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Researches 51-60
 
51 - La première biographie de Nostradamus.
 
52 - Des Centuries au Splendor Solis. Exposé d’une nouvelle méthodologie bibliographique
 
53 - Géographie politique et bibliographie centurique. De la Journées des Barricades à l’Edit d’Union.
 
54 - La dimension emblématique de Nostradamus
 
55 - Une vraie fausse préface à César
 
56 - Le cas des “Propheties de Nostradamus”
 
57 - Du nouveau sur l’origine des éditions 1568 Benoist Rigaud
 
58 - La Déclaration de Videl comme source de la Préface à César
 
59 - L’apport des « Epistres Liminaires » de Nostradamus à la Préface à César
 
60 - La guerre des éditions centuriques (1649- 1716)
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 

 

 

Researches 51-60

 


51 - La première biographie de Nostradamus.
par Jacques Halbronn


A examiner le corpus centurique, on a parfois l'impression que Nostradamus n'est jamais mort. C'est ainsi que les éditions datées de 1568 n'indiquent aucunement qu'il est décédé deux ans plus tôt et on y trouve aucun développement nécrologique. Nous pensons que cela tient au fait que ces éditions n'étaient en fait que des rééditions d'une édition censée parue du vivant de Nostradamus, laquelle édition ne nous a pas été conservée. Elle devait constituer très vraisemblablement le second volet de l'édition censée parue à Lyon, chez Antoine du Rosne et dont la Bibliothèque de l'Université d'Utrecht n'a conservé que le premier volet daté de 1557.
Le probléme, c'est que si le second volet paraissait alors, il contenait l'Epitre à Henri II datée de 1558. Comment se fait-il dans ce cas que l'édition de 1557 du premier volet annonce déjà le second volet en son titre? Il y a là une évidente maladresse de la part des faussaires préposées à l'antidatation. En effet, si l'on compare les exemplaires des bibliothèques de Budapest et d'Utrecht, on note que le titre diffère en ce que dans le second cas, l'on annonce un supplément qui correspond en fait au second volet. C'est d'ailleurs la même page de titre que celle des rééditions datées de 1568. Pour ceux qui contestent l'existence d'une édition du second volet datée d'avant la mort de Nostradamus - mais rappelons qu'il s'agit là de chronologie fictives- il faudrait donc qu'ils nous expliquent l'absence de mention de la mort de Nostradamus en 1566 et la signification de la mention au titre de l'exemplaire d'Utrecht.
En fait, il aura fallu attendre 1594 et le Janus Gallicus pour que le lecteur des Centuries se voit présenter une vie de Nostradamus. En revanche, si l'on sort de la production propre au canon centurique, l'on trouve à la mort de Nostradamus des textes qui la signalent bel et bien.(cf Benazra, RCN, p. 90).
C'est d'ailleurs dans un document sans aucune référence aux Centuries que l'on trouve la première esquisse, à notre connaissance, d'une biographie mais ce document ne nous est connu qu'en allemand et est dû à l'auteur d'une épitre à Chrétienne de Danemark.( 1521-1590)[1] donc rien à voir avec la fameuse Christine de Suéde
En 1572 – mais une réédition date de 1589 (Augsbourg, Georgen Willer, (imprimé par Michael Manger), 1589)- était ainsi paru un Michaelis Nostradami (…) philosophi, astrologi und Medici (…) Zwey Bücher (…) erstlich in franzosischer Sprach (…) beschrieben . Nun aber (…) in das gemein Teutsch (..) verdolmetscht durch Hieremiam Martium »
C’est la traduction en allemand (cf. exemplaire de la Maison Nostradamus, en ligne, sur e-corpus.org) par Hieremias Mertz d’un ouvrage reparu en cette même année 1572 à Lyon chez Benoist Rigaud, l’Excellent et très utile opuscule (..) de plusieurs receptes divisé en deux parties » antérieurement paru (s.d.) à Poitiers (cote Arsenal 8°S 2591 ) on en connait une édition datant de 1555, à Lyon, chez Antoine Volant (Cote Arsenal 8° S 2590) et une autre chez Olivier d’Harsy en 1556 (Cote Arsenal 8° S 2592) dont le successeur Antoine de Harsy publiera Dariot, dans les années 1580. On notera que la succession des éditions de l’ Opuscule a pu inspirer la fausse chronologie des Centuries pour les années 1550 : on retrouve 1555 mais aussi 1556, car Olivier de Harsy, selon P Guinard, aurait été crédité d’une édition à 7 centuries, reprise, toujours selon cette fiction, par Antoine du Rosne en 1557. [1]
Il s’agit, avec cette épitre, d’après ce que nous connaissons, du tout premier essai biographique, certes fort insuffisant [2]– on trouve d’ailleurs dans le corps de l’Opuscule des données (autobiographiques) - fournies par Nostradamus lui-même (dès 1552, date de la première parution)- au sujet de Michel de Nostredame, mort en 1566, plus de vingt ans avant le « Brief Discours de la Vie de Nostradamus », placé en tête du Janus Gallicus de 1594. Ce point ne semble pas été signalé par les bibliographes et biographes du dossier Nostradamus (cf. notamment la présentation du fac simile de l’édition Volant 1555 par M. Chomarat, Lyon, 2008 et P. Guinard, Corpus Nostradamus n°9), probablement du fait de la méconnaissance de l’allemand . Nous avions pourtant signalé ce point dès 2003 « Contribution aux recherches biographiques sur Michel de Nostredame, Analyse 16 sur le site de ramkat.free.fr). Cette épitre mériterait d’être traduite d’allemand en français car elle fait partie intégrante de la documentation relative à Nostradamus.. Cela vient confirmer le fait que la gloire de Nostradamus, avant les années 1580, était fondée sur des activités proprement astrologiques mais aussi médicales impliquant des préparations. Il semble que ce soit un certain art de préparer des produits – dans le cas de Nostradamus, des fardements, des parfums, (première partie) des confitures (seconde partie), qui ait fait la réputation des médecins français, à la fin du XVIe siècle et au delà, notamment en pays d’expression allemande. On pense à un Claude Dariot dont les Discours sur la préparation des médicaments furent traduits en allemand au début du XVIIe siècle.(1614)
Il est remarquable que les bibliographes de Nostradamus comme Chomarat et Benazra n'aient pas signalé le contenu biographique de cette édition allemande. On se demandera pourquoi les éditions françaises datées de 1572 du même ouvrage ne mentionnent pas la mort de Nostradamus en leur titre. Cela tient encore une fois au fait que ce ne sont là que des rééditions- mais cette fois c'est véridique- d'ouvrages parus du vivant de Nostradamus. On y trouve d'ailleurs une épitre de Nostradamus.
La question qui reste posée est celle de l'origine des informations biographiques contenues dans l'Epître à Chrétienne de Danemark. Il se pourrait bien qu'elles émanent d'un document en français qui se serait perdu. Cela pose aussi la question de la genése du Discours sur la Vie de Nostradamus qui figure en tête du Janus Gallicus (1594) et dont on ne connait pas d'antécédent. Il est fort probable que ce Discours ait circulé bien plus tôt, que ce soit comme imprimé ou comme manuscrit et donc ait servi dès 1572 pour l'Epitre de Mertz. Ce qui nous raméne au débat sur Jean de Chevigny/Jean Aymes de Chavigny et à l’éventualité que le second ait récupéré les travaux du premier.
Il n’est pas indifférent que le libraire lyonnais Benoist Rigaud ait publié cette réédition de 1572 de l’Excellent et tres utile opuscule ( ..) composé par maistre Michel Nostradamus ». Cela pourrait expliquer pourquoi on lui fit rééditer parallélement les Prophéties censées êtres parues chez Antoine du Rosne, vers 1558 mais aussi vraisemblablement[2]. chez Olivier d’Harsy (qui aurait publié une édition du premier volet des Prophéties[3]) vu que ce dernier libraire parisien avait publié en 1557 le dit Opuscule. On a là un binôme [ Olivier d’Harsy-Benoist Rigaud] transposé de l’édition d’un ouvrage réellement paru sur celle d’un ouvrage antidaté...

JHB
03. 06. 12


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[1] Cf sa notice sur wikipedia
[2] cura.free.fr/dico3/603A-TFC-bib.html
[3] Cf Jean Charles de Fontbrune qui signale cette édition Harsy 1557 dès 2006 dans sa bibliographie in 1555-2025. 470 ans d'histoire prédits par Nostradamus. Ed? Privat?

 

 
 

52 - Des Centuries au Splendor Solis. Exposé d’une nouvelle méthodologie bibliographique
Par Jacques Halbronn


Il est bon d’appliquer une même méthodologie à plusieurs corpus. C’est ce que nous avons fait en changeant de corpus, en nous attaquant à un ensemble d’une importance peut être comparables, par certains côtés, au corpus centurique, à savoir celui qui est associé à un corpus alchimique assez considérable, qui est celui du Splendor Solis, de par ses ramifications
On se contentera ici de donner un aperçu de nos travaux[1] dans une optique comparatiste au regard des deux corpus. Ce qui nous apparait comme assez flagrant, c’est le fait que comme dans le cas des études sur le centurisme, nous avons été amenés à modifier sensiblement les représentations en vigueur. Cela nous conduira à montrer les limites des méthodologies existantes dans le domaine de la chronologie bibliographique.

Un certain parallélisme
Dans les deux cas, nous sommas confrontés à des chronologies assez fantaisistes qui sont dues à la non prise en considération des productions antidatées[2]. La particularité du dossier « Splendor Solis » tient à la place qu’y occupent les manuscrits par rapport aux imprimés. Les « splendoristes », si on peut les appeler ainsi nous affirment que les manuscrits sont antérieurs aux imprimés et à l’appui de leurs dires, ils mettent en avant des arguments qui nous paraissent bien insuffisants, tels que des emprunts à certains autres documents. Or, l’on sait que l’âge d’une pièce est fonction de son emprunt le plus récent.
Comme dans le cas « centurique », on butte sur un obstacle, qui est celui des pièces disparues, ce qui est au cœur de notre méthodologie. L’historien doit être conscient du fait qu’il ne dispose jamais, en principe, que d’une partie de ce qui a été produit et que son rôle est de reconstituer, autant que faire se peut, les chaînons manquants et non pas de bâtir un discours sans avoir effectué un tel travail préalable. Ce sont souvent ces absences qui entraînent le chercheur vers de fausses conclusions.
Il importe de fixer un certain nombre de critères, de se focaliser sur certains points. Dans le cas des recherches centurologiques, nous sommes évidemment aidés par les interférences possibles entre le texte et le contexte politique auquel il est lié. A priori, ce point n’est pas déterminant sur le plan alchimique comme il l’est sur le plan prophétique. Mais du fait même que la matière se veut prophétique, la mise en évidence d’un quelconque anachronisme n’est pas si simple à présenter.
La découverte d’incohérences, d’invraisemblances ou de discontinuités se révélera précieuse. Le chercheur est confronté à des solutions de continuité qui visent à masquer certains ajustements qui le plus souvent ne sont pas présentées comme tels.
La chance du chercheur, dans bien des cas, tient au fait que certaines pièces évacuées ou égarées tendent à réapparaitre tôt ou tard. C’est ainsi que certaines éditions du XVIIe siècle comportent des éléments du siècle précédent qui n’étaient plus disponibles. On aura beau jeu de prétendre qu’il s’agit de nouveautés dus à tel auteur un peu trop zélé, mais une telle position se révéle souvent inacceptable. On pense évidemment à la première traduction anglaise des Centuries qui date de 1672 mais qui comporte une mouture de la Préface à César non conforme à celles que nous connaissons par ailleurs. Dans le cas du Splendor Solis, il s’agit d’une traduction française qui comporte un texte sensiblement plus long que celui des documents recensés dans le champ allemand. Or, parmi les passages supprimés, on trouve notamment tout ce qui concerne la toison d’or, laquelle donne pourtant son nom à l’ouvrage (en latin Aureum Vellus)). A la différence de ce que nous avions observé pour Nostradamus, il ne s’agit pas d’additions mais de suppressions.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, une figure n’est pas nécessairement d’une seule pièce. Nous avons trouvé des éditions qui présentait la figure réunissant deux pièces assez nettement séparées dans un même cadre et d’autres qui essayaient de conférer une unité à l’ensemble. Or les manuscrits appartiennent à cette seconde catégorie, ce qui minimise singulièrement leurs chances de pouvoir passer pour un état premier. Dans le cas Nostradamus, nous avions également utilisé un tel argument iconographique en montrant qu’il y avait des vignettes en concurrence et que les faussaires avaient choisi des vignettes qui étaient elles-mêmes celles de contrefaçons du temps même de Nostradamus.
Dans le cas de l’Aureum Velllus, nous sommes en face d’un ensemble de cinq traités de chacun plusieurs centaines de pages. Mais le Splendor Solis ne constitue qu’une petite partie de l’ensemble, dont il occupe le début du troisième traité. Nous avons un problème assez proche avec Nostradamus, dont l’œuvre qui lui revient de la façon la plus manifeste se trouve placée à la fin du second volet, nous voulons parler des quatrains des almanachs, appelés souvent « présages ».
Mais ce titre même de Splendor Solis fait problème et nous observons que la traduction française du début du XVIIe siècle ne se sert pas de cette appellation mais propose « La Toyson d’Or », c'est-à-dire précisément Aureum Vellus en latin. Cela recoupe nos réflexions sur les coupures intervenues et qui se référaient justement à l’expédition des Argonautes.
Ajoutons que l’on peut se demander quel était le genre de l’ouvrage. Il nous apparait que le Splendor Solis se voulait initialement être un ouvrage d’initiation sinon de vulgarisation, ce qui était peu compatible, il faut l’avouer, avec un tel ensemble de plus de 1000 pages qu’était devenu l’Aureum Vellus.
Comme dans le cas des Centuries, on aura tenté de donner l’impression au public d’un ensemble d’un seul tenant, conçu dès l’origine sous sa forme terminale.
Se pose ainsi la question des éditions manquantes et de l’ordre des éditions. Nous sommes arrivés à la conclusion concernant le Splendor Solis qu’il y avait eu plusieurs moutures se suivant mais aussi coexistant, les premières se maintenant ou reparaissant par la suite, ce qui rend d’autant plus difficile l’établissement d’une chronologie raisonnée. Certes, d’un point vu basique, la bibliographie peut se contenter d’aligner les éditions selon les dates de parution ou du moins selon les périodes d’activité des libraires dont les noms figurent en page de titre. Mais cela n’a qu’une valeur scientifique médiocre, c’est ce qu’ont fait un Michel Chomarat ou un Robert Benazra ou plus récemment un Patrice Guinard dans le champ nostradamique. Mais les spécialistes du Splendor Solis, comme Joachim Telle, Hervé Delboy ou plus récemment Jörg Völlnagel ont-ils fait mieux ?.Dans l’ensemble, ils se sont concentrés sur les seuls manuscrits sur la base du postulat selon lequel les imprimés ne seraient que dérivés des premiers, ce qui ne leur a pas permis de comprendre que les manuscrits étaient en réalité dérivés de certains imprimés et pas nécessairement des plus anciens, ne serait-ce qu’au niveau du texte, les manuscrits ne disposant que d’un texte abrégé, tronqué. Par ailleurs, nous avons découvert une édition de l’Aureum Vellus incluant le Splendor Solis, avec des figures sans phylactères. Or, une des caractéristiques des manuscrits est la présence de phylactères et de textes dans les dits phylactères, du moins en certaines figures. Cela nous rappelle que dans le cas des éditions des Centuries, il existe une édition des quatrains non découpés en centuries et qui est selon nous antérieure à celles qui le sont. Il s’agit malheureusement d’une édition introuvable actuellement mais décrite de façon détaillée par un de ses possesseurs, Daniel Ruzo, décédé depuis et dont la collection a été dispersée avec une traçabilité inégale.(Rouen, chez Raphaël du Petitval, 1588)
Nous avons également montré que parmi les manuscrits, il existait un manuscrit français qui comportait une devise des phylactères qui manquait dans les manuscrits allemands, tout en ayant la même origine, probablement un imprimé disparu, déjà colorié. On en arrive ainsi à une sorte d’arborescence dans le cas des deux corpus.
En ce qui concerne les sources des figures, nous retrouvons une problématique qui vaut pour les sources des quatrains. L’étude de ces sources nous éclaire sur le travail des éditeurs des documents étudiés. Dans le cas des Centuries, certains quatrains dérivent de la Guide des Chemins de France de Charles Estienne et l’on voit qu’ils ont été parfois ajustés pour annoncer certains événements d’actualité, ce qui permet de situer l’époque de leur mise en place, bien plus tardive que la date indiquée. Dans le cas du Splendor Solis, une des sources iconographiques se retrouve dans l’Atalanta Fugiens, compilée par Michael Maier et parue en 1617 à Oppenheim, donc après la parution des imprimés ‘(1599-1600). Ce n’est évidemment pas cet ouvrage en tant que tel qui aura été utilisé mais certaines pièces qu’il reprend.
Si l’on compare les 50 emblèmes de l’Atalanta Fugiens et les 22 figures du Splendor Solis, l’on observe que certaines des figures du Splendor Solis sont constituées de deux emblémes de l’Atalanta Fugiens et que les manuscrits du Splendor Solis correspondent à un imprimé qui a cherché à masquer ce fait alors que d’autres imprimés présentent des figures bel et bien constituées de deux volets quasiment séparés.
On en arrive finalement au même problème, celui de la datation des documents. Il y a ceux qui affirment que les documents que nous considérons comme antidatés n’ont pas pu être fabriqués après coup. De fait, les spécialistes du Splendor Solis, dont les manuscrits allemands sont conservés à Berlin, Londres, Nuremberg, Cassel datent ceux-ci entre les années 1530 et 1580 selon une argumentation qui nous apparait comme fondée sur des emprunts à tel ou tel ouvrage. Or, cela montre tout au plus qu’ils ne lui sont pas antérieurs. Le raisonnement suivi est celui là : ils pensent que les imprimés sont une simplification des manuscrits alors que nous pensons que ce sont les manuscrits qui sont une amplification décorative des imprimés. Pour les spécialistes des manuscrits, chaque figure est un tout d’un seul tenant et donc toute partie d’une figure permet de dater la dite figure. Ils n’ont même pas conscience de la genèse de la figure (on pense notamment à la série des sept fioles) et des éléments rapportés dans un deuxième temps, ce que la comparaison avec les imprimés leur permettrait de faire. Ils ne se préoccupent pas de comparer les textes des manuscrits et des imprimés, ce qui leur aurait permis de comprendre que les textes des imprimés sont tronqués par rapport à l’imprimé ayant servi aux traductions françaises de 1612. Un seul spécialiste, néanmoins, a confronté manuscrits et imprimés, il s’agit de Bernard Husson (en 1975, dans la collection Bibliotheca Hermetica, à laquelle à la même époque nous avons participé, sous la direction de René Alleau) mais il en était arrivé à la conclusion selon laquelle c’était le traducteur français qui aurait amplifié l’imprimé allemand tout en laissant entendre que les manuscrits étaient nettement supérieurs aux imprimés.
De la même façon, en ce qui concerne la traduction anglaise de 1672, les nostradamologues ont soutenu que les différences notamment au niveau de la Préface à César étaient le fait du traducteur, Théophile de Garencières.
D’autres anomalies sont à signaler qui montrent que nous ne disposons pas pour le Splendor Solis d’une édition d’origine On pense à l’absence d’épitre adressée à quelque personnage, ce qui est la règle pour un grand nombre d’ouvrages alchimiques. Comment se fait-il que les divers manuscrits mais aussi les divers imprimés comportant ou incluant le Splendor Solis ne comportent pas cet élément introductif ? Une exception, celle de l’édition française de la Toyson d’Or qui est adressée à un grand personnage et qui a fort bien pu se substituer, comme c’est aussi la coutume, à l’épitre allemande de l’édition ainsi traduite. En ce qui concerne Nostradamus, il y a certes une épitre à Henri II mort en 1559 et qui tend à fixer artificiellement la date de parution des 10 centuries. Quant à celle de Nostradamus à son fils, à peine né, elle ne correspond pas vraiment à ce que l’on attendrait d’une telle édition censée être parue dans les années cinquante quand on sait que Nostradamus prenait la peine d’adresser ses almanachs et ses pronostications à de très hauts dignitaires, à commencer par le pape Pie IV ou la reine Catherine de Médicis.
Comment donc expliquer cette disparition probable des épitres dans le corpus Splendor Solis –Aureum Vellus ? On entre là, reconnaissons-le dans le domaine des spéculations. Mais c’est à rapprocher des manipulations des textes et notamment du Prologue dont on a dit qu’il avait évacué tout ce qui avait trait à la Toison d’Or, titre pourtant principal des imprimés, chaque traité, sauf le premier, le reprenant sous la forme génitive d’Aurei Velleris. On a l’impression d’être en présence d’éditions clandestines ou issues de telles éditions, dans le cas des manuscrits allemands. Non seulement, le prologue aurait été tronqué mais carrément l’Epître qui devait comporter des informations significatives. Par comparaison, l’édition française de 1612 comporte une épitre qui évoque, elle aussi, le thème de la Toison d’Or et l’on connait un ouvrage paru à Anvers datant de 1604 de Wilhelm Mennens qui a aussi pour titre Aurei Velleris et qui en traite tout au long, tout en comportant, bien évidemment, une épitre à quelque protecteur. Comparaison d’autant plus intéressante que l’ouvrage, dépourvu d’illustrations, au demeurant, aborde fréquemment les questions alchimiques et des auteurs cités dans le Splendor Solis. Mais ce qui vaut pour Anvers vaut-il pour Bâle et d’autres villes de Suisse (Rorschach, Saint Gall) qui sont les lieux d’impression indiqués pour les éditions de l’Aureum Vellus-Splendor solis ? Rappelons que la Toison d’Or appartient a priori au domaine de la Bourgogne et par extension de la Flandre. Or, dans les manuscrits allemands, même le mot Aureum Vellus ne figure pas et aucune représentation de la toison ne s’y trouve, ce qui est décalé par rapport à l’édition française de 1612 qui est exclusivement consacrée au Splendor Solis, mais sous une forme imprimée. Apparemment, cela faisait moins problème, à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, d’aborder ce thème en France ou en Flandre que dans le monde germanique. Il est vrai que nous sommes à la veille de la Guerre de Trente Ans. (1618-1648) et qu’existent des clivages religieux lesquels ne sont d’ailleurs nullement étrangers à la genèse des Centuries puisque celles-ci se développent, selon nous, sous la Ligue, en pleine guerre de religion, autour de la succession d’Henri III. Sous la Ligue, ne paraissaient à Paris que les sept premières centuries. Les trois autres semblent avoir été élaborées par le camp adverse, celui d’Henri de Navarre mais on n’en connait pas d’édition imprimée avant 1594, date de l’avènement du Bourbon. Quant aux tenants d’éditions à dix centuries au plus tard en 1568, ils sont amenés à affirmer que certaines centuries avaient été censurées sous la Ligue. Au lieu d’admettre que la Ligue fut le chantier qui vit se constituer le corpus centurique, ils sen parlent comme un temps de déconstruction du dit corpus.
Si l’on met ensemble les incuries relatives aux centuries et au Splendor Solus, force est de constater que l’état de la recherche dans le champ ésotérique n’est pas très brillant et que les méthodes qui y sont enseignées et pratiquées laissent à désirer.

