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Researches 61-70
 
61 - La question des éditions centuriques restituées
 
62 - Le passage des Grandes et Merveilleuses Prédictions aux Prophéties.
 
63 - Du nouveau sur la genèse des Prophéties du Seigneur du Pavillon
 
64 - Les révélations de la Préface à César version Besson sur le statut des quatrains centuriques.
 
65 - La genèse de l’édition Macé Bonhomme des Prophéties de Nostradamus (1555)
 
66 - Les « livres de prophétie » de Nostradamus
 
67 - Les quatrains et la dialectique signifiant/signifié.
La remise en cause de l’échéance de 3797
 
68 - De l’Epître au duc d’Alençon à la Préface à César
 
69 - L’évolution du projet de prophéties perpétuelles nostradamique du XVIe au XVIIe siècles.
 
70 - Plagiat et contrefaçon posthume dans le champ nostradamique.
 

 

 
 

 

 

Researches 61-70

 

61 - La question des éditions centuriques restituées
D’une guerre civile à l’autre : le cas du quatrain IX, 25
.
Par Jacques Halbronn

Le développement de la numérisation des documents nous apparait comme un outil d’exploration remarquable qui constitue une nouvelle étape faisant suite à la numérisation des catalogues, il y a une vingtaine d’années. Car la numérisation ne consiste pas seulement à pouvoir consulter en ligne des ouvrages mais à rechercher au sein d’une série d’ouvrages telle ou telle occurrence/récurrence (notamment par le biais de Google). C’est ce qui aura singulièrement favorisé la présente enquête comme cela avait déjà été le cas, il y a quelque temps, pour la forme « mon fils » au sein de diverses épitres.
Dans notre travail consacré à l’Eclaircissement des Véritables Quatrains 1656[13] nous avions montré que l’on y trouvait des variantes remarquables, notamment e n ce qui concerne le quatrain IX, 29[14]. Or, on ne trouve aucune édition antérieure comportant la variante du dit Eclaircissement et même pas la traduction anglaise de Théophile de Garancières laquelle reprend pourtant les ‘explications » de l’Eclaircissement.
On ignore totalement où Jean Giffré de Réchac – (Eclaircissement, p. 355) a trouvé le quatrième verset de IX, 29. En revanche, cette variante est attestée en 1668, à Paris (Jean Ribou), à Amsterdam ( Jean Jannson a Waesberge etc), en 1689 (BNF Réserve pV 2159) et 1691 dans l’édition rouennaise de Jean-Baptiste Besongne [15] et dans celle non datée d’Antoine Besson, à Lyon. On y notera l’absence de la Préface à César remplacée en quelque sorte par « La Vie de Maistre Michel Nostradamus », à la fin de laquelle le nom de César est mentionné « celuy auquel il a dédié ses Centuries premières ». Etrangement l’édition d’Amsterdam de l’année précédente 1667 comporte encore la dite Préface.
Curieusement, les deux éditions de 1691 diffèrent en ce que celle de Besogne conserve la préface à César dans sa version classique et fautive alors que celle de Besongne introduit une version qui a tous les signes d’un état antérieur, plus correct, conforme à l’édition anglaise de 1672.
Le problème, c’est que l’Eclaircissement comporte le quatrain IX, 29 correspondant aux éditions d’Amsterdam 1667- 1668 et Paris-Rouen-Lyon ( Ribou- Besongne- Besson) des années 1689 et seq. tout comme la traduction anglaise de 1672 donne une traduction d’un texte français que l’on ne retrouve que chez Besson. Tout indique, donc, que des documents ont du circuler avant 1656 en sorte qu’ils aient pu être portés à la connaissance d’un Giffré de Réchac puis en 1672 d’un Théophile de Garencières. Notons que le début du processus de la série VCP se situe en 1649-1650, à Rouen et Leyde, dans lesquelles‘bien que se référant aux mêmes éditions, on trouve encore le quatrain sous sa forme rigaldienne (« Prophéties », série P)..

Version Eclaircissement 1656, Amsterdam 1667 1668, Ribou (Paris, 1668) Besongne/Besson (1689 et seq)
IX, 29
Lors que celuy qu’à nul ne donne lieu
Abandonner viendra lieu pris non pris
Feu Nef par Saignes, Regiment de Charlieu
Seront Guines, Calais, Oye repris

Version « canonique » (1568, Leyde 1650 etc )
Lors que celuy qu’à nul ne donne lieu
Abandonner voudra lieu pris non pris
Feu, Nef par saignes, bitument à Charlieu
Seront Quint, Bales repris.

Nous avions déjà fait remarquer que le milieu du XVIIe siècle avait été marqué par la réémergence d’états anciens des Centuries, ce don témoigne outre l’Eclaircissement de 1656 la traduction anglaise de 1672 de la Préface à César.
Si l’on exclue que le dominicain Réchac ait pu fabriquer ce verset, force est de constater qu’elle semble plus conforme à une certaine réalité historique bien connue, à savoir la reprise Calais et de Guines par les Français sur une terre qui était devenue anglaise pendant plus de deux siècles (depuis la Guerre de Cent Ans) et dont le duc de Guise avait été le principal artisan de la victoire au début de l’an 1558 au mois de janvier (ou selon l’ancien style de Pâques 1557). Rappelons qu’une fois Calais reprise, les soldats anglais se replièrent sur Guines puis finalement se rendirent et eurent la vie sauve.
Ce quatrain figure à la fin du second volet des « Prophéties », celui qui est introduit par l’Epitre à Henri II, roi qui régnait en ce début d’année 1558, laquelle épitre est datée de fin juin 1558. On y fête la « reprise » de Calais. Mais on voit mal le camp d’Henri de Bourbon, du temps de la Ligue, que nous associons avec le dit second volet, mettre en avant l’exploit du duc de Guise, dont la famille trente ans plus tard fait obstacle aux ambitions du Béarnais. Mais s’agit-il d’une retouche ou d’une coquille ? On note en effet que le verset est trop court, ce qui n’aurait pas été le cas s’il y avait une intervention délibérée.
Mais il n’est pas non plus indifférent, précisément, de noter que ce quatrième verset ne figure dans aucune édition connue des Centuries, ceci expliquant peut être cela. Tout se passe donc comme si Réchac avait eu entre les mains des quatrains qu’il avait fallu retoucher pour les besoins de la cause, ce que nous avions déjà fait remarquer pour IX, 86, avec une retouche qui était alors intervenue au premier verset. Dans les deux cas, nous notions que toutes les éditions connues des centuries comportaient une telle retouche qui visait à annoncer le couronnement d’Henri IV dans la cathédrale de Chartres et non celle de Reims.

Selon nous, ces diverses observations nous orientent vers les premiers états disparus des deux volets, tant au niveau des épitres que des quatrains et l’édition Besson nous apparait comme le point ultime cette résurgence globale, ce qui n’est pas sans nous interpeller au regard de la chronologie centurique.
Il convient de s’intéresser à la série « Les Vrayes Centuries et Prophéties » – car son intitulé est le point commun entre toutes ces éditions que nous qualifierons de « restituées » sinon de restaurées. Même l’édition anglaise de 1672 entre bel et bien dans ce schéma : The True Propheties or Prognostications, même si elle remplace Centuries par Prognostications. C’est en fait le qualificatif « Vrai » en anglais True ou « véritable » (chez Giffré de Réchac) qui est le mot clef en ce qu’il s’oppose à faux.
Cette série « véridique » n’est au demeurant attestée qu’à partir de 1649 à Rouen et de 1650, à Leyde (Hollande) puis à Amsterdam en 1668. En 1649 une première formulation avec Les Vrayes Centuries de Me Michel Nostradamus, dont un des éditeurs rouennais en charge n’était autre que Jacques Besongne, le prédécesseur du Jean-Baptiste Besongne dont il a déjà été question en tant qu’éditeur de l’édition de 1691 comportant le dernier verset du quatrain IX, 29 dans la version que nous supposons initiale. On note que la présence d’un adjectif indiquant que l’on va restituer quelque texte sous sa forme authentique se retrouve justement dans le titre de l’ouvrage de Giffré de Réchac, Eclaircissement des véritables quatrains.
Signalons que ces éditions se distinguent par la présence d’illustrations évoquant certaines prévisions attribuables aux centuries – ce qui ne se pratiquait pas auparavant- et l’on peut se demander si cela ne fut pas une pratique propre aux sources utilisées ;
Notre explication est la suivante concernant le verset 4 du quatrain 29 de la neuvième centurie. La possible objection que nous avions évoqué plus haut quant au fait que ce verset ne semblait guère compatible avec l’esprit du second volet nous conduit à penser que lorsque l’on publia conjointement les deux volets, des aménagements ont pu avoir lieu qui n’auront plus respecté le clivage en question. Quant à la variante du quatrain IX, 25 – et cela vaut aussi pour une tournure du troisième vers- elle indique que nous ne disposons dans la plupart des éditions que d’états encore plus tardifs, ce qui vaut notamment pour l’ensemble des éditions Benoist Rigaud 1568. Quant au quatrain d’origine, nous n’en connaitrons probablement jamais la teneur d’origine, en ce qui concerne le dernier verset de IX, 25. si ce n’est qu’il devait rimer avec « prins ». On notera que Charlieu est une ville du département de la Loire qui évoque un conflit plus ancien opposant déjà deux légitimités, au XVe siècle, durant le conflit entre les Armagnacs connus sous le nom d’écorcheurs (parti du roi Charles VII, qui fut couronné à Reims à l’instigation de Jeanne d’Arc) et les Bourguignons. La ville de Charlieu se trouvait à la charnière entre deux zones d’influence, entre la Bourgogne et Lyon, elle fut donc très exposée, notamment du temps de Jeanne d’Arc[16] –prise et reprise- et le théâtre d’exactions de la soldatesque, d’où le mot « régiment » au troisième verset qui figure dans les versions non corrompues.
Feu Nef par Saignes, Regiment de Charlieu
C’est dire sa puissance emblématique. Il est probable que les rédacteurs entendirent établir un parallèle avec une époque qui n’était pas si éloignée et qui se termina par la victoire du roi. En quelque sorte, Henri de Navarre est comparé ici à Charles VII. A l’époque, c’étaient les Anglais et non les Espagnols et les Lorrains qui avaient des visées sur la couronne du Royaume de France..On est très loin des villes et lieux du Nord de la France. Il s’agit donc bien d’une interpolation comme dans le cas de Chartres qui ne correspondaient pas géographiquement aux autres données géographiques du quatrain IX, 86. Le critère géographique est certainement un élément essentiel pour toute étude critique des Centuries
Du fait que ce vers était devenu indéchiffrable, la référence à 1558 ne figurait plus dans ce quatrain IX, 25. Comme on l’a noté, la reprise de Calais précède de quelques mois la rédaction supposée de l’Epitre à Henri II. Mais rappelons que la précédente Epitre au roi date elle de 1556 [17] au titre des Présages Merveilleux pour 1557. Il aurait fait sens en effet que Nostradamus s’adressât au roi au lendemain de cet événement historique mettant fin à cette enclave anglaise. Or, il s’agit là d’un « faux faux », puisqu’on est en face d’une retouche d’un quatrain qui ne devait aucunement au départ se rapporter à une quelconque hagiographie des Guises, quatrain qui est le fruit, au départ, de la propagande bourbonienne.
Notre attention est donc attirée par cette ville de Rouen où s’initie, en 1649, la série des « Vrayes Centuries » - et dont on connait déjà l’implication dans les années 1588-1589. (série Grandes et Merveilleuses Prédictions, Rouen et Anvers). Est-ce la première fois que le mot Centuries figure au titre principal ? Signalons cependant un précédent rouennais, celui des Centuries et Merveilleuse Prédictions de M Michel Nostradamus, contenant sept centuries etc., chez Pierre Valentin[18], mais en se référant à une édition avignonnaise datant de 1611, et se référant à l’intérieur à Pierre Roux d’Avignon[19], libraire qui exerça dans les années 1550.
Le recours à partir de 1649 – et ce sera notamment repris dès 1650 à Leyde avec le titre qui fera fortune de Vrayes Centuries et Prophéties – à l’idée de « vraies centuries » selon nous pourrait avoir fait écho à l’émergence d’une rumeur sous-tendue par la mise en circulation de versions différentes des épitres et des quatrains- dont il n’aurait été fait état que progressivement, qui aurait pu inspirer l’approche critique d’un Giffré de Réchac. Ce n’est en effet que peu à peu que les nouveaux/anciens éléments se mettent en place. On notera en tout cas que la traduction anglaise de 1672 fait suite à la parution en 16668 de la première occurrence du quatrain IX 29 restitué tout en n’en tenant pas compte alors que l’épitre à César est dans sa forme restituée alors que n’est pas le cas dans l’édition d’Amsterdam, ce qui est quelque peu déconcertant.
Il convient aussi de revenir sur un autre débat concernant l’évocation d’événements antérieurs au XVIe siècle, ce qui a conduit à des hypothèses comme celle (Janus) de Peter Lemesurier, selon lesquelles le passé annoncerait le futur. Nous pensons qu’il serait bon de tirer une leçon du quatrain « Charlieu » se référant explicitement à des événements datant de la première moitié du XVe siècle.
L'explication la plus raisonnable nous semble être la suivante à savoir le recours à des images du passé pour illustrer le présent. Rappeler la guerre de Cent Ans, alors qu’on est à la fin du XVIe siècle est une démarche ingénieuse. Pourquoi le discours prophétique ne se servirait-il point d’exemples historiques, d’événements d’autrefois pour se faire comprendre ? Cela donne plus de contenu au propos, conférant à la prophétie une dimension moins abstraite. Evidemment, pour celui qui ne connait pas ce passé commun, cette mémoire collective encore vivante, alors à à peine plus d’un siècle de distance- de la Guerre de Cent Ans, de tels quatrains n’évoquent rien de précis et sont renvoyés ipso facto à quelque futur, ce qui est une erreur de perspective. De nos jours, il est clair que nos références seraient plutôt situées autour de la Révolution Française et de l’Occupation allemande pour baliser l’avenir et c’est en cela que les Centuries nous apparaissent comme un document quelque peu obsolète en ce début du XXIe siècle tant une partie importante de ses références ne fait plus écho que pour quelques érudits, à moins, certes, que le niveau de culture historique, du fait notamment d’Internet, monte sensiblement. Il est clair que le propos nostradamique et pseudo-nostradamique doit être appréhendé dans son contexte, à savoir que le dit propos s’appuie sur les acquis supposés de ses lecteurs, ce qui lui permet de fournir toutes sortes de noms de lieux, de personnages, ce qui n’est pas possible pour l’avenir. Nous dirons donc que chaque fois que les centuries mentionnent des noms propres, cela renvoie au passé, non pas au nôtre mais à celui des gens de la fin du XVIe siècle et du début du siècle suivant – qui pouvait remonter deux siècles en arrière comme de nos jours- à moins qu’il ne s’agisse d’une sorte de pastiche comme lors de l’emprunt à la Guide des Chemins de France de Charles Estienne. Mais même certaines descriptions de la banlieue parisienne peuvent faire écho à la Guerre de Cent Ans.[20] Quand on lit une mention explicite de la Saint Barthélémy, dans tel sixain, il ne s’agit pas de laisser croire que l’on a annoncé cet événement déjà bien connu lors de la publication des dits sixains, mais que l’on annonce quelque chose qui aura à voir avec un tel drame. Mais bien évidemment, cela ne vaut que si le discours est postérieur à 1572, ce qui exclut d’office qu’il puisse être attribué à Nostradamus. Nous pensons d’ailleurs qu’initialement, avant que l’on produise l’Epitre à Henri IV datée de 1605-les sixains étaient censés avoir été composés vers 1600, et il est donc logique qu’ils puissent, entre autre, se référer à 1572, dans un souci pédagogique[21].
En ce qui concerne l’historique des éditions centuriques, force est de constater que l’apport des éditions du second XVIIe siècle a été éclipsé par un retour vers les éditions du siècle précédent. Même le quatrain 100 de la centurie VI n’est guère pris en compte, malgré sa présence dans le Janus Gallicus (1594) : on ne connait pas d’édition conservée des Centuries le comportant et ayant servi à ce commentaire. Tout se passe comme si l’édition Pierre Rigaud, faussement datée 1566 et qui parait en 1716, avait établi un canon cristallisant un certain état des Centuries à un stade intermédiaire qui ignore tout de l’apport des éditions des années 1690 lesquelles nous restituait un état antérieur à celui des éditions Benoist Rigaud 1568, tant pour les quatrains que pour les épîtres. L’érudition nostradamique qui se développe à partir de la seconde moitié du XIXe siècle (Torné Chavigny, Le Pelletier) avait pris la dite édition Pierre Rigaud 1566 (conforme à celle de Benoist Rigaud mais supposée lui être antérieure) comme référence et cela est resté ainsi, en dépit de la démystification intervenue, tout au long du XXe siècle. On a évacué Pierre Rigaud pour la forme mais on l’a gardée pour le contenu, hormis quelques éléments nécrologiques qui d’ailleurs sont étrangement absents des éditions supposées posthumes des Centuries.
Le quatrain IX, 29 n’est probablement pas le seul à constituer une variante au sein de la série des Vrayes Centuries et Prophéties. Une étude comparative systématique opposant cette série qui n’est pas nécessairement homogène à une autre série comme celle constituée des Prophéties Benoist Rigaud 1568 serait certainement profitable avec ce paradoxe que la série du milieu du XVIIe siècle comporte des éléments plus anciens que celle de la seconde moitié du XVIe siècle, hormis bien entendu les développements exégétiques sur l’Angleterre, notamment. Ajoutons que plusieurs de ces éditions du XVIIe siècle (règne de Louis XIV) indiquent en leur titre « Centuries expliquées par un Scavant de ce temps » (Remarques Curieuses sur les Centuries. Il s’agit du chevalier Jacques de Jant dont on retrouve les initiales ; né en 1626, mort en 1676, il est garde du cabinet des raretés de Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV[22], donc il a fort pu avoir eu à sa disposition des éditions correspondant aux états premiers des Centuries, c’est à dire à des contrefaçons non encore frelatées et il est possible qu’il soit l’auteur de corrections annoncées, si ce n’est que ces textes sont antérieurs à ceux qu’il publiera en 1672 et 1673. On le connait alors pour ses Prédictions tirées des Centuries de Nostradamus – annonçant des succès français dans les Provinces Unies (Hollande) - qui paraissent à Rouen, ville dont on a souligne le rôle dans l’entreprise de réforme centurique. Il vaut la peine de citer un passage de l’Avertissement au Lecteur en tête de certaines éditions de la série VCP (à partir de 1668):
« Toutes les autres impressions ont esté pleines d’erreurs, tant par rapport à l’orthographe des mots qu’à cause de la substance des vers qu’on y a changez à quoy j’ay remédié dans celle-cy » L’auteur de cet avis évoque « un thrésor que je peux me vanter de posséder seul » Le terme Eclaircissement employé à cette occasion nous évoque l’ouvrage paru anonymement de Giffré de Réchac dont il semble être la mise en œuvre.
Dans l’édition Amterdam 1667 Daniel Winkermans, on trouve un autre texte, probablement du même auteur (Observations sur les Prophéties de M. Michel Nostradamus) en tout cas dans le même style , débutant ainsi « De toutes les éditions des Prophéties, je puis asseurer qu’il n’en a point encore paru de plus correctes puisqu’elle a été revue avec un très grand soin sur les plus anciennes & meilleures impressions ». Au titre de l’édition sont en effet mentionnées diverses éditons, ce qui confère un cachet scientifique à l’entreprise « suivant les premières éditions imprimées à Avignon en l’an 1556 & à Lyon en l’an 1558 », ce qui tend à confirmer l’existence d’une édition antidatée du second volet à 1558 (second tome perdu de l’édition Antoine du Rosne Utrecht). Quant à l’édition 1556, elle doit correspondre à Antoine du Rosne Budapest, mais renverrait à l’édition parisienne (perdue) Olivier Harsy 1556 dont elle est une réédition. Il n’est point fait mention d’une édition 1555, ce qui se comprend car la préface du Ier mars 1555 pourrait en fait correspondre à 1556 (en style de Pâques). Notons qu’Antoine Couillard en datant certains de ses textes de janvier 1555 a ses Prophéties indiquées comme parues en 1556. Un texte date de juin 1555 peut être ainsi antérieur à un texte daté de février 1555..On pourrait donc raisonnablement supposer que les éditions qui sont utilisées par la série VPC sont celles indiquées de 1556 et 1558 (antidatées). On devrait y trouver le quatrain IX 29 avec mention de Calais et Guines et avec « régiment Charlieu » dans l’édition 1558 et une mouture plus correcte de la Préface à César dans l’édition 1556, dont éventuellement Théophile de Garencières se serait servi en 1672. Ce qui nous frappe est assez équivalent à ce que nous avions pu observer pour les années 1588-1594, à savoir une mise en place assez tâtonnante qui se produit entre 1656 et 1691.(entre l’Eclaircisssement de Réchac et l’édition Besson) avec cette différence majeure que dans le premier cas, il s’agit d’un processus créatif alors que dans le second, il s’agit de restituer le dit processus qui s’est corrompu et dont une partie de la production (de faux) s’est perdue en route.(Editions 1556 et 1558). C’est au demeurant un tel scénario que nous proposons, quant à nous, pour le milieu du XVIIe siècle que plaquent encore nombre de nostradamologues sur la production centurique sous la Ligue, considérant, bien à tort, qu’une première vague centurique aurait eu lieu dans les années 1550-1560, dates qui correspondent de fait à celles des éditions mentionnées au titre de la série VPC..
On note aussi que les éléments biographiques ne figurent pas dans la série ‘Benoist Rigaud », censée être posthume alors qu’ils sont en bonne place (repris du Janus Gallicus mais avec certaines variantes significatives) dans nombre d’éditions du XVIIe siècle. On peut se demander si cet élément biographique ne figurait pas dans les premières éditions disparues tant il peut sembler étonnant que l’appareil biographique et exégétique n’ait pris forme que dans le cours du XVIIe siècle.


