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Researches 71-80
 
71 - Nostradamus et la versification des Hieroglyphica d’Horapollon

 

72 - Problèmes de chronologie centurique fictive
 
73 - Pour une réappréciation du rôle de Benoist Rigaud dans la production nostradamique
 
74 - Le problème de la réunion des volets centuriques à la fin du XVIe siècle
 
75 - Le classement chronologique des versions de la Préface à César
 
76 - Les deux traductions dues à Michel Nostradamus
 
77 - "Roy de Bloys en Avignon regner"
 
78 - De la question des sources des quatrains centuriques
 
79 - Nouvelles réflexions autour des vignettes des faux almanachs de Nostradamus
 
80 - Nouvelles réflexions autour de la Première Face du Janus François
 
 
 

 

 

Researches 71-80

 

 

71 - Nostradamus et la versification des Hieroglyphica d’Horapollon
par Jacques Halbronn

 

La récente étude de Patrice Guinard1 consacrée aux rapports entre Michel de Nostredame et l’Orus Apollo, est une excellente occasion pour examiner le passage prose / vers qui a certainement présidé à la composition des Centuries et permet d’apprécier la teneur et l’ampleur de la valeur ainsi ajoutée par le versificateur, lequel n’est guère responsable du fond mais surtout de la forme. Tout comme Nostradamus ne contribue que médiocrement à la Paraphrase de Galien, ne méritant aucunement que “sa” vignette agrémente son texte, de même son apport à l’Orus Apollo est pour le moins modeste et si apport vraiment il y a, il consiste éventuellement à glisser quelque erreur comme dans cette affaire de 1095 (MLXXXXV) devenu par inadvertance 1415 - “mille quatre vingt quinze” étant devenu “mille quatre cent quinze” - P. Guinard en faisant un peu vite ses choux gras :

“Nostradamus compte 1415, et insiste même : “bien compté” et “sans rien mescompter”, pour trois années de 365 jours, alors que toutes les éditions, antérieures et postérieures au manuscrit, impriment évidemment 1095”

 

Edition 1543

Edition 1543
Lire “Mille quatre vingt quinze”,
devenu par inadvertance dans le manuscrit “Mille quatre cent quinze”

En réalité, le rimailleur aura préféré au classique “nonante cinq” (attesté dans la révision de 1553) le synonyme plus lourd, depuis préféré en France, quatre vingt et quinze ; il ne pouvait de toute façon garder les chiffres romains comme dans l’édition de 1543, ce qui n’est concevable qu’en prose ou si leur lecture est univoque. Notre épigrammiste, à “Comment taciturnité”, à partir de Quomodo taciturnitatem a même pris la liberté, dans le même épigramme, d’écrire “trois cent / soixante cinq” (3 x365 = 1095) à cheval sur deux vers pour avoir la rime “centz” avec temps. Lucien de Luca, cité par P. Guinard, et qui a publié divers articles sur ce sujet2, signale cette “dyslexie” mais n’envisage pas, à notre connaissance, le remplacement de vingt par cent. Il est d’ailleurs probable qu’à l’impression, cette coquille eut été corrigée d’office. Mais il ne nous semble pas inconcevable que la coquille vienne d’une erreur de copie du scripteur du manuscrit, éventuellement Nostradamus, et dans ce cas là celui-ci aurait utilisé une traduction française manuscrite, différente des traductions imprimées (cf. infra) dont nous verrons qu’elle suit très servilement une certaine traduction latine du grec. En effet, dans l’original latin, 1095 est donné en chiffres romains, ce qui exclue toute erreur de copie pour passer à 1415. Ainsi ce 1415 rend assez improbable que Nostradamus ait utilisé directement un texte latin.3 On ne saurait d’ailleurs exclure que cette coquille ait déjà figuré dans la traduction française éventuellement utilisée par Nostradamus.

P. Guinard reproche à P. Brind’amour de s’appuyer sur l’étude de Robert Aulotte4 et considère que “c’est Mercier qui suit, imparfaitement, Nostradamus, et non l’inverse”. Au demeurant, le titre du DNH ne se réfère pas à une traduction : “livres deux (sic) mis en rithme par épigrammes, oeuvre (sic) de increedible (sic) et admirable érudition et antiquité par Michel Nostradamus de Saint Rémy en Provence”, la mention de Nostradamus étant d’une autre écriture, d’une autre encre, et selon nous d’une autre époque et la référence à son lieu de naissance inhabituelle dans la production nostradamique, ce qui signifierait que le manuscrit serait antérieur à l’installation de Nostradamus à Salon de Craux, ayant utilisé jusque là la référence à son lieu de naissance. De même la fin du premier Livre de l’Orus Apollo se conclut-elle sans mention d’une quelconque traduction :

“Fin du premier livre de Orus Apollo filz de Oziris Roy de Egipte des notes hieroglyphiques des Aegiptiens mis en rithme par par (doublon, sic) épigrammes par M. Michel Nostradmus (sic) scelon un très ancien exemplaire grec des Druides.”5

On notera cependant cette faute dans le nom même de Nostradamus. Il nous semble tout à fait évident que ce passage en majuscules comme d’ailleurs les autres du même type, n’est pas de la main de Nostradamus.

Manuscrit Orus

On se réfère ici non pas à l’édition 1543, mais à un très ancien exemplaire grec,
qui est la source de l’ORUS APOLLO, sautant ainsi les chaînons intermédiaires,
de façon assez cavalière, si l’on prend en compte l’ampleur de l’emprunt.
Noter le redoublement de PAR.

Manuscrit Orus

ADMIRABLE CONSIDERATION a remplacé ADMIRABLE ERUDITION,
qui figure au titre du manuscrit.
TRADUICT semble être une interpolation.
Ce terme ne figure pas au titre ni à la fin du livre.

Ce n’est, en fait, qu’à la fin du DNH (p. 38, brochure Maison de Nostradamus) que l’on nous parle de “notes hieroglyphiques (...) mises en ritme par épigrammes oeuvre de admirable consideration et esmerveillable literature. Traduict par Michel Nostradamus de Sainct Remy en Provence” On notera le passage “admirable érudition” à “admirable considération”, qui nous semble être une corruption. Quant à la mention “traduict”, cela nous semble être une interpolation, si on compare le texte à celui du début, tant les deux textes de début et de fin nous semblent jumeaux. Il est fâcheux pour ceux qui ont ainsi procédé que l’interpolation n’ait pu se faire que dans un seul cas. On notera que ces textes d’encadrement sont en majuscules, ce qui donne une autre écriture.

Orus Apollo

Titre de l’édition de 1543 repris en partie dans le manuscrit nostradamique.
Il n’est pas question ici de traduction mais de mise en rimes.

Comparons les versions françaises Kerver de 15436 et de 15537 avec le manuscrit de l’Orus Apollo, deux éditions au demeurant très proches par ailleurs, puisque reprenant les mêmes vignettes et la même adresse “Aux lecteurs françays”, du fait qu’elles sont dues au même libraire Jacques Kerver, les faisant imprimer par Benoist Prevost. C’est le même Kerver qui publiera en 1557 l’almanach, la Pronostication et les Présages Merveilleux pour 1557 de Michel de Nostredame.8 En 1553, toutefois, l’adresse de l’éditeur sera écourtée du passage suivant : “Si je congnois que ce myen labeur vous soit agréable vous aurez bien tost le grec & le latin de cette oeuvre & aultres choses ou vous prendres (sic) plaisir”

La seule comparaison des titres est en soi édifiante :

Ed. 1543 :
ORUS APOLLO DE AEGYPTE, de la signification des notes Hieroglyphiques des Aegyptiens etc.

Manuscrit BNF, “Français 2594” :
ORUS APOLLO FILS DE OSIRIS ROY DE AEGYPTE NILIACQUE. DES NOTES HIEROGLYPHIQUES etc.

 

Edition 1530

Edition 1530

Edition Rollet

Dans l’édition Rollet, la suppression de “DES” devant “NOTES”
masque le caractère incomplet du titre du manuscrit :
“DE LA SIGNIFICATION DES NOTES HIEROGLYPHIQUES”
(cf. édition de 1543, au titre)

Est-ce que “de la signification” a sauté dans le DNH, avec cette forme assez abrupte “Des notes hiéroglyphiques” mais en fait le texte latin de l’édition latine parisienne, non illustrée, de 1530, chez Robert Estienne (BNF), dans la traduction de grec en latin de Bernardino Trebazio, ne comporte que la formule Orus Apollo Niliacus. De Hieroglyphicis notis.9 Signalons une édition bilingue (grec-latin), toujours sans images, parue en 1521, chez C. Resch, Ori Apollinis Niliaci Hieroglyphica.10 Pierre Rollet ne restitue pas, en 1968, le titre complet du DNH en écrivant simplement “Notes hiéroglyphiques”11, pas plus d’ailleurs qu’il ne conserve la numérotation des Notes, terme qu’il ne reprend pas alors que chaque pièce est ainsi nommée dans le manuscrit, en accord avec le titre de l’ouvrage, se voulant un commentaire des Notes Hiéroglyphiques. A se fonder sur le titre, il ne s’agit pas de notes mais d’un travail sur les notes. L’expression change au second livre dans l’édition de 1543 : “De l’interprétation des hieroglyphes ou sainctes figures des Egyptiens” au lieu de “De la signification des notes Hieroglyphiques des Aegyptiens, c’est-à-dire des figures etc”. A ce propos, il semble bien que le second livre reprenne certaines questions abordées dans le premier ; ainsi est-ce le cas pour “Comment ilz signifioient les moys” avec dans un cas la Lune, dans le second une branche pour signifiants. Il semble en fait qu’il s’agisse de deux séries comportant des points communs et ne constituant pas un ensemble cohérent entre elles ; on est en face d’une oeuvre syncrétique.

Edition 1521

Edition 1521

Le seul intitulé de l’édition de 1553 montre à quel point, par contraste, celui de 1543 est proche de celui du DNH : Les Sculptures gravées ou graveures sacrées d’Orus Apollon Niliaque, c’est-à-dire voysin du Nil lesquels il composa luy mesme en sa langue égyptienne & Philippe les mit en grec. Nouvellement traduit de latin en françois & imprimé avec les figures etc.

En réalité, cette nouvelle édition n’est pas vraiment une nouvelle traduction mais un réécriture partielle de l’édition de 1543 : on varie quelques verbes, on change un mot par ci par là et parfois on garde tout simplement le texte antérieur. Disons que c’est une édition un peu plus sophistiquée, ne serait-ce que par son titre que l’on retrouve dans certaine édition latine (Rome, 1597), Insculptae imagines.

En réalité, ce qui fait tout l’intérêt du DNH, c’est justement que l’on en connaisse la source ou du moins pour une part importante (cf. infra). Le véritable enjeu concerne la façon dont on est passé d’un texte en prose à un texte versifié, ce qui est très probablement ce qui s’est passé pour la composition des Centuries. Nous pensons même que l’existence d’un tel manuscrit constitué d’épigrammes a pu donner l’idée d’attribuer à Michel de Nostredame tout un recueil de quatrains, en suivant d’ailleurs la même méthode, à savoir changer de la prose en vers. Nous ne croyons guère que les Centuries ont pu être élaborées en allant rechercher un document ici, un autre là, comme semble le croire Peter Lemesurier qui n’hésite pas à supposer que Nostradamus a travaillé des années durant à son “chef d’oeuvre”, ayant même accès à des manuscrits, accomplissant ainsi un véritable travail d’orfèvre, pièce après pièce. Si un tel travail a été effectué, c’est en amont mais ce travail une fois accompli, il aura été récupéré et versifié, sans qu’il ait été dès lors besoin d’aller fouiller dans les bibliothèques.

Notre propos, ici, à partir d’un certain nombre d’exemples d’épigrammes de montrer comment ceux-ci ont été réalisés, en adoptant un système de rimes (le titre parle de “rythmes”), généralement dans le cadre de dizains. On n’y trouve guère de quatrains, au demeurant et le mot épigramme qui est de mise dans le DNH ne figurera pas dans le canon centurique.

Commençant par un premier exemple pour bien nous faire entendre et nous rendre compte que les convergences ne sauraient être fortuites, comme le laisse entendre P. Guinard lequel passe ainsi à côté de ce qui fait véritablement de l’Orus Apollo, une clef des Centuries, une pièce maîtresse du protocenturisme.

Commençons par un texte reproduit en fac simile (p. 28) dans la brochure de la Maison Nostradamus et qui correspond au tout début du second Livre: on soulignera les mots communs, même si en ordre différent, versification oblige :

1543 :
Quelle chose ilz voulloient signifier quant ilz escripvoient une estoille Quant les Egyptiens mettoient une estoille ils signifioient aucuneffoys dieu autreffoys la nuict, autreffoys le temps ou lame (sic, lire l’âme) d’um (sic) homme masle

DNH (transcription Rollet, p. 93) :
Quelle chose vouloient ilz signifier quant ilz escripvoient une estoille (Note 69)
En escripvant lestoille (sic) aulcune foys
Venoit noter de dieu signifiance
Ou bien la nuict démonstroit aultre foys
Aussi du temps pourtoit certifiance
De l’âme aussi quelque foys asseurance
Mesmement l’âme qu’estoit de l’homme masle
Venoit nouter en leur sacrée science
Parfoy noutée d’armoyrie royalle

 

Outre que le titre de l’épigramme est strictement identique, on notera que tous les mots de la source sont repris, éventuellement sous forme de substantif, “signifioient” devenant “signifiance”. L’épigramme ajoute “asseurance” pour rimer avec “signifiance” et “certifiance”. “Autrefois” sont placés en sorte de rimer avec “aucune fois”.

On notera l’agencement des rimes : foys /signifiance / foys /certifiance /asseurance / masle / Science / royalle.

Mais le plus surprenant tient au fait que les deux derniers vers, peut-être rajoutés et qui s’adressent peut-être à la dédicataire princière, ne correspondent pas au texte de l’Orus Apollo, que ce soit dans les versions françaises ou latines :

J. Kerver, 1553 :
Que c’est qu’ilz entendent en paignant une estoille
Une estoille entre eulx signifioit aucunes fois Dieu, aucunes fois la nuyt, aucunes fois le temps & telle fois estoit l’Ame d’un homme masle.

R. Estienne, 1530 :
Quid significent cum stellam scribunt.
Stellam scribentes aliquando deum significant, aliquando noctem, aliquando tempus, aliquando animam hominis masculi.

 

Prenons un autre cas :

1543 :
Comment ils signifient le monde
Il(sic) paignaient ung serpent mengeant sa cueue diversifiée de plusieurs escailles qui représentent les estoilles c’est une beste pesante comme la terre coulant comme leau & qui chascun an despoille sa vielesse (sic) avec sa peau ainsi que le temps qui chascun an se renouvelle & semble rajeunir. Et pour ce que luy mesmes se dévore veullent signifier que toutes choses produictes par le monde sont par luy consumees.

Ms fr :
Comment (ils signifient) le munde (sic)12
Voulant le munde escripre et vénérer
Ung serpent paignent de diverses escailles
Distinct qui vient sa cueue dévorer
Figurant l’astre du monde par ses tailles
Cest animal a en soy de grandz failhe
Est fort poisant respect sa magnitude
Comme la terre, aussi lubrique et crude
Un chascun an changeant peau et vielhesse
Que par raison des ans change jeunesse
Ainsi le monde et quant ce que son corps
Vient dévorer la divine action
Du monde vient produyre foybles et fors
Aussi défailhent par son extinction

Version 1553 :
Comment ils représentent le monde
Ils paignent un serpent mordant sa queue tavellé de plusieurs escailles par lesquelles ils veulent couvertement donner à entendre les estoiles dit le Ciel qui couvre le monde est orné. Aussi à dire vray cest animal n’est pas moins pesant que la terre & toutefois il est merveilleusement agile & couslant comme l’eau. Davantage ainsi que le serpent dépouille tous les ans avec sa peau sa vieillesse en cas pareil il faict l’année tournante, laquelle se produit par la circumvolution du ciel & se renouvelle par changement, comme s’elle (sic) rajeunissoit. Et quant à ce que le dict serpent se repait de son corps en lieu de substance, cela signifie toutes choses engendrées en ce monde par la providence de Dieu retournant de rechef en sa diversité si elles reçoivent certaine diminution.

Ed R. Estienne, 1530 :
Quomodo Mundum
Mundum scribere volentes Serpentem pingunt, suam ipsius caudam, distinctum variis squamis per quas Mundi astra figurant. Et gravissimum quidem hoc animal est pro magnitudine, quemadmodum terra, est etiam lubricum & in hoc aquae simile ac singulo quoque anno pellem cum senio exuit ; Secundum quam rationem & in mundo annuum tempus mutationem faciens iuvenescit. Quod vero pro cibo corpore suo utitur, significat idquaecumque divina providentia generantur in mundo, haec omnia in eundem diminutionem pati.

Sondage des mots (soulignés) repris du latin : Comment (ils signifient) le munde (sic).

En fait la formule sibylline - sans “ils signifient” - est l’exacte réplique du latin mais la traduction littérale est ici assez malheureuse : “Comment le munde”. On signalera plus loin une autre maladresse commise dès le rendu versifié du premier épigramme.

Quomodo Mundum.
Voulant le munde escripre et vénérer
Ung serpent paignent de diverses escailles
Distinct qui vient sa cueue dévorer
Figurant l’astre du monde par ses tailles
Cest animal a en soy de grandz failhe
Est fort poisant respect sa magnitude
Comme la terre, aussi lubrique et crude
Un chascun an changeant peau et vielhesse
Que par raison des ans change jeunesse
Ainsi le monde et quant ce que son corps
Vient dévorer la divine action
Du monde vient produyre foybles et fors
Aussi défailhent par son extinction

 

Le texte du DNH ne correspond pas aux traductions françaises susmentionnées, il recoupe la version latine sur des points absents des dites traductions. On l’a vu pour “Comment monde”, pour le titre du manuscrit plus proche du latin que l’édition de 1543 qui brode quelque peu.