JHB
03. 06.12


[1] Nous ferons paraitre à la fin de l’année une importante étude sur un support papier.
[2] Cf notre étude « Vers une nouvelle approche de la bibliographie cenrurique » parue dans la Revue Française d’Histoire du Livre, livraison 2011

 

 
 

53 - Géographie politique et bibliographie centurique. De la Journées des Barricades à l’Edit d’Union.

Par Jacques Halbronn

L’historien des textes prophétiques ne peut se permettre d’ignorer les clivages et les enjeux politiques lesquels s’expriment notamment au niveau des lieux d’édition mais aussi des destinataires.
Dans une communication donnée aux journées Verdun Saulnier en 1997 (cf Actes du Colloque), nous avions montré que tel quatrain qui n’était pas encore attesté en 1588 avait été ajouté en raison du contexte politique de la période de la Ligue. Il s’agissait de IV, 46 concernant la « ruine » de Tours. Or, Tours était liée au camp d’Henri de Navarre.
Un critère qui nous semble assez précieux est de suivre la ligne de démarcation des camps en présence, laquelle est d’ailleurs susceptible de changer d’une année sur l’autre, voire d’un mois sur l’autre en période de guerre civile.
On s’intéressera ici plus spécialement à la question de Paris et de Rouen. Si Paris a toujours été, du moins jusqu’en 1593-1594, liée à la Ligue, le cas de Rouen est sensiblement plus délicat à traiter. Or, cette ville voit paraitre au moins deux éditions des Prophéties pendant la période 1588-1589. Et par ailleurs, des différences peuvent être observées entre les éditions centuriques des deux cités que jusqu’à présent nous n’avions pas associées à leur différence de situation sur le terrain politico-militaire.
La question préalable qu’il faut poser est celle du camp auquel Rouen appartenait à l’époque. Le 15 juillet 1588, fut contraint de signer à Rouen avec la Ligue l'Édit d'union, « par lequel il nomme Henri Ier de Guise, dit le Balafré, lieutenant général des armées du royaume et le cardinal de Bourbon l’héritier présomptif du trône sous le nom de Charles « . On possède une « prophétie merveilleuse » signée Crespin adressée à ce Charles X, Bourbon (cf. Benazra, RCN, pp. 127-128), deuxième dans l’ordre de succession après Henri - mais qui, lui, avait l’avantage d’être catholique- et qui était gardé voire séquestré par Henri de Navarre à Chinon – avant de s’en échapper pour rejoindre le camp de la Ligue- par un certain Chavigny qui en était le gouverneur ; il meurt en 1590.. Nous ignorons les liens qui pouvaient exister entre ce Chavigny et celui du Janus Gallicus.. Il ne faut pas confondre avec le neveu de ce cardinal, Charles II de Bourbon (1562-1594) qui à la mort de son oncle devient cardinal à son tour et se présentera contre son cousin, Henri de Navarre, avant qu’il ne se convertisse en 1593. Signalons le quatrain VIII, 67, qui appartient donc au second volet, proche des Bourbons. « PAR CAR NERSAF à ruine, grand discorde/Ne l’un ne l’autre n’aura election. » Anagramme de Cardinal de France.
En ce qui touche Rouen, on peut dire que cette ville fut le théâtre d’une victoire politique de la Ligue et du duc de Guise. (cf. Henri Pigaillem. Les Guises, Ed Pygmalion, 2012, p. 266) contraignant Henri III à faire des concessions à l’encontre d’Henri de Navarre dont il s’était précédemment rapproché (notamment en se rendant près de Tours), ce qui ne l’empêchera pas à la fin de la dite année 1588 de faire assassiner le dit Duc, à Blois. Henri III sera lui-même assassiné à Saint Cloud l’année suivante.

