, si ce n’est que ces dernières n’ont pas la fameuse vignette d’un personnage dans son étude.. Nous en concluons que le second volet avait du paraitre dans le même cadre Antoine du Rosne, probablement pour 1558- et toujours bien entendu en situation antidatée. Or, la vignette de l’exemplaire Utrecht est très proche de l’édition Macé Bonhomme 1555 comme d’ailleurs de l’édition Veuve Roffet 1588, pour ce qui est de la page de titre mais aussi des faux almanachs Regnault des années 1560. Selon nous, ce sont ces faux almanachs, non perçus comme tels par les faussaires, qui auront introduit par erreur une vignette ne correspondant pas à celles que Nostradamus utilisait dans ses Pronostications annuelles des années 1557-1558.

Quid de l’édition Antoine du Rosne Budapest dont la vignette diffère sensiblement de tout le lot de vignettes sus mentionnées ? Rappelons qu’Antoine du Rosne avait bien publié, en 1558, une Pronostication de Sconners, avec une vignette qui ne correspond exactement ni à Budapest ni à Utrecht mais dont l’édition Budapest a pu s’inspirer puisqu’il s’agissait de fabriquer du faux Du Rosne en se servant d’une bibliothèque assez bien fournie et parfois, on l’a vue, trop bien fournie puisque incluant des faux ayant servi par mégarde de modèles.

Ce qui fait problème, c’est que l’édition Macé Bonhomme 1555 a la même vignette que les éditions Utrecht, Regnault et Roffet. Mais alors comment vient s’intercaler la vignette Rosne Budapest, la « bonne » filiation étant Macé Bonhomme- Rosne-Utrecht au regard des vignettes ? La réponse, selon nous, c’est que la vignette Rosne-Budapest a du être utilisée sur des éditions disparues : d’une part sur les éditions parisiennes ligueuses d’origine avant qu’elles n’adoptent de nouvelles pages de titre et de l’autre sur des éditions 1555 différentes de celle de Macé Bonhomme Albi, éventuellement à 49 quatrains à la IV, sur le modèle de l’édition Rouen Petit Val 1588, provisoirement disparue ( mais bien décrite par Chomarat et Benazra, dans leurs biographies à la suite des données fournies confidentiellement par Ruzo, lors du Colloque Nostradamus de Salon de Provence, 1985) mais attestée par sa page de titre conservée, voire sur une première édition à 7 centuries 1555, référée par François de Saint Jaure, à la fin de son édition d’Anvers, dont l’édition Budapest 1557 ne serait qu’une réédition, tout comme Benoist Rigaud 1568 ne serait qu’une réédition d’Antoine du Rosne Utrecht 1558 disparue mais attestée au titre du premier volet Utrecht..

Résumons-nous : en ce qui concerne les deux éditions Antoine du Rosne 1557. La vignette Budapest a pu servir vers 1588 pour une première édition à 4 centuries 1555, pas forcément à 53 quatrains à la IV. Ensuite, elle a servi pour une nouvelle édition à 7 centuries 1555 mais en fait correspondant à un état tardif, probablement autour de 1590, sur le modèle du premier volet Jaques Rousseau Cahors, et qui a déjà intégré la phase des éditions parisiennes ligueuses ainsi que celle de l’édition de Rouen Petit Val 1589 et qu’elle apparait alors que l’on a déjà renoncé au scénario d’une addition 1561. Rappelons que les faussaires ne reproduisaient pas loin de là, tous les états des éditions centuriques qui se sont succédé entre 1588 et 1590. Un dernier point : il nous semble que les premières éditions ligueuses sont antérieures à 1588. En effet, si elles étaient de 1588-1589 ; elles seraient parues en même temps que l’édition de Rouen 1589, que nous avons en notre possession grâce à Mario Gregorio. La dite édition 1588 Rouen est beaucoup plus achevée et toilettée que les éditions parisiennes. C’est une chance que nous aient été conservées au moins trois éditions parisiennes en chantier.(se référant à trois libraires différents) mais nous pensons que ce sont là les tout premiers états des Centuries, seulement précédés de Rouen 1588 à 4 centuries (IV à 49 quatrains). Il est possible qu’ils aient eu au titre la vignette qui servira pour l’édition antidatée disparue à 7 centuries 1555, dont on connait la réédition 1557 Antoine du Rosne Budapest qui porte la dite vignette. Les éditions parisiennes ligueuses auraient été postdatées lors du remplacement de pages de titre du type 1561. Elles seraient donc plutôt de 1586/1587. Mais inversement, des éditions parisiennes dont on a les pages de titre, on n’a le contenu que par l’édition Budapest.

Le seul obstacle à notre reconstitution est le cas de l’édition Rouen Petit Val 1588, actuellement non localisée mais qui faisait partie de la Collection Ruzo ne serait-ce que sous forme de photocopie (comme les Présages Merveilleux pour 1557, que nous possédons, grâce à Mme Ruzo) ou de microfilm. En effet, que signifie la parution en 1588, à Rouen, d’une édition à 4 centuries, dont 49 à la Ive, juste avant l’édition Rouen 1589 dont la fin est tronquée (cela s’arrête à VI, 96) ? Le laps de temps entre les deux éditions chez le même libraire nous semble bien trop court ! Entre ces deux états, que de chemin parcouru, en effet. On serait passé d’une édition embryonnaire s’arrêtant à 49 quatrains à la IV à une édition très vraisemblablement à 7 centuries mais probablement pas 40 à la VII, vu que l’édition jumelle – rappelons que cette série n’est pas intitulée Prophéties mais Grandes et merveilleuses prédictions- parue à Anvers, l’année suivante en 1590, n’a que 35 quatrains à la VII. Entre ces deux états, il y a du y avoir 1 une édition avec une Ive centurie à 53 quatrains à la IV, puis 2 une édition avec une Ive centurie complète mais avec marque d’addition après le 53e quatrain type Paris mais avec une centurie VI incomplète, puis 3 une édition à six centuries complètes (non conservée), terminée par un avertissement latin, puis 4 une édition avec indication pour 1561 d’une addition de 39 articles (titre attesté par les éditions parisiennes de la Ligue et par une contrefaçon Buffet, datée 1561, cf. catalogue Scheler 2010) et l’on en arrive enfin à l’édition Rouen 1589 et Anvers 1590. Si l’on n’a pas de raison de considérer l’édition Rouen 1589 comme antidatée puisqu’elle est probablement très proche d’Anvers 1590. Selon nous, il s’agit de la reprise d’une édition sensiblement plus ancienne puisque antérieure à l’état des éditions parisiennes qui se présentent comme la complétant (non pas au titre, mais au sein de la centurie IV). On aurait eu comme pour les éditions parisiennes, un procédé de postdatation mais qu’est ce souvent qu’une réédition sinon une édition post datée ? Nous pensons que le libraire rouennais avait cru bien faire en récupérant une édition à 4 centuries de ce type, qu’il l’aura publiée comme étant récente (1588) avant de s’apercevoir qu’elle était complètement dépassée et publiant dès l’année suivante une édition beaucoup plus d’actualité.45.


 


 

23 - Méthodes de datation des documents antidatés


 

Si, initialement, nous n’avions dans notre collimateur que les éditions centuriques nous avons progressivement acquis la conviction de la nécessité d’étudier de près d’autres pièces se référant plus ou moins ponctuellement au corpus centurique, quatrains ou épîtres et servant ingénieusement de « garant », un faux en cautionnant un autre. Il nous est apparu, en effet, que non seulement on avait pu fabriquer des éditions antidatées mais qu’en plus, on avait également produit des contrefaçons d’autres ouvrages attribués à Nostradamus pour accréditer les dites éditions. Il importe cependant de distinguer les faux d’époque et les faux antidatés. Si, en effet, l’on sait que dès le début des années 1560 parurent des almanachs avec des quatrains différents de ceux que publiait Nostradamus pour l’année concernée, souvent repris d’almanachs antérieurs, il y a aussi le cas de faux d’époque qui ont donné lieu à des contrefaçons tardives de la part de faussaires qui n’étaient pas avertis de l’existence de tels procédés déjà du temps de Nostradamus, ils ont ainsi pris de mauvais modèles pour exemple, ce qui ressort notamment au niveau iconographique. Au fond, il aurait presque été préférable d’inventer des présentations totalement différentes car ces contrefaçons d’époque s’inspiraient, mais d’assez loin quand même, de la production réellement attribuable à Nostradamus. C’est ce qui s’est passé avec les fausses éditions 1568 qui évitent systématiquement de recourir aux vignettes campant un personnage à sa table de travail encore que l’on puisse retrouver dans certains cas des motifs extraits de telles vignettes. (cf. reprint Ed. Chomarat, Lyon, 2000, p. 25).

Ce qui nous intéresse le plus actuellement est la datation des éditions antidatées et plus largement des documents contrefaits. Si Patrice Guinard a publié, dans la Revue Française d’Histoire du Livre, un « Historique des éditions des Prophéties de Nostradamus (1555 – 1615) n° 129 2008), en évitant d’aborder la question de la véritable chronologie des éditions centuriques 6 et pour s’en tenir à une chronologie « factuelle » fondée presque systématiquement sur les dates figurant sur les pages de titre ou celles correspondant aux activités des libraires ainsi désignés sur les dites pages, suivant en cela l’exemple de Chomarat et de Benazra, à l’exception du cas des éditions Pierre Rigaud 1566 qui sont désormais datées du XVIIIe siècle et qu’encore au XIXe siècle, un Torné Chavigny et un Anatole Lepeltier croyaient authentiques. Cet exemple aurait du rendre prudent mais apparemment on en a fait une exception laissant entendre justement que pour les « autres » éditions centuriques datées des années 1550 ou 1560, on pouvait se fier aux données indiquées et ce même dans le cas de faux.

Il nous apparait que dans le cas de Crespin, le document daté de 1572 que nous avions mis en avant est fort probablement un faux datant du début du règne d’Henri IV. Selon nous tout ouvrage qui comporte des quatrains appartenant tant au premier qu’au second volet ne saurait être antérieur au temps des Bourbons. Dans le cas de l’épître de Chevigny à Larcher (1570) qui comprend un élément du seul premier volet, l’on doit se situer dans le cours des années 1580, et correspondre au moment où l’on publie les œuvres de Dorat. Enfin, reste le cas d’Antoine Couillard. A-t-il vraiment existé une parution en 1555 d’une quelconque préface à César, telle que reprise par le « Seigneur du Pavillon les Lorriz » dont on sait qu’en 1560 il publia des Contreditz aux fausses et abusives prophéties de Nostradamus. Tout comme Crespin, Couillard était ainsi associé au nom de Nostradamus, figurant dans une sorte de bibliothèque nostradamique dans laquelle puisèrent les faussaires de la fin du XVIe siècle. Quand cette préface est apparue en tête des Prophéties ligueuses, dans un premier temps, on aura voulu lui donner un certificat d’authenticité en faisant jouer le dit Couillard avant de trouver une meilleure solution qui consistait carrément à produire une fausse édition datée de 1555. On ne saurait ignorer l’apport du XVIIe siècle à la mise en place du canon centurique à partir de la récupération de documents du siècle précédent. D’une part, il y eut le travail des libraires troyens, notamment de Pierre Du Ruau7, qui collecta énormément de pièces dispersées et de l’autre la traduction de 1672 de Théophilus de Garencières qui restitue un état premier de la Préface centurique à César, bien moins corrompu que les versions qui nous sont parvenues par ailleurs. Rappelons que l’on dispose du texte français d’origine ayant servi à la dite traduction grâce à une édition d’Antoine Besson, libraire lyonnais qui fut en activité dans les années 1690.

Nous avons signalé à plusieurs reprises dans nos études les revirements des faussaires quant à leur réinvention du passé. Reste le cas de Significations pour 1559, largement traité dans notre post-doctorat (cf. le reprint édité par B. Chevignard, Présages de Nostradamus, op. cit) et qui est un cas d’école, tant on peut retrouver les procédés utilisés, dont la récupération de l’Eclipsium de Leovitius, déjà signalé par l’abbé Torné Chavigny, en 1879 (voir la lettre reproduite dans l’édition Chevignard p. 446) mais aussi d’une attaque contre Nostradamus que l’on présente comme une attaque de Nostradamus contre ses adversaires qui s’en prennent à ses Présages Merveilleux . (cf. p. 457 de l’édition Chevignard). : « avec tes pronostiques que tu dis estre merveilleux » , la date de ce qui se présente en fait comme une épître est le 14 août 1558 alors que celle adressée à Henri II est du 27 juin 1558 (rappelons que l’Epitre authentique au Roi est datée de janvier 1556. On pourrait y voir une épître jumelle de la fausse épître à Henri II. Or, c’est dans ces Significations qu’il est fait mention d’une « seconde centurie » (cf. p.455 de l’édition Chevignard) : « comme plus amplement est déclaré à l interprétation de mes Prophéties ». On peut même se demander si ce texte n’avait pas été envisagé précédemment au choix de l’Epitre à Henri II (qui avait pour inconvénient de reprendre une version précédente, en tête des Présages Merveilleux pour 1557, pour introduire le second volet –et si cette seconde centurie ne visait pas celle qui par la suite, au sein de l’ensemble à 10 centuries, deviendrait la centurie IX . Ces Significations auraient donc introduit le second volet avant qu’il ne soit réuni au premier sous le règne d’Henri IV. On aurait gardé quasiment la même date, à quelques semaines près. Ce qui distingue d’ailleurs ce document de ceux produits par le camp de la Ligue, c’est le fait qu’ils utilisèrent une vignette différente de celles des éditions parisiennes et des contrefaçons qui les calquaient, à savoir qu’ils avaient pris modèle sur la « bonne «  vignette, celles des Pronostications de Nostradamus et notamment celle pour 1558 – que nous avons été le premier à retrouver à la Bibliothèque Royale de La Haye (ce dont témoigne Brind’amour, dans son Nostradamus, astrophile). En effet, le libraire est le même, le parisien Guillaume Le Noir si ce n’est qu’alors que, dans les deux cas, la page de titre porte la mention « avec privilège », dans le cas de la Pronostication pour 1558, il y a in finé le texte du privilège (cf. Ed Chevignard, p. 442) et non à la fin des Significations (cf. éd. Chevignard, p. 460). On notera que la lettrine M qui commence la brève épître à Guillaume de Gadagne, en tête de la Pronostication pour 1558 n’est pas identique à la même lettrine M de l’épître en tête des Significations., d’autant que le premier mot est le même dans les deux cas, « Monseigneur » Il est assez clair que la dite Pronostication pour 1559 ne s’intéresse pas à Antarès par hasard (cf. Chevignard, p. 451) car cette étoile fixe menace les yeux. Or, rappelons qu’Henri II est mort des suites d’une blessure à l’œil, en 1559. En revanche, l’épître à Henri II ne reprend pas cette prédiction, ce qui tendrait à montrer que la nouvelle épître ne s’intéressait qu’à des événements plus tardifs.

Signalons certaines similitudes entre les deux épîtres datées de 1558, c’est ainsi qu’elles se terminent par la même formule :

A Monseigneur Jacobo-Maria Sala, evesque de Viviers et Vice légat d’Avignon M. Nostradamus, son humble serviteur envoye salut & félicité

De Salon ce 14. d’Aoust 1558. Faciebat Michael Nostradamus Salonae Petrae Provinciae, 1558 pro anno 1559 & 1560

Et A Henri Second (-…) Michel Nostradamus, son très humble, très obéissant serviteur & subject, victoire & félicité

De Salon ce XXVII. De juing Mil cinq cens cinquante huit. Faciebat Michael Nostradamus Salonae Petrae Provinciae

Il y a toutefois une différence notable :

Dans l’Epitre à l’évêque de Viviers, il est indiqué à la suite  pour quelles années le texte vaut, alors que dans l’Epitre à Henri II, rien n’est précisé. Pourtant dans le cours de l’épître, on a souvent le sentiment que le texte concerne une période donnée. « Et sera au moys d’Octobre que quelque grande translation sera faite » (p. 161, Ed. Chomarat, 2000). On y trouve également des indications de latitude (50 ; 52, 48 pour la lettre à Henri, 37, 38, 39, 40, 41, 42 & 45 degrez » donc plus au Sud pour la lettre à Jacobo Maria Salla.

Le problème de cette Epistre à l’évêque de Viviers est qu’elle n’introduit plus aucun texte. Il est vrai qu’avec Crespin, la mode des Epîtres se suffisant à elles-mêmes et qui ne sont donc plus des préfaces- fut considérablement développée entre 1571 et 1578 (cf. RCN, p. 100, 105, 106, 114) si ce n’est qu’ici, le nom du dédicataire ne figure nullement au titre. En fait, certaines épitres semblent avoir été converties ultérieurement en préfaces, au prix de quelques interpolations à moins que des préfaces n’aient été augmentées sensiblement pour tenir lieu d’épîtres, puis encore reconverties en préfaces par la suite.

. On comprend mal dès lors la formule « prendre en gré le petit présent » alors que l’Epitre à Henri II mentionne « ces trois centuries du restant de mes prophéties » tout en se référant à des «  Offres & présens ». Tout se passe comme si cette épître avait été détachée du document qu’elle introduisait initialement, vraisemblablement les Centuries VIII-X, ce qui donnerait sens au passage signalé à propos de la « seconde centurie de mes prophéties ». On notera que normalement, seules les Pronostications de Nostradamus portaient une vignette représentant un personnage à sa table de travail. On n’en trouve pas sur ses almanachs, du moins pas pour les années Cinquante. A contrario, ce sont les faux almanachs de Barbe Regnault, au début des années 1560, qui porteront une vignette différente de celle comportant l’écusson « M. de Nostre Dame ». Dans le cas des Significations, la présence de la vignette ne se serait pourtant point imposée, dans la mesure où il ne s’agit pas d’une pronostication annuelle mais sur deux ans. Dans les deux cas, une échéance pour les premières années du XVIIe siècle (1605-1606) est fournie, directement ou indirectement, ce qui fait sens pour des textes appartenant à la fin du XVIe siècle. Cette date coïncide d’ailleurs avec celle de l’Epitre à Henri IV en tête des sixains dans les éditions troyennes.

Nous avons très peu de documents concernant l’historique du second volet. On ne connait ce texte, dans ce qui nous est parvenu pour le XVIe siècle, en tout cas, que des éditions où il est déjà en position de second volet et comporte des Centuries numérotées de VIII à X. Il nous semble très improbable que le second volet, comme on l’appellera par la suite, ait eu ses centuries ainsi présentées, d’autant plus que la stabilisation à 7 centuries fut relativement tardive. Il est par ailleurs assez évident que les dites centuries connurent une certaine circulation sinon à quoi bon les constituer ? On pense notamment au quatrain IX, 86, ce qui correspond à la « seconde » centurie du second volet. Mais ces états n’ont pas été conservés. On ne sait pas davantage si le dit volet parut dès le départ avec l’Epître à Henri Second, laquelle épître d’ailleurs ne se réfère aux centuries que globalement et avec déjà une référence à la Préface à César du premier volet, ce qui ne fait sens qu’au sein d’un ensemble à deux volets. Qu’on en juge « Dedans l’Epistre que ses (sic) ans passez ay desdiée à mon fils Caesar Nostradamus, j’ay assez appertement déclaré aucuns poincts sans présage ». En fait, nous serions tentés de penser que cette épître à Henri II n’a été composée que lors de la mise en place d’un volume à dix centuries. Il n’en est pas de même de l’Epitre à Jacques Maria Sala, laquelle, signalons le quand même, ne fait aucune allusion à une Epitre antérieure de peu à Henri II, l’une étant de septembre et l’autre de juin 1558. On peut penser raisonnablement que l’épître à Mgr Sala introduisit les centuries ‘anti-ligueuses » et qu’elle fut ensuite remplacée, tout en poursuivant une carrière sous le titre de Significations.