C’est ainsi le cas de mots comme magnitude, raison, lubrique, qui ne figurent pas dans les versions françaises de 1543 et 1553. Signalons que notre sondage s’en tient strictement aux mots de même étymologie et qu’il faut aussi faire la part à un certain pourcentage de synonymes que nous ne comptabilisons pas pour la circonstance car cela ne serait guère concluant.

Un exemple remarquable du lien direct entre le manuscrit et le texte latin apparaît dès le premier épigramme :

1530 :
Quomodo aevum significant
Aevum aliter scribere volentes

1543 :
Comment & par quelles figures ilz signifioient laage & les ans du temps.
Pour ce quilz sont la reigle de compter & discerner le temps

DNH :
Comment ils signifioient Eternité
Ou aultrement faisoient l’aevum descripre

 

Le mot aevum (qui a donné en français “médiéval”) ne figure pas dans la traduction française de 1543 mais bien dans le DNH, ce qui est d’ailleurs peut-être une maladresse, voire un barbarisme si le terme n’était pas compréhensible par le lecteur. La traduction, au titre de l’épigramme, d’Aevum par Eternité ne nous semble pas non plus très heureuse, d’autant que le mot temps apparaît également dans le texte français : “Signifiant éternité ou temps”.

Un autre exemple de maintien d’un terme latin à côté de la francisation du lexique latin avec le mot fatum présent dans la version latine et dans le DNH mais absent dans la version française de 1543.

DNH :
Que voulent il (sic) signifier par l’estoyle
Signifiant Dieu ou la destinée
Revolud fatum (sic) ou le cinquiesme nombre

Latin (1530) :
Quid astrum scribentes significent
Deum significantes aut fatum aut quinquenarium numerum, astrum pingunt

1543 :
Quelle chose ilz signifioient par lestoille
Par l’estoille ilz signifioient dieu ou la destinér ou le cinquiesme nombre

Autre cas :

DNH :
Comment ilz signifioient la mort ou la fin ou interitus
A partir de Quomodo Interitum

 

On a un peu l’impression que le versificateur n’avait pas nécessairement le texte latin sous les yeux et dépendait d’un travail préalable de traduction opéré par quelqu’un d’autre et qu’il ne savait peut-être même pas, lui-même, ce que signifiait Aevum. C’est pourquoi si traduction il y a eu, forcément, à différents stades - du copte au grec, du grec au latin, du latin au français - on a ici une vraie pierre de Rosette ! - nous ne sommes guère enclins à qualifier le DNH en soi de traduction tant le terme n’y figure que par la marge, ce serait plutôt une adaptation versifiée, mais restant très proche de son modéle, comme l’atteste le choix des mots. Nous n'exclurons donc pas le recours à une traduction française non imprimée et qui aurait été mise, subséquemment, en rimes par un Nostradamus. Rappelons qu’au début du second Livre, dans l’épigramme sur l’estoile, deux versets du DNH ne correspondent à aucun texte connu, tant français que latin. Le dit DNH débute, certes, par un “Prologue du translateur”; comment cela s’harmonise-t-il avec la suite du document et notamment avec le titre qui n’évoque pas la traduction mais seulement la mise en rimes ? Quand on sait que la Paraphrase de Galien, elle, mentionne explicitement le nom de Nostradamus, en son titre, en sa qualité de traducteur mais le Prologue, lui, n’est pas signé du dit Nostradamus, ce qui est unique pour quelqu’un qui signe et date toutes ses Epîtres ! En tout état de cause, rien ne nous prouve que ce manuscrit soit réellement de Nostradamus, il a pu lui être attribué et en ce sens, il serait falsifié. Nous ne sommes en effet nullement convaincu de l’aptitude du dit Nostradamus à versifier de la sorte, dès lors qu’on ne lui attribue pas d’office les Centuries. Versification qui, soulignons-le, n’a pas grand chose à voir avec celles des Présages, si tant est d’ailleurs que les quatrains des almanachs soient de Nostradamus. Dans un cas, on a un texte d’un seul tenant qui est simplement quelque peu distordu par les exigences de la rime et le nombre de vers choisi alors que dans l’autre, celui des almanachs, on a affaire à une suite assez incohérente de formules lapidaires enchaînées selon les besoins de la dite rime. Dans un cas, on a une source en prose comportant un discours, un récit, un adage, un épigramme - à vocation prédictive non avérée - dans l’autre, celui des Présages, il s’agit d’un assemblage original certes mais discontinu, puisant il est vrai dans un réservoir oraculaire traditionnel. On dira, pour paraphraser une expression bien connue que dans un cas, c’est beau mais ce n’est pas de l’auteur et dans l’autre que c’est plus personnel mais que ce n’est pas de haute volée.

Quoi qu’il en soit, nous avons bien affaire à un processus de versification à partir d’une source préexistante comme ce fut très certainement le cas pour les quatrains centuriques, eux aussi pouvant avoir été réalisés à partir de textes latins ou de traductions proches des dits textes latins, comme d’aucuns l’ont laissé entendre, tel un Piobb, dans le Secret de Nostradamus (Paris, Adyar, 1927, pp. 18-19) :

“le texte français est une illusion (...) L’oeuvre toute entière doit être traduite en latin (...) Il faut savoir que Nostradamus transcrit son texte primitif latin à la façon dont un élève de sixième fait une version dans son ignorance ingénue. Traduisons donc ce vers par le procédé inverse - c’est-à-dire en faisant le thème à la façon dont l'élève qui sait mal le latin”.

Il ne faut pas sous estimer les facilités de passage du latin vers le français. Un nombre considérable de mots latins trouvent leur équivalent littéral en français, c’est-à-dire restent parfaitement reconnaissable tant et si bien que l’on peut aussi bien remonter du français vers le latin et dresser la liste des mots latins constituant le texte d’origine avec une grande probabilité que la grande majorité de ces mots ont leur équivalent. Si l’on avait recensé tous les mots latins pouvant correspondre à des mots français du manuscrit de l’Orus Apollo puis rechercher un texte latin comportant le plus grand nombre de ces mots, on serait évidemment arrivé à la traduction latine de Trebazio. De la même façon, il n’est pas impossible qu’en procédant de même pour les Centuries ou du moins pour certaines - car elles n’ont pas nécessairement été fabriquées toutes selon le même procédé - on obtiendrait le “profil” d’un texte latin devant impérativement comporter les centaines de mots ainsi répertoriés, à moins que cela n’implique plus d’un intertexte. Il ne resterait plus qu’à chercher si une telle matière textuelle latine existe, tâche que la numérisation des collections pourrait grandement favoriser.

Insistons sur un point de méthode : il ne suffit pas que tel texte se présente pour une traduction pour que cela en soit une ni qu’il ne le fasse pas pour ne pas en être. L’historien des textes doit juger par lui-même et avoir ses propres modes d’approche qu’il confrontera avec ce qu’on veut lui faire accroire, à commencer évidemment par la date de rédaction ou de parution.

Un tel passage de la prose aux vers n’est pas sans nous faire songer à Crespin dont les passages de certaines de ses oeuvres, qui se retrouveront dans les Centuries auraient fort bien pu avoir dans certains cas subi un processus de versification.

En ce qui concerne le mode de versification, si on prend le dizain, la forme la plus employée, on notera qu’il y a quatre rimes : deux fois deux et deux fois trois. Mais le texte d’un paragraphe latin peut donner ainsi lieu à deux paragraphes voire plus et donc à la création de nouveaux intitulés totalement absents de l’original latin.

C’est ainsi que le Quomodo Aevum significant est divisé, dans le DNH, en “Comment ilz signifioient Eternité” et “Que dénotoyent par le serpent Basiliq”.

Ou encore :

Quomodo peccatum est réparti entre
Comment ilz signifioient le péché
Que faisaient les anciens Roys par Orige
Que Orige n’estoit défendu aux prestres d’Egipte en manger.
Parquoy Orige est de telle nature.

Ou encore :

Quomodo iniustum et ingratum
Se répartit entre
Comment ilz signifioient l’homme injuste et jugeur
Parquoy les ungles du cheval de fleuve l’on métoit.

 

On notera qu’ici le titre latin a été traduit de façon moins succincte qu’en d’autres occasions, comme si la traduction française n’avait pas été assurée par une seule personne mais par deux, chacune ayant sa façon de rendre le latin en français, l’une se contentant du mot à mot et l’autre voulant respecter le mode du discours français.

On ne peut pas dire qu’un tel procédé soit très correct.

Inversement, dans le Second Livre de Orus Apollo, DNH va bien au delà d’une traduction et amplifie considérablement certaines formules sibyllines du texte latin tant et si bien que le DNH occupe un bien plus grand espace que le texte latin correspondant. Mais ne s’agit-il pas là d’un tout autre travail, pas nécessairement du à la même personne que pour le Premier Livre ? Le fait que le DNH soit de la même écriture ne signifie pas qu’il soit du même auteur mais que l’on ait là l’oeuvre d’un seul et même scribe / copiste, quand bien même serait-ce Nostradamus lui-même.

Quomodo Amorem
Laqueus amorem significat

Donne :

Comment ilz signifioient amour
Suivi de 8 versets !

Il est clair que nos analyses sur le passage du latin au français valent surtout pour le Premier Livre de l’Orus Apollo. Il est également possible que la source de la version française ne soit pas la même. “Je pense qu’il fault lire comme s’ensuit scelon l’exemplaire vieulx escript de main et ne faillires de la insérer ici”. (p. 118, version Rollet) Il se pourrait, en effet, que le texte latin soit incomplet voire inachevé dans le Second Livre, d’où le projet de le mener à bien en français : on n’est plus là dans le registre de la traduction ! En tout cas, la traduction française imprimée (1543) est le reflet de tels décalages et ne comporte pas les amplifications du DNH lequel refuse de descendre en dessous de quatre vers par épigramme, quand bien même le latin ne comporterait qu’une ligne.

Il nous apparaît que le DNH est une tentative d'achèvement de l’Orus Apollo ou qu’en tout cas sur un texte plus complet que celui ayant servi aux traductions latines et française imprimées que nous connaissons. Le versificateur a pu disposer d’un tel ouvrage ou bien est-il lui-même l’auteur de ces additions ? Apparemment, le versificateur aurait eu en main une version amplifiée et plus satisfaisante. Il est également difficile de déterminer si le modus operandi, tel que nous l’avons décrit, se situe au stade de la versification ou bien s’il correspond à un stade antérieur dont le versificateur aurait hérité. On notera que certains latinismes stylistiques - comme l’on parle de gallicismes - maintenus dans le DNH, comme nous l’avons montré - par exemple pour Quomodo mundum rendu par “Comment le monde” - mais aussi “Comment taciturnité”, “Comment une chose patente”, “Comment la volupté”, “Comment le cueur” etc. - attestent d’une certaine incurie au niveau de la traduction latine, comme si le travail dont se sert le versificateur n’avait pas encore été parfaitement peaufiné, ce qui ne fait sens, évidemment que dans le cas d’une traduction française puisque c’est de cela qu’il s’agit. En bref, nous avons du mal à croire que le travail d'achèvement, celui de traduction et celui de versification seraient le fait d’un seul homme. Et tout laisse en tout cas penser que nous sommes en face d’un ensemble encore incomplet à moins que le versificateur n’en ait eu cure et se soit contenté de versifier le texte français dont il disposait, sans trop se poser de questions, pensant ainsi, à tort, pouvoir présenter un ensemble satisfaisant.

Homme pendu au gosier

Edition J. Kerver 1543, Edition latine R. Estienne 1530 et Manuscrit Orus Apollo (version Rollet)
On note que le manuscrit fournit un développement sensiblement plus important

On ne peut donc qu’être surpris par la formule adoptée par Patrice Guinard :

“Quoi qu’il en soit, il n’y a aucune raison de penser que cette traduction soit le fait de Nostradamus. Certes le DNH et la traduction française comportent-ils certaines affinités, mais qui peuvent s’expliquer à partir d’un texte originel commun”.

Visiblement, Guinard n’aura pas remarqué - ou en tout cas pas signalé - à quel point les différences entre les moutures étaient considérables et qu’il ne s’agissait - loin de là ! - pas seulement de façons de faire des traducteurs. Il faut bel et bien conclure que nous avons affaire avec le Des notes hiéroglyphiques (DNH) à une version augmentée - dont on ignore s’il y eut un original latin - par rapport aux versions latines imprimées au début du XVIe siècle. Le travail de passage de latin au français, dans l’hypothèse où il aurait bien eu lieu, se produisit-il au niveau de la versification ou plutôt à celui d’un texte en prose utilisé pour ce faire ? Ce passage du latin au français est-il bien le fait du versificateur ? Il ne nous semble nullement certain que le versificateur ait eu accès au texte latin; entre les deux, il pourrait y avoir eu une interface, à savoir un travail de traduction voire d’amplification. Mais dans l’ignorance d’une telle interface, nous sommes conduit provisoirement à attribuer au versificateur un accès direct au latin, quitte à reprendre ce point à l’occasion.

Dès lors que le DNH ne dérive pas directement d’une édition française voire d’une édition latine imprimées, il n’est guère possible d’en fixer un terminus si ce n’est, comme le signale P. Guinard, que Jeanne d’Albret, à qui l’Epître est adressée, ne devint Reine de Navarre qu’en 1555, à la mort de son père. Mais en tant que fille du Roi Henri II de Navarre, elle pouvait fort bien avoir porté le titre de Princesse de Navarre, qui est utilisé pour l’Epître, avant d’en devenir la Reine et notamment avant 1541 quand elle fut mariée à 13 ans avec le duc de Clèves. Aulotte considére cependant une telle dédicace comme assez peu vraisemblable. Rappelons que Nostradamus dédiera à l’époux de la dite reine, Antoine de Bourbon, prince du sang, père du futur Henri IV, sa Pronostication pour 1557. Ne pourrait-il s’agir avec les DNH d’un cadeau de mariage pour la jeune Princesse convolant en cette année 1541 ? Dans ce cas, il est bien évident que le manuscrit ne serait, au mieux, qu’un brouillon - il y a de nombreuses rayures qui n’apparaissent pas dans l’édition Rollet - d’un ouvrage voué à être imprimé, probablement avec des figures correspondantes, probablement coloriées à la main comme ce fut le cas pour l’exemplaire du Kalendrier des Bergers offert à Charles VIII, dont certaines d’ailleurs ont été reproduites par Rollet, car - et l’exemple des Centuries n’est ici nullement pertinent - on conçoit mal une telle série sans illustration, encore que l’édition latine de 1530 n’en comporte pas. Cela dit, il s’agirait bien de l’écriture de Michel de Nostredame, ce serait la même que celle du manuscrit des prédictions d’almanachs dédié à Pie IV. Rollet affirme ainsi : “La comparaison avec les lettres de Nostradamus, avec la confirmation signée par lui de l’Almanach pour 1562 (vente Rigaud, 1931), avec l’autographe publié par Geigy (Bâle, 1925) et avec les actes notariés ne laisse pas le moindre doute quant à l’identification de l’écriture du mage de Salon”.13 Nous ne partageons pas cet avis, il nous semble au contraire que l’écriture du manuscrit de l’Orus Apollo mis en rimes n’est pas semblable aux autres documents que nous connaissons, qu’ils soient d’ailleurs eux-mêmes de Nostradamus ou non. Mais le seul fait que le nom de Nostradamus figure ne serait-ce qu’ une seule fois - la mention manuscrite en bas de la page de titre ne faisant que nous signaler la référence finale - où l’on notera une faute d’accord avec ce “traduict” qui ne s’accorde avec aucun mot au masculin singulier - fait, de toute façon, des DNH un document nostradamique à considérer, d’autant que le passage de la prose aux vers apparaît de plus en plus comme assuré en ce qui concerne les Centuries. Or, c’est bien ici le cas: un texte en prose imprimé, latin plutôt que français, “mis en rithme” en français.

L'enchaînement des adaptations

En conclusion, nous pensons que l’édition imprimée de 1543 est issue du même document dont se sert le versificateur mais qu’elle a été corrigée, tout comme elle le sera à nouveau pour l’édition imprimée de 1553. On aurait donc un corpus de quatre pièces, dont une est manquante et qui a servi à la fois à la versification et à l’édition de 1543, puis en 1553 une édition encore retravaillée sur le plan formel. En pratique, seule la pièce manquante est une véritable traduction, d’ailleurs très littérale, du latin, les autres n’en seraient que des adaptations : une pièce versifiée restée manuscrite mais restant très proche de la traduction de base et deux remaniements, avec des termes remplacés par d’autres moins proches de l’original latin, dès lors que changement il y a. Vient s’ajouter à cela, le fait que la version “Nostradamus” est sensiblement plus développée et cela est-il le fait du versificateur ou du modèle français qu’il transpose ? Mais si c’est le modèle qu’il transpose, pourquoi les éditions imprimées ne tiennent-elles pas compte, elles aussi, d’un tel matériau? Il nous faut donc conclure que certaines additions relèvent du versificateur à moins que le dit versificateur ne se serve d’une mouture en prose augmentée, dérivée de la traduction de base, ce qui ferait une cinquième pièce à considérer. On a là un véritable arbre généalogique !