C’est dire que Rouen est devenu, en cette année 1588, le symbole de la poussée en avant de la Ligue, succès qui fait pendant à la journée parisienne des Barricades qui avait déjà été le théâtre d’une première victoire psychologique du Guise. On comprend mieux que le quatrain narguant Tours apparaisse alors, au sein de la Ive Centurie mais cela témoigne aussi du fait que certaines éditions ne dépassaient pas les 4 centuries, puisque de telles additions ne s’effectuent qu’à la fin de la dernière centurie.
Bien évidemment, pour ceux qui soutiennent encore, parmi les nostradamologues, que les dix centuries étaient déjà parues au plus tard en 1568, de telles considérations ne sont pas d’un grand intérêt si ce n’est éventuellement pour expliquer que certains quatrains ou certaines centuries aient pu disparaitre entre temps.
Mais pourquoi serait-on revenu en 1588 à telle édition à moins de 400 quatrains (Rouen Raphaël du Petit Val, 1588) ou pourquoi aurait-on pris la peine d’indiquer dans les éditions parisiennes de 1588 que l’on avait ajouté des quatrains au-delà du 353 éme si des éditions à 7 centuries étaient parues en 1557 et 1568, qui ne mentionnaient même pas une telle chose ? Ajoutons que comme ces diverses éditions ne sont pas accompagnées de commentaires, on n’arrive guère à en comprendre la fonction sous la Ligue si ce n’est pas un processus de suppression ou d’addition de quatrains. Mais à notre connaissance, aucun partisan de la suppression de quatrains sous la Ligue ne nous a expliqué, à ce jour, dans quel sens une telle suppression ou/et une telle réapparition s’étaient produites. On pourrait éventuellement songer que tel quatrain serait ressorti parce qu’il faisait écho à certains événements. Mais nous préférons la thèse de la fabrication du dit quatrain pour la circonstance évoquée.
C’est d’ailleurs l’occasion de réfléchir sur ce qui distingue les éditions parisiennes des éditions rouennaises, étant entendu que les deux villes concernées sont sous influence ligueuse, au cours des années 1588-1589 avec notamment l’axe Journée des Barricades-Edit d’Union.
Visiblement, l’édition de Rouen 1589, parue comme celle de 1588, chez Raphaël du Petit Val- du moins si l’on doit se fier aux indications de page de titre, est sensiblement plus « achevée » que les éditions parisiennes qui ne comportent même pas la centurie VII telle qu’elle nous est connue dans le canon centurique antérieur (ou antidaté) ou postérieur, à ces années. Il est plus que probable, cependant, que la dite édition de Rouen ne comportait pas « encore » 40 quatrains à la VIIe centurie, si l’on en croit l’édition d’Anvers (1590) qui en est très proche par le titre : Grandes et Merveilleuses Prédictions . En effet, le seul exemplaire de cette édition rouennaise nous est parvenu matériellement incomplet. Mais justement, la dite édition de Rouen n’a pas le même titre que les éditions parisiennes, d’un côté des « Prédictions », de l’autre, à Paris, des «Prophéties » pour un contenu à peu près équivalent, notamment du fait de la Préface à César et de l’absence du second volet complètement absent ici tout comme l’Epitre à Henri II datée de 1558.
Pour notre part, nous pensons que ce titre Grandes et Merveilleuses Prédictions est le plus ancien, ce que vient confirmer l’état particulièrement archaïque de l’édition rouennaise de 1588, qui n’est même pas divisée en centuries, en dépit de son titre (cf. Daniel Ruzo, Le testament de Nostradamus, Le Rocher, 1982). Il y a d’ailleurs là comme un paradoxe : autant l’édition rouennaise de 1589 est moderne, autant l’édition rouennaise de 1588 est, en quelque sorte, antique, alors même qu’elles portent le même titre principal.
Ne peut-on penser y voir la tentative de conférer aux éditions parisiennes une patine en les présentant sous un titre antérieurement attesté ? Est-on même certain que l’édition de Rouen 1589 est bien parue en cette année là ? Seul l’examen des pages manquantes permettrait de conclure mais cela ne semble pas ressortir du champ du possible.
En tout état de cause, cette tentative aura fait long feu puisque seule l’édition d’Anvers a adopté un tel titre. C’est le titre parisien qui aura fini par l’emporter à telle enseigne que c’est sous ce titre « Prophéties » que paraitront toutes les éditions antidatées connues et que la vignette parisienne d’un personnage en son étude,(cf. l’édition Veuve Nicolas Roffet) sera également reprise dans les éditions antidatées 1555-1557 alors que la série Grandes et Merveilleuses Prédictions ne comporte pas de vignette empruntée au corpus nostradamique ou pseudo/néo nostradamique
Au premier abord, l’édition Rouen 1589 serait la première édition connue comportant probablement plus d’une trentaine de quatrains de la VIIe centurie canonique si ce n’est qu’il faudrait la lire par le biais de l’édition d’Anvers 1590 à 35 quatrains à la VII et s’intéresser aux cinq quatrains qui seront ajoutés par la suite et qui sont censés être particulièrement d’actualité, à l’époque, tout comme on avait pu le remarquer pour les quatrains manquants de l’édition de Rouen 1588.
Les quatrains manquants dans l’édition de François de Sainct Jaure Anvers 1590 sont 3, 4, 8, 20, 22, mais nous ne percevons pas, avouons-le- leur possibilité d’impact. En revanche, d’autres quatrains de la VII sont beaucoup plus en prise avec les événements, juste après, comme le quatrain 24 dont le dernier vers est on ne peut plus frappant :
« Grand de Lorraine par le Marquis du Pont ». On doit lire « Pont à Mousson ». Il s’agit du titre du fils du Duc de Lorraine. Or, les Lorrains ont des prétentions sur la succession d’Henri III. Voilà bien un quatrain qui n’a pu être confectionné, en tout cas sous sa forme connue, que sous la Ligue alors qu’il figure dans les éditions de 1557, ce qui devrait éveiller plus d’un soupçon.
A ce propos, rappelons que nous pensons avoir retrouvé le scénario utilisé pour choisir les éditeurs censés avoir publié les Centuries dans les années 1550-1560. Les faussaires auraient pris comme modèle l’édition parisienne de 1556 d’Olivier de Harsy de l’ Excellent & moult utile Opuscule à touts necessaire, qui desirent avoir cognoissance de plusieurs exquises Receptes, divisé en deux parties. La premiere traicte de diverses façons de Fardemens & Senteurs pour illustrer & embellir la face. La seconde nous monstre la façon & maniere de faire confitures de plusieurs sortes, tant en miel, que succre, & vin cuict, le tout mis par chapitres, comme est fait ample mention en la Table. Nouvellement composé . Ils lui auraient attribué pour la même année une édition des Prophéties. Et comme l’ouvrage- par ailleurs traduit en allemand - sera réédité, de façon posthume, par Benoist Rigaud en 1572, ils attribueront au même Rigaud une réédition posthume des Prophéties, datée de 1568. On notera qu’à l’instar des Prophéties, on a affaire avec l’Opuscule à un ouvrage à deux volets.
L’édition d’Anvers, ville contrôlée par les Espagnols, et probablement celle de Rouen 1589 se termine par une référence à une édition de 1555, ce qui trahit déjà des objectifs d’antidatation mais à 7 et non à 4 centuries.
Ajoutons que cette édition d’Anvers ne comporte que 99 quatrains à la VI. Mais là encore l’exemplaire de Rouen s’arrêtant au quatrain 96 de la VI ne nous renseigne guère sur ce point pas plus que sur la présence d’un avertissement latin placé entre la Vie et la VIIe centuries. Etrangement, l’édition Antoine du Rosne à 7 centuries et 42 quatrains comporte cet avertissement latin alors que celle censée être parue chez le même, mais à 40 quatrains ne le comprend pas, pas plus que le quatrain 100 d’ailleurs de la Vie centurie. Qu’est donc devenu le 100e quatrain qui en fait devait être le dernier quatrain d’une édition à six centuries se terminant par l’avertissement latin ? Pourquoi ne l’a-t-on pas remplacé ou retrouvé ? En fait, ce quatrain figure bel et bien dans le Janus Gallicus de Chavigny qui eut probablement accés à une édition disparue depuis et qui devait être le chainon manquant entre l’édition parisienne et l’édition rouennaise de 1589 qui était déjà une édition augmentée mais sans que cette addition ne prenne immédiatement le nom de septième centurie. (d’où le sous titre des éditions parisiennes évoquant un supplément de 38 et de 39 « articles »). Nous avons déjà signalé qu’un des problèmes de la bibliographie nostradamique tient au fait que les titres ne correspondent pas au contenu. C’est ainsi que l’édition rouennaise de 1588 se dit divisée en 4 centuries alors que son contenu ne comprend pas une telle division. De même, on l’a vu, les éditions parisiennes ne comportent pas de septième centurie mais annoncent celle-ci en leur sous-titre. On a l’impression que des éditions anciennes sont ainsi vendues sous des pages de titre d’éditions plus tardives, ce qui trompe le lecteur. Or, dans bien des cas, l’on ne retrouve plus les éditions de référence mais seulement celles qui leur ont emprunté le titre. On peut penser que les vraies premières éditions à six centuries avec addition à la dernière comportaient bien 100 quatrains à la VI. Elles n’ont pas été retrouvées pas plus que celles ne comportant que Six centuries sans addition.
Le piège dans ce type de travail serait de construire une chronologie en ne considérant que les éditions conservées et sans tenir compte d’un certain nombre de pistes. Nous allons donc, à présent, aborder à nouveau le sujet des éditions Paris-Rouen-Anvers en recourant à une autre méthodologie.
Premièrement, on rappellera que l’on ne sait rien du contenu de la centurie VII dans l’édition Rouen 1589 et pas même des derniers quatrains de sa Centurie VI. On ne sait donc pas ce qui a été ajouté dans l’édition Anvers 1590 mais uniquement ce qui y manque par rapport à des éditions ultérieures.
Deuxièmement, le titre des éditions parisiennes en rapport avec 38 (édition antidatée 1561 Veuve N. Buffet (cf. catalogue Scheler) et 39 article ajoutés à la « dernière centurie » ne correspond pas à leur contenu. Mais on ne peut s’empêcher de penser que cette addition initiale (à une centurie Vie ne dépassant pas un peu plus de 70 quatrains, au vu du contenu connu des dites éditions parisiennes) a du être de 12 quatrains seulement puisque nous savons que ceux-ci sont bel et bien empruntés à ceux de l’almanach pour 1561, pour conférer à l’ensemble un certain cachet d’authenticité.
Troisièmement, si ces éditions parisiennes affichent un supplément de 38/39 articles, c’est qu’elles ont bien du à un moment correspondre à un tel intitulé, sous une forme qui ne nous est point parvenue et qui est plus « complète » même que l’édition d’Anvers à 35 quatrains seulement à la VII, ce qui situerait la totalité de ces éditions parisiennes, toutes ainsi pourvues en leur titre sinon en leur contenu- au plus tôt en 1590, venant s’intercaler juste avant l’édition de Cahors 1590, qui porte bel et bien le nom de Prophéties et non pas de Grandes et Merveilleuses Prédictions. Cette édition de Cahors, qui a abandonné la référence aux 39 articles pour 1561 ferait ainsi immédiatement suite aux éditions parisiennes manquantes tout comme l’édition d’Anvers ferait suite à l’édition de Rouen tronquée...
Quatrièmement, on ignore si le quatrain VII, 24 signalé plus haut se trouvait déjà dans l’édition Rouen 1589, l’on sait seulement qu’il figure dans l’édition Anvers Saint Jaure. On sait aussi que les derniers quatrains Anvers de la VIIe centurie semblent liés au siège naval de la ville (cf. notre étude à ce sujet) et qu’ils ont été intégrés dans le « canon » centurique à 40 quatrains à la VII tel qu’il est attesté par l’édition Cahors mais aussi par l’édition antidatée Antoine du Rosne 1557 (Bibl. Budapest) à 40 quatrains à la VII.
Que conclure ? Que des éditions parisiennes dont on a gardé la page de titre mais pas le contenu sont postérieures à l’édition Anvers 1590. Qu’elles sont de peu antidatées dès lors qu’elles portent les mentions 1588 ou 1589. (par exemple Ed/ Charles Roger) mais ce peu fait sens quand il s’agit de laisser croire qu’elles ont annoncé certaines choses à l’avance et non pas après coup.
Ce qui frappe dans les éditions de Rouen et d’Anvers, si on les compare cette fois au contenu des éditions parisiennes en faisant abstraction de leur titre, c’est qu’elles sont toilettées. Autrement dit, elles ne comportent pas de mention explicite d’une addition au-delà du 53e quatrain de la IV comme le font les dites éditions parisiennes. On peut donc dire qu’elles correspondent à un état relativement avancé des éditions parisiennes (perdues) où ce toilettage a eu lieu et dont nous avons la copie légèrement augmentée d’un quatrain à la VII, dans l’édition Cahors (premier volet). En fait, ces deux éditions Rouen 1589 et Anvers 1590 nous renseignent sur la genèse des éditions parisiennes en ce qui concerne notamment la formation progressive de la centurie VII à 40 quatrains sans cependant qu’il ait été impossible que l’édition Anvers 1590 n’ait ajouté quelques quatrains de son cru à la fin de la VII. Mais le passage de 35 à 38, puis 39 quatrains semble devoir être le fait d’éditions parisiennes disparues s’intercalant entre Anvers 1590 et Cahors 1590.
On notera le cas remarquable de certaines éditions parisiennes qui sont datées de 1561, non seulement en référence à cette année dans leur sous titre, mais de par cette mention avec le lieu d’édition et par la mention du libraire. C’est notamment le cas de l’édition Veuve Buffet qui était active dans les années 1560, dont l’existence ne nous est connue que depuis peu. (2010). Quant à l’édition Veuve Nicolas Roffet, elle se référerait explicitement en sa page de titre à un original daté de 1557, comme l’a montré Patrice Guinard, ce qui est déjà une façon de mettre en orbite une édition antidatée pour cette année là (type Antoine du Rosne). On voit donc déjà à l’œuvre un processus parallèle d’antidatation, de rétro-datation qui est à rapprocher du colophon de l’édition Anvers qui elle pointe sur 1555. Cela dit, les deux éditions Antoine du Rosne 1557 diffèrent à bien des égards, ce qui rend leur publication en cette même année des plus improbables d’autant que l’exemplaire de la Bibliothèque d’Utrecht comporte 42 quatrains et non 40, soit davantage que l’édition Cahors 1590. Ajoutons que cette édition, calquée selon nous sur la dite édition Cahors mais la prolongeant est très vraisemblablement parue avec un second volet, disparu mais dont on a la trace dans la page de titre du premier volet.
Avec l’exemplaire Buffet (Catalogue Scheler, depuis vendu à quelque collectionneur privé ou public), on franchit un pas supplémentaire en recourant, comme on le fera pour Macé Bonhomme (1555), Olivier Harsy (1556) ou Antoine du Rosne (1557), à des libraires de l’époque concernée qui se voient recyclés. Et cette fois, ce sont ces éditions parisiennes ou lyonnaises antidatées qui permettent de combler les vides des éditions parisiennes manquantes. Cela dit, l’édition Buffet à 38 quatrains à la VII pour 1561 est en porte à faux avec les éditions Antoine du Rosne 1557 à 40 quatrains. Mais rappelons que le contenu de la dite édition Buffet ne comporte aucunement ces 38 quatrains pas plus que ne le font les éditions parisiennes affichant au titre 39 articles. Il est probable qu’il ait existé une fausse édition Buffet à 38 quatrains, qui a disparu et dont on ne dispose plus que de la page de titre. Que s’est-il passé ? Nous pensons que la meilleure explication est la suivante : un libraire disposant d’anciens stocks correspondant à l’addition des quatrains de l’almanach pour 1561, aura jugé bon de se servir de la page de titre de la fausse édition Buffet pour les écouler. Or, la vraie fausse édition Buffet à 38 articles a été perdue et il ne nous reste qu’une fausse fausse édition Buffet non conforme au titre, si ce n’est pour la mention de l’an 1561 qui elle-même aura été conservée maladroitement quand on a remplacé les quatrains 1561 par d’autres, en plus grand nombre.
On aura compris que le travail de reconstitution bibliographique de la production parisienne de la Ligue n’a pu s’opérer qu’en prenant en compte tous les éléments du corpus : éditions de Rouen et Anvers, éditions antidatées, pages de titre non conformes au contenu etc.
Quant au second volet des centuries, il est totalement absent du corpus des éditions ligueuses alors que l’on nous dit qu’il était déjà paru en 1568 voire du vivant de Nostradamus. Il ne semble pas, en réalité, qu’il soit paru avant 1594 ou au plus tôt en 1593, ce qu’attestent d’ailleurs les quatrains du second volet commentés dans le Janus Gallicus. Selon nous, c’est l’édition de Cahors qui serait à l’origine des éditions 1568, ce qui ressort notamment de l’épitre à Henri II (cf. nos travaux à ce sujet) La date de 1590 qui figure sur l’édition Jaques Rousseau Cahors ne concerne en fait que le premier volet. Le second volet Cahors ne saurait être antérieur à 1593, notamment en raison du quatrain IX, 86 relatif à Chartres.
C’est l’occasion, pour conclure, de signaler notre travail sur un autre corpus, celui connu sous le nom d’Aureum Vellus. On se perd en conjectures. On a bien ce titre (en 1598, en Suisse alémanique, dont la partie occidentale est frontalière avec la France, notamment Bâle) mais le contenu ne s’y réfère pas, il en a été en fait éradiqué. Etant donné que la Toison d’Or, puisque telle est la traduction de la forme latine est associée à certains pays, dont notamment, à l’époque, depuis la mort de Charles Quint, à l’Espagne, l’on peut penser que la fin de l’implication de l’Espagne dans les affaires du royaume de France a pu influer sur une telle censure. On n’exclut pas que cet ouvrage alchimique ait été initialement dédié à quelque personnage lié à l’Espagne et que l’on aura ainsi voulu honorer. Ce qui expliquerait pourquoi on n’en connait – fait rarissime- que des éditions sans épitre. A ce propos, ne peut-on s’étonner que le second volet des éditions centuriques censé être paru en 1568 ne mentionne pas en son titre qu’il est dédié au roi Henri II, comme cela avait été le cas pour les Présages Merveilleux pour 1557 qui lui avaient servi de modèle ?
Il faut insister sur le fait que les prophéties ne paraissent et ne réparaissent pas à n’importe quel moment. Le contexte doit donc être fouillé. C’est ainsi que les crises liées à une nouvelle régence sont favorables à la diffusion d’un certain type de prophéties pronant le rôle des femmes en politique, d’où l’importance des années 1525, 1561, 1611, 1644, 1716 qui sont toutes liées à une carence du pouvoir royale, depuis le désastre de Pavie qui vit François Ier capturé par les armées de Charles Quint jusqu’à la mort de Louis XIV en passant par la mort de François II et d’Henri IV et de Louis XIII. Ce n’est donc pas par hasard que l’année 1561 figure sur les éditions parisiennes de la Ligue. Il est vrai que la fin du régne d’Henri III et de la dynastie des Valois est d’ailleurs assimilable à une période de régence. Les aléas de la succession monarchique française depuis le XVIe siècle auront probablement contribué à la tombée en disgrâce d’un tel systéme.


JHB
09. 06. 12

 

 
 

54 - La dimension emblématique de Nostradamus


Par Jacques Halbronn
On n’a pas assez signalé et souligné le cas très étrange des Contredicts du Seigneur du Pavillon les Lorriz aux « faulces & abusives prophéties de Nostradamus & autres astrologues », parues en 1560. En effet, cet ouvrage, dans le corps du texte, ne cite jamais le nom « Nostradamus », si ce n’est en haut de chaque ouverture « Contreditz à Nostradamus »
De quoi traite l’ouvrage ? Couillard ne cite aucun nom. Il emploie le mot générique d’astrologues qui figure déjà au titre « prophéties de Nostradamus & autres astrologues »
Le mot « prophéties » ici ne concerne donc pas uniquement Nostradamus. Ce sont des prophéties d’astrologues dont Nostradamus. Couillard témoigne ainsi que le terme prophétie est, à ses yeux, parfaitement compatible avec l’activité astrologique voire même qu’il la définit. Est-ce une acception qui lui est propre par laquelle il entend désigner tout processus prédictif ou est-elle alors en vigueur, il conviendrait de le préciser par ailleurs tant la démarche couillardienne se révéle plus globale, plus distanciée, que tant d’autres écrits antinostradamiques[1] de l’époque comme ceux d’un Videl (cf infra)
Par ailleurs, au tout début de son ouvrage, Couillard cite son précédent texte « Les Prophéties du Seigneur du Pavilllon ». On note dans les deux cas que le nom de Couillard ne figure pas au titre ni de ses Prophéties de 1555 ni de ses Contredicts de 1560.
En citant ses propres Prophéties, Couillard ne les référe nullement à Nostradamus, puisque l’on a remarqué qu’il ne citait aucun auteur dans le cours de son propos si ce n’est Roussat, l’auteur du Livre de l’Estat et Mutation des Temps qu’il semble plus pratiquer que Nostradamus- et c’est probablement par cette référence au sein des Contreditz que les bibliographes ont été guidés vers ces Prophéties qui ne comportent pas Nostradamus en leur titre. D’ailleurs faut-il rappeler que dans les dites Prophéties, le nom de Nosradamus n’est cité qu’une fois, sous la forme « Maistre Michel Nostradamus » à propos de son fils César et de son « espouventable Epistre » dans laquelle il évoque son dit fils mais dont il n’est nullement indiqué qu’il la lui dédie.
Si donc on réunit les Prophéties et les Contredicts , Couillard ne se référe explicitement et nommément à Nostradamus qu’une seule fois et encore de façon assez anecdotique et digressive à propos de son fils- et ce n’est nullement au début de son ouvrage- dont Nostradamus ne donnerait pas l’âge exact. Rien de précis concernant son travail d’astrologue à la différence d’autres adversaires comme Laurent Videl.<\div>