[13] Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamique, Post doctorat EPHE, 2007, sur propheties.it cf A. Papillon, « Quelques documents inédits sur le P. Jean de Réchac », in Archivum Fratrum Praedicatorum, 1932 pp. 403-414, L’Eclaircisssement n’y est pas mentionne alors qu’il y est question (p. 413) d’un ouvrage antérieur qui est considéré comme fâcheusement influencé par Campanella, le De Regno temporali Christi. In Lettre de Thomas Turc à Dominique Le Brun , datant du 5 février 1650. Vour aussi année 1933 de la même revue.
[14] cf Réflexions sur les avatars des quatrains centuriques aux XVIe et XVIIe siècles (Espace Nostradamus, ramkat.free.fr
[15] Version numérisée en ligne books.google.fr/books?isbn=1465516883...
[16] Bertrand Schnerb, Armagnac et Bourguignons. La maudite guerre 1407-1435 ; Paris, Perrin, 2009
[17] cf nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus
[18] cf Chomarat, Bibliographie Nostradamus, Baden Basen 1989, n° 173)
[19] Sur la dualité des éditions Lyon-Avignon, Voir Daniel Ruzo, le Testament de Nostradamus, ed Rocher , 1982
[20] Cf . B. Schnerb, Armagnacs et Bourguignons. Op. cit. pp. 13_-139
[21] cf Noel Léon Morgard, in Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, op. cit.)
[22] Vour R. Benazra, RCN, pp. 246-249

JHB
25. 06. 12

 
 

62 - Le passage des Grandes et Merveilleuses Prédictions aux Prophéties.
Par Jacques Halbronn

Le contraste entre les deux épitres centuriques est considérable et fait en lui-même déjà problème. D’une part, une épitre adressée au Roi de France, de l’autre une « préface » consacrée à un quasi nouveau né dont l’entendement est pour le moins limité à moins que l’on n’aille supposer qu’il en prendra connaissance le moment venu, une sorte de lettre à retardement, en quelque sorte. Paradoxalement, si l’on se reporte vingt ans après la mort de Nostradamus, les rôles sont inversés, Henri II est mort (peu après avoir reçu la dite Epître supposée lui avoir été envoyée) tandis que César est devenu adulte et son père, Michel, lui aussi est décédé.
Les faussaires qui auront tenu, par excès de zèle, à produire des éditions de la Préface à César censées avoir été imprimées au lendemain même de sa rédaction, à quelques mois près (en se trompant éventuellement dans un calendrier qui entre temps a changé car ce Ier mars 1555 ne serait-il pas plutôt, pour nous, un Ier mars 1556 ?), auront fait fausse route et malgré cela, ils étaient restés jusqu’à il y a peu dans une totale impunité.
Il nous semble clair que la lettre à César était prévue pour être posthume. La première phrase est on ne peut plus explicite : « referer par escript, toy délaisser (un) mémoire apres la corporelle extinction de ton progeniteur ». On comprend qu’il existe une (fausse) édition datée de 1566, année précisément de la « corporelle extinction » de Michel de Nostredame..
Revenons sur le témoignage d’un Antoine Couillard qui parle de « trois à quatre cents carmes », ce qui correspond au contenu de l’édition de Rouen 1588 (décrite mais dont aucune copie n’est accessible présentement) qui n’est pas divisée en centuries et qui comportait plus de 350 quatrains que l’on peut appeler « carmes ». Nous pensons à une édition qui peut être antérieure de peu à 1588, l’édition de Rouen ayant récupéré le contenu d’une édition plus ancienne..
La thèse que nous défendons ici est l’inverse de celle qui est actuellement répandue chez les nostradamologues, à savoir que si on est d’ accord sur le fait que l’ouvrage intitulé « Les Prophéties du Seigneur Du Pavillon » est inspiré, en partie, de la Préface à César, en revanche, nous ne pensons pas que la date de 1556 soit authentique ; nous pensons que ce livret a été réalisé une bonne trentaine d’années plus tard.
En ce qui concerne le contenu des Prophéties du Seigneur du Pavillon, on notera que les similitudes ne concernent que quelques pages, au début de la « tierce partie » sur les quatre de l’ouvrage. On notera que Couillard désigne son propre fils sous le nom de Martial alors que l’on trouve dans la préface « tes moys martiaulx ». Quant au nom de César, on le retrouve une seule fois chez Couillard.. On note en passant que l’on nous explique dans les Prophéties du Sgr Du Pavillon que « prophétiser (c’est) pour mieux dire deviner », ce qui renvoie à la divination, au divinatoire. En l’espace de quelques feuillets, nous trouvons concentrées repris toutes sortes de formules qui figurent dans la Préface à César dont « continuelles vigilations (veilles) nocturnes ». Il reste que cet emprunt reste discret, et que l’on ne peut aucunement dire que ces Prophéties du Seigneur du Pavillon désignent spécifiquement les centuries de Nostradamus dont il existe en effet des éditions qui portent ce titre de Prophéties, à l’instar de cette édition Macé Bonhomme.
Une telle discrétion de l’emprunt n’est pas sans nous faire songer au cas d’un autre Antoine, Crespin dont nous avons montré[1]. Là encore l’emprunt reste discret, ce qui explique d’ailleurs qu’il n’aura été signalé que dans les années 1990.[2]
Dans le cas de Couillard, il convient de parler d’une sorte d’emprunt –plagiat qui n’entrerait nullement dans le projet des faussaires des éditions centuriques. Le pseudo-Couillard, certes, cite certes Nostradamus mais il ne dit pas explicitement qu’il a récupéré plusieurs passages de la Préface à César, éparpillés dans les quelques pages qui correspondent bel et bien à la dite Préface. Encore faut—il préciser que cela correspond à la version brève de la Préface (comme chez Théophile de Garancières et Antoine Besson au XVIIe siècle) et non aux additions/interpolations qui marquent les autres versions de la Préface.
Dans le cas Crespin Archidamus (puis Nostradamus), nous pensons que les « Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation françoise », Lyon, 1572 – qui comportent à la rubrique des « adresses » un grand nombre de versets pris de quatrains centuriques ont été fabriquées dans le cours des années 1590, vu qu’elles comportent des extraits du second volet et pas seulement du premier. Nous y voyons un parallèle avec le Janus Gallicus de 1594 mais aussi avec les éditions à deux volets type 1558 (perdue) et 1568 (antidatée). Là encore, nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’une opération émanant des faussaires du centurisme mais bien encore une fois d’une sorte de plagiat qui aura donné lieu à toute une production de plaquettes, certes attribuées à ce Crespin qui revendique une filiation nostradamique, mais somme toute assez discrète, encore une fois. On n’est donc ni avec Couillard ni avec Crespin dans le cas de figure d’une production s’affichant comme validant l’ancienneté des documents nostradamiques. Il faudrait plutôt parler d’une forme de parasitisme aux dépens de la production pseudo-nostradamique, s’entend.. En ce qui concerne Crespin, son nom n’est pas inconnu sous la Ligue : le libraire Pierre Ménier, par ailleurs un des éditeurs parisiens des Prophéties 1588-1589 et au-delà, publiera en 1590, une Prophétie Merveilleuse contenant au vray les choses plus mémorables qui sont à advenir depuis cette année 1590 iusques à l’année 1598, lesquelles n’ont esté encore mis en lumière (…) le tout composé par M. Crespin Archiamus (sic) dédiée à Charles X Bourbon, qui fit l’interrégne entre Henri III et Henri IV.
Les cas de Couillard et de Crespin sont bien différents, par comparaison, de l’épitre de Jean de Chevigny datée de 1570, consacrée à la naissance de l’Androgyn, avec les vers de Dorat. Cette fois, la ficelle est beaucoup plus grosse : on nous y fournit un quatrain centurique relatif à l’Androgyn (avec sa désignation exacte) et cette fois, cette affaire émane directement des cercles de faussaires du centurisme. Mais là encore, il nous apparait que cette épitre de Chevigny joue la carte posthume : on nous laisse entendre que des quatrains ont pu circuler après sa mort. Un tel scénario sera contredit par les éditions 1568 Benoist Rigaud, qui si elles avaient existé au moment de la dite Epître de Chevigny aurait enlevé tout intérêt à la mise en circulation du dit quatrain.
En tout cas, ni Couillard, ni Crespin ne sauraient servir à attester de l’existence préalable des Centuries des années 1550-1560 mais bien des éditions 1580-1590. Dans le cas Crespin, on notera que dans l’une de ses nombreuses plaquettes, il est mentionné[3] l’Epitre à Henri II de 1558 (et non celle de 1556) ce qui montre que les éditeurs de Crespin avaient sous les yeux le second volet des Centuries que nous ne situons que dans le cours de la décennie 1590.
Une question se pose : pourquoi a-t-on appelé « Prophéties » ou Vrayes Centuries et Prophéties, au siècle suivant,, ces centaines de « carmes », pour reprendre le propos des Prophéties du Seigneur du Pavillon ? On notera que l’édition Rouen 1588 ne porte pas le nom de Prophéties mais celui de Grandes et Merveilleuses Prédictions.

Nous avons souligné le fait au cours de nos récentes études qu’Antoine Couillard (ou celui qui écrit sous son nom) affectionnait le terme « Prophéties » mais lui-même reconnait (cf supra) que prophétiser est synonyme de deviner. Nous pensons qu’il s’agit là d’une sorte de tentative de trouver un terme général pour désigner tout un ensemble de pratiques et c’est aussi une façon de désacraliser les prophéties bibliques en montrant à quel point elles s’apparentent à l’Astrologie ou à tel ou tel « science » divinatoire. D’autres dénominations seront proposées dans les siècles suivants comme « sciences occultes », « ésotérisme » mais le corpus Nostradamus témoigne d’une période où le terme « prophéties » s’étendait sémantiquement et sociolinguistiquement bien au-delà des Ecritures. On sait à quel point il est parfois délicat de modifier l’acception d’un mot, ce qui peut conduire à des emprunts à des mots étrangers ou à l’introduction, plus ou moins réussie, de néologismes, notamment à partir du grec. Nous disons donc que Couillard aura voulu lancer un terme générique pour qualifier un ensemble de techniques visant à « dire » l’avenir. D’où des formules au pluriel comme « nos nouveaux prophètes » qui dépassent tout à fait tel ou tel cas en particulier, y compris celui de Nostradamus.
Nous développerons l’hypothèse inverse de celle exposée plus haut : et si c’était l’ouvrage de Couillard qui avait servi à formater une certaine production nostradamique et non l’inverse ? Que l’on nous comprenne bien, Couillard emprunte à la production pseudo ou post Nostradamus mais pas forcément en ce qui concerne le mot Prophéties. Ce serait alors un prêté pour un rendu.
On a rappelé plus haut qu’un autre titre avait existé et qu’il était probablement plus ancien, du point de vue du projet du revival nostradamique des années 1580. L’édition Rouen Raphael du Petit Val portant la date de 1588 comporte probablement le texte le plus ancien de la série. Il n’est pas encore divisé en centuries mais aligne simplement des centaines de quatrains, comme le fait remarquer Couillard sans qu’il ait pris la peine de les compter et d’ailleurs étaient-ils même numérotés ? On n’en sait rien pour l’heure puisque aucune copie de cette édition n’est visible alors que l’ouvrage faisait partie, soit en original soit en microfilm, de la Collection Ruzo, ce qui n’empêche pas qu’elle ait été décrite par Daniel Ruzo tant par écrit qu’oralement et en privé (lors du Colloque Nostradamus de Salon de Provence, 1985On notera aussi l’inversion : » Jean Dallier, sur le pont S Michel à l’enseigne de la rose blanche » pour les Antiquitez et « Jean Dallier demeurant à l’enseigne de la Rose Blanche sur le pont sainct (sic au lieu de S.) Michel » pour les Propheties. On voit que Benoist Rigaud dont le rôle dans le revival nostradamique est bien connu n’ignorait nullement l’existence du Seigneur du Pavillon. On notera qu’en 1585 paraissent les Procédures civiles et criminelles du Seigneur du Pavillon avec la forme « lez Lorriz », à une date proche de celle que nous attribuons aux Prophétiee du pseudo Seigneur du Pavillon. L’étude de la bibliographie du dit Seigneur nous conduit à penser qu’il est assez improbable qu’il ait réellement traité des Prophéties et cela vaut aussi pour les Contreditz de 1560.

Patrice Guinard note (Corpus Nostradamus 49), sans en tirer d’enseignement, que la date de l’achevé d’imprimer de l’édition Macé Bonhomme correspond à un an près au privilège de l’édition 1556 des Prophéties Du Pavillon, dans les deux cas, c’est le 4 mai.

Nous pensons que cette date du 4 mai 1555 a été calquée sur le 4 mai 1556. En tout état de cause, les deux privilèges sont des faux. Dans les deux cas le titre de l’ouvrage est réalisé avec une autre police de caractères que le reste de la pièce, de façon à mettre en valeur les deux titres.
PROPHETIES DU SEIGNEUR DU PAVILLON
et
PROPHETIES DE MICHEL NOSTRADAMUS

On rappellera que l’on dispose de très peu de privilèges pour les Centuries de Nostradamus et que l’un des rares cas est justement celui placé en tête de l’édition Macé Bonhomme.
Est-ce que les deux « Prophéties » ont été contrefaites par un seul et même faussaire ou est-ce que l’on a affaire à un faussaire copiant un autre faussaire ?.Pour notre part, nous penchons pour l’heure pour deux processus parallèles : d’une part les Prophéties Du Pavillon, inspirées des Grandes et Merveilleuses Prédictions mais ne visant pas à s’inscrire dans une entreprise de contrefaçon nostradamique – il s’agit plutôt d’un plagiat- et de l’autre la prise en compte de ces Prophéties dont on aura cru qu’elles étaient bel et bien de 1556 pour constituer l’édition Macé Bonhomme.
 


JHB
30. 06.12

 
 

63- Du nouveau sur la genèse des Prophéties du Seigneur du Pavillon
Par Jacques Halbronn

Quand on entreprend une recherche, il est conseille de la conduire de la façon la plus systématique et de ne rien négliger, de suivre toutes les pistes jusqu’au bout. Il est vrai que dans le domaine nostradamique, il est rare de trouver encore des pièces nouvelles susceptibles de préciser ou de corriger nos représentations sur ce corpus. C’est ainsi que depuis vingt ans que nous avons mis au défi les chercheurs d’apporter des preuves de la circulation des centuries voire de quatrains des Centuries (à part ceux de l’ almanach pour 1561 qui ont été intégrés dans les éditions parisiennes de 1588 1589), le bilan est bien maigre et le comble c’est que c’est nous-mêmes qui avons rapporté les rares éléments significatifs (dans les Significations de l’éclipse de 1559, dans l’épitre de Chevigny pour l’Androgyn de Dorat (1570) et surtout en ce qui concerne Antoine Crespin et ses Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation française, 1572), au vrai tous suspects d’avoir été antidatés. Et puis il y a le cas Couillard et celui de Videl qui semblent ne pas pouvoir s’expliquer sans l’existence de la Préface à César et en quelque sorte, cela semble suffire à nos nostradamologue hostiles à l’idée d’éditions antidatées des Centuries avant la période de la Ligue. D’aucuns ont demandé quel intérêt il y aurait eu à produire autant de ces éditions et notamment la quantité énorme d’éditions Benoist Rigaud 1568, soigneusement cataloguée par Patrice Guinard. Nous répondrons que ces ouvrages se vendaient et qu’ils se vendaient d’autant mieux qu’ils étaient justement antidatés. Il n’y a donc là rien de contraire à une logique commerciale. C’est le principe des rééditions, si ce n’est que l’on garde la date supposée d’origine du moins pour certains tirages car toute la production n’est pas antidatée et la plupart des éditions parues sous la Ligue n’ont pas leur équivalent antidaté. On antidate que sporadiquement, telle édition plutôt que telle autre car malheureusement pour les faussaires, il y eut tellement d’éditions successives et différentes- et encore ne les a-t-on pas toutes conservées ni même identifiées comme cette fameuse édition à six centuries qui est restée introuvable, celle qui se terminait par l’avertissement latin-on ne la connait que par des éditions augmentées et dépourvues du quatrain 100 de la VI- que la contrefaçon antidatée aurait eu bien du mal à suivre. C’était donc à l’avenant. Un coup, oui, un coup non...
Pour en revenir au cas Couillard-Du Pavillon, nous nous sommes dits, pourquoi ne pas aller étudier systématiquement toute la production de ce personnage, y compris, bien entendu, ce qui n’a rien à voir – du moins en apparence- avec la bibliographie nostradamique ? Or, il se trouve que certaines découvertes sont dues à cette pratique de l’école buissonnière, à la fois dans l’espace (la Guide des Chemins de France de Charles Estienne) que dans le temps, en amont (Guerre de Cent Ans) mais aussi en aval. (Période de la Ligue, voir notre communication en 1997 dans les actes des Journées Verdun Saulnier)
Et puis, comme l’a montré Patrice Guinard, quand par exemple il étudie l’édition Macé Bonhomme des Prophéties, il est bon de s’assurer que l’édition est conforme aux pratiques du libraire concerné, que l’on y retrouve ses bandeaux, ses lettrines. Le problème, c’est que cela nous explique tout autant comment les faussaires ont pu procéder en faisant du faux avec du vrai.
Patrice Guinard a consacré une de ses études du Corpus Nostradamus à Antoine Couillard. Il prend la peine de signaler les points communs, les recoupements entre le texte des Prophétie du Seigneur du Pavillon et celui de la Préface à César, et puis il signale en annexe d’autres publications du dit Couillard, il reproduit même la page de titre des Antiquitez et singularitez du monde, parues la première fois en 1557 ches les mêmes libraires que ceux qui avaient publié les dites Prophéties du Seigneur du Pavillon les Lorriz.[1] En vérité, Guinard ne semble pas avoir traité la question de façon vraiment exhaustive. C’est ainsi qu’il ne reproduit que les pages de titre des éditions Jean Dallier des Prophéties et des Antiquitez mais non celles des éditions Antoine Leclerc, l’associé du dit Dallier. Mais surtout, il ne semble pas qu’il ait pris connaissance du contenu des Antiquitez car il y aurait trouvé un document qui ne saurait laisser indifférent un nostradamologue et encore plus un couillardologue. Mais n’allons point trop vite en besogne.
Dans un précédent article, nous avions commencé à nous intéresser au rapprochement entre les Prophéties et les Antiquitez et singularitez du monde, en soulignant une certaine similitude entre les pages de titre, y compris en ce qui concerne les libraires. .
Nous apporterons ici quelques points supplémentaires :
1 l’édition Antoine Le clercq (BNF pR 40) des Prophéties du Seigneur du Pavillon ne comporte pas de rose/rosace à la différence de celle de Dallin (Bib. Arsenal). C’est assez logique puisque c’est Dallin qui est à l’enseigne de la rose blanche et non pas Le clerc. Toutefois, l’édition Le clerc des Antiquitez, elle, comporte quand même ce motif en sa page de titre.[2]
On note aussi que le privilège royal des Antiquitez est pour le seul Dallin. A propos, on s’étonnera que la page de titre des Antiquitez comporte la mention « Avec Privilége Royal » alors que celle des Prophéties du Seigneur du Pavillon tout comme celle d’ailleurs de l’édition Macé Bonhomme des Prophéties de M. Michel Nostradamus ne comporte que la mention « Avec privilège » ce qui nous semble être une anomalie une maladresse qui pourrait être considérée comme une présomption de contrefaçon. Que penser du fait que le privilège des Prophéties du Pavillon, quant à lui, est accordé conjointement aux deux libraires alors qu’à la même époque, puisque les Prophéties et les Antiquité se suivent à quelques mois près, il avait fallu un privilège par libraire. Nous y voyons là encore un indice suspect. Nous avons déjà signalé dans un précédent texte – et cela commence à faire beaucoup, le fait que les Antiquitez donnent comme auteur du Pavillon près Lorriz et les Prophéties, du Pavillon les Lorriz, alors qu’on est censé être dans les deux cas chez les mêmes libraires. Il est vrai que l’on trouve parfois dans le corps de l’ouvrage la forme « Du Pavillon les Lorriz », qui est aussi un lieu dit, mais pas au titre des œuvres de Couillard où c’est la forme « pres Lorriz » qui est de rigueur. Autre indice encore, la présence de Benoist Rigaud, dont on connait l’intérêt pour la production néo-nostradamique (il publie notamment du Crespin Nostradamus/Archidamus). Or, dans les années 1570, c’est le dit Rigaud qui s’occupe des rééditions d’ouvrages de Couillard, pas des Prophéties ni des Contredits- qui sont datés des années 1550-1560 mais des Antiquitez (1578). Rigaud avait publié également en 1573 l’Epistre présentée au tres excellent & invincible Roy de Pologne par le sieur du Pavillon pres Lorriz et en 1577 les Procédures civiles et criminelles selon le commun stile de France (BNF F 32210) d’un certain Anthoine Coillard (sic) de Lorriz, sans que l’on soit certain qu’il identifiait cet auteur avec le Seigneur du Pavillon. C’est un ouvrage de jeunesse et l’auteur n’avait pas encore adopté le nom de Seigneur du Pavillon. Le moins que l’on puisse dire en tout cas, c’est que le sieur Couillard n’est pas un inconnu pour Benoist Rigaud.
Mais arrêtons-nous sur les Antiquitez & singularitez du monde composé par le seigneur du Pavillon lez Lorriz, selon la mention du privilège, à comparer avec Les Prophéties du seigneur du Pavillon lez Lorriz, formule utilisée dans le Privilége de cet ouvrage. On aurait pu aussi bien s’attendre à trouver, sur le modèle de ce qu’il y a pour les Antiquitez, les Prophéties par le Seigneur du Pavillon ou mieux encore « Prophéties » sans article.
Si l’on compare les éditions 1557 des deux libraires parisiens, Dallier et Le clerc et celle de Benoist Rigaud, 20 ans plus tard, y a-t-il une différence dans le contenu ? On retrouve certes le même Proéme très enlevé, assez truculent de l’auteur mais il y manque la dernière page qui est un avis du neveu d’Antoine Couillard, un certain Jean Moireau de Lorriz, lequel s’adresse ainsi, in fine,à son « débonnaire lecteur »[3]