Comme le note R. Aulotte, il y a, en tout cas, par trop de similitudes entre le texte “Nostradamus” et l’édition 1543 pour que, contrairement à ce que dit P. Guinard, ce soit le fait du hasard et que cela ne tienne qu’à une succession de traductions à partir d’un même texte latin. Mais nous ne suivrons pas Robert Aulotte quand il laisse entendre que le versificateur dépendrait de l’édition de 1543 car par quel miracle le manuscrit des DNH serait-il plus proche du latin que l’édition de 1543; comme c’est le cas ? C’est ainsi que les épigrammes des DNH sont numérotés - Rollet a fâcheusement, on l’a dit, supprimé la numérotation - ce qui n’est pas le cas des éditions françaises imprimées alors que c’est la règle pour les éditons latines et grecques. On ajoutera que l’édition de 1543 ne comporte pas en son titre apposée à Orus Apollo l'épithète “Niliacque” - remplacée par “De Aegypte” qui figure dans celui des DNH ainsi d’ailleurs que dans les éditions latines (1521, 1530) ainsi que d’ailleurs dans l’édition de 1553. Encore un indice montrant que les DNH ne dépendent pas de l’édition de 1543 mais qui pourrait laisser entendre que l’édition de 1553 si elle s’appuie sur celle de 1543 n’en a pas moins du se référer à une édition latine d’autant qu’elle cite en son titre Philippe le traducteur du texte de copte en grec, point qui ne figure pas dans l’édition de 1543.14

Paradoxalement, ce sont de tels “détails” qui peuvent nous aider à reconstituer la subtile chronologie des éditions. Un tel travail en histoire des traductions ne saurait être conduit à bien, si l’on n’a pas l’expérience des processus de traduction entre langues lexicalement proches comme le sont le latin et le français mais aussi entre le français et l’anglais ; comme on peut le voir dans le champ centurique. Nostradamus n’est pas le traducteur du texte qui sera repris en 1543 et qui offre des similitudes assez frappantes pour penser qu’il dérive du texte dont se sert Nostradamus et qui est plus proche de l’original latin. Mais on n’imagine guère, cependant, l’auteur du texte remanié de 1543 se servant du manuscrit versifié de Nostradamus en raison des additions qui s’y trouvent et qui ne figurent dans aucune version latine. L’auteur de l’adaptation de 1543 nous semble bien plutôt avoir utilisé la même source que Nostradamus, non pas latine mais française. On notera une valeur ajoutée assez faible d’une mouture à la suivante: maintien des mêmes mots lors du passage d’un texte d’une langue en une autre; réécriture et non retraduction. Il y a là un principe d’économie qui nous paraît essentiel en Histoire des textes et sans lequel d’ailleurs l’historien aurait bien du mal à remonter les pistes. Un tel principe tend à relativiser toute idée de poésie inspirée, du moins au niveau du signifiant. Car dans le champ textuel, l’originalité ne réside pas tant dans le choix des mots que dans l’usage qu’on en fait, en les recyclant. En ce sens, tout texte relèverait d’un recyclage, ce serait donc le commentateur qui serait plus déterminant que l’auteur qui n’est souvent qu’un plagiaire fatigué. Les interprètes de Nostradamus et de ses disciples sont plus inspirés qu’eux. Nous avons là une trilogie dans la gestion des textes : l’auteur, l'interprète et l’historien. Le premier fait du texte avec du texte, le deuxième fait dire au texte ce qu’il veut lui faire dire et le troisième restitue les différentes étapes de la carrière du texte. C’est dire que pour nous, il n’y a pas de texte “brut” ni d’auteur “brut”.

Les DNH et les Centuries

Texte à la fois amplifié mais néanmoins inachevé que les DNH, ce qui d’ailleurs nous rappelle que le “second volet” des Centuries comporte un quatrain inachevé, à savoir le VIII, 5215 :

Le Roy de Bloys dans Avignon régner
D’Amboise & seme viendra le long de Lyndre
Ongle à Poitiers sainctes aisles ruiner
Devant Boni.

 

Le premier verset, soulignons-le, est selon nous typiquement d’inspiration crespinienne - verset qui se trouve également - fait unique - également en tête d’un autre quatrain (38) de la même Centurie. Ce verset que l’on retrouve dans une oeuvre de Crespin - Demonstration d’une Comette, Lyon, Jean Marcorelle, 1571 - ne s’y trouve pas, selon nous, simplement commenté par Crespin mais bien façonné par celui-ci puis, par la suite, intégré - mais pas avant 1571 - dans un processus centurique.16 Ce verset, en effet, n’est pas commenté par Crespin mais tout au contraire résume sa position.17 On observera que ni Benazra qui pourtant s’interroge sur le privilège18 ni Chomarat19 qui signalent ce texte de Crespin n’ont signalé la présence de ce verset. Il est vrai qu’il y a vingt ans, on ne prenait pas la peine de rechercher des traces des Centuries en dehors des... Centuries. Ajoutons que la question de la façon dont certaines centuries20 ont été complétées est également un élément capital pour saisir l’évolution du corpus centurique.

Alors qu’il semble exclus de pouvoir reconstituer un texte d’un seul tenant à partir des (141) Présages, qui ne sont le plus souvent qu’un assemblage de formules, en revanche, les quatrains centuriques semblent avoir été produits de la même façon que les épigrammes de l’Orus Apollo, c’est-à-dire en changeant l’ordre des mots d’un texte en prose ou en recourant à des synonymes mieux susceptibles de rimer que ceux utilisés dans le texte source.

On imagine donc fort bien l’auteur des quatrains, quel qu’il soit, recopiant la Guide des Chemins de France ou un ouvrage du même type21 en se contentant de l’exercice consistant à le “traduire”, cette fois, en quatrains, la seule contrainte de la rime et du nombre de vers suffisant à produire oeuvre originale mais on est ici bien plus près de la versification voire de l’écriture automatique que de la poésie, ce qui nous conduit à penser que les quatrains centuriques, initialement, n’avaient probablement pas de vocation prophétique, pas plus et peut-être moins - vu que la matière en était moins noble - que l’Orus Apollo nostradamique. Certes, les Centuries, paradoxalement, seraient des épigrammes sans images22 mais les quatrains comportaient-ils un matériau leur permettant de se présenter comme des épigrammes à l’instar de l’Orus Apollo ? Mais à propos de considérations iconographiques, on rappellera que le corpus nostradamique n’en est pas exempt.23 La comparaison entre la tonalité des quatrains et celle des épigrammes du DNH ne plaide guère en ce sens et il nous semble donc tout à fait abusif - ce serait même là le fait d’un amalgame assez grossier - de présenter les dits quatrains comme tels; si ce n’est quant à leur seule présentation formelle. Ajoutons que de tels recueils d’épigrammes pouvaient servir sur un plan divinatoire, un peu à la façon d’un tirage de tarot (pour ne pas parler du I Ching) et il est fort possible que les quatrains centuriques, sous leur forme initiale, qui nous reste inconnue, aient aussi fait l’objet d’un mode de tirage aléatoire, éventuellement au moyen de dés, d’où leur numérotation et leur présentation en vrac. Mais n’est-ce pas là, au mieux, avec de tels quatrains, une forme abâtardie de l’épigramme bien impropre à correspondre à quelque image ? Reconnaissons que la recherche des sources des textes nostradamiques en vers est assez démystifiante et disons-le quelque peu décevante, sentiment que l’on éprouve également avec les devises de Saint Malachie - encore un exemple où l’image est absente ou plutôt évacuée - reprises d’une Histoire de la Papauté ou extraites de quelque chapitre de la Bible24 : on a bien du mal à croire que la veine prophétique puisse découler, s’écouler, d’un travail - d’une besogne - qui n’est pas sans présenter au pire un certain caractère de plagiat plus ou moins toléré et au mieux l’aspect d’un jeu (de salon) ou d’un hommage de courtisan, assez creux. Dans notre représentation du prophétisme, on s’attendrait plutôt à un jet spontané, compulsif, jaillissant des profondeurs de la psyché, à caractère onirique, et non pas à un recopiage consistant à faire entrer un texte assez indifférent dans un nouveau moule, dans une sorte d’ alambic; mais peut-être s’agit-il là - qui sait ? - d’une forme d’alchimie du verbe ?

Orus Apollo et le Tarot

Estoile

Cette figure de l’Orus Apollo (1543 et 1553)
pourrait avoir servi à la composition des arcanes du Tarot :
la Lune (XVIII) et le Soleil (XIX)

Estoile Lune Soleil

En tout cas, ces épigrammes égyptiens ont pu contribuer à répandre l’idée que le Tarot - figures dont le texte se réduit à un bref titre que l’on retrouve parfois dans ceux de l’Orus Apollo - le monde (arcane XXI), l’estoile (XVII), la force (XI), la mort (XIII), la tempérance (XIV) - lui aussi, était d’origine égyptienne.25

Orus Apollo

Pour le “mois”, deux images différentes, mais la même image pour le “mois” et l’“étoile”.

La façon dont les luminaires sont représentés sur ces figures est proche de celle du Tarot et des vignettes nostradamiques.26 Cela est vrai pour les arcanes XIX “Le Soleil” et XVIII “La Lune” qui, si on les place côte à côte semblent détachés d’une seule et même figure d’Orus Apollo version Kerver : “Quelle chose ilz signifioient pour l’estoille”, figure reprise pour illustrer “Comment ilz signifient les moys“, luminaires que l’on retrouve dans un autre décor dans la note intitulée (1543) “comment les Sages d’Egypte signifient le cours du temps”, ce qui pose d’ailleurs le problème de l’origine des dites illustrations adoptées par le libraire parisien. Encore que dans ce cas, nous pensons que ce sont plutôt les concepteurs du Tarot de Marseille qui ont emprunté aux illustrations des éditions Kerver (1543 et 1553) car les autres jeux de tarot ont adopté d’autres modes de représentation des luminaires. Un des cas les plus flagrants est probablement celui de l’arcane du Tarot, la Force (rendant en latin Fortitudo, qui signifie plutôt le courage, la force d’âme) qui semble littéralement reprise de l’Orus Apollo : “Pour signifier force, ilz paignoient le devant d’un lyon, pour ce qu’il a les membres de devant plus fors (sic) que les autres” (Ed. 1543).

Force Force

Sous la forme versifiée cela donne :

“Et puys la force voulant signifier
Tout le devand du lyon venoient paingdre
Car les parties devant spécifier
Sont bien plus larges que tout le corps à craingdre
Sa latitude du devant faict entendre
Vigueur et force au lyon apparoir
L’antérieure proportion vient rendre
Dénouter force comme ici pouvés voir”

On peut ainsi relier Nostradamus au Tarot ! Mais que faut-il entendre par cet “ici” dans le dernier verset : “comme ici pouvés voir” ?

En fait, il semble qu’il y ait un doublon car le hiéroglyphe précédent, dans le Ier Livre, campe également un lion mais cette fois pour signifier le “courage” : “Voullans signifier le courage paignent le lyon (qui) a la semblance du soleil” (du fait de sa crinière). Le Lion ainsi représenté, dans les deux cas, est assez semblable à celui de l’arcane XI, laquelle comporte en sus un personnage féminin ouvrant la gueule de l’animal tout comme il n’est pas sans évoquer le lion qui figure sur le coin droit en bas de l’arcane “Le Monde”. Quant à l’Arcane Le Monde, elle nous semble devoir prendre son origine dans la figure du même nom, dans les Hiéroglyphes d’Horus Apollon :

“Comment ilz signifient le monde. Ils paignoient un serpent mengeant sa queue diversifiée de plusieurs escailles qui représentent les estoiles etc.” (Ed 1543)

 

Monde Monde

On notera que les écailles du serpent sont remplacées dans le Tarot par des épis de blé, ce qui est le type même du contresens iconographique.

En revanche, pour la Tempérance (le dessin correspondant figurant dans l’édition Rollet n’appartient pas au manuscrit, lequel est vierge de toute illustration) le personnage ne correspond pas du tout On peut d’ailleurs penser que la Tempérance vue par l’Orus Apollo est la plus convaincante. Toutefois, dans le livre I, on trouve une autre représentation de la tempérance (“Comment ilz signifioient un homme fort vaillant & tempéré”) sous la forme d’un taureau (que l’on retrouve dans le Zodiaque) qui est “atrempé pour ce que quand la vache est preigne (enceinte) il ne fait compte d’y retourner” (pour la saillir). Il serait ainsi possible de concevoir un nouveau Tarot constitué de nouvelles illustrations empruntées aux publications des XVe-XVIe siècles au lieu de redessiner constamment autour des mêmes motifs. Toutefois, curieusement, l’édition de 1553 a remplacé Tempérance ou Atrempance par Chasteté mais en conservant la même figure.27 Mais c’est bien Temperantia qui figure dans la traduction latine de Bernardino Trebatio et qui est ainsi rendu tout naturellement par calque avant d’être remplacé par une forme plus ou moins synonymique. En tout état de cause, on sait que nombre des images représentées, notamment dans le second livre, dans les Hieroglyphica ne correspondent pas à des hiéroglyphes égyptiens. Dans un cas, celui des vrais hiéroglyphes, nous avons des images auxquelles on accorde des significations et dans l’autre, des caractéristiques que l’on représente par des images. Les figures des éditions de 1543 et 1553 sont-elles propres aux traductions françaises ? Nous ne les avons pas trouvées en tout cas dans les éditions latines ou gréco-latines des Hieroglyphica parues en France. En revanche, en 1597, paraîtra à Rome, chez A Zannetum, dans une édition greco-latine une sélection (Selecta Hieroglyphica) de figures assez proches de celles parues chez Kerver. Etrange fortune de ces figures de l’Orus Apollo que de se perpétuer jusqu’à nos jours, du moins quant à certains motifs, dans le cadre d’un jeu de cartes. On signalera l’intéressant travail de A. Turner Cory proposant pour figures des Hieroglyphica des hiéroglyphes tels qu’ils figuraient sur les monuments rapportés d’Egypte (The Hieroglyphs of Horapollo Nilous, Londres, 1840).

Temperance

Le mot TEMPERENTIA dans le texte latin de Bernardino Trebatio
(TEMPERANCE en 1543 et CHASTETE en 1553)

Temperance Temperance

Illustration de la Tempérance dans l’édition Rollet
et éditions 1543 et 1553 de l’Orus Apollo.
Dans le Tarot de Marseille, c’est un tout autre motif qui évoque le signe du Verseau

Tempérance

Une autre représentation de la Tempérance
au Livre I des Hieroglyphica

Le Tarot - comme le Zodiaque - constituent des séries hétérogènes et sans vocation systématique, sinon dans l’esprit de leurs commentateurs. La présence du Lion dans le Zodiaque a-t-elle un rapport avec l’arcane XI du Tarot ou bien est-ce l’inverse ? De même pour la Balance, figurant tant dans le Zodiaque que dans l’arcane VIII du Tarot et dont on sait qu’elle a été rajoutée au Zodiaque, aux dépens d’une partie - les Chelles - de la constellation du Scorpion. Il faudrait également se demander si les Gémeaux ne sont pas l’expression de la Concorde, telle qu’elle est représentée dans les Hieroglyphica : “Comment ils signifioient concorde : Deux hommes en habit de dignité signifoient concorde”. Même le signe du cancer pourrait avoir un lien avec cette série, en symbolisant la “seigneurie”, c’est-à-dire la domination sur autrui. “Comment ilz signifioient l’homme ayant seigneurie sur ceulx de sa nation. Pour signifier l’homme seigneuriant sur sa nation, ilz paignoient une langouste de mer etc” (1543) et dans l’édition de 1553 : “Ils paignoient un Carabe (sic) qui est une espéce de Cancre marin, autrement appelé langouste etc”. La liste est donc longue des correspondances entre signes du Zodiaque et Hieroglyphica : taureau, gémeaux, cancer, lion, qui se suivent. Il est peut-être temps de se demander dans quel cas c’est l’image qui prévaut sur le texte et dans quel cas c’est l’inverse : quelle est la fin, quels sont les moyens ? C’est ainsi que l’idée de force peut être signifiée autrement que par un Lion et qu’un Lion peut signifier autre chose que la force. On a trop souvent cru, dans le cas du Zodiaque et du Tarot, que c’était l’image qui venait en premier. Or rien n’est moins sûr : on pourrait concevoir un tarot avec d’autres images mais gardant les noms des arcanes. Nous avons là trois séries, le Zodiaque, le Tarot et les Hieroglyphica auxquelles il convient d’ajouter le Kalendrier des Bergers et aussi et surtout celui des Bergères.28 Dans quelle mesure le Zodiaque est-il issu du calendrier des activités sociales au cours de l’année dont certains éléments seraient ainsi simplement reproduits et dans quelle mesure reprend il des valeurs morales incarnées par certains personnages ? On voit que les Hieroglyphica pouvaient intéresser un Nostradamus astrophile.

Hieroglyphica et Zodiaque

GEMEAUX - CANCER - LION
Hieroglyphica et Zodiaque :
une piste qui est en paralèle avec celle du Kalendrier des Bergers

Jacques Halbronn
Paris, le 10 mars 2005

Notes

1 Cf. “Le système de codage de l’Orus Apollo (1541)”, Espace Nostradamus.
2 Cf. voir son Site logodaedalia et sur Espace Nostradamus.
3 Sur la question de la source française d’un texte, voir notre étude : “Réshit Hokhmah d’Abraham Ibn Ezra. Problèmes de traduction au Moyen Age” in Proceedings of the Eleventh World Congress of Jewish Studies, Jerusalem, 1994.
4 Cf. “D’Egypte en France par l’Italie : Horapollon au XVIe siècle” in Mélanges à la mémoire de Franco Simone (France et Italie dans la culture européenne), Genève, Slatkine, vol. 1, 1980, pp. 560 et seq.
5 Cf. Brochure Salon, op. cit., p. 35.
6 Cf. Bib Arsenal, 8° BL 32932, Numm 71415, et Département des Estampes, Site Richelieu.
7 Cf. BNF Réserve pZ 641.
8 Cf. fac simile de trois pages de titre in Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002.
9 Cf. reproduction de la page de titre du DNH in J. Allemand, Nostradamus et les Hiéroglyphes, Salon de Provence, La Maison de Nostradamus, 1996.
10 Cf. BNF, NUMM 71386.
11 Cf. Nostradamus. Interprétation des Hiéroglyphes de Horapollo, Reed. Marcel Petit CPM, 1993.
12 En fait la formule sybilline - sans “ils signifient” - est l’exacte réplique du latin Quomodo Mundum.
13 Cf. Nostradamus. Interprétation des Hiéroglyphes de Horapollo, op.cit. p. 9.
14 Cf. aussi Charles Lenormant, Recherches sur l’origine, la destination chez les Anciens et l’utilité actuelle des hiéroglyphes d’Horapollon, Thèse, Paris, 1838.
15 Cf l’édition de J. P. Clébert, Prophéties de Nostradamus, Paris, Dervy, 2003, pp. 898-899.
16 Cf. notre étude sur “néonostradamisme et précenturisme”, sur Espace Nostradamus.
17 Cf. notre communication “French antijudaism and the Avignon problem, at the eve of the Saint Barthélémy”, 14e congrès mondial des études juives, Jérusalem, 2005.
18 Cf. RCN, p. 99.
19 Cf. Bibliographie Nostradamus, pp. 65-66.
20 Cf. notre article sur les Centuries V, VI; VII, sur Espace Nostradamus.
21 Cf. notre “Evaluation de la clef géographique des Centuries”, Espace Nostradamus.
22 Cf. notre exposition à ce qui n’était pas encore la BNF, début 1994 Astrologie et Prophétie. Merveilles sans image, Paris, Bibliothèque Nationale.
23 Cf. notre récente étude sur le Kalendrier des Bergers et Nostradamus, sur Espace Nostradamus.
24 Cf. notre étude sur la prophétie des papes, à la rubrique Prophetica de l’Encyclopaedia Hermetica, Site ramkat.free.fr.
25 Cf. aussi Charles Lenormant, Recherches sur l’origine, la destination chez les Anciens et l’utilité actuelle des hiéroglyphes d’Horapollon, Thèse, Paris, 1838.
26 Cf. notre étude sur “le Kalendrier des Bergers et Nostradamus”, Espace Nostradamus ainsi que celle parue à la rubrique Tarotica, Encyclopaedia Hermetica, Site ramkat.free.fr.
27 Sur les rapports entre Hieroglyophica et lames du Tarot, voir Aeclectic Tarot Forum, http://www.tarotforum.net.
28 Cf. nos études sur Espace Nostradamus.

