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Researches 31-40
 
31 - Le double sens du mot centurie dans les éditions parisiennes de la Ligue
 
32 - Une édition fâcheusement négligée : Cahors 1590
 
33 - Nouvelles réflexions sur les méthodes de fabrication de faux centuriques antidatés
 
34 - Réflexions méthodologiques autour du corpus nostradamique.
 
35 - Antoine Crespin, le poulain nostradamique du camp d’Henri de Navarre.
 
36 - Avatars des mentions de dates, de nombres de centuries et de quatrains au titre des éditions.
 
37 - Nostradamus : le cas Fontbrune révisité
 
38 - La fortune du quatrain du couronnement, d'Henri IV à Henri V
 
39 La question des épîtres centuriques revisitée
 
40 - L’enseignement des Grandes et Merveilleuses Prédictions (1588-1590)
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 

 

 

Researches 31-40

 

31 - Le double sens du mot centurie dans les éditions parisiennes de la Ligue

Dans les éditions parisiennes de la Ligue, la centurie VII ne comporte que (cf. Benazra, RCN, pp. 118 et seq), des quatrains des almanachs. Comme le note R. Benazra :

« Prophéties de M. Nostradamus adioustées nouvellement. Centurie septiesme.(…) Dans cette Centurie , on a inséré 12 quatrains qui n’’en ont jamais fait partie. ». Sauf en ce qui concerne le premier, ajoute-t-il, ce « sont ceux qui devaient être publiés comme présages pour l’almanach pour 1561. ».

Pourquoi avoir classés ces quatrains d’almanach sous le titre de « centurie »  et pourquoi cette « centurie » ne comporte que 12 quatrains, ce qui correspond au nombre de quatrains figurant dans chaque almanach (certains almanachs ayant droit à un quatrain supplémentaire pour l’année) ?

Selon nous, deux acceptions du mot « centurie » s’entrechoquent ici. Il semble bien que les quatrains des almanachs de Nostradamus aient été réédités sous la forme de « dix centuries » (cf. la Bibliothèque de Du Verdier, 1584) et que les éditeurs des éditions parisiennes des « Prophéties » en aient repris la série pour l’année 1561 (année qui par ailleurs figure au titre)/

On a longtemps cru que la mention des centuries dans la dit Bibliothèque témoignait de l’existence dès cette époque des « Centuries » au sens qui sera en vigueur à partir de la fin du XVIe siècle. Mais, selon nous, la référence ne visait que les quatrains des almanachs qui furent la première étape d’un revival nostradamique. Et d’ailleurs, si une telle parution des quatrains des almanachs n’avait pas eu lieu, on se demande comment les éditeurs parisiens des années 1588-1589 auraient pu les reproduire.

En fait, selon nous, la première acception, dans le contexte nostradamique, du mot « centurie » s’appliquait aux « présages », nom sous lequel seront par la suite désignés les quatrains des almanachs, lesquels présages continueront figurer au xVIIe siècle, dans les éditions troyennes notamment.

Cela n’aurait été que dans un second temps, que l’on aurait fait paraitre sous le même terme de « centurie » de tout autres quatrains, en remplacement des premiers et en nombre bien plus considérable prenant cette fois le terme centurie comme désignant cent quatrains.

Et encore, faut-il préciser, qu’il s’agissait au départ d’une série de 349 quatrains pas encore classés en centuries (cf. l’édition Rouen du Petit Val, 1588, non pas en son titre mais en son contenu, tel que décrit par D. Ruzo dans son Testament de Nostradamus (1982)/

L’idée de présenter les dits quatrains d’un nouveau genre regroupés en centuries fit son chemin. Mais encore faut-il préciser que la quatrième « centurie » ne comprenait que 49 quatrains, ce qui montre bien que le terme centurie ne désignait pas nécessairement une série de 100 quatrains. La pseudo édition Macé Bonhomme, quant à elle, se termine par une quatrième centurie à 53 quatrains. Idem pour la pseudo édition Antoine du Rosne 1557, avec une centurie VII à 40 quatrains (exemplaire Budapest) et à 42 quatrains (exemplaire Utrecht).

En conclusion, nous dirons que les éditions parisiennes constituent un chainon manquant entre les deux acceptions des centuries dans la mesure où le mot « centurie » désigne tantôt une série de nouveaux quatrains, tantôt une série de « présages ». Par la suite, le lien entre centuries et « présages » d’almanachs ne sera plus attesté. Mais les éditions du XVIIe siècle (Troyes, Du Ruau etc ) ne renonceront pas à indiquer en annexe de la centurie VII, les quatrains de l’almanach pour 1561. Finalement, ces quatrains d’almanachs seront désignés sous le nom de « Présage » tandis que le mot « centurie » cessera de leur être associé : « Présages tirez de ceux faits par M. Nostradamus es années mil cinq cens cinquante cinq & suyvantes », avec une présentation année par année.

Ce mélange entre deux catégories de « centuries » sera particulière mt manifeste dans le Janus Gallicus (1594, dix ans après la Bibliothèque de Du Verdier) qui entremêle les quatrains des deux types de « centuries ».

Nous dirons donc que les quatrains des centuries (au sens des contrefaçons de 1555, 1557 et 1568) se seront substitués aux quatrains des centuries, au sens de séries de quatrains des almanachs. D’ailleurs, autant les quatrains des almanachs constituent-ils un ensemble cohérent, articulé sur l’ordre 12 mois de l’année, autant les quatrains des « prophéties » n’ont aucune assise astronomique d’ensemble et l’exégèse nostradamique ne s’y est pas trompée qui ne respecte aucun agencement quant à l’ordre des dits quatrains prophétiques.

On ne dispose pas de cette édition Benoist Rigaud des « Centuries » de présages mais le manuscrit du Recueil de Présages Prosaïques est bel et bien conservé (Lyon La Part Dieu) et a été en partie édité par B. Chevignard (Présages de Nostradamus, Seuil, 1999). Une parution, par les soins de Chavigny, semble avoir été programmée pour 1589. C’est à partir d’un tel manuscrit que le recueil de centuries, tel que signalé par Du Verdier, dont nous traitons ici a pu être réalisé, ce qui constituerait une sorte de diptyque : présages en vers, présages en prose. Mais si le volume de présages-quatrains occupe une certaine place, au vrai assez modeste, dans les éditions des Prophéties,(Janus Gallicus, éditions troyennes Du Ruau, mais pas chez Chevillot) celui des présages en prose est surtout important dans les Pléiades du dit Chavigny, qui commencèrent à paraitre, au début du XVIIe siècle, à partir de 1603 (cf RCN, p. 154)

32 Une édition fâcheusement négligée : Cahors 1590

Si l’on a pu déplorer de ne pas disposer de l’édition Rouen du Petit Val 1588, il est d’autant plus étonnant de devoir noter qu’une édition qui est devenue très accessible n’a pas été exploitée comme elle aurait du l’être.

En effet, une des éditions les moins bien connues et les plus imparfaitement décrites, à ce jour, est probablement celle parue à Cahors, chez Jaques Rousseau. Benazra n’indique même pas le nombre de quatrains de la VIIe centurie. (cf RCN, pp. 126 et seq) ce qui permet de douter sérieusement qu’il l’ait eu entre les mains. Il n’en précise pas moins qu’elle ‘reproduit les éditions de Benoit Rigaud » du fait qu’elle est la première en date – du moins dans les années 1580- à comporter deux volets. En fait Benazra ne fait, tout comme Chomarat, que de reprendre ce qu’en dit Ruzo.(cf Chomarat, Bibliographie Nostradamus, p. 81). Qu’en est-il vraiment ? Il se trouve que nous avons obtenu de la Société des Lettres de Rodez la photocopie d’extraits des deux volets et notamment des épitres. Mais Mario Gregorio reproduit l’intégralité de l’ouvrage sur son site propheties.it, à partir d’un exemplaire suédois. ( Kungliga biblioteket KBKATALOG1955SPI (078766).

Nous sommes en fait en presence de l’édition la plus ancienne qui ait été conservée, si l’on met à part l’épitre très bréve reprise par Antoine Besson, dans les années 1590 et qui selon nous aura été considérablement augmentée. Selon nous, ce sont les pseudo éditions Rigaud 1568 qui sont dérivées de celle de Cahors et nullement l’inverse, même si nous avons par ailleurs des doutes sur la date de parution du second volet qui nous intéressera au premier chef.

Plusieurs arguments seront évoqués et nous nous intéresserons particulièrement aux données chiffrées ou datées qui attirent d’ailleurs l’attention plus aisément.

Il en est ainsi tout particulièrement d’un passage fort connu relatif à l’année 1606. Dans toutes les éditions disponibles, le texte est celui-ci :

« espérant de laisser par escrit les ans, villes, citez , regions où la plupart adviendra, mesmes de l’année 1585 & de l’année 1606 accomençant depuis le temps present, qui est le 14. de Mars 1557 ». Notons la présence du point après le chiffre, qui fait passer du cardinal à l’ordinal : il faut lire le quatorziéme de Mars. On aura l’occasion d’y revenir.

La version Cahors 1590 diffère :

. »mesmes de l’année 1585.1606 (sic) commençant depuis le quatorziesme de Mars 1557 ».

Nous sommes en présence d’une interpolation, avec l’addition de 1606 après 1585, qui évoluera vers la forme moins maladroite « mesmes de l’année 1585 & de l’année 1606 », ce qui laisse entendre que l’Epitre était d’abord orientée vers 1585, ce qui nous place au début de la Ligue. Mais encore faut-il rappeler que cette Epitre ne figure pas en tête du premier volet des Centuries mais bien du second, sur lequel on dispose de bien moins d’informations avant précisément 1590. Les deux volets ont d’abord connu des destinées paralléles avant de se retrouver au milieu des années 1590 rassemblées et rédirigées vers une nouvelle échéance, celle de 1606. Croire que cette année 1606 était déjà en ligne de mire en 1568 serait déjà beaucoup demander. En 1590, l’an 1585 étant déjà passé, cela fait sensiblement plus sens, même si nous pensons qu’un tel diptyque n’a pu exister avant 1594.

La disposition des quatrains est en tout état de cause totalement différente dans les deux volets : dans le premier, les quatrains sont numérotés en chiffres romains et dans le second en chiffres dits arabes. Dans le premier cas, le numéro des quatrains est situé au dessus de chaque quatrain, dans le second, le numéro des quatrains est situé au niveau du premier verset du quatrain. Les quatrains du premier volet Cahors sont en police droite et ceux du second volet Cahors en italique. Précisions aussitôt que dans les éditions Rigaud, le second volet est aligné sur le premier, ce qui fait que les volets n’offrent aucune différence, ce qui correspond à nouveau à une volonté d’harmonisation et de dissimulation des différences initiales.

La présentation des pages de titre est identique dans notre édition Cahors et dans les multiples éditions Benoist Rigaud 1568, en revanche, n’a pas été harmonisée et chaque volet garde sa spécificité, y compris dans les éditions Rigaud, sauf dans la partie supérieure qui est identique :

Premier volet

Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Dont il y en a trois cens qui n’ont encore iamais esté imprimées. Adioustées de nouveau par ledict Autheur

On notera l’insistance à attribuer toutes les additions à Nostradamus.

Second volet

Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Centuries VIII. IX. X. Qui n’ont encores iamais esté imprimées.

On notera que l’on laisse entendre qu’elles avaient jusque là circulé en manuscrit.

Le terme « centuries » ne figure pas sur la page de titre du premier volet et les nombres indiquées au premier volet concernent les Prophéties. Autrement dit, le mode de calcul diffère d’un volet à l’autre. D’un côté, on nous parle de 300 prophéties et de l’autre, ce qui revient au même, de trois centuries.

On notera également que la présentation Rigaud de la Préface à César obéit strictement aux mêmes codes de mise en page que pour Cahors 1590. En revanche, l’épître à Henri II Rigaud 1568 comporte une présentation fort différente à savoir qu’on n’y marque aucune différence entre le texte français et les passages en latin, à la différence de Cahors 1590 et du dit premier volet Rigaud.

Tant dans Cahors que dans Rigaud, la centurie VI ne comporte pas le quatrains 100 et l’on y trouve, comme dans Utrecht 1557, un avertissement latin intitulé « Cantio » (au lieu de Cautio)

Passons à présent à d’autres observations qui viennent confirmer que l’édition de Cahors est moins corrompue que ne le sont les éditions Rigaud, ce qui est un critère généralement admis sauf si, hâtons-nous de le préciser, il s’est agi d’une volonté d’harmonisation. Mais ces deux procédés cohabitent.

Une des bévues les plus flagrantes se,situe dans la liste des latitudes telles que celles-ci figurent au sein de l’Epître centurique à Henri II.

Pseudo Editions 1568

« Seront diverses sectes par main militaire, délaissant le 50. & 52. degrez de hauteur & feront tous hommaige des religions (sic) loingtaines aux regions de l’Europe de Septentrion de (sic) 48. degrez d’hauteur

Editions Cahors 1590

«délaissant le 50. & 52. degrez de hauteur & feront tous hommage de régions loingtaines  au regions de l’Europe de Septentrion du 48. degrez de hauteur »

On trouve « religions’ au lieu de « régions » dans les pseudo-éditiins Rigaud et « de 48. degrez «  au lieu de «  du 48. degrez », le maintien du point rendant l’expression tout à fait incongrue. Il suffit d’aileurs d’examiner la phrase précédenete pour comprendre que c’est une numérotation ordinale. : cinquantiéme et cinquante-deuxiéme degrés…. Quarante-huitiéme degrez de hauteur ».

D’ailleurs, la forme quarante huitiéme degré figure quelques lignes plus bas : « tellement que la venue du Sainct Esprit procédant du quarante huitiéme degrez » (Cahors) , « du 48. degrez » (Rigaud)

Il est clair qu’une édition critique de l’épître à Henri II devra s’effectuer à partir de l’édition Cahors. Les chercheurs qui ont comparé ces éditions ont surtout, comme P. Guinard, étudié la préface à César. Pour Guinard, l’édition Cahors est à rapprocher de l’édition « X » Rigaud, selon son propre catalogage. Cela ne vaut pas, en tout cas, pour l’Epitre au Roi.

Ajoutons que cette édition Cahors comporte 42 quatrains à laVII, elle est très semblable à .Utrecht a 42 quatrains à la VII – dont la page de titre est identique avec la mention au premier volet «  Adioustées de nouveau », ce qui en fait renvoie au second volet disparu. En fait, la présence de cette mention sur la page de titre du premier volet montre que l’édition Cahors que nous connaissons était à deux volets, à l’instar de l’édition Utrecht. Mais il est probable que l’harmonisation n’ait concerné que la page de titre, tant les différences entre les deux volets Cahors sont évidentes. Cette pratique consistant à changer les pages de titre tout en conservant un contenu, au niveau de la forme et/ou du fond- à déjà été signalée notamment pour la période de la Ligue. La date de 1590 peut avoir fait sens pour le premier volet et aura été maintenue mais il faut reporter de trois, quatre ans, au moins la mise en place de cette édition à deux volets, soit à l’avénement et au sacre d’Henri IV qui changera la donne..

On notera également que Cahors 1590 ne comporte de mots en majuscules que pour le premier volet mais aucune pour le second volet à une exception près, à savoir le premier mot de la première centurie du second volet (VIII, 1) : PAU, Nay, Loron . En revanche, Rigaud 1568 met ces trois noms en capitales. On peut le vérifier sur le site propheties.it qui reproduit Cahors 1590 en fac simile. Cette pratique des majuscules n’est aucunement attestée sous la Ligue (Paris, Rouen, Anvers) . Elle semble n’avoir été instaurée que dans le cours des années 1590. Elle est attestée dans Macé Bonhomme 1555, Antoine du Rosne 1557 (Budapest-Utrecht) et dans toutes les éditions Rigaud 1568. La pratique des capitales est en tout cas largement attestée dans le Janus Gallicus de 1594. On ne trouve pas cependant en 1672 ce procédé des mots en capitales dans la traduction anglaise de Théophile de Garencières. Est-ce Chavigny qui aura lancé cette mode ou bien dépend-il d’éditions l’ayant déjà adopté partiellement comme Cahors 1590, au premier volet ?. On retrouve cette pratique dans Utrecht 1557 alors que l’édition Rosne-Budapest 1557 ne comporte pas de capitales et correspondrait donc au modèle des Grandes et Merveilleuses Prédictions (Rouen et Anvers, cette dernière se référant à une édition 1555 et l’édition Rouen 1589 étant tronquée dans ses dernières feuilles).

On nous objectera que Cahors 1590 comporte 42 quatrains à la centurie VII alors que Rigaud 1568 n’en a que 40. N’est-ce pas le signe que l’une serait postérieure à l’autre du fait qu’elle comporte une telle addition ? On retrouve cette question (cf supra) avec les deux éditions Du Rosne 1557. Il est probable que sous la forme d’un seul volet, les éditions n’aient comporté que 40 quatrains à la VIIe centurie. Mais sous la forme de deux volets, la norme nous semble avoir été 42 quatrains à la VII et nous incluons dans cette catégorie l’édition Utrecht du fait qu’elle comporte en son titre référence au second volet, que celui-ci ait été ou non conservé. Dès lors, nous pensons que la formule « Rigaud’ est une cote mal taillée, c'est-à-dire que pour quelque raison, on aura pris une édition à un seul volet et donc à 40 quatrains à la VII (genre Rosne 1557 Budapest) puis qu’on y aura ajouté le second volet (genre Utrecht 1557) sans se rendre compte que les éditions à 2 volets comportaient 42 quatrains au premier volet. En cela, on ne peut dire que Rigaud 1568 à 2 volets est calqué sur Cahors 1590 à 2 volets. Rigaud 1568 est donc atypique comparé à Pierre Chevillot (Troyes, XVIIe siècle) comportant 42 quatrains à la VII qui nous semble être la forme aboutie que n’a pu atteindre Rigaud 1568 mais elle correspond très probablement à Rosne 1557 à 42 quatrains à la VII, dont le second volet ne nous est pas parvenu. La perte de ce volet aura eu des conséquences importantes sur la représentation de la chronologie des éditions centuriques à commencer par le fait qu’elle devait comporter l’épitre à Henri II sous une forme qui pourrait être plus proche de Cahors 1590 que de Rigaud 1568, c'est-à-dire sans les défauts de cette dernière, signalés plus haut.(notamment religions à la place de régions). On aurait aimé étudier dans ce volet perdu le doublet 1585/1606. D’aucuns pensent qu’il n’a pu exister une édition de l’Epître à Henri II datée d’avant 1568. Mais rappelons que pour nous, toutes ces éditions 1555-1557-1568 sont antidatées et que nous sommes face à une chronologie fictive qui n’en est pas moins à restituer/reconstituer. Mais cela implique que le second volet n’ait pas été daté de 1557 mais de 1558 date de l’épitre au roi. Il n’y aurait rien d’illogique, bien au contraire, à ce que les deux volets ne portent pas la même année, puisqu’il est question d’additions. Seules des rééditions sont conduites à conférer une même année à deux volets successifs. Dans le cas Rigaud, on notera que le second volet n’est pas daté, ce qui n’est pas une solution du moins si l’on devait considérer Rigaud 1568 comme la première édition du second volet car la dite première édition aurait du porter une date qui lui soit propre. L’absence d’une telle date sur la page de titre du volet additionnel trahit le caractère tardif du diptyque Rigaud...

 

33 Nouvelles réflexions sur les méthodes de fabrication de faux centuriques antidatés

Nous voudrions insister sur deux points : d’une part, l’utilisation de documents d’époque permettant de conférer au faux un cachet ancien, une patine et d’autre part, le principe d’une sorte de « double comptabilité », à savoir que les contrefaçons sont doublement datées et que l’on modifie seulement les pages de titre pour disposer à la fois d’une date présente –ou d’une absence de date – et d’une date ancienne. Certains ont contesté ce second point en soulignant que les éditions antidatées (1555-1568) n’ont pas leur pendant exact à la fin du XVIe ou au début du XVIIe siècles.

I La préparation des fausses éditions antidatées.

Certains nostradamologues ont montré à quel point certaines éditions datées du vivant de Nostradamus et censées avoir été publiées chez tel ou tel libraire/éditeur sont, au niveau de leur présentation respectent un certain nombre de traits caractéristiques des libraires concernés (bandeaux, lettrine etc.). Patrice Guinard a dévolu beaucoup de temps à mettre ce point en évidence en faisant appel évidemment à d’autres documents que les documents centuriques, à des fins de comparaison. Mais en même temps, ce faisant, il est à craindre qu’il ne nous montre surtout comment les faussaires eux-mêmes auront procédés, en se servant des mêmes données qu’il aura mises en évidence. Dans notre travail consacré à la prophétie de Saint Malachie (Papes et prophéties, Ed. Axiome, 2005), nous avons montré que ce sont les mêmes documents qui servent à valider le texte et qui servent à la constituer, à savoir des Histoires de la Papauté.

Prenons le cas du privilège figurant en tête des éditions Macé Bonhomme 1555. C’est probablement un cas unique de privilège figurant au sein d’une édition centuriques des XVIe ou XVIIe siècle alors même que les almanachs et pronostications sont très fréquemment accompagnés de privilèges de tous ordres.1 . Au verso de la page de titre comportant « La permission est insérée à la page suivante. AVEC PRIVILEGE » on trouve un Extraict des registres de la Sénéchaussée de Lyon ». Or, il faut savoir que ce type de document est attesté au sein de pronostications. On a le cas de l’édition de la Pronostication nouvelle pour 1558, Lyon, Jean Brotot et Antoine Volant.(cf Catalogue Scheler, op. cit. p 24) qui diffère d’ailleurs de l’édition (que nous avions retrouvée à la Bibl. de La Haye), reprise par B. Chevignard (in Présages de Nostradamus, op. cit.,p. 442) parue, quant à elle, à Paris, chez Guillaume Le Noir. Il n’était pas bien difficile de recycler un tel Extraict et de le retoucher pour le placer en tête de l’édition Macé Bonhomme 1555 si ce n’est que les privilèges accordés aux libraires éditant Nostradamus ne visaient jamais, à notre connaissance, un ouvrage particulier mais plusieurs catégories, au nombre de trois : Almanachs, pronostications, présages. (cf. nos Documents, p. 201).

Cela dit, quand on examine le privilège concernant les Prophéties datées de l’an 1569 dédiées à la puissance divine & la Nation Française de « M. Anthoine Crespin Nostradamus », il vise cet unique ouvrage (cf. Documents, p. 206) comme pour Macé Bonhomme 1555  où sont uniquement visées « Les Prophéties de Michel Nostradamus ». Le parallèle est d’ailleurs intéressant entre ces deux « Prophéties », vu que, selon nous, Crespin représentait le camp protestant et Michel Nostradamus, par delà la mort, le camp ligueur jusqu’à ce que toutes ces pièces antidatées, les unes comme les autres, soient fondues en un seul volume, néanmoins divisé en deux volets distincts, le second n’étant d’ailleurs, en règle générale, pas daté. On ne doit pas sous estimer la surenchère entre les deux camps quant à la production de documents de plus en plus anciens ou de plus en plus en expansion quantitative, faisant dire et prédire à Nostradamus ou à Crespin Nostradamus ce qui convenait au camp concerné.

II La double « comptabilité » des éditions centuriques

Nous commencerons par l’étude des éditions Benoist Rigaud. Le catalogue Scheler comporte (pp. 56 et 58) un exemplaire que nous avons pu examiner et qui d’ailleurs détermine les limites chronologiques du titre du dit catalogue, dressé par Michel Scognamillo : « 1555-1591 ». Cette date de 1591 ne correspond à aucune date présente sur l’édition non datée Benoist Rigaud dont il s’agit. Il s’agit d’une estimation proposée par certains bibliographes. Date éminemment improbable car venant trop tôt pour rendre compte de l’existence du quatrain IX, 86, au second volet, relatif, selon nous, au couronnement de Chartres qui ne fut pas planifié avant la fin de 1593.. Et plus généralement, nous dirons que les éditions à deux volets ne parurent pas avant la fin du XVIe siècle, probablement lors de la constitution de ce que l’on pourrait appeler le « canon troyen », visant à rassembler tout ce qui a à voir, par delà les sensibilités politiques, avec le prophétisme nostradamiens (quatrains et épitres), dans la suite de l’entreprise également globale du Janus Gallicus, s’ouvrant aux dix centuries mais aussi aux quatrains des almanachs de Nostradamus (cf. le Recueil des Présages Prosaïques édité par le même personnage, Jean Aimé de Chavigny).