Certes, on nous dira que nous savons que Couillard, de fait, reprend des passages de la Préface à César mais cela les lecteurs ne le savaient pas et il importe d’éviter toute projection et tout anachronisme. Rien en effet n’indique au lecteur qu’il est question d’éléments empruntés à quelque épitre de Nostradamus, si ce n’est cette bréve allusion à César, en quelques mots. Certes, Laurent Videl cite également des passages que l’on retrouve dans la Préface à César, en tête des Centuries et lui, en revanche, s’en prend à Nostradamus mais en ce qui concerne ses publications annuelles. Il ne mentionne aucun des quatrains des Centuries, dont il aurait tout loisir de se gausser et en cela il ne fait pas mieux que Du Pavillon, deux ans plus tôt, lequel lui non plus n’apporte rien de concret en ce domaine. [2]
Certes, la Préface à César comporte-t-elle des passages que l’on retrouve chez Couillard et chez Videl. Chez le premier, ces passages ne sont pas attribués à Nostradamus, hormis la référence à l’âge de César qui est effectivement le point de départ de la Préface centurique à César. Chez le second, Videl, vu que celui-ci ne parle que de Nostradamus, la référence est plus explicite.
Nous poserons la question suivante : est-ce que Couillard n’aurait pas recopié Videl ?On nous objectera que Videl a publié en 1558 sa Déclaration des abus, ignorances et séditions de Michel Nostradamus de Salon de Craux en Provence après les Prophéties du Seigneur du Pavillon. (1556) Mais était-ce sa première édition ? Il est en effet remarquable que Videl se référe à toute une série de publications dont certaines remontent à 1552 et bien entendu à 1555, à croire qu’il collectionne ses œuvres. Pourquoi n’aurait-il commencé à publier ses critiques qu’en 1558, à Avignon. Il est d’ailleurs précisé « nouvellement traduit de latin en françois », ce qui indique pour le moins une édition antérieure. On note aussi que le nom de l’auteur ne figure pas au titre mais dans une épitre datée de novembre 1557. Tout semble indiquer que Videl serait bien mieux documenté que Couillard concernant les publications de Nostradamus, et ce sur plusieurs années. Nous considérons donc probable que la Déclaration, en une édition moins récente et donc ne couvrant pas les dernières publications, aura servi à Couillard pour la rédaction de sa parodie.
En fait, si l’on admet que Couillard ne connait pas grand-chose de première main concernant la production de Nostradamus- qui, au témoignage de Videl, était déjà publiée depuis quelques années, il devient moins inexplicable que Couillard ait pu, en 1560, reprendre le nom de Nostradamus sans le traiter d’aucune façon directement dans son texte. Tout se passe comme si Couillard avait une vision abstraite de Nostradamus, comme sison nom était, pour lui, emblématique de toute la corporation astrologique d’où ce « Nostradamus & autres astrologues ». On notera aussi que Couillard utilise en 1560 une formulation qui recoupe celle de Videl avec l’idée d’abus.(abusifves). Connait-il les textes qui visent en leur titre Nostradamus sous des anagrammes : Monstradamus, Monstre d’abus ? Le pamphlet de Videl est le seul chez les adversaires de Nostradamus à mentionner explicitement le nom de Nostradamus en son titre. (on trouve par erreur une autre mention chez Benazra, RCN, p. 24, Nostradamus à la place de Monstradamus, à propos de la Première Invective d’Hercule le François)
Le travail de Couillard se veut concerner l’astrologie en général et non tel astrologue en particulier. Il doit être classé parmi les essais anti-astrologiques fort nombreux à l’époque, comme celui de Jean Calvin, Avertissement contre l’Astrologie Judiciaire, paru en latin puis en français quelques années plus tôt., en 1549, On peut y voir quelque influence dans l’emploi par Couillard de « Contreditz » tant au titre que dans les hauts de page. La mention de Nostradamus n’a donc pas la même incidence que chez Videl qui chipote sur certaines erreurs techniques et qui s’adresse directement au dit Nostradamus, en le prenant à partie. On notera qu’en 1556, Couillard obtint l’autorisation de publier ( cf. en tête de l’ouvra, l’adresse « A Monsieur le Prevost « ) ses Prophéties, alors que Nostradamus était bien en cour. Cela tient probablement au fait que le dit Nostradamus n’y était pas explicitement brocardé.
Couillard cite d’ailleurs au pluriel les « nouveaux prophètes » que prétendraient être les astrologues. L’emploi récurrent du pluriel, typique de la démarche couillardienne, en ses deux ouvrages, refléte une dimension en quelque sorte sociologique voire épistémologique.
Au bout du compte, il nous semble que dans l’état actuel des données disponibles, il serait quelque peu prématuré de parler de l’existence de « prophéties de Nostradamus » parues de son vivant et à son instigation. Le « témoignage » de la pièce conservée à Moscou ne suffit évidemment pas. Rien ne prouve à ce jour qu’Antoine Arnoulphe ait été en position de publier quoi que ce soit, autour de 1568. Tous les renseignements dont nous disposons pointent sa présence au début du XVIIe siècle. Il est possible qu’Arnoulphe ait commenté une édition Benoist Rigaud datée de 1568 ; comme il en existait à la fin du XVIe siècle et au début du siècle suivant, et en ait fait quelque commentaire ayant connu un certain succés, puisqu’il est repris par d’autres, responsables d’une formulation ambigue « pour l’an 1568 ».. Le titre Resolution des propheties de Nostradamus pour l’an 1568. Extraitte (sic) du discours de ses commentaires selon les distinctions astronomiques de M. Ant. Arnoulph, médecin à Ausonne peut se comprendre autrement comme une formule maladroite pour désigner une telle édition censée parue en 1568 et non quelque texte visant spécifiquement cette année là. Il faudrait dès lors classer Arnoulph comme un contemporain du Petit Discours ou commentaire sur les Centuries de Maistre Michel Nostradamus impriimées en l’année 1555, datant de 1620, (cf Benazra, RCN pp ; 182-183) dans la mesure où sa sortie du statut ecclésiastique date de 1613 et qu’il serait devenu médecin, c’est d’ailleurs ce que nous suggère Gérard Morisse..On en saura plus quand la pièce nous sera, un jour, fournie.
Car du vivant de Nostradamus, le dossier « Prophéties de Nostradamus » reste très léger. Il tourne essentiellement autour d’Antoine Couillard qui aime utiliser ce terme (en 1556 puis en1560) et dont on cru qu’il constituait une source fiable. Or, nous avons montré que ce Couillard avait sa façon à lui de présenter les choses et qu’il cherchait un terme global pour désigner l’ensemble des activités astrologiques, tous genres confondus et qu’il se serait arrêté, à tort ou à raison, au mot Prophéties. Certes, il existe un extrait des registres de la sénéchaussée de Lyon, figurant en tête de l’édition Macé Bonhomme 1555 mais le moins qu’on puisse dire est que ce texte est suspect, il n’a pas été retrouvé dans les archives et l’on peut penser qu’il s’agirait d’un Extrait retouché, d’où un certain caractère d’authenticité en ce qui concerne les signataires. Les autres « haineux » de Nostradamus ne mentionnent pas explicitement des « prophéties » même s’ils discutent de la condition du prophéte, mais dans un sens biblique différant de l’usage qu’en fait Couillard qand il parle de « nouveaux prophétes » [3]. Certes, il est question de « vaticinations perpétuelles » terme que semble avoir utilisé Nostradamus si l’on en croit ceux qui prétendent le citer (ce qui se retrouve dans la Préface à César qui reprend des textes de seconde main), à une certaine époque et que reprennent ses détracteurs, mais il peut s’être agi d’une publication sans lendemain, si l’on peut dire, au début des années 1550, dont on n’a pas gardé de trace, si ce n’est dans certains registres manuscrits de librairie décrits par Gérard Morisse[4] mais on ne trouve pas mention de ce terme dans les priviléges énumérant ses publications[5] du moins pas pour 1557 . Débat important puisqu’il concerne ni plus ni moins que la question de l’authenticité des éditions des « Prophéties de M. Michel Nostradamus », censées parues en 1555, 1557 et 1568. Il reste que l’on aurait quand même poussé le zéle jusqu’à indiquer une parution chez Benoist Rigaud en cette même année 1568. De fait, la référence à Rigaud 1568 s’est alors imposée dans la production nostradamique, à partir du régne des Bourbons, et elle est notamment reprise par l’édition troyenne antidatée de 1605 (cf Benazra, RCN, p. 156)

JHB
22. 06.12

 
 

55 - Une vraie fausse préface à César
Par Jacques Halbronn


La question n’est pas tant si le texte de la Préface à César est bien du Nostradamus que de déterminer si ce texte avait bien été adressé au dit César par son père..
Nous disposons de trois textes se recoupant partiellement : les Prophéties du Seigneur du Pavillon, la Déclaration de Videl et bien entendu la Préface à César en tête des Prophéties de M. Michel Nostradamus. Si l’on admet que Couillard a largement recopié Videl, est –ce à dire par ailleurs que Videl avait eu connaissance de la dite Préface à César et des Centuries qui l’accompagnent dans le corpus centurique ?
Il y a certes quelques points qui prêtent à confusion : d’une part c’est Couillard qui signale le nom de César ainsi qu’une épitre de Nostradamus, mais sans indiquer que la dite épitre est adressée à César et de l’autre, on trouve dans son texte des passages qui se retrouvent dans la Préface à César mais que Couillard n’associe pas explicitement à Nostradamus.
Qu’apprenons concernant la genèse de la Préface à César, telle que nous la connaissons dans le corpus centurique, tout en rappelant qu’il en existe au moins deux versions sensiblement différentes du fait de la résurgence en 1672 à Londres d’une version (traduite en anglais mais que l’on retrouve chez Antoine Besson, vingt ans plus tard, sous sa forme d’origine) qui nous semble plus ancienne et au demeurant nettement moins défectueuse ?
Il convient de rappeler l’usage qui est fait à la fin du XVIe siècle de la littérature anti-nostradamique pour combler les lacunes de la documentation (cf. B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Ed. Seuil, p. 283). C’est ainsi que pour reconstituer les Présages Merveilleux pour 1557 que l’on n’a plus sous la main (mais qui ont été retrouvés depuis), l’on recourt, comme il est dit dans le Recueil des Présages Prosaïques (1589, conservé à la Bibliothèque de Lyon La Part Dieu, à la réserve), »à un des haineux de l’auteur », « retirez d’un sien livre imprimé à Paris 1558 ». Il s’agit du Monstre d’Abus d’un certain Jean de La Daguenière, qui s’en prend en effet, notamment, au fait que Nostradamus ait consacré une épitre à Henri II. (cf. nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, éd. Ramkat, 2002). Au demeurant, cette épitre diffère sensiblement de celle qui figurera en tête du second volet des Centuries et qui ne sera plus datée de 1556 mais de 1558. Apparemment, au moment où cette note est rédigée, au sein du dit Recueil des Présages Prosaïques, on n’avait pas encore connaissance de l’Epitre à Henri II placée en tête du second volet, car il eut été logique de s’y référer. En effet, il est indiqué « D’un autre présage sur la mesme année qui ne se trouve point, dédié à la Magesté du Roy Tres Chrestien ». Ce qui confirme nos positions en faveur d’une émergence tardive du second volet, postérieure à celle du premier, attestée sous la Ligue dès 1588 et qui pourrait ne pas être parue avant 1593, le Janus Gallicus y faisant des emprunts en 1594. Or, c’est le même Jean Aimé de Chavigny dont le nom figure à la page de titre du dit Recueil en 1589 et à celle du Jani Gallici facies..prior, cinq ans plus tard. Entre temps, le corpus centurique aura sensiblement évolué. L’histoire se complique du fait que le seul exemplaire existant des Présages Merveilleux qui nous soit parvenu comporte étrangement- et probablement par erreur, un assez long passage issu d’une attaque contre les dits Présages.(cf notre étude à ce sujet), ce qui soulignerait à quel point il aura été fait recours aux « haineux » pour reconstituer certaines pièces, voire pour les recycler sous une autre forme comme dans le cas de la Préface à César qui nous semble être un patchwork de divers extraits repris de Nostradamus.
En effet, le sort des deux Epîtres centuriques, celle à César et celle à Henri II semble bien avoir dépendu de cette production des « haineux ». Cela est reconnu en ce qui concerne l’épître au Roi- dont le cadre général est conservé - mais cela semble bel et bien avoir été aussi le cas pour la Préface au fils de Nostradamus, mais cette fois à partir non plus du Monstre d’Abus (dont le titre d’ailleurs n’est pas fourni dans le Recueil) mais à partir de la Déclaration de Videl ou à partir des Prophéties du Seigneur du Pavillon.
Mais est-ce à dire que les passages qui se trouvent dans ces deux pièces aient jamais fait partie de quelque texte adressé à César ?
Evidemment, si l’on part du postulat selon lequel la Préface à César serait authentique, l’on peut toujours s’amuser à mettre en évidence tous les recoupements mais ici le débat tourne précisément sur l’éventualité d’une contrefaçon, comme dans le cas de l’Epitre à Henri II. On laissera donc cette « méthode » de côté et l’on se posera la question suivante ; qu’est ce qui dans ces deux textes se réfère à César ? Réponse : le nom de César est mentionné à propos d’une terrible épitre, sans qu’il soit en aucune façon indiqué que la dite épitre lui était adressée, ce qui aurait d’ailleurs été assez étrange. Quel décalage avec les Grands auxquels Nostradamus adresse ses publications : pour 1557, Catherine de Médicis, Antoine de Bourbon roi de Navarre et Henri II. Excusez du peu. Nous avons montré dans d’autres textes la probable influence d’un certain genre hermétique axé sur l’Epitre au fils, ce qui nous renseignerait plutôt sur la formation des faussaires, qui marque notamment les deux premiers quatrains de la première Centurie.
Selon nous, les dits faussaires, voyant le nom de César mentionné dans les Prophéties du Seigneur du Pavillon (elles-mêmes signalées dans les Contredits à Nostradamus) dans le seul passage qui mentionne le nom de Nostradamus auront jugé bon de récupérer des passages des dites Prophéties pour composer une Préface à César. Par la suite, des historiens de la question, ayant découvert que la Déclaration de Videl comportait grosso modo les mêmes extraits que Couillard et notant que le dit Videl critiquait les travaux de Nostradamus auront bouclé le dossier. On avait bien là deux « témoins » de l’existence de la Préface et donc d’une éditons des Centuries à cette date, par-dessus le marché. Quelle aubaine !
Cela n’empêche nullement que les passages concernés ont toutes les chances d’être de la plume de Nostradamus, vu le contenu très axé sur Nostradamus de la Déclaration de ce Laurent Videl, mais pas sous la forme exacte d’origine puisque ce ne sont que des éléments épars. Etant donné l’étendue de la documentation nostradamique de Videl, et le fait que plusieurs des pièces qu’il cite ne nous sont pas parvenues – on pense à tout ce qui précède les publications pour 1555- et ne remonte-t-il pas jusqu’en 1552 ?- on peut tout à fait supposer qu’il donne là des extraits de certaines épitres propres aux publications citées et pas nécessairement adressées à César d’autant que celui-ci ne naquit qu’à la fin de 1553. En outre, ces passages ne sont pas nécessairement extraits d’épitres mais du corps des textes concernés qui leur font suite encore que certaines épitres aient pu paraitre isolément –(cf. le cas des Significations de l’éclipse de 1559, en fac simile en annexe dans B ; Chevignard, op. cit).
On se demandera donc si les faussaires se sont servis de Couillard ou de Videl ou bien des deux à la fois pour composer leur Préface à César. On notera que Videl ne mentionne pas le nom de César. On peut donc penser que les dits faussaires sont passés par Couillard, lequel a pu emprunter à Videl qui nous apparait comme ayant produit à l’époque l’ensemble le mieux documenté et renseigné et qu’ils ont fait l’amalgame entre César et des passages repris de Videl par Couillard. Autrement dit, ils se sont servi d’un travail de seconde main, ne comportant aucune référence bibliographique précise. Mais on nous demandera : pourquoi Couillard emprunta-t-il, pour commencer, à Videl ? Mettons –nous à la place d’Antoine Couillard, seigneur du Pavillon les Lorriz en Gastinois. Il s’est mis en tête de rédiger des Prophéties pour se moquer de ces » nouveaux prophètes » que sont en fait les astrologues, à ses yeux, ce qui est confirmé dans les Contredits. Couillard va puiser dans Videl pour nourrir sa prose, du moins si l’on admet qu’il ait pu exister une édition antérieure de la dite Déclaration, parue en 1558, ce qui n’a rien ‘inconcevable au regard des textes qui y sont cités, ce qui indique chez Videl un intérêt pour la production de Nostradamus bien antérieur à 1557. Cette façon de récupérer, de recycler des textes est alors tout à fait coutumière et en ce qui concerne la genèse des quatrains, on ne compte plus les emprunts plus ou moins massifs à tel ou tel corpus. Certes, Videl aura-t-il pour cette nouvelle édition – peut être recourant à un nouveau titre - pris connaissance de la production de Nostradamus pour 1557, parue dans le cours de l’année de sa nouvelle épitre, mais cela vient, selon nous, s’ajouter à une précédente mouture se référant notamment à une pronostication pour 1552, à un almanach pour 1553 et à une publication pour 1555 - Videl se référe même à une publication pour 1556- et c’est cette édition dont Couillard aurait pris connaissance au cours de l’année 1555 pour ses Prophéties parues en 1556 . A la lecture de la Déclaration de Videl, on peut se demander si cette pièce n’a pas été elle-même composée d’autres pièces. Il y a ainsi une anomalie, à un moment, on lit « de la dite pronostication pour 1552 » alors que celle-ci n’avait pas été mentionnée précédemment. Par ailleurs, on retrouve des similitudes entre la Déclaration et le Monstre d’abus de La Daguenière, du fait que dans les deux cas on y ironise sur la production extra-astrologique de Nostradamus, c'est-à-dire ses recettes sur les fardements, sur cet astrologue « pasticier », la première édition devant dater de 1552. Or, dans la Déclaration, on se réfère à un texte paru « dernièrement », ce qui pourrait renvoyer à la première édition et donc se situer autour de cette date, ce qui signifierait une mise à jour ultérieure ou une compilation de divers texttes. Rappelons que la page de titre du Monstre d’abus est fabriquée de toutes pièces à partir de certains passages de la Guide des Chemins de France de Charles Estienne, comme le seront certains quatrains du second volet des Centuries, ce qui peut laisser entendre que certaines recettes ont pu être reprises, ce qui ne serait guère étonnant vu que la libraire parisienne Barbe Regnault a publié en1558 le dit Monstre d’Abus avant de s’engager dans la parution de faux almanachs de Nostradamus, dès le début des années 1560...
Enfin faut-il rappeler que ces divers pamphlets dont les derniers datent de 1558, hormis celui de Couillard qui est de 1560, ne mentionnent aucunement les quatrains des Centuries alors que toute la production nostradamique est passée au crible. Il y est bien question de séries de quatrains – le mot quatrain n’est pas prononcé mais l’on parle de « vers logez de quatre en quatre sur le commencement de chaque mois » (Le Monstre d’abus de La Daguenière). Autrement, le quatrain ne serait qu’une entité artificielle regroupant quatre vers tout commes les centuries pour les quatrains. C’est ce que confirmera le Janus Gallicus qui relie un même quatrain à des événements différents.
Etrangement, on lui reproche à la fois d’oser s’adresser aux princes pour leur annoncer leur destin et à la fois d’être incompréhensible au point que ce soit le lecteur qui doive « deviner » de quoi il est question. Tout laisse indiquer, en tout cas, que Nostradamus produisait du signifiant et qu’il laissait à d’autres le soin d’en tirer quelque signifié, ce qui au départ impliquait une tradition orale, un processus passant par la rumeur et dont nous n’avons guère de traces conservées.
Le paradoxe, c’est que, comme nous l’avons montré ailleurs, une grande partie des reproches ainsi proférés ne concerne pas directement Nostradamus mais son « atelier ». En effet, il devait guère accorder d’ importance aux quatrains de ses almanachs et par ailleurs, comme le montre la comparaison entre le Recueil des Présages Prosaïques et les publications réellement parues conservées, il laissait les détails techniques à des assistants tant et si bien qu’une grande partie de ce qu’on lui attribue, centuries comprises évidemment, n’est pas de lui mais de ceux qui l’entouraient ou lui succédèrent. Dans le cas de la Préface à César, il est probable, on l’a dit, que son contenu pouvait lui être attribué mais non pas la dédicace, ni l’année, ni la présentation exacte du texte.. Cela nous fait penser au Centiloque attribué à Ptolémée et qui est certes un faux mais très largement repris de la Tétrabible du dit Ptolémée. (cf notre postface au Commentaire du Centiloque de Nicolas Bourdin, Ed. La Grande Conjonction-Trédaniel, 1992)
Il reste que l’on commettrait une grave erreur en ne nous appuyant que sur les pièces conservées pour établir une chronologie (cf nos récents travaux sur le Splendor Solis). Nous pensons que Couillard a travaillé de seconde main et qu’il a dépendu de certains relevés dus à des détracteurs de Nostradamus. La qualité de l’information d’un Videl est très largement supérieure à celle d’un Couillard qui, si l’on se fiait aux seules pièces disponibles – erreur de perspective commise par certains chercheurs - aurait été le premier à s’en prendre à Nostradamus, en 1556. Tout indique, au contraire, que Nostradamus était « suivi » et scruté depuis déjà quelques années quand Couillard s’est interessé au cas Nostradamus et d’ailleurs si certaines pièces furent conservées – hormis le cas du Recueil des Présages Prosaïques évidemment - cela pourrait l’avoir été par ceux qui entendaient s’en prendre à lui, non sans un certain acharnement comme dans le cas de Videl qui aurait ainsi passé en revue les publications allant de 1552 à 1558 (qu’il évoque incidemment) soit sur sept années. Nous ne pensons pas qu’il ait attendu 1558 pour publier ses observations.