Dès lors, que dire de la formule figurant dans l’Epitre à Henri II ? Nous la reproduisons plus amplement :

« Aviendra l’an 1605, que combien que le terme soit fort long, ce nonobstant les effets de cestuy (an) ne seront gueres dissemblables à celuy d’icelle année (1559), comme plus amplement est declaré à l’interprétation de la seconde centurie de mes Propheties ». La référence est explicitement liée ici à des éditions centuriques parues sous le nom de Prophéties ». On notera que les positions planétaires qui figurent dans l’Epître à Henri II sont celles de l’an 1606 : « mesmes de l’année 1585 & de l’année 1606 à commençant depuis le temps présent qui est le 14 de Mars 1557 ». On relèvera cette mention de l’an 1585 qui correspond selon nous assez bien à la période de la Ligue ; au lendemain de la mort du Duc d’Alençon, dernier fils de Catherine de Médicis, laquelle mort plaçait ipso facto Henri de Navarre, le cousin réformé, en position de « dauphin » d’Henri III. La vignette de l’édition Rigaud (1568) dont nous disions qu’elle comportait sur la page de titre de l’ensemble du volume, des motifs issus de la vignette «  M. de Nostredame » ne se référé-t-elle pas à la vignette des Significations ? On y retrouve les luminaires, les cinq étoiles (probablement les planètes, formant «septénaire » avec le soleil et la lune-, une main, sortant d’un vêtement, tenant une sphère et l’autre un compas. Apparemment, les faussaires, au service du camp Bourbon furent mieux inspirés ou mieux informés que leurs adversaires. Ils optèrent pour la vignette propre aux pronostications de Nostradamus, avec la mention « M. De Nostredame » et non pour celle des faux parisiens. Apparemment, les différences entres les vignettes de l’un et l’autre camp conduisirent à leur abandon et la mise en place d’une nouvelle vignette

Le caractère tardif de la rédaction ultime de l’Epitre à Henri II est attesté par le fait qu’elle se référe explicitement à la Préface à César, ce qui n’est pas le cas de l’Epître à Jacques-Marie Sala. Etant donné que cette préface figurait en tête des éditions ligueuses, il est tout à fait improbable que le camp d’Henri IV se soit référé à la dite préface. La référence ne peut donc avoir été introduite que lors de la mise en place d une édition à 10 centuries, au lendemain du couronnement du premier roi Bourbon. Imaginer que ce « second volet » n’ait vu le jour qu’à ce moment là ne ferait guère sens. Le choix de cette Epitre, isssue d’une épître ayant existé (Présages Merveilleux pour 1557) fut d’ailleurs plus probablement le fruit d’un consensus entre les parties car il est bien moins polémique que certains quatrains qu’il introduit, faisant annoncer par Nostradamus la déconfiture lorraine. Quant à l’origine des Significations de l’éclipse, s’agit –il d’un texte réalisé de toutes pièces pour la circonstance centurique ou bien de la retouche d’un texte réellement paru à cette époque adressé à l’évéque de Viviers, ce point n’a pas été encore éclairci. Nous tendrions à penser qu’’une partie du document est authentique mais que l’emprunt à Leovitius est interpolé, qui créditait Nostradamus d’une allusion à la mort d’Henri II, tout comme le passage (cf supra) – qui est annoncé au titre( « avec une sommaire réponse à ses détracteurs ») emprunté à un adversaire des Présages Merveilleux, lequel ouvrage aura d’ailleurs servi par la suite à réaliser l’Epître à Henri II ; du fait qu’il comporte lui-même une épître adressé à ce souverain. On n’a pas retrouvé le document dont le dit passage est extrait. On sait que Nostradamus à cette époque n’était pas épargné par les attaques, de Laurent Videl à Hercule le François.(cf l’article d’Olivier Millet, « Feux croisés sur Nostradamus », 1986)


 

 

24 - Bréviaire pour la (re)datation des nostradamica à l’intention des librairies anciennes ;

Par Jacques Halbronn

 

Notre propos est de fournir aux librairies anciennes un outil de travail leur permettant de dater les nostradamica en ne se fiant pas, le plus souvent et pour toutes sortes de raisons aux indications fournies en page de titre et en prenant conscience de ce qu’’un certain nombre d’éditions ont été perdues et ne nous sont connues que par des rééditions qui ne s’avouent pas nécessairement comme telles. Il ne s’agit pas dans bien des cas de fournir des dates précises, à un an près, mais des périodes de quelques années, articulées sur un certain nombre de « terminus ».

 

En 1999, dans notre thèse d’Etat (Le texte prophétique en France. Formation et Fortune, Ed. du Septentrion), nous avions introduit la notion de « chronéme » et de « chronématique » pour désigner les éléments permettant de déterminer une date pour une impression. Parfois, il suffit de noter la présence ou l’absence d’un chronéme pour fixer la date véritable de parution d’un ouvrage, cela relève d’une discipline que nous avons appelée Chronématique.

 

Dans ce bréviaire, nous listerons tous les chronémes qui nous semblent utiles et il est donc conseillé au libraire ancien de les passer en revue-et cela vaut aussi évidemment pour tout bibliothécaire ou bibliographe- y compris dans le cas de catalogues de vente- ce qui évitera bien des erreurs, pouvant affecter l’estimation du prix d’un document. On peut dire qu’actuellement, les erreurs pullulent dans ce domaine

 

Nous n’avons pas souhaité accumuler trop de critères. Nous n’en avons choisi qu’une dizaine que l’on peut donc passer en revue assez rapidement. Il est évident que certaines éditions sont concernées par plus d’un critère et peuvent même les accumuler. D’autres éléments seraient à considérer comme le cas d’éditions dont le contenu ne correspond pas au titre comme dans le cas des éditions parues sous la Ligue à Paris en 1588-1589 ainsi qu’à Rouen en 1588. Les deux "chronémes" les plus importants sont, selon nous, 1593-1594 avec le couronnement d'Henri IV à Chartres et cinquante ans plus tard (1643-1644), avec la mort de Louis XIII, en 1643

 

X, 91 : le premier verset a été retouché, il renvoie explicitement à l’année 1609. Cela concerne des éditions des centuries VIII- X parues autour de 1600.

 

IX, 86 le premier verset a été retouché pour désigner la ville de Chartres, qui fut le lieu du couronnement d’Henri IV, au début de l’année 1594. Cela concerne des éditions des centuries VIII-X parues après 1593.

 

IV 46 le second verset concerne la ville de Tours, capitale désignée en place de Paris. Cela concerne des éditions des centuries I à VII – et bien entendu à quatre centuries, parues à partir de 1588.

 

VII 35 l’édition d’Anvers (1590) comporte 35 quatrains à la VII. Les éditions comportant plus de 35 quatrains à la VII lui sont postérieures

 

IV 49 l’édition de Rouen (1588) ne comporte que 349 quatrains, non encore classés en centuries. Les éditions comportant plus de 49 quatrains à la IV lui sont postérieures

 

Marque d’addition après IV 53 dans les éditions parisiennes 1588. Les éditions ne comportant pas cette indication leur sont postérieures.

 

Marque d’addition après VI, 71 dans l’édition Veuve N. Buffet, datée de 1561 mais parue vers 1588. Les éditions des centuries I-VII ne comportant pas cette indication lui sont postérieures.

 

VI, 100. Ce quatrain n’est réapparu que dans les éditions troyennes, à partir de 1638. On ne connait pas d’édition antérieure à cette date comportant ce quatrain. Il a du en exister. Le quatrain est commenté dans le Janus Gallicus (1594)

 

X, 101. Ce quatrain additionnel numéroté 101 ou non, renvoie à l’année 1660, par un processus de cryptogramme. Il ne figure que dans les éditions parues à partir de 1643 et de la mort de Louis XIII, ouvrant une nouvelle régence.

 

Avertissement latin, à la fin de la centurie VI. N’a été réintroduit que dans les années 1590. Les éditions actuellement connues comportant celui-ci lui sont antérieures.

 

Mention de 1606 ajoutée à 1585; les éditions comportant une épitre à Henri II, avec cette mention ne sont guère antérieures à 1600

 

Comme on l’a expliqué plus haut, ce bréviaire ne vise pas à constituer une chronologie compléte des éditions ayant existé mais qui n’ont pas été conservées - ce que nous avons fait par ailleurs. Il s’agit simplement de points de repéres permettant d’éviter des erreurs grossières de datation.

 

En conclusion une mise en garde : les critères proposés valent pour les éditions actuellement connues. Il n’est donc pas exclu que pour des éditions non encore recensées, tel critère puisse ne pas valoir. C’est pourquoi, il est essentiel d’aborder l’ensemble des critères dans chaque cas.
 

 

Annexe I : chronologie centurique et néo-centurique résumée.

 

vers 1583 revival centurique marqué par la reparution des quatrains mensuels, sous forme de 12 « centuries » (cf Duverdier 1585). Cela aboutit à des almanachs puisant dans ces quatrains en les recyclant pour des années à venir.

 

vers 1586 Emergence d’un néo-centurisme constitué de quatrains attribués à Nostradamus mais en fait récupéré de l’œuvre d’ imitateurs des quatrains mensuels récemment publiés .

 

A Parution de plusieurs centaines de quatrains sous le titre de « Prophétie de Nostradamus », sous une forme au départ non centurique.

 

B Mise en place progressive d’un premier « livre » de sept centuries et d’éditions antidatées, à commencer par Pierre Roux 1555 ( disparue) avec préface à César, et sa réédition Antoine du Rosne 1557 Budapest. Probable circulation d’un ensemble de trois centuries favorables à Henri de Navarre et introduit par une nouvelle mouture datée de 1558 de l’Epitre de Nostradamus à Henri II

 

vers1593 mise en place par Benoist Rigaud d’un ensemble regroupant le premier livre à sept centuries et un deuxiéme « livre » de trois centuries (VIII-X) retouchées (IX, 86), comportant l’Epitre à Henri II déjà parue séparément. Parution d’une édition 1558 antidatée, non conservée.

 

1594 le Janus Gallicus intégre le centurisme à « centuries » de quatrains mensuels- qu’il applique à d’autres années que celles initialement prévues - et le néo-centurisme à deux volets.

 

1600 Les éditons Rigaud se réactualisent et changent d’échéance au profit de 1606, produisant de fausses éditions Rigaud 1568 ou sans date (retouche du quatrain X, 91, avec mention de 1609). Parallélement paraisssent les sixains de Noel Léon Morgard. Nombreux quatrains ajoutés ou retouchés.

 

A partir de 1642 (mort de Richelieu et du roi l'année suivante) Développement du troisiéme livret à Troyes, chez Chevillot puis chez Du Ruau, avec intégration des sixains. .Parution d’édtions antidatées ( fausses éditions lyonnaises Rigaud 1568 ou sans date avec quatrain cryptogramme à la fin de la centurie X, fausse édition Poyet 1627, fausse éditions 1605 et 1611 notons que 1611 Chevillot parait avant 1605 Du Ruau) comportent le quatrain cryptogrammme pour 1660

 

 

 

Annexe II

 

La liste noire des éditions mal datées des Prophéties

 

Sans tendre nullement à l’exhaustivité, il nous a paru utile et instructif de dresser une liste de quelques exemples d’éditions conservées mal classées chronologiquement : on notera qu’elles portent toutes le même titre, Prophéties de M. Michel Nostradamus. Les éditions portant d’autres titres ne sont en réglé générale pas antidatées.

 

1555 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus, , Macé Bonhomme 1555

 

4 centuries. A dater autour de 1593

 

1557(A) Les Prophéties de M. Michel Nostradamus, Lyon, Antoine du Rosne, 1557 (Bibl. Budapest)

 

7 centuries. A dater autour de 1590.

 

1557 (B) Les Prophéties de M. Michel Nostradamus (…) Adioustées de nouveau par le dict autheur, Lyon, Antoine du Rosne, 1557 (Bibl. Utrecht) A dater autour de 1593.

 

10 centuries (second volume manquant) A dater autour de 1593, selon le modèle Benoist Rigaud, 1568

 

1560 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus, (…) additionnées par l’autheur pour l’an 1561 (…) à la dernière centurie , Paris, c 1560

 

A dater vers 1588

 

1566, Les Prophéties de M. Michel Nostradamus, adioustées de nouveau par le dict Autheur, Lyon, Pierre Rigaud, 1566

 

A dater vers 1716 et plus

 

1568 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus, adioustées de nouveau par le dict autheur, Lyon, Benoist Rigaud, 1568

 

A dater de 1593 et plus

 

1588 Les Grandes et Merveilleuses Prédictions, divisées en quarte (sic) centuries, Rouen, Raphaël du Petit Val,

 

A dater d’avant 1588, c 1586 , au niveau de leur contenu.

 

1588 et 1589 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus, dont il y en a 300 qui n’ont jamais esté imprimées. Jouxte la Copie, l’an 1561, Paris,

 

A dater d’avant 1588, c 1587, au niveau de leur contenu.

 

1605 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus (..) sur la copie imprimée à Lyon par Benoist Rigaud. MDCV

 

Pas avant 1643, due au libraire troyen, Pierre Du Ruau

 

1611 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus, Troyes, Pierre Chevillot

 

Pas avant 1643, due au libraire Pierre Chevillot

 

1627 Les Prophéties de Me Michel Nostradamus, adioustées de nouveau par le dict Autheur, Lyon, Jean Didier

 

Pas avant 1643

 

 

 

JHB

 

26. 01. 12

 

 

 

 

25 - Essai de Dictionnaire du nostradamisme

 

Nous organiserons notre « Dictionnaire » autour de 8 entrées correspondant à des éléments déterminants de la bibliographie centurique,  en procédant à une sorte de déconstruction en vue de parvenir à une synthèse récapitulative et donc cyclique, parvenant ainsi à une représentation radicalement nouvelle par rapport aux représentations biobibliographiques actuelles.

 

Chacune de ces entrées fera le point sur l’état des recherches – et singulièrement des nôtres. La formule alphabétique du « Dictionnaire » a certes des inconvénients, en ce qu’elle est cloisonnante mais elle nous permettra d’aborder le sujet sous autant d’angles différents, quitte à ce qu’il y ait des redondances, chaque entrée comportant, en tout état de cause, des renvois aux autres. Bien évidemment, autour de chacune des 8 entrées viendront se placer, se greffer, divers dossiers qui seront mis à contribution d’une entrée à l’autre, comme celui des éditions parisiennes sous la Ligue ou celui de la traduction anglaise de 1672 par Théophile de Garancières ou encore le cas des « Prophéties » d’Antoine Couillard, de Noel Léon Morgard ou encore d’Antoine Crespin. On s’intéressera notamment à l’édition troyenne de Pierre du Ruau – à situer selon nous après la naissance de la troisiéme génération royale Bourbon (1638) ou à celle d’Antoine Besson (c 1690). Ce qui vient compliquer notre tâche tient au fait que même parmi ces contrefaçons, toutes ne nous sont point parvenues, ce qui est un autre défaut des bibliographies signalées : non seulement, elles s’en tiennent à la signalisation indiquée sur les pages de titre – dont on verra à quelle point celle-ci est suspecte et pas seulement au niveau des dates—mais qu’elles se gardent bien de considérer la possibilité, l’éventualité de chainons manquants, dont on peut logiquement conclure à l’existence. C’est tout cela qu’implique notre travail de restauration.

Selon nous, le revival nostradamique du milieu des années 1580 se sera accompagné d’une certaine fréquentation d’une riche bibliothèque de nostradamica, avec notamment la découverte d’une épitre à Henri II,, en tête des Présages Merveilleux pour 1557, ce qui donnera l’idée d’une nouvelle mouture de celle-ci.. L’an 1585 sera assez vite mis en avant en tant que ligne de mire avant qu’il ne soit remplacé, au fil du temps, par l’an 1606 sans toutefois disparaitre totalement – on aura préféré un processus additionnel. On sera donc passé d’une simple récupération de textes oubliés ( le premier centurisme constitué par les séries de quatrains mensuels, année par année) à la fabrication, dans la foulée, de textes antidatés venant cautionner l’émergence du néo-centurisme constitué de centuries qui seront présentées comme contemporaines des almanachs et prognostications, si ce n’est que les vignettes qui orneront leurs pages de titre diffèrent de celles de la dite , production annuelle, du fait qu’elles sont empruntées, par erreur, aux faux almanachs parisiens (Barbe Regnault) paraissant au début des années 1560...



 

César (Préface à (1555)

Ce texte introduit le « premier volet ». En fait, cette notion est tardive car on ne connait d’abord qu’un seul ensemble qui s’est étoffé progressivement jusqu’à atteindre, par étapes, sous la Ligue, sept centuries. Mais la Préface figure déjà en tête d’éditions comportant un moindre nombre de centuries. En l’occurrence, les éditions parisiennes de 1588 semblent aller dans le sens d’une première version à 4 centuries dont la Ive ne comporterait qu’une quarantaine de quatrains.

Cette préface datée le plus souvent de 1555 est-elle parue cette année là comme le laisse entendre l’existence d’éditions Macé Bonhomme indiquant au titre cette année là ? Certes, l’on signale la reprise de pans entiers de la dite préface au sein des Prophéties dues à Antoine Couillard, seigneur du Pavillon, dès 1556, connu par ailleurs comme l’auteur de Contreditz visant Nostradamus (1560). Ce document aura largement servi à accréditer la thèse de l’authenticité de l’édition Macé Bonhomme 1555, encore que certains points du dit document apportent des éléments ne figurant pas dans les éditions connues de la Préface, ce qui s’expliquerait par le fait que l’état premier de la dite préface ne nous est pas parvenu (cf notre post doctorat 2007). Nous soupçonnons qu’il puisse s’agir d’un faux, paru en paralléle avec de fausses éditions antidatées, à commencer par le titre qui évoque le nom sous lequel parurent les centuries sous la Ligue, à Paris, titre que l’on ne retrouve pas notamment dans les éditions rouennaises de 1588-1589, intitulées Grandes et Merveilleuses Prédictions.

Que Nostradamus ait pu, à la rigueur, rédiger une adresse à son fils, au lendemain de la naissance de celui-ci, à la fin de 1553, ne signifie pas que celle-ci ait été imprimée à cette date. Cette préface annonce, en effet, un «mémoire » qui ne pourra être compris par César que par la suite. Mais ce n’est que dans la traduction anglaise que l’on trouve cette formule, laquelle date de 1672. On pourrait croire à une erreur de traduction s’il n’était paru encore plus tardivement le texte français d’origine (chez le libraire lyonnais Antoine Besson, dont la période d’activité se situe dans la dernière décennie du XVIIe siècle). Rappelons que le texte « classique » comporte la forme « délaisser mémoire » qui a rarement été compris comme renvoyant à un document, voire à un testament. Nous avons émis l’hypothèse d’une influence de l’Epistre des Champs Elysées (faisant partie des Epîtres Familières du Traverseur)8 campant Henri VII d’Angleterre, parue chez Macé Bonhomme, à Lyon, s’adressant d’outre tombe à son fils Henri VIII..

Un autre exemple  concernant un point relevé par Couillard :

Epître des Champs Elysées :
“... m’ont excité t’envoyer promptement, mon très cher fils, cette présente Epître. Pour mettre sous les Martiaux arroys”

Préface à César :
“Ton tard advènement César Nostradame mon fils (...) tes mois Martiaulx... »

. Le texte de la Préface tel qu’il figure dans le canon centurique est fort défectueux en comparaison du texte Besson, aussi tardif fût-il. Cette version correspond probablement à la première édition- perdue - des premières centuries qu’il faut situer autour de 1586. Il est remarquable qu’un texte aussi lacunaire et défectueux ait été ainsi indéfiniment reproduit. Les nostradamologues anglophones ont la chance de bénéficier d’une version plus satisfaisante de la dite Préface.

Etant donné que cette préface devait être initialement la possession du dit César, cela laisse d’ailleurs présupposer que le dit César joua un rôle non négligeable dans le revival du nom de son père et qu’il confia l’épître que son père lui avait laissée à des libraires, de façon à conférer aux quatrains centuriques. leurs lettres de noblesse. Jean Aimé de Chavigny cite le nom de César dans son introduction au Janus Gallicus.