Si l’on examine cette édition, en la comparant à une édition datée de 1568, sous la houlette du même libraire (cf. page de titre des deux volets, catalogue Thomas Scheler, pp.41 et 44) les similitudes sont frappantes : mêmes vignettes spécifiques à chaque volet, même mise en page, même vignette centrale, reprise selon nous des pages de titre des almanachs de Barbe Regnault. Bien plus, les seconds volets sont strictement identiques puisqu’ils ne comportent de date, ni l’un ni l’autre. On comprend mieux d’ailleurs l’absence de date : soit on ne mettait pas de date, soit l’on plaçait la date dans un espace vide. Il n’était donc pas nécessaire de changer la date et de toute façon, cela n’affectait que le premier volet, qui correspond en fait à la page de titre de tout l’ensemble, le second volet n’ayant d’autonomie. Malheureusement, l’on n’a pas conservé le second volet de l’édition Antoine du Rosne Bibl. Utrecht. Il était probablement daté du fait qu’il comportait l’Epitre à Henri II de juin 1558. Mais par la suite, pour les éditions postérieures, cela ne s’avéra plus utile.

Il suffisait donc de glisser 1568 dans certaines pages de titre ou de laisser en blanc :

A LYON

PAR BENOIST RIGAUD

[1568] optionnel

Avec permission

Cette dernière formule ne correspondant en fait à aucun document, dans le corps du texte, tant pour les éditions 1568 que les éditions sans date. C’était d’ailleurs préférable car il aurait fallu deux « permissions » différentes selon que l’on se situait en 1568 ou à la fin du siècle.

Dans les autres cas, l’analyse est sensiblement plus complexe et un tel parallèle au titre est rare. Un des parallèles les plus simples est celui de l’édition parisienne Veuve N. Buffet (également au Catalogue Thomas Scheler p. 49) datée de 1561 mais quasiment superposable sur les éditions parisiennes datées de1588- 1589, (Veuve Nicolas Roffet, Pierre Ménier, Charles Roger) tant au titre qu’au contenu. Quelques différences cependant assez mineures, il nous semble : 38 articles « additionnés », dans l’édition 1561 au lieu de 39 au titre des éditions ligueuses, une centurie VIII de 6 quatrains sous la Ligue, inexistante dans l’édition 1561. En revanche, le même étrange décalage entre titre et contenu est observable.

Prenons d’autres exemples concernant les éditions Antoine du Rosne 1557. A peu de choses près, l’exemplaire de la Bibl. de Budapest correspond à l’édition d’Anvers 1590, si ce n’est la présence de 5 quatrains supplémentaires à la VIIIe centurie. Même absence d’avertissement latin et de quatrain 100 de la centurie VI, outre le fait que ces éditions sont à un seul volet. En revanche, les pages de titre différent du fait que l’édition d’Anvers ne comporte pas en son titre de vignette nostradamique mais la marque du libraire. Le texte est proche à part le fait que dans un cas l’on a Les grandes et merveilleuses prédictions et dans l’autre Prophéties mais à la dernière page, il est renvoyé à une édition des « Professies » (sic), Avignon 1555. La même erreur grammaticale est en outre observable au titre « dont il en y a trois cens » au lieu de ‘dont il y en a », comme dans les éditions Benoist Rigaud. Et bien entendu, le libraire n’est pas le même alors qu’avec Benoist Rigaud, l’on disposait d’un libraire dont la carrière s’étendait sur une trentaine d’années mais selon nous les éditions Rigaud sont toutes postérieures à la mort du dit Rigaud en 1597.

En ce qui concerne Antoine du Rosne, 1557 Utrecht, on a affaire à deux volets calqués sur les éditions Benoist Rigaud, passées par le moule troyen : on y rétablit l’avertissement latin et on ajoute 2 quatrains à la VIIe centurie. Les éditions Rigaud ne sont en fait, dans ce système, que la réédition d’Antoine du Rosne Utrecht, ce qui explique qu’elles ne comportent aucun trait posthume par rapport à la récente mort de Nostradamus. Mais c’est finalement l’option 1568 qui aura prévalu sur l’option 1557, d’où la multiplicité des éditions Benoist Rigaud, recensée et classée par Patrice Guinard, lequel s’en tient à la thèse d’une véritable parution en 1568, donc avant tout le processus enclenché sous la Ligue, dont selon nous les dites éditions Rigaud sont l’aboutissement, la thèse inverse voulant que le processus ligueur aurait été une dégradation des éditions Rigaud à deux volets. Un scénario bien différents et impliquant non plus une dynamique constructive mais une dynamique destructive.

Terminons avec le cas de Macé Bonhomme 1555. De quelle édition est-issue une telle édition ? On dispose certes d’une édition 1588 Rouen Raphaël du Petit Val « divisée en 4 centuries », du moins est-ce qui est indiqué au titre, son ancien possesseur Daniel Ruzo assurant – (Testament de Nostradamus, op. cit, p. 282) qu’il n’y a pas trace de division en centuries à l’intérieur. En cela, le contenu se distingue de la présentation Macé Bonhomme en 4 centuries, laquelle correspond en revanche au titre de 1588. Inversement, le titre Macé Bonhomme, lui n’indique pas de centuries, en son titre et correspond dès lors au contenu de l’édition Rouen 1588. Tout se passe comme si l’on avait interverti les titres. Mais cette fois, le titre correspond à une antidatation et non pas à une postdatation. On en arrive à supposer que ces décalages entre titre et contenu ne relèvent pas nécessairement d’une quelconque stratégie mais bien d’un manque de maîtrise du domaine, de confusions et d’interversions de toutes sortes commises par les faussaires et leurs éventuels assistants, noyés dans la masse de la documentation comme le sont d’ailleurs de nos jours ceux qui abordent la délicate et fort intriquée et embrouillée question de l’histoire des éditions centuriques..

On ne connait pas, en définitive, d’édition des années 1588 qui corresponde à la division en 4 centuries, avec 53 quatrains à la IV mais les éditions ligueuses- y compris l’édition Veuve Buffet, 1561 qui fait absolument partie de cet ensemble- ont gardé la trace d’une telle édition puisqu’elle signale une addition à la IV, commençant au 54e quatrain. Chez la veuve Buffet, l’addition commence une page nouvelle alors que pour les trois autres éditions parisiennes, dont celle-ci dérive, l’addition s’effectue sur la même page que la partie d’origine. Mais l’édition Macé Bonhomme à 4 centuries n’en reste pas moins plus tardive, par son contenu, que l’édition De Rouen 1588 qui n’a que 49 quatrains à la IV. Ce qui nous amène à la réflexion suivante : les éditions antidatées ne représentent qu’une petite part de toutes les éditions produites à partir des années 1580.En aucune façon, il ne faudrait croire qu’à chaque édition de cette période (1580-1600) correspond nécessairement une édition antidatée des années 1550-1560. En revanche, à chaque édition antidatée correspond ou devrait correspondre, une édition plus tardive dont elle est issue car il ne ferait pas sens qu’une progression de contenu ne se produise qu’au niveau des éditions antidatées, cela déséquilibrerait le processus global de formation.

Pour conclure, nous donnerons ci-dessous la chronologie des titres des éditions centuriques, pour le premier volet, sans fournir de dates mais en citant les éditions attestant des dits titres. Il n’est pas ici question du contenu des éditions de référence mais uniquement du titre.

1 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. (-cf. Macé Bonhomme 1555 et permission)

Note : on n’est pas encore dans un découpage centurique d’où cette centurie IV qui tient au fait de ce non découpage.

2 Les Grandes et Merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus, divisées en 4 centuries (Rouen Raphael du Petit Val, 1588)

Note : on entame une Ive Centurie à 49/53 quatrains.

3 Les Centuries et merveilleuses prédictions contenant six centuries

Note ; sur le modèle Pierre Valentin 16112 indiquant au titre sept et non six centuries) et qui n’implique pas encore 600 quatrains. Il s’agit ici du contenu des éditions ligueuses à mi-chemin entre quatre centuries et six centuries pleines, la VIe centurie s’arrêtant à 71 quatrains.(‘cf. Benazra, RCN, p. 121 qui envisage une édition s’arrêtant à ce stade, sans le supplément de quatrains, présenté sous le terme « septiesme centurie » et qui ne parvient pas à compléter la Vie centurie.

4 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées (page de titre édition Antoine du Rosne Budapest 1557 ; Rouen 1589, Anvers, 1590 avec le titre Grandes et merveilleuses prédictions)

Note : on passe de 353 quatrains à 600 en comptant les 53 quatrains de la IV.

5 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores jamais esté imprimées (..) Revues & additionnées par l’Autheur pour l’an mil cinq cens soyxante & un de trente huit/neuf articles ( Buffet 1561, Ed ligueuses1588-1589)

Note : on ajoute une centurie VII à 35/38/39/40/42 quatrains aux 6 centuries. L’édition à 38 articles serait postérieure au contenu de l’édition Anvers 1590 à 35 quatrains à la VII.

6 Les Centuries et merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus contenant sept centuries ; dont il en y a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées (cf Ed. Valentin, Rouen 1611)

Note : titre assez bancal.

7 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées. Adioustées de nouveau par ledict Autheur (page de titre Edition Antoine du Rosne, Utrecht, 1557, Benoist Rigaud 1568) . Cette présentation annonce un second volet à la suite.

Note : ce titre du premier volet ne rend pas compte de la septième centurie comme le faisait le titre n° 4..

Pour en revenir aux Editions Benoist Rigaud dont il a été question au début de notre étude, l’’on ne peut que constater que la thèse d’une première édition à 10 centuries effectuée en 1568 ne tient pas puisqu’il est précisé « Adioustées de nouveau par ledict Autheur », ce qui implique que cela se produise de son vivant, donc au plus tard en 1566. En ce sens, le choix de l’année 1566 pour les éditions Pierre Rigaud se révélait assez judicieux – en ce qu’il laissait encore possible le fait que Nostradamus ait procédé à une ultime addition. Il permettait aussi d’intégrer l’addition de 1560, ce qui n’était pas le cas pour Antoine du Rosne 1557 qui comportait, sans le signaler, au titre, une centurie VII. En fait, l’édition Antoine du Rosne, au regard de son contenu, devrait porter le titre 4.


 

JHB

18. 05.11

 

34 - Réflexions méthodologiques autour du corpus nostradamique.

Par Jacques Halbronn

Nous appelons « chronéme » (voir l’introduction du Texte Prophétique en France), un critère permettant de dater ou de redater un document, un événement. Signaler un chronéme, c’est contribuer à une meilleure chronologie. Mais certaines « preuves » se révèlent discutables, elles vont au-delà de ce que l’on est en mesure d’extraire raisonnablement de telle ou telle pièce 15  Cela atteint des sommets quand à partir de textes dont la datation est sujette à caution, tel biographe n’hésite pas à affirmer qu’en telle année Nostradamus a écrit ceci ou publié cela. Mais un des cas les plus remarquables est peut être celui qui consiste à affirmer que Nostradamus a lui-même rédigé des centaines de quatrains alors même que ce point fait débat. Que ces quatrains aient quelque valeur prophétique prouve-t-il qu’ils sont de cet auteur, sous prétexte que cet auteur aurait le monopole de tout ce qui est prophétique ? Il est évident que tout serait plus simple si certaines pièces ne manquaient pas, si face à un faux l’on pouvait placer l’œuvre qui est reprise. Mais de là à profiter de certaines lacunes du corpus pour valider des positions qui ne tiennent que du fait des dites lacunes…. Il est dommage que l’on dépense beaucoup d’énergie à accorder des données disparates et manifestement insuffisantes au lieu de prendre le temps de partir de ce que l’on sait pour dégager ce que l’on ne sait pas, complétant ainsi le puzzle.

Il ne faut pas trop s’étonner de voir que certains chercheurs, sur le dossier Nostradamus, puissent se laisser tenter par les mirages de l’exégèse des quatrains. En effet, dans un cas comme dans l’autre, on assiste à des rapprochements douteux.

C’est ainsi que lorsqu’il s’agit de montrer que telle œuvre de Nostradamus est bien parue en telle année, il en est qui se satisfont de bien peu. Un des cas les plus remarquables concerne les «preuves » de la parution d’une édition Macé Bonhomme, en 1515, en dehors de l’existence d’éditions portant une telle mention. Comme nous le disions plus haut, c’est la même attitude que l’on peut observer en ce qui concerne tel rapprochement entre un quatrain et un événement, un personnage auxquels il serait fait allusion.

. On sait qu’Antoine Couillard cite – une seule fois- le nom de César, au détour d’une phrase dans ses Prophéties, datées de 1556 et que par ailleurs il parle d’un Epitre « espouvantable » qu’aurait publiée Michel de Nostredame. Il n’en faut pas davantage pour que d’aucuns en concluent que nous avons là un témoignage de premier choix validant une épitre à César et dans la foulée, puisque la dite épitre ne nous est connue qu’en tant qu’introduisant les « Centuries », et puisque l’on dispose d’exemplaires datés de 1555 des « Prophéties », titre repris parodiquement par le dit Couillard, que peut-on vouloir de plus ?

Or, il ne s’agit là que d’un montage qui ne tient pas très longtemps ses promesses quand on y regarde de plus près.

Citons le passage relatif à César chez Couillard :

«Ne veux comme  Nostradamus, en son epistre espouventable taire les ans de César son fils » (fol 8 v).

Qu’est-ce à dire ? Que Nostradamus a dédié cette épitre à son jeune fils César ? Ce n’est pas ce qui est indiqué ! On ne nous dit pas que cette épitre que reprend partiellement Couillard, était dédiée à César. Que le texte en question nous soit connu par ailleurs sous la forme d’une Préface à César ne change rien à l’affaire. Ce qui ressort, c’est bien plus probablement que le texte décrit par Couillard aura été remanié par la suite pour aboutir à une Préface à César, dont le nom justement est cité, à un certain endroit et, d’une façon selon nous fortuite, à proximité immédiate du passage se référant à une « épitre épouvantable ».

Tout le début de l’Epitre aura, selon nous, été ajouté pour donner crédit à cette dédicace : « Ton tard avènement etc. » Cette fois, Nostradamus s’adresse à son fils directement. Il ne se contente pas d’évoquer sa récente naissance. Et il est peu probable que cette présentation ait existé avant les années 1580 lorsque l’on retrouvera ce texte en tête d’un certain nombre de quatrains prophétiques distincts des quatrains des almanachs.

D’ailleurs, un tel recyclage ne se fait pas sans quelque maladresse et les traces de la première mouture n’ont pas été totalement évacuées. C’est le cas, notamment, des Vaticinations Perpétuelles, formule attestée par Couillard mais qui ne correspond guère au contenu des quatrains, ne serait-ce que parce que le principe d’un tel genre est de relier les textes à des années, de façon systématique et récurrente. Ce genre se perpétuera notamment au XVIIIE siècle autour du personnage fictif de Thomas Moult, sous le titre de Prophéties Perpétuelles. En 1866, une édition parisienne regroupera sous un seul volume, les Prophéties de Nostradamus, le Recueil issu du Mirabilis Liber et les dites « Vaticinations ». A. Volguine a publié un texte associant Nostradamus et Moult. Toujours est-il que l’on n’a pas retrouvé cet ouvrage dont selon nous Couillard – et Videl après lui, en 1558, mais sans même citer le nom de César- fait le commentaire et qui se référait à l’an 3797, ce qui relève en effet d’une forme de prophétie « perpétuelle » (chiffre repris par le dit Videl). En revanche, des imitateurs et successeurs, plus ou moins attitrés, (Nostradamus le Jeune, Crespin Archidamus etc) de Nostradamus feront paraitre de telles « prophéties » étalées sur plusieurs années. Rappelons que pour l’Epitre à Henri II, nous disposons d’une première mouture placée en tête d’un tout autre texte que les « Centuries », à savoir les Présages Merveilleux pour 1557 et qu’en 1572, Crespin citait une épitre au Roi non plus datée de 1556 mais de 1558 et qui, probablement, n’était pas encore associée avec le second volet des centurie. Il est possible que cette Epitre de 1558 ait connu une certaine carrière avant d’être remaniée pour introduire des quatrains prophétiques, en profitant d’ailleurs pour cite une « préface à César ». Citons «  Dedans l’Epistre que ses (sic, pour ces, c'est-à-dire récemment) ans passez ay dédié à mon fils César Nostradamus » (Epitre à Henri II, datée de juin 1558). .. Il suffit que telle édition soit datée de la date d’une épitre pour lui conférer un cachet d’authenticité (1555, 1605 et probablement 1558, volet disparu (Bib. Utrecht)

Passons à présent au commentaire des quatrains et voyons si l’on n’assiste pas à la même démarche consistant à prendre la partie pour le tout, à extrapoler à partir d’un mot, d’un nom pour en déduire l’existence d’un ensemble sensiblement plus vaste. C’est toute la question des allusions. Le Janus Gallicus a donné, dès 1594, l’exemple de rapprochements contestables, ce qui se fait d’autant plus aisément par le biais de traductions, de français en latin ou au siècle suivant de français en anglais.

Mais ce qui nous intéresse ici se situe sur un autre plan, celui de la contrefaçon déjà à l’œuvre avec la traduction. La problématique est d’autant plus complexe, en effet, que les quatrains considérés peuvent avoir été réalisés après coup ou plutôt avoir fait l’objet d’interpolations suffisant à créditer tout un verset, voire tout un quatrain ou sixain. C’est ainsi que nous-mêmes avons signalé l’interpolation d’un verset sur Tours à IV, 46, quatrain qui ne figure pas encore dans l’édition Rouen Raphaël du Petit Val, 1588 (cf. RCN, pp.122-123) ou d’un autre sur Chartres en IX 86 (quand on compare avec la Guide des Chemins de France). Un tel procédé fait merveille chez des esprits cherchant à tout prix à établir des connexions entre centuries et événements.

En effet, les faussaires spéculent sur le penchant pour les allusions des lecteurs. Ils sèment ainsi quelques « indices » pour renforcer les convictions. On emploiera ainsi sciemment le mot « Prophéties » pour désigner les Centuries, parce que Nostradamus publia des Prophéties (perpétuelles, où chaque présage est lié à un certain nombre d’années), on croit que le mot Centurie, utilisé en 1585, renvoie nécessairement à des quatrains prophétiques alors que selon nous il s’agit de séries de quatrains d’almanachs sans parler de toutes sortes d’emprunts à des matériels de librairie ou à des noms de libraires (Rigaud, Chevillot etc) pour conférer un vernis d’authenticité et une fourchette de temps certaine, avec le cas extrême des éditions Pierre Rigaud 1566, fabriqués en Avignon en 1716, 150 ans plus tard...

On peut penser que les « Centuries » ont été largement « complétées » par toute une série d’adjonctions qui avaient des vertus évocatrices mais pour certains esprits, même un quatrain apparemment quelconque peut se révéler devoir être associé à tel événement comme la Révolution Française.

Au bout du compte, le champ nostradamique attirer des esprits qui, pour certains, passeront allégrement du commentaire des quatrains à l’histoire du phénomène, ou vice versa, en maintenant dans un cas comme dans l’autre le même talent consistant à prendre des vessies pour des lanternes. On notera d’ailleurs le même travers chez les astrologues aussi peu rigoureux et regardants qu’il s’agisse d’interpréter un thème que d’enseigner un savoir largement corrompu ou de dresser un historique de l’Astrologie, notamment en croyant un peu vite qu’astrologie et astronomie ne faisaient qu’un, sous prétexte que l’on y trouve employés les mêmes dieux, signalées les mêmes planètes, utilisés les mêmes signes du zodiaque. C’est en vérité aller un peu vite en besogne. Mais le cas le plus flagrant est encore à observer dans le cadre de l’interprétation des données astrologiques, que ce soit au niveau individuel ou collectif. Le client qui entendra ou lira tel ou tel mot qui fait sens pour lui n’hésitera guère à y voir la preuve que tout ce qui se dit au nom de l’astrologie fait sens. L’astrologie ne vise-t-elle pas en effet à rapprocher deux discours en en soulignant les convergences : le discours du client sur lui-même et celui de l’astrologue sur le client etc. ? Tout l’art de l’astrologue consisterait à montrer que ce qui a été dit au nom de l’astrologie ou ce qui a été exprimé par le client se rejoint et là encore cela exige une aptitude à relier les choses entre elles avec plus ou moins de talent

Mais comment éviter de tels écueils ? Il faut chercher là où le rapprochement proposé correspond fréquemment à quelque trucage soit du fait de ceux qui ont fabriqué la « preuve », soit du fait de ceux qui ont instrumenté tel document pour lui faire dire plus qu’il ne dit. La question de l’extrapolation est récurrente.

Nous dirons que ce qui importe, au bout du compte, ce n’est pas tant ce qui vient confirmer mais ce qui vient infirmer. Trop souvent, on se contente, en effet, de souligner ce qui semble correspondre en négligeant ce qui tend à contredire. En ce qui nous concerne, les éléments que nous avons présentés en tant que rapprochements concluants ne revêtaient un intérêt que dans la mesure où nous avions déjà déblayé le terrain en mettant en évidence un certain nombre d’incohérences chronologiques comme de dater de 1611 un document se référant à l’année 1642 (dans le Recueil des Prophéties et Révélations), alors que cette date ne faisait visiblement sens qu’après coup, c'est-à-dire au moment des morts successives de Richelieu et de Louis XIII. Il convient également de ne pas se satisfaire de la présence de certains éléments mais de relever également les absences. Une des absences les plus troublantes, dans le champ nostradamologique, concernant le fait que tous ces « témoins » que l’on met en avant ne citent jamais le moindre quatrain, qu’il s’agisse d’ailleurs d’un quatrain d’almanach ou d’un quatrain « centurique », ce qui montre à quel point, de son vivant, on n’attachait guère d’importance aux quatrains annuels paraissant sous le nom de Nostradamus. En revanche, Couillard reproduit dans ses Prophéties, en 1556, plusieurs pages de présages d’une ligne typiques des Prophéties Perpétuelles. Mais c’est la prose de Nostradamus qui est commentée par un Videl, en 1558.. De même, l’on doit s’interroger sur l’absence d’éditions entre 1568 et 1588, ce qui ouvre la voie à la thèse d’éditions antidatées situées du temps de Nostradamus. Quant aux quatrains « absents » dans certaines éditions ligueuses, il est bien plus probable qu’il s’agisse de quatrains qui n’avaient pas encore été composés ou récupérés dans les œuvres d’autres auteurs.

Au chapitre des manques, il ne faudrait cependant pas négliger le fait que le corpus nostradamique ne nous est pas parvenu complet. Mais il y a aussi des documents qui ne sont pas exploités comme ils le mériteraient sous prétexte que l’on ne dispose plus d’une copie d’un exemplaire. On pense évidemment au cas de l’édition datée de 1588 (Rouen, Raphael du Petit Val, dite « à quatre centuries ») qui comporte un ensemble de quatrains qui ne sont pas classées en centuries. Cette édition a pourtant été largement décrite (sauf pour le contenu de la Préface à César) par Daniel Ruzo, qui signale d’ailleurs l’absence de quelques quatrains à la Ive Centurie (dont IV, 46). Ruzo reproduit la page de titre de cette édition dans son Testament de Nostradamus et en 1985 quand il vint au Colloque de Salon de Provence, il présenta une copie à quelques chercheurs dont Robert Benazra (RCN, pp. 122-123) et Michel Chomarat (Bibliographie Nostradamus , p. 77-78, n° 141) lesquels ont omis de reproduire les notices que le dit Ruzo avait consacré dans le cours de son « Testament » de 1982 à cette édition, négligeant ainsi de nous préciser que la dite édition n’était pas encore « centurisée ». Il est clair que ce point aurait du être signalé dans l’introduction de Benazra au reprint Macé Bonhomme 1555, paru en 1983. En effet, le fait que l’édition de 1555 soit « centurisée » et pas celle de 1588 aurait du hypothéquer le dossier de la dite édition Macé Bonhomme et relativiser d’autant la valeur de certains rapprochements. Il aura fallu 30 ans, depuis 1982 (mais l’édition espagnole date de 1975, Barcelone, Ed. Plaza & Janés, cf reproduction de la couverture, ci dessous ! Une édition en langue anglaise est parue sous le titre « The Authentic Testimony » On notera que l’epithète « authentique » ne figure pas dans le titre de l’édition française), pour que cette information quant à une édition non centurisée soit correctement exploitée. On peut regretter qu’il ait fallu également près de 25 ans pour que la découverte des emprunts de quatrains à la Guide des Chemins de France de Charles Estienne permette de déceler des variantes dans les Centuries, par rapport à la « source », c’est ce qui nous a permis de montrer ( IX 86 que Chastres était dans le dit quatrain devenu Chartres et de là à dater les éditions comportant Chatres comme ne pouvant être antérieures à 1593/.1594, années de l’avénement d’Henri IV.