 

 

 

72 - Problèmes de chronologie centurique fictive
Par Jacques Halbronn

A plusieurs reprises, nous avons mis en garde à propos de la diversité des chronologies centuriques et toute idée d’une chronologie unique, consistant à ranger les éditions selon le seul critère de la date affichée de parution
On peut penser que la première occurrence d’une édition centurique ait été d’entrée de jeu antidatée, c’est Macé Bonhomme 1555 mais le reste de la série porte des dates situées dans les années 1588-1590.
Nous situerons les éditions parisiennes des années 1588 -1589 dans la ligne de Macé Bonhomme 1555. en ce qu’en la Ive centurie, elles s’y référent implicitement de par la mention d’une addition au-delà du 53e quatrain. Et de là nous passerons aux éditions de Rouen et d’Anvers (1589-1590) se référant à 1555 mais ne comportant plus d’indication d’addition à la Ive Centurie mais se référant in fine à 1555, comme on l’a noté.. Lors du passage de VI à VII centuries, on éprouva le besoin de se référer à une édition de 1561 comportant une addition au-delà de la Vie centurie, à savoir 38 puis 39 « articles ». On n’a pas gardé d’édition à 6 centuries et cela fausse quelque peu les perspectives. Mais le Janus Gallicus (1594) la prend en compte en citant le quatrain VI, 100 qui manque à toutes les éditions conservées, lequel quatrain précède un avertissement conclusif en latin.
A partir de ce premier train de centuries, dont il ne nous reste que deux éditions antidatées, celle se présentant sous la houlette de Macé Bonhomme et celle de la Veuve Buffet, datée de 1561 (collection privée, figurant dans le Catalogue Thomas Scheler présenté par M. Scognamillo), et qui annonce 38 quatrains à la VII. Mais on n’en a conservé que la page de titre, le contenu étant celui d’éditions antérieures ne comportant pas encore une telle centurie VII.
Ensuite, va se mettre en place, par dérivation, un second système centurique également à 7 centuries qui, lui, se donne pour point de départ 1556 mais qui utilise la même vignette que Macé Bonhomme 1555.
La seule différence notable avec le premier train concerne la centurie VII qui atteint voire dépasse les 40 quatrains alors que le premier train plafonnait à 39 quatrains à la VII si l’on s’en tient aux sous titres des éditions parisiennes (mentionnant une addition de 39 quatrains) et à l’état de l’édition Anvers 1590 à 35 quatrains.
Cette série se caractérise par l’adjonction d’un second volet, autour de 1593-1594, dont rend compte immédiatement le Janus Gallicus. Mais dans un premier temps, parait une édition à 40 quatrains à la VII avant cette date. On dispose d’une édition antidatée 1557 Lyon Antoine du Rosne (Bibl. Budapest), mais qui est précédée d’une édition 1556 Paris Olivier Harsy (disparue) qui sera souvent référée au XVIIe siècle dans la série des Vrayes Centuries et Prophéties, notamment les éditions d’Amsterdam 1667 et 1668. Ce faux se situe entre 1590 et 1593 et correspond au premier volet de l’édition Jaques Rousseau, Cahors 1590 (conservée à Rodez), à 42 quatrains à la VII comme l’édition Antoine du Rosne 1557 (Bibl Utrecht), on est ainsi passé de 40 à 42 quatrains à la VII.
Une autre édition antidatée suit qui date d’environ 1594 et qui comporte deux volets, l’un avec 42 quatrains à la VII, toujours chez Antoine du Rosne 1557, et l’autre, disparu, daté de 1558 et comportant l’Epitre à Henri II datée de cette même année 1558 et les centuries VIII-X. Le second volet de l’édition Cahors Jaques Rousseau, correspond à ce volume manquant, dont l’édition 1558 est la réplique antidatée. De là on passe aux éditions Benoist Rigaud datées de 1568, qui sont censées n’être que des rééditions (posthumes bien que la mort de Nostradamus n’y soit pas, par inadvertance, signalée) de l’édition censée parue 10 ans plus tôt, chez Antoine du Rosne, puisque le premier volet (Utrecht) annonce le second volet ne son titre.
On connait très peu de choses sur la genèse du second volet mais l’on peut situer une première occurrence de l’Epitre à Henri II autour de 1585 puisque cette date y figure en bonne place. Il n’est pas certain qu’elle ait été accompagnée dans un premier temps de centuries et de toute façon, on ne la connait que sous une forme retouchée comportant 1606 à côté de 1585, à commencer par le second volet de Cahors Jaques Rousseau, qu’il convient de ne pas dater de 1590, en dépit de la mention 1590 - comme c’est le cas pour le premier volet mais de 1593-1594, puisqu’elle comporte le second volet et un quatrain qui correspond au couronnement de Chartres (1594). On notera d’ailleurs des similitudes entre la décoration de la page de titre chez Benoist Rigault , au premier volet et celle de Cahors. Rigault ne reprend pas la vignette Antoine du Ronse.
Nous avons déjà abordé la question des pièces pouvant valider la parution de ces éditions que nous qualifions d’antidatées. Nous résumerons ici nos conclusions : les Prophéties du Seigneur du Pavillon sont posthumes. Etant donné que leur auteur n’est pas mort avant le début du règne d’Henri III, (1573-1574), on ne saurait donc utiliser ce document pour valider une circulation de la Préface à César en 1555. Mais, comme cet auteur fait montre, outre de l’adresse à César- qu’il cite nommément- d’une certaine connaissance d’une édition à 300-400 ‘ »carmes », il convient de situer cette édition dans le milieu des années 1580. En ce qui concerne le témoignage d’Antoine Crespin Nostradamus/Archidamus, auquel nous avons consacré une étude (in Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed. Ramkat 2002), la parution de vers et rarement de quatrains, que l’on retrouve dans les 10 centuries, ne pourrait en principe avoir eu lieu avant le milieu des années 1590 alors qu’on les trouve dans des pièces datées des années 1570. Ce Crespin signale par ailleurs dans d’autres textes l’Epitre à Henri II datée de 1558 (et non celle datée de 1556 en tête des Présages Merveilleux pour 1557), ce qui nous situe au plus tôt vers 1585 mais il n’en donne pas le contenu et l’on ne saurait exclure qu’une telle fausse épitre à Henri II ait pu circuler séparément avant d’être récupérée par le camp Bourbon dans les années 1580 puis placée en tête du second volet. On aura compris que le dossier Crespin est assez complexe et mérite d’être approfondi et creusé. Il pose le problème des sources des quatrains centuriques au sein de la littérature néo-centurique d’un Nostradamus le Jeune ou d’un Crespin, personnages dont on ne sait pas grand-chose. On ne peut exclure, cependant, que la dite littérature, fortement développée à l afin des années 1560 et dans le cours des années 1570, n’ait été récupérée dans les années 1580 pour composer les Centuries. On ne peut non plus exclure que ce néo-nostradamisme n’ait utilisé certains textes en prose de Nostradamus, dont une partie au moins semble avoir disparu, pour nourrir ses propres productions. C’est ainsi que le premier quatrain de la première centurie se retrouve aussi bien chez Nostradamus le Jeune, « metteur en lumière » des Prédictions des choses plus mémorables, Troyes, Claude Garnier (1571), BNF Res. R 2563), que dans les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation française de Crespin (1572). On notera la proximité des dates chez ces deux « nostradamistes ». Est-ce un hasard si Nostradamus le Jeune est publié à Troyes dans les années 1570, chez Claude Garnier et si son portrait est repris dans les éditions troyennes du siècle suivant, comme celle datée de 1605, mais cette fois pour présenter les centuries ? Au demeurant, cette date de 1605 est suspecte, elle correspond à celle de l’Epitre à Henri IV qui introduit le « troisiéme » volet mais il s’agit très probablement d’une édition antidatée, vers 1644, qu’il convient de situer au lendemain de la mort de Richelieu et de Louis XIII et donc au début de la régence d’Anne d’Autriche. Nous le savons en partie par un biais, à savoir la parution conjointe des Centuries et du Recueil de Prophéties et Révélations Modernes, faussement daté de 1611 et qui comporte une référence à l’an 1642, sans parler de la question du 101e quatrain de la Xe centurie- un cryptogramme visant l’an 1661, ce qui ne fait sens que pour Louis XIV dont la naissance inespérée date de 1638.( voir Vers une nouvelle approche de la bibliographie centurique, in Revue Française d’Histoire du Livre, 2011)



JHB
16.07.12

 
 

73 - Pour une réappréciation du rôle de Benoist Rigaud dans la production nostradamique
Par Jacques Halbronn

La production du libraire lyonnais occupe un volume entier du travail de Sybille van Gutlingen, Bibliographie des Livres imprimés à Lyon au seizième siècle[1] cela permet d’apprécier son engagement dans le champ « prophétique »- si l’on prend le terme dans un sens très large. Malheureusement, l’auteur prend les dates d’édition au premier degré, ce qui hypothèque singulièrement la valeur de son étude. On pense évidemment au cas des éditions marquées 1568, où elle va jusqu’à inclure les éditions comportant l’Epitre de Vincent Séve, datée pourtant de 1605. On s’intéressera également à l’étude[2] de Patrice Guinard sur les vignettes nostradamiques où il explique quelle a été l’influence de la vignette des éditions 1568 sur la littérature prophétique des années 1570-1580 alors qu’il s’agit de l’inverse. Comme d’habitude, Guinard fournit des arguments qui vont à l’encontre de ses positions...
Ce qui ressort par ailleurs, c’est que Benoist Rigaud s’est intéressé de près à la publication, dans les années 1570, tant d’ouvrages signés Antoine Crespin que de ceux portant le nom d’Antoine Couillard, Seigneur du Pavillon, deux personnages intimement liés au champ nostradamique, étant entendu que sous le terme « nostradamique », nous incluons tout ce qui touche de près ou de loin à Nostradamus, à l’instar du Répertoire Chronologique Nostradamique de Robert Benazra ( Paris, 1990)..
Nous avons déjà abordé le cas Couillard et apporté un nouvel éclairage, au vu notamment de la mention de sa mort à la fin des Prophéties du Seigneur du Pavillon, Paris 1556 mais aussi au vu du texte de son neveu, Moireau, à la fin des Antiquitez & Singularitez du monde du même Couillard, censées parues en 1557 à Paris dont Benoist Rigaud réalisa une « réédition » vingt ans plus tard (1578), mais sans le document Moireau lequel signalait assez clairement que Couillard n’était plus de ce monde :
« Sans lequel prochain & dernier labeur tu eusses (.) eu le plaisir des tiers & quart Livres des Antiquitez &Singularitez du monde qui ont este pour bedonner aux dictez quarts derniers desquels pourras facilement conjecturer qu’antes & quelles peines il a voulu porter pour gratuitement te rendre œuvres que tu consisteras non moins copieuses & en fruit abondantes qu’elles sont à noster république de bon exemple & très utiles & nécessaires »
Si Couillard est mort dans ces années 1556-1557, comment pourrait-il avoir publié en 1573 une Epitre à Henri de Valois, roi de Pologne ? Nous avons déjà relevé quelques anomalies. Nous y ajouterons le fait que le nom d’origine de l’auteur n’est pas Couillard du Pavillon les Lorris mais Coillard de Lorris comme cela est attesté dans l’édition de 1549 des Procédures Civiles, parues, chez V.Sartenas, à Paris mais aussi dans la réédition, à l’identique, par les soins de Benoist Rigaud, en 1571 puis en 1577, dont Couillard dit dès 1549 qu’il a « . Entrepris de nouvel revoir le petit œuvre de mon adolescence, pour l’amender, augmenter & corriger », ce qui fait naitre Couillard/Coulard sensiblement plus tôt que 1549, au moins trente ans plus tôt à vue de nez.
Benoist Rigaud édite les Antiquitez & Singularitez du monde en 1577 et, selon nous, parallèlement, sous forme antidatée, prétendument chez à l’enseigne de libraires de cette époque, Antoine Le Clerc et Jean Dallier, avec un avis du neveu de Couillard dans l’édition de 1557 qui ne figure pas dans l’édition 1577. C’est chez ces mêmes libraires que paraissent prétendument en 1556 les Prophéties du Seigneur du Pavillon alias Antoine Couillard. En ce qui concerne les Procédures Civiles, on a également un binôme (1549- 1577) mais dans ce cas il s’agit d’une réédition d’un ouvrage bel et bien paru à la date indiquée ce que prouve d’ailleurs le fait que le nom de Du Pavillon Les Lorris n’y figure pas et que l’on trouve Coillard de Lorriz et non Couillard. Il est vrai qu’en 1549, Couillard écrivait dans le Prologue, repris en 1578, de ses Procédures Civiles : « J’ay (…) entrepris de nouvel revoir le petit œuvre de mon adolescence pour l’amender, augmenter & corriger » Tout se passe comme si l’on partait d’une publication réelle à partir de laquelle on brodait. On verra qu’il en a probablement été de même pour le cas Crespin.

En ce qui concerne le vrai Crespin, il nous est signalé qu’il fut un proche du Comte de Tende - il en aurait été le médecin - si l’on en croit le titre d’une pièce avec lequel Nostradamus entretint des relations assez compliquées, Prognostications avec ses présages pour l’an 1571 ; Paris, Robert Colombel. Ces mentions disparaitront des autres publications auxquelles le nom de Crespin est attaché. On note aussi qu’il est indiqué « Crespin dict Nostradamus, de Marseille » et pas encore « Crespin Nostradamus, ». Cet ouvrage au demeurant assez primaire techniquement nous semble être la matrice d’autres ouvrages où l’on trouve la forme « Crespin Nostradamus » et ce dès l’année suivante comme dans cette Démonstration d’une Comette (…) par M. Antoyne Crespin Nostradamus ». Entre temps, si l’on peut dire il n’est plus médecin du Comte de Tende mais il est carrément attaché au service du Roy de France , c'est-à-dire Charles IX. On note aussi que cette édition des Pronostications avec présages comporte en sa page de titre un quatrain qui ne serait, selon Benazra (RCN, p. 95) qu’ »une combinaison des quatrains X,1 et VIII, 29. On retrouve de telles combinaisons dans les adresses de la Prophétie dédiée à la Puissance Divine et à la Nation française, ouvrage daté de 1572. Ne peut-on penser que l’on est en face de documents qui auront servi, plus tard, pour la composition des quatrains des Centuries, tous volets confondus ? Mais est-ce à dire qu’une telle pièce comme la Prophétie sus nommée est bien parue en 1572, à Lyon, chez François Arnoullet ? Nous tendrions à penser que la seul œuvre authentique de Crespin serait celle parue chez Colombel. On a vu qu’il est alors désigné comme Crespin dict Nostradamus. Il n’en aura pas fallu davantage pour créer toute une série autour d’un Crespin Nostradamus ou Archidamus, mais sans le « dict ». Mais nous pensons que cette série est parue à la même époque que l’édition Benoist Rigaud de 1594, puisqu’elle lui emprunte un grand nombre de vers issus des 10 centuries. On notera que Benoist Rigaud avait publié plusieurs textes sur les Turcs, thème que l’on retrouve chez Crespin à commencer par ses Prophéties dédiées à la puissance divine. On y trouve cette adresse « A l’astrologue du Roy de France (…) par l’astrologue du grand Turc.
En 1566, paraissait chez Rigaud une Epistre envoyee de Constantinople au grand maitre de la religion à Malte, contenant comme l’entreprise du Grand Turc qu’il avoit faicte de retourner à Malte est rompue (Bib. Municipale de Besançon). Rappelons que Crespin était lié au Comte de Tende, amiral du Levant, donc de ce qui touchait notamment la Méditerranée.
Revenons en à l’édition Benoist Rigaud 1568 et observons que cette floraison d’éditions, dont les variantes ont été recensées par Patrice Guinard, ne sera suivie d’aucune réédition, ne serait-ce que d’un seul volet, qu’une vingtaine d’années plus tard –et encore sans l’intervention de Rigaud- si l’on s’en tient aux bibliographies sur le sujet (Ruzo, Chomarat, Benaza, Guinard (cf son dossier in Revue Française d’Histoire du Livre, 2008). Qu’est ce qui a bien pu se passer après une telle effervescence. Et si l’on considère le cas du second volet, avec l’épitre à Henri II, il faudrait encore attendre que le même Rigaud publiât, cette fois, en 1594 voire en 1596, à nouveau, reprenant ainsi la main à la veille de sa mort, l’ensemble complet, à peu près à l’identique, comme si une partie importante des Centuries –VIII-X- s’était éclipsée pendant ce laps de temps puis était réapparu tout soudain.