JHB
21. 06. 12

 

 

56 - Le cas des “Propheties de Nostradamus”
Par Jacques Halbronn

La récente découverte d’une pièce nostradamique inédite par Theo Van Berkel, laquelle pièce était signalée dans le catalogue de la Bibliothèque d’Etat de Russie, Moscou, mais non encore décrite ou reproduite, nous conduit à nous interroger sur le statut de la série appelée « Prophéties de Nostradamus » et qu’il convient de distinguer des autres séries selon un certain nombre de critères dont il ne semble que l’on n’ait point jusque là saisi toute l’importance. Il s’agit de la Resolution des propheties de Nostradamus pour l’an 1568. Extraitte (sic) du discours de ses commentaires selon les distinctions astronomiques de M. Ant. Arnoulph, médecin à Ausonne. Imp: Benoist Rigaud, Lyon, 1568. 15 (1) p.

(cf. notre étude “Du nouveau sur l’origine des éditions 1568, Benoist Rigaud)

Cela fait déjà plusieurs années que nous avons signalé à quel point il convenait d’accorder de l’importance à la façon dont le nom de Nostradamus était accommodé et introduit. Dans notre ouvrage Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus (Ed Ramkat, 2002), nous avions ainsi abordé une série de trois ouvrages associés à l’année 1557, qui tous trois présentaient de la même façon Nostradamus : à savoir « Maistre Michel Nostradamus » (Présages merveilleux pour 1557 et l’Almanach pour 1557) ou « Maistre Michel de nostre Dame »(La Grande Pronostication pour l’an 1557)
Comment se fait-il donc qu’à certaines occasions, on trouve uniquement Nostradamus ou Michel Nostradamus, sans marque préfixale que l’on peut juger honorifique. Les adversaires de Nostradamus de son temps, se gardent bien d’y recourir et l’on trouve soit des anagrammes, soit uniquement le nom de famille, soit prénom et patronyme sans marque honorifique. On pense en 1560 aux Contreditz aux faulses & abusifves propheties de Nostradamus. On y retrouve la même forme « propheties de Nostradamus » que signalé pour l’ouvrage conservé à Moscou, mais nous verrons (dans un autre article) que la formule est trompeuse car il faut lire la suite du titre « prophéties de Nostradalus & autres astrologues » . Un autre cas – car ils ne sont pas si fréquents – se trouve chez Balthazar Guynaud dans le titre de sa Concordance des Propheties de Nostradamus (1693,1709 et 1712). Rappelons que le dernier tiers du XVIIe siècle est marqué, selon nous, par la résurgence d’exemplaires très anciens (à commencer par la traduction anglaise de 1672, dont on ne connait pas d’original français antérieur). Sauf erreur de notre part, cette forme « Nostradamus » et non point «M. » ou « Maistre » n’apparait qu’associée au mot « Propheties », sauf dans un cas, qui est de très loin le mieux représenté, à savoir les cas où sous ce nom sont proposées des centuries de quatrains (1555, 1557, 1568, 1588, 1589 etc.) « Les Prophéties de M. Michel Nostradamus » Même la série « Les grandes et merveilleuses prédictions » comportent « M. Michel Nostradamus ». on a donc là un nouveau clivage entre Prophéties de Michel Nostradamus et Prophéties de M. Michel Nostradamus. Une seule lettre de différence mais qui nous apparait comme tout à fait déterminante.

Signalons des variantes en 1612 « Discours sur ce qui s’est passé à l’arrivée de Monsieur le Duc de Pastrane (…) avec l’explication d’une Propheties de Nostra-Damus » en 1612 et en 1627 Les heureuses advantures du sieur de Soubise (…) avec les Centuries de Nostradamus » (cf Benazra, RCN, p. 187)

Au temps de la Fronde, il n’est pas rare que le nom de Nostradamus soit présenté sans préfixe comme pour ces Visions astrologiques de Michel Nostradamus, en 1649.

Regardons à présent l’Extrait des registres de la Sénéchaussée de Lion (sic), en date du dernier jour d’avril 1555 : il y est mentionné « Les propheties de Michel Nostradamus » (en tête de l’édition Macé Bonhome, 1555) alors que la page de titre donne « Les Propheties de M. Michel Nostradamus ». Autrement dit le titre ne correspond pas strictement à la désignation de l’ »Extrait des registres », du fait de ce « M. » qui figure pour un groupe et pas pour un autre. Nous voulons y voir une anomalie, ce qui vaudrait pour toutes les éditions des Propheties comportant des centuries de quatrains.

Quelles conclusions tirer de ces observations ? Il nous semble que les faussaires qui eurent la charge de produire des centuries de quatrains sous le nom de Propheties optèrent pour la formule réservée à l’Almanach d’une part et à la Pronostication, de l’autre, ce qui les induisit en erreur.. Or, la forme sans « M. » est attestée par l’ »Extrait de la Sénéchaussée » d’avril 1555 à propos des Prophéties. Cet Extrait est probablement authentique mais associé à un contenu qui ne l’est point. On notera que si Pronostication est introduite par l’article défini pour 1557 mais sans article pour 1558, ce n’est pas le cas de l’Almanach qui apparait toujours au titre sans article.

S’il n’avait pas existé des Prophéties de Nostradamus du temps du « Mage » de Salon, on n’aurait pas produit une série de Prophéties censées êtres parues de son temps. Mais les faussaires se sont trahis en adoptant la forme pratiquée (M. Michel Nostradamus » (ou Maistre) dans les almanachs et/ou les prognostications et non celle propre aux Prophéties, ce dont témoigne Antoine Couillard du Pavillon, en 1560 (cf supra), Prophéties de Nostradamus ou de Michel Nostradamus.

On notera que la traduction de la Paraphrase de C. Galen sus l’exortation de Menodote comporte « Michel Nostradamus » et non « M. (ou Maistre) Michel Nostradamus », alors que les autres ouvrages censés parus chez le même libraire (les Prophéties, 1557à, à savoir Antoine du Rosne, comportent le « M. » initial.

Il faut rappeler le problème des vignettes qui est parallèle à celui des préfixes de civilité : les vignettes des almanachs de Maistre M. Michel Nostradamus diffèrent de celles des Prophéties à centuries que l’on trouve sur la page de titre de la Paraphrase. (1557, 1558). Notons que les Almanachs authentiques de Nostradamus n’ont pas de vignette, alors que dans le cas de contrefaçons comme celles commises par Barbe Regnault, on trouve celles qui serviront pour les Prophéties à centuries. Là encore, il y a des codes.

Etant donné que nous ne disposons d’aucune édition authentique et complète des Prophéties de Nostradamus, nous n’en connaissons pas le contenu. Nous pensons qu’il ne s’agissait aucunement de ce que l’on nous présente en vrac sous ce titre mais bien de formules lapidaires datées pour telle année, éventuellement pour tel mois voire tel jour, dans le style des Prophéties Perpétuelles pour de longues séries d’années, genre dont, selon nous, elles relèvent.

Nous pensons que Nostradamus ne valorisait guère ce travail et qu’il ne s’y affichait pas comme médecin, peut être parce que c’était interdit à cette corporation, du fait des procédés assez primaires de calcul, au regard de la science astronomique. Cela expliquerait donc qu’il ne se présente pas sous son jour officiel, avec ses titres. On peut même se demander s’il en était réellement l’auteur ou s’il se contentait de laisser y mettre son nom, ce qui selon nous se produisait aussi pour les publications annuelles qu’il ne faisait qu’ébaucher et que d’autres complétaient. (cf. « Vers une nouvelle approche de la bibliographie centurique »Revue Française d’histoire du Livre, n° 132, 2011) On comprend que pour sa traduction de Galien (cf. supra), il n’ait pas non plus voulu se présenter « en gloire » car c’était une tâche assez subalterne. Il n’est donc pas non plus ajouté après le nom la fonction. On notera cependant que les diverses éditions contrefaites des Prophéties-Centuries dans les années 1550-1560 ne signalent pas la qualité de médecin de Nostradamus à la différence des almanachs et prognostications. Il y a donc tout un jeu sur les préfixes et les suffixes qui sont en œuvre avec des solutions bancales pour les éditions antidatées des Centuries, qui comportent la préfixation (« M., Maistre ») mais non la suffixation (« docteur en médecine de Salon de Craux en Provence »). C’est là une cotte mal taillée ;

C’est donc le non respect des divers codes en vigueur qui nous permettent notamment de signaler ce que l’on pourrait appeler des anachronismes en ce qui concerne le lancement de contrefaçons.

On a pu croire que l’absence de marques de courtoisie était le fait d’adversaires de Nostradamus, (cf Benazra, RCN, pp. 31-33) qui utilisent aussi des formes comme Monstradamus, Monstre d’Abus, dans les années 1550. On pense à la Déclaration des abus, ignorances et seditions de Michel Nostradamus, Avignon, Pierre Roux. (BNF). Mais nous pensons qu’encore une fois, le second XVIIe siècle, à partir des années 1670, renoue avec des documents d’origine. C’est ainsi que l’édition anglaise de 1672 qui comporte un état particulièrement ancien, selon nous, de la Préface à César, s’intitule The True Propheties or Prognostications of Michael Nostradamus. A la même époque, le chevalier de Jant publie ses « Prédictions tirées des Centuries de Nostradamus » (cf Benazra, RCN, pp ; 246-247) et surtout nous attachons de l’importance à la Concordance de Guynaud, qui emploie en son titre la forme « Propheties de Nostradamus ». En 1701, on trouve l’Abrégé de la vie de Michel Nostradamus. La dualité des formules employées perdure ainsi d’un siècle à l’autre. En 1710, parait La Clef de Nostradamus, isagoge ou introduction au véritable sens des Prophéties de ce fameux auteur, Paris (BNF)

En 1572, donc après sa mort (1566) paraissait en allemand un texte intitulé « Michaelis Nostradami, Dess Weltberühhmten (…) philosophi, astrologi und Medici zwey Bücher « . L’absence des préfixes n’est nullement ici un signe d’hostilité puisqu’il est précisé que sa renommée est mondiale .(weltberuhmt) et cela ne concerne pas seulement le texte ainsi introduit consacré aux fardements et aux confitures.

Vu rétrospectivement, trois types de textes circulent au XVIe siècle créant une certaine confusion : ceux qui signalent les qualités (préfixe, suffixe) de Nostradamus, ceux qui ne recourent pas au préfixe et ceux, contrefaits, qui recourent au préfixe mais dont le contenu correspond à ceux qui n’y recourent pas.

Le cas de l’Extrait de la Sénéchaussée de Lyon est assez révélateur puisqu’il ne comporte pas de préfixe pour Nostradamus alors que son titre en comporte un. Quelle maladresse de la part des faussaires qui entremêlent le vrai et le faux, seule façon d’ailleurs de donner le change, à condition que cela ne se retourne pas contre vous. Il est évident que de nos jours, ce critère ne fait plus guère sens et que la forme non préfixée l’a emporté, sauf dans le cas de reprints ou d’éditions critiques mais il importe justement de se replacer dans le contexte de l’époque et de déceler les traces d’une dualité de formulation dès les années 1550 . Tout se passe en fait comme si l’on avait affaire à une forme d’un seul tenant : « Prophéties de (Michel) Nostradamus » que l’on retrouve dans cette pièce oubliée tout au long du XXe siècle par les chercheurs alors qu’elle est conservée dans la principale bibliothèque de Moscou. Selon nous, cette pièce, quel que soit son caractère satirique ou hagiographique- ce qui ne ressortira que de son examen quand celui-ci sera possible- comporte des expressions tout à fait intéressantes (cf. notre étude sur ce sujet) à commencer par cette forme en quelque sorte générique « Propheties de Nostradamus. ». Le choix des expressions est déterminant : tout semble indiquer que l’almanach obéissait à d’autres règles que la prognostication et qu’il en était de même pour les prophéties, constituant ainsi un triptyque, ce qui ressort d’ailleurs, comme l’a montré Gérard Morisse, des registres de libraires. Ces publications ne paraissaient pas au même moment, la Prognostication débutant au printemps (avec 4 entrées) et l’almanach en janvier (avec 12 entrées). Quant aux Prophéties, on devait les écouler tout au long de l’année puisqu’elles couvraient toute une série d’années (dans le style des Prophéties Perpétuelles de Moult, au xVIIIe siècle, dont certaines éditions sont d’ailleurs associées à Nostradamus (cf l’édition de Volguine, Nice, 1940, réédition 1977), avec des commentaires relatifs aux extraits de telle année comme dans le cas de la pièce moscovite (pour 1568).
Il est pour le moins paradoxal que ce troisième genre soit à la fois aussi fortement représenté au regard des contrefaçons et aussi peu attesté, sous la forme qui lui incombait, au regard des documents conservés et qu’à l’inverse les productions authentiques conservées ne relèvent pas du genre centurique.

Il reste que le mot même de Prophéties aura connu des usages et des acceptions fluctuantes. Nous verrons dans un prochain article qu’il peut, chez un Antoine Couillard, à tort ou à raison, peu importe, être associé au travail des astrologues et n’avoir aucune conotation oraculaire et encore moins biblique. En quelque sorte, les astrologues seraient les »nouveaux prophétes », pour recourir la rhétorique couillardienne, c'est-à-dire des prophétes qui se légitiment non plus par quelque inspiration divine mais par le recours à quelque savoir d’origine astronomique. Or, à la fin du XVIe siècle semble bien s’être produit un glissement vers une sorte d’astro-prophétisme (cf notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France. Formation et fortune, Ed. du Septentrion, et sur propeties.it, ainsi que sur le SUDOC), avec un retour en force des prophéties des Saints et des Saintes, à preuve le fait que les Prophéties de M. Nostradamus sont vendues au XVIIe siècle, conjointement avec le Recueil des prophéties et révélations tant anciennes que modernes contenant un sommaire des revelations de saincte Brigide, S. Cyrille & plusieurs autres Saincts & religieux personages (cf Benazra, RCN, p. 172).
Une telle évolution est cause d’anachronisme, chez les historiens, en ce sens que l’on interpréte des textes datant des années 1550-1560 en recourant à une grille inadéquate. Or, force est de constater que le contenu même des textes associés au nom de Nostradamus a lui aussi changé de nature et que l’on sera passé d’une production axée sur des données astronomiques à une sorte de poésie pseudo-prophétique, dont les diverses productions des uns et des autres se retrouveront placées, sous la Ligue, au sein d’un même corpus sous la houlette d’un Nostradamus mythifié. Il est des critères qui valent pour une époque et non point pour une autre : le fait que le nom de Nostradamus soit ou non préfixé n’a évidemment pas le même sens au XVIe et au XVIIe siècles et chez Guynaud, à la charnière avec le XVIIIe siècle, l’absence de préfixe correspond à une évolution qui s’est confirmée depuis. De nos jours, il ne viendrait à l’esprit de personne de parler des Prophéties de M. Michel Nostradamus ou de Maistre Michel Nostradamus.
D’où l’intérêt de la pièce russe qui en 1568 témoigne d’une pratique atypique pour l’époque mais attestée par l’Extrait des registres de la Sénéchaussée de Lion, déniché par les faussaires pour faire plus vrai et dont ils n’avaient pas compris qu’il était en porte à faux avec le titre proposé pour leur contrefaçon, dans leur ambition de substituer un contenu à un autre sous un même intitulé et confondant les pratiques des almanachs et des pronostications avec celles des prophéties (perpétuelles).
JHB

21. 06. 12

 

 

57 - Du nouveau sur l’origine des éditions 1568 Benoist Rigaud

Par Jacques Halbronn

Notre ami nostradamologue d’Utrecht, Theo Van Berkel nous signale avoir découvert mention dans le catalogue on line de la Bibliothèque Nationale de Russie (Russian State Library) , d’un texte intitulé

Resolution des propheties de Nostradamus pour l’an 1568. Extraitte du discours de ses commentaires selon les distinctions astronomiques de M. Ant. Arnoulph, medecin a Ausonne. Imp: Benoist Rigaud, Lyon, 1568. 15 (1) p.

. Gérard Morisse en a retrouvé, entre temps, la trace chez Sybille von Gültlingen, dans sa Bibliographie des livres imprimés à Lyon au seizième siècle. Tome XII: Benoît Rigaud, Baden-Baden & Bouxwiller, Editions Valentin Koerner, 2009, p. 64, n° 404, ouvrage paru après les bibliographies de Chomarat (1989, chez le même éditeur Koerner) et de Benazra (1990, pas de mention non plus dans le Corpus Nostradamus de P. Guinard). Il est étonnant que depuis 2009, cette information n’ait pas circulé et qu’il ait fallu attendre un hasard de recherche de la part de notre ami hollandais.