1 Voir pour l’année 1557, in Documents Inexploirés sur le phénoméne Nostradamus, Ed. Ramkat, 2002

2 Page de titre, n°34 du catalogue Nostradamus. 16th-18th Cenrury Books from the Collection of the late Daniel Ruzo, Swan, New York, 2007

3 On trouvera un exemplaire de Pierre Mesnier un des libraires parisiens de la Ligue, en 1589, sur gallica BNF NUMM.

4 Cg nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Feyzin, Ed Ramkat, 2002

5 Voir notre postface à son Introduction, ed Pardés 1990

6 Sur ce dossier, cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Seuil 1999

7 Cf nos Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus, op cit.

8 Cf nos Documents inexploités, op. cit pp. 52-53

9 Cf R. Benazra, RCN, pp. 194-195 qui place cette edition dans les années 1630 en ce que l’on ignorerait la date de publication.

10 Date de la permission mais qui ne figure pas au titre.(cf Ruzo, Testament, op. cit. p. 281). La date de 1611 est manuscrite selon le catalogue de la Maison de Nostradamus, (p. 40) qui posséde désormais cette édition

11 Cf RCN, op. cit ; p.. 35-37

12
 

13 Cgf une précédente étude nostradamiennne (2009) consacrées aux « deux épitres du mois d’aoust 1558. »

14 Cf R. Benazra, RCN, Paris, 1990,p. 156 et seq

15 L’enseignement de Garfinkel, en ethnométhodologie, sous tend le présent texte.

 

35 - Antoine Crespin, le poulain nostradamique du camp d’Henri de Navarre.


La thèse principale de la présente étude consistera, à l’issue d’une réflexion globale sur les processus d’antidatation et de postdatation, qui se chevauchent, à montrer que l’un des successeurs attitrés de Nostradamus, Antoine Crespin, dit Archidamus, dit Nostradamus, censé avoir produit tout au long des années 1570 toutes sortes de « prophéties », d’’’épitres », et correspondant à une seconde génération, ayant pris le relais de Michel de Nostredame, serait une création du camp d’Henri de Navarre, faisant ainsi pendant au revival de Michel de Nostredame orchestré par le camp ligueur.

Au phénomène d’antidatation que nous signalions depuis près de vingt ans, est venue, progressivement, se greffer la prise de conscience d’un phénomène, en quelque sorte, inverse de post-datation et c’est la conjonction des deux phénomènes qui aura rendu la bibliographie centurique un exercice à haut risque, aussi bien chez ceux qui se contentent de noter les informations au premier degré que chez ceux, comme Daniel Ruzo et nous-mêmes, qui s’efforcent de réorganiser en profondeur l’ensemble des données. La vigilance est de rigueur dans ce domaine, ce qui implique de ne rien laisser passer d’insolite et de suivre toutes les pistes, de tester toutes les hypothèses, bref de dresser un inventaire extrêmement exigeant, permettant notamment de faire ressortir des chainons manquants, lesquels ne manquent pas, ce qui vient encore compliquer la tâche du nostradamologue averti et consciencieux. Nous verrons si le problème affecte également d’autres pièces que les éditions centuriques proprement dites.

Le phénomène de post-datation est beaucoup plus familier et même franchement banal que celui d’antidatation mais il prend dans le cas des éditions centuriques une dimension assez extraordinaire et l’on peut dire que cela a pour effet de brouiller les pistes. On connait tous le procédé des rééditions lequel s’apparente, peu ou prou, à une forme de postdatation assez bénigne comme est en apparence innocente le fait de vouloir retracer l’historique d’un domaine, ce qui peut se rapprocher de l’antidatation. Le distinguo n’est pas toujours aisé entre contrefaçons et initiatives visant à replacer les choses dans une juste perspective et rétrospective.

S’il fallait classer les éditions centuriques qui nous sont parvenues en ne gardant que celles qui ne relèvent ni de l’antidatation, ni de la postdatation, stricto sensu, il ne resterait plus grand-chose. On pourrait poser la question à l’envers : qu’est-ce qu’une édition centurique qui ne serait ni antidatée, ni postdatée ? Nous répondrons de façon assez tranchée, sur la base de nos travaux à ce jour, qu’aucune édition datée du vivant de Nostradamus ne peut échapper au qualificatif d’antidatée et que les éditions plus tardives des années 1580 sont de pseudo-éditions postdatées, puisque se présentant comme des rééditions de quelque document déjà paru antérieurement. Autrement dit, de telles prétendues rééditions seraient en fait des éditions ni antidatées, ni postdatées, dès lors qu’elles ne se présenteraient pas comme des rééditions, ce qui n’est d’ailleurs pas nécessairement le cas.

Prenons le cas de l’édition de Rouen, parue chez le libraire Raphaël du Petit Val (et dont on ne dispose actuellement d’aucun exemplaire mais qui n’en est pas moins décrite par son ancien possesseur, Daniel Ruzo, comme il le reconnait dans son Testament de Nostradamus (Ed. du Rocher 1982). Cette édition se présente comme « divisée en 4 centuries » en son titre. Or, selon Ruzo, l’ouvrage n’est pas réellement structuré ainsi, les quatrains se suivant sans découpage. Voilà un exemple, dont nous verrons qu’il est assez courant, d’une édition postdatée du fait de son titre. Autrement dit, son contenu est plus ancien que son titre lequel concerne un contenu différent et plus structuré (en 4 centuries). De la sorte, reconnaissons que nous faisons coup double puisque nous avons en quelque sorte deux documents pour le prix d’un seul comme si le dit document était à cheval sur deux versions successives ou peut-être pas tout à fait des éditions centuriques. En fait, l’on peut conclure que le contenu de cette édition de 1588 doit être antidaté d’un voire de deux ans, tant il semble invraisemblable que l’on soit passé en l’espace d’un an d’une édition à 4 centuries à une édition (celle de 1589, chez le même libraire rouennais) qui en est à 7 centuries et sans même marque de passage entre le début et la fin de la centurie IV, encore que son état de conservation ne nous permette pas d’affirmer qu’elle avait ou non gardé l’avertissement latin ni combien de quatrains elle avait dans la centurie VII (fort probablement moins de 40)

Les exemples de décalage, de mismatch, de décalage, entre contenant et contenu sont nombreux et lorsque l’on ne connait que la page de titre d’un ouvrage, mieux vaut ne pas sauter aux conclusions concernant son contenu, en tout cas dans le champ centurique. Un autre cas que nous avons déjà eu l’occasion de signaler est celui des éditions parisiennes datées de 1588 et 1589, qui correspondent à trois libraires s’étant en quelque sorte partagé la distribution. Il est plus que probable que le contenu de ces éditions soit antérieur à celui des années en question et notamment quelle différence entre Rouen 1589 et Paris 1589 3: plusieurs stades séparent ces éditions apparemment mais apparemment seulement exactement contemporaines. C’est dire que si l’on se concentre sur tout ce qui est daté 1588 et 1589, on obtient un ensemble excessivement hétérogène, du fait de la post-datation par le biais des pages de titre, ce qui n’exclut nullement un changement de libraire entre un état et un autre. Donc avant de qualifier de « parisiennes » les éditions de 1588-1589, il convient d’être sur ses gardes car seules les pages de titre font ici foi et c’est bien insuffisant dans le contexte qui est celui des éditions centuriques.

Que dire de la traduction anglaise de 1672 ? C’est le type d’une réédition en même temps que d’une traduction, plus d’un siècle après la mort de Michel de Nostredame. Mais cette réédition s’avère extrêmement précieuse car elle nous permet, selon notre analyse du texte en prose, de restituer un état premier de la Préface à César, antérieur à celui figurant dans la totalité des éditions centuriques connues.

Ces post-datations, à quoi tiennent-elles ? Quel intérêt a-t-on à indiquer un état qui n’est pas celui du contenu de l’édition ? Nous pensons que cela peut concerner des stocks d’invendues, rendus obsolètes par la mise en avant de nouveaux éléments. Pour donner le change, on va mettre en vente une marchandise dévaluée en se contentant de remanier la page de titre. Le tour est joué, et le procédé est si efficace qu’il continue à faire des victimes parmi les libraires et leurs lecteurs, mais aussi chez historiens et bio-bibliographes qui n’y voient que du feu. On ne peut donc pas vraiment dire qu’il y a, au départ, une volonté de fausser les représentations de l’histoire des centuries mais cela peut fort bien produire de facto un tel résultat, vu que ce ne sont là que des considérations d’ordre commercial. Il peut s’agir aussi de libraires qui rachètent à bas prix des stocks d’invendus et les écoulent – ou du moins tentent de les écouler-(en changeant la page de titre). Mais on conçoit que l’historien des textes ne puisse que se réjouir quand il tombe sur de tels arrangements car cela permet de combler des lacunes de son corpus en dédoublant l’information.

A priori, le travail des éditeurs implique le plus souvent une forme d’antidatation et de postdatation. En effet, il est normal de rééditer des documents plus ou moins anciens, de les inscrire dans une nouvelle modernité tout comme cela l’est de replacer les choses dans leur contexte d’origine. A quel moment, alors, peut-on parler d’abus de droits ? C’est le cas lorsque un document est présenté comme plus récent qu’il ne l’est ainsi que lorsque un document est présenté comme plus ancien qu’il ne l’est véritablement. Mais dans le cas de Nostradamus, la question revêt une plus grande complexité : les années 1580 sont celles d’un revival nostradamique, après une parenthèse d’une quinzaine d’années (entre 1569 et 1584 environ), sous la forme d’ouvrages qui sont censés avoir été composés, par définition, du vivant de leur auteur. On est donc ipso facto dans la post-datation. Mais à partir du moment où l’on attribue au dit Nostradamus des publications qui en fait datent des dites années 80 et au-delà, on bascule dans l’antidatation, surtout quand des éditions se voulant d’époque sont carrément produites. En même temps, les libraires recyclent des documents bel et bien parus du vivant de Nostradamus comme l’Epitre à Henri II mais considérablement retouchés, ils publient des quatrains inspirés de la Guide des Chemins de France de Charles Estienne et d’autres ouvrages du même genre et du même auteur, parus dans les années 1550 mais les dits quatrains sont retouchés pour s’ajuster avec ce qui se passe dans les années 1590. Les libraires publient également la Préface à César qui n’a pas été inventée de toutes pièces mais probablement reçue et conservée par le dit César.

Le plagiat est un outil important de ce processus de postdatation-antidatation. Les contrefaçons recourent volontiers à une forme de recyclage, donc de postdatation. Ainsi utiliser des passages d’Estienne pour exhumer de prétendus textes posthumes pour ensuite prétendre que les dits textes posthumes sont en fait parus précédemment du vivant de Nostradamus, recourt aux deux procédés apparemment contradictoires. Quand Barbe Regnault publie de faux almanachs de Nostradamus, dans les années 1560, elle se sert, comme l’a noté R. Benazra (sur l’almanach pour 1563 (Bibl. Mun. Lille), cf. RCN, pp. 58 et seq), de quatrains d’almanachs des années antérieures. Quand l’on met en place au milieu des années 1580 les premières productions centuriques, l’on se sert pour les centuries VI et VII ; de quatrains issus de l’almanach de Nostradamus pour 1561, ce qui ne sera pas conservé dans les éditions rouennaises et dans les éditions Antoine du Rosne 1557 (Budapest/Utrecht) mais qui sera repris dans les éditions troyennes du siècle suivant, lesquelles ne veulent rien négliger qui relève de près ou de loin de la production nostradamique, à l’instar de ce que feront Chomarat et Benazra, dans les années 80 du XXe siècle, dans leurs bibliographies respectives...

Un autre aspect que l’on ne saurait ignorer concerne la production se présentant comme extra-centurique. On a du mal, au départ, à imaginer que des faussaires prennent la peine de produire des ouvrages dans le seul but de conforter l’authenticité des éditions centuriques antidatées.

Nous avons plusieurs cas de « confirmations » de ce type :

  • Nostradamus Les Significations de l’Eclipse de 1559, Paris, Guillaume Le Noir (Maison de Nostradamus)

  • Antoine Crespin Les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation française (BNF Numérisation), 1572, Lyon, François Arnoullet

  • Jean Dorat et Jean de Chevigny, son traducteur et présentateur, L’Androgyn, 1570, Lyon, Michel Jove

  • Les Prophéties, par Antoine Couillard, 1556., Paris, Antoine Le Clerc

    • Ces quatre documents, deux censés parus du vivant de Nostradamus à Paris et deux autres, peu de temps après sa mort, à Lyon viennent tous, à des titres divers accréditer la parution, avant la date qu’ils comportent de certaines éditions centuriques alors qu’ils sont, du moins sous la forme que nous leur connaissons, des pièces antidatées.. Sur les 4, trois d’entre eux furent signalés en premier par nos soins en tant que témoignages. R. Benazra, dans le RCN, signale (p. 18) que l’ouvrage de Couillard « présente une parodie des Centuries ». alors que cela ne concerne que des éléments communs avec la Préface centurique à César. Quant à Chomarat, il ne signale même pas l’ouvrage qui ne porte pas le nom Nostradamus en son titre. Benazra cite certes les Prophéties de Crespin mais seulement au fait du surnom de l’auteur indiqué et non de par son contenu. De même Benazra cite-t-il l’Endrogyn (sic) de Jean Dorat – non mentionné par Chomarat, probablement sur la seule base de la page de titre qui ne comporte pas le nom de Nostradamus - mais sans mentionner un passage de l’épitre comportant un quatrain des centuries, dument numéroté. De même pour les Significations, citées mais sans signaler un renvoie à la « seconde centurie de mes prophéties », déjà utiilisée pour l’Androgyn de 1570. Une bonne part de ces observations fut communiquée directement ou indirectement à Pierre Brind’amour qui les reprit dans ses ouvrages.(1994, 1996). Mais le probléme, c’est qu’il eut fallu tenir compte de l’enseignement crucial lié à l’édition Rouen du Petit Val, 1588 qui, en dépit de son sous titre « divisée en quarte (sic) centuries n’est pas organisée en centuries. (cf D. Ruzo, Testament, p. 282). C’est ce sous titre qui aura d’ailleurs induit en erreur les faussaires lesquelles, sans nécessairement consulter le contenu et s’en tenant à la page de titre, ont pu croire que la première édition était constituée en centuries. Nous avons mis en garde, à plusieurs reprises par rapport au décalage entre titre et contenu d’une édition centurique.

I Couillard 1556

R. Benazra et quelques autres ont consacré du temps à montrer à quel point la Préface à César se retrouvait en grande partie dans les Prophéties de Couillard.(Paris, 1556), n’hésitant pas à conclure que cela prouvait la réalité de la parution de l’édition Macé Bonhomme 1555, dont Couillard, en quelque sorte aurait fait une sorte de commentaire satirique. C’était aller un peu vite en besogne. D’une part, parce que Couillard, à aucun moment, ne signale le moindre quatrain de Nostradamus, n’utilise même le mot « centurie » (comme dans les Significations de l’éclipse de 1559). Si au moins il avait, comme dans l’Androgyn de 1570 (cf infra) repris un quatrain et avait indiqué dans quelle centurie il se trouvait, mais même pas ou s’’il avait produit un texte compilant divers versets comme le fera un Crespin (Prophéties, 1572)…..Pourquoi une telle omission ? Nous avons développé, durant quelque temps, la thèse selon laquelle la Préface à César était d’abord parue en tête d’un autre texte que celui des Centuries et qu’elle avait été ensuite recyclée et retouchée, comme pour l’Epître à Henri II, d’abord présente au début des Présages Merveilleux pour 15574. Le fait que l’ouvrage de Couillard se nommait Prophéties confirmait en outre que c’était bien sous ce titre – qui est celui de la série Bonhomme-Du Rosne- que les premières centuries seraient initialement parues. Restait à déterminer ce qu’une telle expression recouvrait dans le contexte de la production nostradamique des années 1550. Cependant, en 1560, quand Couillard publie ses Contreditz à Nostradamus, il ne mentionne pas davantage les centuries et ne « revient » pas sur la fameuse Préface qu’il avait brocardée 4 ans plus tôt, pas plus que Nostradamus n’évoquera dans ses autres textes la dite Préface à César..Les autres adversaires de Nostradamus, plus ou moins bien identifiés, dans les années 1550, n’avaient pas non plus signalé les centuries, visant bien plutôt les almanachs et les pronostications. Bref, ces Prophéties de Couillard étaient un cas isolé dans le contexte de l’époque alors qu’elles étaient en position centrale dans le revival des années 1580 d’un Nostradamus « ressuscité », comme on le dira en Angleterre de Claude Dariot, un médecin astrologue contemporaine de Michel de Nostredame, de confession protestante.5

En fait, ne serait -ce point parce que le Seigneur du Pavillon, alias Antoine Couillard, s’était fait connaitre par ses Contreditz, que l’idée en serait venue aux faussaires de lui attribuer ce document authentifiant les éditions centuriques antidatées  sachant que les dits faussaires étaient fort bien achalandés concernant tout ce qui touchait de près ou de loin à Nostradamus, sans d’ailleurs eux-mêmes, savoir toujours s’y retrouver, confondant l’authentique et les contrefaçons antérieures aux leurs..Aurait-on, parallèlement, à l’annonce de l’existence d’éditions avignonnaises parues sous le nom de « Professies »- c’est le terme utilisé—dès 1555, comme cela se trouve dans certaines éditions des Grandes et Merveilleuses Prédictions (1590), mis en chantier ce faux Couillard  dans le style des Contreditz, en reprenant bien entendu le texte de la Préface tel qu’il figurait en tête de toutes les éditions ligueuses ? Mais pourquoi dans ce cas ne pas avoir évoqué, par la même occasion, les quatrains centuriques et s’être focalisé sur la seule Epitre au fils Nostradamus ?

La thèse pour laquelle nous optons présentement est la suivante : c’est César de Nostredame lui-même qui aurait commandité les dites Prophéties de Couillard alors même que les Centuries n’étaient pas encore parues de façon à authentifier un document qu’il aurait fait circuler par ailleurs. Rappelons qu’il n’était pas rare de publier des Epitres se suffisant à elles-mêmes, et que le terme « préface » a pu apparaitre par la suite quand ce texte sera placé en tête des Centuries. Allons plus loin : c’est précisément parce que cette Epitre à César avait circulé depuis peu qu’on décida de l’utiliser pour la placer en tête des « Prophéties ». C’est une pratique qui se confirmera dans la mouvance nostradamique ou pseudo-nostradamique que de rassembler en un seul volume des éléments d’abord parus séparément et qui atteindra son paroxysme encyclopédique avec les éditions troyennes du début du XVIIe siècle. Signalons que le texte qui paraitra alors en tête des centuries reprend largement le Compendium de Savonarole, tout en le retouchant à loisir.

II Significations 1559

Parmi les documents que nous avions signalés, au début des années Quatre Vingt Dix du siècle passé, comme faisant assez ponctuellement sinon vaguement allusion à la production centurique, les Significations de 1559, lesquelles comportaient une mention assez fugitive et qui avait échappé à nos prédécesseurs, d’une « seconde centurie », sans qu’on nous en dise beaucoup plus. Or, l’ouvrage en question – comme l’avait notamment confirmé Theo Van Berkel, un chercheur néerlandais, était un document assez hybride, ce qu’avait signalé l’abbé Torné Chavigny dans une lettre figurant dans le fac simile des Significations qui fut réalisé en 1904 (cf. Benazra, RCN), p. 448), indiquant un emprunt à l’Eclipsium de Cyprian Leovitius. On y trouvait en fait une certaine diversité de documents, qui se contredisaient parfois, au niveau même du discours proprement astrologique. Il s’agissait en fait d’une épitre à Jacobo Marrasala, datée du mois d’août 1558 et donc parue, à en croire la pièce en question, sous le nom de Significations de l’Eclipse de 1559. La proximité avec la date de l’Epître, recyclée, à Henri second, passée entre temps de 1556 à juin 1558, nous oriente non plus vers le corpus ligueur comme pour la préface à César mais vers le corpus antiligueur, celui du parti d’Henri de Navarre, puisque l’on sait que l’Epître au Roi figurera en tête des centuries VIII-X, dont le contenu est farouchement hostile aux Guises et prétend annoncer le couronnement du dit Henri à Chartres (IX, 86). Nous avons émis l’hypothèse que l’Epître d’août 1558 qui signale la « seconde centurie » avait précédé celle de juin 1558, en tête de ce que l’on appellera par la suite le ‘second volet » de centuries ; Dans ce cas « seconde centurie » renverrait à ce qu’on appellera la centurie IX.

III Androgyn, 1570

Cette pièce est remarquable en ce qu’elle est la seule que l’on connaisse, à citer un extrait des Centuries en se référant au dispositif de localisation des quatrains, tel qu’il est pratiqué dans les éditions centuriques. Ce passage n’avait pas été signalé, cependant, par nos prédécesseurs qui auraient pu en tirer argument en faveur du premier volet des Centuries, à laquelle la mention se réfère. C’est bien entendu du quatrain relatif à l’Androgyn qu’il s’agit.(II, 45), il est repris dans l’épitre de Jean de Chevigny, le traducteur du poème latin de Jean Dorat sur ce thème, que celle-ci introduit, avec la traduction faite par Chevigny, ancien secrétaire de Nostradamus.

En dehors de cette édition de 1570 du dit poéme, nous disposons d’un recueil de pièces du dit Dorat, daté de 1586 au sein duquel se trouve celui-ci.(cf Benazra, RCN, p. 96) Nous pensons que c’est en fait l’origine de ce que nous considérons comme une édition antidatée. Non pas que Dorat n’ait pas composé l’Androgyn à cette date de 1570 mais elle n’aura pas connu alors d’impression. Comme ce sera souvent la coutume, une impression antidatée comporte un texte correspondant à la date ainsi indiquée, ce sera évidemment le cas pour la Préface à César datée de mars 1555 et donnant lieu une édition antidatée pour cette même année et ce fut aussi probablement le cas pour une édition Antoine du Rosne, 1558, par rapport à l’Epitre au Roi, du mois de juin de la dite année, étant entendu que même un texte paru de façon posthume a forcément été rédigé du vivant de l’auteur, ce qui autorise toutes sortes de manipulations antidatées.

Il faut au demeurant souligner à quel point une telle citation est insolite car en 1570 était censé être parue l’’ensemble des 10 centuries (1568) et a fortiori la centurie II, dont le quatrain 45 est issu (Editions 1555, 1557). Or, Jean de Chevigny, en août 1570, semble faire une faveur à son dédicataire, le Président Larcher, en lui transmettant le dit quatrain. Nous en avions conclu, à un certain moment de notre recherche et de notre réflexion, que cela témoignait pour le moins d’une circulation sous le manteau, manuscrite, ou en tout cas fort peu accessible. Mais il nous semble exclu qu’à cette date, les quatrains aient été déjà désignés comme ce sera le cas dans les années 1580, d’autant que Ruzo nous signale (Testament de Nostradamus, op. Cit.,p. 282 ) que la première édition connue à 4 Centuries (Rouen, 1588) ne comportait pas, contrairement à son titre – et l’on sait à quel point les titres peuvent être décalés par rapport au contenu du volume sur lequel ils sont apposés- de classement par centurie. Il est possible que ce document émane de Jean Aimé de Chavigny, l’auteur du Janus Gallicus, qui prétendait ne faire qu’un avec Jean de Chevigny.6

 

IV Prophéties à la puissance divine, 1572

Abordons enfin un ouvrage et un auteur auquel nous avons consacré beaucoup de temps, Antoine Crespin et sa production nostradamique.7 Au départ, nous avions pensé que les faussaires avaient utilisé le travail de Crespin pour produire une partie des Centuries. L’œuvre de Crespin, auteur dont on ne sait rien en dehors des nombreux fascicules parus sous son nom et dont il n’existe aucun élément d’ordre biographique par ailleurs, est littéralement truffée de modules que l’on retrouve dans les Centuries, tant celles du premier que du second volet, ce qui attesterait de l’existence de l’édition à deux volets Benoist Rigaud 1568, sauf, évidemment, à admettre que ce serait plutôt Crespin qui aurait inspiré les rédacteurs des Centuries. Or, comme les deux volets appartiennent à des camps opposés, il semble assez peu probable qu’ils aient recouru à une même source. Notons ainsi que le recours à la Guide des Chemins de France est réservé au second volet et que le recours à des données astronomiques est surtout, mais pas exclusivement, le fait du premier volet, chaque volet ayant ses sources propres...