« Je désire (lecteur amy) et de bon cœur te souhaite autant de soulas, delectation & plaisir en la lecture de cest œuvre comme j’ay eu d’ennuy, labeur & peine sous l’autheur (duquel je suis le nepveu) à minuter, escrire, doubler , redoubler & mettre au net non seulement les deux livres precedens mais aussi plusieurs autres par luy composez comme les quatre livres des procedures civiles & criminelles sur le stil & practique de France, les deux livres des fleurs odoriferantes, traictant d’exhortations humaines & propos fort louables & sentencieux : les quatre parties de ses propheties sous lesquelles sont adumbrees & cachees plusieurs grandes choses & quatre autres livres traitant des responses aux nouvelles propheties de maistre Michel Nostradamus & autres astrologues (tu) pourras facilement conjecturer quantes & quelles peines il a voulu porter pour gratuitement te rendre œuvres que tu cognoistras non moins copieuses & en fruict abondantes qu’elles sont à nostre republique de bon exemple tres utiles & necessaires »
Il ne s’agit apparemment pas de l’annonce de la mort de son oncle qui publiera d’autres textes par la suite comme cette Epistre due à Couillard vieillissant, adressée au Roi de Pologne, le futur Henri III, en 1573 : Epistre présentée au tres excellent & invincible Roy de Pologne par le sieur du Pavillon pres Lorriz, dont une édition est due à Benoist Rigaud. On a plutôt affaire à une personne chargée de gérer la publication d’un certain nombre d’ouvrages disponibles à l’état de manuscrits et qui en dresse une forme d’inventaire lequel n’est pas sans offrir, on l’avait annoncé, un certain intérêt pour la nostradamologie mais qu’il importe de traiter avec une certaine prudence.
Les ouvrages annoncés sont attestés, y compris Les fleurs odoriferantes
Paris, Loys Begat, 1549, in-8 , que signale Du Verdier, en 1585 mais qui n’a pas été retrouvé. Mais que vient faire un ouvrage déjà paru en 1549 dans un inventaire de ce qui reste à paraitre en date de 1556. ? A ce propos, signalons que les privilèges et l’achevé d’imprimer des Antiquitez sont de février 1556, année de la parution supposée des Prophéties du Seigneur du Pavillon.
Or, que dit le neveu des dites Prophéties ? Il parle des « quatre parties de ses propheties sous lesquelles sont adumbrees & cachees plusieurs grandes choses ». Il ne nous semble pas que cela corresponde tout à fait au contenu des dites Prophéties du Seigneur du Pavillon, du moins telles que nous les connaissons. Rappelons à toute fin utile, qu’Antoine Couillard n’est pas vraiment un plaisantin et que ses ouvrages, sinon son Prologue, doté d’un certain humour, aux Antiquitez, sont plutôt dans le genre ardu et sérieux, que ses Antiquitez traitent de l’Histoire du monde et que ses Procédures civiles et criminelles selon le commun stile de France ne prêtent guère à rire.
Passons au passage qui mentionne le nom même de Nostradamus : « & quatre autres livres traitant des responses aux nouvelles propheties de maistre Michel Nostradamus & autres astrologues ». Cela correspond visiblement aux Contredits aux faulces & abusifves prophéties de Nostradamus et autres astrologues qui paraitront à Paris, en 1560, chez Charles L’Angelier. Le privilège royal (et la Cour du Parlement), en date de décembre 1559 donne : « Les contredictz du Sgr du Pavillon contre les faulses propheties de Nostradamus » Nous avons déjà signalé, dans une autre étude à quel point le contenu de l’ouvrage était décalé par rapport à son titre, vu qu’il n’y est jamais question en particulier de Nostradamus. On notera que le neveu n’emploie pas les adjectifs
« faulses » et ‘ »abusifves » comme épithètes à prophéties de Nostradamus.
On peut raisonnablement supposer que cet ouvrage est resté inachevé ou qu’il a été tronqué, mais pourquoi, dans ce cas, avoir conservé un tel titre ? Si l’on compare ce texte avec ceux de La Daguenière, de Laurent Videl, d’Hercule le François, qui paraissaient en 1557-1558, on ne retrouve aucunement les mêmes prises à partie. Au regard de la production antinostradamique, en dépit de son titre, un tel texte est insignifiant et ne nous apprend rien sur le dit Nostradamus, dont pourtant le nom est repris à chaque haut de page. On a l’impression que l’on a voulu tromper le lecteur sur la marchandise.
Quid de la genèse des Prophéties du sieur du Pavillon telles que nous les connaissons? Nous pensons que le manuscrit de ces Prophéties devait en différer sensiblement. Le neveu n’en parle pas comme d’un ouvrage parodique. Dans les Antiquitez, d’ailleurs, Couillard parle – au Proéme- de « divine inspiration » et nous serions tentés de penser que Couillard croit très fermement aux prophéties et qu’il n’est donc nullement dans son intention d’ironiser à leur sujet ou de les réduite à de la divination, comme c’est le cas pour l’ouvrage qui nous est parvenu sous ce nom.
En revanche, nous imaginons fort bien un Benoist Rigaud recycler ces Prophéties en n’hésitant pas à récupérer des passages ça et là de la production d’autres auteurs, comme pour un Laurent Videl et sa Déclaration des abus, séditions et ignorances de Michel Nostradamus de 1558 (Avignon). Pour nous, ces Prophéties ne sont pas celles auxquelles se réfère, en passant, du Pavillon dans ses Contredits et dont ignore quel état l’état d’avancement en 1556-1557.
Que l’on nous comprenne bien et évitons, de grâce, les anachronismes : le public de l’époque n’établit probablement pas de lien avec Nostradamus. On est bien en face d’un plagiat et non d’un pastiche comme il est souvent dit. Ce n’est pas parce que de nos jours on a établi des rapports entre la Préface à César et les dite Prophéties de Du Pavillon que ce rapprochement fut effectué à l’époque. Il faut rappeler (cf notre post doctorat, EPHE 2007) que Rigaud avant de publier du faux Nostradamus publia des auteurs qui imitaient Nostradamus, qui écrivaient dan son style mais sans être encore dans une logique de revival qui l’emportera dans les années 1580. Comme nous l’avons écrit dans une précédente étude, c’est l’édition Macé Bonhomme 1555 qui se calque sur les Prophéties du Seigneur du Pavillon, en ce qui concerne son titre, sa vignette et son privilége - avec l’oubli dans les deux cas de royal après privilége. En revanche, pour son contenu, elle reprend l’édition de Rouen Raphael du Petit Val 1588 sous la forme centurisée qui est la sienne- avec la préface à César- et avec l’addition de quelques quatrains (dont le IV, 46), renonçant ainsi à la forme Grandes et Merveilleuses Prédictions au profit de celle de Prophéties.. Le privilège en date du 4 mai 1556 est probablement fantaisiste. Cela impliquerait que les Prophéties soient parues avant les Antiquitez –où elles sont annoncées - qui sont datées de 1557. Nous avons relevé un certain nombre d’anomalies concernant l’édition des Prophéties du Seigneur du Pavillon que nous rappelons :
1 la mention « Avec Privilège » au lieu de « Avec privilège royal », formule tronquée reprise telle quelle pour Macé Bonhomme 1555,
2 le double privilège accordé conjointement à Dallin et à Le Clerc pour la publication des dites Propheties alors que pour les Antiquitez on avait deux privilèges séparés, la forme « Les Lorriz » au lieu de « pré Lorriz » qui n’est pas conforme aux parutions de Du Pavillon,
3 l’absence de la rose sur la page de titre de l’édition Le Clerc des Prophéties alors qu’elle figure pour l’édition Le Clerc des Antiquitez. Apparemment Le Clerc était dépendant de Dallin.
4 Ajoutons cette forme que nous jugeons inhabituelle, Prophéties du Seigneur du Pavillon au lieu de la forme « par » que l’on trouve au titre des Antiquitez. Cette anomalie apparait également pour les« Contredits du Seigneur du Pavillon les Lorriz en Gastinois aux faulses & abusifves propheties de Nostradamus », Paris L’Angelier, 1560.
Si l’on prend la production de Nostradamus, on trouve « composé par » et non « par » ni «de ». Pourquoi, parallèlement, aurait il publié sous le titre « Les Prophéties de M. Michel Nostradamus » ?

Que s’est-il passé ? Quelqu’un aura pris connaissance de l’inventaire Moireau dressé en 1556 de l’œuvre de Du Pavillon, a remarqué qu’il était crédité d’un livre de prophéties, qu’en outre, toujours selon le même descriptif cet auteur s’était élevé, disait-on, contre les « nouvelles prophéties de Nostradamus. » et cela aura suffi pour produire cette contrefaçon faisant référence à la Préface à César laquelle apparait dans le courant des années 1580, 1588 n’étant probablement pas l’année de la première parution de celle-ci. Il faudrait remonter de quelques années. 1586 nous semble être une estimation raisonnable.
Ce qui nous interpelle, c’est la raison d’être d’une telle publication car ces Prophéties du Seigneur du Pavillon Les Lorriz datées donc de 1556 (et qui influenceront la production de l’édition Macé Bonhomme des Prophéties de M. Michel Nostradamus, qui n’était certainement pas le titre initial de la série, sont un texte assez particulier qui s’en prend aux « nouveaux prophètes « et pas tant que cela à Nostradamus. Lorsque sortent ces Prophéties, on n’en est probablement qu’au tout début du phénoméne des nouvelles Centuries de quatrains (il y eut d’abord des « centuries » constituées des quatrains des almanachs de Nostradamus, comme l’atteste la Bibliothèque de Du Verdier (1585), par les soins de Benoist Rigaud, précisément. C’est une époque où toutes sortes de publications paraissent et l’on instrumentalise les Prophéties de Du Pavillon pour attaquer celles-ci dans la Tierce Partie, ce qui pourrait être une addition au texte d’origine, manuscrit ou imprimé. Nous sommes donc encore dans les prémisses du néo-centurisme avec la production d’une toute première édition à quelques centaines de « carmes », dotée d’une préface à César laissant entendre que ce sont des textes laissés par Nostradamus à son fils, à sa mort, selon un scénario bien connu de dévoilement tardif. Et c’est alors que paraissent coup sur coup sept états liés entre eux :
1 Les Grandes et Merveilleuses Prédictions, avec préface à César et un peu plus de 340 quatrains
2 Les Prophéties de Du Pavillon, Paris, 1556, qui s’y référent et qui plagient la dite Préface, elle-même constituée d’éléments récupérés chez Vide. On mentionne l’existence de trois à quatre cents carmes (ou quatrains)
3 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus, Macé Bonhomme, 1555. On choisit cette date pour que cela soit censé paru avant les Prophéties du Seigneur du Pavillon. Cette fois, les quatrains sont classés en centuries, quitte à ce que l’Ive n’ait que 53 quatrains. On en a déjà rajouté au texte des Grandes et Merveilleuses Prédictions, en rapport avec l’actualité immédiate du conflit dynastique et religieux. (IV, 46)
4 Les Grandes Et Merveilleuses prédictions, en une nouvelle édition se présentent « divisées en quarte (sic) centuries.
5 Une édition avec une sixième centurie « incomplète » qui nous est conservée sous des titres plus tardifs ; (première en date connue, datée de 1561, chez la veuve N. Buffet. « reveues & additionnées par l’Auteur pour l’an 1561 de 38 articles à la dernière centurie[4]). (cf notre dossier « Vers une nouvelle approche de la bibliographie centurique »[5]), avec indiqué à la centurie IV, après le 53e quatrain –référence directe à l’édition Macé Bonhomme- que d’autres quatrains ont été ajoutés.
6 Une édition (disparue) à six centuries, qui ne nous est connue que par des éditions à 7 centuries, avec avertissement latin entre la Vie et la VIIe centuries.
7 Des éditions à 7 centuries antidatées à 1556, chez Olivier Harsy (disparue) et 1557 chez Antoine du Rosne (Bibl Budapest) des Prophéties de M. Michel Nostradamus,
L’on voit que la période de la Ligue puisse largement dans le vivier des libraires parisiens et lyonnais en activité dans les années 1550-1560, de Dallin à Le Clerc, de Bonhomme à Du Rosne, de la Veuve Buffet à Harsy sans parler des auteurs comme Videl, Du Pavillon et évidemment Nostradamus..
Le cas des Prophéties du Seigneur du Pavillon participe d’un tel processus d’autant que c’est à partir de cette édition que la forme « Prophéties de M. Michel Nostradamus » s’impose, de façon tout à fait aléatoire et fortuite, encore provisoirement, à la fin du XVIe siècle.
A quoi aura tenu l’usage qui aura fini par prédominer du mot « Prophéties » pour désigner le milier de quatrains attribués à Nostradamus, répartis en 10 centuries ? Nous voyons l’occurrence du terme dans les textes suivants :
1 Laurent Videl parle de « livres de prophéties » en 1558 à propos de Nostradamus
2 Le neveu de Du Pavillon signale dans la production en instance de son oncle outre les Prophéties du dit oncle Couillard ( « les quatre parties de ses propheties sous lesquelles sont adumbrees & cachees plusieurs grandes choses «), « quatre autres livres traitant des responses aux nouvelles propheties de maistre Michel Nostradamus & autres astrologues » et sur ces entrefaites , en 1560, paraissent les « Contredits du Seigneur du Pavillon les Lorriz en Gastinois aux faulses & abusifves propheties de Nostradamus »
3 La Préface à César qui rajoute à Videl «j’ay composé livres de propheties contenant chacun cent quatrains astronomiques de propheties », le mot prophéties étant même redoublé.
Mais que sait-on de ce que recouvrait ce terme tant chez Nostradamus que dans l’inventaire Moireau, dans les années 1556-1558 ? Notons que certes que l’ouvrage Les Prophéties de M. Michel Nostradamus peut tenir son titre de la forme « Livres de Prophéties » mais ce n’est pas sous ce titre qu’il parait d’abord. Nous pensons donc que ce sont les Prophéties du Seigneur Du Pavillon qui ont ouvert la voie.
Au regard de l’inventaire Moireau, nous notons que le terme Prophéties est utilisé à l’époque pour de « grandes choses », probalement pas liées du tout à l’astrologie, puisque Couillard n’est nullement astrologue ou « devineur ».Il y a visiblement une opposition radicale, à l’époque, entre Prophéties et Nouvelles Prophéties et c’est ce à quoi l’on n’aura pas accordé assez d’attention. L’inventaire Moireau met cela en évidence, faisant se succéder, de façon on ne peut plus contrastée, dans sa liste les Prophéties de Couillard et sa réponse aux Nouvelles Prophéties de Nostradamus. Et dans ses Prophéties, Du Pavillon s’en prend bel et bien aux nouveaux prophètes, ce qui interfère avec le projet de ses Contredits, comme si ce passage des Prophéties avait été emprunté aux Contreditz dans lesquels il manque justement au point de rendre incompréhensible le titre...C’est en fait cet étrange amalgame qui aura conduit à la forme « Les Prophéties de M. Michel Nostradamus ».
En tout état de cause, il vaut probablement mieux prendre le terme « nouvelles prophéties » et même par la suite de « prophéties » au sens de néo-prophétisme, de prophétisme moderne, par opposition aux anciennes prophéties bibliques. D’où d’ailleurs des recueils qui paraissent à la suite du Mirabilis Liber qui se veulent réunir des révélations tant anciennes que modernes.
Reste la question de ce que recouvre le mot « Prophéties » (sans adjectif) tant chez Nostradamus que chez Du Pavillon. Peut-être n’étaient-ils pas si éloignés l’un de l’autre ? Peut être ce qu’on reproche encore plus à Nostradamus ce sont justement ses Prophéties qui n’ont plus rien d’astrologique et dont on n’a pas connaissance et dont il a probablement parlé dans un texte, au début des années 1550, qui ne nous est parvenu que par le truchement de Videl. Nous conclurons, jusqu’à nouvel ordre, que c’est du fait de l’inventaire Moireau de 1556 que le couple de titres Prophéties du Seigneur du Pavillon et Prophéties de M. Michel Nostradamus s’est constitué dans les années 1580..
Nous sommes conscients que la lecture de nos études n’est pas toujours une partie de plaisir. Mais l’exercice pour nous ne se limite pas, comme chez les autres bibliographes (Ruzo, Chomarat, Benazra, Guinard), a accumuler des informations brutes mais à les organiser, à les compléter, à les retraiter, les redater.


JHB
03. 07.12

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[1] CORPUS NOSTRADAMUS 49 - Les Prophéties d'Antoine Couillard (1556) : Une parodie des Prophéties de Nostradamus


[2] BNF G 18022 (1) Resac Le clerc et Dallier G 11493

[3] – Guinard signale cependant ce J. Moureau :à propos des Antiquitez : ouvrage: « publié par J. Moireau de Lorriz selon catalogue BnF, vol. 33, 1908) Paris, Jean Dallier, 1557, in-8. Paris, Antoine Le Clerc, 1557, in-8. etc « mais sans avoir pris connaissance de la déclaration du dit Moireau. .

[4] Nostradamus et son siècle. Exceptionnel ensemble d’éditions des Prophéties et des Pronostications 1555-1591, Librairie Thomas Scheler. Catalogue hors série 2010 Avant propos de Michel Scognamillo, p. 49
[5] Revue française d’histoire du livre, Droz, 2011 , n° 132, à lire également sur le site propheties.it, sous une autre forme à Halbronn’s researches
 

 
 

64 - Les révélations de la Préface à César version Besson sur le statut des quatrains centuriques.
Par Jacques Halbronn


Le grand souci de certains nostradamologue tient au décalage entre ce que l’on connait de Nostradamus, en dehors des Centuries et les Centuries elles-mêmes. La tentation fréquente consiste à jouer sur les mots « Prophétie » « prophétiser » pour laisser entendre que cet ensemble de 1000 quatrains correspond à un tel intitulé. C’est dire que la question du prophétisme, de ce que c’est, se pose au cœur même du débat bibliographique.
Nous travaillerons dans cette étude sur un corpus de trois extraits comparables de versions de la Préface à César, deux en français et une en anglais, et sur ces trois versions, deux appartiennent au XVIIe siècle car il faut attendre ce siècle pour trouver des variantes vraiment importantes..

L’édition Antoine Besson, qu’il faut situer au début des années 1690, comporte, en effet, un passage de la Préface à César qui nous invite à réflexion et que l’on comparera à la mouture »classique » d’une préface qui annonce « un mémoire « . Or ce qui fait suite à la dite Préface, dans tous les cas de figure connus ce sont quelques centaines de quatrains..:

« Par quoi mon fils, tu peux nonobstant ton tendre cerveau comprendre que les choses qui doivent avenir se peuvent prophétiser par observations nocturnes des celestes flambeaux en considerant leur variables circulations qui ont rapport aux choses terriennes. Et par fois tu y trouveras une souefve delectation ainsi qu’il m’est avenu mainte fois quelques bons succez, me conjouissant d’ avoir employé mes nocturnes vigilations à l’ayde desquelles j’ay composé Livres de Prophéties, lesquels j’ay voulu labourer un peu obscurément, contenant chacun cent quatrains astronomiques, qui enveloppent perpetuelles vaticinations pour d’icy es années 1767 »

Version Garencières (Londres 1672)
«Thou may not withstanding thy tender brain comprehend things that shall happen hereafter and many be foretold by celestial natural lights and by the spirit of Prophecy not that I will attribute to my self the name of a Prophet (…) But being surprised sometimes in the week by a Prophetical humour and by a long calculation , pleasing myself in my Study, I have made Books of Prophecies, each one containing a hundred Astronomical Stanza’s which I have joined obscurely and are perpetual Vaticinations from this year to the year 3797”


Version Macé Bonhomme (Lyon 1555, en fait parue autour de 30 ans plus tard)
« Par quoy mon fils, tu peux nonobstant ton tendre cerveau comprendre que les choses qui doivent avenir se peuvent prophetiser par les nocturnes & celestes lumières que sont naturelles & par l’esprit de prophétie non que je me veuille attribuer nomination ni effect prophétique mais par revelee inspiration (…) mais estant surprins par foys la semaine lymphatiquant & par longue calculation rendant les estudes nocturnes de souefve odeur , j’ay composé livres de propheties contenant chascun cent quatrains astronomiques de propheties lesquelles j’ay voulu raboter obscurément & sont perpétuelles vaticinations pour d’icy à l’an 3797

Nous ferons en guise de prélude un certain nombre d’observations

A qui s’adresse Nostradamus ? A son fils qui vient de naitre ? Certainement pas. Il imagine son fils ayant atteint une douzaine d’années, quand à la mort de son père –(de fait en 1566), il prendra connaissance du ‘ »mémoire » qu’il lui « laisse ». N’oublions pas que c’est une pièce contrefaite et réalisée après la mort de Nostradamus et prétendant se situer à ce moment là, alors que cette pièce date des années 1580. sauf à admettre qu’il y ait bien eu un tel manuscrit- testament laissé à sa mort, ce qui est une option à ne pas évacuer d’office.