C’est ainsi que Guinard nous explique, par le biais des vignettes, représentant un bras tendant un globe, quelle fut la fortune des dites vignettes tout au long précisément de ces 20 années vides de centuries. En fait, pour comprendre la portée de ce motif sur la page de titre du premier volet des « Prophéties », et pourquoi l’on ne reprend pas la vignette des éditions 1555 à 1558 (dont une partie (1556 et 1558) en fait nous manque), il faut savoir que ce motif est fréquent dans diverses éditions néo-nostradamiques dont certaines parurent du fait du dit Rigaud lequel aurait finalement abandonné – on se demande bien pourquoi- Nostradamus pour ses imitateurs, ce qui évidemment pourrait s’expliquer du fait de la mort du dit Nostradamus si ce n’est qu’en 1568, Nostradamus était déjà mort du moins à condition toutefois que cela se sût. On sait que ces éditions ne le signalent pas, par quelque inadvertance mais cela vaut aussi pour toutes les éditions des Centuries des années 1580-1590, encore que la Préface à César datée de 1555 se présente comme une sorte de testament, ce qui à la limite pourrait laisser croire à un public non averti, que Nostradamus serait décédé à peu près à cette date, tant la présence de la mort semble l’imprégner....
Nous avons exposé plus haut la thèse selon laquelle Benoist Rigaud aurait élaboré dans les années soixante dix la méthode de la double édition qu’il développera dans les décennies suivantes à savoir une édition correctement datée du moment réel de parution et l’autre antidatée chez des libraires ayant exercé par le passé, à l’instar d’un Jean Dallier et d’un Anthoine Le Clerc.
Mais revenons sur la question des vignettes. On sait que le même motif utilisé pour décorer le premier volet des Prophéties Rigaud 1568 se retrouve par exemple sur la page de titre des Prédictions des choses plus mémorables (..) mise (sic) en lumière par M. Michel de Nostradamus le Jeune. Troyes, Claude Garnier au début des années 1570. Benoist Rigaud en reprenant ce motif s’inscrit dans la continuité du nostradamisme des années 1570. Et il est donc astucieux de sa part d’utiliser ce même motif pour une édition antidatée pour 1568. A contrario, l’on sait qu’existe un autre courant de faussaires de la littérature nostradamique qui a utilisé une vignette que l’on retrouve dans la Paraphrase de Galien sur l’exortation de Ménodote, chez Antoine du Rosne- ouvrage traduit par Nostradamus dont le nom figure au titre pour orner les éditions Macé Bonhomme et Antoine du Rosne mais qui se trouve aussi sur les faux almanachs parisiens de Barbe Regnault (cf infra). Un tel procédé semble peu adroit : on remplace la marque de Macé Bonhomme par une marque nostradamique, ce qui semble assez improbable, surtout quand on sait qu’elle ne correspond pas à celle qui figure sur les pronostications annuelles du moins les authenthiques.
Nous pensons que cette différence de vignette n’est pas à négliger. Il est possible que dans un premier temps, on assiste à un grand retour de Nostradamus qui vient contrer une période néonostradamique dans laquelle Rigaud est très impliqué. Ce retour se démarque de la vignette spécifique à ce néonostradamisme. Quant à Rigaud, assez tardivement, il va à son tour, dans les années 1590, rejoindre ce revival tout en s’efforçant d’inscrire son édition des Centuries dans le cadre du néonostradamisme de la fin des années 1560, avec l’usage de la vignette de rigueur. Il récupère pour ce faire l’édition Antoine du Rosne en deux volumes 1557-1558 (Bib Utrecht, pour le premier volet).
La production de faux liée à Nostradamus de son vivant ou au lendemain de sa mort ne se comprend que si l’on se place, a posteriori, du point de vue rétrospectif des années 1580-1590 sur cette période. Dans les éditions Rigaud, qui se situent dans une logique posthume – d’où la date de 1568 (alors que Nostradamus est mort en 1566)- à aucun moment Rigaud ne laisse entendre que les Prophéties sont parues du vivant de Nostradamus, même s’il ne signale pas qu’il est mort mais on peut supposer que cela se savait – en tout cas cela n’a rien à voir avec le fait de produire des éditions censées parues du vivant de l’auteur. En ce sens, Rigaud choisit d’ailleurs la date de 1568 parce qu’il a connaissance de publications posthumes bel et bien parues à cette date comme ces Prédictions pour vint ans continuant d’an en an (…) extraictes de divers aucteurs trouvee en la Bibliothèque de nostre defunct dernier decédé (..) Maistre Michel de nostre Dame (..) reveues &mises en lumière par Mi. De Nostradamus le Jeune, Rouen, Pierre Brenouzer. 1568 (BNF Res pV 715 (1)

Dans la bibliographie sus nommée de Sybille van Gutlingen consacrée à Benoist Rigaud (n°395) est mentionnée, pour l’année 1567 (ouvrage non localisé), une Pronostication annuelle et perpétuelle composée et pratiquée par les expers anciens et modernes astrologues et médecins comme Joseph Le Juste, Daniel, le prophete Eschas, Léopold d’Antioche(sic), maistre Estienne de Prato, Fabry et plusieurs autres et jusqu’à présent observée et approuvée par maistre Nostradamus, docteur en médecine sur la sterilité, fertilité et gouvernement d’une chascune année à l’advenir .
On est là au lendemain de la mort de Nostradamus. Il convient de classer cette pièce (22p) parmi toutes celles qui se référent à des documents trouvés dans les papiers, dans la bibliothèque de Nostradamus, à sa mort mais ce titre diffère des autres par la mention « observée et approuvée par maistre Nostradamus ». On peut penser que cette mention aura été par la suite supprimée. On note aussi la précision « annuelle et perpétuelle » qui est également peu attestée et qui confirme notre thèse, à savoir que l’on extrayait couramment pour présenter un pronostic annuel un texte d’un ensemble beaucoup plus vaste, quitte à l’ajuster quelque peu. Par là même, nous comprenons à quoi peut renvoyer l’expression « livres de prophéties » dans la Déclaration de Videl ou celle de « vaticinations perpétuelles » qui y est attachée dans la Préface ad Caesarem Nostradamum..
Il convenait de rappeler que Benoist Rigaud n’est pas, contrairement à certaines apparences, l’artisan du revival Nostradamus articulé sur des centaines de quatrains, dont d’ailleurs nombre d’entre eux sont dues à un pillage en règle de la production néo-nostradamique – ce qui laisse supposer une certaine conflictualité entre Rigaud et certains libraires parisiens (et rouennais) qui ont mis à mal la mouvance néo-nostradamique dans laquelle Rigaud avait beaucoup investi [3], y compris d’ailleurs dans la sortie probable d’un recueil des quatrains des almanachs, sous le nom de « centuries »[4], le dit recueil étant censé paru en 1568 (déjà !) chez le dit Rigaud (cf les Bibliothèques de La Croix du Maine et de Du Verdier, 1584-1585). Voilà pourquoi le fait de positionner une édition Rigaud en 1568 constitue un énorme contresens pour l’histoire du nostradamisme au XVIe siècle. Rigaud aura en fait pris le train du centurisme prophétique en marche, il est l’ouvrier de la onzième heure et en même temps, par le biais du néonostradamisme, il aura fourni les matériaux du dit centurisme prophétique et probablement contribué directement à l’élaboration du second volet centurique (VIII-X), notamment en puissant dans la production d’un Crespin dont les Prophéties dédiées à la puissance divine auront certainement été largement utilisées. Cela concerne aussi des enjeux politiques, si l’on admet que les centuries VIII-X sont du côté du parti anti-ligueur et annoncent la victoire des Bourbons sur les Guises. Quant au Janus Gallicus, il est publié, à Lyon, par Pierre Roussin, un proche de Rigaud et contribue fortement à l’intégration en un seul corpus des quatrains des almanachs et de ceux des deux volets. Rappelons[5] que Jean Aimé de Chavigny –sous ses initiales, avait figuré peu avant, dans l'Almanach des Almanachs le plus certain pour l'an MDXCIIII de Cormopéde, paru chez Rigaud, lequel publie un certain astrologue du nom d’ Himbert de Billy (1577,1578, 1596). Quant à Crespin, il publie, entre autres, chez Rigaud, son Epistre à la Royne mère du Roi (1573) et son Epistre et aux auteurs de disputation sophistique (1578). Rigaud accorde aussi beaucoup d’intérêt (1572, 1574, 1589) au Livre Merveilleux (à ne pas confondre avec le Mirabilis Liber)[6] Dès 1566, était paru chez Rigaud le Vray Pronosticq fait par le maistre disciple de Nostradamus pour l’an 1567. Rappelons que le néonostradamisme- sous toutes ses formes, y compris sous celle de faux almanachs de Nostradamus- n’avait pas attendu la mort de Nostradamus pour se développer, ce qui relevait de la concurrence entre les libraires, prêts à tout pour conquérir des parts de marché...Ce même phénoméne de récupération est à observer pour les 58 sixains qui sont pris aux Prophéties (..) présentées au Roy Henry le Grand pour ses estrennes en l’an 1600 d’un Noel Morgard, imitateur de la poésie prophétique nostradamique[7], mais sans les clefs qui se trouvent in fine. Cas étonnant que celui de ces imitateurs pillés en vue de constituer un socle contrefait de leur source !.
Revenons sur la question Couillard- Crespin. Dans le cas Crespin, nous avons signalé l’étrange évolution de la présentation du personnage. Au minimum, il aura été instrumentalisé par un libraire qui modifie sensiblement son profil, notamment en faisant disparaitre la forme « Crespin dict Nostradamus ». Il faut peut être en rester là dès lors que l’on admet que c’est Crespin qui a été plagié et non l’inverse. Il en est, en revanche, tout autrement dans le cas Couillard. D’abord, parce que le fait qu’il se réfère et à trois quatre cents carmes conjointement avec la mention du nom de César, ne permet qu’une seule explication, à savoir que le texte prend acte de la parution des premières centuries, de la première partie du premier volet (soit trois centuries et demie, en gros).Or nous excluons toute parution de ce premier lot avant le milieu des années 1580, soit environ 30 ans après la parution prétendue de 1556 des Prophéties du Seigneur du Pavillon. On ne connait pas la date de la mort d’Antoine Coilard/Couillard. On a signalé son Epitre lors de l’avènement d’un Valois à la couronne de Pologne en 1573 (et Rigaud est un de ceux qui la publie avec Nyverd). Selon nous, ces ouvrages portant la mention pour les Prophéties du Sgr du Pavillon, 1556 ou – pour les Antiquitez et Singularitez du monde, 1557- dans les deux cas chez les mêmes libraires avec les mêmes présentations, ne prétendaient pas être parues à ces dates là mais y avoir été achevés, du fait de la mort même de leur auteur. C’était d’ailleurs en cela une contrefaçon puisque les dites Prophéties ont emprunté à des données propres aux années 1580. On peut d’ailleurs supposer que Couillard ne serait mort qu’à la fin des années 1570 et que l’on ait retrouvé, parmi ses « papiers » – comme l’indique le document Moireau (figurant à la fin des Antiquitez 1557)- une liste de manuscrits plus ou moins achevés, ce qui n’est pas sans évoquer, d’ailleurs, le cas de figure de Nostradamus. On est donc bel et bien dans une configuration posthume comme les aime Rigaud, la mention de l’année étant à prendre comme pour la Préface à César datée de 1555 laquelle comporte une tonalité nettement posthume : « après la corporelle extinction de ton progéniteur ». il est vrai que la mention, pour Couillard de deux libraires de l’époque va un peu loin dans la reconstitution. Il semble cependant qu’une telle pratique « réaliste » ait existé puisqu’on la trouve aussi pour Macé Bonhomme et Antoine du Rosne, contenant la dite Préface « posthume » à César.On retrouve la même pratique au XVIIe siècle avec une édition datée de 1605, du fait de la date de l’Epître à Henri IV, laquelle édition est très vraisemblablement antidatée. De même, trouve-t-on au XVIIe siècle des éditions se présentant carrément comme dues à Benoist Rigaud en 1568 et comportant la dite Epitre de 1605. Même l’édition perdue datée de 1558, ne l’était probablement que du fait de la date de l’Epitre à Henri II. Autrement dit, il n’est même pas certain qu’il y ait eu une seule édition des Centuries que l’on ait réellement voulu faire passer comme datant réellement des dates indiquées en page de titre. En ce sens, l’édition Rigaud 1568 pouvait paradoxalement apparaitre comme la plus ancienne, les éditions antérieures n’étant que des reconstitutions faussement d’époque, comme le serait une pièce de théâtre de Corneille ou de Racine traitant de l’Antiquité ou de Shakespeare du Moyen Age. Que l’on nous entende bien, ces documents n’en sont pas moins, dans bien des cas, des faux comportant des éléments anachroniques, comme dans le cas Couillard qui en 1556 ne pouvait avoir pris connaissance des Centuries. Mais ces ouvrages ne prétendent cependant pas être parus à la date indiquée. En ce qui concerne les Contreditz du même Couillard, que l’on connait dans une présentation 1560 L’Angelier, on serait en face du même phénoméne rétroactif. On nous objectera que de telles éditions avaient peu de chances de se vendre. Nous ne pensons pas que cela ait fait probléme : il devait exister un public habitué à de tels montages de type faux ancien. Les nostradamologues, pour la plupart, ont pris tout cela à la lettre en affirmant non seulement que ces ouvrages étaient parus à la date indiquée mais en ne percevant pas le caractère fallacieux de leur contenu, soit un double échec. Quant à Benoist Rigaud, son ancienneté dans la carrière lui rendait aisée toute reconstitution plausible des années 1550 ou 1560, ce qu’il fit sinon pour Nostradamus du point pour Couillard. Mais ce faisant quelle aurait été son intention ? Apporter un témoignage en faveur d’une publication des Centuries dès les années 1550 ? Nous pensons que ce serait plutôt la personne chargée de parachever le manuscrit de Couillard qui aura cru bien faire- en imaginant l’auteur réagir à la sortie des Centuries de Nostradamus en 1555 en croyant cela vraisemblable au vu des dates d’édition ;
Reste la question de la datation de la Paraphrase de C. Galen, censée parue dans les années 1550 comme les Prophéties Du Pavillon. Deux possibilités : ou bien l’on aura choisi de mettre sur la fausse édition Antoine du Rosne 1557 (Budapest) la vignette attestée pour une publication de Nostradamus ayant réellement existé ou bien tant la Paraphrase que les Prophéties sont des éditions antidatées, la vignette étant empruntée à un almanach Nostradamus Barbe Regnault, par inadvertance. On note une anomalie dans la présentation de la page de titre de la dite Paraphrase, à savoir la façon inhabituelle de signaler le nom de Michel Nostradamus sans le faire précéder au moins de l’initiale M. pour maistre : Paraphrase (…) traduict (sic) de Latin en Françoys par Michel Nostradamus. Même les faux almanachs et les fausses Pronostications Regnault/ Bessaut ne manquent pas à la régle. La forme sans marque préfixale est le propre de la littérature antinostradamique et l’on sait à quel point les faussaires ont emprunté aux « haineux » de Nostradamus à commencer par la Déclaration des abus, ignorances & seditions de Michel Nostradamus de Laurent Videl, qui inspira la rédaction de la Préface en fournissant des textes par ailleurs perdus, comme dans le cas du Monstre d’Abus de Jean de La Daguenière qui servit à suppléer, dans le Recueil des Présages Prosaïques, la disparition des Présages Merveilleux pour 1557 (ouvrage retrouvé depuis).
On imagine mal, au demeurant, que les almanachs Barbe Regnault des années 1560 aient repris une vignette ayant déjà servi tout comme on imagine mal Nostradamus utilisant deux vignettes différentes. Nous pensons qu’un certain modus vivendu avait du s’instaurer, exigeant que la production parisienne de contrefaçons se servît d’une autre présentation à commencer par une autre vignette mais aussi par la présence d’un quatrain sur la page de titre des almanachs, que les éditions authentiques ne font jamais, une pratique que reprendra d’ailleurs un Antoine Crespin – quatrain mais aussi sixain- dans les années 1570, pour certaines de ses Epistres, à commencer par l’édition Colombel qui correspond à une des premières publications connues de cet astrologue, alors encore présenté comme le médecin du comte de Tende, Amiral du Levant.. D’ailleurs, la vignette de la Paraphrase est beaucoup plus semblable à celle des almanachs et pronostications Barbe Regnault que l’ édition Antoine du Rosne des Prophéties (Bib. Budapest) qui a un format plus réduit, comme si l’on avait coupé, retaillé une partie de la vignette, ce qui est une pratique assez courante. Cela montre que la vignette Budapest a été reprise d’une vignette plus large et qui plus est inversée. En revanche la vignette de .l’édition Du Rosne (Bib. Utrecht), qui annonce deux volets, et celle de la Paraphrase sont très proches des dites productions Regnault. Toujours est-il que Rigaud aura préféré ne pas utiliser de vignettes représentant un personnage à son bureau, se contentant de représenter des mains et une sphère, ce qui pourrait être constitué d’éléments de la vignette type Regnault et de ses dérivés.
 