Nous avions été notamment frappés par un texte de Crespin –une Démonstracion- paru à Lyon, chez Jean Marcorelle, consacré à une Comète de 1571 (cf. RCN, p. 99)- dont le privilège est visé par monsieur L’Archer, « superintendant pour le Roy sur la Justice de Lyon » dont on a vu qu’il était le dédicataire de l’Androgyn, censé être paru également à Lyon, en 1570. Ce texte hostile au pape, en effet comportait le verset «  Roy de Bloys en Avignon régner » qui figure à deux reprises- ce qui est rarissime- au second volet.(VIII, 38 et VIII 52). La seconde occurrence (VIII, 52) témoigne de l’usage de la Guide des Chemins de France, en ce que le quatrain réunit de nombreux lieux situés sur la Loire. Mais précisément ce verset apparait comme surajouté dans un deuxième temps et concerner les attaques du camp protestant contre le pape.

Ce Crespin n’était pas inconnu sous la Ligue. On publie de lui, en 1590 , chez Pierre Ménier, qui est un des libraires parisiens de la Ligue dont le nom est attaché à la production des Prophéties de M. Nostradamus (1589) La Prophétie Merveilleuse qui couvre plusieurs années à commencer par 1590 jusqu’en 1598. L’épitre, datée de mars 1589, année de l’assassinat d’Henri III, qui eut lieu au mois d’août (cf. Benazra, RCN, pp. 127-128) est adressée à Charles X, un prétendant Bourbon, catholique, qui prend ainsi le titre de roi de France avant même la mort du Valois, au mois d’août, déconsidéré par l’assassinat duc de Guise, en 1588 et auquel il est reproché ses contacts avec Henri de Navarre. Est-ce à dire que le dit Crespin est une invention ligueuse ? On ne saurait soutenir ce point de vue puisque l’on a vu qu’il empruntait à des quatrains du second volet et s’en prenait au pape. Certes, cette Prophétie Merveilleuse est-elle typiquement un document que ne pouvait que rejeter le futur Henri IV mais il nous semble qu’il s’agit d’une tentative pour récupérer le dit Crespin au profit de la Ligue, en compilant d’ailleurs d’autres textes du dit Crespin visant des années bien antérieures.

On aura compris que pour nous Crespin, qui se dit Archidamus puis Nostradamus et dont la plupart des publications imitent la vignette des pronostications de Nostradamus est d’abord du côté protestant en empruntant comme dans le texte daté de 1571 au « second volet ». Mais le principal document est constitué par les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation française, Lyon 1572. Ce sont là des années fictives comme pour les éditions ligueuses des Centuries avec des ajustements d’une édition à l’autre, d’une année sur l’autre. Avec ce lot impressionnant de quatrains, véritable compilation des deux volets, dans le style du Janus Gallicus (1594), nous passons carrément au règne d’Henri IV quand les deux corpus de quatrains, le ligueur et le protestant coexistent, encore que Crespin ne signale pas qu’il emprunte les dits textes à Nostradamus. Crespin qui va jusqu’à citer, en date de 1573, dans un de ses textes, l’Epitre à Henri Second, datée de juin 1558 – pas la vraie de 1556 - ce qui permet d’en attester l’existence au début des années 1570. Cette référence se trouve dans l’Epître à la Reyne mère.8 (cf. RCN, p. 105). Nos prédécesseurs n’ont pas relevé davantage cette référence à l’épitre au Roi. Là encore, une telle référence à l’Epitre de juin 1558 permet de situer la rédaction et la publication de la dite Epitre au plus tôt au milieu des années 1590 quand la dite épitre redatée 1558 est placée en tête du second volet instrumentalisé par le camp réformé.

Il nous semble donc envisageable de considérer que le dit camp réformé aura préféré se servir du néo-nostradamiste Crespin-Nostradamus plutôt que de Nostradamus pour défendre sa cause, à moins qu’il n’ait été carrément inventé dans les années 1580. Cela permet ainsi de rééquilibrer le débat car l’on ne disposait que des éditions ligueuses et l’on pouvait s’interroger sur la substance de la production nostradamique du camp opposé d’autant que celui-ci par la suite sera bel et bien porteur d’une série de centuries de quatrains et d’une épitre à Henri II. Crespin serait le chaînon manquant et l’on comprend mieux l’ampleur de la production qui parait sous son nom puisqu’elle fait pendant à celle de l’autre camp. Ce n’est que par la suite, nous apparait-il, que Crespin sera abandonné- non sans avoir été récupéré en 1590 par le camp ligueur (cf. supra) – ce qui était de bonne guerre- et que la production qui lui avait été attribuée par le camp d’Henri de Navarre sera recyclée sous le nom de Nostradamus.

JHB

17. 05.11

 

36 - Avatars des mentions de dates, de nombres de centuries et de quatrains au titre des éditions.

 

Le corpus centurique est extrêmement difficile à traiter et à ordonner en raison d’informations souvent contradictoires ou incompatibles entre elles. Le problème est sensiblement aggravé par le fait que les pages de titres ne coïncident pas forcément avec leur contenu et manquent souvent, pour le moins, de précision. On a parfois des bribes : on nous signale des additions mais on ne sait pas à quoi, on nous parle d’une addition à une « dernière centurie », d’un supplément de 300 quatrains mais quand on fait la somme des quatrains, cela ne correspond pas. Daniel Ruzo, en 1975 (en espagnol) puis en 1982 (Le Testament de Nostradamus, Ed Rocher, pp. 279 et seq) développa la thèse selon laquelle dès l’origine, les centuries seraient parus à Lyon sous le titre « Prophéties » et à Avignon sous celui de ‘ »Grandes et Merveilleuses Prédictions », titre qui est attesté par les éditions de Rouen (1589) et d’Anvers (1590). Ruzo possédait dans sa bibliothèque, depuis dispersée, des éditions rouennaises de 1588 et 1589, l’exemplaire de cette dernière étant au demeurant incomplet dans ses dernières pages. On ignore où les originaux de ces deux éditions se trouvent présentement. Il avait également une édition (Pierre Valentin) datée de 1611 du même type (désormais conservée à la Maison de Nostradamus, à Salon de Provence9) .En revanche, l’édition d’Anvers, offrant en gros les mêmes caractéristiques est conservée à Paris, à la Bibliothèque de l’Arsenal.

Le chercheur qui aborde le corpus centurique, tel qu’il se présente sous la Ligue, par le biais des éditions rouennaises risque de ne pas développer la même perception que s’il avait débuté par celui des éditions parisiennes.

Nous disposons de trois éditions rouennaises et d’une édition anversoise, qui en est très proche, notamment au titre assez grandiloquent qui jure avec la sobriété des éditions parisiennes, uniquement désignées par le mot « Prophéties » : Grandes et merveilleuses Prédictions (..) Esquelles se voit représenté une partie de ce qui se passe en ce temps, tant en France, Espaigne, Angleterre que autres parties du monde

Tous ces documents portent des titres avec des indications chiffrées :

Rouen 1588 (Raphaël du Petit Val) « divisées en quarte (sic) centuries

Rouen 1589 (Raphaël du Petit Val » « dont il en y a (sic)trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées »

Anvers 1590 (François Sainct Jaure) « dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées »

Rouen 161110 (Pierre Valentin) « contenant sept centuries dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées »

En ce qui concerne les éditions parisiennes, des chiffres sont également fournis mais uniquement de façon supplétive :

Paris 1588 : «  additionnées (…) de 39 articles à la dernière centurie »

Quant aux éditions censées parue du vivant de Nostradamus, celle de Macé Bonhomme 1555 ne comporte aucun chiffre en son titre tandis que celles d’Antoine du Rosne (tant Budapest qu’Utrecht) comportent la même mention que certaines éditions rouennaise : « dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées », avec la même inversion « dont il en y a ». Mais rappelons que les éditions parisiennes comportent aussi la mention « dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées » mais sans la faute propre aux éditions de Rouen et d’Anvers.

Tel est l’état brut des lieux..

Quelles premières conclusions peut-on tirer ? Rappelons préalablement que, selon nous, les titres des éditions parisiennes conservées ne correspondent pas à leur contenu. On nous parle de 39 articles « additionnées » mais on ne voit pas à quoi cela correspond quand on les ouvre. Cependant, il y a une indication d’addition mais elle se trouve dans la centurie IV, au-delà du 53e quatrain, laquelle centurie est à 100 quatrains tout comme la Ve. Nous pensons que cette addition désigne la centurie VII, mais concerne un contenu plus tardif, comme si l’on avait apposé à une ancienne édition un intitulé plus récent. De même nous pensons que l’édition rouennaise à 4 centuries est une réédition d’une impression plus ancienne. Nous dirons également que l’édition Valentin 1611 est une réédition d’une pièce sensiblement plus ancienne. On notera que si l’on peut antidater un document pour une date déjà passée, on ne peut postdater un document au plus tard que pour l’année en cours. On n’imagine pas un libraire publiant un texte daté d’une année non encore advenue, ce qui n’empêche pas d’annoncer une date à venir au titre.

Focalisons-nous sur l’édition Antoine du Rosne 1557–Budapest, étudiée par R. Benazra (1983) et G. Morisse (2004)- dont on a dit qu’elle semblait se placer à la jonction entre éditions rouennaises et parisiennes, de par la corruption du titre. Elle comporte, rappelons-le, le mot « Prophéties » au titre, lequel est absent des éditions rouennaises ainsi que de l’édition anversoise et c’est ce titre, très sobre, moins grandiloquent, qui s’imposera pour la réalisation de ce que nous considérons comme des éditions antidatées (1555-1557- 1566- 1568), titre néanmoins voué à une fortune remarquable en ce qu’il contribuera singulièrement à l’image d’un Nostradamus, « prophète » et qui sera repris au XVIIe siècle par les éditions troyennes (1605-1611) de préférence à un autre dont elles ignoraient probablement l’existence, sur la base du corpus dont elles disposaient. . .

A un certain stade, donc, le corpus des éditions « Prophéties » est en contact avec le corpus des éditions « Grandes et Merveilleuses Prédictions », il en sort un titre hybride qui relève des deux corpus concurrents selon un dosage assez savant. Du Rosne 1557 Budapest – qui sera copié par Du Rosne 1557- Utrecht- récupère la formule « dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées », laquelle reste assez obscure en ce que l’on ne nous dit pas, au titre, combien au total il y a de quatrains mais uniquement combien on en aurait rajouté. Or, quand on prend connaissance du volume, on trouve une centurie VII à 40 quatrains, qui ne semble pas correspondre au titre mais qui, en revanche, correspond d’assez près, à un quatrain de différence, à celui des éditions parisiennes « additionnées de 39 articles », qui sont donc à 7 centuries (si l’on fait abstraction de leur contenu).

Autrement dit, l’édition Du Rosne Budapest est à 7 centuries mais semble indiquer en son titre une édition à six centuries, l’addition à la centurie IV ayant été absorbé par un nouvel ensemble de trois centuries (IV, V et VI). Elle mériterait de porter le titre de l’édition Valentin 1611 (conservé à la Maison de Nostradamus, Salon de Provence ) « contenant sept centuries » si le titre de la dite édition Valentin ne se prolongeait pas par «  dont il en y a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées », ce qui fait abstraction de l’addition à la VII. Ce titre de 1611 est d’ailleurs insolite et hybride dans sa construction : Les Centuries (…) contenant sept centuries dont il en y a trois cents… »Il est évident qu’il n’y a pas trois cents centuries et que trois cents renvoie à un nombre de quatrains, et qui sont appelés « prophéties » dans les éditions Du Rosne et Rigaud ainsi que dans les éditions parisiennes.

On nous objectera que l’on ne saurait exclure une autre hypothèse, à savoir que ce seraient les éditions de Rouen et Anvers qui auraient emprunté la faute au titre à l’édition Antoine du Rosne Budapest 1557, ce qui poserait le problème de la date de la fabrication de cette contrefaçon dont nous avons dit qu’elle était sensiblement antérieure à Antoine du Rosne Utrecht. Serait-elle antérieure à Rouen Du Petit Val 1589  qui comporte cette erreur ? Pour nous, c’est effectivement la première génération de fausses éditions centuriques antidatées avec l’édition Rouen 1588 à 4 Centuries dont nous avons dit qu’elle reprenait probablement une édition antérieure étant entendu qu’elle fait suite au contenu des éditions parisiennes, qui sont un chainon intermédiaire entre une édition à 53 quatrains à la IV, donc postérieure à Rouen Du Petit Val 1588 qui n’a encore que 49 quatrains à la IV, et la dite édition Du Rosne Budapest à 7 centuries.(qui correspond quant à elle au titre des dites éditions parisiennes mais non, cette fois, à leur contenu). Notons que l’on ignore le contenu des centuries VI e VII de Rouen Du Petit Val 1589 car le seul exemplaire disponible est tronqué. (cf. copie dans la collection Mario Gregorio (site propheties.it), et à la Bibliotheca Astrologica, Paris). On ne peut que supposer qu’il est assez proche de celui d’Anvers 1590 mais aussi de celui de Pierre Valentin 1611 qui a moins de quatrains à la VII qu’Anvers. Il lui manque le quatrain 2, le 33 et le 35, mais en revanche, on y trouve le quatrain 8 qui n’est pas dans l’édition Anvers( la désignation des quatrains , soulignons-le, se réfère à Antoine du Rosne Budapest, mais il est clair que l’on ne saurait souscrire à la thèse de quatrains qui auraient disparu et que l’on aurait retrouvés, l’autre thèse d’une addition de quatrains, par la suite, nous semblant plus envisageable)

En effet, Antoine du Rosne Budapest est plus « complet » qu’Anvers 1590 et Rouen 1611 (dont la date est évidemment celle d’une réédition) et devrait donc lui être postérieur mais si c’est le cas ce serait bien Du Rosne Budapest qui aurait emprunté l’’erreur « dont il en y a « aux éditions Rouen-Anvers  et pas l’inverse. Or, à la fin d’Anvers St Jaure, il est fait mention d’éditions datant du vivant de Nostradamus avec la date de 1555. (Pierre Roux, Avignon). Est-ce qu’Antoine du Rosne Budapest ne serait pas la réédition supposée de la dite édition 1555 et ne serait-elle pas marquée par une faute figurant dans cette édition non retrouvée ? Dans ce cas, les faussaires d’Antoine du Ronse 1557 n’auraient pas été en contact direct avec les éditions Rouen-Anvers mais avec une contrefaçon 1555 comportant les mêmes caractéristiques. On voit qu’il faut se garder de conclusions trop hâtives en ce qui concerne les sources car dans bien des cas, le lien est indirect et biaisé.

On supposera donc qu’Antoine du Rosne 1557 est influencé par Pierre Roux 1555, lui-même influencé et annoncé par Anvers 1590, avec quelques quatrains supplémentaires, ce qui rejaillira sur Antoine du Rosne 1557 Utrecht (avec deux quatrains supplémentaires)

Anvers 1590

«  Fin des professies de Nostradamus réimprimées de nouveau sur l’ancienne impression imprimée premièrement en Avignon par Pierre Roux Imprimeur du Légat en l’an mil cinq cens cinquante cinq. Avec privilège du dit seigneur » (Bib. Arsenal). La formule « avec privilège » trouve un écho dans le fait que l’édition Macé Bonhomme comporte cette mention en sa page de titre et une forme de privilège au verso, ce qui ne se pratiquera plus ensuite.

On notera toutefois la formule inhabituelle à l’époque, sauf chez les adversaires : « Professies de Nostradamus » sans le prénom et sans une formule de respect (M., Maistre€), ce qui pourtant est le cas au titre. On comparera d’ailleurs avec la formulation plus civile de Rouen 1611. Elle atteste en tout cas d’un succès populaire.

Rouen 1611

« Fin des Centuries et merveilleuses prédictions de maistre Michel Nostradamus de nouveau imprimées sur l’ancienne impression, premièrement imprimée en Avignon, par Pierre le Roux (sic, au lieu de Pierre Roux, libraire attesté), imprimeur du Légat »

Mais comment expliquer que l’on désigne par « Professies » une édition de 1555 alors que le titre anversois de 1590 ne comporte même pas ce mot ? On retrouve donc au sein même d’Anvers 1590 la dualité des deux titres, ce qui compromet la thèse de Ruzo qui voyait dans le titre « Grandes et merveilleuses prédictions » la marque des éditions Avignon 1555.En fait, Anvers 1590 choisit de nommer « Prophéties » les anciennes éditions parues du vivant de Nostradamus, titre qui rappelons-le était en usage dans les éditions parisiennes de la Ligue. C’est dire les intercalations et les interférences entre les diverses éditions.

Citons Ruzo (Testament, op. cit. , p. 279) :

« Les éditions d’Avignon ont paru parallèlement à celles de Lyon avec un titre différent. Malheureusement, la totalité des exemplaires de ces éditions publiées du vivant de Nostradamus a disparu. Nous sommes obligés d’en chercher les traces dans des éditions très postérieures à leurs premières publications. C’est dans ces reproductions que nous avons trouvé le titre que portaient les deux plus anciennes de ces éditions d’Avignon, Les Grandes et Merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus »’

Ruzo signale (Testament, op. cit. p. 281) que le privilége de 1611 comporte bien « Grandes et merveilleuses prédictions ». Nous situerons l’original de cette édition un peu avant Anvers 1590, au vu de la centurie VII disposant de moins de quatrains. On a dit qu’elle faisait pendant à Antoine du Rosne 1557 Budapest en ce qu’elle annonçait carrément 7 centuries, faisant suite à Rouen 1588 annonçant 4 centuries( mais à ce stade sans prétention antidatée mais plutôt postdatée, par rapport la date de la préface, 1555). On a noté aussi la redondance au titre (qui elle peut être tardive puisque Rouen 1611 est forcément, dans le contexte abordé, une réédition d’une autre édition disparue) : Centuries (…) contenant sept centuries » et « dont il en y a trois cents », ce qui ne renvoie plus aux centuries mais à des quatrains, c'est-à-dire à des « prophéties ».(Paris 1588-1589) ou à des « prédictions » (Rouen 1589 ; Anvers 1590). Le titre Valentin est perturbé : on devrait trouver « Prédictions dont il en y a trois cents «  ou bien « Prédictions contenant sept centuries », sur le modèle Rouen 1588 ‘Prédictions divisées en quarte(sic) Centuries ». Quant au fait que l’on ait remplacé « Grandes et merveilleuses prédictions » par « Centuries et merveilleuses prédictions », ce n’est qu’une maladresse de plus dont on ignore à quel stade elle est apparue. On retiendra que nous parvenons là à une formulation récapitulative à 7 centuries (Rouen 1611, reprise d’une édition antérieure) qui semble devoir clore un processus engagé sur la base de 4 centuries (Rouen 1588). Quant à la date de 1611, elle fait également question car à cette date, c’est un cas très rare d’une édition ne comportant que 7 centuries, sans adjonction d’un volet supplémentaire à 3 centuries. Tout se passe comme si l’on avait voulu faire paraitre, en 1611, un stade antérieur de la formation des centuries, ce qui attesterait d’une stratégie de rééditions d’éditions plus anciennes se voulant elles-mêmes reprises d’éditions datées de 1555 (mention de cette année chez St Jaure mais pas chez Valentin qui ne donne pas d’année). Par la suite, ce sont les années 1556 et 1558 qui figureront au titre de nombre d’éditions du XVIIe siècle, à commencer, pour rester sur Rouen, l’édition 1649, parue sous la Fronde. elle a pour titre Les vrayes centuries de Me Michel Nostradamus (..) revues & corrigées suyvant les premières éditions imprimées en Avignon en l’an 1556 & à Lyon en l’an 1558 avec la vie de l’autheur La formule sera reprise l’année suivante à Leyde, chez Pierre Leffen, en Hollande sous un titre augmenté : Les Vrayes Centuries et Prophéties….titre qui sera celui des éditions d’Amsterdam 1667 et 1668 ainsi que de Paris, chez Jean Ribou, d’après les dites éditions, est-il indiqué au titre en la même année 1668. Décalage de 1555 (Avignon) à 1556 et de 1557 (Lyon) à 155811, bien que 1558 puisse valoir pour le second volet, disparu, d’Antoine du Rosne Utrecht.….Rappelons qu’il est question d’une édition Sixte Denyse, Lyon, 1556, mentionnée, dès 1584, dans la Bibliothèque de La Croix Du Maine (cf. RCN, pp17-18) si ce n’est qu’elle concerne « Les quatrains ou prophéties de Nostradamus » et que selon nous, cela ne vise pas à cette date de 1584 les centuries au sens où le terme sera entendu à partir de la fin des années 1580 mais un almanach avec ses quatrains mensuels désignés sous le nom de prophéties, comme ce sera le cas dans les éditions parisiennes : Prophéties dont il y en a 300 cents etc. »

Il semble qu’il y ait antériorité de Valentin Rouen 1611 par rapport à St Jaure 1590, du fait d’un nombre moindre de quatrains à la VII. L’édition 1611 ne mentionne pas le mot « professies » (sic) in fine à la différence de St Jaure mais reprend purement et simplement le titre de couverture. Il est bien difficile – de déterminer ce qui a pu être modifié jusqu’en 1611 à partir d’un original qui ne nous est pas parvenu mais dont on peut supposer qu’il était très proche d’Anvers 1590. On notera d’ailleurs l’absence de mention de l’an 1555 chez Valentin 1611. On assiste là à des états successifs de formation de la centurie VII, dont l’édition Du Rosne 1557 Budapest ne fait que correspondre à un état plus avancé à 40 quatrains en rappelant l’existence de stades encore plus anciens, attestés par les éditions parisiennes en leur contenu. En revanche, le titre (oublions ici le contenu) des dites éditions parisiennes convient tout à fait à une édition dont la VIIe centurie ne comprendrait que 39 quatrains, ce qui constituerait un état intermédiaire entre Anvers 1590 (à 35 quatrains à la VII) et Du Rosne Budapest 1557.(à 40 quatrains à la VII), à moins que cela n’ait à voir avec le fait que la centurie VI dans ces éditions n’a que 99 quatrains à la VI.(soit 40-1= 39). .Un grand absent est le cas de l’édition à six centuries qui se place entre les éditions parisiennes (contenu) et les éditions parisiennes (titre) avec entre temps la suppression mais non le remplacement de VI, 100 (rétabli par la suite dans le Janus Gallicus et dans les éditions troyennes). L’édition Budapest 1557 ne comporte même plus l’avertissement latin, indiquant l’existence d’une édition antérieure à six centuries Cet avertissement (restitué dans Antoine du Rosne Utrecht) sera rétabli par les éditions troyennes, fort bien documentées qui tenteront de restaurer l’ensemble à partir de diverses pièces réunies, mais néanmoins sans VI, 100...

Ruzo donne (Testament, p. 282) des détails précieux sur les exemplaires qu’il a en sa possession et notamment Rouen 1588 ;

« Dans l’édition de Raphaël du Petit Val (…) les quatrains ne sont pas séparés en Centuries. Les 349 quatrains sont précédés non seulement de l’en-tête « Prophéties de Maistre Michel Nostradamus » mais encore par un autre titre, antérieur, « La Prophétie de Nostradamus ». A nouveau, force est de constater un décalage entre le titre « divisées en quarte centuries » et le contenu qui est constitué d’un ensemble de 349 quatrains mis à la suite les uns des autres. Quant à l’autre titre « La Prophétie de Nostradamus », il fait écho à l’édition d’Anvers 1590, mentionnant in fine « Professies de Nostradamus ». Ruzo nous met ainsi sur la voie de la toute première mouture des quatrains de Nostradamus (hors Présages des almanachs). On aurait utilisé un singulier et ce n’est qu’ensuite, que chaque quatrain aurait, du moins dans les éditions 1557-1558- 1568 était qualifiée de prophéties, au pluriel. Notons cependant que le second volet des dites Prophéties s’intitule «  Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Centuries VIII. IX. X qui n’ont encores iamais esté imprimées », reprenant la formule « qui n’ont encores jamais esté imprimées » non plus en l’apposant comme pour le premier volet à Prophéties mais à Centuries. De nos jours, il est rare que les nostradamologues emploient « prophéties » comme synonyme de quatrains, le terme désigne désormais soit l’ensemble centurique, ce à quoi correspondrait mieux, dans ce cas, l’usage du singulier : la Prophétie de Nostradamus.