L’ouvrage est signalé, dans le catalogue russe, conjointement à un autre, sensiblement plus volumineux d’un certain Wolfgang Musculus (1497-1563) : Le Temporiseur, en forme de dialogue, par Eutichius Musculus, où sont décidées et réfutées toutes les difficultez... que peuvent mettre en avant ceux qui temporisent sur le faict de la religion vrayement chrestienne,. apres qu’ils ont connu la vérité évangélique, traduit du latin par V. Poullain, Lyon : J. Saugrain, 1565, In-8° , 85 p. , dont on connait aussi une suite chez le même libraire lyonnais Conseilz et advis de plusieurs grands et doctes personnages sus la mesme matiere contenue au precedent livre du Temporisateur, traduit du latin par V. Poullain, (cf BNF D2 4239 (1) et (2) . Il s’agit de textes d’auteurs réformés, qui considérent l’Eglise Romaine d’Antéchrist – d’où l’expression « religion vraiment chrestienne », et qui comportent des développements sur le prophétisme, ce qui pourrait expliquer que le premier d’entre eux jouxte un texte relatif aux « prophéties de Nostradamus ».

On trouve la trace de cet Antoine Arnoulph à l’occasion d’un rescrit à Rome, qui le désigne comme « religieux célestin », en date du mois de février 1613. Il s’agit bien du même personnage puisqu’il est rappelé à cette occasion son lien avec Auxonne. En 1611, il avait publié une Institution de la Sainte Messe.[6] dont nous n’avons pas réussi à localiser d’exemplaire.

Certes, entre 1568 et 1611-1613, du temps s’est écoulé et le médecin serait entré dans l’ordre des Célestins. Mais il semble bien qu’il s’agisse du même personnage, notamment en raison de la référence à Auxonne, du diocèse de Besançon, dans les deux cas, à plus de quarante ans de distance.

Le fait qu’un autre ouvrage paru en 1565 figure conjointement, à ce qu’il semble, et dont on ne saurait douter de l’existence étant donné la production importante de ce Musculus, qui meurt en 1563, tend à authentifier la publication de 1568, soit trois ans après celle de 1565 en rapport avec l’ouvrage intitulé Le Temporiseur. Il semble qu’il puisse s’agir d’un recueil factice comportant les deux imprimés.

Theo Van Berkel nous écrit :

« Bien que je le connais pas le contenu du livre, attribué a m. Arnoulph, le cas me semble intéressant. Le titre conduit aux questions suivantes:

1. Quant au mots “Resolution des propheties de Nostradamus pour l’an 1568”: si l’année d’issue (1568) est correcte, pourquoi une évaluation des prophéties pendant l’année de l’issue? Il semblerait plus logique si un tel commentaire était issue en 1569?

2. Pourquoi le renvoi à l’année 1568? Est-ce que cette année avait une importance? Ou est-ce que cette année est un renvoi a l’année de l’issue d’une édition B. Rigaud 1568 (oui/non antedatée)? Ou s’agit-il d’un commentaire sur “Prophetie ou revolution merveilleuse [...] l’an de grande mortalité 1568 (Mi. de Nostradamus, Jove éditeur, Lyon, 1568)? «

Il est clair que la présence du libraire lyonnais Benoist Rigaud et de l’année 1568 ne peut laisser indifférent un chercheur dans le domaine nostradamique, outre le fait que l’ouvrage se réfère à Nostradamus.

On note cependant que nous avons ici affaire à des prédictions annuelles, donc a priori dans un genre bien différent des « Centuries » également appelées Prophétie : Resolution des propheties de Nostradamus pour l’an 1568. Extraitte du discours de ses commentaires selon les distinctions astronomiques de M. Ant. Arnoulph, medecin a Ausonne. Imp: Benoist Rigaud, Lyon, 1568.[7]

Ce qui nous intéresse, on s’en doute, c’est le recours à la forme « Prophéties de Nostradamus », et notamment ce pluriel alors que le texte cité par Van Berkel est au singulier. En revanche, l’on sait que Benoist Rigaud a son nom en bas de la page de titre de Propheties de M. Michel Nostradamus, Lyon, 1568

C’est en fait, à notre connaissance que l’on trouve un ouvrage comportant, au XVIe siècle, en son titre « Prophéties de Nostradamus », en dehors évidemment des éditions centuriques. Il ne semble pas qu’il puisse s’agir de cela, ici, du fait que l’expression se poursuit « pour l’an 1568 ». L’ouvrage ne comporterait qu’une quinzaine de pages, si l’on en croit le catalogue russe (cf ci-dessus) La mention de cet Antoine Arnoulph et de ses « distinctions astronomiques » est tout à fait inhabituelle.

Cela dit, il semblerait qu’en fait cela renvoie à une série de prophéties sur plusieurs années dont on aurait extrait ce qui concerne l’an 1568 - on pense à des prophéties ou vaticinations perpétuelles, comme nous le préconisons de longue date - et dont on a gardé des traductions italiennes sans parler des productions des « successeurs » de Nostradamus.

Nous pensons que c’est l’existence d’ouvrages de ce genre qui ont pu donner l’idée à des faussaires des années 1590-1600 de choisir 1568 et Benoist Rigaud pour antidater des éditions portant le nom de Prophéties.

On peut supposer que cet Antoine Arnoulph, passé plus tard Célestin, avait, dans sa jeunesse, alors qu’il était médecin, engagé un tel exercice dès avant 1568 voire du vivant même de Michel de Nostredame, consistant à commenter les dites Prophéties. L’emploi de la formule « distinctions astronomiques » pl16aide également dans le sens d’une production articulée systématiquement sur des données astronomiques, ce qui n’est pas le cas pour les Centuries. Par la suite le dit Arnoulph entra dans les ordres et probablement opta pour d’autres activités que celle de commentateur de la production du dit Nostradamus.

On peut toujours espérer un jour pouvoir lire un tel ouvrage, lequel n’avait jamais été ne serait-ce que mentionné dans les bibliographies spécialisées. C’est selon nous un chaînon manquant et nous félicitons notre ami hollandais pour sa découverte qui devrait notamment intéresser notre ami Gérard Morisse qui avait repéré la mention de « Prophéties » dans les catalogues manuscrits de libraires.

On notera que le mot « Commentaire » qui figure dans le titre du petit volume conservé en Russie, est utilisé en 1596 : Commentaires du Sr de Chavigny beaunois sur les Centuries et Prognostications de feu M. Michel de Nostradamus, Paris, Gilles Robinot. Autre édition chez Anthoine du Breuil (cf. R. Benazra, RCN, pp. 142-143) . Déjà en 1594, on trouvait ce terme dans le Janus François qui en était une première mouture ; Première Face (…) extraite et colligée des Centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame, Lyon, Héritiers de Pierre Roussin (cf RCN, pp. 130-131). Ce que nous avions déjà signalé par le passé, c’est cette étrange oscillation : tantôt les commentaires sont de Nostradamus, tantôt ils sont sur Nostradamus. Mais on peut aussi se demander si l’expression « Commentaires de M. Michel de Nostredame » ne signifie pas Commentaires des écrits de Nostradamus. Toujours est-il que dans le cas qui nous occupe, on a un certain Antoine Arnoulph, médecin à Auxonne, dont en quelque sorte Chavigny prendrait le relais, notamment dans l’édition de 1596 qui n’est pas bilingue comme celles de 1594.

Rappelons aussi comme nous l’évoquions plus haut l’existence d’un genre qui sera fortement pratiqué dans les années 1560 dans la sphère nostradamique comme, parus en 1571, ces Présages pour treize ans continuant d’an en an iusques à celuy de mil cinq cens quatre vingt trois (…) recueillies de divers autheurs & trouvées en la bibliothèque de defunct maistre Michel de nostredame (..) mises en lumière par M. de Nostradamus le Jeune, Paris, Nicolas du Mont ( Bibl . Sainte Geneviève, Paris, RCN, p. 98).

On notera une similitude entre la présentation du Janus Gallicus et ce texte de 1571 en ce sens que Chavigny se présente en 1594 comme ayant recueilli des documents comme il est dit, en 1571, pour Nostradamus : « extraite et colligée des Centuries et autres commentaires (…) par Jean Aimes de Chavigny », formule qui ne sera pas reprise au titre des éditions de 1596, même s’il est indiqué « feu M. Michel de Nostradamus » alors qu’en 1594, il était simplement indiqué « Michel de Nostredame iadis Conseiller », ce qui est plus vague. (en latin iam olim)

Du vivant de Nostradamus, on n’a conservé que des traductions italiennes- conservées à la BNF, de cette pratique de prédictions d’année en année (cf RCN, pp. 67-68) dont ces Presagi et pronostici di M. Michele Nostradamo Francese quale principiano l’anno MDLXV diligentemente discorendo di Anno in Anno fino al 1570 (dédié au Pape Pie IV). On retiendra cette formule qui nous intéresse plus particulièrement « di anno in anno », qui explique que l’on puisse en faire des extraits pour une année particulière comme cela semble bien avoir été le cas concernant 1568 dans l’exemplaire « russe ».

Rappelons que Benoist Rigaud, le libraire qui publia cette Resolution des propheties de Nostradamus pour l’an 1568. Extraitte du discours de ses commentaires selon les distinctions astronomiques de M. Ant. Arnoulph, medecin a Ausonne, aura participé à la production de textes signés de personnages prenant le nom de Nostradamus (cf RCN, pp. 68-69) : Prognostication ou révolution avec les présages pour l’an mil cinq cens soixante cinq (..) par Mi. De Nostradamus, Lyon, Benoist Rigaud, l’épitre étant datée de juin 1564, donc avant la mort de Nostradamus survenue en 1566.

On peut certes envisager qu’il puisse s’agir avec ce petit volume d’une quinzaine de pages d’une contrefaçon antidatée, étant donné que cet Arnoulph ne nous est attesté par ailleurs pour une période bien plus tardive (1611-1613, date du rescrit c'est-à-dire de la fin de sa carrière ecclésiastique mais il devait alors été septuagénaire, pour le moins) mais nous pensons, pour une fois, devoir refuser cette hypothèse alors même que certains adversaires de nos positions auraient peut-être, à front renversé, préféré, pour une fois, qu’un tel document ne fût pas authentique puisqu’il vient confirmer un usage spécifique du mot « Prophéties » ne renvoyant pas à des quatrains (qui sait ?) et encore moins à des centuries. Rappelons ce passage de la Préface à César au sujet de « vaticinations perpétuelles » qui pourrait bien être – transmis par mégarde- un passage authentique révélant l’existence de cette pratique chez Nostradamus, point qui jusque là reste assez largement contesté.

Cela dit, il nous faut tout de même envisager l’éventualité d’une édition antidatée qui serait postérieure à 1613, date à laquelle Arnoulph aurait quitté les ordres pour se faire médecin à moins qu’il n’ait été médecin antérieurement. Rappelons tout de même qu’il publie en 1611 un ouvrage assez ambitieux sur la « Sainte Messe » en 4 parties : origine de la messe, étymologie de la messe, ses Mystères, ses effets. .. La connaissance du contenu de l’ouvrage, que l’on peut espérer prochaine, devrait évidemment nous aider à trancher, ne serait ce qu’en ce qui concerne d’éventuelles références contextuelles.. Nous pensons qu’en tout état de cause, le titre de ce fascicule, de ce canard- est probablement repris d’une plus ancienne car le caractère alambiqué du titre ne nous semble pas avoir pu être inventé de toutes pièces :.

Resolution des propheties de Nostradamus pour l’an 1568. Extraitte du discours de ses commentaires selon les distinctions astronomiques de M. Ant. Arnoulph, medecin a Ausonne. Il serait en outre étrange que cet Arnoulph qui a bien existé au début du XVIIe siècle soit resitué en 1568. Il nous semble au contraire qu’il s’agit là d’une «erreur de jeunesse » que notre Célestin ne devait pas nécessairement souhaiter évoquer. Il y a là un cas de logique biographique assez emblématique. Si Arnoulph avait décidé de se recycler dans l’astrologie, il eut probablement choisi de le faire sous un pseudonyme d’autant qu’il avait déjà publié sous ce même nom sur des sujets religieux en se référant, qui plus est, à la même ville. Les cas d’auteurs écrivant à des décennies d’intervalle ne sont pas si rares : on pense à Auger Ferrier, à Claude Dariot, médecins astrologues dans les années cinquante et qui publient d’autres travaux d’un autre type par la suite, dans les années quatre vingt. Nous avons bien entendu en tête, au XVIIe siècle, le cas de Jean Giffré de Réchac (auquel nous avons consacré un post doctorat à l’EPHE Ve section, en 2007), dominicain, auteur (anonyme), en 1656, de l’Eclaircissement des véritables quatrains de Maistre Michel Nostradamus et faisant paraitre, par ailleurs, des ouvrages sur le monde religieux (cf. sur propheties.it). Intéressons à la façon dont on signale l’auteur et qui n’est nullement attestée à la fin du XVIe ou au XVIIe siècle : « propheties de Nostradamus ». On rencontre bien plutôt des Maistre Nostradamus ou M. Nostradamus. En revanche, en 1560 paraissaient des Contreditz (…) aux faulses prophéties de Nostradamus, dont l’auteur Antoine Couillard, par ailleurs auteur de Prophéties parodiques (1556) est un adversaire assez acharné. Aucun de ces ennemis ne ferait, d’ailleurs, précéder le nom de Nostradamus de la moindre marque honorifique. En fait, nous irons jusqu’à dire que cet ouvrage pourrait bien être une satire des prophéties de Nostradamus ou un pamphlet politique. Ce qui est intéressant, c’est que Benoist Rigaud publie cela et nous revenons à notre position de départ, à savoir que les faussaires de la fin du siècle se seront inspirés d’un tel document pour concevoir l’édition Rigaud des Prophéties, datées de 1568. Il est assez remarquable que les seules attestations conservées de l’existence de Prophéties de Nostradamus soient dues à des adversaires et ne mentionnent aucun M. ou Maistre devant le nom, ni même de prénom, ce qui n’est pas le cas des éditions antidatées (1555, 1557, 1568), trop polies pour être honnêtes. En 1991, nous avions signalé aux chercheurs un autre texte antinostradamique négligé non recensé dans les récentes bibliographies (cf. notre article dans la revue RHR, °33 « Une attaque réformée oubliée contre Nostradamus », datant de 1561.). A la fin du XVIIe siècle, un Balthazar Guynaud, en 1693, reprendra la formule dans sa Concordance des Prophéties de Nostradamus , qui connut d’autres éditions jusqu’au début du siècle suivant, le terme « prophétie » signifiant ici quatrain. Le mot « prophétie » finira par désigner le corpus dans son ensemble - mais dans ce cas nous aurions eu droit à un singulier- mais au départ, il s’agissait d’une série de quatrains (voire par la suite de sixains), de nos jours, c’est le mot quatrain qui s’est imposé à la place du mot prophétie, d’autant que le terme générique est désormais Centuries, ce qui désigne la disposition des quatrains. Or, il semble bien qu’initialement, les quatrains nostradamiques n’aient pas été rangés en centuries (cf Ruzo ; Le testament de Nostradamus, Rocher, 1982), ce qui explique que les premières éditions en centuries des Prophéties aient comporté des centuries « incomplétes »

JHB

18. 06. 12


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[1] Cf « Feux croisés sur Nostradamus » par Olivier Millet, dans Divination et controverse religieuse au XVIe siècle , Paris, Actes des Journées Verdun Saulnier n°4., 1987.

[2] cf nos Nostradamus Researches, sur propheties.it et notre travail pour la Revue Française d’Histoire du Livre, Droz, 2011

[3] sur la distinction astrologue.prophéte voir notre thèse Le monde juif et l’astrologie, Milan, Ed Arché, 1985

[4] cf son intervention en 2004 sur teleprovidence.com

[5] cf nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed. Ramkat, 2002, pp. 201-202

[6] Cf Dictionnaire des cas de conscience ou décisions par ordre ... et Bibliothèque générale des écrivains de l'Ordre de Saint Benoit

[7] Notons que le terme « résolution » qui figure au titre est utilisé par Antoine Couillard «Tu as veu mon petit mignon la résolution du conseil etc »(Prophéties, 1556)

 
 

58 - La Déclaration de Videl comme source de la Préface à César
Par Jacques Halbronn

On rappellera que nous avons toujours contesté la thèse selon laquelle Antoine Couillard aurait utilisé pour ses propres Prophéties du Seigneur du Pavillon la Préface à César. Ce n’est pas parce que l’on retrouve des éléments figurant dans la dite Préface que cela prouve qu’il en fut ainsi/. En fait, plusieurs éléments semblent indiquer que tant Couillard que le rédacteur de la Préface à César ont puisé dans la Déclaration des abus, ignorances et séditions de Michel Nostradamus de Laurent Videl, lequel avait lui-même consacré beaucoup de temps à examiner les publications de Michel de Nostredame, étant entendu que nous n’avons pas à ce jour retrouvé les textes dont il s’agit notamment en ce qui concerne l’annonce du terme de 3797 ainsi, échéance que l’on ne retrouve nulle part ailleurs au sein de la production nostradamique connue. Trois textes, par conséquent, comportent ce nombre et font écho vraisemblablement à une pièce manquante. : la Déclaration de Videl, les Prophéties de Couillard et la Préface à César et c’est ce corpus des passages relatif à cette donnée qui retiendra ici toute notre attention.