 


JHB
20. 07. 12

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[1] . Tome XII Benoist Rigaud 2009 Koerner, série In Répertoire bibliographique des livres imprimés en France au seizieme siècle
[2] (Corpus Nostradamus 55, site cura)
[3] Voir « Giffré de Réchac et la naissance de la critique nostradamique au xVIIe siècle», numérisé sur propheties.it
[4] Vers une nouvelle approche de la bibliographie centurique, in Revue Française d’Histoire du Livre, 2011
[5] Voir sur internet Nouvelles recherches sur l’affaire Chevigny/Chavigngy
[6] Sur cet ouvrage, cf Le texte prophétique en France, Formation et fortune, à télécharger depuis propheties.it, cf aussi SUDOC
[7] Voir nos Documents inexploités sur le phénomene Nostradamus, Ed Ramkat 2002

 

 

74 - Le problème de la réunion des volets centuriques à la fin du XVIe siècle
Par Jacques Halbronn


Nous aborderons ici un sujet qui nous semble avoir été largement négligé, à savoir celui des différences non pas de contenu mais de présentation entre le premier et le second volet d’éditions se présentant, quant à leurs pages de titres respectives comme d’un seul tenant. Ce n’est là en fait, pensons-nous, qu’un replâtrage superficiel.

Nous avons déjà signalé l’importance qu’il convenait d’accorder aux deux volets de l’édition datée de 1590 produite à Cahors par Jaques Rousseau et nous reviendrons notamment sur les observations de Patrice Guinard à ce sujet en nous référant notamment à l’édition Antoine du Rosne 1557 de la Bibliothèque d’Utrecht ainsi qu’aux éditions Benoist Rigaud 1568. Malheureusement, comme l’on sait, on ne dispose pas du second volet qui devait accompagner l’édition Du Rosne 1557 et datée de 1558, mentionnée au titre de toute une série d’éditions du XVIIe siècle.
La comparaison des pages de titre des premiers volets tant de Du Rosne que de Rigaud ou de Rousseau montre bien qu’on y annonce déjà le second volet par la mention « adioustées de nouveau par le dict Autheur » . A contrario l’édition Antoine du Rosne de la Bibliothèque de Budapest ne comporte pas pareille mention car elle ne prévoit qu’un seul volet. Nous sommes donc entrés, ici, dans le monde des éditions à deux volets.
Etant donné que l’on ne dispose plus de l’Epitre à Henri II dans la version 1558 Du Rosne, il ne nous est pas possible de déterminer si celle-ci est plus conforme à Rousseau 1590 ou à Rigaud 1568. Nous avons montré que l’édition Rousseau était antérieure à Rigaud 1568 du fait de la juxtaposition dans la dite Epitre des années 1585 et 1606 (cf fol A II) alors que chez Rigaud, la phrase est mieux articulée avec le redoublement du mot « année » : ‘ mesmes de l’année 1585 & de l’ année 1606 ». Selon nous, l’édition Cahors correspond à un basculement temporel, lié au dépassement et au report de l’échéance initiale de 1585 vers une nouvelle échéance. Cette information manque pour du Rosne Utrecht, ce qui ne nous permet a priori de dater sa fabrication. On note que l’édition Rousseau ne comporte pas de mots entièrement en majuscules comme c’est le cas pour Du Rosne Utrecht et Rigaud 1568, coutume que l’on retrouve en 1594 dans le Janus François. (Iani Gallici facies prior). Dans notre série « Analyse » (62) sur Espace Nostradamus, « La question des éditions pseudo-rigaldiennes et l’édition de Cahors », nous montrions que

le second volet était probablement antérieur au second, l’un comportant des mots en majuscules et l’autre non. Or, pour nous, la présence de majuscules dénote une édition plus tardive. Le second volet Rigaud 1568 avec ses majuscules pour certains mots est donc plus récent, comme nous l’avions observé pour 1585/1606. Une fois de plus, on ne peut rien dire concernant le second volet absent de Du Rosne Utrecht. On note que Du Rosne 1557 de la Bibliothèque de Budapest ne comporte pas de mots en majuscules alors que Macé Bonhomme 1555 en comporte.
Tout cela fait de Du Rosne 1557 Budapest – pour le premier (et unique) volet- et de Rousseau 1590 pour le second volet seulement (faute de disposer du second volet Du Rosne Utrecht), un ensemble qui semble correspondre à un état antérieur à celui des autres éditions des Centuries.
Quelles conclusions tirer d’un tel état des choses ? Qu’en dehors de Du Rosne Budapest, toutes les autres éditions datées 1555, 1557, 1568 datent au plus tot du temps des éditions à 10 centuries en deux volets, ce qui ne saurait être antérieur à 1594 et que Cahors second volet est la plus ancienne mouture connue du second volet, le premier volet Cahors étant une pièce rapportée marquée par la pratique janussienne des mots en capitales. Dans le cas d’éditions à deux volets, on observe en effet une différence de conception et de présentation et ce n’est qu’au siècle suivant que les éditions offriront une véritable unité formelle. Cela donne à penser que les deux volets auront connu, du moins pendant un certain temps, des carrières séparées. Au départ, seules les pages de titre confèrent un semblant de continuité entre les deux volets. On peut aussi se demander si les centuries VIII – X étaient ainsi nommées au départ ou si cela n’a pas été rajouté par la suite.
Prenons le cas, au hasard, du reprint d’une édition 1568 (ed. M. Chomarat, Lyon, 2000), est- ce que Chomarat note les différences entre les deux volets : pourquoi les centurie VIII et X sont-elles pourvues, en leur titre, de grands caractères et la Centurie IX de petits caractères sur le modèle des centuries I à VII, comme si la centurie IX avait été recomposée ? Or, le quatrain IX 46, selon nous a été retouché pour comporter le mot Chartres, cathédrale du couronnement d’Henri IV. Pourquoi le chapeau de la Préface à César est en lettres droites et celui de l’Epitre à Henri II intégralement en italique ? C’est l’inverse pour les chapeaux des centuries : en lettres droites pour le second volet –sauf pour la centurie IX et en italiques pour le premier volet. On a vu plus haut que les deux volets de l’édition Cahors Rousseau différaient sensiblement dans leur présentation.
L’examen du second volet Rousseau montre qu’il est postérieur au second volet Rigaud en ce qu’il a déjà intégré le décalage de la centurie IX. Néanmoins, l’état de l’épitre à Henri II du même second volet est antérieur à celui des éditions Rigaud. Cela s’explique par des ajustements partiels, que nous avons souvent pu observer (notamment chez Antoine Besson avec des épitres très anciennes combinées avec des quatrains tardifs), si bien que l’on peut dire qu’au sein d’un même volet, l’on ait plusieurs états d’un texte. Il convient de dissocier la question des épitres de celle des quatrains.

Nous ne disposons évidement pas d’un grand nombre de cas mais l’on peut regretter que Patrice Guinard n’accorde pas à cette question des disparités entre les deux volets des multiples éditions Rigaud 1568 quelque importance et l’on pourrait en dire autant de Chomarat ou de Benazra qui ne fournissent aucune information à ce sujet, ce qui exige d’ailleurs un certain appareil iconographique. Tout le travail de description des éditions centuriques à deux volets du XVIe siècle est donc à compléter et à parfaire. On note ainsi que les exemplaires des bibliothèques de Grasse et de Pérouse (cf. propheties.it) ne comportent pas de disparité au niveau de la centurie IX, ce qui indique que ces éditions sont plus tardives que l’édition reproduite par M. Chomarat ( Fonds Michel Chomarat de la Bibliothèque de Lyon, cote A 6587), ce qui confère d’autant plus de valeur à cet exemplaire, sans que Chomarat n’en ait conscience.
Si l’on compare avec une édition du siècle suivant, comme Troyes Chevillot (reprint Nice Bélisane 1982, refonte Paris Delarue 1866), d’ailleurs assez proche de Rigaud 1568, on note une plus grande unité formelle au niveau des dix chapeaux des centuries. En revanche, la Préface à César est en italique, sauf pour le chapeau et inversement pour l’Epitre à Henri II. Bien entendu les disparités au niveau de la centurie IX ont disparu.
Il est plus que probable que le second volet Antoine du Rosne, qui a disparu, comportait de telles disparités par rapport au premier volet.
Pour l’édition Rousseau (voir sur propheties.it), les quatrains du premier volet sont en police droite et ceux du second volet en italique. En revanche, le chapeau de la centurie IX ne diffère pas.

En revanche, il nous faut insister sur le fait que la date de 1590 qui figure sur l’édition Rousseau sur le modèle du premier volet est des plus douteuses à moins d’admettre que l’on ait modifié la centurie IX sans changer la date d’édition d’origine du second volet. Dans les éditions Benoist Rigaud 1568, la date ne figure que sur le premier volet.
Nous avons eu tort de ne pas envisager plus tôt cette éventualité : ce n’est pas parce qu’un élément d’une édition peut être daté par rapport à tel événement que cela nous indique ipso facto quand cette édition a commencé à paraitre. Il faut faire la part des interpolations et nous pensons en avoir apporté la preuve pour la centurie IX qui semble avoir été modifiée, en témoigne son chapeau, dans toutes les éditions conservées, à moins que le second volet Utrecht ait conservé un état antérieur de la IX avec certains quatrains modifiés. C’est peut être faudrait aussi vérifier si les éditions Rigaud – Benoist et Héritiers- des années 1590 comportent cette même particularité.
On ne suivra évidemment pas P. Guinard quand il écrit[1] à propos de l’édition de Cahors « Cette édition ne reproduit pas "les éditions" de Benoist Rigaud comme l'indique Ruzo, mais plus précisément la première édition Rigaud, l'édition X[2] L'édition Rousseau cherche visiblement à restituer le texte authentique des éditions lyonnaises, en réaction contre les éditions précédentes (1588-1590), tronquées des trois dernières centuries ». Il n’y a pas d’éditions tronquées sous la Ligue mais d’éditions non encore augmentées d’un second volet.
Nous proposons donc de considérer l’exemplaire Lyon Chomarat comme correspondant à un second état du second volet, étant entendu que l’on ne dispose pas du premier état qui comporterait une centurie IX non modifiée. Il est possible que parmi toutes les éditions Rigaud 1568, on en trouve qui correspondent à Lyon Chomarat. Nous n’avons pu effectuer un tel recensement. En revanche, en ce qui concerne l’Epitre à Henri II, l’édition Rousseau du second volet a conservé un état antérieur à celui des diverses éditions Rigaud 1568, y compris Lyon Chomarat. Mais Lyon Chomarat nous apporte une information précieuse au regard de la genèse du second volet d’autant que les éléments concernant la dite genèse sont beaucoup plus pauvres que pour le premier volet. Il a probablement existé une première édition du second volet antérieure au couronnement d’Henri IV, cet événement ayant conduit à retoucher la centurie IX. On peut situer cette première édition autour de 1590, si l’on s’en tient aux dates de l’édition Rousseau. En revanche, le contenu de cette édition Rousseau s’il est le plus ancien en ce qui concerne l’Epitre à Henri II a été toilettée par la suite pour les Centuries. Par ailleurs, l’édition Rousseau nous enseigne que l’Epitre à Henri II a été elle-même retouchée par l’adjonction de l’an 1606 – année qui est largement détaillée au niveau des positions planétaires dans le cours de la dite Epitre. Il s’agit là d’additions à un état antérieur de l’Epitre de 1558 – mais pas forcément des centuries VIII-X- qui pourrait remonter aux années 1570, si l’on en croit le témoignage de Crespin [3]et pas forcément associé au départ au nom de Nostradamus, avec pour perspective l’an 1585 et pas encore l’an 1606.
On s’interrogera, pour finir, sur le cas de l’édition du Rosne Utrecht dont on ne possède que le premier volet. Cette édition nous semble très proche du premier volet de l’édition Cahors 1590 avec 42 quatrains à la VII et l’avertissement latin (fautif Cantio au lieu de Cautio, qui sera rétabli au XVIIe siècle), sans le quatrain 100 à la VI mais on pourrait aussi la faire dériver du premier volet d’une édition Rigaud antidatée à 1568. Mais quid de cette vignette au titre qui ne figure ni dans les éditions Rigaud ni chez Rousseau ? Cela tient bien évidemment à la volonté de constituer une édition parue du vivant de Nostradamus et proche dans son apparence des almanachs de Nostradamus. Malheureusement, les faussaires prirent modèle sur les faux almanachs de Nostradamus, produits par Barbe Regnault, dotés d’une vignette distincte de celle des vrais almanachs de Nostradamus. Bien pis, en prenant modèle sur des éditions à deux volets, ils ont par inadvertance indiqué dès le premier volet daté de 1557 (maladresse grossière probablement déjà commise dans l’édition disparue Harsy 1556) qu’il y avait déjà un second volet à paraitre évidemment l’année suivante. Les faussaires qui devaient produire les 2 volets pour des dates différentes n’ont pas compris que le titre du premier volet avait été remanié pour annoncer le second volet. On est là en plein anachronisme. Cette bévue est soulignée par l’existence d’une édition Du Rosne 1557 Budapest qui ne comporte pas, quant à elle, l’annonce du second volet, probablement parce que celui-ci n’était pas encore programmé – une édition proche de l’édition Anvers 1590 si ce n’est qu’elle comporte 40 et non 35 quatrains à la VII. On peut penser que Du Rosne Utrecht n’a donc pas pris modèle sur Du Rosne Budapest, d’une part parce que l’on n’aurait pas commis l’erreur, dans ce cas, au titre du premier volet, et d’autre part parce que les vignettes seraient semblables. Or, la vignette Du Rosne Budapest est tronquée alors que celle de Du Rosne Utrecht ne l’est pas. Idem pour la Préface à César qui est abrégée dans Rosne-Budapest. On n’y trouve pas notamment « prends donc ce don de ton père M. Nostradamus espérant toy declarer (Besson « à toy déclarer ») une chacune prophetie des quatrains (Besson : une chacune des Prophéties & quatrains) icy mis » Donc elle dérive d’une autre source en amont comme la Paraphrase de C. Galen également censée parue chez Antoine du Rosne, et qui pour nous est également antidatée. Rappelons aussi que Du Rosne Budapest ne comporte pas de mots en capitales à la différence de Du Rosne Utrecht.
Mais cette observation concernant un premier volet qui annonce déjà en son titre le second volet vaut aussi, non seulement pour la série Benoist Rigaud 1568 mais pour l’édition Cahors Jaques Rousseau si ce n’est que la dite édition ne prétend pas que le premier volet est paru avant le second et notamment avant 1558, date de rédaction de l’Epitre à Henri II.. Cela signifie que le premier volet qui porte mention de l’année 1590 annonce déjà le second volet, lui-même daté 1590. On rappellera que 1590, c’est l’année de parution d’une édition à un seul volet, à Anvers, chez François de Sainct Jaure, qui n’en est même pas à 40 et évidemment pas 42 quatrains à la VII. On voit mal comment en la même année, on aurait pu en arriver à une édition à 2 volets, dont un premier volet à 42 quatrains. Selon nous, il convient de postdater cette édition Cahors (Caors (sic) à deux volets vers 1594, au plus tôt, d’autant qu’elle comporte un second volet plus tardif que l’édition Rigaud 1568 (Bib. Lyon Chomarat). Le fait que le second volet comporte un état ancien de l’Epitre à Henri II ne suffit pas à cautionner globalement l’ancienneté du dit volet car cet élément a pu être récupéré d’une autre édition.
Nous avons déjà établi trois états successifs des centuries du second volet :
1 les trois centuries avec une centurie IX non retouchée au quatrain 86 ( peut être Du Rosne Utrecht 1558, perdue)
2 Une édition retouchée comportant un chapeau différent pour la IX (Ed 1568. Lyon Chomarat)
3 .Une édition comportant des chapeaux identiques pour toutes les centuries (Ed Cahors 1590)
Ces trois stades impliquent une certaine durée pour se déployer. On ne peut plus ici dissocier les deux volets, quelles que soient les différences entre les deux volets lesquels sont diffusés conjointement. On ne connait aucune édition à 42 quatrains à la VII qui ne soit jumelée avec un second volet. L’ajout de 2 quatrains à la VII est concomitant à l’adjonction d’un second volet. Jusqu’à 40 quatrains, on reste dans une logique à un seul volet, ce qui ressort clairement de la comparaison entre Du Rosne Budapest et Du Rosne Utrecht.(en dépit de l’absence du second volet, néanmoins présent par le biais de la page de titre du premier volet).
Reste le cas assez particulier de Macé Bonhomme 1555 qui correspond à un véritable premier volet de 4 centuries, qui sera augmenté de 3 centuries pour arriver à six puis à sept. Le fait que cette édition Macé Bonhomme comporte des mots en capitales ne nous permet de la situer avant les années 1590. Mais pourquoi, nous objectera-t-on aurait-on pris la peine aussi tardivement, alors que le premier volet a atteint les 7 centuries de publier cet état antérieur à 4 centuries ? Nous pensons que l’on était là dans une logique de deux volets au sein du premier volet, ce qui ressort des marques d’addition dans les éditions parisiennes au-delà du 53e quatrain de la IV. Il vaudrait mieux en fait parler de trois volets que de deux : I-IV (53), IV(54)- VII et VIII-X. Ce n’est en fait qu’au XVIIe siècle que l’on intègrera réellement les deux premiers volets en un seul pour en ajouter d’ailleurs un nouveau, introduit par l’Epitre à Henri IV. Or, il nous semble que la notion de volet n’était pas- notamment sous la Ligue- fonction d’une épitre spécifique. C’est là une convention qui a été posée par la suite. Il est bon de rappeler ici que le « premier volet » à quatre centuries a connu une vie propre et que l’on n’est pas arrivé immédiatement à 53 quatrains à la VII. On connait deux stades :
1 une série de quatrains non divisés en centuries et atteignant 349 (cf. exemplaire Rouen 1588, pour l’instant non accessible)
2 une édition à 4 centuries, dont la IV à 53 quatrains (reprise dans Macé Bonhomme 1555), ce qui donne un total de 353 quatrains (addition notamment de IV, 46). Précisons aussi que le second volet à 7 centuries a d’abord été un second volet à six centuries, ce qui explique d’ailleurs son sous titre. « dont il en y a trois cents qui n’ont encores iamais esté imprimées », ce qui en fait concerne les centuries IV, V et VI. L’addition d’une septième centurie n’est pas signalée au titre des éditions à deux volets type Rigaud 1568. Cette mention figurant au titre (mais pas au contenu) des éditions parisiennes aurait du être reprise mais cela n’a pas été le cas : « reveues & additionnées par l’Autheur (..) de trente neuf articles à la dernière centurie ». On ne connait d’ailleurs pas d’édition avec une septième centurie à 38 ou à 39 quatrains mais on aurait pu mettre à jour et indiquer « quarante » puis « quarante-deux » « articles » à la dernière centurie ». En fait, l’intitulé de tous les premiers volets, depuis Du Rosne Budapest jusqu’à Rousseau 1590 restera incomplet et décalé par rapport au contenu jusqu’à ce qu’au XVIIe siècle, on, abandonne le sous titre du premier volet dans les éditions troyennes de Pierre du Ruau (ce n’est pas encore le cas pour Chevillot, qui reste calqué sur Rigaud) ainsi que dans la série des Vrayes Centuries et Prophéties.(à partir de 1649-1650), encore que la série Rigaud avec l’ancien intitulé au premier volet ait continué à paraitre parallèlement...La réunion, à la suite l’une de l’autre des deux épitres à César et à Henri II ne se fera que tardivement. Il y eut mêmes des tentatives pour les éliminer toutes deux en les remplaçant par la Vie de Nostradamus (cf. Les Vrayes Centuries Rouen 1649 et Les Vrayes Centuries et Prophéties, Leyde 1650) mais en 1667, à Amsterdam, chez Daniel Winkermans, la série en question les réintégre en les plaçant à nouveau en tête de chaque volet mais sans page de titre séparée avant que l’année suivante, 1668, une autre édition hollandaise, chez Jean Jansson a Waesberge etc. sous le même titre, place en tête la Vie et l’Epitre à Henri II, en évacuant la Préface à César. L’édition anglaise de 1672 sépare nettement la partie en prose et la partie en quatrains en regroupant en tête la Vie, la Préface et l’Epitre à Henri II ainsi qu’une Apologie (reprise de Giffré de Réchac, dans son Eclaircissement de 1656). En 1689, sous le même titre de Vrayes Centuries et Prophéties parait à Cologne, chez Jean Volcker, une édition où les deux épitres sont à nouveau respectivement placées en tête des deux volets, tout en adjoignant à la Préface la Vie. Enfin, dans les années 1690, le libraire lyonnais Antoine Besson réunit en tête, toujours sous le même titre, des versions fort différentes des deux épitres avec successivement la Vie, la Préface et l’Epître, modèle qui se perpétuera en 1710 à Rouen chez Jean Baptiste Besongne. On sait qu’au XVIIIe siècle, à partir de 1716 et de la Régence, les éditions Pierre Rigaud antidatées à 1566 reprendront les anciennes dénominations fautives à deux volets séparés, sans recourir à la Vie de Nostradamus (issue du Janus Gallicus), dans une sorte de retour aux sources.
 