. Nous ne suivrons pas Ruzo dans la direction qu’il propose. Certes, les deux titres ont-ils coexisté dans les années 1588-1590. De là à croire qu’ils coexistèrent en une période pour nous immédiatement antérieure, même dans le cadre de chronologies fictives- ce qui nous intéresse ici – pour Ruzo ces chronologies ne le sont nullement, c’est une toute autre affaire. Ruzo n’a pas accordé assez d’importance au fait que dans l’édition d’Anvers 1590, le titre proposé pour 1555 est bien « Professies » et non « Grandes et Merveilleuses Prédictions ». C’est uniquement dans l’édition Pierre Valentin 1611 que la substitution aura été tentée avec une référence à une édition avignonnaise « Pierre Le Roux (sic) appelée « Centuries et Merveilleuses Prédictions », sans que l’on sache si cette mention était dans l’original des années 1580 (avec moins de quatrains à la VII) ou n’est apparue qu’ultérieurement entre temps (c'est-à-dire 1611).

Ruzo n’oublié pas l’édition rouennaise 1649 (Testament , op. cit. p. 283) dont il note qu’elle se référe en leur titre à des éditions de 1556 (Avignon) et 1558 (Lyon), et que la liste des pays concernés s’est élargie à l’Italie et à l’Allemagne. Pour Ruzo, chaque édition lyonnaise des « Prophéties » aurait été jumelée avec une édition avignonnaise « Grandes et merveilleuses prédictions », la mention au titre des éditions du XVIIe siècle, à partir de 1649, à Rouen, des éditions 1556 et 1558 aurait été simplement fonction des éditions alors conservées et seul le hasard aurait conduit à ce que l’édition conservée la plus ancienne serait celle d’Avignon.

Désormais « Vrayes Centuries » remplace Grandes et Merveilleuses Prédictions », elle englobe la partie biographique du Janus Gallicus sous le nom de « Vie de l Autheur », elle a rétabli le quatrain 100 de la Vie centurie. Autrement dit, ce que ne reléve pas Ruzo, elle doit beaucoup aux éditions troyennes et à leur entreprise encyclopédique. Le mot « Prophéties «  ne figure pas au titre. Il sera rajouté dans les éditions hollandaises qui en émanent et ce dès 1650, à Leyde puis en 1667 et 1668. : les Vrayes Centuries et Prophéties. Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que le titre « Prophéties », tout court, s’impose, avec la vraie contrefaçon avignonnaise- puisque celle signalée en 1590 n’est qu’une invention- de l’édition Pierre Rigaud, Lyon 1566. Ces éditions hollandaises poursuivent l’orientation donnée par les éditions troyennes en récupérant de façon syncrétique tout ce qui touche à Nostradamus. Elles associent ainsi le titre rouennais de 1649 (Vrayes Prophéties) au titre troyen « Prophéties » (cf RCN, pp. 191 et seq
 

JHB

15. 05. 11

37- Nostradamus : le cas Fontbrune révisité
par Jacques HalBronn

En 2006, les Editions Privat - qui ont racheté Le Rocher- ont publié de Jean-Charles de Fontbrune, 1555-2025. 470 ans d'histoire prédits par Nostradamus. L'auteur y est présenté comme "le spécialiste incontesté en France et à l'étranger des écrits de Nostradamus". La formule ne saurait être admise à moins que l'on ne se fasse une idée très spéciale de sa signification et de sa portée.
Voilà donc 28 ans que Fontbrune a publié la première édition de son Nostradamus, historien et prophéte, au Rocher, où paraîtra, peu et après, et probablement dans la foulée, l'ouvrage de Daniel Ruzo, en 1982, Le Testament de Nostradamus. Mais en fait, le fils de Max de Fontbrune peut se targuer d'étudier la question depuis une quarantaine d'années. Quant à l'ouvrage paru en 2006, il ne fait le plus souvent que reprendre des éditions antérieures du même Jean-Charles de Fontbrune.
Etrangement, comme dans les Centuries, les coquilles se multiplient et ne sont pas corrigées d'une édition à l'autre comme si l'on n'avait pu demander à quelqu'un de toiletter par exemple la bibliographie curieusement désignée sous le nom de "ouvrages critiques" (pp. 532 et seq) : sous ce titre l'on retrouve en vrac - le seul ordre étant alphabétique - les publications les plus diverses de par leur ton comme de par leur époque de parution (supposée). Cette bibliographie contient pèle mêle ouvrages du XVIe et du XXe siècle et il nous a plu de nous y arrêter un moment tant pour signaler ce qu'on y trouve que ce qui ne s'y trouve pas.
En ce qui concerne les Centuries, Fontbrune junior ne gratifie son lecteur que d'un seul titre "Les prophéties" comme si toutes les éditions qu'il indique portaient toutes un tel titre.
Nous avions parlé de coquilles non corrigées, en voici quelques exemples: 1573 au lieu de 1563, pour un Almanach paru à Avignon. Charles Roger 1569 alors que c'est 1589, Pierre Meunier 1589 au lieu de Pierre Mesnier, Winckermans, 1657 au lieu de 1667, un Jean Ribon au lieu de Ribou, 1669, Pierre Abesson et Armand Solane au lieu de Pierre Abegou et Arnaud Lalane., 1689, Tout cela sur la seule page 549 qui contient, à elle seule, toute la liste des éditions de 1555 à 1792.... Au passage, on relèvera un Olivier de Harsy, 1557, une édition fantôme, un Barbe Regnault de 1560, que Fontbrune serait bien en peine de nous montrer et un Pierre Rigaud qui aurait publié dès 1566 - et ce en dépit d'un consensus contre cette date - et aurait continué jusqu'en 1649!!! Fontbrune aurait aisément pu corriger en se servant des bibliographies de Benazra ou de Chomarat, mais il ne cite pas ces ouvrages parus en 1990 et 1989.

Parmi les auteurs qui ne figurent pas dans sa Bibliographie, la plus grande absence est probablement celle d'Antoine Crespin, dont il mentionne cependant un ouvrage qui ne comporte pas son nom au titre; Prophéties par l'astrologue du Très Chrestien Roy de France, Lyon, 1572. Fontbrune attribue carrément ce texte à Nostradamus, puisque, apparemment, il n'a pas entendu parler des faux Nostradamus ou de ceux qui prétendent lui avoir succédé. Tout cela est classé sous le titre général de "Nostradamus Michel'. Fontbrune nous fait penser à ces faussaires de la fin du XVIe siècle qui,eux aussi, avaient rassemblé tout ce qui avait trait à Nostradamus, et ce indistinctement, ce qui les conduisit à faire du faux Nostradamus.....à partir de contrefaçons!
Etrangement, Fontbrune distingue deux Chavigny, dans sa bibliographie, l'un auteur des Pléiades et l'autre du Janus Gallicus, l'un étant prénommé A. et l'autre J.A. Dans bien des cas, les titres anciens sont tronqués comme pour cette Déclaration des abus, ignorances, séditions, 1558. Cela vaut aussi pour l'ouvrage de B. Chevignard dont le titre est fort raccourci.(1999) Mais surtout, la Première Invective du Seigneur Hercules le François; également de 1558, est adressée à Nostradamus alors que l'ouvrage comporte Monstradamus!
Bien entendu, Fontbrune ne prononcera tout au long de son pavé de plus de 500 pages ni notre nom, ni celui de Patrice Guinard , de Jean Dupébe, de Chantal Liaroutzos, et quant à Robert Amadou, il ne signale pas - donc n'a vraisemblablement pas lu, ses contributions principales.. Il est d'ailleurs des auteurs qui ont bénéficié d'un traitement de faveur, tel cet Edgar Leroy avec pas moins de 9 références.
En fait, Fontbrune n'apparaît nullement à son aise en ce qui concerne la chronologie des éditions et l'on ne sera pas surpris qu'il s'en tienne à l'idée que Nostradamus aurait publié ses Centuries dès 1555, donc plus de dix ans avant sa mort, ce qui le fait commencer son commentaire du vivant de Michel de Nostredame...Son étude de la seconde moitié du XVIe siècle serait d'un certain intérêt si Fontbrune reconnaissait que les Centuries sont parues à la fin du dit siècle et donc ont eu tout le temps de prendre en compte et de se faire l'écho, à l'instar de chroniques versifiées - genre bien représenté-d'événements s'étant produits durant ces décennies.
C'est donc avec un grand intérêt que nous étudierons comment Fontbrune au lieu de prouver que Nostradamus est prophète déjà pour le XVIe siècle parvient, en réalité, à nous expliquer, involontairement, comment les rédacteurs des Centuries ont été puiser leur inspiration dans l'actualité de l'époque tout autant que dans la Guide des Voyages de Charles Estienne (1986) dont Fontbrune n'a pas connaissance de
l'apport, ce qui ressort notamment de son interprétation de IX, 86, quatrain auquel nous avons accordé une importance extrême pour la datation des éditions centuriques le comportant. Rappelons que les éditions de la Ligue ne comprennent pas les centuries VIII, IX et x. (cf. nos Estudes Nostradamiennes, in Grande Conjonction.org)

Accordons, en tout cas, le mérite à Fontbrune d'avoir mis en évidence- et ce dès ses premières éditions- la portée de ce quatrain, en dépit du fait que ses prédécesseurs ne s'y soient pas attardés, ce qui est dommage car l'on aurait pu parvenir plus tôt à nos conclusions. On peut aussi regretter que les nostradamologues n'aient pas davantage réfléchi sur les implications découlant du rapprochement entre IX 89 et les années 1593-1594 qui sont celles où parait le Janus Gallicus, le premier commentaire- certes partiel - de l'ensemble des 10 Centuries. Cependant, ignorant les emprunts à Charles Estienne et à la Guide, Fontbrune ne remarque pas que les noms de lieux qui truffent le dit quatrain comme d'ailleurs le suivant (87) impliquent une première mouture avec non pas Chartres mais Chastres. Dès lors, Fontbrune ne se donne pas les moyens, faute de repère, de relever une retouche du quatrain en l'honneur du couronnement du roi de Navarre à Chartres. D'ailleurs, Fontbrune associe X, 18 à cette même période :'Le grand Lorrain fera place à Vendôme". Il ne se rend pas compte que nous avons affaire à deux séries de centuries, les unes mises au service de la Ligue- Guise-Lorraine (I-VII) et les autres à celui de Navarre-Bourbon-Vendôme-Mendosus (VIII-X): En fait, le quatrain IX 86 ne faisait que répliquer au quatrain IV, 86 qui annonce lui un couronnement à Reims, avec la bénédiction de la Ligue d'un autre candidat.
Il semble, cependant, que Fontbrune atteigne des sommets de crédulité, quand il relie le sixain 52 à la Saint Barthélémy(p. 72); :

La grand Cité qui n'a pain qu'à demy
Encore un coup de la Sainct Barthelemy..."

On touche là le fond du problème, à savoir celui des versets écrits après coup, post eventum! La plupart des nostradamologues ont rejeté les sixains comme ayant été rédigé au XVIIe siècle et nous avons montré ce qu'ils devaient à un Morgard (voir aussi son "disciple" François Rabin, également auteur de centuries, BNF). Pour Fontbrune, vraisemblablement, les éditions comportant les dits sixains sont bien de 1568, date à laquelle elles se référent, et ce en dépit de l'épître à Henri IV, datée de 1605, laquelle, il est vrai, prétend avoir retrouvé des textes de Nostradamus longtemps restés cachés...

Fontbrune accorde de la place au quatrain I, 35 (pp. 60-61) sous le titre "la mort d'Henri II".: Le Lyon jeune le vieux surmontera etc". A vrai dire, le débat ne revêt qu'une importance toute relative dès lors que les éditions prétendument antérieures à 1559 sont, comme nous le pensons, antidatées. Nous ferons remarquer qu'il est en effet probable que le quatrain ait visé cet événement, sinon dès sa conception, du moins au prix de quelques retouches. En effet, le troisième verset comporte 'cage d'or" et dans cette expression l'on trouve, inversé, (ge-or) "Orge" qui est le nom de Montgomery, celui qui frappa mortellement le roi en tournoi :Gabriel de Lorges, comte de Montgomery. Cette observation contribue, paradoxalement, à rendre ce quatrain suspect de par ce luxe de détail notamment en ce qui concerne les patronymes. Que l'on songe à Robin pour Biron dans les sixains ou aux anagrammes de Mazarin, sous la Fronde sans parler de ceux utilisés pour les Lorrains....

L'idée de Centuries d'un seul tenant, d'une seule époque, d'une seule inspiration doit être abandonnée. Cela ne signifie pas que les Centuries n'aient pas d'intérêt mais il faut attendre longtemps avant de passer le cap des quatrains écrits ou retouchés après coup et d'ouvrir l'ère des commentaires d'un texte devenu immuable. D'une façon générale, le "canon" nostradamique ne fait foi, d'un point de vue prophétique, que pour les événements postérieurs à la Fronde, soit le milieu du XVIIe siècle. Ce qui laisse quand même trois siècles et demi de marge jusqu'à nos jours. Avant cette date, l'affaire est dans les mains du club fermé de spécialistes dont M. de Fontbrune ne fait pas partie. (Teléprovidence.com consacrera prochainement un numéro à Nostradamus).

JH

30; 12. 08

 

38 - La fortune du quatrain du couronnement, d'Henri IV à Henri V
par Jacques HalBronn

Les deux dernières grandes crises dynastiques que la France connut sont à situer autour de 1584-1594 et, près de trois siècles plus tard, autour des années 1870-1883. Ce furent deux moments importants pour l'histoire des Centuries mais le second est sensiblement moins bien connu, tant au niveau de l'Histoire événementielle qu'à celui de l'Histoire du nostradamisme voire de l'astrologie (voir notre thèse d'Etat, "Le texte prophétique en France, formation et fortune", téléchargeable sur propheties.it). Les relations entre astrologie et nostradamisme au XIXe siècle n'avaient jusque là pas été abordées par nos soins et nous réparons ici une lacune.
Si le XVIe siècle fut marqué par le passage des Valois aux Bourbons, un autre scénario aurait pu, en 1593, imposer les Guises et les Lorrains qui se voulaient descendre des Carolingiens, le XIXe siècle aura été marqué par un encore plus extraordinaire kaléidoscope dynastique. Il commence par Bonaparte, puis l'on passe à deux Bourbons et c'est ensuite l'heure des Orléans, puis à nouveau un Bonaparte. Et selon les interprètes des prophéties, il y aurait à nouveau un Bourbon pour finir avec un Orléans.( voir Torné, "Portraits Prophétiques d'après Nostradamus (..) ou Napoléon III, Pie IX, Henri V, d'après l'Histoire prédite et jugée par Nostradamus etc. ", Poitiers, H. Oudin, 1871; sur la cause orléaniste, cf. Félix Deperlas, "La destinée de M. le Comte de Paris d'après Nostredame", Paris, octobre 1876, BNF) On serait ainsi dans une sorte de république monarchique où tous les candidats au pouvoir devraient appartenir à l'une ou l'autre des dynasties en présence et constituent une menace les uns pour les autres (voir les tentatives subversives de 1839-1840, sous la Monarchie de Juillet, autour de la prophétie d'Orval; cf "Le texte prophétique en France", op. cit.). Ce modèle ne fonctionnera pas, comme on sait, au siècle suivant, le septennat générant ses propres souverains républicains.
Pour en rester au parallèle que nous établissons à près de trois siècles de distance (seconde moitié du XVIe -seconde moitié du XIXe), il y a quelques détails anecdotiques à relever comme celui du nom de Chavigny, auteur ou en tout cas éditeur - au sens anglo-saxon du mot - du Janus Gallicus (1594) et commentateur des Centuries sous le Second Empire et au début de la IIIe République, en la personne de l'abbé Torné-Chavigny. La différence entre les deux époques ainsi mises en parallèle tient avant tout au fait, du point de vue du corpus nostradamique, que dans un cas, c'est le texte même des quatrains qui est retouché, modifié, "complété" alors que dans l'autre, ce texte étant désormais définitivement cristallisé, il n'est plus question que de commentaire, de glose externes et non plus, en quelque sorte, internes. Mais, il n'en reste pas moins que dans les deux cas, l'on fait parler Nostradamus, le "Grand Prophète" selon l'expression de l'abbé Torné, sur les événements du moment.
Nous mettrons au centre de la présente étude le quatrain IV, 86, dont le caractère astrologique - du point de vue conjonctionnel - est au demeurant, assez patent, et son traitement quasiment à 300 ans d'écart face à des situations relativement comparables, à savoir de graves enjeux dynastiques, ce qui relativise quelque peu l'impact de la Révolution Française sur le cours de la monarchie.
Nous ne reviendrons cependant que succinctement sur la première crise, aux seules fins de ménager quelque comparaison avec la seconde. Rappelons que les Valois n'ayant pas eu d'enfants légitimes, la couronne devait passer à de lointains cousins, les Bourbons qui avaient le tort d'être passés à la Réforme, notamment dans le cas du premier d'entre eux, Henri de Navarre. Nous avons montré (voir nos Estudes nostradamiennes et notre post doctorat sur "Giffré de Réchac et la renaissance de la critique nostradamienne au XVIIe siècle", sur le site propheties.it) que le quatrain IV, 86 avait été mis en avant par les adversaires d'Henri de Navarre et faisait pendant au quatrain IX, 86 lié au couronnement de ce dernier à Chartres et non à Reims (1594). Or, c'est ce même quatrain IV, 86 qu'utilise, le datant astrologiquement, Anatole Le Pelletier pour annoncer le prochain avènement d'Henri V, au cours des années 1870. A noter qu'Henri V, seul arrière-arrière petit fils légitime de Louis XV - si l'on excepte toutefois la (prétendue) descendance d'un Louis XVII - n'a pas non plus d'enfants - ce qui fut le sort des Valois, en 1589 - et qu'il lui faut accepter à terme de passer le relais aux cousins Orléans, qui ont déjà régné de 1830 à 1848, en la personne de Louis-Philippe Ier, dont le règne avait été endeuillé en 1842 par la mort accidentelle de son fils.
Il est clair que le premier volet des Centuries favorisait le clan catholique et que le second était exploité par le clan réformé, annonçant notamment la victoire des Bourbons sur les Lorrains, dynastie ayant également des vues alors sur le trône de France. Ce n'est qu'ultérieurement que les deux volets seront réunis, après l'abjuration et le couronnement d'Henri IV, ce qui mit fin au projet d'Etats Généraux ayant pour mission d'élire un nouveau roi de France, entre plusieurs candidats dont le Marquis de Pont à Mousson, de la maison de Lorraine, au point que par la suite, l'on voudra attribuer l'ensemble, tel quel, au seul Nostradamus. Processus unitaire qui fait écho à l'Edit de Nantes de 1598.
En ce qui concerne la seconde crise, elle se solda par un échec définitif pour toute dynastie en France, du moins tout au long du XXe siècle. Mais, pour le XIXe siècle, il s'en fallut de peu qu'une des dynasties ayant régné fût rétablie en France au cours des années 1870 (jusqu'à l'amendement Wallon de 1877 qui correspond à un ressaisissement de la IIIe République). Si Henri V (puisqu'on l'appelait volontiers ainsi) le "dernier" Bourbon, petit fils de Charles X, avait été plus inspiré, le parti monarchiste eut probablement trouvé son unité. A la différence de son aïeul, Henri IV (qui abjura le protestantisme, "Paris vaut bien une messe"), il n'accepta pas certaines concessions (affaire du drapeau blanc) pour s'entendre avec les Orléans dont il reconnaissait pourtant, faute de descendance, que c'est à eux qu'ensuite reviendrait la couronne. Un Torné Chavigny mettra son talent de commentateur au service du comte de Chambord, lisant dans Norlaris, non pas l'anagramme de Lorraine mais celui d'Orléans... Quant au retour de Napoléon III -successeur attitré de son oncle avant la naissance du roi de Rome - il aurait pu se concevoir, à la façon des Cent Jours, avec l'empereur revenu de l'Ile d'Elbe, si la maladie n'avait eu raison de lui, en janvier 1873 et si son fils avait été un peu plus âgé- il n'atteindra la majorité de 18 ans qu'en 1874, l'option d'une régence de l'Impératrice ne passant guère. (voir A. Frerejean, "Napoléon IV, un destin brisé (1856-1879)", préface de Philippe Seguin, Paris, Albin Michel, 1997), le précédent de Catherine de Médicis et plus généralement des régences du XVIIe siècle, ne faisant pas foi.
L'Histoire de l'Astrologie et du nostradamisme -et du prophétisme en général - nous invite souvent à revisiter des moments oubliés et parfois à peine signalés, à tort ou à raison, dans les manuels d'Histoire, ce qui apparente une telle littérature à une forme de presse, de journalisme, en tout cas de propagande, où l'effet d'annonce est déterminant, parfois au service d'une cause bien fragile. On est dans l'Histoire à chaud sinon dans la "petite" Histoire. Etrange paradoxe que des outils qui supposeraient une prise de distance, tant dans l'espace (les astres) que dans le temps (les Centuries censées parues dans les années 1550) et qui, en réalité, se font le reflet de projets avortés ou tombés totalement dans les oubliettes, les poubelles de l'Histoire. En ce sens, il est vrai, l'étude de cette littérature prophétique apparait comme une précieuse et probablement incontournable source de documentation pour l'Historien qui ne saurait se contenter de valider, après coup, la façon dont ont finalement, parfois in extremis, tourné les événements, ce qui tend à relativiser l'importance et la nécessité des dits événements, permettant ainsi une approche plurielle de l'Histoire, sans tomber dans la fiction.
Les auteurs que nous aborderons étaient fort concernés, au lendemain de la défaite française face à la Prusse, par l'idée d'un retour de Napoléon III et, à sa mort (en janvier 1873), de Napoléon IV (1856-1879), donc âgé de 16 ans lors du décès de son père. Mais le prophétisme aime les jeunes princes et leur promet volontiers des ascensions fulgurantes. N'oublions pas le cas de Louis XVII! En cela, la fin du XIXe siècle n'aura rien eu à envier celle du XVIe siècle. Selon nous, comprendre ce qui s'est passé, au niveau de la littérature prophétique au début des années 1870 permet de mieux comprendre la période finissante de la dynastie des Valois des années 1580-1590, au sein du même pays, le bonapartisme n'étant pas sans rappeler les Guise, la Lorraine et la Corse étant des provinces périphériques, et le républicanisme laïc- qui sortira vainqueur de l 'affaire - pouvant exprimer un néo-protestantisme.

I Le Pelletier et le quatrain IV, 86
Il importe de comprendre que l'usage de l'astrologie mondiale est considérablement plus facile, au niveau astronomique, que celui de l'astrologie généthliaque. Autrement dit, l'astrologie mondiale n'exige pas de manuels, de traités. Son principe est des plus simples: quand il y a conjonction, cela correspond à une échéance du point de vue de la vie publique et pour savoir s'il y a conjonction, il suffit de parcourir des tables planétaires et de repérer deux planètes dont les chiffres coïncident, en tel mois de telle année. Un jeu d'enfants qui n'est pas sans faire songer à ces machines que l'on trouve dans les casinos où l'on gagne quand les mêmes motifs se retrouvent sur une même ligne! Dès qu'il s'agit de rechercher un autre aspect que la conjonction, cela devient déjà sensiblement plus ardu! Et bien entendu, au niveau de l'observation directe du ciel, la conjonction est un des phénomènes les plus manifestes.
C'est ainsi que l'auxerrois Anatole Le Pelletier, l'auteur, en 1867, des "Oracles", à l'occasion du troisième centenaire de la mort de Nostradamus, en 1866, dans un fascicule d'une série (non signalée par Benazra) intitulée "La clef des temps", dès 1872, écrivait, à propos de IV, 86 :
"Saturne dont la révolution est de trente ans environ passe deux ans et demi alternativement dans chaque signe. Il entrera dans le verseau en 1874 et par conséquent il s'y trouvera en conjonction avec le soleil dont la révolution est d'un an et qui passe alternativement dans chaque signe. La même conjonction se réitérera en 1875 et peut-être encore au commencement de 1876...' Le Pelletier annonce, dans son plan de parutions d'une série de cahiers, une "Dissertation sur l'astrologie judiciaire" dont nous ignorons si elle parut jamais. Signalons que le texte ci dessus est un commentaire astrologique du quatrain 86 de la centurie IV et que Le Pelletier relie le mot "eau" du premier verset avec ...le verseau (alors que la tradition astrologique en fait un signe d'air) / "L'an que Saturne en eaue sera conjoinct". Quatrain au demeurant royal voire impérial "Avecques Sol, le Roy fort & puissant/ A Reims & Aix sera receu & oingt...."
A la mort de Napoléon III, début 1873, Le Pelletier - dans son "Apollon Pythien et Michel de Nostredame . Lettres au sujet de la mort de Napoléon III et oracles qui y ont trait" (Benazra, en dépit du titre, date, à tort cet ouvrage de 1843, RCN, p. 389) déclare patent l'échec de l'abbé Torné-Chavigny
Mais dès 1867 (réédition 1976), Le Pelletier avait fait paraitre, à la fin de ses "Oracles" des "fragments fatidiques de 1866 à l'Antéchrist", autour d'une terminologie planétaro-mythologique (Mars, Jupiter, Saturne)

II Le nostradamisme astrologique de Ch. de Villeplaine
Villeplaine, dont on nous dit qu'il fut zouave pontifical, est quasiment absent des travaux nostradamologiques consacrés au XIXe siècle. Il est pourtant, comme le signale R. Benazra(voir Répertoire Chronologique Nostradamique, Paris, La Grande Conjonction-Trédaniel, 1990, p. 427 et 429-431), pris à parti, en sa qualité d'astrologisant, par l'abbé Torné-Chavigny, dans ses éditions de l'Almanach du Grand Prophéte. Il nous a donc semblé utile de nous étendre quelque peu sur son œuvre "prophétique" dont cependant une partie - à commencer par le nom de leur auteur - ne nous est connue que par ce qu'en dit son contemporain Torné (Almanach pour 1877, p. 10, Paris, chez l'auteur, BNF Lc 22 466 (1877) et Lc22 466 (1877) A)
La BNF a conservé divers ouvrages de Villeplaine, parus soit sous le nom de Delphes soit anonymement, dont certains connurent plusieurs éditions (ils sont presque tous sur le site numérisé Gallica). En fait -et Torné s'en plaint - aucun de ses textes n'est signé de son nom et c'est par Torné que nous l'identifions: "Qu'on ne me fasse pas solidaire non plus de l'auteur de "Ce que sera le règne du Grand Roi. Le 16 décembre prochain" et autres petites feuilles du même genre. M. Ch. de Villeplaine les publie malgré moi. Il me fait le plus grand tort en ne les signant pas et en donnant à penser qu'elles ont été inspirées par l'étude de mon travail"("Henri V prédit", Bruxelles, 1875, p. 7)

L'ordre que nous proposons tient compte du contexte politique dans lequel chaque document s'inscrit.