Qu’est ce qui nous est dit au regard de la prophétie ? Il semble bien qu’elle soit ici indissociable de l’observation du ciel, ce qu correspond à quelque astrosophie. Or, les quatrains, loin de là, ne sont pas tous à caractère astrologique, c’est même l’exception si l’on prend pour critère la mention d’une planéte ou d’un luminaire ou d’un signe zodiacal voire d’un métal correspondant à un astre.. .

Le texte publié par Besson – et par lui seul –car on ne retrouve pas cette expression dans la traduction anglaise dont il est par ailleurs si proche- nous apporte un début de solution. Reprenons en un passage :
« j’ay composé Livres de Prophéties, lesquels j’ay voulu labourer un peu obscurément, contenant chacun cent quatrains astronomiques, qui enveloppent perpetuelles vaticinations pour d’icy es années 1767 »

Que signifié « envelopper » sinon « entourer » ? Autant dire que les quatrains, dans ce cas, ne sont pas les perpétuelles vaticinations, qu’ils en sont en quelque sorte un prolongement voire un ornement. Telle n’est pas cependant la version de la traduction anglaise où au lieu de « qui enveloppent » donne « et sont perpétuelles vaticinations », ce qui consiste à considérer que ces quatrains sont par eux –mêmes les vaticinations en question. La leçon Besson nous semble plus satisfaisante mais qui serait donc l’auteur de cette version améliorée ou moins dégradée, comme on voudra. ?
C’est le moment de rappeler un certain nombre de points :
La version Besson, dans son ensemble, est souvent beaucoup plus satisfaisante que la version Bonhomme et ses semblables. Elle a déjà fait ses preuves mais jusque là elle recoupait le texte anglais.
Quel intérêt y aurait-il pour Besson à introduire ce segment de phrase alors que le contenu qui fait suite à la Préface ne diffère pas des autres éditions ? On voit bien que la Préface César-Besson n’est pas en adéquation, sur ce point, avec le corpus proprement dit.
Cela montre que le texte de la Préface Besson renvoie à un corpus différent de celui qu’il accompagne et le corpus qui correspondrait, nous pouvons assez bien le concevoir dans la mesure où il obéit en gros aux mêmes règles que les almanachs de Nostradamus, à savoir un alliage de prose et de quatrains, les quatrains en quelque sorte « enveloppant » les pronostications ou présages mensuels en prose. Nostradamus aurait ainsi composé des prophéties perpétuelles agrémentées de quatrains dont il ne serait pas nécessairement, d’ailleurs, l’auteur comme il ne le fut probablement pas pour ceux de ses almanachs. On pourrait même, en principe, à partir des quatrains retrouver certains éléments de la prose comme on peut le faire à partir des quatrains d’almanachs, appelés présages dans les éditions centuriques du XVIIe siècle.
Or, nous avons soutenu dans de précédents textes (notamment la série parue dans la Revue Française d’Histoire du Livre) que vers 1584 étaient reparus, chez Benoist Rigaud (cf. les Bibliothèques de La Croix du Maine et de du Verdier) des quatrains des almanachs classés en « centuries » d’une douzaine et non d’une centaine de quatrains.
Il nous apparait que le projet initial dont Besson semble avoir eu connaissance –selon un cheminement qui nous échappe évidemment- d’une très ancienne version de la Préface qui s’ouvrait alors sur des prophéties perpétuelles en prose, complétées par des quatrains. Tels seraient en fait les Livres de Prophéties dont Videl parle dans sa Déclaration – formule qu’on ne retrouve pas chez Couilllard. Patrice Guinard, dans sa comparaison entre les textes de la Préface et celui de Couillard ne retrouve pas les « Livres de Prophéties » lors du passage où la mention devrait se trouver pas plus qu’il ne mentionne les « cent quatrains astronomiques » censés constituer chaque Livre. Il aurait été bon de comparer ces deux textes avec celui de la Déclaration de Videl pour montrer que Couillard a plus emprunté – et pour cause à Videl qu’à la Préface.

Préface à César « Couillard
[26] Mais estant surprins par foys la sepmaine lymphatiquant, & par longue calculation rendant les estudes nocturnes de souefve odeur, j'ay composé livres de propheties contenant chascun cent quatrains astronomiques de propheties, lesquelles j'ay un peu voulu raboter obscurement : & sont perpetuelles vaticinations, pour d'yci a l'an 3797. "car l'on scayt assez que par limphaticquer ne par longue calculation & estudes nocturnes, les hommes ne peuvent rien de certain prophetiser" (III, f.E3r)
"Non pas que j'entende & veille [sic] parler de perpetuelles vaticinations pour d'ici à l'an 3797." (III, f.D4v)


Déclaration de Videl :
« O grand abuseur du peuple, tu dis que tu as faict de perpétuelles vaticinations & apres tu dis qu’elles sont pour d’icy à l’an 3797. Qui t’a assuré que le monde doyve tant durer ? »
Et ailleurs :
« Tu donc Michel as composé (comme tu dis) livres de prophéties & les as raboté obscurément & sont perpétuelles vaticinations »

En lisant Videl, l’on comprend d’ailleurs pourquoi Couillard ne mentionne pas les livres de Prophéties à propos des vaticinations perpétuelles. En effet, ce qui est en un seul tenant dans la préface à César reléve de deux paragraphes différents chez Videl. Si Couillard avait eu la Préface sous les yeux, il aurait certainement repris la formule « livres de prophéties contenant chacun, cent quatrains astronomiques etc. ». Or, il s’en tient au premier développement : « Non pas que j’entende (…) parler de perpetuelles vaticinations pour d’icu à l’an 3797 ». Cependant, le fait que Couillard cite César montre bien qu’il a pris connaissance d’un document le concernant et cette fois c’est Videl qui est muet sur le dit César.
Mais revenons à Besson en lui pardonnant le passage à 3797 devenu 1767, coquille puisque Videl confirme 3797 ; Besson nous restitue – avec son « enveloppement » le projet initial qui n’a pas encore été oblitéré. Nous pensons que les rédacteurs sont revenus à Videl une fois abandonné leur projet de quatrains couplés avec de la prose et cela explique pourquoi la nouvelle formulation se rapproche de celle de Videl plus que l’ancienne qui s’en était éloignée pour exprimer autre chose.
Autrement dit, la Préface à César aura été élaguée pour ne plus comporter une formule qui avait entre temps été abandonnée ou dont on n’aura gardé que les quatrains sans le texte dont ils sont issus.
Il conviendrait dès lors de procéder à une étude approfondie des quatrains des almanachs et analyser la façon dont certains passages en prose se retrouvent recyclés en quatrains en supposant que certains quatrains des Centuries – parmi les 300 premiers quatrains - soient ce qui reste sous une forme très réaménagée de développements en prose perdus à commencer bien entendu par les deux premiers quatrains qui pourraient tout à fait être un résumé d’un prologue en prose de Nostradamus..
Ce qui est étonnant avec la Préface à César, c’est qu’en dépit d’un revirement éditorial, on ait certes coupés certains passages mais néanmoins conservé la mention de vaticinations perpétuelles qui n’était plus vraiment de circonstance, les quatrains, à eux tous seuls, pouvant difficilement assumer une telle charge, d’autant que tout l’appareil chronologique porté par la prose avait disparu, tout comme les quatrains des almanachs, réduits à leur seul contenu, ne nous éclairent pas sur la période qu’ils visent, si ce n’est que dans leur cas, on aura quand même conservé la mention du mois et de l’année. On notera que la notion de centurie convient fort bien au genre de la prophétie perpétuelle si l’on relie un quatrain à une année. En un siècle, donc en cent ans, cent quatrains. Notons que les Anglais traduisant le français « siècle » par « century ».
Nous avions toujours été embarrassés par ces quatrains qui ne semblaient pas faire le poids en tant que constitutifs des vaticinations perpétuelles tant Nostradamus aime dater tous ses pronostics. En revanche, l’on peut tout à fait admettre que des quatrains puissent résumer ou réduire certains exposés très encadrés chronologiquement, de la même façon que les quatrains des almanachs se perpétueront en dehors de leur matrice en prose au sein même du corpus. Mais le problème, évidemment, c’est que ces quatrains détachés de leur référentiel en prose auront perdu ipso facto leur application de départ. Ces quatrains dits astronomiques ne le sont que du fait de leur matrice perdue.
Le mot « prophéties » au pluriel désigne en fait un prognostic en prose année par année. Mais une fois que le texte en prose a été évacué, on bascule dans une série de textes en quelque sorte orphelins, d’où la tentation, pour donner le change, de les considérer comme un ensemble se suffisant à lui-même et glissant dès lors vers le genre oraculaire.
Mais revenons à la raison d’être même d’une préface adressée à César. Dès les premières lignes, l’ouvrage introduit par la préface est désigné : « un mémoire (…) de ce que la divine essence par astronomiques revolutions m’ont (sic) donné cognoissance « On note d’ailleurs la faute d’accord, c’est la divine essence qui a donné connaissance. On est donc bien face à un document basé sur l’astronomie et non face à une collection de quatrains, non pas que ceux-ci n’existent pas mais ils ne sont véritablement qu’un ornement, un écrin, si l’on veut, une « enveloppe » (Besson) du propos central et rappelons-le, nous n’avons pas à notre disposition ces fameuses vaticinations perpétuelles agrémentées de quatrains. Mais Videl, dans sa Déclaration, ne mentionne –t-il pas, au plus tard, en 1558, de tels « Livres de Prophéties » comportant « vaticinations perpétuelles » ? Mais si c’est le cas, veut-on nous faire croire que cet ouvrage ne serait paru que bien après ? Il y a là une contradiction. On présente comme nouveau et inédit ce qui est déjà paru et on le fait – ce qui est un comble, en se servant de la Déclaration qui atteste d’une telle parution ancienne sans parler du fait qu’au bout du compte, on ne fournira même pas ces Vaticinations perpétuelles dans leur intégralité mais uniquement des éléments dérivés qui ne font guère sens par eux-mêmes, dès lors qu’ils se retrouvent déconnectés de leur matrice en prose.
En fait, ce qui ne laisse de nous frapper dans tout le phénoméne centurique, c’est d’une part que les épitres en prose ne sont pas les clefs des quatrains centuriques et d’autre part, que les quatrains se substituent aux textes en prose, tant en ce qui concerne la prose des almanachs (recueillie dans le Recueil des Présages Prosaiques) que celle des Vaticinations Perpétuelles, ce qui est quand même une forme de translation du sens vers le non sens qui sera d’ailleurs compensée par la suite par le commentaire qui lui fait repasser, à partir du Janus Gallicus (1594), en passant par l’Eclaircissement des véritables Quatrains (1656) du quatrain vers de la prose.(on connait très peu de commentaires en vers des centuries). Les centuries nous apparaissent comme un document qui est désarticulé, qui a perdu sa colonne vertébrale et le commentaire des quatrains viserait implicitement à la restituer en intégrant les mots du quatrain au sein d’un texte en prose, à ce détail près que ce nouveau texte en prose comportant des quatrains n’est nullement identique à la source des dits quatrains, tout en rétablissant, tout de même, un certain équilibre qui de loin pourrait faire illusion. Si l’on n’y prenait garde, l’on pourrait croire, en effet, que le quatrain est issu du commentaire et non l’inverse.



JHB
05. 07. 12

 
 

65 - La genèse de l’édition Macé Bonhomme des Prophéties de Nostradamus (1555)
Par Jacques Halbronn

Nos récents travaux nous permettent, pensons-nous, de reconstituer d’assez près le processus qui aura conduit à la fabrication de l’édition antidatée à 1555 des Prophéties de M. Michel Nostradamus, à 353 quatrains distribués en 4 centuries.
Commençons par faire le point sur des éléments déjà apportés précédemment et que nous compléterons grâce à de nouvelles observations liées au corpus constitué par l’œuvre de Guillaume de La Perrière[1] et la production du libraire lyonnais Macé Bonhomme.
Nous étions, récemment, arrivés à la conclusion selon laquelle les quatrains des centuries n’avaient pas pour vocation première de constituer l’essentiel des Prophéties. En nous appuyant sur la version Besson, nous avons compris que les quatrains n’étaient censés qu’accompagner, « envelopper » les « vaticinations perpétuelles », texte en prose articulé sur des données astronomiques précises et explicites. Tout indique en effet dans la Préface à César, qui témoigne en tout état de cause du projet, quelle qu’en soit la date de parution ou de rédaction, que la dimension astronomique ait été incontournable. On parle notamment de quatrains astronomiques ce qui ne signifie pas selon nous qu’ils aient un contenu clairement astronomique mais qu’ils sont inspirés de textes en prose qui, eux, le sont. Tout cela relèverait peu ou prou de la « poésie scientifique » du XVIe siècle étudiée par un Albert-Marie Schmidt, si ce n’est que la part d’astrologie dans la lecture astronomique introduit toutes sortes de digressions au regard de la dimension proprement astronomique ;
Toujours est-il que la partie en prose des Prophéties Perpétuelles a disparu des éditions des centuries et singulièrement de l’édition Macé Bonhomme qui correspond par le petit nombre de centuries – quatre- un état premier. Mais il faut rappeler que l’édition parue à Rouen en 1588 chez Raphael du Petit Val est probablement antérieure par son contenu, du fait qu’elle n’est pas encore divisée en centuries, malgré son titre. L’édition Macé Bonhomme correspond au stade de la centurisation des « carmes » ainsi qu’à une certaine augmentation de leur nombre de quelques unités, ce qui atteint le nombre de 353 quatrains.
C’est bien là qu’il s’agit de s’intéresser de près au « modèle » Macé Bonhomme qui aurait, selon nous, été suivi pour constituer – ce qui est assez logique, l’édition Macé Bonhomme des Prophéties de Nostradamus. Le texte imprimé par Bonhomme qui nous semble le plus déterminant est celui qui s’intitule : Les Considérations.
Mais ajoutons qu’il est complété par la Morosophie, du même auteur chez le même libraire, qui nous apparait comme une cinquième centurie. Les similitudes entre ces deux volumes sont assez patentes au-delà même du fait de leur construction en unités de 100 quatrains : 4 unités pour les « Considérations des Quatre Mondes (…) comprinses en quatre centuries de quatrains « et 1 unité pour la Morosophie contenant cent emblémes moraux illustrés de cent tétrastiques latins réduits en autant de quatrains français, on trouve l’année 1551 indiquée dans l’encadrement récurrent même des pages des deux ouvrages, ce qui ne correspond pas tout à fait à la date figurant en page de titre. La vignette du personnage placé en tête des deux ouvrages est la même ainsi que le quatrain qui le jouxte.
Avant d’aborder le cœur de notre propos, on notera que Macé Bonhomme a coutume d’indiquer à la fin des ouvrages qu’il publie que l’impression est de son chef. Or, cette indication ne figure pas dans l’édition Macé Bonhomme 1555 des Prophéties. Sur d’autres points, pas de fausses notes incontestables. On signalera quand même que Bonhomme indique « Avec privilège du Roy » sur nombre de ses éditions des années cinquante alors que l’édition Macé Bonhomme ne comporte – tout comme d’ailleurs l’édition Antoine du Rosne 1557 Budapest- que la forme « Avec privilège » qui est cependant attestée dans quelques cas. En ce qui concerna la rédaction des privilèges, rien non plus de définitif mais l’on observera quand même que dans nombre de cas que le titre de l’œuvre est donné, suivi de « composé » ou de « faict » par tel auteur. Ce qui n’est pas le cas de l’édition Macé Bonhomme dont le privilège indique « Les Prophéties de Michel Nostradamus », tout comme on avait « Les Prophéties du Seigneur du Pavillon ». Toutefois, dans le cas de la Morosophie, le privilège indique bien « La Morosophie de Guillaume de La Perrière » et on n’exclut pas que ce privilège pour cet ouvrage ait pu influer sur la rédaction d’un faux privilège accordé pour les dites Prophéties de Nostradamus.
Mais concentrons –nous désormais sur les Considérations qui sont le plat de résistance de la présente étude. On note évidement que le titre de cet ouvrage comporte le mot centuries. Considérations des Quatre Mondes (…) comprinses en quatre centuries de quatrains « ce qui n’est pas sans évoquer le titre (cette fois mais non le contenu) des Grandes et Merveilleuses prédictions (.. ) divisées en quarte (sic) centuries. Rouen, Raphael du Petit Val 1588[2].
Si l’on compare la page d’introduction de la Préface à César et la page de la seconde centurie des Considérations, la similitude est assez flagrante :
- même type de lettrine avec personnage- dans les deux cas un T - même disposition de la page, présence d’un bandeau, et ce qui nous parait plus important même mention d’une « Préface ». Car Nostradamus n’emploie jamais, à notre connaissance, le mot « Préface » dans ses diverses publications. Or, dans les Considérations, chaque centurie est précédée d’une préface voire de deux, pour la première, outre l’épitre initiale.
Venons-en à présent aux raisons qui auront conduit à prendre La Perrière pour modèle et donc par voie de conséquence Macé Bonhomme, un de ses éditeurs, qui publie exactement autour de 1555. Ajoutons en passant qu’en 1555, paraissait chez Mace Bonhomme le Miroir Politicque de La Perrière (BNF Réserve E* 86) avec la mention « Avec privilège du Roy » et se terminant par la formule « Imprimé à Lyon par Macé Bonhomme », laquelle formule manque dans les Prophéties censées parus en cette même année 1555 chez le même libraire. Le privilège comporte « Le Miroir Politicque faict par maistre Guillaume de La Perrière » et non le Miroir Politique de Guillaume de La Perrière » Similitudes donc mais en même temps, certains décalages, un mélange qui est typique, au demeurant, des contrefaçons.
Selon nous, le rapprochement délibéré avec la production de La Perrière n’est nullement innocent. Il vise à banaliser l’existence d’un tel recueil de quatrains répartis en centuries et ainsi à entériner l’absence du texte en prose de référence dont les quatrains dérivent dans le projet initial exposé dans l’épitre - version Besson- rebaptisée Préface pour renforcer, avec plus ou moins de bonheur, la conformité.
Dans le cas de La Perrière, nous ne l’avions pas encore rappelé, nous avons affaire à des « figures », à des emblèmes, dans le style d’Alciat, comme il est indiqué au titre et ces emblèmes sont dits « illustrés » par des quatrains (en latin et en français, dualité que l’on retrouve dans le Janus Gallicus). A contrario, dans les Centuries, on ne trouve pas d’images et le rôle des quatrains n’est pas de les « illustrer » mais se réfère à des vaticinations perpétuelles qui ont disparu en cours de route. Ce qui donne, évidemment, un résultat assez bancal, d’autant que la vignette particulière qui figure sur la page de titre est tout à fait unique chez un libraire qui a d’ailleurs coutume de placer toujours le même motif sur ses éditions. On notera aussi en passant que l’édition Macé Bonhomme des Prophéties indique en son titre » Prophéties de M. Michel Nostradamus » mais en tête de chaque centurie simplement « Prophéties de M. Nostradamus ».
Tentative donc assez gauche de rapprocher les centuries de Nostradamus d’un genre ayant justement existé dans les années 1550. Et l’on comprend mieux, tant qu’à faire, que l’on ait choisi Macé Bonhomme comme maître d’œuvre supposé de cette édition à 4 centuries. On peut certes, s’ingénier, à la suite de Patrice Guinard, à souligner à quel point l’édition Bonhomme des Prophéties est conforme à la production du dit libraire. Mais cela peut aussi bien en souligner l’authenticité qu’en signaler l’expédient, le procédé.
Volonté disions-nous de banaliser le fait que l’on présente tous ces quatrains sans l’appareil astrologico-astronomico-chronologique qui s’y rapporte. On est même surpris que l’on ait pas accordé plus d’importance à ces Considérations qui constituent comme une sorte d’alibi des Prophéties.
Certes, chaque centurie des Considérations, du fait de sa préface, apporte- t-elle une dimension de prose à l’ensemble. Et nul ne doute que l’idée de placer une Préface en tête des quatrains prophétiques n’ait été inspirée par une telle présentation. Mais la préface n’est pas la matrice des quatrains dans le système La Perrière qui s’articule sur des emblèmes, y compris dans la Morosophie, dont nous disions qu’elle en était comme le prolongement, la suite, et en quelque sorte une invitation à aller au-delà du carcan des 4 centuries, comme l’amorce peut être d’un second volet. Il eut été heureux que les libraires publient conjointement les Considérations ou/et la Morosophie avec les Prophéties de Nostradamus. Il semble que l’idée de départ ait été rapidement oubliée et que l’on ait perdu de vue la raison d’être d’une telle mise en scène. Les éditions ultérieures témoignent de l’abandon d’une telle approche. Avec l’essor de l’exégèse nostradamique, la question va se poser autrement. En quelque sorte les commentaires des quatrains vont prendre la place des textes en prose disparus non sans en présenter un aspect assez proche en apparence puisque de même, selon notre thèse, que les quatrains – et nous l’avons démontré pour ceux issus des almanachs- recyclent des mots extraits de la prose, de même les commentaires vont comporter les quatrains au sein d’un discours en prose. Il y a là comme un tour de passe passe – et le Janus Gallicus joue un rôle déterminant dans cette « révolution copernicienne - qui fait perdre de vue le fait qu’au départ le quatrain n’est pas ce qui est à commenter mais qu’il n’est qu’une sorte d’illustration –non pas d’emblèmes comme chez La Perrière- mais de « vaticinations » en prose en rappelant que ce n’est probablement pas par hasard que l’on a conservé les textes en prose de Nostradamus, au sein du Recueil de Présages Prosaïques (édité par B. Chevignard, Ed Seuil, 1999) sans parvenir toutefois à sauvegarder le texte des Vaticinations Perpétuelles si ce n’est par le truchement de certains quatrains qui doivent se trouver au sein des premières centuries et qui renvoient des textes perdus une représentation difractée. . .
En ce sens, force est de reconnaitre que les premières centuries sont le reflet éclaté de la prose de Michel de Nostradamus. Comment pourrait-on distinguer les versets authentiques de ceux qui ont été interpolés, rajoutés – mieux vaut parler de vers que de quatrains car comme l’avait noté Videl dans sa Déclaration, à propos des almanachs, le quatrain est déjà un mode de classement des vers plutôt qu’une entité d’un seul tenant.
Ces « livres de prophéties » dont le dit Videl se gaussait, comprenaient, comme une sorte de coquetterie, une série de quatrains mais ceux-ci n’étaient nullement voués à occuper le premier rang comme la préface Besson le rappelle. A quel moment les « prophéties perpétuelles furent elles «traduites » en quatrains ? Nous pensons que ce fut un travail tardif, sur le modèle des almanachs. Aucun témoignage d’époque n’a gardé la trace des dits quatrains « perpétuels ». Nous imaginons assez volontiers que ce travail de « mise en quatrains » des dites vaticinations perpétuelles aura été engagé sous la Ligue mais ces nouveaux quatrains auront fini par se substituer à leur référence tant et si bien qu’il ne nous reste plus que des bribes de la prose de Nostradamus en la matière. Faut-il rappeler que nous sommes infiniment sceptiques quant à l’intérêt que le dit Nostradamus ait pu jamais avoir pour la confection de quatrains à partir de ses textes. C’était là, à ses yeux, une besogne ancillaire qu’il déléguait. Il n’en reste pas moins que l’on pourrait par un travail archéologique, tenter de restituer quelque peu de la prose ainsi enfouie sous les quatrains. Nous pensons notamment au cas des deux premiers quatrains de la première centurie dont il est assez flagrant qu’ils n’ont pas en soi de caractère prophétique mais constituent une sorte de prologue. Comme nous connaissons la source de ces quatrains (cf notre récent article in Halbronn’s researches, sur propheties.it), il nous est loisible de noter comment l’on est passé du texte en prose à ces deux quatrains. Comment Nostradamus se serait-il prêté à un tel exercice, assez burlesque et dérisoire, œuvre de quelque bouffon, de quelque bateleur autour de sa prose. Il reste qu’en lisant ces quatrains des premières centuries, on peut espérer capter la voix déformée de Nostradamus. Inutile, évidemment, de souligner que les centuries suivantes ne sauraient même prétendre à une telle grâce.