JHB
21.07. 12

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[1] Cf Corpus Nostradamus n°70
[2] (cf. Corpus Nostradamus 71
[3] Cf nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, ed Ramkat, 2002

 

 

75 - Le classement chronologique des versions de la Préface à César
Par Jacques Halbronn

Il est clair que nous entendons par « classement chronologique » tout autre chose que le fait de noter les dates de parution des diverses éditions centuriques : une méthodologie totalement dépassée et exigeant des compétences limitées. Il s’agit ici de classer les documents en mettant de côté la chronologie « apparente ». Non pas que nous mettions systématiquement en question la valeur des dates figurant sur les pages de titre mais bien plutôt que nous sommes intéressées par les sources véhiculées par une édition donnée comme dans le cas de l’édition Garencières ou de l’édition Besson pour le XVIIe siècle.
On ne s’intéressera donc ici qu’aux textes en prose qui renvoient à une certaine normalité du discours qui n’est pas du tout aussi évidente pour les quatrains et les sixains, du fait des licences poétiques et d’une certain fantaisie dont il est bien délicat de s’essayer à en fixer les limites.
Nous commencerons par nous interroger sur un point qui apparemment semble ne pas poser problème à savoir la comparaison entre l’édition de Rouen 1589 et l’édition d’Anvers 1590 ; qui comportent des titres identiques : Grandes et merveilleuse prédictions, le mot Prédiction renvoyant aux Prophéties Perpétuelles comme on peut l’observer quand on étudie ces recueils s’étendant sur plusieurs années, souvent associés à un certain Nostradamus le Jeune. (cf. nos études à ce sujet). On privilégiera la Préface à César du fait qu’elle est commune à la plupart des éditions centuriques, ce qui n’est pas le cas pour l’Epître à Henri II. Cela dit, notre corpus n’a aucune vocation à être objectif mais nous développerons ici une méthodologie qui pourra être appliquée par d’autres chercheurs sur d’autres versions.

La comparaison entre Rouen 89 et Anvers 90 nous conduit aux observations suivantes. Déjà au titre, on note qu’Anvers 90 utilise davantage le latin que Rouen 89 :
Rouen ; Préface de M. Michel Nostradamus à ses Prophéties. Ad Caesarem Nostradamum filium, Vie et félicité
Anvers : Préface (…) Ad Caesarem Nostradamum filium, Vitam ac foelicitatem.
Pourquoi un tel usage du latin qui n’est attesté dans aucune autre édition à notre connaissance. Est-ce que l’on a traduit du français au latin ou bien est-ce le latin qui, dans les autres moutures, aurait été traduit en français mais dans ce cas pourquoi pas toute l’adresse. D’ailleurs, il est rare que la formule latine soit reprise par les nostradamologues quand ils parlent de la « Préface à César ». Pourquoi d’ailleurs un tel mélange de français et de latin au sein même du titre d’une Préface ?
La question qui se pose évidemment est de vérifier si les différences entre Rouen 89 et Anvers 90 s’arrêtent là, à part le fait qu’Anvers utilise à la base l’italique, pour la préface et la police droite pour les citations à l’inverse de Rouen en rappelant que l’édition Rouen 89 est tronqué en ses dernières feuilles, ce qui ne permet pas de savoir combien de quatrains elle a à la VII ni si son colophon est identique, ce qui est probable. On ne peut pas non plus comparer avec Rouen 1588, dont aucune copie ne circule présentement.
A présent, comparons les dernières lignes des deux éditions et nous verrons qu’Anvers est beaucoup plus correct que Rouen, en dépit du fait que l’on ait pu croire, a priori, qu’Anvers faisait suite à Rouen 89 et en était une réédition. Or, un tel cas de figure nous semble pouvoir et devoir être exclu.
Rouen 89 : « Faisant fin, mon Fils, prends donc ce don de ton père Michel Nostradamus, espérant toy (sic) déclarer une chacune prophetie des quatrains icy mis. Priant au Dieu immortel que tu (sic) veuilles prester vie longue en bonne prospere félicité »
Anvers : « Faisant fin (mon fils) pren (si) donc (abrégé) ce don (abrégé) de ton (abrégé) père Michel Nostradamus, esperant te déclarer une chacune prophetie des quatrains icy mis. Priant au Dieu immortel qu’il te vueille prester vie longue bonne prosperité & félicité »
Force est de constater que les variantes ne manquent pas entre deux éditions appartenant à la même série et parues coup sur coup. Le texte de la version Rouen 89 laisse beaucoup à désirer à commencer par cette formule assez aberrante : Priant au Dieu immortel que tu veuilles prester vie » (la forme du verbe à la deuxième personne du singulier exclut toute erreur de lecture). On notera que la version Rouen 89 sur ce passage ne se retrouve dans aucun des éditions de notre petit corpus, y compris dans Pierre Ménier, 1589, à Paris. Mais on ne retrouve non la formule latine d’Anvers 1590 « Vitam ac foelicitatem » que dans la traduction anglaise de 1672 : « The Preface to M. Michael Nostradamus His Prophecies Ad Caesarem Nostradamuum Filium vita & Felicitas, si ce n’est qu’on un nominatif et non un accusatif.. A la fin, l’anglais donne « hoping to expound to thee every Prophecy of thses Stanza’s, praying to the Immortall God that he would grant thee a long Life in Felicity » alors que dan Anvers 1590, on trouve « qu’il te vueille prester vie longue bonne prosperité & félicité », à la différence de « vie longue en bonne et prospére félicité « ce qui est attesté partout ailleurs. Une seule exception chez Besson (c 1690) qui oublie « longue » et se contente de « vie », ce qui ne fait guère sens.
Raisonnablement, du fait du crédit que nous accordons à la traduction anglaise qui comporte un état très pertinent de la Préface à César que ‘l’on ne retrouve que chez Besson, nous aurions tendance à penser que la version d’origine devait être « Ad Caesarem Nostradamum Filium vita & Felicitas » et non un mélange franco-latin. Il faut rappeler que la forme « Grandes et merveilleuses prédictions » est probablement plus ancienne que la forme « Prophéties » mais que les éditions parisiennes ont certainement influé sur Rouen 1589 qui en est un toilettage, notamment pour la centurie IV qui n’y comporte plus de marque d’addition.
On pourrait aussi s’interroger sur la date du 22 juin 1555 figurant sur Rouen 1589 tout comme dans Anvers 1590 alors que l’édition P. Ménier 1589 (et toutes les éditions parisiennes des années 1588-1589) comporte Ier mars 1557. Quid du ier mars 1555 ? Il ne semble pas que cette date du Ier mars (laissons de côté les éditions antidatées qui sont toutes alignées sur le Ier mars 1555) apparaisse avant l’édition Cahors 1590 qui est déjà une édition à deux volets. Etrange compromis : on prend 1555 d’une version et Ier mars de l’autre. La forme « 22 juin 1555 » nous semble assez satisfaisante. Notons qu’elle se rapproche étrangement du 27 juin (1558), date de l’Epitre à Henri II et c’est peut être pour cette raison qu’elle sera décalée lors de la mise en circulation des éditions comportant les deux épitres.
Au crédit de l’édition Anvers 1590 – dont on rappellera qu’elle ne comporte que 35 quatrains à la VII- ce qui est probablement un état plus ancien que les éditions à 38, 39, 40 ou à 42 quatrains à la VII- une constructions plus heureuse de la dernière phrase :
Esperant te déclarer une chacune prophetie des quatrains icy mis. Priant au Dieu immortel qu’il te vueille prester vie longue bonne prosperité & félicité ». Le « te déclarer » est plus correct que le « toy déclarer » attesté partout ailleurs et fait pendant à « te vueuille prester vie ». En tout cas, c’est là une variante à relever. Mais on trouve au début d’Anvers 1590 « toy délaisser mémoire » et non « te délaisser mémoire » ce qui laisse entendre que les deux expressions se valent.
On notera aussi que, dans Anvers 1590 ; « mon fils » est mis entre parenthèses : « Faisant fin (mon fils) etc », ce qui nous semble confirmer qu’il ne s’agit pas là d’on ne sait quelle initiative du libraire anversois qui avait à n’en pas douter une autre source que Rouen 1589 en tout cas pour la Préface. On notera que ni Rouen ni Anvers ne recourent à des mots en capitales. Ce n’est pas encore la mode.
En conclusion, nous dirons qu’aucune édition n’est irréprochable. Il semble que nous ayons des textes hybrides mais comportant parfois des informations précieuses sur la genèse du corpus. Ce ne sont pas tant les erreurs qui nous intéressent ici ou les reprises des mêmes données déjà en circulation mais bien les variantes quand celles-ci ne semblent pas dues à quelque inadvertance ou à on ne sait quel zèle de l’éditeur voulant réformer le texte selon son seul jugement. C’est à l’historien des textes de faire la part des choses. Il est clair que, par le biais de ces observations, un certain nombre de contrefaçons se voit mises en évidence. On pense à deux points tout particulièrement : la question de l’exergue en latin de la Préface et la date de la dite Préface. Nous pensons que l’on peut considérer que la première (fausse) édition – car nous sommes là dans une chronologie largement fictive- devait comporter en exergue intégralement en latin et que la date de la Préface était probablement à l’origine fin juin 1555. Mais comment dans ce cas pourrait-on avoir un achevé d’imprimer au 4 mai 1555.(Macé Bonhomme) ? Tout simplement parce que l’édition Macé Bonhomme 1555 a été réalisée alors que la date du Ier mars 1555 avait été finalement adoptée en rappelant que les mots en capitales de la dite édition la situent au plus tôt au milieu des années 1590. Cette étude vient compléter nos travaux consacrés à la Préface à César, au regard de la traduction anglaise et de l’édition Besson. Rappelons notamment que nous avons montré qu’il manquait à la phrase « Et depuis qu’il a pleu au Dieu immortel que tu ne sois venu en naturelle lumiere dans cette terrenne plaige » la formule suivante « que tardivement » sans quoi la phrase ne fait pas sens. Et ce n’est pas « depuis » qu’il faut lire mais « puisque ». Le puzzle permettant de reconstituer la première version de la Préface à César aura donc, il nous semble, franchi un pas de plus. Il est probable que la préface à César de l’édition Anvers St Jaure 1590 soit semblable à celle de l’édition Rouen du Petit Val 1588 qui est introuvable pour l’heure et dont les quatrains ne sont pas encore centuriés, et ce en dépit du titre « divisées en quatre centuries »/.
Quelques mots, puisque nous en sommes à l’édition des Grandes et Merveilleuses Prédictions, Anvers 1590, sur la portée des dernières lignes de la dite édition : « Fin des Professies de Nostradamus réimpriméés de nouveau suivant l’ancienne impression imprimée (sic) premièrement en Avignon par Pierre Roux, Imprimeur du Légat en l’an mil cinq cens cinquante cinq », information qui devrait avoir figuré sur Rouen 1589- mais la fin est tronquée et peut être sur Rouen 1588. Jusqu’à nouvel ordre, nous pensons que cette information devait au départ concerner une édition à 300 quatrains et plus (349 dans le cas de Rouen 1588) et que l’on aura gardé le texte pour des éditions à 7 centuries. Cela expliquerait ainsi la fabrication ultérieure d’une édition à 4 centuries ( pour 353 quatrains) datée de 1555 (Macé Bonhomme). Cela confirme l’idée que les Centuries- au XVIe siècle, se découpent en trois groupes : un premier groupe de 300 quatrains et plus, un deuxième groupe de 600 quatrains (I-VI) incluant et intégrant le premier groupe, le dit deuxième groupe étant augmenté de quelques dizaines de quatrains à la VII et un troisième groupe de 300 quatrains (centuries VIII-X), dont la numérotation de VIII à X implique la prise en compte du deuxième groupe dont il prend la suite.
On notera que la Préface parle déjà de centuries –« cent quatrains astronomiques de propheties », et ce point ne saurait avoir figuré dans la première mouture de la Préface à César qui n’est pas encore divisée en centuries dans l’édition Rouen 1588. En revanche, la formule terminale que nous Avon citée ne mentionne pas de centuries : « Fin des Professies de Nostradamus réimprimées de nouveau suivant l’ancienne impression imprimée (sic) premièrement en Avignon par Pierre Roux, Imprimeur du Légat en l’an mil cinq cens cinquante cinq », elle peut donc avoir figuré dès la première édition. Ruzo dans sa description de l’édition Rouen 1588 précise[1] que celle-ci avait comme titre intérieur « La Prophétie de Nostradamus », ce qui est assez proche de la formule finale d’Anvers 1590 : « les Professies (sic) de Nostradamus ».