A Textes parus avant la mort de Napoléon III
pseudo C.V. B. Delphes, "Morts de Napoléon III et Napoléon IV", chez Madre, Paris (BNF, numérisation Gallica NUMM 5456488)
Delphes (sans les initiales) "Morts de Napoléon III et de Napoléon IV. Fixation des époques
1 Du retour de Napoléon III, 2 de la nouvelle chute de Napoléon III, 3 de la mort de Napoléon III; 4 de la mort de Napoléon IV, 5 de l'avènement de Henri V; 6 du troisième siège de Paris, Paris, Madre (Lb57 2931)
Il est probable que Villeplaine ait eu vent des velléités de Napoléon III et de ses partisans de reprendre le pouvoir, début 1873 mais la maladie et la mort déjouèrent tous les plans. En octobre 1873, Villeplaine propose un nouveau scénario:

B Début 1873; mort de Napoléon III.
-Prophéties précises et claires. Napoléon IV, Henri V et la République Octobre 1873 (Lb57 4499)
-Prophéties précises et claires Napoléon IV, Henri V et la République, Paris, J. Madre (Lb57 4499 B)
A ne pas confondre avec la plaquette " Napoléon IV et Henri V", 1872, violement hostile au bonapartisme et sans caractère prophétique.
Enfin, l'astrologie réapparait au titre.

-Ceci est une prédiction astrologique. Le 16 décembre prochain 1874. Paris 1874. BNF Lb56 5104
-Follicule à joindre à la Prédiction astrologique, le 16 décembre prochain 1874. Réponse aux critiques
BNF Lb57 5740
Comme Torné le rapportera, en 1875, dans son "Henri V prédit", Bruxelles, pp. 7 et seq), Villeplaine, en restituant un passage d'une lettre reçue de Villeplaine, le 12 novembre 1874, annonçait la mort de MacMahon, président de la République suivie de peu de celle de Napoléon IV (soit deux ans après la mort de son père) : " "Ce que sera le règne du grand Roi; Par calculs astronomiques, c'est le 16 décembre prochain 1874 qu'aura lieu tout au moins la mort de Mac Mahon, congestion et apoplexie foudroyante. Au milieu de janvier 1875, Napoléon IV -qui ne se mariera pas- disparaitra -c'est un scrofuleux. Le 16 décembre prochain va être imprimé".
Or, Villeplaine, apparemment conscient des limites du prévisionisme nostradamique, notamment en matière de fixation de dates, accorde, dans ses dernières publications connues, la plus grande importance à une conjonction de Mars et de Jupiter, pour le 16 décembre 1874 :
"Le 16 décembre à 2 heures 53 minutes du matin (Mars se dirige sur Jupiter) aura lieu la conjonction des planètes Jupiter et Mars. A ce moment là, les ascensions droites et les déclinaisons de ces deux corps célestes seront sensiblement identiques"
"Commence le 15 novembre 1874 et finit le 15 janvier 1875'
"Mois lunaire du 14 décembre 1874 au 13 janvier 1875"
Cette conjonction Mars-Jupiter eut bien lieu, à la mi-décembre 1874 à 25° Balance (cf. "Grandes Ephémérides" de Gabriel (tome second 1700-1899), Paris, Trédaniel-Grande Conjonction, 1990, pp. 150-151) mais sans les effets escomptés. C'est elle, donc, qui désignait la mort de Mac Mahon, maréchal -donc soldat (Mars) et président (Jupiter). Celui-ci (né en 1808, la même année que ? Napoléon III) ne mourut pas à la date fixée - mais en 1893 après avoir quitté, avant la fin de son septennat, le pouvoir début 1879 ; ayant fait sa carrière sous Napoléon III (Guerres de Crimée, d'Italie, il est Duc de Magenta), ce comte, d'ascendance irlandaise, était en place depuis mai 1873, succédant à Thiers. Quant à Napoléon IV, il fut tué au combat, en Afrique du Sud, contre les Zoulous, sous l'uniforme anglais.
L'intérêt d'un tel corpus, échelonné sur quelques années est d'observer comment Villeplaine retouche, corrige le tir, par l'ajout ou la suppression d'une phrase, chaque fois, d'une édition à l'autre, d'une publication à l'autre, dès lors que de nouvelles données événementielles lui sont fournies, à commencer par la mort de Napoléon III au début de 1873 qui porta un coup terrible à l'abbé Torné, ce dont se gaussera un Chabauty ou une mort annoncée par le dit Villeplaine ne se réalisant pas comme celle du Prince Impérial. Mais tous ces prophètes n'en resteront pas moins convaincus du prochain avènement d'Henri V lequel ne décédera qu'en 1883, 4 ans après Napoléon IV (voir en 1881, de G. Vallée, "Henri V sauveur de la France. Son avènement prochain d'après les prophéties les plus authentiques, Paris, V. Palmé, BNF, dans lequel est cité (p. 28) le fameux quatrain "royal", IV, 86. C'est là une épée de Damoclès qui restera longtemps placée au dessus du destin de la IIIe République. Prophétisme et vie politique sont indissociables, chaque camp prophétique s'inscrivant, comme sous la Ligue, dans un certain camp politique, d'ailleurs est-il raisonnable de nier qu'il puisse en être autrement? (voir notre étude sur l'anti-astrologisme nostradamiste, au lendemain de la Guerre de 1870, dans la présente livraison)
Ce Villeplaine avait, sur les conseils de l'abbé Torné, abandonné l'astrologie puis aurait "rechuté", probablement fasciné par sa découverte conjonctionnelle. "Malheureusement, note l'abbé, la conversion n'a pas été durable et l'astrologue moderne [donc Villeplaine] est revenu prédire à jour fixe la mort de Mac Mahon et celle du prince impérial" (Almanach pour 1877, p. 10). C'est notamment, probablement, à Villeplaine que s'adresse l'abbé quand il publie son "Nostradamus et l'astrologie" (Nouvelle Lettre du Grand Prophète, 1872, BNF 8° V Pièce 3372, voir notre étude sur l'anti-astrologie de Torné, dans la présente livraison)
Si les documents que nous indiquons ne sont jamais signés Villeplaine - comme le note Torné - la double terminologie employée ('astrologique", "nostradamienne") nous semble pouvoir conforter une telle attribution, outre le fait que ces "Calculs" seraient bel et bien parus en 1874, aux dires de l'almanach sus mentionné. En tout état de cause, ce que Torné relate (dans son Almanach pour 1877, reprenant celui pour 1873) des publications de Villeplaine correspond littéralement aux dates figurant sur les fascicules susmentionnés.
Les passages de ces fascicules fort minces qui sous tendent notre propos sont les suivants:
"Ceux qui croient encore au gouvernement des choses de ce monde, à ceux qui considèrent l'harmonie des astres la magnifique horloge sur laquelle Dieu a gravé non seulement les grandes heures de l'Univers et de l'Humanité mais encore les divisions infinitésimales de temps par rapport aux êtres. Pauvres d'esprit! Au point de vue purement astrologique cette conjonction (Mars-Jupiter) permet de conjecturer qu'à cette époque les apoplexies, les congestions et en un mot toutes les maladies violentes qui affectent la tête et le cœur seront nombreuses- les accidents, particulièrement les chutes (de cheval) seront également à redouter. C'est alors que les Grands, en général, pourront craindre que la main du Seigneur s'appesantisse sur eux. Un Grand de la Terre dont la réputation est universelle est plus menacé que tous, il devra se recueillir car la mort a la faux levée sur sa tête". Villeplaine annonce le décès proche de Napoléon IV, ce qui laissera, prophétise-t-il, bien à tort, la place pour Henri V.
Cette conjonction (mais aussi parallèle de déclinaison) de Mars et Jupiter de 1874- qui est au demeurant un phénomène astronomique assez fréquent , bien plus que la conjonction Saturne-Jupiter- n'en est pas moins, symboliquement, à mettre en vis à vis, toute proportion gardée, de la conjonction Jupiter-Saturne de 1584. Force est de constater, enfin, que le mélange d'astrologie et de nostradamisme se retrouve, à trois siècles d'intervalle et semble être un des traits spécifiques de l'astrologie française. Le fait est que Torné n'a pas tort de s'interroger sur la dimension astrologique du canon centurique (qui d'ailleurs ne comporte pas les almanachs, les pronostications et autres publications périodiques) et il semble bien qu'à la mort de Nostradamus, d'aucuns se soient efforcé de le faire passer avant tout pour un prophète. Une telle évolution avait eu des précédents, notamment avec, à la fin du XVe siècle, Johannes Lichtenberger dont les pronostications astrologiques donnèrent lieu en France, dans les années 1520, à un "Mirabilis Liber", truffé de prophéties dépassant largement le seul cadre de l'astrologie.(voir notre "Texte prophétique en France", op. cit.)
Force est donc de constater que tant Villeplaine que Le Pelletier étaient en mesure au début des années 1870 de se référer à des données astronomiques et il est à supposer que leurs lecteurs étaient peu ou prou en mesure de les suivre, voire de vérifier leurs dires dans la "Connaissance des Temps". D'ailleurs, en 1874, le chanoine Chabauty, hostile à l'astrologie, prenait la peine de décrire par le menu, en cinq points, le dit savoir astrologique ("Les prophéties modernes vengées", Poitiers, p. 107) :
1° Les maisons, 2° les regards, 3° les conjonctions des planètes dans la même maison, 4° les astres seigneurs, 5°les astres ascendants. En fait Chabauty par "maison" désigne le "signe" - le mot maison était utilisé au XVIIe siècle dans ce sens (est resté le mot domicile)- et par "regard", l'aspect - le mot regard étant l'ancienne dénomination (voir notre étude à son sujet dans la présente livraison, à propos des attaques de l'époque contre Nostradamus et/ou l'Astrologie)
Le tableau ne serait pas complet en ce qui concerne l'activité prophétique des années 1873-74, si l'on ne s'intéressait pas à un texte paru cette fois à Bar Le Duc, dans le département de la Meuse, non loin de la nouvelle frontière franco-allemande: "Au 17 février 1874, le grand avènement précédé d'un grand prodige prouvé par le commentaire (...) de la célèbre prophétie d'Orval".
Ce texte connut plusieurs éditions dont la première simplement signée F. P., parue en août 1873, donc peu après la mort de Napoléon III mais surtout au lendemain du "pacte de réconciliation du 5 août 1873, entre le comte de Paris et le Comte de Chambord". La deuxième édition, dès décembre de cette même année, portait la mention " F. Parisot, ancien notaire" (cf R. Benazra, RCN, p. 427). On notera que cette nouvelle édition et les suivantes, l'année suivante, furent publiées conjointement à Paris, chez Victor Palmé, lequel s'occupa également des productions de Torné et de Chabauty. A partir de la deuxième édition, une annexe signalée au titre comportera à la suite "ainsi que celles de Nostradamus et de saint Malachie".
L'avènement d'Henri V est annoncé, dans la foulée du "pacte de réconciliation" du mois d'août. Parisot a calculé la date du 17 février 1874 à partir de la Prophétie d'Orval - laquelle avait déjà en 1839-1840 servi à préparer l' hypothétique avènement du jeune Henri V, au début de la Monarchie de juillet - en soustrayant à la date du Ier janvier 1900 un certain nombre de "lunes", selon un système établi dans la dite Prophétie d'Orval laquelle s'apparentait, d'ailleurs, à une certaine forme d'astrologie, sans rapport avec la réalité astronomique. Parisot y prévoyait une démission de Mac Mahon et considère comme nulles les chances du Prince Impérial.
En conclusion, nous ferons remarquer que s'il y eut une compétition entre plusieurs dynasties pour la prise de pouvoir, il y eut parallèlement une sorte de "guerre" des prophéties, les partisans de Nostradamus étant pris à parti par un chanoine Chabauty, pourtant partisans d'une "concordance" des prophéties modernes (voir notre étude sur ces deux auteurs, dans la présente livraison).Désaccord et tiraillement entre prophétologues qui fait pendant à la discorde qui régna entre les prétendants au trône, d'autant qu'il ne faudrait pas oublier l'affaire Naundorff-Louis XVII (voir "Le texte prophétique en France, formation et fortune", thèse d'Etat, 1999, sur le site propheties.it). A la mort de Napoléon IV, en Afrique, en 1879, Torné consacrera naturellement un chapitre de son "Almanach du Grand Prophète pour 1880".(voir R. Benazra, RCN, p. 428) mais il est cette fois définitivement installé à Paris. Quant à Henri V, il meurt dix ans plus tard, la IIIe République suivant son cours sans lui et , sans être parvenue, en dépit des précédents, à servir de tremplin pour un retour monarchique ou impérial, comme l'avaient fait les deux premières Républiques. Le XIXe siècle aura ainsi servi de sas entre un Ancien et un nouveau Régimes. D'aucuns soutiennent que la Ve République, dans les années cinquante du XXe siècle, aurait pu préparer le retour des Orléans, du Comte de Paris, sous la houlette du général De Gaulle, nouveau Mac Mahon....Notons que Torné annonçait carrément une guerre civile, sur le modèle de ce qui se produisit sous la Ligue et dont Henri V sortirait vainqueur à l'instar d'Henri IV. On aura compris que le prophétisme, nostradamique ou non, est intimement liée aux enjeux dynastiques.



JHB
24. 12. 09

 

39 - La question des épîtres centuriques revisitée1213.

Si, initialement, nous n’avions dans notre collimateur que les éditions centuriques nous avons progressivement acquis la conviction de la nécessité d’étudier de près d’autres pièces se référant plus ou moins ponctuellement au corpus centurique, quatrains ou épitres. Il nous est apparu, en effet, que non seulement on avait pu fabriquer des éditions antidatées mais qu’en plus, on avait également produit des contrefaçons d’autres ouvrages attribués à Nostradamus pour accréditer les dites éditions. Il importe cependant de distinguer les faux d’époque et les faux antidatés. Si, en effet, l’on sait que dès le début des années 1560 parurent des almanachs avec des quatrains différents de ceux que publiait Nostradamus pour l’année concernée, souvent repris d’almanachs antérieurs, il y a aussi le cas de faux d’époque qui ont donné lieu à des contrefaçons tardives de la part de faussaires qui n’étaient pas avertis de l’existence de tels procédés déjà du temps de Nostradamus, ils ont ainsi pris de mauvais modèles pour exemple, ce qui ressort notamment au niveau iconographique. Au fond, il aurait presque été préférable d’inventer des présentations totalement différentes car ces contrefaçons d’époque s’inspiraient, mais d’assez loin quand même, de la production réellement attribuable à Nostradamus. C’est ce qui s’est passé avec les fausses éditions 1568 qui évitent systématiquement de recourir aux vignettes campant un personnage à sa table de travail encore que l’on puisse retrouver dans certains cas des motifs extraits de telles vignettes. (cf. reprint ED. Chomarat, Lyon, 2000, p. 25).

Ce qui nous intéresse le plus actuellement est la datation des éditions antidatées et plus largement des documents contrefaits. Si Patrice Guinard a publié, dans la Revue Française d’Histoire du Livre, à la demande de Gérard Morisse, un « Historique des éditions des Prophéties de Nostradamus (1555 – 1615) n° 129 2008), en évitant d’aborder la question de la véritable chronologie des éditions centuriques pour s’en tenir à une chronologie « factuelle » fondée presque systématiquement sur les dates figurant sur les pages de titre ou celles correspondant aux activités des libraires ainsi désignés sur les dites pages, suivant en cela l’exemple de Chomarat et de Benazra, à l’exception du cas des éditions Pierre Rigaud 1566 qui sont désormais datées du XVIIIe siècle et qu’encore au XIXe siècle, un Torné Chavigny et un Anatole Lepeltier croyaient authentiques. Cet exemple aurait du rendre prudent mais apparemment on en a fait une exception laissant entendre justement que pour les « autres » éditions centuriques datées des années 1550 ou 1560, on pouvait se fier aux données indiquées et ce même dans le cas de faux.

Il nous apparait que dans le cas de Crespin, le document daté de 1572 que nous avions mis en avant est fort probablement un faux datant du début du règne d’Henri IV. Selon nous tout ouvrage qui comporte des quatrains appartenant tant au premier qu’au second volet ne saurait être antérieur au temps des Bourbons. Dans le cas de l’épître de Chevigny à Larcher (1570) qui comprend un élément du seul premier volet, l’on doit se situer dans le cours des années 1580, et correspondre au moment où l’on publie les œuvres de Dorat. Enfin, reste le cas d’Antoine Couillard. A-t-il vraiment existé une parution en 1555 d’une quelconque préface à César, telle que reprise par le « Seigneur du Pavillon les Lorriz » dont on sait qu’en 1560 il publia des Contreditz aux fausses et abusives prophéties de Nostradamus. Tout comme Crespin, Couillard était ainsi associé au nom de Nostradamus, figurant dans une sorte de bibliothèque nostradamique dans laquelle puisèrent les faussaires de la fin du XVIe siècle. Quand cette préface est apparue en tête des Prophéties ligueuses, dans un premier temps, on aura voulu lui donner un certificat d’authenticité en faisant jouer le dit Couillard avant de trouver une meilleure solution qui consistait carrément à produire une fausse édition datée de 1555. On ne saurait ignorer l’apport du XVIIe siècle à la mise en place du canon centurique à partir de la récupération de documents du siècle précédent. D’une part, il y eut le travail des libraires troyens, notamment de Pierre Du Ruau14, qui collecta énormément de pièces dispersées et de l’autre la traduction de 1672 de Théophilus de Garencières qui restitue un état premier de la Préface centurique à César, bien moins corrompu que les versions qui nous sont parvenues par ailleurs. Rappelons que l’on dispose du texte français d’origine ayant servi à la dite traduction grâce à une édition d’Antoine Besson, libraire lyonnais qui fut en activité dans les années 1690.

Nous avons signalé à plusieurs reprises dans nos études les revirements des faussaires quant à leur réinvention du passé. Reste le cas de Significations pour 1559, largement traité dans notre post-doctorat (cf. le reprint édité par B. Chevignard, Présages de Nostradamus, op. cit) et qui est un cas d’école, tant on peut retrouver les procédés utilisés, dont la récupération de l’Eclipsium de Leovitius, déjà signalé par l’abbé Torné Chavigny, en 1879 (voir la lettre reproduite dans l’édition Chevignard p. 446) mais aussi d’une attaque contre Nostradamus que l’on présente comme une attaque de Nostradamus contre ses adversaires qui s’en prennent à ses Présages Merveilleux . (cf. p. 457 de l’édition Chevignard). : « avec tes pronostiques que tu dis estre merveilleux » , la date de ce qui se présente en fait comme une épitre est le 14 août 1558 alors que celle adressée à Henri II est du 27 juin 1558 (rappelons que l’Epitre authentique au Roi est datée de janvier 1556. On pourrait y voir une épitre jumelle de la fausse épitre à Henri II. Or, c’est dans ces Significations qu’il est fait mention d’une « seconde centurie » (cf. p.455 de l’édition Chevignard) : « comme plus amplement est déclaré à l interprétation de mes Prophéties ». On peut même se demander si ce texte n’avait pas été envisagé précédemment au choix de l’Epitre à Henri II (qui avait pour inconvénient de reprendre une version précédente, en tête des Présages Merveilleux pour 1557, pour introduire le second volet –et si cette seconde centurie ne visait pas celle qui par la suite, au sein de l’ensemble à 10 centuries, deviendrait la centurie IX . Ces Significations auraient donc introduit le second volet avant qu’il ne soit réuni au premier sous le règne d’Henri IV. On aurait gardé quasiment la même date, à quelques semaines près. Ce qui distingue d’ailleurs ce document de ceux produits par le camp de la Ligue, c’est le fait qu’ils utilisèrent une vignette différente de celles des éditions parisiennes et des contrefaçons qui les calquaient, à savoir qu’ils avaient pris modèle sur la « bonne «  vignette, celles des Pronostications de Nostradamus et notamment celle pour 1558 – que nous avons été le premier à retrouver à la Bibliothèque Royale de La Haye (ce dont témoigne Brind’amour, dans son Nostradamus, astrophile). En effet, le libraire est le même, le parisien Guillaume Le Noir si ce n’est qu’alors que, dans les deux cas, la page de titre porte la mention « avec privilège », dans le cas de la Pronostication pour 1558, il y a in finé le texte du privilège (cf. Ed Chevignard, p. 442) et non à la fin des Significations (cf. éd. Chevignard, p. 460). On notera que la lettrine M qui commence la brève épitre à Guillaume de Gadagne, en tête de la Pronostication pour 1558 n’est pas identique à la même lettrine M de l’épitre en tête des Significations., d’autant que le premier mot est le même dans les deux cas, « Monseigneur » Il est assez clair que la dite Pronostication pour 1559 ne s’intéresse pas à Antarès par hasard (cf. Chevignard, p. 451) car cette étoile fixe menace les yeux. Or, rappelons qu’Henri II est mort des suites d’une blessure à l’œil, en 1559. En revanche, l’épître à Henri II ne reprend pas cette prédiction, ce qui tendrait à montrer que la nouvelle épitre ne s’intéressait qu’à des événements plus tardifs.

Signalons certaines similitudes entre les deux épitres datées de 1558, c’est ainsi qu’elles se terminent par la même formule :

A Monseigneur Jacobo Marrasala, evesque de Viviers et Vice légat d’Avignon M. Nostradamus, son humble serviteur envoye salut & félicité

De Salon ce 14. d’Aoust 1558. Faciebat Michael Nostradamus Salonae Petrae Provinciae, 1558 pro anno 1559 & 1560

Et A Henri Second (-…) Michel Nostradamus, son très humble, très obéissant serviteur & subject, victoire & félicité

De Salon ce XXVII. De juing Mil cinq cens cinquante huit. Faciebat Michael Nostradamus Salonae Petrae Provinciae

Il y a toutefois une différence notable :

Dans l’Epitre à l’évêque de Viviers, il est indiqué à la suite  pour quelles années le texte vaut, alors que dans l’Epitre à Henri II, rien n’est précisé. Pourtant dans le cours de l’épître, on a souvent le sentiment que le texte concerne une période donnée. « Et sera au moys d’Octobre que quelque grande translation sera faite » (p. 161, Ed. Chomarat, 2000). On y trouve également des indications de latitude (50 ; 52, 48 pour la lettre à Henri, 37, 38, 39, 40, 41, 42 & 45 degrez » donc plus au Sud pour la lettre à Jacobo Marrasalla.