Mais nous défendons depuis peu une position plus radicale  quant à la composition de la dite Préface. Nous ferons remarquer que le nom de César n’apparait que dans les Prophéties du Seigneur du Pavillon (cf fol 8 verso) et encore pas comme le destinataire d’une Epitre « épouvantable » mais en passant « et ne veux taire les ans de César son fils ». Il est notamment absent de la Déclaration de Videl de 1558 laquelle s’en prend pourtant à un texte qui recoupe celui de Couillard et celui de l’Epitre à César, cela viendrait confirmer que le personnage de César n’était pas au centre de l’Epitre et donc un commentateur pouvait ne pas s’y référer. On peut raisonnablement supposer que ce n’est que dans un deuxiéme temps que l’on aura placé César au centre du texte lorsqu’il sera utilisé au sein du recueil centurique. Notamment, les lignes introductrices de la Préface centurique « Ton tard avénement » ne trouvent pas d’écho chez Videl ou chez Couillard, elles auront été ajoutées lors de la refonte du texte. Au demeurant, le fait d’avoir par la suite placé César comme destinataire aura contribué à inscrire ce texte dans la dynamique de ce que nous appelons le prophétisme régentiel, qui implique la présence d’un prince n’ayant pas encore atteint l’âge de régner.

Il nous apparait que la première occurrence de la Préface à César en tant que texte s’adressant directement à César dans sa présentation, a du être dans un contexte qui se voulait posthume. Le premier scénario- suivi il est vrai de bien d’autres- fut probablement – mais on n’a pas l’édition d’origine comme semble l’attester l’émergence au XVIIe siècle d’un état plus satisfaisant de la dite Préface- que cette préface en quelque sorte posthume de Nostradamus, même si elle était rédigée en 1555 mais comme le serait un testament spirituel – était ainsi divulguée pour la première fois –vers 1586- 1587 accompagnée d’un certain nombre de « centuries », probablement 300 quatrains car la Ive centurie est un appendice qui aura été rajouté peu après- On connait les états successifs des dites éditions en examinant notamment les éditions parisiennes- dont la date au titre n’est pas forcément la bonne – car elles semblent avoir cette fois été postdatées - précédées de la dite préface –en faisant abstraction de la page de titre qui nous induirait en erreur- nous avons 5 centuries pleines (avec la Ive complétée) et l’esquisse d’une centurie VI qui joue à son tour le rôle de la centurie IV (et annonce celui de la centurie VII), avec 71 quatrains. Cette centurie VI sera à son tour complétée, puis suivie à nouveau d’une addition constituant la centurie VII (Ed. de Rouen, tronquée (on ignore le nombre de quatrains à la VII dans l’édition de 1589 et d’Anvers 1590, à 35 quatrains à la VII).

A quel moment vint l’idée de réaliser des éditions du premier volet carrément datées de 1555, abandonnant dès lors le scénario de la divulgation posthume ? On sait que ce sera chose décidée en 1590 au vu de ce qui est indiqué dans l’édition St Jaure d’Anvers mais déjà les pages de titre des éditions parisiennes – pas celles de Rouen d’ailleurs- se référent à une édition augmentée pour l’an 1561. Mais selon notre thèse, leur contenu est plus ancien que leur titre. Nous aurions donc tendance à penser que la fabrication des éditions parisiennes –titre exclus- est sensiblement antérieure à celle des éditions de Rouen 1589 et Anvers 1590. La preuve en est que la centurie IV des éditions parisiennes comporte mention d’une addition alors que l’édition de Rouen 1589 ne mentionne pas cette addition- et ce bien qu’il existe une édition Rouen 1588 à seulement quatre centuries - et présente la Ive centurie comme étant d’un seul tenant. Il y a là une manipulation qui ne fait évidemment qu’ajouter à la confusion de la chronologie bibliographique. On conclura, assez raisonnablement que les deux années –en gros- qui précédèrent 1588 virent paraitre les dites éditions « parisiennes » mais en fait elles ne parurent pas nécessairement chez les dits libraires parisiens qui se contentèrent peut être d’y apposer une page de titre permettant une post-datation à des fins purement d’écoulement de stocks. C’est peut être un tel déguisement qui leur aura permis de parvenir jusqu’à nous.

Quid donc de cette première édition rouennaise datée de 1588, chez le même libraire ? Un écart important, au niveau du contenu sépare ces deux éditions. La première édition rouennaise nous semble en effet se situer bien plus haut dans la chaîne des éditions avec une centurie iV qui n’atteint même pas les 53 quatrains. Là encore, on assisterait à un phénomène de post-datation, qui génère une forme d’anachronisme. Il s’agirait d’une réédition d’une édition plus ancienne, puisqu’elle précéderait par son contenu celui des éditions « parisiennes » de la Ligue. Rapidement, le libraire rouennais aurait rattrapé l’écart avec le nouvel état des centuries, d’où la faible marge de temps entre les deux éditions.

Il nous apparait que ce texte introductif de l’ensemble du « recueil » prophétique aura joué un rôle plus déterminant pour la fortune des Centuries que nous ne le pensions. Il convient en effet de le resituer dans le cadre de ce que nous appellerons le prophétisme régentiel. Dans Le Texte Prophétique en France ainsi que plus spécifiquement dans un article consacré à l’existence d’une tradition prophétique (site du CURA) se perpétuant sur plusieurs siècles, du XVIe au XVIIIe siècles, et qui explique le processus et la chronologie des rééditions, nous avions observé à propos, non pas des Centuries mais du Mirabilis Liber et de ses suites, que le fait qu’à plusieurs reprises la France ait connu des rois orphelins de père en très jeune âge (Charles IX, Louis XIII, Louis XIV, Louis XV) fut l’occasion de faire reparaître le Recueil des Prophéties et Révélations Modernes, repris du dit Mirabilis Liber. Le dit Recueil sera associé au XVIIe siècle avec les Centuries, dans les éditions se présentant comme troyennes (Chevillot, Du Ruau)/ Mais nous avions négligé de relier la préface à César avec le phénoméne régentiel. Or, cette Préface s’adresse à un enfant né tardivement – c’est le sens même des premières lignes et en y réfléchissant, une telle entrée en matière n’était probablement pas tout à fait fortuite et pouvait bel et bien se référer à une situation allant au-delà du cas de César, dont le prénom se préte évidemment à une transposition princière. De là à se demander à quelle date parut un tel texte : est-ce que ce texte aurait pu être diffusé – en dehors du contexte centurique plus tardif – dès 1561, lors de la régence de Catherine de Médicis ? Ce qui est certain, c’est que la thèse d’une première apparition sous la Ligue ne fait guère sens, du moins à notre connaissance, au regard du dit prophétisme régentiel. Il est plus probable que ce texte aura été repris dans l’ensemble centurique dans les années 1580. Cette année 1561 n’est d’ailleurs pas sans intérêt au regard de la chronologie des Centuries : c’est justement sous la Ligue qu’il est fait référence à l’année 1561 dans le titre même des éditions parisiennes. » revues & additionnées par l’autheur pour l’An mil cinq cens soixante & un de trente neuf articles ». (cf RCN, p 123). On sait aussi que les quatrains de l’almanach de Nostradamus pour 1561 seront utilisés à la fin des dites éditions (1588-1589). Une autre édition carrément datée de 1561, et comportant donc la préface à César, mentionne en son titre 38 et non 39 articles (cf. catalogue de la librairie Thomas Schelert, 2010). C’est dire qu’il y a une certaine polarisation sous la Ligue vers l’an 1561, année de début de régence. On peut supposer que les éditeurs parisiens aient récupéré la dite Epître à César, datée de 1555, dans une publication nostradamique liée à la dite année. Le texte attesté dès 1556 et 1558, en tête de « vaticinations perpétuelles » axées sur l’an 3797, donnée reprise tant par Couillard que par Videl, et que l’on ne retrouve pas dans le corps des Centuries, ce qui révéle un certain hiatus entre l’épitre et ce qui lui est adjoint même si par ailleurs, l’on trouve certaines expressions communes entre les deux documents mais qui ont pu être ajoutés soit à l’un, soit à l’autre pour donner le change - aurait pu être remanié pour être cette fois centré sur César et c’est ce texte (associé cette fois à 1561 et à la régence de Catherine de Médicis) qui aurait été utilisé sous la Ligue pour introduire les Centuries prophétique. Ce recentrage, on l’a dit, aura sensiblement contribué à la fortune des Centuries au long XVIIe siècle marqué par trois régences (1611, 1643, 1716). C’est en effet en 1716, au lendemain de la mort de Louis XIV, que vont paraitre les fausses éditions Pierre Rigaud 1566 qui elles-mêmes ont un caractère posthume qui correspond bien au sens de l’Epitre « espouventable » (Couillard) sous sa forme remaniée et en quelque sorte « régentisée ».. Il convient bien entendu de se référer à la première mouture de la Préface à César, celle qui ne nous est connue que par les éditions du XVIIe siècle et notamment celles d’Antoine Besson, dans les années 1690. On ne connait pas le contenu de la préface en tête de l’édition de Raphaël du Petit Val,, Rouen 1588, qui comporte un état très ancien des quatrains sous une forme non encore divisée en centuries, en dépit de leur titre (cf les éléments fournis par D. Ruzo dans son Testament de Nostradamus), aucune description de la dite préface ne nous étant parvenue et l’édition elle-même étant présentement inaccessible et notamment absente du site propheties.it.



 

Henri Second (Epître à (1558)

A la différence de la Préface à César, qui en tant que telle n’a probablement jamais existé du moins en tant que pièce dédiée au dit César, il apparaitrait que Nostradamus aurait publié une adresse à Henri II, en tête des Présages Merveilleux pour 1557, que nous avons reproduite pour la première fois dans son intégralité (Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002). L’épître figurant en tête de ce qu’on nomme habituellement le second volet des Centuries a été sensiblement retouchée, sa date n’est plus de l’année 1556 mais de l’année 1558, elle comporte un référence à la Préface à César, censée lui être antérieure puisque datée de 1555. Rappelons que ce second volet annonce la victoire de la maison de Vendôme (Bourbon) sur celle de Lorraine(Guise) et même le couronnement de Chartres.

Nous avons, pour notre part, émis l’hypothèse selon laquelle les Significations de l’Eclipse de 1559 ; constituée en fait d’une longue épître à Jacques-Maria Sala, et datée d’août 1558- alors que l’épître dédiée à Henri Second est datée de juin de la même 1558 - auraient pu constituer la première épître au second volet. Ce qui est plus que probable en tout cas est le fait que ces Significations, parues chez Guillaume Le Noir, à Paris, dont la page de titre nous apparait comme calquée sur la Pronostication pour 1558, sont une contrefaçon.

Nous pensons que l’Epitre centurique, à Henri II, du moins telle que nous la connaissons n’a pu être imprimée que dans le cadre d’une édition à 10 centuries, du fait même qu’elle cite la Préface à César. Signalons que la première Epitre à Henri II, de 1556, ne signale aucunement de préface à César. Pendant la guerre civile, il était hors de question de citer la préface à César qui ouvrait le « premier » volet ligueur. L’Epitre à J-M. Sala ne prête pas le flanc à une telle critique.

Le second volet devait initialement ne pas être numéroté de VIII à X, mais de I à III. Ce n’est que lors de la réunion des deux ensembles qu’une numérotation suivie fut établie.

Selon nous, la réalisation de cette Epitre, datée désormais de l’Eté 1558, ainsi remaniée, fut tardive, lorsque parut ce que nous appelons l’encyclopédie troyenne des prophéties, autour de 1605. Sa présence dans les éditions Benoit Rigaud 1568 souligne le caractère antidaté de telles éditions.

Le texte de l’Epître à Henri II est, comme celui de la Préface à César, quelque peu défectueux, si on le compare à l’édition anglaise de 1672 et à l’édition Antoine Besson.

Nous connaissons certaines sources des quatrains propres au second volet, grâce à Chantal Liaroutzos qui, en 1986, signala les emprunts à la production géographique de Charles Estienne. Cette fois, ce que nous voulons signaler, ce n’est pas tant la corruption du texte, par quelque inadvertance ou désintérêt de comprendre et de corriger éventuellement, qu’une stratégie consistant à retoucher un texte en soi insignifiant, à savoir des listes de noms de lieux, dans un périmètre assez restreint pour faire passer quelque message par certains quatrains. Le quatrain IV, 86 représente, parmi d’autres, une telle démarche en changeant le nom de Chastres en Chartres et en en faisant le quatrain annonciateur du couronnement d’Henri IV non pas à Reims mais à Chartres. On a relevé d’autres exemples dans la centurie VIII comme le 53e où le deuxième verset « Sera serré la puisnay de Nancy », laquelle ville est celle de l’ennemi dynastique – la maison de Lorraine qui se prétend d’origine carolingienne et ayant des droits à ce titre à la couronne de France- est décalé par rapport aux autres versets traitant de l’Italie. De même Avignon, cité de l’ennemi pontifical, apparait-il, dans VIII, 52, alors que l’on traite des villes de la Loire. :

Les centuries introduites par l’Epitre à Henri Second sont en elles-mêmes une compilation de divers quatrains ayant circulé séparément. On en a la preuve du fait que certains quatrains sont fournis en « clair » et d’autres sont cryptés, ce qui ne ferait pas sens au sein d’un même ensemble, sinon dans une perspective compilatoire forcément plus tardive. On y trouve d’une part des anagrammes, des abréviations et de l’autre des quatrains qui donnent la clef de ces codes : Norlaris mais aussi Lorraine, Mendosus mais aussi Vendôme, Par Car Nersaf, mais aussi Cardinal de France.9

Si nous sommes assez bien renseignés sur la génése des sept premières centuries que nous avons vu se mettre en place très progressivement au cours des années 1580, en revanche, nous ne savons quasiment rien sur la formation des trois dernières. Nous n’en avons sommes toutes qu’un seul et unique état, étant donné qu’elles se présentent d’un seul bloc de 300 quatrains, sans addition ni suppression aucune : contraste saisissant. D’ailleurs, l’on sait que l’idée d’un ensemble de 300 prophéties est également au cœur du premier volet, si l’on en croit du moins certains titres (Rouen 1589, Anvers, 1590, Antoine du Rosne, 1557 etc ). Toutes traces d’états successifs semblent avoir disparu. Les éditions sont aussi lisses que les éditions néo-centuriques antidatées, à part quelques mots manquants ici et là dans telle ou telle édition. Mais la mise en évidence de certaines sources nous donne un peu de perspective. C’est ainsi que le quatrain IX, 86 a certainement été retouché dans un deuxiéme temps, Chastres devenant Chartres à l’approche du couronnement d’Henri de Navarre, à partir des emprunts à Charles Estienne. .On pourrait éventuellement trouver des variantes entre le texte tel que figurant chez Crespin et dans les Centuries VIII, IX, X. On reléve des dates appartenant au début du XVIIe siècle comme 1609, quatrain X, 91, lequel quatrain se trouve donc à la fin de l’ensemble, et l’on sait, au regard du premier volet, que cette position est stratégique et correspond à des additions tardives.

Clergé Romain l’an mil six cens & neuf

Au chef de l’an feras élection

D’un gris & noir de la Compagne yssu

Qui onc ne feut si maling (compagnon)

Or l’on sait que l’Epitre à Henri II s’articule sur de telles années, passant de 1585 à 1606. Il est possible que les quatrains aient suivi le même parcours. Il est clair que sous Henri IV, certains développements consacrés à la période de la Ligue sont quelque peu « périmés » au niveau prophétique, comme pour IX, 50.. La question pontificale et avignonnaise (VIII, 38 et VIII 52 avec un verset récurrent « Roy de Bloys dans Avignon regner » ) semble l’avoir emporté sur les enjeux dynastiques.

Décidément, le quatrain X, 91 ne cesse de retenir notre attention. Dans quelle mesure neuf rime –t-il avec yssu ? Ne peut-on soupçonner un premier vers retouché ou carrément remplacé et l’interpolation de l’année 1609 ? Que penser des éditions comportant cette référence aux années 1606-1609 ? Rappelons que les sixains sont également marqués par ces mêmes années, ce qui met X, 91 en synchronie avec un grand nombre de sixains morgardiens qui se contentent des centaines (En l’an six cens etc): Si l’on considére les deux derniers quatrains de ce second volet (X, 99 et 100) , il est question de l’Angleterre (100) et du Loup (99). Or, la clef des sixains morgardiens nous indique que le loup, c’est l’Anglais. C’est ainsi que le sixain 50 se présente ainsi : Un peu devant ou après l’Angleterre/ Par mort du loup, mise aussi bas que terre. On ne saurait exclure qu’il y ait eu des clefs accompagnant ce lot de quatrains.

En ce qui concerne les sources de l’Epître au Roi, nous suggérerons la première édition du Mirabilis Liber (Paris, 1522) qui comporte en latin une Epitre au Roi de France –Ad Serenissimum Gallorum regem etc- , vraisemblablement François Ier qui venait d’échouer dans sa candidature à l’Empire (1519) face à Charles Quint mais il est possible que ce texte n’ait été intégré qu’ensuite au sein du Mirabilis Liber. On notera que dans les éditions suivantes (datées de 1523 et au-delà) du Mirabilis Liber, l’adresse au Roy de France a été tronquée comme si elle n’était plus de circonstance10. On peut penser que certaines éditions remaniées parurent au lendemain de Pavie tout en conservant la présentation d’origine, ce qui en fait des éditions antidatées. Marnef apparait comme ayant publié tant l’édition 1522 et l’édition 1523, modifiée, François Ier n’était plus alors ‘invictissime » et on était passé sous une régence. Dans le cas d’Henri II, on a gardé la forme fatteuse d’origine car cela se fit bien après sa mort..

Que l’on juge donc de la similitude au sein d’un texte prophétique antérieur appartenant aux années 1540

Mirabilis Liber (1522) Invictissime princeps inter Christianos

Epitre à Henri Second : « A l’Invictissime, très puissant &Tres Chrestien et très souverain Roy »

Le Livre II est consacré à l’Eglise (cf notamment le chapitre IX du Mirabilis Liber et sa traduction française ). Or la dite Eglise est bien représentée dans l’Epitre à Henri II notamment autour de la date de 1792.

Rappelons que la Préface à César a pu elle aussi etre influencée par le Mirabilis Liber, du fait de son emprunt au Compendium de Savonarole qui se trouve reproduit dans le dit recueil. On peut en effet supposer qu’à un certain stade additionnel, les mêmes sources ont pu servir pour les deux épîtres.


 

Henri IV (Epître à (1605 )

Cette troisième épître, datée de 1605, et signée Vincent Scève, introduit ce que l’on pourrait appeler un troisième volet mais il semble exclu que celui-ci et l’édition qui le comporte, appartienne à cette année. C’est l’existence même d’une telle épitre qui aura donné lieu à une édition antidatée (d’une quarantaine d’années) pour la même année 1605, . Elle est placée avant les sixains. Nous avons retrouvé ces 58 sixains, imprimés sous le nom de Noël Léon Morgard. Il existe d’ailleurs un manuscrit comportant un plus grand nombre de sixains . Le seul fait qu’il s’agit et de sixains et non de quatrains a généré un consensus des nostradamologues pour l’exclure du canon nostradamiqe, à la demande d’ailleurs, dès 1656 du dominicain Jean Giffré de Réchac, dans son Eclaircissement des véritables quatrains. En fait, ce qui fait problème dans ces 58 sixains, c’est leur excès de précision qui devient suspect. Ce qui tend à montrer qu’il existe quand même quelque limite à la crédulité. Il reste que l’on ai tenté de voir dans les 58 sixains une tentative pour compléter la septiéme centurie, qui dans nombre des ses versions, est à 42 quatrains.

Cette édition à trois volets constitue une tentative de rassemblement systématique, selon nous d’origine troyenne, de tout ce qui comporte, de près ou de loin, un caractère nostradamique. On y retrouve notamment les Présages, issus des almanachs de Nostradamus mais aussi quelques quatrains des éditions ligueuses non retenus dans les éditions à deux volets.

Le texte de cette épître mérite qu’on s’y arrête car il nous semble emblématique plus que celui des deux autres. Il se réfère notamment à l’idée selon laquelle on aurait découvert à la mort de l’auteur divers documents. Il représente donc la thèse d’une parution « posthume » d’au moins une partie des Centuries et de la mise sur le marché d’une succession de pièces qui sont intégrées tour à tour, au fur et à mesure, dans le « canon ».