Annexe iconographique



JHB
06. 07.12


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[1] Cf Alison Saunders, intr. A deux fac similes de La Perrière, Scolar Press, 1993. : le Théatre des bons engins (en dixains) et la Morsophie.
[2] Signalons ce commentaire de Patrice Guinard « : Reconstitution de l'image de la page de titre d'après la version française de l'ouvrage de Ruzo (1982). L'image figurant en page X du Répertoire de Benazra a été trafiquée (sic) par Benazra ou par son éditeur Halbronn ("quarte" pour "quatre").

 
 

66 - Les « livres de prophétie » de Nostradamus
Par Jacques Halbronn

Dans une précédente et fort récente étude, nous avons montré qu’à un certain moment les libraires crurent bon d’associer Nostradamus à Guillaume de La Perrière par le biais de Macé Bonhomme, du fait de la présence de quatrains et de centuries dans les deux cas. Cette tentative fut sans lendemain et le nom de Macé Bonhomme ne fut plus évoqué par la suite et celui de La Perrière ne fut pas associé à celui de Nostradamus sous les auspices des centuries de quatrains..
Tout semble indiquer que la partie en prose des Prophéties Perpétuelles se fût, pour quelque raison, perdue et qu’il n’ait plus subsisté que leur appendice en vers, ce qui aurait constitué la trame de départ des éditions centuriques. Cette partie en prose est signalée par Laurent Videl dans sa Déclaration des abus, ignorances et séditions de Michel Nostradamus quand il évoque des « Livres de prophétie »...
En ce qui concerne l’authenticité des Prophéties du Seigneur du Pavillon les Lorriz, nous avons longtemps tergiversé. L’auteur cite-t-il quelque texte adressé à César ou seulement Videl lequel ne mentionne pas le prénom du fils de Michel de Nostredame ? Certes, l’inventaire Moireau (le neveu d’Antoine Couillard, cf les Antiquitez et Singularitez du monde du dit Couillard) décrit-il un manuscrit qui traite de « Prophéties » et d’un autre qui répondrait aux « nouvelles prophéties de Nostradamus & autres astrologues », présentant ainsi Nostradamus comme astrologue. Or, paradoxalement le développement le plus significatif sur Nostradamus, chez Couillard, n’est pas à chercher dans les Contredits à Nostradamus mais bien dans la « tierce partie » des Prophéties du Sgr Du Pavillon et de ce fait pas spécialement bien mis en avant. Le point qui nous intrigue tient, on le sait, au fait que Couillard se fait l’écho de propos de Nostradamus sur son fils et à son fils César, ce que n’évoque pas Laurent Videl dans sa Déclaration..On serait donc tenté de soutenir que cette évocation et en fait toute la « tierce partie » pourraient avoir été le fait d’une interpolation tardive et donc d’une réédition des Prophéties de Couillard qui aurait été conservée si tant est qu’elles aient été antérieurement imprimées. Le fait que le document Moireau évoque à la suite de Prophéties cette « réponse aux nouvelles prophéties de Nostradamus » aura pu générer un mélange entre les deux manuscrits, l’un évoquant Nostradamus au titre mais pas au contenu et l’autre traitant de Nostradamus dans le corps de ‘l’ouvrage mais pas au titre.
Certes, nous ne voyons pas d’inconvénient majeur à ce que Nostradamus se soit adressé à son fils dans quelque épitre. Mais tout le problème est de savoir en quoi consistait ce fameux « mémoire » que Nostradamus a préparé à l’intention de son fils, pour qu’il lui soit transmis après sa mort. Visiblement, comme il apparait dans les premières lignes de la Préface, ce mémoire écrit traite de questions astrologico-astronomiques. S’il s’agit là de vaticinations perpétuelles, Videl s’en fait l’écho et dans ce cas le mémoire est un secret de Polichinelle.
Dès lors que Nostradamus promet à son fils qu’il lui transmettra quelque document majeur, cela suppose que le dit document n’ait pas été défloré, éventé. La seule explication qui nous vient présentement à l’esprit est la suivante : les rédacteurs de la Préface à César ont joué sur deux tableaux : à la fois, ils récupèrent un texte de Videl qui évoque des « livres de prophétie » et à la fois, ils mettent dans la bouche de Nostradamus l’intention de transmettre à César les dits « livres de prophétie », lesquels étaient déjà parus puisque connus de Videl. Pourrait-on cependant admettre que Nostradamus n’affirme pas explicitement que ces Livres de Prophétie seraient restés inédits jusque là ? Cela nous semblerait tiré par les cheveux. Que dire enfin de l’autre leçon, proposé par Pierre Brind’amour, dans son édition critique (Droz 1996, p. 2 ) de la production du libraire-imprimeur Macé Bonhomme. »te laisser le souvenir après ma mort» ? Cela ne nous avancerait guère. Ce qui est clair, en revanche, c’est que les concepteurs de la dite Epître à César (et dans la foulée des Prophéties du Seigneur du Pavillon qui est le seul document extracenturique à évoquer dans les années 1550 le dit César), avaient le projet de fournir un document laissé par Nostradamus à sa mort à l’intention de son fils mais qu’ils furent tentés de proposer en guise de mémoire un document probablement devenu fort rare, à savoir les Vaticinations Perpétuelles et dont on ne connait aucune édition mais qui n’avait pas échappé à l’œil d’un Videl.
Toujours est-il que ce document ne leur sera parvenu que partiellement, tronqué ou en copie manuscrite, dépourvu du corps principal en prose et avec les seuls quatrains qui en dérivent. En ce sens, privé d’une partie de sa substance, les Livres de Prophétie commenceraient une nouvelle carrière.
Nous admettons désormais que certains quatrains des premières Centuries, sans être de Nostradamus, ont été réalisés à partir de textes en prose disparus, et qui constituaient ce qu’on appelle ses vaticinations perpétuelles avec mention de l’an 3797. Pour quelque raison, ces quatrains nous seront parvenus et non leur matrice en prose et il aura donc fallu faire comme si le « mémoire » n’était censé comporter que les dits quatrains ce qui s’est fait par le rapprochement avec la production de Guillaume de La Perrière (cf. supra). Il est à noter d’ailleurs que nous disposons en revanche du manuscrit du Recueil des Présages Prosaïques. qui est la matrice des quatrains des almanachs (que l’on peut recouper avec la conservation d’un certain nombre d’almanachs, de présages et de prognostications bel et bien parus. Les quatrains des almanachs figurent d’ailleurs à l’intérieur du dit Recueil. Il est possible que l’on ait conservé à l’époque un manuscrit des quatrains des Prophéties Perpétuelles sans leur contrepartie en prose. A ce propos, il est assez évident que dans la Déclaration de Videl il aura été reproduit des passages de l’ouvrage disparu en question, qui semble avoir été le seul à comporter une telle échéance. Nous admettons également que la confection de ces quatrains dérivés de la prose des dites Vaticinations ait pu comporter une référence à César Nostradamus, dans le cadre d’une publication se voulant posthume mais avec une épitre datée de 1555, au lendemain de la naissance du dit César. Au demeurant, on trouve ainsi dans la dite Epître qui reprend des passages de la Déclaration de Videl, des bribes du prologue du texte en prose des Vaticinations Perpétuelles.

JHB
07. 07. 12





 

 

 

67 - Les quatrains et la dialectique signifiant/signifié.
La remise en cause de l’échéance de 3797
Par Jacques Halbronn

Quel est le secret du succès des centuries sur plusieurs siècles ? Nous pensons que Nostradamus eut été bien surpris d’apprendre que son travail survivrait grâce aux quatrains composés à partir de ses textes en prose car nous pensons qu’il n’avait que mépris pour de telles fantaisies. A contrario l’on peut raisonnablement penser que sans ces quatrains, on ne s’intéresserait plus guère aux propos assez abscons de Nostradamus, commentant les données astronomiques du moment où se projetant sur un futur balisé par quelque système astrologique à vocation perpétuelle ;
Mais que sont devenues les vaticinations perpétuelles que Nostradamus entend léguer à son fils César – mais qu’en réalité il a divulguées au début des années 1550 et dont le principe même est de pouvoir servir des années durant, sur une base astronomique sensiblement plus frustre que pour les « prophéties » annuelles des almanachs ? Il semble bien que ce texte se soit perdu, à moins qu’il ne se retrouve repris chez ses imitateurs et successeurs qui se sont essayé dans le genre perpétuel, déjà du vivant de Nostradamus. On n’en aura conservé que les quatrains qui en constituaient l’ornement, l’habillage et qui furent composés d’extraits de ses textes en prose, ce qui permet de dire qu’en lisant les premières centuries on lit certes du Nostradamus mais dans le désordre mais en rimes, c'est-à-dire dans un nouvel agencement qui confère une fausse impression d’unité...
Il vaut la peine de comparer cette situation au regard du Recueil de Présages Prosaïques qui était prêt à publier, comme le montre la maquette de la page de titre et dont il semble que cela ne se soit finalement pas fait, sans que l’on puisse toutefois exclure totalement sa parution.
Ce Recueil est le pendant, jusqu’à un certain point, du Janus Gallicus, ne serait-ce que par le biais d’un Jean Aimé de Chavigny dont le nom figure dans les deux cas sur la page de titre. L’un est comme son nom l’indique est consacré à la prose de Nostradamus, l’autre à ses quatrains. On retrouvera quelques éléments de cette prose dans les Pléiades du même Chavigny, Beaunois comme Claude Dariot. Le problème, c’est que si l’on su conserver, à la fois par l’imprimé et par le manuscrit le contenu des publications annuelles, cela n’aura pas été le cas pour les Prophéties perpétuelles, du moins en ce qui concerne le volet en prose tant et si bien que, l’un dans l’autre, l’on connait très mal la prose de Nostradamus, hormis celle, controuvée, des textes adressés à César en 1555 et à Henri II, en 1558. Il semble assez illusoire de prétendre pouvoir remonter des quatrains vers la source dont ils émanent si ce n’est dans quelques cas où l’origine d’un quatrain aura été identifiée, ce qui est notamment le cas des deux premiers quatrains de la première Centurie. Mais déjà l’examen de ces deux quatrains nous donne une idée de l’ampleur de la distorsion opérée.
Il est probable que certains quatrains comportant un contenu astrologique ont été calqués sur des passages de la prose de Nostradamus, laquelle a parfois été inspirée par la lecture de tel ou tel traité comme celui d’un Richard Roussat, De l’Estat et mutation des temps. Ce qui signifie qu’il ne faut pas nécessairement y chercher quelque cohérence dans la mesure où ces quatrains transforment, transfigurent le texte en prose dont ils dérivent.
Il est clair que le style de Nostradamus n’a rien à voir avec celui des quatrains. Il suffit de comparer avec les textes en prose dont nous disposons, du moins ceux qui ne sont pas suspects. A noter que les épitres de Nostradamus ne figurent pas dans le Recueil des présages prosaïques. On en trouvera trois dans nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus
Face à ces centaines de quatrains et ces milliers de vers, il est bien difficile, cependant, de définir des critères pour séparer ce qui serait le plus certainement tiré de la prose de Nostradamus. Mais l’on connait peu ou prou le langage des Prophéties perpétuelles, genre qui s’est notamment illustré au XVIIIe siècle avec celles de Moult. L’on notera qu’en 1866, pour le tricentenaire de la mort de Nostradamus, parait un triptyque, chez Delarue, constitué des Centuries (version Chevillot), du Recueil des Prophéties et Révélations et des Prophéties Perpétuelles du dit Moult (nom du à une erreur de lecture). On retrouve ce langage dans les formules lapidaires que l’on trouve insérées dans les mois du calendrier et dont les adversaires de Nostradamus se gaussent mais aussi dans les quatrains des almanachs.
Un quatrain assez typique nous semble figurer dans la troisième centurie, le soixante-dix septième.

»Le tiers climat sous Aries comprins
L’an mil sept cens vingt & sept en Octobre
Le Roy de Perse par ceux d’Egypte prins
Conflit, mort perte à la croix grand opprobre »

On y trouve une des très rares dates (mois et année) figurant dans les Centuries, (épitres exclues) et une telle date relativement éloignée ne peut qu’appartenir au registre du prophétisme perpétuel.Or, ce quatrain appartient précisément au groupe des trois premières centuries.
Ce très faible nombre de dates dans les Centuries est assez paradoxal pour des quatrains supposés issus de prophéties perpétuelles et l’on est en droit de penser que les dates auront été censurées dans un deuxième temps. On aura oublié par mégarde le III, 77. Certes, les mentions de planétes, de signes zodiacaux ne manquent pas mais l’absence de mention des années dénature la portée du pronostic. Un autre quatrain de la IIIe centurie, le 49e a un profil assez comparable :
Beaucoup, beaucoup avant telles menées
Ceux d’Orient par la vertu lunaire
L’an mil sept cens seront grand emmenées
Subiuguant presque le coing Aquilonaire » [1]

Que Pierre Brind’amour[2] ne trouve pas de fondement astronomique à 1727 ne saurait nous surprendre car ces prophéties perpétuelles ne doivent pas grand-chose à l’astronomie et recourent à des cycles fictifs. On laissera de côté les quatrains au-delà du 53e de la quatrième centurie – hors du cadre de l’édition Macé Bonhomme- et notamment celui relatif à 1999, dans le second volet :
Cette rareté des dates peut avoir été le fait du versificateur – le quatrain nous apparaissant comme une sorte de lit de Procuste, le texte de départ étant tantôt tronqué, tantôt distendu ou bien d’une refonte ultérieure.
Pour notre part, l’existence même de ces deux dates pour le XVIIIe siècle témoignerait de l’existence au départ d’un bien plus grand nombre de dates au sein des quatrains des trois premières centuries et notamment pour les quatrains comportant des données astronomiques car dépourvues de toute chronologie, de telles données sont astrologiquement incomplètes et en principe inutilisables, même si l’histoire de l’exégèse des centuries prouve le contraire, les commentateurs se passant apparemment très bien d’un tel type d’information..
Rappelons que dans l’édition Besson, on ne donne pas comme échéance ultime 3797 mais 1767. « qui enveloppent perpetuelles vaticinations pour d’icy es années 1767 » (Préface à César). Or, nous avons montré, dans une de nos dernières études que ce passage était particulièrement important en ce qu’il était le seul à expliquer que les quatrains n’étaient qu’une « enveloppe » des prophéties perpétuelles et non leur substance principale, alors que dans d’autres versions, les quatrains sont présentés comme l’élément centrall des prophéties perpétuelles. .
Notre examen des dates subsistant dans quelques quatrains de la centurie III va dans le même sens, à savoir que le XVIIIe siècle était une limite, ce que ne viennent d’ailleurs pas démentir la présence de 1792 dans l’Epître à Henri II et les dates avancées par Turrel et Roussat. Dans la préface à César, il est également fait mention d’un laps de temps de 177 ans et quelques mois qui si l’on part, par exemple, de 1550, donne 1727, année qui figure dans un des quatrains de la centurie III.
L’étude de la littérature des Prophéties Perpétuelles confirme que l’on ne dépasse en tout état de cause pas le début du XXIe siècle. (cf le quatrain 1999 dans le second volet). Dès lors, il nous apparait que cette mention de l’An 3797 est très vraisemblablement une coquille, une erreur de lecture véhiculée par Laurent Videl dans sa Déclaration et reprise par Couillard et les rédacteurs de la Préface à César. Il faut probablement enlever 200 ans, ce qui ne change rien à l’argument de Videl qui reproche à Nostradamus d’avancer une échéance éloignée tout en annonçant d’ici là une sorte de fin du monde. On se retrouverait dans le cadre de la fin du XVIIIe siècle, ce dont nous avons traité dans notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France, soutenue en 1999.
Cette question d’une probable erreur de date que l’on retrouve à l’identique dans la Préface à César, dans sa version « classique » nous en dit long sur le phénoméne de plagiat. Rien ne vaut la transmission d’une erreur pour faciliter ce type d’investigation car on peut converger dans le vrai de façon indépendante mais rarement dans le faux. Si Couillard, Videl et le pseudo Nostradamus de la Préface donnent le même chiffre c’est qu’il y a là un travail de seconde main de la part de deux d’entre eux, ce qui discrédite ipso facto le témoignage de Couillard, vu que l’on peut difficilement imaginer Videl copiant Couillard qui en sait infiniment moins que lui sur le corpus nostradamique des années 1550.
En ce qui concerne le vocabulaire, il est assez typique et comporte de fait fort peu de données d’ordre astronomiques. On a l’impression que l’auteur brode autour de quelques éléments. On n’aurait pas de peine à retrouver les même s formules dans les Centuries.
Comment sont composées ces prophéties perpétuelles dans la mouvance néo-nostradamique ? Chaque année est dominée par une des sept planétes, selon un ordre qui est à la base celui des jours de la semaine( Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus, Saturne, Soleil) mais on observe que de temps à autre, on a sauté une planéte. Par ailleurs, il apparait que soit dressé le thème de l’année – la « révolution »- ce qui permet de distinguer deux années dominées par le même astre.
Pour 1581 : « la révolution de cette année conviendra avec celle de la précédente »
Pour 1585 : «Au reste pour ce qu’en la figure de cette année se trouve une partie des planétes situées en leurs déiections » (Prédictions des choses plus mémorables qui sont à advenir depuis cette présente année iusques à l’An mil cinq cens quatre vingt & cinq, Troyes, Cl. Garnier, BNF). Autrement dit, si l’almanach fonctionne sur la base des rencontres lunaires hebdomadaires et mensuelles et la pronostication sur le thème d’ingrés du soleil dans chacun des quatre saisons, la prophétie perpétuelle, quant à elle, s’articule sur le thème du retour du soleil à 0°Bélier, ce qui ne fait plus qu’un thème par an, travail bien moins important que les 48 thèmes, en moyenne, de l’almanach si ce n’est qu’il faut dresser une vingtaine de thèmes si l’on veut couvrir une vingtaine d’années. Mais une fois le travail fait, il n’a plus à être fait. Il suffit alors éventuellement de supprimer les années déjà passées. On passe ainsi, tôt ou tard, par exemple, d’un document pour 20 années à un document pour 13 ans et ainsi de suite, avec un contenu qui, en principe, ne change pas pour les années restantes, si ce n’est qu’il est parfois quelque peu remanié, réduit ou au contraire augmenté d’une édition à l’autre.
C’est à partir d’un tel matériau que des quatrains auraient été composés selon la même méthode que pour les quatrains mensuels, du moins pour ce qu’il en est, en gros, des trois cents cinquante premiers quatrains. On donnera un exemple pour illustrer notre propos : le mot dissension (souvent entre princes) que l’on trouve fréquemment dans la prose des prophéties perpétuelles parues à la « diligence » d’un Michel de Nostradamus le Jeune (pour les années 1574, 1575, 1581, 1583), est repris dans la seconde centurie, au quatrain 95, au quatriéme vers :
« Lors les grands frères mort & dissention »