Le problème de cette Epistre à l’évêque de Viviers est qu’elle n’introduit plus aucun texte. On comprend mal dès lors la formule « prendre en gré le petit présent » alors que l’Epitre à Henri II mentionne « ces trois centuries du restant de mes prophéties » tout en se référant à des «  Offres & présens ». Tout se passe comme si cette épitre avait été détachée du document qu’elle introduisait initialement, vraisemblablement les Centuries VIII-X, ce qui donnerait sens au passage signalé à propos de la « seconde centurie de mes prophéties ». On notera que normalement, seules les Pronostications de Nostradamus portaient une vignette représentant un personnage à sa table de travail. On n’en trouve pas sur ses almanachs, du moins pas pour les années Cinquante. A contrario, ce sont les faux almanachs de Barbe Regnault, au début des années 1560, qui porteront une vignette différente de celle comportant l’écusson « M. de Nostre Dame ». Dans le cas des Significations, la présence de la vignette ne se serait pourtant point imposée, dans la mesure où il ne s’agit pas d’une pronostication annuelle mais sur deux ans. Dans les deux cas, une échéance pour les premières années du XVIIe siècle (1605-1606) est fournie, directement ou indirectement, ce qui fait sens pour des textes appartenant à la fin du XVIe siècle. Cette date coïncide d’ailleurs avec celle de l’Epitre à Henri IV en tête des sixains dans les éditions troyennes.

Nous avons très peu de documents concernant l’historique du second volet. On ne connait ce texte, dans ce qui nous est parvenu pour le XVIe siècle, en tout cas, que des éditions où il est déjà en position de second volet et comporte des Centuries numérotées de VIII à X. Il nous semble très improbable que le second volet, comme on l’appellera par la suite, ait eu ses centuries ainsi présentées, d’autant plus que la stabilisation à 7 centuries fut relativement tardive. Il est par ailleurs assez évident que les dites centuries connurent une certaine circulation sinon à quoi bon les constituer ? On pense notamment au quatrain IX, 86, ce qui correspond à la « seconde » centurie du second volet. Mais ces états n’ont pas été conservés. On ne sait pas davantage si le dit volet parut dès le départ avec l’Epître à Henri Second, laquelle épitre d’ailleurs ne se réfère aux centuries que globalement et avec déjà une référence à la Préface à César du premier volet, ce qui ne fait sens qu’au sein d’un ensemble à deux volets. Qu’on en juge « Dedans l’Epistre que ses (sic) ans passez ay desdiée à mon fils Caesar Nostradamus, j’ay assez appertement déclaré aucuns poincts sans présage ». En fait, nous serions tentés de penser que cette épitre à Henri II n’a été composée que lors de la mise en place d’un volume à dix centuries. Il n’en est pas de même de l’Epitre à Jacobo Marrasala, laquelle, signalons le quand même, ne fait aucune allusion à une Epitre antérieure de peu à Henri II, l’une étant de septembre et l’autre de juin 1558. On peut penser raisonnablement que l’épitre à Marrasala introduisit les centuries ‘anti-ligueuses » et qu’elle fut ensuite remplacée, tout en poursuivant une carrière sous le titre de Significations.

Dès lors, que dire de la formule figurant dans l’Epitre à Henri II ? Nous la reproduisons plus amplement :

« Aviendra l’an 1605, que combien que le terme soit fort long, ce nonobstant les effets de cestuy (an) ne seront gueres dissemblables à celuy d’icelle année (1559), comme plus amplement est declaré à l’interprétation de la seconde centurie de mes Propheties ». La référence est explicitement liée ici à des éditions centuriques parues sous le nom de Prophéties ». On notera que les positions planétaires qui figurent dans l’Epître à Henri II sont celles de l’an 1606 : « mesmes de l’année 1585 & de l’année 1606 à commençant depuis le temps présent qui est le 14 de Mars 1557 ». On relèvera cette mention de l’an 1585 qui correspond selon nous assez bien à la période de la Ligue ; au lendemain de la mort du Duc d’Alençon, dernier fils de Catherine de Médicis, laquelle mort plaçait ipso facto Henri de Navarre, le cousin réformé, en position de « dauphin » d’Henri III. La vignette de l’édition Rigaud (1568) dont nous disions qu’elle comportait sur la page de titre de l’ensemble du volume, des motifs issus de la vignette «  M. de Nostredame » ne se référé-t-elle pas à la vignette des Significations ? On y retrouve les luminaires, les cinq étoiles (probablement les planètes, formant «septénaire » avec le soleil et la lune-, une main, sortant d’un vêtement, tenant une sphère et l’autre un compas. Apparemment, les faussaires, au service du camp Bourbon furent mieux inspirés ou mieux informés que leurs adversaires. Ils optèrent pour la vignette propre aux pronostications de Nostradamus, avec la mention « M. De Nostredame » et non pour celle des faux parisiens. Apparemment, les différences entres les vignettes de l’un et l’autre camp conduisirent à leur abandon et la mise en place d’une nouvelle vignette

Le caractère tardif de la rédaction ultime de l’Epitre à Henri II est attesté par le fait qu’elle se référe explicitement à la Préface à César, ce qui n’est pas le cas de l’Epître à Jacobo Marrasala. Etant donné que cette préface figurait en tête des éditions ligueuses, il est tout à fait improbable que le camp d’Henri IV se soit référé à la dite préface. La référence ne peut donc avoir été introduite que lors de la mise en place d une édition à 10 centuries, au lendemain du couronnement du premier roi Bourbon. Imaginer que ce « second volet » n’ait vu le jour qu’à ce moment là ne ferait guère sens. Le choix de cette Epitre, isssue d’une épitre ayant existé (Présages Merveilleux pour 1557) fut d’ailleurs plus probablement le fruit d’un consensus entre les parties car il est bien moins polémique que certains quatrains qu’il introduit, faisant annoncer par Nostradamus la déconfiture lorraine. Quant à l’origine des Significations de l’éclipse, s’agit –il d’un texte réalisé de toutes pièces pour la circonstance centurique ou bien de la retouche d’un texte réellement paru à cette époque adressé à l’évéque de Viviers, ce point n’a pas été encore éclairci. Nous tendrions à penser qu’’une partie du document est authentique mais que l’emprunt à Leovitius est interpolé, qui créditait Nostradamus d’une allusion à la mort d’Henri II, tout comme le passage (cf supra) – qui est annoncé au titre( « avec une sommaire réponse à ses détracteurs ») emprunté à un adversaire des Présages Merveilleux, lequel ouvrage aura d’ailleurs servi par la suite à réaliser l’Epître à Henri II ; du fait qu’il comporte lui-même une épître adressé à ce souverain. On n’a pas retrouvé le document dont le dit passage est extrait. On sait que Nostradamus à cette époque n’était pas épargné par les attaques, de Laurent Videl à Hercule le François.(cf l’article d’Olivier Millet, « Feux croisés sur Nostradamus », 1986)

JHB

08. 05.11

 

40 - L’enseignement des Grandes et Merveilleuses Prédictions (1588-1590)

 

« comme plus amplement est déclaré à l’interprétation de la seconde centurie de mes Prophéties » (Les significations de l’Eclipse qui sera le 16 septembre 1559 etc., Paris, G. Le Noir)

 

On connait quatre états de cette série qui détonne par rapport aux autres séries, de par le titre qui ne comporte pas le nom de Prophéties, lequel servira pour la confection des premières éditions et qui est à la même époque attesté par les éditions parisiennes. Si l’on classe ces éditions selon le critère des quatrains manquants, puisque sur ces quatre éditions, les bibliographes ont relevé des « absences », qu’il s’agisse de l’édition Rouen Petit Val 1588, Anvers St Jaure 1590 ou Pierre Valentin (cf R. Benazra, RCN, pp. 11-12). Cette série se réfère à une édition d’Avignon, Pierre Roux, 1555, qui n’a pas été retrouvée et qui peut avoir existé du moins en tant que contrefaçon parue dans les années 1580 en parallèle, comme ce fut la coutume pour les éditions parisiennes.

 

Rouen Petit Val 1588 à 349 quatrains : quatrains « manquants » pour arriver à 353 : 44, 45, 46, 47

 

Rouen Valentin : 2,3, 4, 8, 20, 22, 23, 35.

 

Anvers 1590 à 35 quatrains à la centurie VII : 3, 4, 8, 20, 22

 

Plus Rouen 1589 : tronquée.

 

Le cas de cette dernière édition fait problème et a longtemps hypothéqué la recherche nostradamologique, vu que l’on a supposé un peu vite que la centurie VII, absente du volume qui ne nous est pas parvenu dans son intégralité, était à 53 quatrains, ce qui semble hautement improbable.On doit probablement situer cette édition 1589 avec un nombre de quatrains à la VII plus important que l’édition Rouen Valentin laquelle est antérieure, par son contenu, à l’édition Anvers 1590, du fait d’ un plus grande nombre de quatrains manquants. Nous employons ici le terme « manquant », au seul regard du canon centurique tel qu’il se cristallisera par la suite et non par référence à des éditions antérieures qui selon nous n’ont jamais existé sinon du fait du zèle des faussaires. Le contenu de ces éditions qui se référé à 1555 – on ignore si c’est le cas pour l’édition 1589 Rouen puisque l’on n’a pas la mention finale comme pour les autres mais c’est fort probable- ne coïncide pas avec celui des éditions lyonnaises 1555 (Bonhomme) et 1557 (Du Rosne) et c’est déjà en soi ce qui doit interpeller les chercheurs et contribuer à les faire douter de l’authenticité des dites éditions dont la première est 353 quatrains et la seconde à 40 quatrains à la VIIe centurie (pour l’exemplaire Budapest) et 42 quatrains à la VII (pour l’’exemplaire Utrecht)

 

I Une édition méconnue à retrouver d’urgence

 

Le dossier des deux éditions Petit Val est sinistré. Dans un cas, celui de l’édition 1588, celle-ci est actuellement introuvable et dans le cas de l’édition 1589, l’exemplaire qui nous est parvenu est incomplet.

 

La recherche nostradamologique aura été longtemps pénalisée par le fait que Daniel Ruzo n’a pas accordé toute l’importance qu’elle méritait à une pièce de sa très riche collection de « nostradamica », dont il avait déjà la possession, soit par l’original, soit par une reproduction dès les années soixante dix, puisque l’édition espagnole d’origine de son « Testament de Nostradamus » date de 1975.(Trad. française, Ed. du Rocher 1982, parue juste après l’ouvrage de Jean-Charles de Fontbrune, chez le même éditeur). Cela fait donc une bonne trentaine d’années que nous devrions avoir pris toute la mesure de cette édition tout à fait atypique parue en 1588, à Rouen, chez Raphaël du Petit Val.. Et voilà que Ruzo décédé, on ignore dans quelles mains actuellement elle se trouve, à la différence de la plupart des pièces dispersées de la collection Ruzo. Et comme on sait, les absents ont toujours tort et cette édition n’aura donc pas joué le rôle qui lui aurait été naturellement dévolu si Ruzo lui avait conféré toute la place qu’elle méritait et notamment en avait donné à paraitre un fac simile. Or, l’on sait qu’à la place de cette extraordinaire édition va trôner l’édition Macé Bonhomme 1555, retrouvée à Albi et à Vienne (Autriche) dans les années 80, notamment grâce à la persévérance de Robert Benazra., édition que nous pensons sensiblement plus tardive en vérité, en dépit des 33 ans qui les séparent.

 

Non pas que cette édition ne soit pas signalée du tout mais elle l’est insuffisamment et surtout elle n’est pas exploitée ni traitée comme il eut convenu. La page de titre est reproduite par Ruzo mais cela ne va pas plus loin. En 1997, nous avions placée cette édition au cœur d’une communication donnée aux Journées Verdun Saulnier du fait que certains quatrains n’y figuraient pas car ce point avait été bel et bien mis en avant par Ruzo puis par Chomarat et Benazra, tous trois ayant, à tort, conclu que l’on avait supprimé certains quatrains suggérant notamment que cela pouvait être du à des considérations d’imprimeur. Quant à la Préface à César, elle est du 22 juin 1555 et non du Ier mars, ce qui pourrait avoir été une bévue car le Ier mars 1555 serait le Ier mars 1556, selon le style de Pâques alors en usage en cette année là, si tant est que cela soit paru alors, ce que nous contestons en tout état de cause. Rappelons que l’épitre à Henri II est datée du 27 juin 1558.

 

Nous avions été frappés par l’absence du quatrain IV, 46, relatif à Tours et qui donc aurait été rajouté par la suite, si l’on exclut l’idée quelque peu étrange de suppressions de quatrains. « Garde-toi Tours de ta proche ruine » quatrain que l’on trouve de fait dans l’édition Macé Bonhomme 1555. Pour nous, il s’agissait d’un quatrain de circonstance, liée au fait que Tours était devenue la capitale du Royaume, en raison des événements parisiens. Cri de guerre lancé par le parti ligueur.

 

Mais, ce n’est que beaucoup plus récemment que nous primes toute la mesure de cette édition en relisant attentivement ce qu’en écrivit Ruzo et que n’avaient pas repris Chomarat ni Benazra. En effet, Ruzo traite de cette édition à deux reprises. Une fois dans ses « fiches bibliographiques » et une autre fois dans un chapitre intitulé « Les quatrains prophétiques des Centuries dans les éditions d’Avignon et dans leurs reproductions » et c’est là que Ruzo nous apprend, sans y attacher apparemment plus d’importance que cela, vu que pour lui il s’agit d’une « curiosité » qu’il marginalise d’entrée de jeu dans son corpus que « dans l’édition de Raphael du Petit Val, (Rouen 1588), les quatrains ne sont pas séparés en Centuries ». Ruzo ne dit pas si ces quatrains étaient numérotés et de quelle façon.

 

Ruzo ne relève pas non plus que le titre de cette édition n’est pas conforme à son contenu puisque cette édition se veut constituée de « prédictions divisées en quatre centuries ». Nous avons signalé à diverses reprises qu’une grande part des éditions non pas parues mais conservées parmi celles éditées sous la Ligue comportaient des titres non conformes à leur contenu et cela vaut aussi pour toute la série des éditions parisiennes des mêmes années 1588-1589. La raison de ce décalage tient selon nous à une volonté d’écouler des stocks anciens sous une nouvelle présentation extérieure. En cela, ce seraient des éditions pirates empruntant les titres de nouvelles éditions mais nous restituant des contenus plus anciens, ce dont on ne peut d’ailleurs que se féliciter.

 

La prise en compte sérieuse de cette édition (son titre mis à part, par conséquent) conduit à disqualifier les éditions Macé Bonhomme 1555 mais aussi Antoine du Rosne 1557 (Budapest et Utrecht) qui comportent le quatrain IV 46 et une division en centuries sans parler des autres. Il semble que l’on ne soit arrivé à une édition à 4 centuries et à 53 quatrains à la dernière centurie que par la suite et que d’ailleurs ce nombre assez insolite de quatrains par rapport à une division en centuries tienne justement au fait que l’ensemble d’origine n’était ni divisé en centuries ni constitué en quatrains numérotés. Quand on est passé à une division en 4 centuries, comme l’atteste le titre de l’édition de Rouen de 1588, on en profita pour ajouter quelques quatrains supplémentaires, passant ainsi de 349 à 353 quatrains. La centurie IV ayant été ainsi augmentée comme le sera par la suite la centurie VII, et probablement auparavant la centurie VI.

 

On ne peut donc que souligner l’urgence qu’il y a à faire circuler dans les meilleurs délais des copies de l’édition de Rouen 1588. Quelle est la raison de cette absence ? Est-ce que d’aucuns auraient pris conscience de son importance et des effets dévastateurs de sa réédition ? Il est clair qu’il existe là des enjeux commerciaux si cela devait conduire à dévaloriser nombre d’éditions parfois vendues à prix d’or. A moins qu’il ne s’agisse que d’un malheureux concours de circonstance de la part de personnes n’ayant nullement pris la mesure d’un tel ouvrage.

 

II Le cas du quatrain 40 de la VIIe Centurie et l’édition Anvers 1590

 

Ceux qui veulent croire que le numérotage des quatrains centuriques est immuable et a été fixé et déterminé dès l’origine, c'est-à-dire à les entendre dès les années 1550- n’ont apparemment d’autre recours que de parler d’éditions fautives, lacunaires, corrompues. On regrettera que dans les bibliographies nostradamiques, quand on signale des quatrains manquants, on ne souligne pas assez clairement que les centuries concernées n’ont pas la même numérotation car l’on pourrait croire à tort que c’est la même numérotation mais que certains numéros sont manquants. Ce n’est pas le cas.

 

C’est ainsi que l’édition parue à Anvers, chez François de Sainct Jaure, en 1590 – si l’on en croit en tout cas les données de la page de titre- devraient interpeller certains bibliographes du corpus nostradamique. Le quatrain 40- selon le codage en vigueur dans le canon centurique- qui va retenir toute notre attention est numéroté XXXV. Son contenu ne varie guère d’une édition à l’autre, qu’il s’agisse d’éditions «antérieures » ou « postérieures », au vu des dates indiquées au titre, information largement virtuelle.

 

Ce quatrain 35 de l’édition Anvers est le dernier de la dite édition – laquelle se réfère à une édition d’Avignon, 1555, chez Pierre Roux-donc à sept centuries et non à quatre comme Lyon Macé Bonhomme. C’est ce même quatrain, numéroté 40, qui se retrouve à la fin de nombre d’éditions centuriques à sept centuries ou du premier volet d’éditions à dix centuries, du moins celles qui ne comportent pas 42 quatrains (et parfois plus). En cela, un tel quatrain est doté d’une forte lisibilité car nous pensons que les quatrains placés en position finale étaient particulièrement portés à la connaissance du public qui les trouvait facilement quand un commentaire oral circulait comme une sorte de rumeur car nous pensons qu’une tradition orale est inséparable du bon usage des centuries, bien au-delà des commentaires écrits, ce qui expliquerait l’absence de commentaire dans toutes les éditions des années 1580, tant à Rouen, Paris ou justement Anvers..

 

On ignore tout de ce François de Sainct Jaure, comme nous le fait remarquer Gérard Morisse. Mais le fait que cette édition paraisse à Anvers est en soi une information pour la compréhension du quatrain 35 de la centurie VII (ou si l’on préfère 40 selon une dénomination plus tardive). En 1590, Anvers est aux mains des Espagnols, depuis peu, en fait depuis 1585, du fait du blocus du port par un pont de bateaux, qui fut un événement militaire remarquable. On peut penser que si un quatrain avait annoncé un tel dénouement cela aurait contribué singulièrement à la réputation prophétique de Michel Nostradamus. Or, n’’est-ce pas précisément le cas du dernier quatrain, quelle que soit sa numérotation, de la centurie VII qui clôture des éditions qui ne se sont pas encore vu adjoindre un second volet, lequel s’ouvrira par une Epitre à Henri II ?

 

Mais préalablement, il nous faut revenir sur certaines règles exégétiques que certains posent comme incontournables, ce qui est une tentative pour entraver l’approche critique. On nous dit qu’un quatrain est une unité indivisible. Nous pensons, au contraire, que chaque verset est tout à fait susceptible d’être interprété isolément. Dans le Janus Gallicus (1594), la première grande somme exégétique écrite dans le domaine- l’on note que certains quatrains sont associés à plusieurs événements, du fait de tel ou tel verset. Il suffit, en fait, dans bien des cas, d’un seul verset pour faire mouche, pour attirer l’attention. Ensuite, de façon plus laborieuse, d’aucuns peuvent s’évertuer, assez vainement, à confirmer par les autres versets du quatrain concerné. Et en fait, il suffit parfois d’un mot et pas même d’un verset surtout quand il s’agit d’un nom propre (personnage, ville etc.), donné directement ou sous forme d’anagramme. Rappelons aussi que le commentaire passe aussi dans bien des cas par une modification du texte, comme on peut le voir dans la traduction latine des quatrains, dans le Janus Gallicus/ Janus François ouvrage bilingue qui connut d’ailleurs une édition à titre français et une autre à titre latin.

 

Signalons quelques cas avec anagramme : Mendosus pour Vendôme, Norlaris pour Lorraine cage d’or, pour Gabriel d’Orges, (I, 35), Fille de l’Aure (pour fille de Laurent, VI, 100), d’autres directement présentés : Chartres (IX,, 86), Tours (IV, 46), Lorraine, Marquis du Pont –(pour Pont à Mousson) en VII, 24. Il suffira donc parfois de glisser un nom dans un verset pour que celui-ci se dote d’une certaine aura prophétique. Une telle facilité de réalisation ne se concevrait pas s’il fallait composer ou recomposer tout un quatrain.

 

Nous sommes certes conscients qu’il puisse y avoir des abus et que certains critiques pour montrer qu’un quatrain a été constitué après coup, post eventum, tombent dans les mêmes travers que ceux qui tiennent à démontrer que tel événement avait bien été annoncé, longtemps à l’avance, dans tel quatrain. Mais nous pensons que lorsque le quatrain en question a été ajouté, interpolé, par rapport à des éditions antérieures (comme dans IV, 46 qui ne figure pas dans l’édition Rouen Petit Val 1588) ou figure à la fin d’une centurie, ou encore a été modifié par rapport à sa source (comme dans IX, 86, où Chastres a été changé en Chartres, en l’honneur du couronnement d’Henri IV) on est bien en présence d’une addition. Ce procédé est également attesté dans les sixains avec Biron qui devient Robin par exemple.

 

Mais (re)venons en à notre quatrain VII, 35 (alias VII, 40) tel qu’on le trouve dans l’édition d’Anvers, 1590 des Grandes et Merveilleuses Prédictions. Rappelons que l’édition de Rouen, 1589, Petit Val (dont nous avons copie) qui porte le même nom nous est parvenue incomplète et que nous ne disposons pas de la centurie VII. :

 

Dedans tonneaux hors oingts d’huile & gresse

 

Seront vingt-un devant le port fermez

 

Au second guet par mort feront proüesse

 

Gaigner les portes & du guet assommez

 

Le cas est remarquable en ce que le lieu même de l’édition constitue une clef, au point que l’on peut se demander si cette édition est bien parue à Anvers. Voilà donc le dernier quatrain d’une édition d’Anvers, dont le nom même d’ailleurs en français est tout un programme car cela renvoie à l’envers, comporte le mot « port » suivi du mot « fermez ». Or tel fut bien le sort de cette ville portuaire appartenant aux Provinces Unies que de se voir fermer l’accès par les Espagnols, ce qui permit à terme à ces derniers à obtenir la capitulation des assiégés, en 1585.

 

Rappelons le récit du siège d’Anvers ( source ‘wikipedia)

 

« Le marquis de Roubaix commence les opérations en emportant d'emblée un des forts qui défendaient la place. Il est chargé de veiller à la construction d'un pont de 730 m de long sur l'Escaut pour fermer la rivière et couper tout secours aux assiégés depuis la mer, et on lui donne le commandement de plusieurs bâtiments armés pour protéger les travaux. L'entreprise paraissait à tous impossible; les assiégés surtout s'en moquaient hautement; mais de Roubaix, qui avait dans l'armée une autorité égale à sa brillante réputation, justifie le choix du prince. Jour et nuit en action, il porte son attention partout, et donne des preuves les plus éclatantes de ses capacités militaires et de sa bravoure. Bientôt le dépôt des provisions nécessaires à la construction du pont devient assez considérable pour faire espérer de voir cet important ouvrage promptement achevé. »

 

Mais le second verset de ce quatrain va plus loin : si l’on prend la première partie du dit verset : Seront vingt-un devant », on trouve, nous apparaît-il, le nom de la ville d’Anvers….à l’envers.

 

Seront vingt …. cela correspond à l’anagramme d’Anvers : ser…..vin donnant « invers » ou encore « devant » donnant « anv ».

 

A noter que l’édition Benoist Rigaud 1568 (reprint Ed. Michel Chomarat, 2000) rend ce quatrain de façon défectueuse : Seront vingt un devant le pott (sic) fermés

 

Il ne semble pas que ce quatrain probablement né avec l’édition d’Anvers n’ait jamais été signalé sous cet angle par les exégètes ou par les historiens de la question. Un tel événement ne fait évidemment sens que sur le moment, c’est ce qui rend la lecture des centuries si ingrate, du fait que dans bien des cas on ignore le contexte auquel il est référé. Bien des quatrains, par eux-mêmes, d’ailleurs ne font guère sens, d’une part parce que l’unité de sens- sémantème - est le verset et de l’autre parce que les interpolations tendent à brouiller la structure du dit quatrain si tant est qu’il en ait eu une au départ.