Avec cette épître, nous pénétrons dans le monde du nostradamisme troyen qui joua un rôle absolument déterminant tant dans la conservation d’éditions antérieures, notamment celles de la Ligue, que dans la troisième génération d’impressions antidatées, ce qui concerne l’édition Macé Bonhomme 1555, l’édition Antoine du Rosne 1557 (Utrecht) et l’édition Benoist Rigaud 1568.

Rappelons que c’est tout le second volet qui fut mis au service de la cause du Bourbon réformé et que le dit volet ne sera adjoint au premier, que dans le cadre des éditions troyennes. Et ce second volet est suivi de la dite Epître à Henri IV

Henri IV nous apparait comme se plaçant au cœur du second volet centurique, non seulement pour la période d’accession au trône de France (cf le quatrain IX, 86) mais pour la période correspondant aux dix dernières années de son régne. (cf quatrain X, 91, sur l’an 1609). Il conviendrait d’étudier notamment la Mission de Christophe de Harlay Comte de Beaumont (1602 - 1605) : L'Ambassade de France en Angleterre sous Henri IV de Pierre Laffleur de Kermaingant, Paris, Didot, 1895, étant donné le dernier quatrain de la Centurie X : « Le grand empire sera par Angleterre (…) Les Lusitains n’en seront pas contens. »


 

Macé Bonhomme (Edition 1555)

Si l’on en croit l’édition du libraire anversois François de Saint Jaure, il aurait existé une édition à 7 centuries datée de 1555. Cette édition Macé Bonhomme est la seule qui comporte une permission d’imprimer en bonne et due forme.

Etrangement, elle ne comporte en son titre aucune indication de contenu, à la différence de l’édition à 4 centuries parue à Rouen en 1588 et qui comporte quelques quatrains en moins à la Ive centurie. Celle-ci signale qu’elle comporte « quarte (sic) centuries ». Elle serait antérieure par son contenu à celle réalisée au nom de Macé Bonhomme.

En 1588, les éditions ligueuses parisiennes se référent implicitement à une édition à 53 quatrains à la Ive Centurie. Or, une telle marque ne figure plus dans les éditions Antoine du Rosne (qui reprennent une édition 1555 à sept centuries (cf supra) lesquelles comportent une quatrième centurie complétée. Ce qui nous conduit à situer la fabrication de ces éditions après 1588.

La vignette de cette édition est probablement tardive –elle a 53 quatrains à la IV, ce qui n’est pas encore le cas de Rouen Petit Val 1588, car elle correspond non pas à celle de la première édition Antoine du Rosne (Budapest) mais à celle sensiblement plus tardive à deux volets.(Utrecht)

Il est probable que la première édition des Centuries n’ait pas comporté 353 quatrains mais 349, si l’on tient compte de l’édition de Rouen, 1588 à 4 centuries. Le quatrain IV, 46 ne figure pas dans l’édition de 1588 alors qu’on le trouve dans l’édition 1555. Or, ce quatrain vise Tours et la Touraine, au centre du camp des partisans d’Henri IV

Mais l’édition rouennaise à « quarte » (sic) centuries, de 1588, comportant la préface à César de 1555, ne se présentait pas comme parue du vivant de Nostradamus. Le lecteur comprenait que si la préface avait été rédigée en 1555, elle avait du rester, jusqu’à ce jour, parmi les papiers de Michel de Nostredame. César en 1588 est âgé de 35 ans environ.

Cette édition Macé Bonhomme représente dans l’imaginaire des nostradamologues le premier état des Centuries. C’est une idée qu’il importe de dénoncer, notamment en raison du recours à des mots en capitales dans les quatrains que l’on retrouve dans les éditions Antoine du Rosne 1557 Utrecht ainsi que dans les diverses éditions Benoist Rigaud 1568 mais qui ne s’observe ni dans les éditions Rouen, Paris, Anvers 1588-1590 ni dans l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest. Une telle pratique des capitales est également propre au Janus Gallicus.

Nous avons signalé à plusieurs reprises la non-conformité entre le titre et le contenu d’une édition –cela vaut pour les éditions parisiennes de la Ligue tout comme pour les éditions Benoist Rigaud mais cela vaut aussi pour ces éditions Macé Bonhomme 1555 à quatre centuries. En fait, le titre de cette édition ne donne pas la moindre information quantitative à la différence de l’édiition de 1588, Rouen, Raphaël du Petit Val qui précise qu’elle comporte 4 centuries. Il reste que cet intitulé s’inscrit, en quelque sorte, par avance- si l’on s’en tient aux titres sinon aux contenus- dans une série à trois stades, le deuxiéme stade annonçant 3 centuries de plus et le troisiéme encore une addition de 3 centuries. Tout se passe comme si par avance – puisque l’on sait que ces éditions ont été réalisées après coup – on faisait abstraction d’une quatriéme centurie vouée à terme à se fondre dans le deuxiéme ensemble de 3 centuries. L’intitulé rouennais en prend, par comparaison, toute sa valeur car il semble bien ainsi correspondre à un premier projet centurique qui aurait pu en rester là si, du fait du succès de l’entreprise, il n’avait pas, tout comme dans le cas d’un film, génère des « sequels », on devrait alors numéroté ces éditions, Centuries I, Centuries 2, Centuries 3 et ainsi de suite.

Un trait remarquable de cette édition qui montre qu’elle est marquée par les années 1590 et au-delà est la présence de nombre de mots en lettres capitales et ce dès les premiers quatrains de la première centurie, notamment BRANCHES (I, 2) ce qui est un code qui revient dans tout ce qui touche à Chavigny, l’éditeur du Janus Gallicus (1594) et que l’on retrouve dans les éditions Benoist Rigaud 1568. En revanche, cette pratique n’est attestée ni dans les éditions ligueuses (1588-1590, Paris, Rouen, Anvers) ni dans l’édition Antoine du Rosne 1557( Bib. Budapest). Ce facteur n’est pas signalé dans les bibliographies nostradamiques.


 

Antoine du Rosne (Editions 1557-1558)

Les éditions 1557 ne seraient que des rééditions d’une édition à 7 centuries datée de 1555, référée en 1590 dans l’édition Saint Jaure (Anvers) à 7 centuries.

On connait deux éditions qui différent à plus d’un titre et dont nous pensons qu’elles ne sont nullement contemporaines l’une de l’autre. Certes, ce libraire a bien existé, d’ailleurs, comme tous les libraires choisis pour avoir publié quelque édition des Centuries. On a récemment signalé (catalogue Thomas Scheler) l’existence d’une pronostication de Sconners parue chez Antoine du Rosne, et comportant une vignette assez proche, mais tout de même distincte, de celles des éditions du Rosne des Prophéties.


 

Leurs vignettes notamment différent assez nettement, bien qu’ayant un air de famille. L’exemplaire d’Utrecht est évidemment plus tardif – ou en tout cas voulu tel- que l’exemplaire de Budapest. Il serait la première édition de l’édition Benoist Rigaud à dix centuries alors que l’exemplaire Budapest est conçu sur le modèle des éditions à un seul volet. On n’en a conservé que le premier volet.

Ces éditions Antoine du Rosne à 7 centuries seraient logiquement postérieures à l’édition 1560 qui annonce en son titre une addition à la « dernière centurie ». Cela nous semble témoigner d’un revirement.

Le cas de la Paraphrase de Galien est intéressant en ce qu’il comporte la même vignette que les Prophéties censées être parues chez le même libraire. On en connait deux éditions respectivement datées de 1557 et 1558. Nous ne pensons pas que cet ouvrage soit paru à cette époque pas plus que les Prophéties d’ailleurs.

L’exemplaire Du Rosne Utrecht est d’un enseignement appréciable – on retrouve cela dans les éditions Benoist Rigaud 1568- par la présence à la fin de la Vie centuries un appendice d’une quarantaine de quatrains séparée de la centurie VI d’un avertissement latin. Nous pensons que cela témoigne d’une édition, perdue, à six centuries, dont les éditions ligueuses en leur titre signalent une addition à la dernière centurie. On notera qu’aucune édition par la suite n’indiquera une quelconque addition de ce type, alors même qu’elle comporte une Centurie VII, donc adjointe à la VI.

Si l’édition Antoine du Rosne Budapest appartient aux ateliers de contrefaçon des années 1580, l’autre édition Du Rosne-Utrecht est plus tardive d’une vingtaine d’années et comporte un second volet. Il est intéressant de noter à quel point l’absence d’une pièce du dossier peut influer sur les représentations. Cette édition Du Rosne 1557 Utrecht, inconnue d’ailleurs des bibliographes comme Ruzo, Chomarat et Benazra (1982-1990) et par ailleurs incomplète, eut-elle émergé plus tôt et dans son intégralité (mais la page de titre atteste déjà en soi de l’existence d’un second volet), aurait relativisé l’importance de l’édition Benoist Rigaud 1568.

Il nous faut resituer l’émergence de l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest. Elle correspond à un deuxième temps de ce que nous avons appelé la deuxième génération de contrefaçons. La phase 1 est celle correspondant en gros à Barbe Regnault et à ceux qui gravitent autour d’elle, dans les années soixante. Elle ne s’occupe aucunement des centuries, lesquelles ne sont pas encore en circulation. En revanche, elle modifie éventuellement l’ordre des quatrains des almanachs, leur donnant l’apparence d’une nouvelle production ; c’est un pas vers la fabrication de quatrains totalement inédits. La phase 2- correspondant aux années 1584-1594- comporte trois temps : le premier est celui correspondant à la thèse d’une émergence non seulement posthume mais tardive des Centuries, introduite par une préface de Nostradamus à son fils ainsi qu’au contenu (mais pas au titre) des éditions parisiennes mais aussi, antérieurement, à celui de l’édition de Rouen à 4 centuries, toutes ces éditions – ayant été postdatées à 1588. Le deuxième temps est celui des antidatations censées parues du vivant de Nostradamus avec probablement une édition (non retrouvée) à six centuries, clôturée en 1561 par d’ultimes additions à la Vie et « dernière » centurie. Puis succède un troisième temps de cette même deuxième génération avec la production d’éditions à 7 centuries datées de 1555 (non retrouvée mais signalée en 1590 dans l’édition d’Anvers) et 1557. Ces éditions ne correspondent évidemment pas au scénario d’un processus ne se terminant pas avant 1561. Plus question d’additions successives, toutes les marques d’ajouts sont évacuées : on est avec l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest, probable réédition – toujours dans le cadre d’une chronologie fictive- de celle de 1555 à 7 centuries.

L’absence de mots en capitales indique selon nous que l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest appartient à une génération plus ancienne que celle des éditions Macé Bonhomme 1555 et Antoine du Rosne 1557 Utrecht. Le fait de mettre certains mots en capitales avait probablement pour objet un certain message. Etant donné que l’on trouve cette pratique dans les deux volets de l’édition Benoist Rigaud, il s’agit là d’un procédé qui n’est apparu que tardivement, probablement au tout début du XVIIe siècle.

Il ne fait pas de doute que l’édition 1557 Utrecht s’inspira de l’édition 1557 Budapest. On y retrouve la même faute au titre :: « dont il en y a «  au lieu de «dont il y en a », ce qui sera corrigé dans les éditions Benoist Rigaud 1568, avec le même intitulé. Cette faute, elle-même, est observable dans les éditions Rouen 1589 et Anvers 1590. La similitude entre le contenu d’Anvers 1590 – la fin de Rouen 1589 est tronquée et Antoine du Rosne Budapest est flagrante, si ce n’est un supplément de 4 quatrains à la VII. Or, cette édition d’Anvers n’a pas pour titre « Prophéties » mais « Grandes et merveilleuses prédictions » tout comme l’édition à 4 centuries, Rouen 1588, ce qui confère à ce titre plus long une certaine antériorité. L’idée d’appeler « Prophéties » ces Centuries pourrait n’être venue que dans un deuxiéme temps, ce qui désamorcerait l’argument selon lequel la production de « Prophéties » - et donc de centuries – serait attestée du temps même de Nostradamus.  Non pas qu’il n’y ait pas eu de « Prophéties » de Nostradamus à cette époque, comme cela semble bien attesté par les recherches de Gérard Morisse, mais cela ne désignait très vraisemblablement pas les Centuries et pour cause..

Il y a certainement une « filiation » entre les éditions rouennaises et l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest. En ce qui concerne la « seconde » édition antoine du Rosne (Utrecht), le lien avec les éditions rouennaises (ou anversoises) peut n’avoir existé qu’indirectement, de par l’utilisation de la dite édition Du Rosne-Budapest.

Ce qui distingue ces deux éditions tient notamment au fait que l’exemplaire Budapest ne recourt pas aux mots en lettres capitales alors que l’exemplaire Utrecht pratique ce code initié, vraisemblablement, au milieu des années 1590, notamment dans le Janus Gallicus de Chavigny.
 

Barbe Regnault (Edition 1560) et les contrefaçons des années 1580/

Cette libraire publia du vivant même de Nostradamus des almanachs contrefaits comportant une vignette ressemblant d’assez loin à celle des vraies Pronostications de cet auteur. On notera ce passage de l’iconographie des pronostications vers celle des almanachs lesquels, chez Nostradamus, n’ont pas droit à la moindre vignette. Elle incarne la première génération de faussaires nostradamiques, dans les années soixante, la deuxième génération ayant pour théâtre les années 1580 et la troisième le début du XVII e siècle.

Pour réaliser leurs contrefaçons, quelques décennies plus tard, les faussaires prirent modèle, par erreur, sur la production Regnault et notamment en ce qui concerne les vignettes, négligeant ipso facto les vraies vignettes se trouvant sur les pronostications.

Ces faussaires situèrent ainsi des éditions des prophéties en 1560, puisque désignant l’année suivante 1561. On a récemment retrouvé une fausse édition antidatée, censée publiée par la veuve Buffet, une contemporaine de Barbe Regnault. (cf. catalogue Thomas Scheler), dont le contenu est semblable à celui des éditions parisiennes de la Ligue.

L’existence de cette édition 1560 ne s’inscrit cependant pas dans une chronologie cohérente des Centuries. Elle relève des aléas d’une chronologie fictive avec ses revirements anachroniques ou a-chroniques.

La première stratégie semble avoir consisté à reconnaitre une sorte de croissance progressive du nombre de quatrains et de centuries, on n’hésite pas alors à parler d’additions – « additionnées » - et d’ailleurs cette notion d’addition se retrouve encore dans les sous titres des deux volets de l’édition 1568.

Les éditions des Prophéties se référant, en leur titre, à une pronostication pour 1561, ont un contenu qui n’est pas en adéquation avec le titre/ Selon nous, les titres ont été rajoutés pour faire croire à des éditions plus récentes. Mais ce contenu nous est d’un enseignement précieux, en ce qu’il correspond à un état encore très en chantier des centuries VI et VII. Et le titre est l’aboutissement du processus engagé dans le contenu.

Un autre type de contrefaçon qui vient ajouter à la confusion tient au fait que certains libraires parisiens ont jugé bon, selon nous, de se faire passer pour ce qu’ils n’étaient pas en vendant leur stock sous des titres d’éditions plus tardives. On ne peut donc de façon certaine déterminer si le nom des libraires est celui de ceux qui ont fait imprimer le contenu ou bien celui de ceux dont a récupéré la page de titre mais pas le contenu.

Les faussaires de la deuxième génération (années 1580) se servirent des almanachs nostradamiques de Barbe Regnault, lesquels comportaient d’ailleurs une douzaine de quatrains, souvent aux versets intervertis pour qu’on ne reconnût pas leur origine et une vignette pouvant incarner l’auteur à sa table de travail. Ils supposèrent qu’elle avait été le libraire ayant publié une suite à une édition à six centuries, elle-même complétant une édition à 4 centuries dont la dernière à moins de 50 quatrains. Cela suppose une première édition à 4 centuries que l’on n’a pas retrouvée et qui devait comporter une vignette semblable à celle de l’édition Antoine du Rosne-Budapest 1557 qui en est la réédition et qu’il ne faut pas confondre avec l’édition Macé Bonhomme 1555–Albi/Vienne, laquelle appartient selon nous à la troisième génération de faussaires du début du XVIIe siècle. Mais ce qui vient compliquer sensiblement les choses, c’est que cette édition Barbe Regnault 1560 pour 1561, ne tenait pas compte de l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest, qui correspond à un état postérieur à la dite édition Regnault. On assiste à un chevauchement des contrefaçons qui jongle avec les dates.

Il convient d’essayer de rétablir une certaine chronologie des contrefaçons :

Premier état : une édition à 4 centuries (encore que l’on puisse imaginer qu’il y ait eu une édition à 3 centuries augmentée par la suite, ce qui aurait été la matrice d’une édition à 6 centuries suivies d’une septième. On n’a pas conservé cette édition 1555

Deuxième état : une édition à 6 centuries, terminée par un avertissement latin (on n’a pas conservé une telle édition, ni antidatée, ni pour la période de la Ligue mais il n’est guère douteux qu’elle ait existé, du moins en tant que contrefaçon....

Troisième état, une édition à 7 centuries, 1560, signalée par les éditions ligueuses parisiennes de 1588-1589, dont elle est la réplique antidatée. On n’a conservé que la page de titre de ces éditions, avec un contenu non conforme. R. Benazra décrit une telle édition disparue (RCN, p. 51 et seq) avec le même intitulé que les éditions ligueuses mais avec cette fois indiqué «  Paris, pour Barbe Regnault, 1560. Il écrit bien à tort que la dite édition « « est connue par des reproductions, sans doute fidèles de 1588 à 1589. Pour son contenu, le lecteur se reportera à l’édition 1568 ». Il semble, en réalité, que cette page de titre ait été récupérée et ait pu se substituer à une précédente page de titre, correspondant à un état archaïque de la fabrication des sept premières centuries et n’ayant pas fait l’objet de répliques antidatées...

Quatrième état, une édition à 7 centuries. Edition Antoine du Rosne, 1557, (Bibliothèque de Budapest.). A la lecture de l’édition anversoise –François Sainct Jaure, nous apprenons qu’une édition semblable à celle de la dite édition à sept centuries (mais seulement 35 à la VIIe) serait parue dès 1555. Il y aurait donc eu revirement et les éditions à six centuries ou celles datées de 1560 sont évacuées au profit d’un état en quelque sorte terminal du premier volet qui aurait été publié dès 1555. La dite édition Du Rosne Budapest serait une réédition de l’édition signalée par St Jaure et censée être parue en 1555.

On ne connait pas le contenu de l’édition 1561 Barbe Regnault. Est-ce que cela correspond au contenu des éditions parisiennes 1588-1589 ? Dans ce cas, nous aurions le même étrange décalage entre le titre et le contenu ou bien y trouverait-on réellement un contenu correspondant au titre avec une septiéme centurie à 39 quatrains ?

Benoist Rigaud (Editions 1568) et les éditions troyennes du milieu du XVIIe siècle.

Une édition à « dix centuries de prophéties » chez Benoist Rigaud, 1568, est signalée par Du Verdier, dans sa Bibliothèque, parue à Lyon, chez Barthélémy. Honorat, en 1585. Il s’agit selon nous d’une publication alors très récente et antidatée de son confrère libraire lyonnais et comprenant les quatrains parus entre 1555 et 1567 sous le nom de Nostradamus. Une coquille a changé douze en dix centuries. On a souvent considéré ce texte de 1585 comme un garant de la parution en 1568 d’une éditions à 10 centuries «prophétiques ».

Cette édition à deux volets 1568 se présente, selon sa date, comme parue au lendemain de la mort de Nostradamus. Mais quand on regarde de plus près, elle ne comporte aucun des traits propres à une édition posthume : on ne signale pas au titre que l’auteur est décédé et pas plus n’indique-t-on qu’elle comporte une épître à Henri II.(décédé en 1559). Il semblerait qu’il s’agisse en fait, officiellement si l’on peut dire, d’une réédition d’une impression datant de 1558, donc datant de la veille de la mort du roi Valois en tournois. On n’a gardé de cette première édition que la page de titre du premier volet. (Utrecht, Antoine du Rosne). On, notera que l’on n’a identifié aucune édition des Centuries entre 1568 et 1588, soit une « mort » littéraire de 20 ans suivi e d’une sorte de résurrection.