En revanche, nous pensons que les quatrains des centuries suivantes n’ont pas été nécessairement extraits de textes en prose préexistants. Mais c’est bien le cas, cependant, à plusieurs reprises, comme pour l’emprunt à la Guide des Chemins de France de Charles Estienne. Mais dans ce cas, il ne s’agit même plus d’extraits de textes dus à la plume, au travail de Nostradamus. On aurait donc glissé des quatrains issus de la prose de Nostradamus à des quatrains issus de la prose d’autres auteurs. Ce faisant, néanmoins on perpétuait une certaine synergie entre prose et quatrain lequel ne nous apparait pas moins comme une sorte de patchwork, de collage de mots.
Bien entendu, ce succés des quatrains est également lié à des ajustements effectués post eventum ou visant à produire, parfois en vain, certains effets à court terme. On rappellera le propos de Pierre Bayle (Réponse aux Questions d’un Provincial, Rotterdam 1704-1706) : « Vous avez oui dire sans doute que l’on a vu de fort vieilles éditions de Nostramus qui contenaient des quatrains tout à fait précis des aventures fraichement écloses. Ils avaient été forgez depuis peu & imprimez sur un feuillet de vieux papier que l’on ajustait fort proprement en reliant tout de nouveau les exemplaires. On a plusieurs fois employé de semblables ruses pour falsifier les manuscrits »
Toujours est-il que c’est cette étrange alchimie du verbe qui aura permis aux Centuries de traverser les siècles du fait de leur dimension prophétique affichée, ce qui n’était pas le cas de la production d’un Guillaume de La Perrière qui servit, un temps, d’alibi, à une telle entreprise. C’est le triomphe du signifiant sur le signifié, ce qui compte ce n’est pas la phrase mais le mot qui se libère du carcan de la phrase pour se prêter aux interprétations les plus libres et les plus diverses. En ce sens, Nostradamus personnifie la langue française qui aura d’abord été un exceptionnel fournisseur de mots plus encore que de textes par delà les applications qui auront pu en être faites au sein de telle ou telle autre langue ou au cours de telle ou telle période.(cf nos études linguistiques)


JHB
07. 07.12

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[1] Cf M. Chomarat « DE quelques dates clairement exprimées par Michel Nostradamus dans ses « Prophéties », in Actes du Colloque Prophétes et prophéties, Presses de l’Ecole Normale Supérieure, Cahiers Verddun Saulnier 15, 1998
[2] Nostradamus astrophile, Ottawa, 1992 p. 262

 

 

68 - De l’Epître au duc d’Alençon à la Préface à César
Par Jacques Halbronn

On ne s’intéresse guère aux écrits néo-nostradamiques. Pourtant, ces textes, notamment les épitres, ne nous semblent pas inférieurs à ceux de Nostradamus et par ailleurs il est fort probable qu’ils ne font dans bien des cas que reprendre en les retouchant des textes qui ont pu paraitre sous le nom de Nostradamus. On retiendra notamment l’épitre adressée au duc d’Alençon, dernier fils d’Henri II et de Catherine de Médicis, lequel naquit en 1555 et dont la mort, en 1584, déclencha la crise que l’on sait.
On retrouve cette épitre reproduite d’une édition à l’autre de Présages pour 20 ans qui semblent être parus pour la première fois en 1563 ou 1564, quand ce prince n’était âgé que de huit ou neuf ans.
En effet, dans les Prédictions pour 20 ans, parues en 1568 à Rouen, chez Pierre Brenouzer, « extraictes de divers autheurs trouvée en la Bibliothèque de nostre defunct dernier decede (…) Maistre Michel de nostre Dame » (BNF Res PV 715 (1), la série débute en 1564 mais on ne la connait qu’au travers d’une réédition posthume. On note que l’on déclare avoir trouvé ces textes chez Nostradamus mais on ne les lui attribue pas. Leur « éditeur », au sens anglais du terme, est un certain Mi. De Nostradamus le Jeune..
On retrouve cette même épitre en 1571, dans une nouvelle édition (Paris, Nicolas Du Mont), cette fois le titre est « Présages pour treize ans » et l’éditeur est un M. de Nostradamus le Jeune. Les termes de Prédictions et de Présages sont utilisés indifféremment pour désigner ce genre multi-annuel. (d’an en an) qui correspond selon nous à ce qu’on entendait par prophéties perpétuelles, du fait de ce cycle de sept planétes qui revenait inlassablement. Il nous semble improbable que l’on ait publié plus de 20 années à la fois mais on ne peut exclure l’existence d’un manuscrit couvrant une période bien plus longue. Au XVIIIe siècle, cependant, avec des textes beaucoup plus courts et sur la base d’une cyclicité plus longue, on trouvera des « Prophéties Perpétuelles « qui couvrent de nombreux siècles. (ceux de Moult, 1740). En revanche, dans une édition qu’il faut situer vers 1584, éditée par Michel Nostradamus le Jeune – on notera les variantes dans le nom d’une édition à l’autre - mais sans que le texte ne soit attribué à Nostradamus, alors qu’il s’agit fondamentalement du même texte quelque peu remanié, l’épitre à François d’Alençon disparait : celui-ci meurt cette année là. Autrement dit, cette Epitre aura pu circuler pendant une vingtaine d’années au sein de la mouvance néo-nostradamique..
L’objet de la présente étude est en fait d’examiner dans quelle mesure cette épitre à un jeune prince a pu influer sur le concept et le contenu de la Préface à César, dans une dynamique de récupération de la production du néo-nostradamisme au profit d’un revival de Nostradamus lui-même.
On est frappé d’entrée de jeu par les premières lignes de l’épitre au (petit) Prince :
« Les astrologiens & Philosophes Assyriens (…) nous ont laissé pour mémoire en leurs escritures »
A rapprocher de : « toy délaisser mémoire »
Cette épitre à Alençon est une véritable apologie de l’Astrologie et l’on n’aurait guère de mal à souligner des convergences avec la Préface à César ;
Ce nom même de César figure dans cette production. Il s’agit des Chroniques de Magdebourg qui font suite à l’Epitre au Duc. Cela commence ainsi : « Du sang de Charles CAESAR (sic)) & des Roys de France, sortira un Empereur nommé Charles, iceluy dominera toute l’Europe par lequel l’estat de l’Eglise décheu sera réformé & l’ancienne gloire de l’Empire remise sus etc ».
A rapprocher de « Préface de M. Michel Nostradamus à ses Prophéties Ad Caesarem Nostradamum filium. VIE ET FELICITE’
Est-ce une simple coïncidence ? On ne saurait évidemement inférer que le nom du fils de Nostradamus aurait été choisi en conséquence. En revanche, on ne peut exclure que du fait que ce fils s’appelait César, on ait choisi de s’adresser à lui. L’occasion fait le larron.
Mais un autre élément qui est lui aussi extérieur à l’épitre au duc d’Alençon mais qui est lié à Nostradamus le Jeune est la présence du premier quatrain de la Première Centurie, placé sous le portrait de ce personnage, cette vignette sera carrément reprise au XVIIe siècle par les éditions du libraire troyen Pierre Du Ruau pour représenter Nostradamus lui-même, reprenant d’ailleurs une édition troyenne du siècle précédent.
La question qui se pose est de quand date la première occurrence (hors éditions des centuries) de ce quatrain. L’édition troyenne, chez Claude Garnier dit Saupiquet, dont nous disposons est relativement tardive. Benazra la situe (RCN, p. 97) vers 1571. Certes, la première année indiquée est-elle celle—là mais par rapport aux éditions précédentes, elle a été complétée pour aller jusqu’en 1585 alors que l’édition de Nicolas du Mont qui commence en 1571 s’arrête à 1583. Nous pensons donc pouvoir situer l’édition au portrait des années 1584-1585, année qui conclut l’activité de ce Claude Garnier.
Antérieurement, nous avions noté la présence de ce quatrain dans certains ouvrages d’Antoine Crespin, notamment les Prophéties (…) dédiées à la puissance divine & à la nation française, Lyon 1572. [1]. Dans la première adresse « Au Roy par son astrologue. Salut ». La date de 1572 nous semble fort douteuse car ce document comporte des extraits des deux volets des centuries, y compris donc du second volet dont l’existence avant 1594 est fort mal renseignée à moins évidemment que le second volet ait puisé chez Crespin..
Nous pensons, en tout état de cause, que l’émergence de ce quatrain peut être interprétée de diverses façons. Soit, cela indiquerait que les quatrains « perpétuels » de Nostradamus seraient parus alors, soit que la production néo-nostradamique aurait été récupérée au seul bénéfice posthume du dit Nostradamus. Mais il existe une troisième hypothèse : ce quatrain ferait partie de la série que Nostradamus aurait publiée en accompagnement des ses prophéties perpétuelles. Celui-ci et d’autres auraient été récupérés par les néo-nostradamistes et ces derniers, à leur tour, auraient nourri le projet centurique. Ce que l’on retiendra, c’est que vers 1584, un tel quatrain circulait et que c’est alors que l’on aurait ébauché la Préface à César suivie d’une série de quatrains, à commencer par celui là, en recourant par ailleurs au cadre de l’Epitre adressée au jeune Alençon, du moins si l’on remonte à sa première édition. La jeunesse même du prince retient notre attention puisque Nostradamus est censé, selon sa préface, transmettre son « mémoires » à sa mort et en 1566, César (né fin 1553) a une douzaine d’années, n’ayant que quelques mois de différence avec le duc...
On pourrait certes soutenir que c’est l’épitre au duc d’Alençon qui aura été influencée par la Préface à César mais nous pencherons plutôt pour le scénario inverse. Un prêté pour un rendu. De même que les quatrains sont constitués essentiellement de mots figurant dans le texte en prose de référence, il nous semble que les textes en prose eux-mêmes ne font que se recopier tout en modifiant accessoirement certains agencements ou en recourant à certains synonymes, par un processus de translation. Chaque année comporte deux volets : l’un est stéréotypé et lié à la description d une des 7 « planétes », c’est l’élément constant voué à des variations minimes d’une fois sur l’autre avec uniquement 7 cas de figure, ce qui donne une périodicité de 7 ans (cf nos travaux sur ce point), tandis que l’autre est fonction d’une carte du ciel dressé pour un moment précis, le passage à 0° bélier pour les prophéties perpétuelles dans ce cas ce n’est pas, du moins en principe, duplicable. Cette part là du travail de Nostradamus est perdue, à moins qu’elle n’ait été intégré dans certains quatrains. En revanche, le volet récurrent, quant à lui, nous est connu : en gros il suffit de rassembler tous les textes relatifs à telle planète annuelle parus dans la production néonostradamique et l’on aurait en substance la matrice de départ. Cela dit, cette matrice est-elle de Nostradamus ? On peut en douter. Il est dit, au titre, que Nostradamus se serait servi d’un certain bagage véhiculé par divers auteurs que l’on aurait retrouvé dans les papiers de sa bibliothèque. Autrement dit, ce qui est perpétuel n’est pas de Nostradamus et ce qui est de Nostradamus consiste en l’interprétation- ce qui a toujours été sa principale contribution,- d’un certain nombre de cartes du ciel, ce qui ne vaut que pour une année précise et n’est pas recyclable. On a toutefois un exemple d’un recyclage de la partie ponctuelle avec la Prophétie Merveilleuse de Crespin « Archidamus », qui va de 1590 à 1598 ; parue à Paris, chez Mesnier (BNF 8°La35 334), et qui reprend en fait des textes du dit Crespin d’années précédentes, y compris sur le plan astronomique. C’est un cas limite. Normalement, le travail de mise à jour est effectué par un astrologue compétent mais cette partie là ne reléve pas stricto sensu du genre « perpétuel », comme ce sera le cas au XVIIIe siècle. Rappelons à ce propos que le nom de Nostradamus sera associé à certaines éditions des Prophéties Perpétuelles de Thomas Joseph Moult.[2]. Nostradamus y est présenté comme le « vérificateur des prédictions de Thomas-Joseph Moult », lequel aurait vécu « sous le règne de l’Empereur Fréderic II »
En 1866, lors du tricentenaire de la mort de Nostradamus, le libraire Delarue publiera un triptyque, incluant les Prophéties de Nostradamus (version Chevillot), le Recueil de prophéties et révélations (issu du Mirabilis Liber) et les dites Prophéties Perpétuelles du dit Moult.[3] Mais il ne s’agit plus là d’un système à base 7 mais d’un système à base 28, donc avec 28 textes en alternance. Si les prédictions générales ne changent pas, les prédictions particulières varient d’un « Livre » à l’autre comme il est expliqué en tête du Second Livre « Cette seconde partie de mon Livre, comme la première partie n’étant qu’une répétition de mes prédictions climatériques semblerait inutile si elle n’était soutenue et appuyée ainsi que l’autre de mes prédictions particulières qui en font( sont) le soutien et l’amusement. Dans la version qui se réfère à Nostradamus le premier Livre commence en 1560 et couvre 252 ans, soit 28x 9, le second livre ira donc de 1812 à 2064. Quant à l’édition de Moult sans Nostradamus, elle débute à 1269 pour le Livre Premier et à 1521 pour le Livre second et à 1773 pour le Troisième Livre, ce qui nous conduit jusqu’à 2024. Soit un décalage de 40 ans entre les deux versions. Libre à l’astrologue de dresser la carte du ciel de l’année qui l’intéresse pour compléter.
Revenons sur des questions de terminologie. On a vu que les termes « présages », « prédictions » désignaient les recueils concernés. On notera aussi qu’en 1588, nous avons les Grandes et Merveilleuses Prédictions, qui paraissent à Rouen, titre qui fonctionne en parallèle avec celui de Prophéties. D’ailleurs, même dans ces Grandes et merveilleuses prédictions, on n’en lit pas moins : « Préface de M. Michel Nostradamus à ses Prophéties. Ad Caesarem Nostradamum filium, Vitam ac foelicitatem »

En 1740, dans l’édition parisienne, chez Prault, des Prophéties Perpétuelles, la Préface de l’Auteur au Lecteur – qui ne figurera plus dans d’autres éditions- des Prophéties Perpétuelles de Thomas Joseph Moult commence ainsi : » Les Prédictions que je donne au public » puis « je ne cherche point à divertir le Public par des Predictions amusantes & agréables » et encore « mes Prédictions Générales & Climatériques doivent arriver pendant le cours de chacune des neuf années (..)Et quant à mes Prédictions Particulières, insérées en suite des Générales (…) je laisse le soin à mon Lecteur le soin d’observer les années qu’elles doivent arriver & de faire ses remarques ». Le second livre a pour sous titre « Continuation des Prédictions Climatèriques & particulières » et chaque page est divisée en Prédictions générales et en Prédictions particulières.
L ouvrage se termine ainsi : J’ay dit au premier livre de mes Prédictions » mais il parle aussi, de façon synonymiques de « ce petit Livre de Prophéties »..Les deux usages cohabitent indifféremment.
C’est dire à quel point le mot « Prophéties » n’a ici qu’une valeur synonymique et qu’il ne peut en principe pas désigner des quatrains non rattachés à un cadre chronologique explicite. D’où la tentative de privilégier le mot « Prophétie » dans un sens non astrologique et donc non contraignant sur le plan chronologique, ce qui permettait de justifier la seule présentation de quatrains déconnectés de leur référentiel astronomique. On aura voulu ainsi faire de Nostradamus un « prophète » dépassant les contingences astronomiques et produisant par inspiration « ses » quatrains.

JHB
08. 07. 12



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[1] In Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, ed Ramkat 2002, p. 210
[2] Cf l’éditiion de Volguine de 1940, réédition 1977, précédée de. « La clef des prophéties de Nostradamus »
[3] Voir Le texte prophétique en France, formation et fortun, Ed. du Septentrion, 1999. et SUDOC

 

 

69 - L’évolution du projet de prophéties perpétuelles nostradamique du XVIe au XVIIe siècles.
Par Jacques Halbronn



« J’ay composé livres de prophéties contenant chascun cent quatrains astronomiques de prophéties (..) & sont perpétuelles vaticinations, pour d’icy à l’an 3797 (sic) » (Préface (…) ad Caesarem Nostradamum filium, Prophéties de M. Michel Nostradamus, Lyon, Macé Bonhomme, 1555)

Un des principes que nous appliquons vis-à-vis de la production nostradamique est celui-ci : il peut arriver que le titre d’un ouvrage ne corresponde pas à son contenu. Par quel tour de passe-passe, les « prophéties » ont-elles fini par trouver leur expression la plus typique sous la forme de stances ? Nous avons montré dans une précédente étude que la première mouture de la Préface à César devait indiquer que les quatrains ne faisaient que prolonger les prophéties proprement dites. L’idée qui semble avoir prévalu, du moins jusqu’au début du XVIIe siècle, c’est qu’il devait exister un stock de quatrains pour baliser les siècles à venir – ce qui donnera lieu, notamment, à l’expérience des sixains (cf infra), stock remis à César par son père. Deux écoles semblent avoir été en présence, à la fin du XVIe siècle : l’une désireuse de continuer à produire de nouveaux quatrains –avec tout le travail de composition que cela impliquait- et l’autre qui allait l’emporter- notamment avec l’Eclaircissement de 1656 publié anonymement par le dominicain Giffré de Réchac- consistant en une relecture des quatrains déjà parus à la lumière du XVIIe siècle et éventuellement des siècles suivants. On entre alors dans l’ère non plus des fabricants de nouveaux quatrains, comme sous la Ligue, mais du fait de la « clôture » du canon nostradamique, à une ère d’exégétes. D’où le contraste entre une production centurique qui stagne au XVIIe siècle et qui ne fait que se reproduire, tout en fouillant les fonds de tiroir (quatrains des almanachs, quatrains ligueurs mis de côté), et la publication de nombreux commentaires, dans la seconde partie du XVIIe siècle. En ce qui concerne la première moitié de ce siècle, on assiste à un chant du cygne de la production de nouveaux vers prophétiques mais cette entreprise va avorter. L’idée même de fabriquer du faux Nostradamus – voire de fausses éditions antidatées - n’était probablement plus de mise. Le nostradamisme devait trouver un nouvel élan par le biais du commentaire, en renonçant aux trucages plus ou moins grossiers de la seconde moitié du XVIe siècle. Changement de Zeitgeist.
Nous reviendrons dans cette étude sur la période de production de vers, qui s’articule autour de trois « livrets », précédés de trois épitres (à César, à Henri II et à Henri IV)
En ce qui concerne les quatrains des deux premiers « livrets » (ou volets), il semble qu’un certain nombre aient été des transpositions de textes en prose, pas forcément dus d’ailleurs à Nostradamus lui-même mais possiblement à un Richard Roussat et à quelques autres astrologues. En vérité, la production de pièces couvrant en principe une vingtaine d’années (cf. infra)- ce qui est assimilable à des extraits de prophéties perpétuelles - est en prose et elle a pu servir à produire des vers.