 

Le duc François d’Alençon (puis d’Anjou), devenu Duc de Brabant, dernier fils de Catherine de Médicis, avait tenté, peu auparavant, sans succès, de s’emparer d’Anvers, début 1583. Il décéderait l’année suivante, ouvrant une crise dynastique qui débouchera sur les troubles qui furent le contexte de l’émergence des Centuries et du revival nostradamique. Il semble d’ailleurs que la littérature néo- nostradamique (celle des Nostradamus le Jeune etc) ait pris le parti de ce jeune duc qui souhaitait plus de liberté pour les Réformés.(ce qui conduira à la « Paix de Monsieur »)

 

Nous avons présenté (cf. supra) l’édition Valentin comme du moins par son contenu antérieur à celui de l’édition Anvers St Jaure. Cette édition comporte bel et bien le quatrain « anversois » et d’ailleurs elle se termine par celui-ci. (cf. Benazra, RCN, pp 194-195). On ne peut d’ailleurs exclure que l’édition Rouen Petit Val 1589 ne comporte elle aussi le dit quatrain puisque cette édition nous est parvenue matériellement incomplète.(cf. Benazra, RCN, p. 125). Etant donné le lien que nous avons jugé bon de mettre en évidence entre VII, 40 et Anvers, nous serions tentés de considérer que ce quatrain serait « né » dans cette ville, et aurait fait l’objet d’une édition antérieure d’une année, laquelle édition aurait été reprise à Rouen. L’explication la plus probable, en effet, nous semble être la suivante : un libraire anversois – St Jaure ou un autre- aurait souhaité accommoder les centuries à l’actualité locale en ajoutant le dit quatrain. Rappelons en effet, que le décalage est considérable entre les éditions parisiennes qui nous sont parvenues et les éditions du groupe étudié ici. En effet, les éditions parisiennes ne comportent ni les derniers quatrains de la centurie VI , ni aucun des quatrains de la centurie VII, du moins au regard du « canon » centurique.(cf Benazra, RCN, pp.118 et seq). En revanche, les éditions du Rosne 1557 intitulées Prophéties comme les éditions parisiennes comportent bel et bien les sept centuries au complet, si ce n’est en ce qui concerne le cas de VI, 100 qui fait également défaut dans Anvers 1590. Mais les dites éditions Du Rosne sont redevables également aux Grandes et Merveilleuses Prédictions du fait de la forme fautive, au titre, « dont il en y a » qui est reprise. En fait, en ce qui concerne le contenu des éditions du Rosne 1557, il est postérieur à celui d’Anvers 1590. Ainsi, le décalage entre Paris 1589 et Anvers 1590 est-il considérable, ce qui nous conduit à penser que le quatrain VII 40, qui n’est en fait que VII 35 pour Anvers II et VII 32 pour ce que l’on peut appeler Anvers I, est la marque de fabrique des libraires ayant publié la centurie VII, laquelle centurie est additionnelle si l’on admet qu’il a du exister une édition intermédiaire à six centuries se terminant par le quatrain VI 100 manquant et par l’avertissement latin. En supprimant l’avertissement latin, les éditions anversoises ont voulu occulter le caractère additionnel de la centurie VII, lequel est d’ailleurs attesté au titre des éditions parisiennes qui signalent une addition de 38/39 «articles » à la « dernière centurie » et pour faire bonne mesure elles ont prétendu que l’ensemble était repris tel quel d’une édition Avignon Pierre Roux 1555, stratagème qui sera lui-même dupliqué avec l’édition Macé Bonhomme 1555 si ce n’est que cette dernière ne sera qu’à 353 quatrains et non à sept centuries comme la dite édition Avignon, non retrouvée, au demeurant. Mais l’édition Du Rosne 1557 (Budapest) permet de parvenir aux dites sept centuries, sur le modèle anversois, avec addition de 4 quatrains supplémentaires, tout en maintenant le quatrain « anversois » en position finale pour laisser croire qu’aucun changement n’est intervenu.

 

En conclusion, nous soulignerons que le groupe Petit Val- St Jaure- Valentin aura été largement sous exploité, ce qui aura faussé certaines perspectives. C’est ainsi que la plupart des nostradamologues n’ont jamais eu l’occasion de prendre connaissance de ces éditions, dont toutes sauf une appartiennent à la collection Ruzo – et on ne les a pas récemment localisées en ce qui concerne Petit Val 1588 et Valentin (1611 ?), même si celui-ci en a donné quelque description sommaire, reprise notamment par R. Benazra, dans son Répertoire Chronologique Nostradamique. La seule qui se trouve accessible dans une bibliothèque publique est celle d’Anvers 1590, à savoir la Bibliothèque de l’Arsenal à Paris. Mais étrangement, l’on constate que cet exemplaire n’avait pas, jusqu’à ce jour, été reproduit par Mario Gregorio sur son site propheties.it car celui-ci n’en disposait pas. Le cas de la centurie VII est particulièrement concerné par le sort de ce groupe en ce que l’édition1589 Petit Val est tronquée, R. Benazra, dans sa description, ne laisse aucunement entendre (RCN, p. 125) que cet exemplaire pourrait comporter une centurie VII ne comportant pas 40 quatrains alors que l’édition d’Anvers 1590 est dans ce cas (35 quatrains à la VII), sous le même titre. C’est aussi la seule qui comporte in fine une référence à 1555.(Pierre Roux, Avignon). Si les nostradamologues français, R. Benazra, P. Guinard et nous-mêmes avons eu accès à l’édition Anvers 1590, conservée à Paris, il semble que cette édition soit demeurée étrangère aux chercheurs étrangers puisque Gregorio ne la mentionne pas, à la fin de 2011, parmi les documents disponibles pour des recherches comparatives. Le cas de l’édition Valentin (Musée Nostradamus, Salon de Provence) est encore compliqué par le fait que les récentes bibliographies la situent au XVIIe siècle, 1611 selon Chomarat etc. 1630 selon Benazra alors que son contenu et même son titre et son lieu d’édition la situent bien, du moins en ce qui concerne son modèle, à la fin du XVIe siècle, Benazra (suivant Ruzo) notant les particularités de la centurie VII.. « Il manque les quatrains 2, 3, 4, 8, 20, 22, 23, 35 et la centurie se termine par le quatrain n°40 »

 

Nous constatons, au cours des trente dernières années (1982-2012) une surreprésentation (divers reprints 1555, 1557, 1568) des éditions portant le titre « Prophéties » 1555, 1557, 1568 qui, selon nous, sont toutes antidatées et une sous représentation des éditions ne portant pas le titre « Prophéties » mais « Prédictions » : 1588-1589-1590- et Valentin.( jouxte la copie imprimée en Avignon 1611, selon Chomarat n)173). Benazra ne mentionne pas, quant à lui, 1611 au titre. Autrement dit, un grand nombre de chercheurs dans ce domaine n’ont jamais eu l’occasion d’examiner la centurie VII de ces éditions, sans parler du cas de l’édition non « centurisée » (malgré son titre) de 1588, qui ne parvient pas à 353 quatrains. Nul doute qu’un tel déséquilibre de la documentation disponible et accessible, aura empêché l’information liée à ce groupe d’éditions de jouer pleinement son rôle à savoir de confirmer l’enseignement des éditions parisiennes, c'est-à-dire que sous la Ligue les Centuries étaient encore en chantier et qu’il est abusif de parler de « quatrains manquants » par référence à des éditions antidatées et en réalité plus tardives. On a là affaire à une sorte d’artefact bibliographique dont il conviendrait d’apprécier le caractère aléatoire ou intentionnel.

 

III De l’enjeu initial des Grandes et Merveilleuses Prédictions

 

Nous montrerons que l’on a voulu cantonner un Nostradamus fictif dans le rôle d’auteur de quatrains alors qu’initialement c’était plutôt l’image d’un commentateur de quatrains qui avait été mise en avant comme il ressort d’une relecture de la Préface à César.

 

Dans de précédentes études, nous avons montré les variantes concernant le début de la Préface à César (cf. Notre récente parution papier dans la Revue Française d’Histoire du Livre, fin

2011). Cette fois, nous nous attellerons aux variantes propres à la fin du dit texte.

Une des variantes les plus remarquables concerne l’édition 1557 Antoine du Rosne (Bibl Budapest), dont R. Benazra puis G.Morisse ont successivement introduit un reprint.

La version de la Préface diffère dans cette édition des autres versions connues. Il y manque plusieurs lignes importantes que nous reproduisons :

«nonobstant que sous nuée seront comprinses les intelligences sed quando sub movenda erit ignorantia, le cas sera plus esclarci. Faisant fin mon filz prends donc ce don de ton père M. Nostradamus esperant toy declarer une chascune prophetie de quatrains ici mis »

Ce passage figure en revanche dans 1557 Du Rosne (Bib. Utrecht).

Que trouve-t-on chez Besson (c 1691) et dans la traduction anglaise de Garencières (1672) ?

1672 « although the explication be involved in obscurity, sed quando sub movenda erit ignorantia the case shall be made more clear :making an end here, my Son, accept of this Gift of thy Father, Michael Nostradamus hoping to expound to thee every Prophecy of these Stanza’s »

Besson “ quoy que sous paroles obnubilees. Mais telles aventures seront éclaircies par leur infelice avenement au temps prefix. Prens donc, mon fils, Cesar, ce don de ton progéniteur Michel Nostradamus esperant à toy déclarer une chacune des Propheties & quatrains cy mis »

On note que la version Besson comporte un passage absent de la version Garencières :

« par leur infelice avenement au temps prefix »

Mais en fait, l’’expression ‘prefix’figure juste avant dans le texte de la Préface :

« limiting the places, times and prefix terms that men coming after may see and know that those accidents are certainly come to pass as we have marked in other places, speaking more clearly »

Le même passage est ainsi présent chez Besson:

« limitant les lieux, climats, régions & citez », le reste étant en quelque sorte reporté dans le paragraphe suivant (cf. supra) :

‘ seront éclaircies par leur infélice avenement au temps prefix »

Si l’on remonte encore un peu plus haut, on note que la version Besson ne dit pas « aux miennes autres propheties qui sont composées » mais seulement ‘aux miennes propheties qui sont composées ». Cet ‘autres » est important car cela renvoie à un autre ensemble que celui qui est ainsi introduit.

Dans le texte Besson, c’est l’avenir – un avenir inquiétant - qui viendra confirmer les présentes prophéties. Dans les autres versions, d’autres prophéties sont en attente mais déjà prêtes ‘(« qui sont composées ») lesquelles viendront compléter et éclairer celles qui sont présentement introduites.

On relèvera la variante Besson :

« declarer une chacune des Propheties & Quatrains cy mis »

Au lieu de

« chacune prophetie des quatrains icy mis »

Ce qui revient, dans le second cas, à une formule assez étrange.

AA

Pourquoi la version Budapest comporte-t-elle donc une telle lacune ? On y note l’absence du mot « don », ce qui selon nous fait écho au « mémoire » du début de l’Epitre. On a bien affaire à un document et non à quelque appel à se souvenir (sur le mot « mémoire » cf. la lecture de Brind’amour, Droz, 1996) 996)

Nous retiendrons avant tout de nos remarques la question des « autres propheties » et du renvoi à des textes à venir, dans les versions autres que Besson. Ces textes à venir le seront « ‘in soluta oratione », c'est-à-dire en prose, par opposition à en vers. (cf le « Recueil de présages prosaïques, en partie édité par B. Chevignard, Seuil 1999». Mais dans la version Besson ne figure pas la précision relative à la prose :

« aux miennes prophéties qui sont composées tout au long, limitant les lieux »

On pourrait se demander si « composées » n’implique pas « in soluta oratione ». Il y aurait là une lacune du texte Besson mais ce n’est pas vraiment concluant.

Ce qui est clair, c’est que dans la plupart des versions, il est explicitement indiqué que d’autres textes en prose seront mis à terme à la disposition du public. Seule la version Besson ignore un tel scénario et n’annonce aucun texte à venir, sous quelque forme que ce soit.

Il nous semble assez improbable que Besson ait supprimé « autres » dans « miennes autres prophéties » alors que c’est un procédé assez courant chez ceux qui ont l’intention de procéder à des additions (cf la fin du Discours sur la vie de Nostradamus en tête du Janus Gallicus ou la lettre de Chevigny à Larcher (Androgyn de Dorat).

Faut-il conclure que ce nouvel état de la Préface- le premier, ici, étant celui de la version Besson (la version anglaise étant marquée ici par le dit nouvel état)- prévoyait une suite en prose ? Dans ce cas, une telle suite ne nous est pas connue. On peut trouver une allusion à un tel document dans les Significations de l’éclipse 1559, à propos d’un commentaire de la « seconde centurie » (cf notre exergue). Nous citerons P. Brind’amour ( Les premières centuries, Droz 1996, p.42) - qui ne signale pas que c’est nous qui lui avions indiqué cette mention- :

« Ce paragraphe révèle l’existence de prophéties en prose (.) Cet ouvrage est aujourd’hui perdu ». Il ne s’agit évidemment pas ici des textes en prose des almanachs et des pronostications, conservés dans le Recueil des Présages Prosaïques, mais d’un commentaire que Nostradamus aurait fait de ses quatrains « centuriques ». Pour nous, il est clair qu’une telle référence ne saurait être véritablement attribuée à Nostradamus.

Mais quand on lit dans la version Besson « comme plus plein ay redigé par escrit aux miennes Prophéties qui sont composées », cela ne renvoie pas pour autant au document introduit par la préface à César. On notera la formule redondante : « rédigé par escrit ».

Par la suite, le texte de la Préface (Besson) aurait été remanié pour laisser la place à la prose, comme si l’on s’était aperçu que ces quatrains ne se suffisaient pas à eux-mêmes. Le «don » en question, ce sont bien les quatrains mais « Nostradamus » promet à son fils qu’il lui en donnera – à lui personnellement - l’explication non pas qu’il publiera celle-ci : « espérant à toy declarer une chacune des Prophéties & quatrains cy mis ». Mais en fait n’est-ce pas toute l’épitre qui est censée être un document privé- une sorte de testament spirituel - ainsi divulgué, ce qui lui confère implicitement un caractère posthume ?

L’expression « ay rédigé aux miennes prophéties »semble lacunaire : il semble manquer le mot « commentaire » (ou tout terme équivalent), ce qui donnerait plus correctement : « ay rédigé [ déclarations] par escrit aux miennes prophéties, qui sont composées tout au long », le passage « qui sont composées » ne saurait selon nous correspondre à « prophéties » puisque l’on nous parle d’un texte composé ‘tout au long », ce qui renvoie aux quatrains ni aux prophéties.

Brind’amour n’a pas hésité à traduire par « dans mes autres propheties » (p. 42), ce qui permettait d’éviter la question des commentaires en prose que lui-même avait pourtant évoquée. Tout se passe comme si l’on avait fini par renoncer à un commentaire en prose et que l’on avait voulu laisser croire que d’autres centuries viendraient éclaircir les premières, d’où la forme « miennes autres prophéties ». Or, le commentaire en prose n’est pas en soi une prophétie. Une prophétie n’est pas un commentaire d’une prophétie. C’est bien la prose qui est censé venir compléter le quatrain, sous la forme, si l’on en croit le passage des Significations de l’Eclipse 1559 (qui est selon nous une contrefaçon antidatée) d’un travail centurie par centurie, ce qui ne correspond pas au Janus Gallicus qui lui ne respecte aucunement la division en centuries dans son commentaire mais étudie des séries dépareillées de quatrains, qu’il a alignées à sa guise.

On notera l’archaïsme chez Besson « ay rédigé », alors que les autres versions donnent « j’ay rédigé ». Il est étrange que cette version qui ne nous est connue que dans une édition de 1691 comporte une forme plus ancienne – sans pronom personnel - que toutes les autres versions connues de la Préface à César. Cela vient accréditer notre thèse du caractère premier de la version Besson et l’on pourrait donner d’autres exemples du même type. Cependant, l’on trouve dans d’autres passages de la version Besson « j’ay » comme si l’on n’était pas parvenu à évacuer tous les archaïsmes.Un cas remarquable est la forme « de mest hui » que l’on trouve chez Besson et qui est rendue dans toutes les autres versions, avec des variantes orthographiques, par « à cette heure », « asture » :

 

Besson : « Viens donc de mesthui, mon fils César entendre que je trouve par mes revolues calcultions etc ». Une expression absolument inusitée à la fin du XVIIe siècle ! Brind’amour n’a pas inclus Besson dans ses références.

 

Or, la version Besson nous apparait comme une pièce incontournable pour toute édition critique de la Préface à César. La version anglaise de 1672 aussi intéressante soit-elle ne nous permet pas notamment d’étudier les différences linguistiques entre les versions. Rappelons qu’elle est considérablement marquée par l’Eclaircissement des véritables quatrains de Jean Giffré de Réchac alias de Sainte Marie (1656), dans son introduction (Apologie) et dans une partie importante de ses commentaires.(cf notre post- doctorat, EPHE 2007)

Nous avons montré, ailleurs, l’usage que l’on pouvait faire des titres des diverses éditions en les découplant de leur contenu lequel ne correspondait pas toujours. C’est probablement encore le cas pour les Grandes et Merveilleuses Prédictions, auxquelles Daniel Ruzo s’était intéressé ( Testament de Nostradamus, Rocher, 1982).

Si nous étudions de près le sous- titre de cette série –qui serait avignonnaise si l’on en croit la mention in fine de l’édition Anvers Sainct Jaure 1590, et de 1555, nous trouvons un écho à certain passage de la Préface à César : « esquelles se voit représentée une partie de ce qui se passe en ce temps tant en France, Espaigne, Angleterre, que autres parties du monde ». Reconnaissons que si certains quatrains mentionnent tel ou tel nom de pays, on ne trouve dans les «Prophéties » en général et dans les Grandes et Merveilleuses Prédictions telles qu’elles nous sont parvenues, en particulier, aucune présentation correspondant au dit titre.

Or, revenons sur la Préface à César et sur ce qui y est annoncé au niveau des écrits : « aux miennes (autres) prophéties qui sont composées tout au long, in soluta oratione, limitant les lieux, temps & le terme prefixé ». Nous avons dit plus haut qu’il manquait un mot : ce ne sont pas des prophéties dont il s’agit mais d’une interprétation, d’une série de « prédictions », d’une « déclaration » à leur sujet (terme utilisé dans les almanachs pour introduire le commentaire de chaque mois, cf. Almanach de Nostradamus pour 1557) - « comme plus amplement est déclaré à l’interprétation de la seconde centurie de mes Propheties » (cf notre exergue sur le mot déclaré).

La formule « limitant les lieux, temps » nous semble bel et bien faire écho au sous-titre : « esquelles se voit représentée une partie de ce qui se passe en ce temps tant en France, Espaigne, Angleterre, que autres parties du monde ». Un autre passage, déjà cité, de la Préface va dans le même sens : « limitant les lieux, climats, régions & citez »,

Selon nous, ce titre devait recouvrir un texte en prose, éventuellement mentionnant les quatrains mais plus probablement à lire en s’accompagnant d’une édition des Prophéties, constituant ainsi un binôme, formule que l’on retrouvera au XVIIe siècle, avec les commentaires faisant suite aux quatrains, en une sorte de second volet. La notion même de « second volet » pourrait faire écho à un tel binôme et non pas, comme par la suite, désigner une nouvelle série de quatrains comme une interpolation. (« aux miennes autres prophéties ») semble l’indiquer, dans une Préface à César retouchée (par rapport à la version Besson). En recyclant ce titre, l’on évitait de se poser trop de questions sur un ouvrage qui n’était plus en circulation, pour quelque raison, y compris du fait que son contenu n’avait peut-être pas été vraiment confirmé par les événements. Mais l’existence de deux titres pour désigner un même contenu aurait du faire problème.

L’idée était de laisser entendre que Nostradamus aurait commenté ses propres quatrains voire qu’il aurait commenté des quatrains dont il n’aurait pas été nécessairement l’auteur, puisqu’il est présenté parfois comme bibliophile (on connait d’ailleurs le contenu de sa bibliothèque, cf. Musée Nostradamus, à Salon de Provence, pour certaines pièces) comme en témoigne cette publication rouennaise posthume datée de 1568 (cf. Benazra, RCN, pp 90-91) : « Prédictions pour vint ans (..) extraictes de divers auteurs trouvée dans la Bibliothèque de nostre defunct dernier décédé Maistre Michel de Nostredame (…) par Mi. De Nostradamus le jeune (chez Pierre Brenouzer). On notera que cette édition est rouennaise comme le sont les Grandes et Merveilleuses Prédictions.

Ce faisant, on comprendrait mieux que le contenu des quatrains, leur origine, ne serait pas déterminant, qu’il pouvait s’agir de textes existant mis en rimes, éventuellement de chroniques anciennes, l’important étant le commentaire qu’on en tirait.

Les « Prédictions » auraient donc désigné le commentaire greffé sur les « Prophéties » et auraient été organisées en centuries pour suivre précisément l’agencement des dites Prophéties. Du coup, l’intitulé –on ne parle pas du contenu actuel -de 1588 (Rouen, R. du Petitval), Les Grandes et Merveilleuses Predictions de M. Michel Nostradamus divisées en quatre centuries (exemplaire non reproduit et non localisé, mais appartenant à l’ancienne collection Ruzo) ne correspondait pas initialement aux seuls quatrains mais bien à un commentaire des quatre premières centuries, lui-même logiquement articulé en quatre parties et probablement organisé pays par pays, comme cela se pratiquait..

Signalons certains détails du sous titre des trois éditions successives du Janus Gallicus, parues lors de l’avénement d’Henri IV (cf RCN, pp.130-143)

1594 La première face du Janus François (…) extraicte et colligée des Centuries et autres commentaires de M. Michel Nostradamus (…) le tout fait en françois et latin (..) par Jean Aimes de Chavigny,

1594 Iani Gallici facies prior (…) ex decantatissimis illis tetrastrichis quae Michael Nostradamus iam olim Gallice in lucem edidit –(…) latine redditus. (..) explictus per Io. Amatum Chavigneum

1596 Commentaires du Sgr de Chavigny sur les Centuries et Prognostications de feu M. Michel de Nostradamus (…) contenant sommairement les troubles , divisions, partialitez & guerres civiles advenues tant en ce royaume de France qu’ailleurs depuis l’an 1534 iusques à présent.

Le premier document (Lyon)- bilingue- nous semble le plus significatif, il y est question des « commentaires » de Nostradamus, ce qui fait écho à l’idée selon laquelle Nostradamus lui-même aurait comment « ses » quatrains. Le deuxième document (Lyon) –bilingue- ne mentionne plus les « commentaires » mais seulement les quatrains (et non les centuries). Enfin, le troisième document, uniquement en français cette fois, paru à Paris, annonce les « Commentaires » de Chavigny, cette fois et non plus de Nostradamus et n’attribue à Nostradamus que les centuries et les prognostications sans mentionner ses commentaires. C’est Chavigny qui se voit attribuer ceux-ci désormais. Tout se passe comme si l’image d’un Nostradamus commentateur avait été rejetée, et comme si son rôle devait se tenir à la seule production de quatrains, voués aux commentaires d’autrui. On ne connaitra aucun commentaire de Nostradamus sur le moindre quatrain. Convient-il dès lors de considérer que les « commentaires » du Janus François, dans la version portant le titre français, seraient en partie supposés empruntés à ceux attribués à Nostradamus lui-même ? Dans un deuxième temps, c’est Chavigny lui-même qui se voit attribuer l’ensemble des commentaires des quatrains. Réchac, quant à lui, en 1656, proposera un « Eclaircissement des véritables quatrains » (1656)

Citons encore ce binôme centuries- commentaire en 1620 ; Petit Discours ou Commentaire sur les Centuries de Maistre Michel Nostradamus » (RCN, p. 182) qui dépossède Nostradamus au regard du Commentaire en prose et le cantonne dans les quatrains. On est donc là confronté à une contrefaçon dans la contrefaçon puisque l’on refusera désormais l’image d’un Nostradamus commentateur des quatrains alors même que le commentaire aurait pu prévaloir sur les quatrains dans un premier temps.

Les éditions du XVIIe siècle n’en reprendront pas moins le sous titre des Grandes et Merveilleuses Prédictions en laissant entendre que les centuries nous renseignent sur les événements du monde alors que pour cela, selon nous, elles ont besoin du commentaire de Nostradamus, d’où une tradition qui se prolongera notamment jusqu’à l’abbé Torné, au XIXe siècle, qui tend à considérer comme « prophete » non pas tant l’auteur des quatrains mais leur interprète.

JHB

 

31. 01. 12


 

 

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