Pour notre part, une telle édition en quelque sorte œcuménique ne saurait ‘être antérieure à l’abjuration d’Henri IV. Paris vaut bien une messe. L’existence même de deux volets témoigne de deux origines différentes. De même que l’on aura tenté masquer les retouches successives, on aura voulu faire oublier le temps de la guerre civile. La parution en 1594 du Janus Gallicus atteste de l’existence à cette époque d’une édition à dix centuries. Elle pourrait être l’œuvre de Benoist Rigaud, réunissant pour la première fois les deux ensembles accompagnés des deux épîtres. En effet, Chavigny désigne bel et bien dans ses commentaires les quatrains de l’ensemble « chyrénien » (voué à la cause d’Henri de Navarre) selon une codification déjà intégrée, ce qui ne devait pas correspondre à l’original dont on imagine mal qu’il se situait par rapport au premier ensemble ligueur en tenant compte des sept premières centuries, d’autant qu’un tel ensemble à 7 centuries est lui-même relativement tardif dans le processsus de formation centurique.

Par la suite, cette édition sera intégrée dans la compilation troyenne, et sera sensiblement augmentée. L'édition 1605 – généralement attribuée à Pierre du Ruau - à trois volets mentionne en son titre une édition 1568 Benoist Rigaud. Est-ce à dire que Rigaud aurait lui-même publié et une édition non datée et une édition datée de 1568, comme c’était devenu la mode pour les éditions ligueuses ? Le fait que l’on ait conservé une abondance d’éditions Rigaud à 10 centuries, datées de 1568 va dans ce sens. Le Janus Gallicus commente une telle édition, tout en y ajoutant d’autres éléments, ce qui préfigure le corpus troyen du début du XVIIe siècle.

L’édition à dix centuries connaitra au XVIIIe siècle une nouvelle carrière, sous le nom du libraire Pierre Rigaud, fils de Benoist, ce qui correspond à une quatrième génération de faussaires, situés, cette fois en Avignon et qui n’hésitent pas à produire une édition non pas datée de 1568 mais de 1566. C’est cette édition qualifiée de « princeps » comme étant la première à dix centuries, qui servira de base aux exégètes du XIXe siècle (Torné Chavigny et Anatole Lepeltier).

L’édition Du Rosne 1557 Utrecht met en perspective l’’édition Benoist Rigaud. Rappelons que jusque vers 1594, Benoist Rigaud, comme nous l’avons montré dans notre post doctorat (EPHE 2007), est surtout présent dans la production nostradamique des années 70 et 80 par la publication de divers almanachs pseudo-nostradamiques. Mais sa participation au revival des années 1580-1590 sera déterminante : d’abord avec la publication de « centuries » de présages des almanachs (sauf pour l’année 1555, où les quatrains sont issus de la Pronostication), puis lors d’une édition regroupant le volet ligueur et le volet favorable à Henri de Navarre.

Nous avons mis en avant le recours à des mots en capitales dans les Centuries. Cette pratique n’est pas appliquée dans l’édition troyenne antidatée à 1605 mais l’est dans les éditions Benoist Rigaud 1568 et Antoine du Rosne 1557 Utrecht. Cela renvoie à un supposé message figurant dans la série Macé Bonhomme 1555-Antoine du Rosne 1557 Utrecht, 1568 Benoist Rigaud. Cela confirme le caractère tardif de l’édition Macé Bonhomme 1555.

Le contenu du second volet – ce volet est l’apport majeur des éditions rigaldiennes- tel que nous le connaissons orientée de façon évidente sur le début du XVIIe siècle- avec notamment le quatrain X, 91, nous conduit à penser à une redatation, du fait d’anciennes échéances révolues – pratique courante dans l’histoire des textes prophétiques11, que nous ne disposons plus que de rééditions rigaldiennes tardives et non des premières en date. Selon nous, on aura conservé la présentation initiale, en se gardant bien de signaler certains aménagements qui ne nous sont perceptibles que dans l’Epître à Henri II avec l’étrange juxtaposition 1585-1606. Autrement dit, vu que toutes les éditions Rigaud, recensées par Patrice Guinard, comportent le quatrain X, 91 en l’état « 1609 »,



 

Pierre Rigaud (Editions 1566) et les éditions avignonnaises du XVIIIe siècle.

Cette fausse édition- mais elle est loin d’être la seule aura connu une fortune remarquable chez les exégètes des Centuries du XIXe siècle. Elle sera d’ailleurs la seule à être rejetée au XXe siècle du canon nostradamique avec les sixains. Il s’agit vraisemblablement d’une erreur des faussaires du XVIIIe siècle, n’ayant plus qu’une connaissance très approximative des données de l’époque à laquelle cette édition Pierre Rigaud est censée être parue.

Elle correspond à une volonté d’évacuer certaines additions propres aux éditions du XVIIe siècle, qui avaient été dénoncées par le dominicain Giffré de Réchac dans son Eclaircissement (1656), avec la suppression du troisième volet mais le procédé se retournera contre elle, du fait de la bévue des prénoms.

Les éditions Benoist Rigaud 1568 auraient été ainsi, au sein d’une chronologie fictive, fondée sur les seules dates de publication et sur les années d’activité des libraires, précédées d’une première édition à 2 volets datant de 1566 – année de la mort de Nostradamus- chez Pierre Rigaud. C’est du moins ce que les faussaires avignonnais ont cru bon de laisser entendre. On saisit mieux alors que Nostradamus soit sur son lit de mort et que c’est à cette occasion qu’il aurait transmis son « mémoire » à son fils César. Peut-être avaient-ils perçu ce qu’avait d’insolite l’édition Benoit Rigaud 1568 qui ne référait aucunement à la récente mort de Nostradamus.

Il a certes existé, vers 1600, une édition non datée, au nom de Pierre Rigaud, probablement d’origine troyenne mais l’idée de la dater de 1566, année de la mort de Nostradamus, appartient aux éditeurs avignonnais du XVIIIE siècle (cf. RCN, pp. 295 et seq), correspondant à une quatrième génération de faussaires. Robert Benazra décrit ainsi ces éditions : « Elles reproduisent assez fidèlement les éditions lyonnaises de Benoît Rigaud, publiées à partir de 1568 (…) Daniel Ruzo a apporté un faisceau de preuves pour démontrer que ces trois éditions apocryphes ont été imprimées à Avignon, par François-Joseph Domergue, au début du XVIIIe siècle », soit un an après Du Ruau. On nous indique que l’édition d’origine comportait un portrait daté de 1716, ce qui a été noté dans le catalogue de vente de la collection de l’Abbé Rigaux. Ce n’est donc que la suppression de la gravure qui a pu faire croire qu’il s’agissait vraiment d’une édition de 1566.

Rappelons qu’Avignon avait été désignée comme le lieu de production d’éditions des Centuries, dans les éditions Anvers St Jaure (1590) et Rouen-Pierre Valentin (1611, édition postdatée), ce qui conduira Daniel Ruzo (Testament de Nostradamus, Ed. Rocher, 1982) à supposer l’existence de deux filiations, d’où des intitulés différents : Prophéties et Grande et Merveilleuses Prédictions/


 

Conclusion

Du caractère caduc de la plupart des bibliographies nostradamiques

On aura compris que l’on ne peut plus se contenter de classer les éditions par date de parution indiquée- R. Benazra a même poussé le zéle, dans son RCN, jusqu’à numéroter les éditions ainsi classées. Quel intérêt pourrait d’ailleurs bien présenter une telle disposition si ce n’est en tant que repérage commode pour retrouver les documents ? Nombre de nostradamologues tendent à reporter à une date ultérieure la question de la datation scientifique. Ils s’en tiennent à une bibliographie « concréte », « brute », c'est-à-dire non travaillée, non réfléchie, ce qui n’exige pas de compétences particulières.

On alignera ainsi, sans état d’âme, pour 1557, les deux éditions Antoine du Rosne, en tenant compte du mois, ce qui fait mettre l’exemplaire d’Utrecht avant celui de Budapest, par Patrice Guinard (y compris dans son Nostradamus ou l’éclat des empires, BoD, 2011), on placera à l’année 1588 l’ édition de Rouen à 4 centuries tout comme les éditions parisiennes dont le titre renvoie à 1561. en plaçant d’ailleurs, comme le fait Benazra l’édition de Rouen en dernier(-RCN, p. 122).

Si l’on veut se livrer à l’exercice de l’inventaire des éditions les plus anciennes qui nous aient été conservées, compte non tenu de la date de parution, mais uniquement quant au contenu, nous dirons que nous disposons d’une première version de la Préface à César en français, chez Antoine Besson, qui semble avoir récupéré le document qui servit à la traduction anglaise de 1672. Nous renverrons à l’édition de Rouen à 4 centuries (introuvable mais dont on a la page de titre et une description assez sommaire, chez Ruzo et Benazra. Ensuite, nous trouverons dans le contenu des éditions parisiennes (mais non dans leur titre), les éditions qui sont venues compléter les premières éditions à trois/quatre centuries, une version antérieure à l’établissement d’un ensemble à six centuries pleines, se terminant par l’avertissement latin (lequel ensemble ne nous a été conservé qu’avec un appendice constituant une centurie VII. Nous avons la page de titre des éditions parisiennes (donc très décalée par rapport au contenu) qui nous parle d’une édition à VII centuries, attestant à la fois de l’achévement de la centurie IV et du prolongement de l’édition à six centuries./.Ensuite nous avons l’édition rouennaise de 1589 dont nous ignorons le ,nombre de quatrains à la VII, peut être inférieur aux 35 quatrains de sa sœur jumelle de 1590, Anvers, par son titre. Et c’est alors qu’entre en scéne l’édition. Antoine du Rosne 1557 Budapest, déjà bien toilettée,- en fait une réédition virtuelle d’une précédente contrefaçon datée de 1555 (référée dans l’édition Anvers 1590) sans marque de cloture précédente au 53e quatrains de la IV, sans même présence de l’avertissement latin, déjà absent en 1590 dans l’édition Anvers des Grandes et Merveilleuses Prédictions, ce qui aurait rappelé l’addition à la VII, au-delà de la cloture, avec 40 quatrains à la VII, mais dépourvue de VI, 100.

Que nous manque-t-il donc dans ce puzzle centurique ? Dans plusieurs cas, nous disposons de bribes, une vignette, une page de titre.l’édition qu’il serait peut être le plus intéressant de retrouver ne serait-elle pas l’édition à six centuries faisant suite au contenu des éditions parisiennes (dont les années 1588-1589 sont postdatées). Cette édition dont nous supposerons l’existence devait se terminer par l’avertissement latin et comporter trois centuries pleines, compte tenu de la centurie IV ayant servi de matrice à cette nouvelle série de trois centuries. Elle précéde les éditions avec addition à la « dernière » centurie, ce qui renvoie selon nous à une septième centurie complétant les six premières. Il est probable qu’elle ne comporte déjà plus l’indication d’ajout à la Ive centurie mais son intitulé nous semble connu, c’est celui du titre de l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest qui ,finalement ne correspond pas à son contenu.

« Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais est imprimées »  Ce titre n’indique pas l’existence d’une centurie VII qui pourtant s’y trouve. D’aucuns ont essayé d’expliquer ce nombre de 300 sans vouloir compter les 53 premiers quatrains de la IV, et en incluant les 40 quatrains de la VII. C’est là commettre un contre-sens. On est dans le domaine des faussaires. A un certain stade, il est clair que l’on veut faire oublier qu’il y a eu d’abord quelques quatrains à la IV, ce stade est dépassé. Officiellement, on a deux volets( au sein du »premier volet » et chacun du même nombre de quatrains, ce qui explique probablement pourquoi le «deuxiéme » volet est aussi à 300 quatrains, appelés au titre « prophéties ».Autrement dit, cette première édition Antoine du Rosne a la page de titre de l’édition à six centuries et éventuellement la vignette est la même dans les deux cas. Ajoutons que l’édition Anvers 1590, quant à elle, renvoie à un stade plus tardif à 7 centuries, puisque c’est son cas. Par son contenu, elle précéde le contenu (mais pas le titre) de l’édition Antoine Du Rosne 1557 Budapest...

En fait, en dehors de l’édition 1560 annonçant 39 articles à la centurie VI, les autres éditions, y compris Benoist Rigaud 1568 n’y font pas non plus référence en leur titre, tout en les comportant en leur contenu, si bien que cette centurie VII est une sorte de passager clandestin, la présentation officielle revenant à 3 blocs de 3 centuries chacun. Parler d’un ensemble de dix centuries trahit en quelque sorte l’intention des libraires. Il s’agirait en fait de 9 centuries, de 900 « prophéties » sous forme de quatrains, au regard des titres. La VIIe centurie certes existe puisqu’elle est suivie des centuries VIII , IX et X mais en même temps elle n’est pas parvenue comme pour la IV à se faire absorber dans un troisième lot de 300 « prophéties », ce qui aurait été possible quand on a réuni les divers ensembles. Mais la démarche troyenne ne visait pas à tout fondre en un seul lot mais de maintenir une impression de chantier. Le libraire troyen s’est, visiblement, refusé à recourir à certains subterfuges propres à ses prédecesseurs, et l’on peut dire qu’il l’a fait dans un esprit plus scientifique que ses prédécesseurs, en fournissant les diverses pièces du corpus sans tenter de les intégrer en un seul et même document. Cela ne l’a certes pas empeché de produire des contrefaçons mais il l’ a fait dans une certaine rigueur diachronique, correspondant à un dépouillemen de la documentation dont il disposait.

Nous sommes confrontés ici avec une bibliographie fictive dont il n’est pas moins nécessaire de saisir la logique et les revirements. Il nous faut résister en effet à la tentation de ne pas daigner appréhender avec toute la rigueur nécessaire la mise en œuvre d’une chronologie inventée. Mais par ailleurs, on ne saurait confondre la vraie bibliographie et la fausse et donc la vraie biographie et la fausse. Une bibliographie nostradamique qui mettrait sur le même plan, pour les mêmes années, vrais almanachs de Nostradamus et éditions centuriques contrefaites antidatées serait scientifiquement très hypothéquée.

05. 06 11


 

26 - La Préface à César et le prophétisme régentiel (1525, 1561, 1611, 1643-1716)

Qu’est ce qui conduit à la réédition d’un texte prophétique ? Est-ce que de telles récurrences impliquent quelques ajustements, exige un certain processus d’actualisation ? Nous pensons que certains textes prophétiques sont utilisés dans des circonstances bien particulières. C’est le cas du Mirabilis Liber dont nous voudrions montrer que la réception française des pièces composant ce recueil est indissociable de la question des régences féminines,depuis le temps de François Ier captif jusqu’à celui de Louis XIV, enfant.

Le Mirabilis Liber qui fera carrière, après avoir été traduit en français pour sa partie latine, à partir des années 1560 sous le nom de Recueil de Prophéties et Révélations, est associé à partir du XVIIe siècle à Nostradamus, du seul fait que certains libraires en font une sorte de diptyque, portant la date de 1611, date correspondant à la régence de Marie de Médicis, mère de Louis XIII. On s’est souvent demandé quel lien unissait ces deux ouvrages ainsi réunis. Déjà en 1575, une édition du Recueil sera présentée par Nostradamus le Jeune mais sans les Centuries –et pour cause- puisque les années soixante-dix n’attestent d’aucune édition des quatrains.

Ce lien entre les deux volumes reliés ensemble, passe par la présence à la fin de la Centurie X, d’un quatrain cryptogramme (X, 101) et qui désigne l’an 1660, date, au demeurant, fort éloignée pour un Louis XIII né en 1601, si les volumes étaient réellement parus en 1611.. Cela nous a conduits à dater le dit quatrain postérieurement à la naissance du futur Louis XIV. Les éditions du dit Recueil sont associées au nom du libraire troyen Pierre Chevillot.’(cf RCN, pp. 172 et p.55).La comparaison entre les deux éditions est édifiante (cf pour l’édition 1561, la reproduction, sur le site propheties.it). Notons que le Recueil de Révélations et Prophéties associé aux Centuries est daté de 1611 alors que l’édition des Centuries qui leur est associée n’est pas datée, ce qui a conduit certains bibliographes à situer la dite édition à cette même date.

Si l’on compare les éditions de 1561 et de 1611, on note une variante, une addition, qui ne sont pas dénuées d’importance, au chapitre IX du Livre II :

« La dissension de l’Eglise sera depuis l’an Mil quatre cens nonante deux & seront de diverses rebellions jusques en l’an 1642 ». On a ajouté dans l’édition 1611 « iusques en l’an 1642 », ce qui recoupe notre thèse selon laquelle le quatrain cryptogramme ne saurait être antérieur à 1638. En l’occurrence, 1642 correspond à l’année de la mort de Richelieu qui précède de peu celle de Louis XIII, ouvrant ainsi une nouvelle période de régence.

Or, dans notre « Texte Prophétique en France », nous avions insisté (pp. 615-616) sur le fait que le Mirabilis Liber, sous sa forme latine puis française, du moins pour le premier volet, était un ouvrage dont la parution accompagnait les régences.

Nous y citions le chapitre VI du second livre, donc précédant de peu le chapitre IX évoqué (cf. p. 264, ed. Delarue 1866, parue pour le tricentenaire de la mort de Nostradamus, reproduisant l’édition Chevillot) :

« Alors le Roy Françoys (..) à la fin succombera. Et iceluy à la face pudique régnera par tout (…) sa mère tiendra la monarchie depuis Orient iusques en Occident » (p. 259 de l’édition Paris, Ibidem, 1866).

Or, en 1561 et 1611, nous avons le début de deux régences, l’une due à la mort de François II, auquel succède son jeune frère Charles IX, l’autre à l’assassinat d’Henri IV, avec le jeune Louis XIII. Mais nous montrions qu’en 1525 (1524 en style de Pâques), au lendemain de la défaite de Pavie et de la capture de François Ier, l’on se trouvait déjà dans une situation de régence avec Louis de Savoie et le fils ainé de François Ier le futur Henri II n’étant que le puiné. Le jeune François, fils de Catherine de Médicis, de 1525 à 1526, date à laquelle il est échangé contre son père, a sa grand-mère pour régente, il décéde en 1536.. Ce qui nous amenait à penser que le Mirabilis Liber était indissociable de ce contexte de régence et qu’éventuellement, ce n’est qu’en 1524/1525 qu’il aurait pris sa forme définitive, en dehors évidemment de quelques variantes comme celle signalée plus haut et qui vise l’année 1642.

Nous aurions ainsi un ouvrage qui serait paru à quatre reprises dans une situation de régence : 1524 (lire 1525), 1561, 1611 et 1643. Cela tient à des morts ou des absences inopinées : la régence (de Catherine de Médicis) de 1561, rappelons-le, est certes liée à la maladie de François II mais aussi est la conséquence de la mort en tournoi, en 1559, d’Henri II

Mais il n’est nullement certain que la régence de 1611 ait donné lieu à une telle réédition. Plus probablement, en vue de conférer une date ancienne à la prophétie prenant date pour 1642, il a du sembler ingénieux de se réferer à 1611. Signalons aussi une édition, sans date, associée au nom de Pierre du Ruau, autre libraire troyen (cf. Benazra, RCN, pp. 192-193), et située dans les années 1630. Mais il convient bel et bien de situer ces éditions en 1643, au lendemain de la mort de Louis XIII et de la régence d’Anne d’Autriche ainsi que les éditions comportant le quatrain cryptogramme pour 1660. En effet, qui aurait pu prévoir qu’une régence se constituerait avant d’apprendre le décès de Louis XIII, dans sa quarantaine ?

Il n’est pas impossible, en vérité, que la référence à 1611 soit liée à cette tradition d’un prophétisme associé à une régence du Royaume de France mais ne corresponde à aucune édition de ce type. On aura choisi cette date qui aurait pu convenir en effet pour une telle édition afin de laisser croire que l’année 1642 aurait été annoncée trente ans à l’avance. Cela témoigne, en tout cas, d’une tradition prophétique bien particulière et qui s’est maintenue de1524 à 1643, soit durant 120 ans environ.