On connait le quatrain 26 de la première Centurie.
Faulx à l’estang ioinct vers le Sagittaire
En son hault Auge de l’exaltation
Peste famine, mort de main militaire
Le siecle approche de renovation

Ce quatrain résume à merveille le contenu annuel de ces Prédictions –ou Présages- pour 20 ans, parfois tronqués en un nombre moindre d’années, au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la date de première parution. On y trouve à la fois des données astronomiques et des annonces astrologiques.
Il s’agit d’une conjonction de Saturne (Faulx) et de Jupiter (Estang, lire Estaing, métal de cette planète) dans le signe de feu du Sagittaire. Une telle conjonction se produira au début du XVIIe siècle, en 1603 /1604. et elle ouvre une nouvelle période d’environ 200 ans, marquée par une série de conjonctions dans des signes de feu (bélier, lion, sagittaire) alors que depuis 200 ans, les conjonctions avaient eu lieu dans des signes d’eau (cancer, scorpion, poissons)
On trouve dans les Prédictions des choses plus mémorables qui sont à advenir depuis cette presente année iusques à l’An 1585 (…) lesquelles ont esté en grande d’illigence (pour diligence) mise (sic) en lumière par M. Michel de Nostradamus le Jeune, Docteur en médecine, Troyes, Impr ; Claude Garnier, une étude, à l’année 1583, de la dernière conjonction en signe « aquatique », vingt ans plus tôt.
« Au dict an 1583 au mois de May se fera une grande conjonction des plus haultes planetes en la dernière face (décan) du signe de Pisces (Poissons) à laquelle succédera une assemblée de toutes les planetes au signe d’Aries, vers la fin du mois de Mars & le commencement d’Avril (…) Cette grande conjonction est la dernière advenante sur la fin du triangle Aquatique, qui finira quant & elle se changera en triangle ignée (sic) au qu’elles (sic) grandes conjonctions des plus haultes planettes qui viendront puis apres se feront toutes en signes ignées (sic) iusques à ce que après de deux cens ans soient expirez.(..) On verra mutation ou la fin ou changement ou renouvellement de regne, de loix, de religion & de police (..) d’ont (sic) s’en ensuyvra un Concile general & libre ou estats generaulx environ l’an mil cinq cens quatre vingt & cinq (…) Et à lors (sic) le Lys sera par tout le plus ronomme (sic) exalté & puissant qui fut onques». On notera que cette annonce de prochains Etats Généraux est en prise sur l’actualité de la Ligue car d’aucuns attendaient de ces dits Etats, que l’on désigne un successeur à Henri III, à la suite de la mort du Duc d’Alençon, survenue en 1584, du fait du profil particulier d’Henri de Bourbon. On peut tout à fait admettre que le texte en question ait été rédigé après coup et d’ailleurs, si l’on compare avec des états antérieurs du même texte, il s’agit bien là d’une addition substantielle.
On peut se demander si le quatrain I, 26 qui renvoie à la conjonction suivante ne nous indique pas que l’on aurait déjà passé le cap de la dernière conjonction de signe d’eau. Notons que dans l’Epitre à Henri II, les deux dates cohabitent
« ô très humanissime Roy (…) espérant de laisser par escrit les ans, villes, citez, regions (…) mesmes de l’année 1585 et de l’année 1606 ». Nous avons montré que 1606 avait été rajoutée à un texte qui initialement ne devait comporter que 1585 (cf notamment notre étude de l’édition Cahors Jaques Rousseau 1590)
Voilà qui indique que l’on aurait passé le cap de 1585 et que l’on a désormais en ligne de mire 1606. Ce décalage de 20 ans environ s’inscrit, selon nous, dans le cycle des grandes conjonctions Jupiter-Saturne. Ajoutons que c’est bien l’année 1606 dont on donne les éléments astronomiques dans le cours de l’Epitre à Henri II. A ce propos, tout semble indiquer que cette épitre est en fait extraite de quelque recueil de prédictions an par an. En effet, on y trouve d’une part une description détaillée des configurations de l’an 1606 – certes le nom de l’année n’est pas donné, comme si l’on avait recopié un passage sans en fournir le cadre chronologique dont il reléve, et d’autre part on lit, à la suite : « L’année sera pacifique sans eclipse et non du tout et sera le commencement comprenant se de ce que durera et commençant icelle année sera faicte plus grande persecution à l’Eglise Chrestienne etc »
Dans le texte pour 1583, après les considérations astronomiques, l’on passe en conclusion au passage suivant :; « Quant à l’année, la plupart sera humide (..) mort de quelques Seigneurs, tant séculiers d’Eglise, grandes désolations en plusieurs villes maritimes etc »
C’est dire que ce texte de l’Epitre à Henri II est décalé par rapport à la date de juin 1559 à laquelle il est censé avoir été composé.
Nombreux sont les indices qui nous font converger vers la période située entre 1585 et 1606.
Il convient d’ailleurs de rapprocher ces textes des Significations de l’Eclipse qui sera le 16. septembre 1559 (…) diligemment observées par maistre Michel Nostradamus, Paris, Guillaume Le Noir, consistant en une épitre également datée de 1558.([1] Il semble également que l’on ait recopié une de ces Prédictions allant d’an en an, d’où l’expression récurrente «icelle année »
Ces Significations censées concerner 1559 s’attardent sur 1605 : « beaucoup plus sinistre & calamiteux adviendra l’an 1605 que combien que le terme soit fort long, ce nonobstant les effects de cestuy ne seront gueres dissemblables à celuy (sic) d’icelle année comme plus amplement est declaré à l’interprétation de la seconde centurie de mes Propheties » [2] On notera que les dites Significations ne s’arrêtent même pas- bien qu’exactement contemporaines – du moins à ce qu’elles prétendent être- de l’épitre à Henri II- sur l’échéance majeure, vue de 1558, que constitue la conjonction de 1583-1585. On a donc une sorte de tentative, propre aux années 1590 – post 1585 et près 1606- de refonte de l’Epitre à Henri par la production d’un texte en quelque sorte jumeau, né à quelques jours d’écart mais en quelque sorte minimisant, par prétérition, l’importance initialement accordée aux années 1580.
Voilà toutefois qui nous apporte quelques éléments de réflexion, par la voie de la critique interne, sur la genèse de l’Epître à Henri II et par voie de conséquence sur celle des quatrains des centuries VIII-X.
En effet, si l’année 1585 est en ligne de mire dans l’Epître à Henri II cela signifie que celle-ci aura connu une première version sans la mention de 1606 qui a été rajoutée sans qu’il y ait eu substitution comme cela se produit parfois. On ne dispose pas de cette première mouture mais seulement de l’édition Cahors Jacques Rousseau où les deux dates sont juxtaposées de façon assez maladroite avant de s’inscrire dans une phrase mieux construite comme c’est le cas dans les éditions Benoist Rigaud 1568. Quand deux dates distantes l’une de l’autre de près de 20 ans se retrouvent dans une seule et même phrase, au sein d’un texte prophétique, c’est généralement le signe d’une interpolation assez grossière. Notons que dans la version Besson l’Epitre à Henri II ne comporte aucune mention de date, ce qui constitue un stade encore plus ancien de la formation de l’Epitre « finale » à Henri II, sans compter bien entendu l’Epitre datée de 1556, placée en tête des Présages Merveilleux pour 1557[3] . Il est possible que ce n’ait été qu’au stade de l’addition 1606 que la dite Epitre ait été intégrée dans un seul et même ensemble avec la Préface à César.
En fait, pour Nostradamus, l’échéance la plus marquante à moyen terme était celle de la grande conjonction des années 1560, autour de 1564, chaque génération ayant ses propres échéances astrologiques.
Comme il est assez clairement expliqué dans les Prédictions des choses plus mémorables, sus mentionnées (Troyes, C. Garnier) pour l’année 1583, chaque conjonction peut être fatale mais on ne le sait pas à l’avance : « Car si telle conionction de planette ne fut significative de la fin du monde soubz l’Empereur Charlemaine (sic) ce n’est pas à dire qu’elle ne le soit quand elle adviendra l’année 1583. Pour ce du temps de cet Empereur il n’y avoit encor cinq mille ans accomplis depuis le commencement du monde etc »
En fait, on pourrait dire que ces Prédictions pour 20 ans (…) iusques en l’an 1583 (cf le titre de l’édition de Rouen, chez P. Brenouzer) visent à couvrir l’intervalle de temps entre deux conjonctions. L’Epitre à Henri II appartiendrait en quelque sorte à un nouveau train prophétique ayant en ligne de mire les années 1604-1606 et il n’est d’ailleurs pas exclu qu’elle soit extraite de nouvelles Prédictions pour 20 ans, qui n’ont pas été retrouvées, tout comme il a du exister une édition antérieure aux « Prédictions pour 20 ans (…) iusques en l’an 1583 » qui auraient été visées par un Laurent Videl et qui n’ont pas été retrouvées et qui seraient des « Prédictions pour 20 ans (…) jusques en l’an 1563 », puisque l’édition pour 20 ans de Rouen- Brenouzer, 1568 (conservée à la BNF Res pV 715 (1) débute en fait en 1564. Cela signifierait éventuellement une édition ayant commencé à paraître vers 1543, donc dix ans avant la naissance de César. Ce qui exclue que Nostradamus ait pu adresser ses « Prophéties » dans les années 1550 à qui que ce soit. Videl en s’y référant, en 1558, ferait donc allusion à un ouvrage qui devait continuer à paraitre mais qui aurait été produit bien avant que Nostradamus publiât ses premiers almanachs, au début des années 1550. Ces « prophéties » auraient effectivement pu s’accompagner de quatrains et cette présentation aurait été reprise pour les almanachs qui auraient suivi et qui en auraient été comme des prolongements plus fouillés et exigeant un travail annuel et non pour 20 ans. C’est probablement dans de telle »prophéties » ou plus probablement « prédictions » que Videl aurait trouvé une échéance bien lointaine, sinon 3797 du moins 1767. 3797 est d’autant plus invraisemblable que le monde ne devait pas dépasser les 6000 ans, comme il est indiqué dans les prédictions pour 1583 (cf supra).
. On peut considérer, du moins au départ, chacun de ces volumes couvrant 20 ans comme un « Livre de Prophéties » .
Pour en revenir à un document – dont nous n’avons d’ailleurs pas encore pris connaissance, qui nous a incité à reprendre le dossier des Prophéties Perpétuelles, à savoir Resolution des propheties de Nostradamus pour l’an 1568. Extraitte (sic) du discours de ses commentaires, selon les distinctions astronomiques de M. Ant. Arnoulph, médecin à Ausonne, Lyon, Benoist Rigaud, nous dirons que ce titre semble recouper l’édition de Rouen, chez Pierre Brenouzer, parue en 1568 des Prédictions pour 20 ans mais en fait débutant en 1564 (et donc comportant une partie sur 1568) et l’on peut d’ailleurs se demander s’il ne s’agirait pas plutôt sous le nom de Nostradamus de Mi. De Nostradamus le Jeune, qui mit en lumière les dites Prédictions, que l’on peut aussi appeler Prophéties..

Il est intéressant de s’arrêter sur la chronologie des titres utilisés dans le registre des éditions traitant du « perpétuel » et notamment d’aborder la place du nom Nostradamus dans cette série de publications..
Il semble qu’il y ait au départ deux groupes que l’on pourrait désigner par les noms de « Pythagoras » d’une part de « Leovitius » de l’autre :

A- le groupe Pythagoras :
Pronostication perpetuelle composée & practiquée par les expers anciens, et modernes Astrologues, & Medecins, comme Pythagoras en ses circules & angletz, Joseph le Juste, Daniel le Prophete, maistre Estienne de Prato, Seraphino, Calbarsi & Guido, en leurs Almanachz, & plusieurs autres
Paris, Antoine Houic

Le nom de Nostradamus va être ajouté :
Prophéties ou prédictions perpétuelles, composées par Pitagoras, Joseph le Juste, Daniel le Prophète, Michel Nostradamus, et plusieurs autres philosophes..
Montbéliard : Deckherr, (s. d.) BNF


Paul Arbaud, dans ses études de bibliograpie provençale [4] mentionne des Prophéties ou prédictions perpétuelles composées par Pitagoras, Joseph le juste), Daniel le Prophéte, Michel Nostradamus et plusieurs autres philosophes A Selon de Provence (sic), chez André Glorion, imprimeur-libraire. (BNF Q 6439). Le nom de Nostradamus figure parmi les auteurs mais probablement à une date relativement tardive, en remplacement d’autres d’ailleurs qui ne figureront plus nommément dans la liste..


B Le groupe Leovitius (Cyprien)

Ce second groupe ne mentionne pas parmi les auteurs Nostradamus mais certaines éditions sont placées sous la direction de Michel Nostradamus le Jeune.

Prédictions des choses plus mémorables qui sont à advenir depuis l'an 1564. jusqu'à l'an mil six cens et sept, prise tant des éclipses et grosses Ephemerides de Cyprian Leovitie, que des prédictions de Samuel Syderocrate, 1565, V. 21354, ...
Une édition augmentée de quelques auteurs français, dont Michel de Nostradamus le Jeune (sic) aurait été le maître d’œuvre :
Prédictions des choses plus mémorables qui sont à advenir depuis cette présente année jusques à l'an mil cinq cens quatre vingt et cinq (…) prinses (…) du livre merveilleux de Cyprian Leovities, Samuel Syderocrate, C. du Garnier, Broussart & autres, lesquelles ont esté en grande d’illigende mise (sic) en lumière par M. Michel de Nostradamus le jeune... : Troyes : impr. de Claude Garnier dict Saupiquet, (1571)

Ci-dessous une édition qui semble avoir dérivé des précédentes du groupe B et qui fait apparaitre Nostradamus non pas comme auteur mais comme collectionneur :
Prédictions pour 20 ans (…) Extraictes de divers aucteurs, trouvée (sic) en la Bibliothèque de nostre defunct dernier (..) Maistre Michel de nostre Dame (…) reveues & mises en lumière par Mi. De Nostradamus le Jeune », Rouen, Pierre Brenouzer, 1568,. (BNF res pV 715)
On retrouve les mêmes tetxtes, légérement réécrits, et la même formulation quelques années plus tard dans les Présages pour treize ans (…) recueillies (sic) de divers autheurs & trouvées (sic) en la bibliothèque de defunct maistre Michel de nostre Dame (…) mises en lumière par M. de Nostradamus le Jeune ». Un mot a sauté « dernier » après « défunct ».
Il nous semble difficile de concevoir un scénario inverse, selon lequel on aurait remplacé « divers aucteurs » par une liste d’astrologues. Nous avons noté pour la série des Vrayes Centuries et Prophéties, la disparition des dates d’édition au fur et à mesure de la production. Dans le premier groupe, Nostradamus fait partie des auteurs, dans l’autre, il rassemble des documents dans sa bibliothèque et c’est ‘Nostradamus le Jeune » qui en tire quelque document. A noter qu’il n’aura pas fallu attendre la mort de Nostradamus pour que la génération nostradamique suivante sévisse, avec la complicité d’ailleurs d’un Benoist Rigaud dont le nom sera ensuite associé, de façon ambigue, à la conservation de l’œuvre de Nostradamus.
Se repose donc la question de l’investisssement de Nostradamus dans le créneau du « perpétuel ». Il apparait qu’au XVIIe siècle, la présence des « présages » en réalité extraits de ses almanachs, vise à donner le change. Ces présages sont en effet présentés ainsi : « Présages tirez de ceux faicts par M. Nostradamus és années 1555 & suivantes iusques en 1567 » - ils sont en fait repris du Janus Gallicus. Or, une telle description semble préter délibérément à confusion, à commencer par le mot Présages, courant dans le genre « perpétuel ». . Rien n’indique que ces quatrains sont en réalité extraits d’almanachs annuels. On veut faire croire que Nostradamus s’inscrivait dans le genre des prédictions perpétuelles, également couramment désignées sous le nom de Présages.
Nous avons souvent insisté sur l’éclairage que le XVIIe siècle apporte sur le XVIe siècle en ce qui concerne le phénoméne Nostradamus. C’est ainsi que les éditions troyennes nous restituent le quatrain 100 de la centurie VI, absente de toutes les éditions antidatées 1555-1557-1568, mais que l’on retrouve déjà dans le Janus Galllicus de 1594. C’est dans les éditions troyennes que l’on retrouve en annexe certains quatrains des éditions parisiennnes de la Ligue absent dans les éditions Rigaud. Le Discours de la Vie de Nostradamus (repris dans le Janus Gallicus) n’est intégré dans les éditions centuriques qu’au XVIIe siècle. D’ailleurs, le Janus Gallicus est une source incontournable pour les éditions concernées.[5]
Il faudrait aussi examiner l’Epitre à Henri IV en tête de 58 sixains. Rappelons à ce sujet le lien que nous avons établi entre Noel Morgard et les dits sixains[6], ouvrage qui comporte des clefs qui ont disparu lors de son intégration au sein du canon nostradamique, ce qui ouvre des perspectives quant à la récupération par les faussaires des Centuries d’une production existante chez des auteurs peu ou prou inspirés de Nostradamus ou de ce qui lui est attribué..
Nous accorderons toute son importance à l’intitulé même de l’épitre à Henri iV, qui tend à introduire un troisiéme « livret » - comme cela est dit « ce petit livret non moins digne et admirable que les autres deux livres qu’il fit » - qui vise à construire une autre image de Nostradamus, qui aurait été impliqué dans le genre du perpétuel (cf supra) constitué des sixains mais aussi de quatrains « présages »
Le texte adressé à Henri IV est ainsi formulé :
« Prédictions admirables pour les ans courans en ce siècle. Recueillies des Mémoires de feu M. Michel Nostradamus (…) par Vincent Seve etc »
Qu’apprenons-nous ? On note l’usage du mot « Prédictions » pour désigner les sixains si tant est qu’il se fut agi initialement d’eux. On note aussi que l’on se référe au cadre d’un siècle, ce qui est le format des « livres de prophéties » contenant chacun cent quatrains. Or, on ne trouve que 58 sixains sans d’ailleurs la moindre articulation sur une quelconque chronologie et pas de texte en prose qui les sous-tendent.
Par ailleurs, il est question des « mémoires », ce qui nous renvoie au « mémoire » que Nostradamus est censé avoir légué à son fils, au vu de la Préface qui lui est adressée et qui aurait consisté en « vaticinations perpétuelles ». D’où l’accent mis sur le posthume, élément qui n’est aucunement indiqué dans les éditions ligueuses ni dans celles de Benoist Rigaud alors qu’en 1568, dans les Prédictions pour 20 ans, il est indiqué, lors d’une réédition d’un texte paru avant sa mort, « trouvée (sic) en la bibliothèque de nostre defunct dernier (..) Maistre Michel de nostre Dame ».
Deux écoles se confrontent : celle qui voudrait que tout soit paru du vivant de Nostradamus (c’est la tendance Rigauld, qui ne sera reconsidérée qu’au XVIIIe siècle avec l’opération Pierre Rigaud) et celle qui soutient que des textes importants n’ont été divulgués ou constitués qu’à sa mort et ce délibérément, d’où le caractère posthume, dans le ton, de la Préface à César autour d’un mémoire.
Cette affaire des « Livres de Prophéties » - expression employée par Laurent Videl, en 1558, sans autre précision – et reprise dans la Préface à César, est décidément complexe et l’on risque de se perdre en conjectures, à partir d’une bien bréve mention. On peut raisonnablement se demander si l’on n’a pas voulu présenter la série des quatrains des almanachs (cf supra) – appelés complaisamment « présages » comme constituant la preuve que Nostradamus aurait contribué, à sa façon, à ce genre des « vaticinations perpétuelles », c’est déjà une forme de travestissement des faits ne serait-ce que parce que Nostradamus ne détermine une planète dominante pour chaque année, ce qui est typique du genre et fortement attesté. D’ailleurs, ces prophéties perpétuelles ne fonctionnent pas mois par mois mais saison par saison, se rapprochant par là des prognostications plus que des almanachs. Or, les « présages » de Nostradamus fonctionnent sur une base mensuelle et c’est ainsi qu’ils sont commentés dans le Janus Gallicus. Or, les Prognostications de Nostradamus ne comportent pas de quatrains. Au vrai, l’exemple des sixains et de l’Epitre à Henri IV nous semble assez éclairant : on nous montre une série de sixains censés valoir pour tout le XVIIe siècle, ce qui illustre l’idée de stances ayant valeur prédictive sans même qu’elles soient associées par avance à une année donnée et d’ailleurs durant tout le siècle, les sixains- censés être de Nostradamus - feront l’objet de commentaires. Mais ce troisième « livret » restera le parent pauvre de l’ensemble centurique et ne sera pas retenu dans l’édition Pierre Rigaud 1566 qui sera l’ouvrage de référence au XIXe siècle.
Nous avons émis, récemment, l’hypothèse selon laquelle les quatrains des Centuries seraient issus de textes en prose, à l’instar des « présages », comme il ressort de l’étude du Recueil des Présages Prosaïques, formulation qui semble devoir s’opposer à celle éventuel Recueil de Présages poétiques, disparu, comportant les centuries de quatrains et dont on aurait un exemple avec la série des quatrains d’almanachs regroupés sous le nom de «Présages ». Filiation cette fois entre les « présages » de 1555 à 1567 et les « présages » divisés en centuries de quatrains, dont d’ailleurs l’épitre à Henri IV nous dit qu’ils ne vont pas au-delà de 1597 « dont le dernier finit en l’an mil cinq cens nonante sept », les sixains étant censés traiter « de ce qui adviendra en de siecle, non si obscurément comme il avoit fait les premières (sic)». Le propos de Vincent Séve lequel signe l’épître au Bourbon, qui était d’offrir une nouvelle série de « présages » pour le nouveau siècle, n’aura guère été entendu. Et quid des siècles suivants ? On peut évidemment supposer que Nostradamus aurait produit des « livrets » de présages pour des siècles mais que les livrets suivants ne seront divulgués – on nous dit que ces « Prophéties ou Prononstications « étaient « tenues au secret iusques à présent »- que le moment venu... ..
Ce qui peut tout de même étonner, c’est un certain décalage entre l’Epître et les sixains, qui devraient constituer une centurie complète. Quel étrange décalage entre ces dix centuries (1000 quatrains), couvrant tout au plus un siècle, et ces 58 sixains censés couvrir le nouveau siècle ! .Mais le texte de l’Epître n’aurait –il pu être retouché pour inclure le mot sixain – encore que le nombre de sixains ne soit pas précisé dans la dite Epître à Henri IV [7]? Dans « Les signes merveilleux apparus au ciel «, en 1606, il est question de « propheties de Nostradamus non encores imprimées mais présentées à sa Majesté, tres Chrestienne, par un sien parent ». Or, suit un quatrain – non centurique- et non un sixain. Visiblement, il est bien question de la même chose, à savoir une épitre à Henri IV suivie d’une série de quatrains. Pourquoi est-on allé prendre les Propheties de Maistre Noël Léon Morgard (..) présentées au Roy Henry Le Grand pour ses estrennes en l’an 1600 dont les sixains, également « présentés au roi » - mais on n’a pas d’épitre à ce sujet- d’ailleurs, semblent n’avoit concerné que l’an 1600 ?. On dispose donc de trois documents « présentés au Roy » qui semblent avoir été allégrement mélangés mais qui tous trois vont dans le sens de prophéties classées en vers. Rappelons que le choix de la forme du quatrain ou du sixain importe assez peu, car comme le disait Videl, c’est simplement un mode de classement des vers qui ne préjuge pas d’une quelconque unité des strophes, à l’instar des quatrains rassemblés au sein d’une même centurie, d’ailleurs. Nous avons le sentiment que l’idée de prophéties totalement constituées de vers ne s’est développée que dans le dernier tiers du XVIe siècle. Ce n’était certainement pas encore le cas dans les almanachs de Nostradamus où ils ne jouaient encore qu’un rôle marginal. On peut donc dire sans grand risque de se tromper que les « Livres de prophéties » de Nostradamus, tels que les signale Videl, ne se réduisaient pas à des centuries de quatrains, en dépit de ce qu’indique la Préface à César- la canonique, non pas celle publiée par Antoine Besson, dans les années 1690. C’est ce qu’on aura voulu nous faire croire, à partir des années 1580. En fait, tel n’avait probablement pas été le projet initial mais probablement un pis aller, en raison de la perte des autres « présages prosaïques ». On peut même se demander si sous ce titre, on n’avait point conservé, au départ, des « présages » perpétuels en prose et que l’on aura voulu remplacer un texte perdu par les textes en prose parus du vivant de Nostradamus. Nous avons eu l’occasion de signaler dans le corpus centurique le décalage entre titre et contenu, notamment dans le cas des éditions de Rouen et de Paris, parues en l’an 1588.
L’ouvrage de Jean Aimé de Chavigny, La Première Face du Janus François, fait nécessairement référence à une « seconde face », qui, elle, serait consacrée au futur et pourrait puiser dans des prophéties perpétuelles et également constituées de quatrains. C’est en quelque sorte à ce manque que vient répondre, quelques années plus tard- à l’aube du XVIIe siècle- le troisiéme « livret », dont le contenu originel fait, on l’a vu, probléme (sixains ou quatrains ?).
Les nostradamistes des années 1600 ont été confrontés à un défi. Il leur a fallu remettre en question l’idée que les centuries parues ne valaient que jusqu’à la fin du siècle précédent. En fait, c’est alors que ces centuries déjà parues auraient obtenu le statut de « perpétuelles », un peu comme le pape qui au XIXe siècle obtiendra l’infaillibilité pontificale, sans qu’il soit besoin désormais d’en produire de nouvelles. On garde le même signifiant (le texte) mais c’est au signifié (l’interprétation) de se renouveler, ce qui est évidemment plus économique.
Il est clair que le quatrain (ou le sixain) se prête encore mieux que la prose à des variations exégétiques infinies. Il libère en quelque sorte le signifiant de son carcan syntaxique, on bascule dans la polysémie. Il ne faut pas oublier que du moins dans le champ nostradamique, le quatrain est déjà en soi un commentaire du texte en prose et il ouvre la voie, paradoxalement, à un autre niveau de commentaire qui, quant à lui, sera « prosaïque ». On en arrive ainsi à une superposition de « couches » textuelles tout comme il y eut une succession de Nostradamus. (Nostradamus le Jeune, Crespin etc)