Relisons, enfin, un instant, à la Bibliothèque de l’Arsenal, à Paris, Couillard et Videl. Couillard ne copie Videl que dans la Tierce Partie de « ses » Prophéties. (fol 16 et seq). C’est dans cette partie qu’il mentionne César et « nostre Maistre Nostradamus grand philosophe et prophéte » à propos d’une « épistre tant espouvantable » dans laquelle il parle de César. Il n’est nullement indiqué que celle-ci lui est dédiée ou qu’elle est suivie de quatrains. Il y est certes question de « carmes » mais cela peut tout à fait viser les quatrains des almanachs.
Comment transformer un texte critique en un texte apologétique ? En changeant le « tu » en « je ».

Videl : « O grand abuseur du peuple, tu dis que tu as faict de perpétuelles vaticinations & apres tu dis qu’elles sont pour d’icy à l’an 3797. Qui t’a assuré que le monde doyve tant durer ? »
Et ailleurs :
« Tu donc Michel as composé (comme tu dis) livres de prophéties & les as raboté obscurément & sont perpétuelles vaticinations »


La Préface à César réunit ces deux passages séparés chez Videl et en outre effectue une interpolation relative aux « cent quatrains astronomiques «, passage qui est totalement absent chez Videl :
« j’ay composé livres de propheties contenant chacun cent quatrains astronomiques de propheties lesquelles j’ay un peu voulu raboter obscurément & sont perpétuelles vaticinations pour d’icy à l’année 3797 »

Que dit Couillard ?
« Non pas que j’entende et veuille parler de perpétuelles vaticinations pour d’icy à l’an 3797. Car que diable me servirait d’en parler si avant puis que nos nouveaux prophétes nous menassent que le monde s’approche d’une anaragonicque revolution & qu’il périra si tost »

Il n’est pas question, notamment, chez Couillard de « Livres de Prophéties », élément essentiel qui permet dans la Préface d’introduite les « centuries ». .L’on pourrait évidemment soutenir que Couillard n’était pas obligé de tout copier de « son » Nostradamus. Mais nous pensons bien plutôt que Couillard n’a pas tout repris de « son » Videl. On se demande pourquoi l’on a tant porté l’attention, ces derniers temps, sur les Prophéties du dit Couillard. C’est probablement parce que le nom de César y figure accessoirement et de façon digressive sans aucunement valider cependant l’idée d’une Epitre dédiée au dit César, alors que ce n’est pas le cas chez Videl qui n’en fait pas mention..
Mais dans ce cas d’où Couillard aurait-il pu savoir que Nostradamus avait parlé de son fils César quelque part s’il n’avait pas trouvé cette information chez Videl ? Couillard évoque une « si espouventable epistre » et c’est probablement dans ce texte que n’utilise pas Videl que se trouve cette mention relative au fils de Nostradamus. Mais, dans ce cas, ne serait-ce pas chez Couillard que les auteurs de la Préface à César auraient également puisé à moins qu’ils n’aient eu accès à la dite Epistre parue avant 1556. On peut difficilement répondre à cette question étant donné que l’on ne connait pas ce texte et donc ce qui a pu lui être emprunté. On est donc contraint, en attendant plus ample information, d’accepter que la Préface à César doit à ces deux textes, celui de Videl et celui de Couillard.
Il nous faut nous intéresser au cas de la mouture Besson, de la Préface à César.
« J’ay composé Livres de Prophéties (…) contenant chacun cent quatrains astronomiques qui enveloppent perpetuelles vaticinations pour d’icy es années 1767 (sic) »
La version Besson est plus spécifique que l’autre, elle indique que les quatrains « enveloppent » c'est-à-dire commentent les « perpétuelles vaticinations », qu’on ne saurait les confondre avec elles.
Or, la forme « enveloppent » ne figure pas dans la Déclaration de Videl. Qu’est ce qui aura poussé à ajouter quelque chose à la phrase « j’ay composé livres de propheties contenant chacun cent quatrains astronomiques de propheties lesquelles j’ay un peu voulu raboter obscurément & sont perpétuelles vaticinations pour d’icy à l’année 3797
Rappelons le passage de Videl
« Tu donc Michel as composé (comme tu dis) livres de prophéties & les as raboté obscurément & sont perpétuelles vaticinations etc ». Il semble bien que la Préface suive de très près le texte de Videl. Et pourtant le texte Besson retient notre attention. Il n’est pas dit que les quatrains constituent ces Livres mais qu’ils en sont comme un ornement, un peu comme dans les deux parties d’un almanach de Nostradamus avec d’un côté le calendrier et ses quatrains et de l’autre, un commentaire en prose des données astronomiques.
Rappelons qu’il s’agit là d’interpolations tardives visant à faire du faux Nostradamus avec du vrai, en forçant le texte de Videl et en produisant de faux quatrains sous couvert de ces Livres de prophéties dont il est question et qui se présentent comme une sorte de calendrier perpétuel qui peut aller très loin dans le futur, selon une certaine cyclicité qui fonctionne souvent par tranche de 28 ans. Il ne s’agit donc pas d’une échéance particulière pour 3797 puisque la prédiction pour cette année est la même que pour d’autres années antérieures. Rappelons aussi que nous ne connaissons pas la préface à César dans l’édition de Rouen 1588 laquelle édition n’est pas divisée en centuries, en dépit de son titre « divisée en quarte (sic) centuries. On imagine donc assez mal que la Préface ait pu mentionner cent quatrains par « livres. »
La mouture Besson de la Préface nous laisse entrevoir la possibilité d’un projet qui n’était pas aussi centré sur les quatrains que cela sera le cas en définitive et qui correspondrait à des « Livres de prophéties » en prose, complétés par des quatrains «envelopant ».
Est-ce à dire que l’on aurait pu par la suite supprimer une telle présentation pour tout centrer, comme ce sera le cas, sur les quatrains ? Une seule difficulté pour adopter un tel point de vue : la si forte similitude entre le texte de la Préface « classique » et le texte de la Déclaration de Videl. : « & sont perpétuelles vaticinations »
Mouture Besson : « J’ay composé Livres de Prophéties (…) contenant chacun cent quatrains astronomiques qui enveloppent perpetuelles vaticinations »
Nous pensons que la version « Rigault » correspond à un état premier proche de Videl, peut être un brouillon mais que celui-ci fut revu et corrigé par ce qui correspond à la version « Besson ». A un certain stade, c’est le brouillon initial qui aura été préféré, ce qui expliquerait la mise en sommeil de la dite version Besson.. :
Enfin, au vu des éléments que nous avons réunis, on ne peut pas ne pas reprendre la thèse de contrefaçons concernant Couillard tant en ce qui concerne ses Prophéties que ses Contreditz. Nous avons montré que le seul « plus » de Couillard par rapport à Videl était qu’il mentionnât César et une épistre dans lequel son nom aurait été évoqué. Mais, à part cela, les Prophéties du Seigneur du Pavillon (1556) ne seraient-elles pas une resucée de la Déclaration de Videl, bizarrement postérieure à la dite Déclaration (1558) ?
On nous objectera que dans ses Contreditz, Couilard mentionne ses Prophéties mais que sait-on du contenu de cet ouvrage, correspond-il à celui que nous connaissons ? Est-ce que ce n’est pas justement cette mention qui aurait donné l’idée de contrefaire de telles Prophéties en reprenant notamment des éléments de la Déclaration de Videl ? Il y a à comparer les priviléges de l’édition Macé Bonhomme 1555 et de l’ouvrage de Couillard daté de l’année suivante, d’étranges similitudes et notamment la formule « Prophéties de Michel Nostradamus » qui fait pendant à « Prophéties du Seigneur du Pavillon » comme s’ils avaient été mis en chantier en même temps, à savoir quelques décennies plus tard. On peut aussi supposer qu’il y a bien eu une telle édition mais qu’une nouvelle édition fut produite ultérieurement comportant une partie consacrée à Nostradamus.(la Tierce Partie). Cela expliquerait que Couillard apparememnt si peu compétent et instruit du corpus Nostradamus en comparaison d’un Videl serait quand même parvenu à prendre connaissance d’une Epître de Nostradamus et qui plus est la dite Epître aurait mentionné le nom de César, ce dont Videl pourtant si attentif à ce qui parait sous le nom de Nostradamus ne dit mot. Cela nous rappelle le cas des Significations de l’Eclipse de 1559 qui selon nous sont une contrefaçon [1] utilisant notamment un texte hostile à Nostradamus et à ses Présages Merveilleux pour 1557, à l’instar du Monstre d’Abus de La Daguenière [2]et dont la date est très proche de celle de l’Epitre à Henri II. Là encore, on a un texte qui est retourné, il est mis sous la plume de Nostradamus alors qu’il s’adressait à lui !. C’est le seul texte censé paru du vivant de Nostradamus qui mentionne les Centuries : « comme plus amplement est déclaré à l’interprétation de la seconde centurie de mes Propheties » [3] C’est dire que les faussaires de la fin du XVIe siècle n’hésitèrent pas à produire des documents contrefaits venant entériner l’existence des Centuries, ne se contentant donc pas de fabriquer de telles éditions.
On nous objectera : mais est-ce à dire qu’il n’y a jamais eu de texte de Nostradamus adressé à son fils et dans ce cas quelle idée d’en fabriquer un ? Nous pensons que ce texte a bel et bien existé mais qu’il n’a pas été imprimé mais fut retrouvé à sa mort. Il suffit de relire les premières lignes de la Préface à César pour le comprendre. Nostradamus laisse ‘un mémoire » à son si jeune enfant, né si tard dans sa vie – Nostradamus a 50 ans, ce qui est un âge avancé à l’époque (cf l’édition Besson et la traduction anglaise de 1672). Brind’amour dans son édition critique (Ed. Droz 1996) n’a pas corrigé la forme erronée « laisse mémoire », formule creuse qui n’implique pas un document précis, ce qui d’ailleurs ôte son sens à la Préface censée introduire précisément un document qui prend dès lors la forme d’une série de quatrains (d’ailleurs initialement non classés en centuries, cf l’édition de Rouen 1588).
On ignore le véritable contenu de ce mémoire mais ce qui est clair, c’est que le texte qui l’accompagnait, l’introduisait aura servi de cadre à la Préface à César, probablement à l’instigation même du dit César Nostradamus, auquel il est référé dans le « Brief Discours sur la vie de M. Michel de Nostredame, », figurant dans le Janus Gallicus de 1594. César avait alors une quarantaine d’années.
 

[1] Cf fac simile in B. Chevignard, Présages de Nostradamus, op cit, pp 409 et seq
[2] (cf Chevignard p ; 457
[3] Chevignard, op. cit. p 455)


JHB

28. 06. 12

 

 

59 - L’apport des « Epistres Liminaires » de Nostradamus à la Préface à César
Par Jacques Halbronn

Dans cet article, nous reviendrons sur la question de la genèse de la Préface à César à la lumière d’une part du Recueil des Présages Prosaïques, édité par B. Chevignard en 1999, de l’épitre de Videl et des « Prophéties » d’Antoine Couillard, sans oublier évidemment les différentes moutures de la dite Préface[4].
Le problème peut se résumer à cette question : qui a copié sur qui, qui a emprunté à qui ? Il convient pour y répondre de développer une méthodologie adéquate car il ne suffit pas de constater des similitudes entre des textes ni de se fier à certaines informations toujours à considérer avec circonspection mais il faut aussi prendre en compte une certaine vraisemblance, ce qui correspond en gros à ce « bon sens » dont parlait Descartes dans son Discours de la Méthode. Notre époque est cruellement en manque sur ce point, ce qui fait que dans bien des cas, l’on n’a pas conscience de la direction des flux d’importation et d’exportation. C’est un peu l’idée de ce qu’il faut « rendre à César » dont parle l’Evangile.
Dans le cas de la comparaison Videl-Couillard, il saute aux yeux que Videl est beaucoup mieux documenté que le Seigneur du Pavillon qui à côté de lui est un dilettante. Si l’un a emprunté à l’autre, c’est forcément Couillard. Cela reviendrait à constater que dans tel pays, il y a des structures industrielles et pas dans l’autre, pour décider qui a importé des machines et qui les a exportées. C’est une question d’étude des potentialités et cela peut s’appliquer dans les domaines les plus divers en un temps où l’on a de moins en moins de scrupules à s’approprier le travail d’autrui pourvu que l’on y apporte la plus petite valeur ajoutée.
La thèse que nous développerons dans cette étude est la suivante : Videl a compilé divers textes de Nostradamus et on retrouve cette compilation chez Couillard et dans la Préface à César. Mais il reste que Couillard cite le nom de César alors que ce n’est pas le cas de Videl. En ce sens, ces deux textes se complétent au regard de la génése de la Préface à César.(cf notre étude comparative) Nombre de ces textes ne nous sont parvenus, parmi les plus anciens, que par son biais ou par celui du Recueil des Présages Prosaïques qui a probablement été utilisé mais qui peut inversement servir à déconstruire la Préface à César.
Examinons les « Présages pour 1552 », que mentionne par ailleurs Videl dans sa Déclaration des abus, ignorances et séditions de Michel Nostradamus ( Avignon, Pierre Roux et Ian Tramblay, 1558) et qui figurent au début du Recueil.([5] C’est un texte écrit en 1551 très probablement
Cela commence ainsi – on peut parler d’ »epistre liminaire » et c’est là vraiment la voix de Nostradamus telle que nous la trouvons dans ces brefs textes placés en tête et qui tranchent avec le caractère fastidieux de ses notations.
« Je voy tant de dures & acerbes profligations que je n’ose bonnement réduire en si petit volume la centième partie des afflictions & calamitez que cette miserable et terrenne plaige doit indubitablement souffrir, mesmes (surtout) en plusieurs lieux & païs du royaume de France »
On trouve un texte assez proche en tête des « Présages de l’an 1556 » (cf Chevignard, op. cit. p. 252), dans l’épître liminaire :
« Je n’oseray referer par escrit la centiéme partie de ce que le céleste ornement fait apparoir tant par guerres &exécrables effusions de sang comme aussi par famines & pestilentes maladies dont seront véxés les humains : de sorte qu’avant que soit la fin de l’année on cuidera les siécles estre prochains de leur rénovation etc »
Pour 1557 et 1558, Nostradamus débute par un texte en latin.
A nouveau, pour 1557, cette même formule que Nostradamus affectionne (Chevignard, P 396) :
« Je n’ose proférer la centième partie de ce que je pourrays amplement specifier »
Nostradamus s’astreint à cet exercice de synthèse. Il le précise dans l’épitre liminaire pour 1558[6]: « Il ne faut pour cela laisser de rediger en peu de carte la future prediction de la présente année Mil cinq cens cinquante huit »
Il nous semble que l’on a négligé l’apport de ces « epistres liminaires » - formule figurant dans le Recueil des Présages Prosaïques » en ne s’intéressant qu’aux épîtres dédiées à tel ou tel personnage et ce d’autant que les dites épitres liminaires n’ont pas été négligées par tout le monde, alors que les épitres à tel ou tel Grand ne figurent pas dans le dit Recueil et ne nous sont connues que par la conservation des impressions, ce dont ne disposaient probablement pas les faussaires. Rappelons qu’il est fort probable que l’on ait puisé dans le dit Recueil pour les éditions parisiennes de 1588 et 1589, quant à la centurie VII, constituée des quatrains de l’an 1561.
Si l’on rapproche ces textes liminaires de la préface à César, les recoupements sont assez flagrants. D’aucuns y trouveront confirmation de son authenticité, d’autres la preuve d’un emprunt. Ce qui est clair, c’est que les matériaux permettant de produite la dite Préface à César ne manquaient pas pour ceux qui disposaient du dit Recueil des Présages Prosaïques.
Un cas intéressant se trouve dans l’Epitre liminaire pour 1552 que nous reproduisons à nouveau :
« Je voy tant de dures & acerbes profligations que je n’ose bonnement réduire en si petit volume la centième partie des afflictions & calamitez que cette miserable et terrenne plaige doit indubitablement souffrir, mesmes (surtout) en plusieurs lieux & païs du royaume de France »
La formule « terrenne plaige » figure au début de la Préface à César : « Et depuis (puisque) qu’il a plu au Dieu immortel que tu ne soys venu en naturelle lumière dans ceste terrene plaige (que tardivement, version Besson) » Il ne semble pas en effet que ,ni Videl ni Couillard ne mentionnent une telle expression. Donc, dans l’hypothèse d’un faux, on aurait là la source.
De même l’épitre liminaire pour l’an 1556 (qui n’a pas été conservée par ailleurs) sonnera de façon assez familière chez les lecteurs de la Préface à César. Nous la reproduisons à nouveau d’autant qu’elle a du être rédigée à l’époque où la Préface à César est censée avoir été composée (Ier mars 1555):
« Je n’oseray referer par escrit la centiéme partie de ce que le céleste ornement fait apparoir tant par guerres &exécrables effusions de sang comme aussi par famines & pestilentes maladies dont seront véxés les humains : de sorte qu’avant que soit la fin de l’année on cuidera les siécles estre prochains de leur rénovation etc »
Mais en l’occurrence, on pensera à l’Epître à Henri II et au fameux passage relatif à 1792.»
« iusques l’an mil sept cens nonante deux que l’on cuydera estre une renovation de siecle »
La transposition semble assez évidente de 1556 à 1792. Cela laisserait entendre que la fabrication de la nouvelle épitre à Henri II, datée de juin 1558 aurait été inspirée par le Recueil des Présages Prosaïques ou par l’imprimé lui-même pour 1556. Selon nous, ces épistres liminaires se trouvaient en tête des Pronostications annuelles (comme cela est attesté pour celles concernant 1557 et 1558) et non dans les almanachs. Rappelons que les vignettes au titre, pour les années 1550 notamment - ne se trouvent que sur les Pronostications. Ce sont ces vignettes sous une forme redessinée qui figurent sur les éditions centuriques antidatées 1555 et 1557 qui ont été conservées. Les faux almanachs des années 1560, chez Barbe Regnault, à Paris, en revanche, comportent les mêmes vignettes que celles des éditions Macé Bonhomme et Antoine du Rosne.
Rappelons ce que nous observions dans une précédente étude, à savoir que Nostradamus avait certainement des collaborateurs chargés de certaines taches. On trouve ainsi une étrange expression au sein de la pronostication pour 1556[7]: « Je laisse à mettre plusieurs cas & sinistres evenemens advenir aux regions Italiques, une autre fois subjettes au vray sang Troien ». On note cette propension à se servir de précédents que nous avons signalée récemment et qui fait partie intégrante de la rhétorique « prophétique » (au sens de prédictive). Que faut-il donc entendre par « Je laisse à mettre plusieurs cas ». Ce n’est, selon nous, certainement pas une formule qui s’adresse à son lectorat mais comme nous ne disposons plus de la Pronostication pour 1556, on ne peut s’en assurer. Il s’agit bien plutôt, très vraisemblablement, d’instructions à l’intention de quelque secrétaire que l’on charge d’étoffer le texte comme il pourra. On est là en pleine cuisine et cela vaut assurément pour toutes précisions astronomiques, absentes du Recueil...
Ajoutons une remarque concernant la première épitre à Henri II (en tête des Présages Merveilleux pour 1557) : on y trouve le passage suivant, non repris dans celle de 1558 : « à cause que l’année passée (..) ne me fut possible si complétement specifier les faictz & predictions futures de l’an (mille) cinq cens cinquante & six ». Or, nous savons pertinemment que Nostradamus rédigea des « prédictions » pour 1556, ce qu’atteste le Recueil d’autant que celles-ci semblent bien avoir été accommodées comme on l’a vu et notamment pour l’épître à Henri II datée de 1558.
.En conclusion, nous dirons que les propos rapportés par Videl ne visent pas nécessairement un texte précis mais peuvent avoir repris et amalgamé plusieurs passages collationnés au cours de ses lectures. On soulignera le fait que nous ne connaissons pas non plus toute la production de Videl lequel, en tête de sa Déclaration fait allusion, dans son adresse à Nostradamus, à ses propres épitres passées et nous pensons que Couillard se servit d’une précédente épitre parue avant ses « Prophéties » (1556) et bien entendu pas de la Déclaration de 1558.
Rétrospectivement, on ne peut que relever une certaine part de naïveté chez ceux qui publièrent des comparaisons entre Couillard et la Préface à César, en concluant que le dit Couillard avait sous les yeux la dite Préface quand il rédigea ses propres « Prophéties » et par là même l’édition Macé Bonhomme 1555 que l’on avait eu le bonheur d’avoir conservée? Nous avons voulu montrer que la « chaîne » des emprunts n’était pas celle-là mais bien :
1Epîtres liminaires de Nostradamus en tète de ses Prognostications
2 Résumé par Laurent Videl dans ses Epîtres
3 Repris du texte d’une épitre de Videl par Couillard qui de son côté mentionne un texte dans lequel César Nostradamus est cité alors qu’il ne l’est pas chez Videl.
4 Utilisation du texte de Videl pour composer la Préface à César ainsi probablement que du Recueil des Présages Prosaïques, lequel recueil servira également pour la confection de l’Epitre à Henri II de 1558, idée qui aura été donnée par le fait que le dit Recueil mentionne l’existence d’une telle Epître. ([8]: « D’un autre présage sur la mesme année qui ne se trouve point, dédié à la Majesté du Roy Tres Chrestien « Cependant, force est de constater que, par la suite, les faussaires eurent accès à la dite Epître, sinon celle de 1558 n’en reprendrait pas quasi littéralement certaines expressions. Pourquoi dans ce cas, n’ont-ils pas conservé la date de la première épitre, de janvier 1556 ce qui les conduisit à publier une édition antidatée (perdue) 1558 ? Cela tient probablement au fait que le second volet venait s’ajouter au premier [9]ce qui aura exigé un tel décalage.
Il ne faudrait pas en effet négliger les ajustements qui furent nécessaires lors du raccordement des deux volets lesquels s’étaient développés parallélement dans des conditions encore mal définies. Nous ne connaissons du processus, en vérité, que le stade de la jonction si ce n’est avec la Nouvelle(sic) Prophétie(sic) de M. Michel Nostradamus qui n’ont (sic) jamais esté veues n’y imprimées que en ceste présente année. DEDIE AU ROY, Paris, Sylvestre Moreau, 1603 (cf Benazra RCN, pp . 154-155 et 219-220).. On peut voir dans cette édition un état antérieur à la « jonction » des deux volets qui aura survécu à celle-ci. La mention « Dédié au Roy » rend compte bien entendu de la présence d’une épitre. Intitulée « Lettre au Roy de France » - le nom du roi a été tronqué - ce qui est évidemment plus vague et commode qu’une Epistre à un Henri II mort en 1559. .Une telle mention n’est au demeurant attestée au titre d’aucune autre édition du second volet. Nous pensons que c’est sous un tel titre que s’est présenté ce qui allait devenir le second-« nouveau » volet. Or il est déjà dans un état défectueux puisque le quatrain IX 29 y est déjà corrompu/(cf notre étude sur ce point) Cela signifie que les éditions de la série de type VCP (Vrayes Centuries et Prophéties) auraient recupéré un état antérieur à cette édition de 1603 qui n’est évidemment pas, de par la date même, la première et dont le titre même est corrompu avec un mélange de singulier et de pluriel. Cette « présente année » pourrait avoir été initialement 1593, soit 10 ans plus tôt, jsute avant l’intégration partielle dans le Janus Gallicus de 1594.
 