Mais l’on est aussi en droit de se demander à quelle date parut véritablement le Mirabilis Liber. On avance généralement 1522,soit trois ans avant Pavie mais ne serait-il pas envisageable de dater le recueil de la captivité de François Ier (du moins à partir des éditions dont la préface est tronquée, datées de 1523) et donc de la régence de sa mère Louis de Savoie, qui avait déjà été régente précedemment ? Le genre même du recueil se préte à bien des aménagements en ce que par définition, il est constitué de diverses pièces aux origines et aux parutions fort diverses, donc diversement datées, parfois recyclées. L’âge d’un recueil n’est pas celui de sa pièce la plus ancienne mais bien bien celui de sa pièce la plus récente. Pour nous, les Prophéties nostradamiques sont bel et bien un recueil avec tout ce que cela implique.

En ce qui concerne le rapport entre les années 1640 et la réédition du Recueil de Prophéties et Révélations modernes, nous observons que. Robert Benazra note, sans faire de lien avec le dit Recueil, à propos de 1644 (RCN, pp . 198 et seq)  et des éditions lyonnaises  des Centuries: :

« Nous avons rappelé la mort de Louis XIII en 1643. L’année suivante, sous le règne du jeune Louis XIV (..) commence à circuler la première édition des Prophéties d’une longue série qui se poursuivra jusqu’en 1665. Toutes ces éditions reproduisent (…) le quatrain supplémentaire (X, 101) », celui comportant le cryptogramme.

Il nous apparait que les éditions troyennes parurent également à une date de peu postérieure à la mort prématurée du roi. Editions qui auraient donc réactivé la tradition du prophétisme des régentes et qui auraient ajouté la mention de 1642 au sein du Recueil associé aux Centuries, particularité troyenne. Comme nous l’indiquions en 2006 dans une étude consacrée à Pierre Chevillot ( « Le libraire Pierre Chevillot, de Paris à Troyes », cf. le site grande-conjonction.org), on peut raisonnablement supposer qu’Antoine Chevillot, son héritier, ait utilisé le nom de Pierre Chevillot pour des éditions antidatées à 1611, procédé que nous avions envisagé pour Benoist Rigaud et les éditions antidatées 1568 (avec la bévue de Pierre Rigaud pour les éditions datées de 1566).

On observera l’économie de moyens permettant de conférer une édition de prophéties une emprise sur l’actualité à savoir une simple addition de date au détour d’un chapitre –en l’occurrence dans le chapeau du chapitre IX de la IIe Partie, la présence de l’an 1611 sur la page de titre, le changement d’une lettre dans un quatrain (IX, 86, Chastres devenant Chartres). Il suffit de quelques retouches de ce style pour conférer une nouvelle perspective à un texte, sans autre forme de procès et sans que l’ensemble du texte n’offre en lui-même un intérêt, le public se satisfaisant de quelques bribes, de brefs extraits, sans qu’il soit même nécessaire que tout le quatrain ou tout le chapitre visé fasse sens : une date, un nom propre suffisent12.

On peut se demander, in finé, si c’est le Recueil qui est accompagné des Centuries ou l’inverse. En ce qui concerne en tout cas les éditions comportant le cryptogramme de la fin des Dix Centuries, nous pensons qu’il s’agit là d’un ajout visant à renforcer le propos régentiel du dit Recueil, du fait d’ailleurs d’une naissance tardive, expression que l’on retrouve en tête de la Préface à César. On a là un autre thème complémentaire de celui de la Régence.Et les lecteurs des années 1640 durent lire les premières lignes du double recueil que constitue notre diptyque, à savoir celles de la Préface à César, comme annonçant la tardive naissance du futur Louis XIV, même si au départ,Nostradamus est censé s’adresser bel et bien à son jeune fils, en 1555. On pourrait imaginer Louis XIII sur son lit de mort, s’adressant à un enfant âgé de 5 ans, lui livrant éventuellement quelque testament, quelque « mémoire » spirituel qu’il ne pourra apprécier que plus tard.. Au fond, la configuration associant une tardive naissance à une régence, avec en ligne de mire 1660, expliquerait un nouveau revival nostradamique, d’autant que le prince ainsi désigné sous le nom de César sera bel et bien appelé à un destin remarquable, plus flamboyant que celui de ses prédécesseurs, et qui se prolongera d’ailleurs, à la mort du Roi Soleil en 1715, par une Régence cette fois masculine, celle de Philippe d’Orléans, en raison de la jeunesse de Louis XV. Cela correspond au demeurant à la production des éditions Pierre Rigaud 1566. (cf Benazra, RCN, pp. 295 et seq) qui indique la présence d’une gravure hors texte portant la mention « Avenione 1716 ». Cette fois, les Centuries ne paraissent point en compagnie du Recueil et l’année 1642 ne fait plus guère sens et c’est bien l’élément du jeune Prince qui finalement semble déterminant, avec une préface dont l’auteur pourrait être déjà mort. « Ton tard avénement (…) mon fils etc » : telles sont les premières lignes des Centuries. De telles considérations nous invitent à réapprécier l’importance des textes en prose- l’Epitre à Henri II s’adresse quant à elle à un roi en pleine maturité, en contraste radical avec la Préface à César- - probablement plus déterminants que les quatrains dans la fortune des Prophéties.

27 - La fausse édition rouennaise Raphael Du Petit Val 1588

 

De l’enseignement des titres des premiers volets dans le groupe des éditions Cahors (1590)-Rigaud (1568)-Antoine du Rosne (1557)

Quand on se procure une édition des Centuries, on est souvent frappé par le fait que les titres de chacun des volets comportent le mot « addition ».

Premier volet :

  • dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées

  • Adioustées de nouveau par ledict Autheur

Second volet

  • qui n’ont encores iamais esté imprimées

  • Ajoutons que la formule « adioustées de nouveau par le dict Autheur » concerne le second volet.

A la lecture de ces titres, l’on ne peut apparemment pas dire qu’il y a négation de l’idée d’une œuvre en plusieurs strates, étapes. Mais en même temps, ce qu’on appelle le premier volet ne comporte, en son contenu mais non en son titre, qu’une division en « centuries », dont six pleines et une, la septième, n’atteignant pas les 50 quatrains, tout en s’intitulant « centurie ».

Est – ce que ce titre qui est notamment celui des éditions Rigaud , y compris Pierre Rigaud – mais aussi dans les éditions Cahors 1590 et Du Rosne 1557 - n’est pas décalé par rapport au contenu ? On serait ainsi bien en peine de nous dire où chercher l’addition de 300 quatrains vu que la septième centurie n’en a qu’une quarantaine d’années. Mais est-ce que le titre du premier volet englobe la septième centurie ? On peut en douter. Certains diront que la formule « Adioustées par le dict Autheur » concerne la septième centurie. Or, ce n’est pas le cas, la preuve en étant l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest ne la comporte pas alors que l’édition Utrecht la comporte comme tout un ensemble d’éditions à 10 centuries et à deux volets.

Il faudrait aussi évoquer les quatrains additionnels à la fin de la IVe et de la VIIe centuries. On sait que la Ive centurie avant d’arriver à 53 quatrains n’en comportait que 39. (cf RCN, pp. 122-123 sur l’édition rouennaise de Raphael du Petitval 1588)  De même, la VIIe centurie ne dut comporter initialement que les 12 quatrains issus de l’almanach pour 1561 avant de passer à une trentaine (éditions de Rouen et d’Anvers (39 quatrains), 1589- 1590) avant de parvenir à 40/42 quatrains (cf. ed. Du Rosne 1557, Budapest et Utrecht). Les additions ont tendance à se placer à la fin du volume : quand celui-ci n’avait que 4 centuries dont une à moins de 100 quatrains, c’était là que l’on ajoutait quelques quatrains. Puis quand on passa à sept centuries, c’est à la fin de celle-ci que l’on ajouta un certain nombre de quatrains.

On dira donc que les éditions Rigaud comportent une page de titre qui ne correspond pas tout à fait au contenu du premier volet et notamment en ce qui concerne la centurie VII qui s’y trouve cependant. La question que l’on ne manquera pas de se poser est la suivante : qu’est ce qui est le plus ancien, le titre ou le contenu ?

Le titre du premier volet nous semble en tout cas correspondre à une édition à six centuries pleines, les trois dernières correspondant aux centuries IV, V et VI., la Ive ayant absorbé la première partie de la IV. On notera d’ailleurs que l’on ne parle pas au titre du premier volet de « centuries » mais de prophéties, non pas de 3 centuries mais de 300 « prophéties » ou quatrains. N’est-ce pas en référence à une époque où le corpus nostradamique n’était pas encore découpé en centuries (cf Petit Val 1588, RCN, pp. 122-123) ? Dans ce cas, le titre Rigaud du premier volet pourrait être un des plus anciens. En comparaison le second volet porte en son titre, en gardant la partie du haut du titre : « Les prophéties (…) Centuries VIII, IX, X. ». Le même titre se retrouve d’ailleurs dans les premiers volets des pseudo éditions Du Rosne 1557 (Budapest et Utrecht). Rappelons que les éditions parisiennes de la ligue, en revanche, annoncent en leur titre ce qui correspond à une septième centurie.

Le contraste de ton, de présentation, entre les titres des deux volets n’avait pas été, à notre connaissance, assez souligné. Visiblement, ils ne sont pas sur la même longueur d’onde. Le titre du premier volet n’est pas stricto sensu centurique. Il y est certes questions de centaines de quatrains mais cela n’implique pas nécessairement un classement des quatrains en centuries comme c’est le cas pour le titre du second volet. Il convient d’ailleurs de remonter au titre de la pseudo-édition Macé Bonhomme qui ne comporte pas davantage de référence à une présentation centurique : Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Voilà un titre qui aurait parfaitement convenu pour décrire le contenu de Du Petit Val 1588, qui ne comporte aucune centurie mais dont le titre, en revanche, se réfère à une division en 4 centuries. Rappelons que les éditions parisiennes de la Ligue(1588-1589) comportent également le mot centurie en leur titre, c’est le dernier mot du titre additionnel mais cela ne figure pas dans le titre principal qui est conforme à celui du premier volet des éditions Cahors-Rigaud-Du Rosne (avec la permutation de l’ordre des mots que l’on connait « dont il en y a » et qui est commune aux éditions Rouen 1589-Anvers 1590). Un cas particulier est celui de l’édition Rouen 1611 Pierre Valentin, plus tardif donc (cf Chomarat, Bibliographie Nostradamus, p.. 93) : « Les Centuries et Merveilleuses Prédictions (…) contenant sept centuries dont il y en a trois cents ». Titre on ne peut plus alambiqué  avec une interpolation évidente : « sept centuries ». Il eut fallu mettre simplement « dont il y en a trois ». Autre interpolation au titre qui comporte également le mot « centuries », si on le compare à l’édition Rouen Petit Val 1588 : « Grandes et Merveilleuses prédictions ». On a là un exemple d’une double tentative de « centurisation » d’un titre initial du premier volet dépourvu du mot « centurie » en conformité avec le titre du second volet, dans une édition qui se veut limitée au premier et qui reprend à vingt ans d’écart le flambeau des éditions rouennaises de la Ligue. (cf. Édouard-Hippolyte Gosselin, « Glanes historiques normandes. Simples notes sur les imprimeurs et les libraires rouennais (XVe, XVIe et XVIIe siècles) », in Revue de la Normandie, 1870. p.646, texte signalé par Gérard Morisse). Tentative isolée et quelque peu anachronique, au XVIIe siècle de produire uniquement le premier volet, si on la confronte notamment aux éditions troyennes dont le premier volet ne comporte pas le mot « centurie », réservé en quelque sorte au second.

Nos réflexions sur le titre du premier volet et sur les additions qu’il comporte dont aucune ne mentionne explicitement de « centurie(s) » vont dans le sens d’une division des quatrains en centuries ne se produisant que dans un second temps, le premier temps n’étant plus attesté que par une seule édition, Rouen Petit Val 1588, décrite par Ruz mais actuellement inaccessible, si ce n’est par sa page de titre qui porte à confusion du fait même qu’elle comporte au titre « prédictions divisées en quarte (sic) centuries’, ce qui nous laisse perplexe quant à la véritable date de cette édition, sous le titre que nous connaissons. Si son contenu est le plus ancien qui nous soit connu – et en cela nettement antérieur au contenu de l’édition Macé Bonhomme 1555, dont le contenu correspond tout à fait à un tel titre – la référence à 4 centuries au titre nous apparait comme totalement décalée dans le contexte de toutes les éditions de l’époque du premier volet. On pourrait en fait la situer en 1611 dans le cadre rouennais propre à un Pierre Valentin lequel aurait planifié deux éditions successives : l’une à quatre centuries, l’autre à sept, n’hésitant pas à emprunter le nom de son prédécesseur Raphael du Petit Val, dont le nom était déjà associé à une telle production, en 1589. Logiquement, il placerait son édition à 4 centuries, une année avant, en 1588/ Il faut donc ajouter à la liste des éditions doublement antidatée celle de Rouen Petit Val 1588. On nous objectera que le contenu de la dite édition 1588/1611 est en revanche singulièrement ancien. Cela fait partie, selon nous, du dossier assez étonnant des rééditions propres au XVIIe siècle dont on a traité par ailleurs à propos de l’édition lyonnaise d’Antoine Besson, de la traduction de Théophile de Garencières, qui diffuse des éléments extrêmement anciens sensiblement antérieurs à ceux figurant même dans les éditions Cahors-Rigaud, et ce pour les deux volets, notamment au niveau des épitres à César et à Henri II).

Nous conclurons donc sur la thèse suivante, à savoir que dans un premier temps, le corpus des quatrains « prophétiques » n’était pas divisé en centuries. Le terme centurie ne désignait au milieu des années 1580 (cf. Du Verdier, 1585) que la collection, année par année, des quatrains d’almanachs (désignés par la suite sous le nom de présages alors que ce terme concerne aussi bien la prose, cf. le Recueil des Présages Prosaïques, édité par B. Chevignard, Paris, Seuil, 1999).On peut raisonnablement supposer que le contenu correspondant initialement à de tels titres ne comportant pas le mot centuries n’impliquait pas de classement des quatrains en centuries. Il aura fallu un certain laps de temps pour que le corpus des quatrains « non datés » par opposition à ceux datés des centuries liées aux almanachs soit présenté en centuries, ce qui est attesté dès 1588, à Paris.(Veuve Nicolas Roffet).

A quelle date situer la première production de quatrains nostradamiques non datés ? En fait, on ne dispose pas, contrairement aux apparences, de repères précis. Certes, en 1585 (Lyon, B. Honorat), Du Verdier mentionne une édition Rigaud de « centuries ».Or, l’usage même du mot centurie indique qu’il ne s’agit pas des dites éditions dont le mot centurie est absent au titre et il ne suffit pas de dire que le contenu est divisé en centuries car on a coutume de désigner un ouvrage par son titre. Nous avons dit que cela renvoyait à des séries de quatrains datés, issus des almanachs de Nostradamus et distribués en « centuries », c'est-à-dire en «cycles » annuels de quatrains (le mot siècle, en français est rendu en anglais par « century » et est proche du mot cycle, ce qui est aussi le sens du mot latin annus (an, année, anneau).

Si déjà en 1588, à Paris, parait une édition divisée en centuries, il convient de situer dans les années précédentes des éditions à plus de 300 quatrains (attestée dans Petit Val 1588) et des éditions comportant la mention d’une addition de 300 quatrains ; mais toujours pas classés en centuries. Cette édition n’est attestée que par le maintien des pages de titre au premier volet, y compris dans les éditions troyennes du XVIIe siècle. Le découpage en centuries aura été dicté par l’existence d’éditions des centuries de présages, le terme centurie étant attesté dès 1585 dans la Bibliothèque de Du Verdier, ce qui a conduit plus d’un chercheur à conclure que cela renvoyait aux quatrains non datés alors que ceux-ci initialement n’étaient pas répartis centuries. Il suffit ainsi de l’emprunt tardif d’un terme pour fausser les perspectives chronologiques.

Nous dirons donc que l’on doit raisonnablement situer l’émergence des quatrains non datés, attribués à Nostradamus autour de 1584, année de la mort du dernier fils de Catherine de Médicis, ouvrant une crise dynastique, ce qui correspondrait en gros au témoignage de la Bibliothèque de La Croix du Maine. On y lit :

« Les Quadrains ou Prophéties du dit Nostradamus ont esté imprimés à Lyon l'an 1556 par Sixte Denyse & encore à Paris  & autres lieux, à diverses années".

La désignation nous semble tout à fait adéquate- point de mention du mot centurie- pour désigner les premières éditions des quatrains non datés. Quant à l’année 1556, il s’agit, pour nous à l’évidence, d’une édition antidatée tout comme celle du lyonnais Antoine du Rosne 1557 ou du parisien Olivier Harsy (1557, dont mention est signalée par P. Guinard), en rapport avec la Préface à César datée de 1555. Les éditions du Rosne qui nous sont parvenues sont, quant à elles, divisées en centuries mais il a pu exister un premier train d’éditions, sous le même label, non constitué en centuries. A l’évidence, les premières éditions antidatées pour les années 1550 étaient sans découpage en centuries. C’est une seconde fournée qui sera ainsi « centurisée »,à partir de 1588 et de l’édition Veuve Nicolas Roffet, dont la vignette est reprise dans les pseudo éditions 1555 Macé Bonhomme et 1557 Du Rosne. Cette centurisation verra apparaitre une septième centurie,-cf. édition Anvers 1590, et auparavant Rouen Petit Val 1588, exemplaire tronqué) dont le contenu correspond au titre des éditions parisiennes, alors que le contenu des dites éditions parisiennes correspond à un état antérieur-à la formation d’une édition à 600 quatrains- - alors même que le second volet, introduit par l’Epitre à Henri II, n’est pas encore associé au premier et certainement pas divisé en centuries VIII, IX, X, ce qui implique l’existence de sept centuries.

Il y aurait une sorte de concomitance entre la mise en place d’une septiéme centurie et le découpage en centuries des quatrains non datés. Mais cette présentation n’affectera pas le titre du premier volet tel qu’il se présentera à partir de 1590 à Cahors puis à Lyon, chez Rigaud, le second volet n’arrivant qu’ à partir de 1594 (cf le quatrain IX, 86) et cette fois tenant compte des sept centuries et du découpage en centuries, ce que semble tout à fait encore ignorer la formulation du premier volet, y compris au sein de l’ensemble à dix centuries qui s’imposera à partir de 1594. Cette centurie VII n’est reconnue qu’indirectement de par le titre même du second volet : centuries VIII. IX. X.

JHB

04. 09. 11


 


 

28 - Le noyau dur de la production de Nostradamus et ses dérives/dérivés


 

Disons le d’emblée, s’il faut chercher le «vrai » Nostradamus, ce ne sera pas dans des quatrains, qu’il s’agisse de ceux des almanachs ou de ceux des «centuries », bien que ce mot ait servi, un temps, selon nous, à désigner des suites de quatrains-présages, alors que ceux-ci au départ sont disséminés entre les 12 mois.

Nous pensons que les quatrains des almanachs n’étaient pas directement son œuvre mais qu’ils étaient tout au plus tirés, extraits de celle-ci par des collaborateurs plus ou moins inspirés.

L’œuvre en prose de Nostradamus porte bien davantage sa marque que sa réduction en vers. Encore faut-il préciser qu’à la lecture du Recueil de Présages Prosaïques, il apparait que la partie la plus technique était elle aussi déléguée par Nostradamus et qu’il laissait à d’autres le soin de copier les données astronomiques.