JHB
13. 07.12
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[1] cf fac simile in B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Seuil, 1999
[2] sur la contrefaçon de ces Significations, qui mentionnent exceptionnellement une »seconde centurie de mes prophéties » dès 1558, voir nos études en passa nt par Google
[3] Cf nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed Ramkat, 2002
[4] Les prédictions perpétuelles de Nostradamus, Marseille 1855
[5] Cf notre post doctorat, Giffrré de Réchac et la naissance de la critique nostramique. Sur propheties.it
[6] Cf nos Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus, op cit.
[7] Cf nos Documents inexploités, op cit, p. 158
 

 

70 - Plagiat et contrefaçon posthume dans le champ nostradamique.

Par Jacques Halbronn


Il importe de distinguer la façon dont les historiens exploitent les données existant dans certains textes et l’impact des dits textes lors de leur parution. C’est ainsi que lorsque parait en telle année tel ouvrage d’Antoine Crespin – Les Prophéties dédiées à la Puissance Divine et à la Nation française - comportant des extraits de quatrains des Centuries, c’est passé totalement inaperçu, même si Crespin fait accompagner son nom de Nostradamus ou d’Archidamus. Quand parait en telle année tel ouvrage d’Antoine Couillard – les Prophéties dont le titre ne comporte même pas le nom de Nostradamus (voire de Monstradamus ou de Monstre d’abus)- le quel texte recourt à des extraits de la prose de Nostradamus – le nom de Nostradamus n’apparaissant qu’une seule fois dans le corps du texte cela n’a été perçu à peu près par personne de la façon dont les historiens du XXe siècle l’ont pensé..
Il serait donc erroné de soutenir que ces textes ont été antidatés et produits par des faussaires pour valider des éditions elles-mêmes antidatées des Centuries.
Selon nous, le scénario suivi n’a pas été celui-là. Nous avons affaire à des cas de plagiat ordinaire.
Le plagiaire s’empare de la substance de sa « victime » sans s’y référer ou en s’y référant par la bande et très accessoirement, procédé consistant à citer un auteur de façon ponctuelle alors que l’emprunt a été beaucoup plus important. Croire que Couillard a écrit un pastiche de la Préface à César est selon nous faux même si l’on peut confondre pastiche et plagiat. Un pastiche mentionne sa cible, pas un plagiat. Il faut vraiment être obsédé par les études nostradamiques pour croire que le mot « Prophéties », à lui tout seul renvoie à Nostradamus ! Mais dans le cas des nostradamologues qui ont besoin de disposer de recoupements, de tels plagiats sont une aubaine dont ils tendent à abuser, sans être trop regardants sur la vraisemblance des situations.
Ce qui vient compliquer apparemment les choses, c’est qu’il s’agit de plagiats antidatés. Mais là encore rien de très surprenant : pour faire du faux ancien, il faut se servir, de préférence, de documents, d’éléments anciens, surtout si on indique que tel ouvrage est paru chez tel libraire. La mode des contrefaçons, visiblement, n’aura pas concerné que Nostradamus mais pour réaliser des contrefaçons antidatées, d’aucuns ont jugé bon d’emprunter à Nostradamus tout comme ceux qui ont voulu antidater certaines éditions des Centuries ont emprunté à la production de l’époque concerné. C’est un processus en chaîne. On aurait donc fabriqué du faux Crespin, du faux Couillard avec du Nostradamus et éventuellement du faux Nostradamus ou du Nostradamus recyclé.
Par du Nostradamus recyclé, nous entendons que l’on se sert de textes anciens de Nostradamus pour fabriquer du faux Nostradamus. Mais cette fois, ce n’est pas du plagiat puisque c’est attribué explicitement au dit Nostradamus. Dans le cas de la Préface à César, elle aura été fabriquée avec des passages cités par Laurent Videl dans sa Déclaration des abus, ignorances et séditions de Michel Nostradamus de 1558. Videl passe en revue plusieurs publications de Nostradamus et visiblement la préface se sert de ceci et de cela, sans que l’on sache si ce qui est ainsi repris appartient à une seule et même publication, d’autant que dans de nombreux cas on ne dispose pas des publications ainsi utilisées, à moins évidemment de soutenir que c’est la Préface à César, elle-même, qui aura été ainsi visée.
En ce qui concerne les Prophéties du Seigneur du Pavillon, alias Antoine Couillard -dont il a déjà été traité récemment dans certaines de nos études –il nous apparait que le plagiaire ignorait le caractère de contrefaçon de son modèle, à savoir la Préface à César. Il pensait candidement que cette préface était bien parue en 1555 donc cela convenait pour camper les dites Prophéties du Sgr Du Pavillon à cette époque, d’autant que dans les Antiquitez et Singularitez du monde (1557) du dit Couillard, on trouve à la fin – ce que nous appelons le document Moireau (neveu de l’auteur)- à savoir une liste d’ouvrages à paraitre ou en préparation du dit auteur, dont des Prophéties. Petite coquetterie du faussaire et plagiaire, on se permet quand même de faire figurer le nom de Nostradamus et de son fils, ce qui évidemment venait renforcer la date proposée pour les Prophéties, à savoir 1556 au risque évidemment de révéler l’existence d’un plagiat, ce qui n’a pas manqué de se produire mais à notre connaissance pas avant la fin du XIXe siècle.. Couillard mentionne d’ailleurs, sans se référer à Nostradamus sur ce point, un ensemble de trois à quatre cents carmes, ce qui est inspiré de la première édition des Prophéties de M. Nostradamus qui n’était pas encore divisée en Centuries. On notera que Videl lui ne mentionne pas un tel ensemble et pour cause, puisque le dit ensemble n’existait pas encore au moment où il publie sa Déclaration. Mais là encore, certains nostradamalogues s’empressent d’y voir la preuve qu’en 1556 on connaissait ces centaines de carmes.
Dans le dossier Crespin, les références aux centuries concernent des éditions à 10 centuries, si l’on se fonde sur la répartition des extraits de quatrains que l’on y trouve. Selon nous de telles éditions à dix centuries n’ont pas existé avant les années 1590. A l’évidence, la contrefaçon d’ouvrages de Crespin s’appuie sur les éditions à 10 centuries, censées être parues en 1568 (voir en 1556 et 1558, respectivement pour les deux volets). Là encore, il s’agit de conférer quelque substance à une contrefaçon antidatée pour le début des années 1570. Mais comme on l’a dit plus haut, on veut faire du Crespin en se servant de Nostradamus sans dire que c’est du Nostradamus. Et encore une fois, seuls les nostradamologues désireux de valider des éditions antidatées comme étant authentiques sont enclins à y voir un témoignage probant. Si Crespin, dans un texte cite, sans trop préciser, une épitre au roi datée de juin 1558 – qui se trouve être l’épitre à Henri II – c’est encore une fois pour apporter une touche de véracité, à cela près que ceux qui actionnent ainsi Crespin ne se doutent pas eux que cette épitre et les quatrains qui la suivent sont des contrefaçons antidatées.
Etrangement, cet imbroglio assez remarquable aura contribué à faussement valider les modèles dont se sont, par inadvertance, ceux qui ont fabriqué du faux Couillard et du faux Crespin car c’est sur leurs emprunts respectifs que nombre de nostradamologues bâtissent leurs propres études.
Dans le cas de Couillard, les choses sont assez simples : c’est un personnage que l’on connait pour des œuvres sans aucun rapport avec Nostradamus, notamment dans le domaine juridique. L’on sait aussi (cf. supra) qu’il avait en projet des Prophéties ainsi que des « réponses aux fausses prophéties de Nostradamus et quelques autres astrologues. » (document Moireau). De fait on connait en 1560, chez Charles l’Angelier, à Paris, des Contredits aux faulses & abusifves prophéties de Nostradamus et autres astrologues.
Etonnant ouvrage qui, en dehors de ses titres externe et interne et de son épitre, ne dit mot de Nostradamus alors que les Prophéties qui elles ne se référent pas en leur titre à Nostradamus en font état tant sur la forme que sur le fond.
Dans le cas de Crespin, nous ne connaissons sous son nom que des pièces consacrées au prophétisme, toute une série d’épitres adressées à de grands personnages, aux rois, à la mère du roi, Catherine de Médicis etc.Or, les Prophéties dédiées à la puissance divine & à la Nation française ne comportent pas d’épitre. Adressé à quelqu’un en particulier mais seulement, comme le titre l’indique, à la Puissance Divine et à la Nation française. Il faudrait donc faire le tri dans la production parue sous le nom de Crespin entre ce qui est authentique et ce qui ne l’est pas, ce qui ne l’est pas étant, a priori, ce qui emprunte aux Centuries.
.Reste une dernière question : quel intérêt pouvait-il y avoir à réaliser de telles contrefaçons s’il ne s’agissait pas de valider les Centuries ? On peut penser que dans le cas de Crespin, connu comme astrologue, il a pu s’agir de lui attribuer quelque « prophétie » en prise sur les années 1590, ce Crespin Nostradamus étant par ailleurs une sorte de Nostradamus bis dont nous pensons qu’il exerça un certain magistère prophétique tout au long des années 1570. En ce qui concerne Couillard, sa réputation de « prophète » étant sensiblement moins avérée, comparativement, on ne voit pas bien quel profit on aurait pu tirer de lui prêter quelque propos prophétique. Mais c’est pourtant bien ce qui semble s’être produit : on allait ainsi pouvoir exhumer des publications datées de 1556 – comme on l’avait fait pour Nostradamus, avec l’édition Macé Bonhomme, notamment, datées de 1555, pour annoncer quelque événement dans ses « Prophéties du Seigneur du Pavillon » faisant sens pour les années 1580 vu que le texte de Couillard est constitué de données centuriques limitées au premier volet à la différence des Prophéties de l’astrologue du très chrestien roy de France & de Madame la Duchesse de Savoye dédiées à la puissance divine etc. Seul le privilège donne le nom de M. Anthoine Crespin Nostradamus. Notons qu’il est indiqué que Crespin « donne transport » à François Arnoullet, libraire à Lyon ; c'est-à-dire que le dit Crespin n’est présenté que comme ayant acquis certains droits sur « certaines prophéties datées de 1569, dédiées à la puissance divine et à la nation françoise », lesquels droits, il les transfère au dit libraire Arnoulet.
Voilà donc, au bout du compte, trois personnages qui se voient ainsi enrichis de publications qui ne sont pas parues de leur vivant- tous trois ayant en tout état de cause bel et bien publié – ou en tout cas pas sous la forme qui nous est parvenue. Si les faussaires de la production nostradamique empruntent à Laurent Videl pour la préface à César et à La Daguenière (Le Monstre d’abus, Paris, Barbe Regnault, 1558) pour l’epitre à Henri II, des éléments relatifs au dit Nostradamus, force est de constater que les faussaires de la production couillardienne et crespinienne puisent, sans le dire, dans les contrefaçons nostradamiques- sans qu’ils se doutent de la supercherie- pour produire d’autres contrefaçons. Il resterait – et ce sera peut être l’occasion d’une nouvelle étude- à déterminer à quel usage précis visaient ces « prophéties » attribuées à Crespin et à Couillard, comme on a pu s’en faire déjà une idée (cf. d’autres études) en ce qui concerne certains passages des Centuries.
On reviendra sur l étude de ces deux volumes qui forment comme une sorte de diptyque ; Dans les Contredits, on parle au chapitre I de « la promesse escripte à la fin de nostre livre pour bonne cause intitulé : Les propheties du Seigneur du Pavillon » et à la fin des dites prophéties, il y a une « Epistre de l’autheur encore envoyée à son amy par laquelle il luy faict entendre le sommaire de ses quatre livres sur la response aux nouvelles propheties » ( fol.26 verso).
Il reste qu’une certaine dimension posthume n’est pas absente. A la fin des Propheties, on évoque en effet dans « Aux lecteurs » : « le Seigneur du Pavillon (…) homme docte & de tressaincte mémoire » (fol 30), ce qui nous conduit à conclure que ces textes sont parus plus tardivement puisque le dit Couillard n’est pas mort avant la date de son épitre (de 1573) à Henri de Valois, lors de son avènement au trône électif de Pologne. Cela vient confirmer le document Moireau à la fin des Antiquitez & singularitez du monde, signalant ces ouvrages comme déjà prêts en 1557 mais pas encore parus. On ne retrouve pas une telle présentation « posthume » à la fin des Contredits puisque l’épitre s’achève ainsi : « escript pour estraines au Pavillon lez Lorriz en Gastinois ce premier jour de janvier l’an mil cinq cens soixante », formule inhabituelle que l’on retrouve en page de titre que cette précision « en Gastinois ». On comparera avec les formules conclusives dans les Propheties :
« Fin de la quarte partie du Livre des Propheties du Seigneur du Pavillon » : Donné au Pavillon les Lorriz le quart jour de Janvier , l’an de grace mil cinq cens cinquante cinq
Fin de l’épitre conclusive : « A Dieu. Du Pavillon ce cinquiesme de Ianvier l’an de grace mil cinq cens cinquante cinq »
Le lien entre les deux ouvrages n’en reste pas moins assez confus ; dans « L’imprimeur au lecteur », qui ouvre les Propheties du Seigneur Du Pavillon, on lit que l’auteur « a désiré en respondant par grande vehemence aux nouvelles propheties, louer le grand scavoir du prophete » et de fait ce n’est pas dans les Contreditz que Couillard s’en prend à Nostradamus mais bien dans les Propheties ; Rappelons que Couillard entend répondre aux « prophéties de Nostradamus et autres astrologues ». Or, tout se passe comme s’il s’en prenait à Nostradamus dans le premier ouvrage et aux astrologues dans le second. Mais en même temps, il est déclaré dans L’imprimeur au Lecteur « combien qu’il ne l’ayt voulu nommer ». Or, il y a un passage où Nostradamus est bel et bien nommé à propos il est vrai de son fils César, mais est-ce bien lui justement qui est visé dans cette attaque ? Inversement, dans les Contreditz, Nostradamus est nommé mais pas abordé directement : il est nommé au titre ainsi que dans l’épitre à François Le Sirier où il entend « contredire & abollir les nouvelles, faulses & abusifves propheties de Nostradamus & autres astrologues », reprenant en gros le titre des Contredits et le texte du document Moireau.
Nous rencontrons dans ce diptyque un étrange mélange qui n’est pas si éloigné de celui que nous observons pour la production nostradamique, à savoir que ces documents qui se référent à l’an 1555 pourraient bien n’avoir été publiés qu’après la mort de leur auteur, soit au minimum une vingtaine d’années plus tard, comme il ressort de l’adresse pathétique adressée à la fin de sa vie, à l’aube du régne du futur Henri III.
Quant à la formule « Les Prophéties du Seigneur du Pavillon », elle comporte un caractère distancié quand il s’agit de l’auteur lui-même qui l’utilise, ce qui renforce cette ambigüité autour de la date de parution du dit ouvrage. Par ailleurs, à la fin des dites Prophéties, c’est un autre intitulé qui se présente : « Fin de la quarte partie du Livre des Propheties du Seigneur du Pavillon » qui nous parait plus conforme que « Les Prophéties du Seigneur du Pavillon », d’autant que « livre des prophéties » peut signifier sur les prophéties, ce qui semble plus approprié.
Pour en revenir au plagiat par rapport à la préface à César, nous pensons qu’il a pu s’agir d’une volonté de compléter un manuscrit inachevé mais cette interpolation est assez étrange car elle aurait du s’effectuer plutôt dans les Contreditz lesquels visent nommemént Nostradamus. A contrario, la lecture des Prophéties, dans leur intégralité, atteste qu’il s’agit bien d’un ouvrage sur les prophéties, qui traite certes d’astrologie mais pas seulement. Or rappelons dans le document Moireau, il était bien question d’un tel ouvrage avant de mentionner, à la suite, une réponse à Nostradamus, concernant un autre projet directement axé sur le dit Nostradamus. A priori, il eut été plus heureux, comme on l’a dit, de ne pas mêler Nostradamus à ce premier volume d’autant que l’on y trouve d’une part l’an 3797 – coquille chez Videl reprise dans la Préface à César puis de là chez Couillard- mais aussi plus loin une échéance plus brève à 235 ans ( fol 27 verso), qui vise la fin du XVIIIe siècle et qui semble avoir été empruntée au Livre de l’Estat et Mutation des temps de Richard Roussat (1550) à moins d’imaginer que Couillard n’ait pris connaissance, en 1555, de l’Epitre à Henri II, datée de 1558,visant l’an 1792, laquelle épitre doit certainement à Roussat ou à Pierre Turrel qu’il plagie..
En conclusion, nous pensons que deux documents placés à la fin de deux ouvrages et qui semblent avoir été jusqu’ici négligés nous ont apporté d’importants éléments de réflexion : d’une part la liste Moireau, parue en 1557 (avec les Antiquitez, ouvrage réédité en 1578 mais sans ce document) qui a pu servir aux faussaires pour mettre en orbite deux ouvrages inachevés, restés en plan, de Couillard– d’ailleurs le mot responce utilisé dans le dit document est repris dans les Contreditz : « L’origine d’Astronomie & Astrologie a en nostre premier livre de la response aux nouvelles propheties, par nous amplement esté déclaré » et l’on a l’impression que « Contreditz « n’est pas le titre d’origine. Un autre passage milite en faveur du mot Response au titre : « L’incredible labeur des quatre livres suyvants qui sont, ce me semble, suffisante responce & emportent la victoire contre toutes les propheties des nouveaux prophetes ». Une réponse n’est pas nécessairement un « contredit ».
D’autre part, on ne saurait négliger ce que nous enseigne le « Aux Lecteurs » à la fin des Prophéties qui semble bien avoir été rédigé après la mort d’Antoine Couillard et selon nous dans les années 1580 lors de l’émergence de la première édition des Grandes et Merveilleuses Prédictions., qui n’a pas été conservée sinon quant à sa page de titre.(Rouen, 1588)..
Cette idée d’ouvrages en attente sinon en souffrance est attestée au début des Contreditz par le pasage suivant (certes daté de janvier 1560) « mon petit labeur par moy composé des l’an mil cinq cens cinquante cinq & non encore mis en lumière pour la malice du temps ».
Certains points nous inclinent, a contrario, à penser que des passage du manuscrit d’origine ont pu être coupés. Ainsi que signifie ce singulier à la place du pluriel : « Il) n’a pas sans grande & plus que raisonnable cause escript ceste propethie, la disant quasi comme folie car ce qui est folie aux hommes est grande prudence envers Dieu» (p. 30 recto, in Propheties) ? Où est passée cette prophétie qui est cette fois l’expression du sentiment de l’auteur lequel semblerait bien, quelque part, se prendre pour un prophéte et de ce fait, à ce titre, méprise les astrologues ?
 



JHB
11.07. 12
 

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Updated Tuesday, 07 April 2015

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