[4] On retrouve le Recueil sur le site du CURA, notamment Corpus Nostradamus 35..
[5] Chevignard, op. cit pp ; 194 et seq)
[6] (cf Chevignard, p ; 421
[7] (cf Chevignard, op. cit, p. 253
[8] cf Chevignard, op. cit. p. 283)
[9] cf. l’édition perdue de 1556 chez Olivier Harsy référée dans la série Vrayes Centuries et Prophéties, au titre


JHB
27. 06. 12

 
 

60 - La guerre des éditions centuriques (1649- 1716)
Par Jacques Halbronn

Pour être un bon nostradamologue, il importe de pouvoir embrasser un grand nombre de données et de ne pas en isoler une par rapport aux autres, en perdant de vue certains points incontournables. Force est de constater que la plupart des propos tenus par les uns et les autres comportent de nombreuses omissions, si l’on peut recourir à une telle expression puisque une omission n’est perceptible que par ceux qui ont d’autres sources d’information, ce qui en fait un type d’erreur plus difficile à détecter.
Une autre vertu requise implique de ne pas se limiter au temps de Nostradamus (1503-1566) car ce serait se condamner à rester extérieur à une grande partie des quatrains centuriques, lesquels sont marqués par d’autres périodes, tant (très) en aval que (fort) en amont. En ce qui concerne l’aval, d’aucuns diront que c’est le propre du prophétique d’anticiper mais comment distinguer avec ce qui a été écrit ou ajouté, interpolé, après coup, post eventum et ce qui serait véritablement prophétique (au sens couillardien du terme) ?
Il ne faudrait pas non plus penser que le processus de formation centurique ait été linéaire. D’aucuns approuveront parmi ceux qui pensent que sous la Ligue, il y aurait eu comme une sorte de régression, de réduction par rapport aux éditions à 10 centuries que Benoist Rigaud aurait publiées – mais qui y croit encore ? – en 1568. Ce n’est nullement à une telle pseudo-régression que nous pensons ici mais à celle qui se produisit à la fin du XVIIe siècle. D’où la tendance chez certains à passer un peu rapidement sur la production du second XVIIe siècle pour aboutir à celle du siècle suivant. En effet, les années 1650-1690 nous apparaissent littéralement comme une Renaissance du centurisme et il faut prendre le terme au sens fort, à savoir un extraordinaire retour aux sources, avec la réémergence d’éditions disparues et sensiblement plus compréhensibles que celles qui les suivirent, souvent corrompues, tant pour la prose que pour les vers.....C’est le phénoméne que nous associons à la série des Vrayes Centuries et Prophéties (VCP). (cf. nos articles à ce sujet). Or, tout se passe comme si la recherche nostradamologique s’évertuait à ignorer ou en tout cas à minimiser l’apport de la dite série, en soulignant, bien entendu, son caractère tardif qui serait déjà en soi disqualifiant.On en fait donc une sorte de parenthèse que l’on peut se permettre de négliger, de faire l’impasse sur ce corpus dans le corpus.
Or, force est de constater qu’à partir de la Régence, on assiste à une restauration rigaldienne, certes maladroite et décriée par certaines invraisemblances mais néanmoins entérinée sur le fond. Car avec les pseudo-éditions Pierre Rigaud 1566, qui paraissent à partir de 1716, il ne s’agit pas réellement d’une Renaissance, cette fois, mais du verrouillage d’un état déjà fort corrompu et qui est le fait de la dynastie Rigaud, lequel s’appuie sur un lot d’éditions antidatées identiques aux éditions de la fin du XVIe siècle mais ne correspondant pas, pour autant, à l’état premier du projet centurique, lequel état est justement celui que nous évoquions avec le phénoméne VCP pour la seconde moitié du XVIIe siècle, dont l’Eclaircissement des véritables quatrains (1656) du dominicain Giffré de Réchac est une sorte de prélude... .

L’autre point que nous voudrions aborder ne se situe plus en aval mais en amont. Il a souvent été remarqué que nombre de quatrains ou en tout cas de vers – car un quatrain est rarement un tout d’un seul tenant pas plus que ne l’est une centurie- renvoyaient à l’évidence à des périodes bien antérieures au temps de Nostradamus. Qu’est ce que des prophéties qui annonceraient le passé ?
C est là, pensons-nous, ne pas vouloir comprendre une certaine rhétorique prophétique laquelle n’hésite pas à se référer au passé pour parler du futur, une telle évocation exigeant tout de même du lecteur une certaine connaissance historique. Rappelons que les Centuries, d autant qu’elles étaient dépourvues d’images – sauf précisément dans la série VCP que l’on peut qualifiée d’illustrée, encore que fort modestement- ne pouvaient être lues que par une minorité alphabétisée et relativement cultivée.
On ne saurait, en tout cas, s’étonner de références médiévales voire de recyclages de textes d’époque. Dans quel but, demandera-t-on.
Il conviendrait de rappeler que la fin du siècle est celle de la fin des Valois et le début de celle des Bourbons et qu’en 1328 cela avait été la fin des Capétiens directs et le début de celle des Valois. Ce sont là des parallèles bien connus. Tout comme l’est le précédent de la guerre civile qui déchira la France au début du XVe siècle, du temps de la Guerre de Cent Ans. Et c’est ce précédent qui est évoqué dans nombre de quatrains. Quelque part, Henri IV (Chiren) serait une nouvelle Jeanne d’Arc ou en tout cas un nouveau Charles VII qui sera comme lui couronné (à Chartres et non à Reims, il est vrai) alors que la guerre sévit. D’où la mention, par exemple, en IX, 29, de la ville de Charlieu, aux confins du mâconnais et du lyonnais, connue pour avoir particulièrement souffert des heurts entre Bourguignons et Armagnacs (Orléans).
On pourrait d’ailleurs signaler aussi le caractère plus historique que prophétique de la reprise de Calais en 1558 par le duc François de Guise, dans le même quatrain IX,29, du moins dans la série VPC., puisque cette référence est tellement corrompue dans les éditions rigaldiennes qu’elle en est méconnaissable. On note l’anachronisme au sein d’un même quatrain entre Charlieu et Calais, d’un vers à l’autre. D’aucuns soutiendront que les Centuries furent précisément rédigées au moment de la reprise de Calais, reprise qui pourrait au demeurant évoquer la reprise de Paris par Henri de Bourbon. Mais quel intérêt y aurait-il à évoquer prophétiquement un événement aussi récent dans une édition parue au tout début de la même année 1558, l’Epitre à Henri II introduisant les centuries VIII –X (donc le quatrain IX, 29) étant datée de la fin juin de la même année ? En fait, tout cela fait sens par rapport au temps de la Ligue où les Guises, à nouveau, jouèrent un rôle déterminant, trente ans plus tard. Ce sont là des réminiscences délibérées de la part d’un camp ou de l’autre puisque les centuries sont instrumentalisées tant par les Lorraines que par les Vendôme, encore que l’on dispose de beaucoup moins de documents quant à la genèse des centuries VIII-X, lesquelles se présentent à nous d’un seul bloc à la différence de ce que l’on sait pour le premier volet, sauf en ce qui concerne l’origine de l’Epitre à Henri II qui est liée aux Présages Merveilleux pour 1557, avec une autre date de rédaction, non plus juin 1558 mais Janvier 1556.
En fait, ce qui fait problème prophétiquement, ce sont les quatrains qui se référent au temps de Nostradamus à l’instar de ce quatrième verset de IX, 29. Que l’on évoque un événement déjà ancien peut servir pour marquer les esprits mais à quoi bon rendre compte de ce qui s’est passé quelques années voire quelques mois plus tôt ? D’où cette obligation de puiser dans les Chroniques, dans Froissart, par exemple, dont le nom est d’ailleurs cité dans les Significations de l’Eclipse de 1559 [10]. Le rétrospectif et le prospectif sont la loi du genre, non le compte-rendu de l’actualité du moment laquelle ne peut être évoquée que par le biais de réminiscences et de parallèles, étant entendu que le rétrospectif peut être truffé de noms propres alors que le prospectif doit se contenter d’expressions assez vagues, comme c’est notamment le cas d’ailleurs dans les almanachs et autres présages.
On aura compris que toute mention précise d’un événement implique que celui –ci soit mentionné nettement plus tard. Le cas du dernier vers de IX, 29, par sa précision même, Calais, Guines, Oye, est donc typiquement rétrospectif et donc doit dater d’une période nettement postérieure à 1558. Etrangement, vu que ce quatrième vers ne figure pas dans les éditions rigaldiennes (y compris ses dérivés antidatés), il ne pouvait servir à développer un tel argument.
Le cas des éditions Rigaud est assez difficile à appréhender et peut prêter à confusion. L’erreur de Rigaud est d’avoir utilisé pour constituer ses éditions des états déjà corrompus des contrefaçons initiales. Et tout l’enjeu de la Renaissance du second XVIIe siècle (à partir de 1649, sous la Fronde) aura été de se référer aux états premiers des contrefaçons, tant qu’à faire, à savoir les éditions de 1556 et de 1558. Nous pensons que l’on y trouvait dans l’édition de 1556, un premier état de la Préface à César, comportant des phrases non tronquées « et puis qu’il a plu au Dieu immortel que tu ne sois venu en naturelle lumière dans cette terrienne plaige [ que tardivement]’, le passage entre crochets manquant dans les éditions rigaldiennes du premier volet, y compris l’édition Macé Bonhomme 1555. Dans le champ centurique il ne faut surtout pas croire qu’une édition datée de 1555 soit ipso facto plus ancienne qu’une édition datée de 1556 ! .Il faut toutefois souligner qu’après 1669[11] la mention des éditions 1556 et 1558 va disparaitre au titres des éditions VCP tout en conservant la formule « revues et corrigées suivant les premières éditions », la suite étant tronquée « imprimées en Avignon en l’an 1556 et à Lyon en l’an 1558 »[12]
On comprend mieux ainsi l’enjeu qui fut celui du début du XVIIIe siècle. D’une part, en 1710 paraissait une nouvelle édition des VCP, à Rouen chez J. B. Besongne. Mais en 1716, paraissent les Prophéties de M. Michel Nostradamus (…) imprimées par les soins du Fr. Jean Vallier du Convent de Salon des Mineurs Conventuels de Saint François. Portant la mention Lyon Pierre Rigaud 1566. En 1720, à nouveau une dernière édition VCP, à Turin. Et puis paraissent à Avignon, qui est en fait le berceau de cette renaissance rigaldienne, en 1731 une nouvelle édition mais qui n’est plus datée de 1566, c'est-à-dire qui ne se prétend pas exhumée. Il ne paraitra plus jamais, après 1720, d’édition de la série VCP. Le XIXe siècle entérinera la victoire du parti Rigaud et ce n’est qu’à présent que l’on réhabilite le courant des Vrayes Centuries et Prophéties. On peut en fait considérer les éditions Pierre Rigaud 1566 (année de la mort de Nostradamus) à dix centuries comme une surenchère par rapport à la mention des éditions avec leurs deux volets 1556-1558. L’erreur stratégique des tenants du courant VCP, c’est de ne pas avoir ressorti ces éditions des années 1550 mais de les avoir utilisées avec une certaine parcimonie et en utilisant des biais. Il faudra attendre 1672 – du moins au vu de ce que nous en savons- pour que la Préface à César apparaisse sous sa forme initiale mais à Londres et en anglais, puis encore près de vingt ans pour qu’elle soit imprimée en français, à Lyon, sans mention de date d’édition, chez Antoine Besson, et ce sera l’unique fois, comme une sorte de chant du cygne quasi galiléen.(Et pourtant elle tourne). .
 

[10] cf fac simile in B. Chevignard, Présages de Nostradamus, p. 458
[11] cf édition Paris, Pierre Promé, RCN, p ; 245
[12] L’édition 1669 comporte d’ailleurs au titre une coquille : 1558 au lieu dde 1556.

JHB
26. 06. 12

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Updated Tuesday, 07 April 2015

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