Est-ce à dire que les épitres figurant dans les Centuries soient des éléments fiables pour découvrir la pensée de Nostradamus ? Nous ne le pensons pas, contrairement à d’autres chercheurs qui s’en contentent parce qu’ils y ont aisément accès au sein des éditions successives. Il faudrait d’ailleurs réunir toutes les épitres de Nostradamus. Nous recommandons tout particulièrement une parution datée de 1906 , à Magdebourg ; intitulée ‘Reproduction très fidèle d’un manuscrit inédit de M. de Nostredame. Dédié à S. S. le Pape Pie IV/ Ce manuscrit s’intitule « Les praedictions de l’almanach de l’an 1562, 1563 & 1564 p. M. Michel de nostre dame etc. ». Rappelons que chaque publication de Nostradamus comportait une épitre-préface en prose et que de tels textes n’ont pas été repris dans le Recueil des Présages Prosaïques, lequel était censé rassembler tout de même la substance des publications annuelles. (cf. à propos de Nostradamus et de Pie IV, notre étude parue dans RHR (Réforme Humanisme Renaissance) en décembre 1991) « Une attaque réformée oubliée contre Nostradamus (1561) »

Quant aux épitres centuriques, il serait bien imprudent de s’en servir comme critère d’adéquation de quelque discours à la pensée de Nostradamus. Ce n’est, en tout cas, certainement pas la référence à mettre en avant au premier chef et ce n’est qu’en comparant les dites épitres à d’autres du même auteur que l’on parviendrait éventuellement à faire le tri. Il vaut mieux, donc, en tout état de cause, élargir considérablement un tel corpus en prose. On lira entre autres les trois épitres introduisant la production pour l’an 1557 (en fac simile in Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed Ramkat, 2002), on y trouvera notamment une épitre de Nostradamus à Henri II dont le scénario- le retour et le souvenir ébloui de la rencontre avec le roi- sera repris dans l’Epitre centurique à Henri II dont la première édition connue ne remonte pas avant le milieu des années 1590, en tête du second volet des centuries. A partir de cette première épitre, on aura brodé énormément et l’on connait plusieurs stades additionnels du dit texte en prose, avec notamment la version Besson (fin XVIIe siècle) qui reprend un premier état du texte intermédiaire entre la première épitres au Roi en tête des Présages Merveilleux pour 1557 et l’Epitre canonique, attestée plus de trente ans plus tard...

Quant à la Préface à César, elle aussi, a bénéficié ou souffert- c’est selon- de sensibles augmentations. D’aucuns, comme Torné-Chavigny, au XIXe siècle, attribuent certains emprunts à Nostradamus lui-même. C’est aller un peu vite en besogne ! On pense notamment à l emploi qui est fait du Compendium de Savonarole dans la dite Préface. Il vaut bien mieux travailler sur des textes en prose qui n’ont pas subi de telles transformations..

Que ceux-ci se référent aux quatrains centuriques explique probablement la prédilection de certains chercheurs, néanmoins, pour les dites épitres centuriques. Car inversement, faut-il le rappeler les autres textes en prose ne se référent pas aux quatrains des Centuries. En effet, si les quatrains datés des almanachs peuvent à la rigueur évoquer formellement ceux non datés des Prophéties, les textes en prose sont censés être plus explicites. Or, force est de constater que l’on chercherait vainement dans ces dizaines d’épitres, la moindre référence à la production centurique censée être parue simultanément avec les éditions successives des Centuries. Mais dès que l’on passe aux épitres centuriques, ces références figurent comme si on les avait précisément ajoutées complaisamment.

Quant à tirer argument de la mention des dites centuries dans les épitres centuriques –et cela vaut pour l’épitre à Henri IV, en tête des sixains ou pour la Vie de Nostradamus qui s’achève par ce qui est probablement une interpolation centurique d’un texte qui dut paraitre lors du revival nostradamique, lequel fut d’abord centré sur les quatrains d’almanachs. Chavigny a probablement retouché le « Brief discours de la vie de Nostradamus » dans ce sens.

Revenons sur ce texte en prose qui, au XVIIe siècle, sera souvent placé tout en tête des éditions. Le premier quatrain qu’on y trouve appartient à la production pour 1555. Certes, on lit qu’ »il se mit à escrire ses Centuries & autres présages commençant ainsi « D’ESPRIT divin etc ». Mais le mot « centurie » se réfère selon nous à un premier stade du revival qui mettait en avant les quatrains présages de ses almanachs, classés en « centuries », c'est-à-dire ici en «séries ».En fait, il faut attendre les dernières lignes du « Brief Discours » pour qu’enfin, quasi in extremis, l’on se réfère à César dédicataire des « Centuries premières » (c’est à dire du premier volet par opposition, si l’on veut, aux « Centuries secondes » (second volet) et en plus l’auteur signale à cet endroit une prédiction pour l’an 1559, ce qui ne correspond pas aux centuries prophétiques mais aux centuries présages classées par année et par mois. S’il n’y avait mention de César, on se demanderait sérieusement à quel corpus il est fait référence dans le « Brief Discours ». Certainement pas, quand on nous parle tout à la fin « de présages en prose faits depuis l’an 1550 jusques à 67 (souvent corrompu en 17 !)

Ce Brief Discours va d’ailleurs disparaitre des éditions centuriques à partir du XVIIIe siècle.

Quant aux deux épitres centuriques elles-mêmes, elles ne s’appesantissent guère sur les quatrains qui leur font suite. On n’y trouve aucune interprétation. En fait, la Préface à César comporte très peu de données se référant explicitement et indiscutablement aux centuries au sens que l’on donnera par la suite à ce terme. A contrario, l’épitre de Jean de Chevigny, datée de 1570, adressée à Larcher, en tête de l’Androgyn de Dorat, comporte carrément un quatrain et sa signalisation précise. On peut s’étonner qu’un tel procédé ne figure pas dans la Préface. L’Epitre à Henri II est relativement mais modestement plus connectée avec les « Centuries »  même dans la version première reprise par Antoine Besson, dans les années 1690 ;

« Je voudrais consacrer ces miennes premières Prophéties & divinations parachevant la milliade »

Qui devient dans les versions augmentées :

« ces trois centuries du restant de mes prophéties parachevant la miliade »

On s’y réfère à la préface à César :

«  Dedans l’Epitre que ses (sic) ans passez ay dédiée à mon fils César Nostradamus «  sans que l’on nous indique explicitement si la dite épître introduisait de précédentes centuries.

Ce qui peut surprendre, c’est que dans la version « Besson » - qui elle ne mentionne pas César- il est question de « ces miennes premières prophéties » alors que dans la version canonique, il est dit « ces trois centuries du restant de mes prophéties ». Cela s’explique selon nous par le fait qu’initialement l’Epitre à Henri II ne faisait nullement suite à un premier volet adressé à César. Ce sera là un arrangement, un aménagement, un compromis tardif. Il n’est d’ailleurs pas très diplomatique de proposer à un roi « le restant de ses prophéties ». Quand on désira relier les deux ensembles de quatrains, l’on modifia sensiblement l’Epitre à Henri II, en y interpolant une référence à l’Epitre à César, alors que les deux volets appartenaient à des camps opposés et qui se détestaient cordialement, Catholiques ligueurs voulant priver le Bourbon de ses droits d’un côté, de l’autre, des réformés liés à Henri de Navarre et en situant les 300 quatrains comme une addition, ce qui est d’ailleurs indiqué au titre du premier volet tel qu’il figure dans les éditions à deux volets, « adioustées de nouveau par le dict Autheur », l’important étant de tout attribuer à Michel de Nostredame. En fait, pendant des décennies, le fait même que des éditions des Centuries étaient parues sous le nom de Nostradamus apparaissait comme une preuve suffisante. Ce n’est en fait que depuis une vingtaine d’années, que les chercheurs ont commencé à prendre la peine de rechercher des témoignages extérieurs aux dites éditions. On songe aux Prophéties du Sgr du Pavillon qui sont calquées sur la Préface à César  et datées de 1556. mais qui ne comportent aucun quatrain centurique, ce qui laisse entendre que les dites Prophéties ont été composées avant la parution des « centuries » canoniques. On trouve la mention d’ une « seconde centurie » sans autre précision dans les Significations de l’Eclipse de 1559 mais ce texte est repris de l’Eclipsium de Leovitius et est certainement une contrefaçon. Et puis, il y a le cas d’une épitre à Jean de Vauzelles, qui se référait explicitement à un certain quatrain centurique directement en prise sur les enjeux de la Ligue. ( Pronostication nouvellle pour 1562, Lyon, Antoine Volant, Pierre Brotot) cf Chomarat, Bibliothèque Nostradamus, pp. 36-37, RCN, p. 50) et que la plupart des spécialistes considérent comme un faux à telle enseigne que les contrefaçons se caractériseraient précisément par le fait même qu’elles comportent un élément centurique en quelque sorte surajouté et donc initialement absent. La vignette d’une autré édition de la Pronostication (conservée à Munich, Bayerische Bibliothek) n’est pas conforme à celles qui sont attestées dans les années 1550 sous le nom de Nostradamus. En revanche, elle est du même type que les vignettes qui illustrent les contrefaçons de 1555 et 1557.

C’est donc bien l’Epitre à Henri II et en fait elle seule, qui constitue clairement –mais avec des ajustements successifs, une présentation des Centuries au sens « classique » du terme mais comme on sait c’est un faux antidaté à 1558. . Or, ironiquement, ce texte ne figurera pas en tête de l’ensemble mais au second volet, d’où le changement : « mes premières » pour « le restant ». Quant à la forme « parachevant la miliade », il figure déjà dans la version Besson. Il faut l’entendre ainsi : ces prophéties dont ce sont ici les premières atteignent les 1000 quatrains mais n’ont pas encore été toutes publiées..

Nous terminerons par les observations suivantes : nous avons relevé, en d’autres occasions, à quel point un texte en prose lacunaire pouvait perdurer d’une édition à l’autre. Autant, il semble bien délicat de corriger un quatrain centurique, en raison même de son caractère assez aléatoire, autant il nous apparait tout à fait possible de faire ressortir des anomalies au sein d’un texte en prose sur lequel nous sommes spontanément plus en prise. Récemment, nous avons ainsi montré qu’il fallait lire « régions » et non « religions », dans l’Epitre à Henri II, ce qui permettait de conférer à l’édition Cahors Jaques (sic) Rousseau une antériorité par rapport aux éditions Benoist Rigaud 1568. A force de ne s’intéresser qu’à l’interprétation, l’on en vient à ne pas chercher à établir le texte de départ. Nous avons également montré que dans la Préface à César, les éditions reproduisaient les mêmes phrases introductives lacunaires, en ce qui concerne la naiissance tardive de César, et cela est ressorti de la comparaison avec l’édition Besson mais aussi avec la traduction anglaise de 1672 de Théophile de Garencières. Tout se passe comme si les chercheurs en ce domaine avaient pris la fâcheuse habitude, du fait de la fréquentation des quatrains, de ne plus vraiment chercher à cerner l’état premier d’un texte, c'est-à-dire le signifiant avant de passer au signifié, quand bien même le texte serait-il en prose et donc relativement plus compréhensible qu’en vers. Dans le domaine de la prose, il nous semble d’ailleurs tout à fait possible de corriger un texte, quand bien même ne disposerait-on pas d’une version correspondant à une telle formulation. En ce qui concerne les quatrains, un tel exercice nous semble plus aléatoire, sauf dans les cas où la source a été identifiée (cf le cas des quatrains constitués à partir de la Guide des Chemins de France, de Charles Estienne, comme IX, 86) mais dans certains cas la variante fautive est en réalité un infléchissement du texte à des fins des propagande (cas du couronnement d’Henri IV, à Chartres) et dans ce cas là, il importe de montrer quel est le contexte qui aura conduit à telle ou telle modification. Il n’est donc pas question de réformer systématiquement un texte à partir de la source dont il émane mais du moins cela peut-il servir à dater un texte de par l’événement qu’on lui fait signifier ( cas de IV, 46, « Garde toi Tours de ta proche ruine « .

Le recentrage sur la prose de Nostradamus, par delà les épitres centuriques, nous semble être un moyen tout à fait recommandé pour restituer une certaine authencité de Michel de Nostredame.


 


 

JHB

01. 09. 11
 

29 - Les éditions doublement antidatées


 

 

Récemment, nous avons appris qu’une édition parisienne, apparemment jumelle de l’édition Antoine du Rosne Budapest 1557 aurait été produite, en la même année, sous exactement le même titre fautif ‘(« dont il en y a ») par le libraire Olivier Harsy13. Il semble qu’il y ait eu plusieurs éditions 1557, celles qui correspondent à la page de titre – et dont on n’a pas d’exemple – et celles dont le contenu diffère, notamment du fait de la présence d’une centurie VII. Nous avons, dans plusieurs études ainsi montré qu’il faut systématiquement confronter le titre d’une édition centurique avec son contenu, ce qui permet souvent de faire d’une pierre deux coups, c'est-à-dire de découvrir deux états successifs. Un des cas les plus intéressants que nous ayons signalé jusqu’alors est celui des éditions parisiennes de la Ligue mais cela vaut également pour l’ensemble des éditions datées 1557. Evitons, en tout cas, de partir du principe que le titre d’une édition centurique reflète son contenu. Il peut fort bien se trouver que telle édition porte un titre qui corresponde au contenu d’une autre édition qui, elle-même, n’a pas le titre adéquat. C’est ainsi que le titre des éditions parisiennes n’est pas conforme à ce qu’on y trouve mais conviendrait tout à fait à celui du premier volet de l’édition Du Rosne 1557 Budapest, dont le titre en revanche correspond à une édition perdue à six centuries.

Une autre libraire parisienne du temps de Nostradamus nous est connue, c’est Barbe Regnault, dont le nom est associé à une édition augmentée de 39 « articles » et à l’année 1560 (pour des prévisions concernant 1561). On sait qu’elle correspond aux éditions parisiennes ligueuses de 1588 et 1589. Cela signifierait que Nostradamus aurait ajouté des quatrains du fait d’une année particulière qu’il entendait couvrir, ce qui n’est pas vraiment en phase avec le contenu des centuries mais correspond mieux au genre des prévisions pour des dates précises, non pas pour un quatrain mais pour 39. Excusez du peu !.Ajoutons que les quatrains de l’almanach pour 1561 ont précisément été intégrés dans les éditions parisiennes de la Ligue, au sein d’une centurie VII, à 12 quatrains. Et non pas à 39 (ou 38, selon l’édition de la veuve Buffet, datée de 1561, (cf catalogue Nostradamus de la librairie Thomas Scheler, 2010, p. 49). Toujours est-il que la centurie VII qui finalement remplacera celle à 12 quatrains est à 40 quatrains et donc correspond assez bien à la description de l’addition à la « dernière centurie » qui devrait être la centurie VI, clôturant un ensemble de six centuries par un avertissement latin.

Le problème, c’est que justement les éditions portant la date de 1557 possèdent déjà la centurie VII à 40 (Rosne, Budapest) ou 42 quatrains (Rosne Utrecht), ce qui en fait, par leur contenu, des éditions faisant suite à l’édition 1561, du fait d’une addition de 1 ou 3 quatrains, respectivement, à la VIIe Centurie et non la précédant. C’est un véritable casse-tête chronologique, même si l’on se place dans le registre virtuel des contrefaçons antidatées.

Si l’on admet que les éditions Rosne 1557 et Harsy 1557 ont été fabriquées/forgées après la pseudo-édition pour 1561, la question reste posée : à quelle édition, l’édition parisienne Barbe Regnault (cf RCN, pp.51-52) aussi attestée par les catalogues que l’édition Olivier Harsy 1557. On pourrait même être tenté, en vérité, d’associer ces deux éditions parisiennes, l’une venant compléter l’autre, si celle de 1557 ne comportait déjà l’addition en question. Mais en fait, on n’a aucune idée du contenu de l’édition Harsy, qui n’a jamais été décrite. Comportait-elle-même une septième centurie ? Notons que son titre indique en tout cas déjà une addition de 300 quatrains, ce qui correspondrait au passage d’une édition à 3 centuries à une édition à 6 centuries, avec un état intermédiaire de quelques quatrains à la Ive centurie, correspondant à l’édition Macé Bonhomme 1555, par exemple, à 53 quatrains à la dite Ive centurie. On sait que l’on n’a pas retrouvé d’édition à six centuries. Peut être s’agit-il de cette édition parisienne Olivier Harsy, étant entendu que la date de 1557 est parfaitement fictive et que le nom du libraire aura été emprunté par ses successeurs parisiens de la Ligue.

Quand bien même cette édition Harsy disposerait-elle d’une centurie VII, le problème resterait posé de la fabrication d’une édition 1557 voire 1555 à sept centuries, puisque l’édition Anvers St Jaure 1590 à 7 centuries (mais seulement 35 à la VII mais ce nombre varie apparemment d’une édition à l’autre) s’y réfère, la plaçant à Avignon, chez Pierre Roux, en 1555, date de la Préface à César

Notons que l’édition Anvers est déjà une édition doublement augmentée (de trois à six et de six à sept centuries), même si l’avertissement latin en a été supprimé tout comme la marque additionnelle après le quatrain IV 53, qui figure, en revanche, dans les éditions parisiennes de la Ligue mais plus dans l’édition rouennaise de 1589 qui précède, sous le même titre, celle d’Anvers 1590. Cette édition Anvers nie en fait toute addition et laisse entendre que dès 1555, il y avait bien 7 centuries, du même auteur, comme le souligne le titre du second volet, qui introduit encore une addition de 300 quatrains. Mais restons-en au premier volet.

Résumons-nous :

1 l’édition Anvers 1590 et Rouen 1589 nient tout processus additionnel. Tout est déjà en place dès 1555.

2 les éditions Antoine du Rosne 1557 nient toute addition constitutive de la centurie VII, les quatrains de la quelle seraient en quelque sorte inclus dans l’addition de 300 quatrains annoncée au titre.

3 Les éditions Barbe Regnault- référées par les éditions ligueuses parisiennes (qui ne citent pas la libraire mais on dispose désormais avec l’édition Veuve N. Buffet de la preuve d’une contrefaçon antidatée, aucune édition centurique Barbe Regnault n’ayant été conservée ni même simplement décrite comme Rouen Petit Val 1588) indiquent une addition que nous situons par rapport à une édition à six centuries disparue ; la sixième centurie étant donc la « dernière » sur laquelle vient se greffer l’appendice qui deviendra la Centurie VII..

4 Il a donc bien du exister une édition à six centuries à laquelle se réfère implicitement l’édition parisienne pour 1561. On ne possède pas non plus d’édition ligueuse à six centuries alors que pour les autres éditions antidatées, on a à la fois l’édition ligueuse et l’édition antidatée, même si elles ne correspondent pas exactement.

5 Les éditions parisiennes de la Ligue sont antérieures par leur contenu à la formation d’une édition à six centuries (cf. RCN, pp/118 et seq). Seul leur titre indique une telle éventualité. Cette production à six centuries est en revanche bien intégrée dans les éditions de Rouen 1589 et Anvers 1590, si ce n’est que celles-ci comportent la dite centurie VII additionnelle.

Récapitulons un instant : l’édition à six centuries est introuvable mais son existence découle de l’indication d’une addition d’ »articles » à la « dernière «  centurie, c'est-à-dire à la sixième. Si addition, il y a, c’est qu’il y a eu d’abord une édition sans la dite addition. C’est une vérité de La Palisse.

L’erreur méthodologique que semblent commettre certains nostradamologues consiste à « forcer » les documents en refusant d’admettre que des pièces du puzzle manquent. Il est patent que les éditions Antoine du Rosne 1557, du moins celles qui nous sont parvenues- sait-on jamais ? – ne peuvent pas avoir été augmentées d’une centurie VII qu’elles ont déjà. On ne peut nullement exclure que ces éditions du Rosne ont été datées pour 1557 sur la base d’une précédente contrefaçon à six centuries, portant la mention d’une addition de 300 « prophéties » ou quatrains, qui pourrait correspondre à celle parue sous le nom emprunté du libraire parisien Olivier Harsy 1557.

Mais, si l’on se base sur les déclarations figurant à la fin d’Anvers 1590 et probablement de Rouen 1589 (dont la fin est tronquée), on assiste à une sorte de surenchère avec l’affirmation de l’existence dès 1555 d’une édition à sept centuries sur le modèle Rouen/Anvers qui s’y réfère.

Autrement dit, plus les éditions centuriques se situeraient à une date plus ancienne, plus elles seraient tardives car on imagine mal un processus inverse.. Il y aurait en fait eu un flux et un reflux:

Flux : des additions successives indiquées et annoncées et dont il reste des traces au titre du premier volet, à l’exception de Macé Bonhomme 1555 qui se veut antérieure à l’addition de 300 quatrains.

Reflux : suppression de toute marque d’addition, ce qui est le cas des Grandes et Merveilleuses Prédictions si ce n’est que leur titre ne correspond pas à leur contenu, en indiquant une addition (de 300 quatrains) qui n’est pas signalisée dans le corps du texte. Cela culmine dans l’affirmation de l’existence d’une édition, non retrouvée, à sept centuries (Avignon, 1555) mais une telle affirmation intérieure au livre est en contradiction avec le titre qui indique une addition. Comme cette édition manque, l’on s’est replié sur Antoine du Rosne 1557-Budapest à sept centuries qui pourrait être la copie conforme de l’édition Avignon 1555 introuvable.

Cependant, si certaines éditions manquent, d’autres subsistent qui sont quelque peu encombrantes et difficiles à gérer, à commencer par l’édition réapparue en 2010 de la Veuve  N. Buffet 1561 (qu’on peut consulter à la librairie Thomas Scheler à Paris) mais cette édition, tout comme celles de la Ligue, a un contenu qui ne correspond aucunement au titre si bien que l’on ne possède qu’une page de titre pour attester de l’existence d’une édition à six centuries tout comme l’on ne possède que la page de titre d’une édition à 4 centuries, qui serait parue sous la Ligue. (Rouen, 1588) si ce n’est que l’on a conservé des éditions Macé Bonhomme 1555 correspondant à une telle description.

Mais alors, pourquoi et quand avoir produit une telle édition lyonnaise Macé Bonhomme 1555  qui ne correspond nullement à l’édition 1555 à sept centuries signalée par Anvers 1590 ?

Cette édition est implicitement indiquée dans les éditions indiquant une addition au titre du premier volet. Le titre est le seul qui ne signale pas la moindre addition et qui pourrait correspondre idéalement à l’idée d’une édition première d’un seul tenant à sept centuries, mais le contenu par ses limites à 353 quatrains ne saurait correspondre à l’édition 1555 signalée par Anvers 1590, à sept centuries.

Dans quel but, par conséquent aurait-on produit une édition à 353 quatrains laquelle correspond au contenu des éditions parisiennes lesquelles signalent opportunément une addition après le quatrain IV 53 ? En fait, ces éditions parisiennes seraient, par leur contenu, intermédiaires entre une édition à 353 quatrains (elle-même issue d’une édition Rouen 1588 à 353 quatrains non encore divisés en centuries, selon la description qu’en donne Ruzo, l’exemplaire étant actuellement non localisé) et une édition à six centuries disparue mais attestée par l’avertissement latin à la fin de la dite centurie VI dans certaines éditions à sept centuries (Rosne, 1557, Utrecht, Benoist Rigaud 1568)

Ces éditions parisiennes, par leur titre, cette fois, signalent une addition à la « dernière » et sixième centurie, ce qui donne la VIIe centurie. L’édition Macé Bonhomme 1555 nous apparait donc comme le premier essai de processus centurique, à condition de le situer après l’édition Rouen 1588 à 349 quatrains (non encore centurisés). Il est suivi d’une édition -perdue- augmentée de 300 quatrains (en fait de 247 quatrains) formant ainsi six centuries puis d’une édition augmentée d’une centurie VII dont on n’a que le titre. On passe ensuite aux éditions doublement contrefaites puisque non seulement elles sont antidatées comme le précédent groupe mais de surcroit elles se veulent antidatées par rapport aux éditions antidatées.

 

JHB

29. 08. 11


 


30 - Le rôle de César de Nostredame dans le revival nostradamique des années 1580


 

Quelle fut la place de César de Nostredame dans la genèse des Centuries et plus généralement dans la perpétuation du nostradamisme ? Il semble que le plus souvent, César ne soit perçu que comme un nouveau né auquel son père Michel s’adresserait et s’il est présent dans le processus nostradamique jusqu’à nos jours, ce serait uniquement du fait de cette épitre que son père lui aurait adressée en 1555. La question que nous poserons ici est celle de l’éventualité de son intervention bien dans les années 1580-1590.

La récente découverte par Gérard Morisse (cf Hippolyte Gosselin, « Glanes historiques normandes. Simples notes sur les imprimeurs et les libraires rouennais (XVe, XVIe et XVIIe siècles) », in Revue de la Normandie, 1870) d’un catalogue signalant un almanach de « César de Nostredamus », paru à Rouen chez Pierre Courant en 1594 et encore dix ans plus tard, chez un ensemble de libraires normands dont le dit Pierre Courant, Théodore Rainsart et Loys Costé, nous invite à ne pas sous-estimer son rôle au sein de la mouvance néo-nostradamique comme pour ce qui relève du « retour » d’outre-tombe de Nostradamus proprement dit.

On notera que cet almanach – dont on ne connait au demeurant rien d’autre que la dite mention et que le nom des libraires autorisés à l’exploiter- figure avec d’autres almanachs comme celui de Cormopéde, celui d’un certain Pierre de Billy, probable successeur de Himbert de Billy.

Or, en la même année 1594 qui est celle que couvre la première édition signalée de l’almanach de César de Nostradamus ou ailleurs de César Nostradamus, le nom du dit César figure dans le Janus Gallicus, à la fin du « Brief Discours » sur la vie de son père, par Jean Aimé de Chavigny. :

« Le premier des (enfants) masles, nommé César, personnage d’un fort gaillard & gentil esprit, en celui auquel il a dédié ses Centuries premieres duquel nous devons espérer de grandes choses, si vray est ce que ce que l’en ay trouvé en plusieurs lieux de ses Commentaires de son dit père, notamment sur l’an 1559 & mois de juillet où je renvoye le Lecteur »

Passage qui mérite qu’on s’y arrête et d’abord parce qu’il y est question à la fois de « centuries premières » et de « commentaires » datés, qui semblent renvoyer à des almanachs construits sur une base mensuelle, d’où cette référence à juillet 1559. Certes, nous savons que la préface à César introduit les Centuries « prophétiques « .et non des centuries rassemblant telle ou telle année de quatrains d’almanachs. Or, le mot « Centurie » peut tout à fait viser, comme nous l’avons montré ailleurs, des séries de « présages » en vers placés au sein d’almanachs et ainsi rassemblés.

Mais ce passage relatif à César nous interpelle aussi en ce qu’il semble dénoter une certaine amitié entre Chavigny et César, quant à lui âgé alors d’une quarantaine d’années. Il ne serait donc pas question d’un personnage qui aurait disparu de la circulation. Et de fait, si César de Nostradamus est l’auteur ou en tour cas le signataire d’un almanach voué à une certaine fortune puisque attesté encore dix ans après.(cf. supra), jusqu’à quel point est-il impliqué dans le « revival » nostradamique des deux dernières décennies du XVIe siècle ?.

Bien plus, qui a eu l’idée de faire paraitre, dans les années 80 du siècle, cette Préface à César si ce n’est le dit César lui-même non pas, bien entendu, quand il était âgé de quelques mois mais bel et bien dans sa trentaine ? C’est ainsi que sous la Ligue, les centuries « prophétiques » seront toutes annoncées par la dite Préface laquelle se réfère à un mémoire, à une sorte de testament qui ne serait autre que les volumes de centuries de quatrains prophétiques sans référence à un quelconque calendrier, ceci étant le critère distinguant les deux usages du mot « centurie », dans le champ nostradamique..

A la mort de Nostradamus, en 1566, va continuer à prospérer ce que nous avons appelé un néonostradamisme, constitué de personnages dont le nom reprend celui de Nostradamus (Mi. De Nostradamus, Nostradamus le Jeune, Crespin Nostradamus/Archidamus et toutes sortes de disciples ou d’imitateurs comme Himbert de Billy, le sieur de Cormopéde (cf supra) ou encore les Colony, qui sans mentionner le nom de Nostradamus lui empruntent ses vignettes et le genre des quatrains mensuels. A cette liste d’auteurs d’almanachs, il convient donc désormais d’ajouter celui de César de Nostradamus, le dédicataire du texte introduisant les Centuries prophétiques qui va conférer par sa présence une certaine légitimité au phénomène lié à une nouvelle génération.

Or, il est d’autant plus remarquable qu’une telle constellation d’auteurs, réels ou fictifs, laisse la place à Michel de Nostradamus lui-même, revenu d’outre-tombe. Or, si l’on ne tenait pas compte de ce phénomène, on aurait une solution de continuité entre les années 1560 et les années 1580. Car le « revival » de Nostradamus ne se conçoit que précédé par ce néonostradamisme. Ajoutons qu’un Benoist Rigaud, libraire lyonnais, dont le nom sera associé à l’histoire des éditions des Centuries –avec notamment l’édition 1568 en dix centuries de quatrains prophétiques aura considérablement contribué à la diffusion de la production néonostradamique. Ajoutons que dans un premier temps, ce revival passa par la parution des quatrains des almanachs de Nostradamus, ensemble qui avait été conservé en manuscrit et le terme « centurie » aurait d’ abord servi à désigner chaque année de quatrains, tout comme le mot décade (dix jours) désigne en anglais une décennie. (Dix ans, un dixième de siècle, de « centurie)

A un certain stade, il semble qu’il ait été décidé de rassembler la production néonostradamique sous la forme de quatrains attribués à Nostradamus et prenant le nom de « centuries ». C’est ainsi que l’œuvre d’un Antoine Crespin- comme nous l’avons montré dans nos Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, aura été mise à contribution. Crespin n’aurait donc pas emprunté divers textes à Nostradamus mais c’est Nostradamus, en quelque sorte, qui aurait repris, par le truchement de quelques libraires, à son compte, si l’on peut dire, le travail de Crespin (cf. notre communication au congrès mondial des études juives, Jérusalem, 2005), qui serait son débiteur.

Phénomène donc assez étonnant et pas assez mis en évidence que celui d’une « renaissance » de Nostradamus dévorant, tel Saturne, ses propres «enfants », ce qui se produira notamment par la production d’éditions antidatées dont l’existence « démontrera » que toute la production néonostradamique de quatrains était déjà présente dans l’œuvre de Nostradamus, non seulement à sa mort (1568) mais même de son vivant.(1555-1557). La boucle était ainsi bouclée.

Cela conduira d’ailleurs à la marginalisation des « vrais » quatrains des almanachs de Nostradamus , qui seront quasiment évacués du canon nostradamique, au profit de ces néo-centuries, abusivement attribuées au dit Nostradamus, à telle enseigne que le Dominicain Giffré de Réchac, en 1656, dans son Eclaircissement des Véritables quatrains de Nostradamus auquel nous consacrâmes en 2007 notre post-doctorat (EPHE Ve section) mettra en cause l’authenticité des dits quatrains d’almanachs en confirmant celle des quatrains néo-nostradamiques, au vu de leur vertu prophétique, par le biais de son exégèse....

Un Chavigny, dans le Janus Gallicus (1594), correspond à un état intermédiaire où cohabitent les quatrains des deux types de « centuries » Réchac en prend le contrepied en les évacuant de son corpus. Mais on sait que son œuvre restera en grande partie inédite et anonyme.

On pourrait résumer l’histoire du centurisme jusqu’à nos jours comme une tentative pour éliminer la « matrice » que constituent les quatrains des almanachs mais aussi le souvenir de cette constellation néo-nostradamique qui servira non seulement à perpétuer le nom de Nostradamus mais – selon l’exemple de l’arroseur arrosé – se verra confisquée au profit de son modèle son propre apport. Cas remarquable d’un imitateur spolié par celui qu’il imite, non point certes par l’auteur lui-même, décédé, mais par ceux qui se sont emparés de son nom. En fait, ce «revival » n’est qu’un nouvel avatar du néo-nostradamisme.

Dans son Brief Discours sur la vie de Nostradamus qui sera repris tout au long du XVIIe siècle sous le titre « La Vie de Maistre Michel Nostradamus », en tête des éditions, passant même avant la Préface à César, qui lui fait suite, Chavigny évoque d’une part les « 12 centuries de prédictions comprises briefvement par quatrains » - et de l’autre des « présages en prose faits depuis l’an 1550 jusques à 67 », pas de trace des présages en vers, issus des almanachs, même si ceux-ci sont commentés dans le corps de l’ouvrage, même si l’on trouve plus haut le quatrain de l’an 1555. En fait, ce « Brief Discours » ne correspond pas tout à fait avec ce qui lui fait suite, le Janus Gallicus étant un recueil de pièces et non un ensemble d’un seul tenant et Chavigny en étant plus l’éditeur – le « collector »- au sens anglais du terme, que l’auteur.

Un Chavigny qui se présente devant la postérité comme le fidèle tenant de l’héritage de Michel Nostradamus, à l’instar d’un Benoist Rigaud mais qui en fait avait été aussi celui qui avait « lancé » les almanachs du sieur de Compère – on y retrouve ses initiales J. A. Ch. B. En réalité, ces gardiens du nostradamisme originel furent aussi les artisans du néonostradamisme dans lequel ils puisèrent sans vergogne pour forger-dans tous les sens du terme, la statue imposante et mythique du prophète Nostradamus

Mais revenons au cas de la Préface à César car le fait même de produire un texte adressé par Nostradamus à son fils pourrait être une invention du dit César, remaniant un texte qui ne faisait que mentionner son nom, sans autre forme de procés. Il aura bien fallu le consentement de César pour qu’un tel texte censé avoir été dédié au jeune César en 1555, introduise un ensemble de quatrains dont son père n’était nullement l’auteur. D’ailleurs, aurait-on même connu le dit texte sans que César n’en fît état ? Il n’était pas du tout évident qu’un tel texte figurât ainsi, sous la Ligue, dès lors que l’on exclut qu’il soit paru en 1555 en tête des Centuries prophétiques.

Selon nous, César aurait pu faire circuler le texte en question – sous la formule restituée par le libraire Antoine Besson, à la fin du XVIIe siècle- avant même que celui-ci soit placé en tête des centuries ligueuses et il est même probable qu’il ait fait composer les Prophéties de Couillard (1556) afin de démontrer leur appartenance aux années 1550. On sait que cette « préface », sous sa forme centurique, sera par la suite amplifiée, incluant notamment des extraits du Compendium de Savonarole. Il n’est d’ailleurs pas impossible que la dite Préface ait d’abord servi d’introduction aux almanachs de César de Nostredame.(sur la production de César,  cf RCN, pp. 152 et seq). Quant à l’idée même d’une telle épitre, on peut penser qu’elle ait été inspirée par une épitre de Trithème à l’empereur (César) Maximilien, César de Nostredame jouant sur son propre prénom impérial.

Nous reprendrons ici brièvement le dossier « César de Nostredame » tel qu’il était présenté en 1999 dans notre thèse d’Etat Le texte prophétique en France, formation et fortune. Nous avions alors relevé un commentaire de César sur le quatrain I, 35. (cf. notre thèse, pp. 505-506 et. 1104)

En 1602, César, dans l’Entrée de la Reine en sa ville de Salon (Aix ; Jean Tholosan) (cf. RCN, p. 152 qui ne signale pas ce passage), décrivait déjà les décorations que la ville a placées en l’honneur de Catherine de Médicis « Au côté gauche le quatrain qui se trouve aux centuries de feu mon Père, desquelles Monsieur de Brémond, sieur de Pennefort, Conseiller, semble estre le vray genie & l’interprète fatal «. Il s’agit du quatrain V, 39. (cf. notre thèse, p. 1122). On note qu’ainsi César accorde sa caution aux éditions centuriques ou en tout cas à la partie comportant le dit quatrain. Il évoque un personnage auquel il accorde un certain mérite et dont les nostradamologues ne disent mot.

En 1616, parut son Histoire et Chronique de Provence (Lyon, chez S. Rigaud, de la famille de Benoist Rigaud), César fournit (p. 782) les réflexions suivantes  sur 1559 à propos de la mort d’Henri II :

« Infortuné coup de lance qu’un certain personnage, excellent sembloit avoir montré du doigt à l’un de ses quatrains prophétiques quelques ans auparavant ». César ne mentionne pas explicitement ici son père et d’ailleurs cela peut fort bien désigner les almanachs. Dans le Recueil de Présages Prosaïques, on trouve pour l’an 1559 (cf Chevignard, Présages, pp. 132 et seq et 329) la mention marginale «  Mort du Roy Henry II » et le quatrain de février comporte : » Grain corrompu ». Or, selon César, le grain désigne (grain d’orge) Gabriel d’Orges Montgommery qui blessa mortellement le roi en tournoi. Mais, pour l’an 1555, César avait signalé (p. 776), dans son Histoire, que son père lui avait dédié « au bers » (au berceau) ses centuries « le rendant immortel » et déclare avoir suivi ses « traces », outre que les dites Centuries valurent à son père, aussitôt parues, d’être invité à la Cour. On dirait que César évite d’associer le nom de son père aux quatrains des almanachs et ce sont donc les « Centuries » qui auront fait, à l’entendre, la réputation de Nostradamus, de son vivant, et non les « présages ». Il reste que le choix de 1555 pour dater les premières éditions des Centuries est directement lié à l’épitre à César.

1 Voir Corpus Nostradamus, site cura.free.fr

2 Même perplexité face à la présentation de M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, Baden Baden, p.78, notice 141.

3 Reproduites dans nos Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat 2002 et dans Présages de Nostradamus de Bernard Chevignard, Seuil, 1999

4
 

5 Cgf une précédente étude nostradamiennne (2009) consacrées aux « deux épitres du mois d’aoust 1558. »

6 Nous avons publié une partie du présent travail dans ce même cadre de la RFHL, fin 2011

7 Cf R. Benazra, RCN, Paris, 1990,p. 156 et seq

8 In « Les Centuries et l’Angleterre. La questioin des sources » (étude 143), site ramkat.free.fr

9
 

Sur la date de la première impression des Centuries VIII-X (« second volet « )

A l’occasion de la parution de Nostradamus et l’éclat des empires, de Patrice Guinard

10 J. Britnell et Derek Stubbs, « The Mirabilis Liber. Its compilation and influence. » Journal of the Warburg and Courtauld Institutes 1986, Vol 49

11 Cf Le tetxe prophétique en France. Ed du Septentrion

12 Cf notre fin 2011 dans la Revue française d’Histoire du Livre.

Dans les langues sémitiques, la marque du genre s’impose également dans le pronom personnel singulier et la forme verbale correspondante, ce qui est un rappel constant du genre, bien moins accentué en français qui ne marque pas l’adjectif par une suffixation forte de type « o/a » comme dans les autres langues latines mais de façon bien plus subtile qui échappe au premier abord, ce qui explique que l’anglais ayant pris modèle sur le français ne distingue pas entre l’adjectif au masculin ou au féminin. Idem pour les marqueurs de nombre (cf nos Etudes linguistiques)

Cf CORPUS NOSTRADAMUS 112 -- par Patrice Guinard

Le monde s'approche de bouleversements majeurs (2065/2066) suivis d'une anaragonique révolution (2242/2243)

Cf notre étude "Histoire des Religions et Phases astronomiques". (http://cura.free.fr/quinq/05halbr.html ),

Information que nous devons à Fabien Raimbault, libraire (officieux) de la Cité Universitaire Internationale, ce qui nous a été confirmé largement par la suite

Notre première formation a concerné le droit constitutionnel tant à Paris qu’à Jérusalem (1965-1969)

On y trouve parmi les officiers le père d’une astrologue 

Pour l’anedote ; notre nom comporte les mêmes deux premières et les mêmes deux dernières lettres que celui d’Haussmann.

Michel Serres, Eclaircissements. Entretiens avec Bruno Lqtour, Paris, Flammariion, 1994, pp 156 et seq.

André Thibaut dir Gallicisme et théorie de l’emprunt linguistique. L’Harmattan 2009

Alain Diedossier à paraître fin 2011 dans la Revue française d’Histoire du Livre.

13 Correspondance transmise entre Patrice Guinard et Gérard Morisse, fin août 2011

 

 

 

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Updated Tuesday, 07 April 2015

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