JHB
23. 07. 12



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[1] Testament de Nostradamus, Ed Rocher 1982

 
 

76 - Les deux traductions dues à Michel Nostradamus
Par Jacques Halbronn


Le cas de la traduction de Nostradamus de la Paraphrase de Galien (conservée à la Mazarine) est unique en ce que cet ouvrage non astrologique et non prophétique serait paru chez le même libraire, le Lyonnais Antoine du Rosne, qu’une édition centurique et la même année 1557. Bien plus on connait deux éditions des Prophéties Antoine du Rosne 1557 Nous n’avons pas d’équivalent pour Macé Bonhomme et pour Benoist Rigaud, les deux autres libraires lyonnais censés avoir publié des éditions centuriques dans les années 1550-1560. Un échange de correspondance en date de 1560 fait référence à cet opuscule, dans une lettre d’Olrias de Cadenet/[1] à Nostradamus, ce qui a valeur d’attestation, si ce n’est que le recueil manuscrit de lettres qui nous est parvenu aurait pu être retouché.
Cela dit, ce qui nous interpelle au premier chef tient au fait que la page de titre de la traduction utilise la même vignette que celles de l’une des éditions Du Rosne des Centuries (Bibl. Utrecht) et est aussi à rapprocher, mais dans une moindre mesure, de l’autre ( Bibl. (Budapest). Etant donné que ces deux éditions centuriques sont, à nos yeux, antidatées, qu’en est-il de la traduction de l’ouvrage de Galien par Nostradamus ? Et plus généralement, d’où vient cette vignette qui orne la page de titre de la Paraphrase parue chez Du Rosne ? Rappelons que cette même vignette est présente sur un certain nombre de publications, pas forcément des Centuries, parues dans les années 1580 sans d’ailleurs nécessairement de mention du nom de Nostradamus au titre, ce qui explique que certaines de ces publications n’aient pas été mentionnées dans les bibliographies de Chomarat ou de Benazra à l’instar d’un Almanach pour 1578 de Jehan Maria Colony, imprimé à Lyon, chez Nicolas de la Roue, la page de titre comportant un quatrain au dessus de la vignette, à l’instar des faux almanachs de Nostradamus, produits par Barbe Regnaut, au début des années 1560. il y a là une parenté assez évidente puisque la vignette est la même. C’est dire que cette vignette avait connu une certaine fortune bien que correspondant à un almanach contrefait des années 1560 et non pas à partir d’une pronostication de Nostradamus comportant une vignette quelque peu différente, ses almanachs ne présentant jamais une telle vignette d’un personnage assis à sa table de travail. Le seul cas qui nous intrigue est précisément celui de la Paraphrase. Est-ce que sa vignette est dérivée de celle des almanachs Regnault et autres ou bien au contraire, se situe-t-elle à l’origine de toutes les éditions centuriques- à commencer par les éditions du Rosne- ou non comportant la même vignette. ?.On pourrait être tenté par la thèse d’une Paraphrase, parue chez Antoine du Rosne ayant lancé en quelque sorte une telle vignette et dont on se serait évidemment inspiré pour les éditions centuriques du dit Du Rosne, pour l’année 1557. Le problème, c’est que cette édition de la Paraphrase n’est pas considérée comme une contrefaçon et on ne comprend pas dès lors pourquoi elle ne comporterait pas la même vignette que celle des Pronostications authentiques de Nostradamus (1555, 1557, 1558), qui différent notamment de la fausse Pronostication Nostradamus Barbe Regnault pour 1562. Nous pensons en effet que c’est délibérément que Barbe Regnault et à sa suite Thibaut Bessault utilisèrent une autre vignette que celle des publications authentiques. On ne voit pas très bien pourquoi ces libraires parisiens auraient emprunté la vignette de la Paraphrase, sous prétexte que c’était une traduction due à Nostradamus. Il n’en reste pas moins que Nostradamus publia bel et bien cette traduction si tant est que l’on accepte le témoignage de Cadenet, qui date de 1560 mais on ne sait pas si celle-ci parut alors chez Antoine du Rosne alias Lyserot dont le volume de Lettres à et de Nostradamus nous signale en 1557 qu’il avait imprimé un almanach de Nostradamus [2]Mais n’est ce pas justement une telle mention qui aura donné l’idée aux faussaires de se servir du nom d’Antoine du Rosne ? On nous objectera que l’on ne voit pas l’intérêt de publier ou de republier cette Paraphrase après la mort de Nostradamus ; si ce n’est qu’elle comporte une certaine quantité de vers, diversement regroupés (sous forme de quatrain, sixain, octain, dixain etc) ainsi que de gravures.
Est-ce que cette traduction est achevée ? On peut se poser la question au vu des dernières lignes : « cecy sera après desmontré. FIN ». Ce mot « fin » nous semble assez peu approprié puisque l’on nous annonce que l’on traitera par la suite de l’ »art de médiciner » alors que ce point était censé être au cœur du texte, si l’on s’en tient au titre : » Paraphrase (…) sus l’exortation –(…) aux estudes des bonnes Artz, mesmement Medicine », c’est d’autant plus étonnant que Nostradamus est d’abord lui-même médecin et qu’il a déjà publié sur le sujet un « Excellent & Moult utile Opuscule » traitant notamment des « confitures ». On pourrait se demander s’il ne s’agit pas d’un texte trouvé parmi les papiers de Nostradamus à l’instar de sa traduction d’Horus Apollo, dédiée à la Princesse de Navarre.(BNF MS fr. 2594[3]).
On peut en effet se demander pourquoi le nom de Nostradamus n’est pas accompagné, sur la page de titre de la Paraphrase, d’une marque de respect qui est généralement de rigueur de son vivant sauf quand le texte émane de ses adversaires : « traduict de Latin en Françoys par Michel Nostradamus », formulation quelque peu cavalière qui n’est d’ailleurs pas de mise dans l’édition Antoine du Rosne des Prophéties, en cette même année 1557 mais que l’on trouve pour la traduction manuscrite d’Horus Apollo[4].

Le parallèle entre les deux traductions connues réalisées par Nostradamus nous parait assez marquant. Notons que les deux documents sont accompagnés de gravures.
Restituons la fin du manuscrit de la BNF :
« Fin des notes hiéroglyphiques de Orus Apollo Niliaque de Aegipte mises en rithme par epigrammes œuvre de admirable consideration et esmervellable literature traduict par Michel Nostradamus de Sainct Remy en Provence »
Certes, la Paraphrase n’’est-elle pas « mise en rithme » mais elle comporte un certain nombre de vers dont un acrostiche au nom de Nostradamus dont l’auteur lui-même annonce l’existence dans son Epitre introductive - « à un d’eulx ayant mis nostre surnom aux lettres supérieures », adressée au Baron de La Garde, amiral du Levant, en date du 17 février, encore faudrait-il savoir si l’on n’est pas plutôt, selon le style de Pâques, déjà en 1558 :
Or, il existe une autre édition qui, elle, est datée de 1558 [5], qui est une copie conforme de la première dans sa présentation, à part la date. Cette épitre comporte quelques points communs avec la Préface à César et avec l’Epître à Henri II. Pour la première, le recours à Vulcan, au mot « exigu », dans une même phrase : » Et combien que soit exiguë mais presque ayant une officine de Vulcan », pour la seconde, le ton général de respect quelque peu exagéré mais de mise. « téméraire audace vous offrir ce petit opuscule ». Ajoutons l’adresse aux « Ineptes traducteurs » qui fait écho à l’Avertissement latin du Legis Cautio/cantio placé à la fin de la centurie VI de la plupart des éditions.
Peut être plus intéressante la mention de « la prophétie de l’escript de la Sibille », ce qui nous renvoie probablement au Mirabilis Liber, ouvrage qui circule déjà sous François Ier et notamment à partir de la captivité du roi, au lendemain du désastre de Pavie- dont une expression parait en 1575 associée au nom de Nostradamus Le Jeune : « Recueil des Révélations et prophéties merveilleuses de Saincte Brigide, Sainct Cirille & plusieurs autres saincts & religieux personnages, Venise, Sgr de Castavino, d’Alexandrie[6]. On peut aussi se référer au Livre Merveilleux dont Benoist Rigaud a réalisé plusieurs éditions dans les années 1570-1580[7]. Au XVIIe siècle, le Recueil paraitra associé aux Centuries, notamment chez Chevillot, à Troyes.[8].
Ce dossier nous renvoie à la question de l’usage, de l’instrumentalisation, qui auront été faits des papiers privés de Nostradamus retrouvés à sa mort, à commencer par sa correspondance qui est rassemblée dans un volume manuscrit et qui a pu donner des pistes aux faussaires pour conférer à leurs travaux un certain cachet d’authenticité. Ajoutons le Recueil des Présages Prosaïques qui constitue la matrice de ses publications annuelles. Nous pensons aussi que certains quatrains centuriques seraient issus de notes de voyage dans la région, comme l’a montré le québécois Denis Hamel. Et enfin, donc, nous disposons de ces traductions et il nous semble probable que celle de la Paraphrase n’ait pas été publiée du vivant de Nostradamus, pas plus que l’autre traduction qui est avant tout un exercice de mise en rimes.
On ajoutera une observation assez étrange concernant un passage en vers de la Paraphrase, où Euripide s’exprime, dans lequel le possessif « mon » n’est pas suivi du nom qu’il est censé annoncer et désigner :
« Assavoir mon (sic) si on viendra prelire/ Par Mars ouvert contre ses ennemis » [9]
En conclusion, nous dirons que l’absence de marque devant le nom de Nostradamus est propre à la façon dont Nostradamus se désignait lui-même dans ses épitres tant manuscrites qu’imprimées et dans ses écrits, mais cette forme était systématiquement modifiée en cas de publication, en tout cas au titre et c’est l’erreur que commirent les « éditeurs » de la Paraphrase que de ne pas rajouter « M. » ou « Maistre » devant le nom de Nostradamus. C’est le lieu de rappeler qu’entre le texte écrit par Nostradamus et sa parution se déroulaient un certain nombre d’étapes en vue de la finition, comme cela ressort clairement de la confrontation entre le Recueil de Présages Prosaiques et les impressions qui ont été conservées. On peut d’ailleurs situer ces travaux à une période antérieure aux années 1550, ce qui est d’ailleurs rappelé dans l’Epitre au Baron de La Garde : « ici long temps traduict en langue françoise ». Terminons par ce passage de l’Epitre qui nous semble se référer à l’attaque évoquée dans la correspondance avec Olrias de Catenet, ce qui montrerait que cette publication n’est pas celle à laquelle s’en prend le dit Catenet : « seraient quelques uns à qui possible ne pourrait nullement imiter la moindre partie de la translation qui veulent calomnier quelque mot que possible leur semblera aliéné à leurs oreilles »

 



JHB
24. 07. 12


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[1] Cf Jean Dupébe, Nostradamus. Lettres inédites, Genéve, Droz, pp. 51-54
[2] cf Dupébe, Nostradamus. Lettres Inédites, op. cit., p. 31
[3] Voir Nostradamus. Interprétation des Hiéroglyphes de Horapollo ; Notes Hieroglyphiques par Michel Nostradamus. Texte établi et commenté par Pierre Rollet, Ed. Marcel Petit, 1993
[4] Cf J. Halbronn « Nostradamus et la versification des Hierogglyphoca d’Horapollon », Espace Nostradamus. Analyse n° 151
[5] Chomarat reproduit les deux pages de titre, dans sa Bibliographie Nostradamus, pp. 25 et 28 sans que l’on en voie réellement l’intérêt et la priorité.
[6] A lire sur propheties.it
[7] Voir Le texte prophétique en France, sur propheties.it
[8] Cf Chomarat, Bibliograpie Nostradamus, op. cit. p.p 94-97
[9] (exemplaire Bib. Mazarine, numérotation manuscrite . 48
 

 
 

77 - "Roy de Bloys en Avignon regner"
The Centuries and the Avignon context of the years 1560-1570

This study is followed by a debate with Peter Lemesurier
By Jacques Halbronn

The progression and extension of the frontiers of the French Kingdom have always generated a certain number of problems which have been solved in various ways. As a result of annexions, the case of Provence, for instance, at the end of the XVth Century has been treated differently from the case of Alsace, later on, i n the XVIIth Century. As a matter of fact, every State having an antijewish attitude, from Spain in the XVIth century to Germany in the XXth century was to solve such problems when confronted with new possessions as Spain in Italy or Germany in Poland. Any movement of population by colonization, conquest, immigration creates new social problems especially when Jews are involved, the main reason being the extreme diversity of jewish conditions and attitudes, sometimes hardly compatible, existing from one place to another, a point well noticed by Theodor Herzl in his 1896, Judenstaat. (see our book Le sionisme et ses avatars au tournant du XXe siecle, Ed, Ramkat, 2002). It can involve the arrival of new non Jewish populations as well as Jewish.
France was actually confronted with a rather specific question created by the transmission, as early as the XIIIth century, of a certain territory to the pontifical State, that is Avignon and the Comtat Venaissin, as a result of the Crusade against the Cathars (Albi), which eventually produced the so called Western Schism. When Languedoc then Provence fell under the authority of the French Kings, many Jews flew to the Church Territories which became a sort of Refuge to them, but there were already Jews since a long time in Avignon and the arrival of what we could call New Jews, that is Jews from another area did influence the situation of the local Jews. Hence names among the Pope Jews as Carcassonne which precisely seems to have been the name of Michel Nostradamus's grand father before taking the name of Nostredame.. Finally, the Avignon area became an enclave within the Kingdom with a rather significant Jewish minority, a fact which had to be tolerated by the French kingdom. As a matter of fact, it was not foreign in two ways since it was under the juridiction of the Pope of Rome and it was the only place where Jews could live without conversion, even though it was in difficult and humiliating conditions as having to wear a yellow hat. A pontifical enclave and a Jewish enclave, then.
In 1566, was published a Description des misères et calamitez des derniers temps, de la consommation du monde, du royaume de l'Antechrist & du second advènement de nostre Seigneur Jésus Christ" (BNF) which is a French translation by Nicolas Le Clerc dit de Juvigné, of the De Consummatione mundi ac de Antichristo & secundo adventu Domini nostri Iesu Christi, published in Cologne, in 1563 at Maternus Cholin (BNF). The book claims that the "le Pape souffre les Juifs à Rome et y fait brûler les vrays Chrétiens".
In 1569, for some reason, Pope Pie V decided to forbid the presence of Jews in the French area, they were asked to move to Rome (on the Mediteranean Sea) or to Ancona (on the Adriatic Sea), the only cities where Jews would still be authorized to stay within the Church States, this was the purpose of the Bulla Hebraeorum Gens, taken on the 25th of February. But the operation became not that easy to be fulfilled especially because of financial ties between the Jews and the Christians in the Avignon area.( see the testimony of a provencal Jew, Joseph Hacohen, in his Emek ha-bakha, 1575) One does not know if the Pope pronounced such an interdiction under the pressure of the French but what is certain is that the delays which came concerning such an application concerning the departure or the conversion of the Jews dwelling in the Pope States were not well accepted. The fact that Popes, in the next decades, changed their mind towards their Jews is indeed probably explained by foreign influences, which also came from the fact that the election of the Popes was in itself depending on various factors (see J. Halbronn, Papes et Propheties, decodages et influence. Ed. Axiome, 2005). The very fact that the 1569 Bulla did not even consider one reserved City in the French part of the Papal States, for the Jews seems rather suspect and a sign of a French intervention. In the future, Jews will be tolerated in four towns of the Comtat Venaissin, that is Carpentras, Cavaillon, Lisle (sur Sorgue) and of course Avignon.
Among the reasons to expulse Jews, one which was often given was their superstitions, their use of magic, rather than their Judaism strictly speaking, in other words some form of corruption of their original message. (see J. Halbronn, Le monde juif et l’ astrologie, Milan, Arche, 1985). Such creeds responded to individual and pratical needs which might attract populations far from a submission to God s plans.
Crespin and the French Avignon problem
An important source of antisemitism but also sometimes of philosemitism is eschatology, prophetism and speculations, jewish and non jewish, about the end of the world, including the necessity for Jews to convert or/and to gather in Palestine.
We would like to study a rather neglected aspect of the Avignon problem, in the first years of the 1570's, which belongs to the field of the "nostradamic" and "antinostradamic" literature and which involves a sort of French prophet named Antoine Crespin of whom not much is known apart from his work.
If we trust the official nostradamic bibliography, Antoine Crespin used certain lines in his work and specially two connected with Avignon, appearing at the begining of his Demonstracion de l'Eclipce lamentable du Souleil que dura le long du jour de la Seint Michel dernier passé 1571 etc , Paris, Nicolas Dumont,(BNF) which was precisely dedicated to the Pope.
It starts with those six lines:
Le Roy de Bloys dans Avignon regner
Une autre foys le peuple emnopolle
Esleu sera renard ne soucent (sic) mot
Faisant le S. public uivant (sic) pain d'orge
Tirannizer après tout à ung cop
Mectant à pies des plus grands sur la gorge
followed by
A nostre S. Père le Pape par l'astrologue du treschrestien Roy de France & de Madame la Duchesse de Savoye. Salut
Crespin in this booklet and in some others (cf infra), on that occasion, attacks the Jews and the New Christians: ”nous en cognoissons un que tient des benefices dans la Comte d’Avignon tant temporels que spirituals encores (…) qu’il y a sept ou huict ans que feust baptisé que auparavant tenoit la loy des faulx iuifz insecrables (sic, pour exécrables) vella (sic pour voilà) pourquoy le peuple se met en erreur ».



Integration of Crespin's verses within the Centuries
Curiously enough, those lines also appear with the Nostradamus Centuries which are generally considered as having been published before the 1570s when they appear in Crespin's work :
VIII, 38
Le Roy de Bloys dans Avignon régner
Un autrefois le peuple emonopole
Dedans le Rhosne par murs fera baigner
Jusques à cinq le dernier pied de Nole.
Translation and annotation by Theophile de Garencières in The true propheties or Prognostications of Michael Nostradamus (London, 1672)
The King of Blois in Avignon shall Reign
Another time the people do murmur
He shall cause in the Rhosne to be bathed through the Walls
As many as five, the last shall be near Nole




"This fortelleth that a King of France shall take Avignon, which is a City of France belonging to the Pope. And that some of the People beginning to murmur and mutiny, he shall cause five of them to be thrown over the Walls into the Rhosne which is a swift River taht passeth by. Nole must be some place thereabouts"
It sounds obvious to the commentator that "Roy de Bloys" means the French King, since Blois was an important location fot the Court on the river Loire, with its château.
VIII, 52
Le Roy de Blois dans Avignon régner
D'Amboise & Séme viendra le long de Lindre
Ongle à Poitiers saintes aisles ruiner
Devant Bony (sic)
The King of Blois shall Reign in Avignon
He shall come from Amboise and Seme along the Linder (sic, read the Indre)
A Nail at Poitiers shall ruine the Holy Wings
Before Bony.
annot:
The first Verse and the interpretation is easie. Amboise is a Town in France upon the River of Loire. The two last verses being imperfect admits of no interpretation, onely to let the Reader know that Poitiers is a very great City in France and Capital of the Province of Poitou.
A third reference can be found in IX, 41
“Le grand Chyren soy saisir d’Avignon
De Romme (sic) letres (lettres) en miel plein d’amertume
Letre (Lettre) ambassade partir de Chanignon
Carpentras pris par duc noir rouge plume”
Translation by Garencière;
The great Chyren shall seize upon Avignon
Letters from Rome shall come full of bitterness
Letters and Embassies shall go from Chanignon
Carpentras taken by a Black Duke with a red Feather
Garencières gives an interesting commentary, since he considers as granted that some quatrains have a prophetical value. So he does not hesitate - in his True Propheties of 1672 - to see in this third quatrain the prediction of a XVIIth century event connected with Avignon :

Annot :
This did happen lately, viz, some five or six years ago, when the Duke of Crequy Embassadour at Rome was affronted by the Corses which are the Popes Guard; for which the King of France demanded reparation and seized upon Avignon, till the Pope granted him that all the said Corses should be banished and a Pyramid erected in Rome to the perpetual infamy of that Nation.
The connection of Crespin with the centurical canon seems, at first sight, to be reinforced by the fact that he is using some lines of the Centuries, although he never referred explicitly to the Centuries most probably because they did not exist yet - is the use of the first quatrain of the first Century in the centurical canon.
Estant assis de nuict secret estude
Seul reposé sus la selle d'airain
Flambe exigue sortant de solitude
Fait prospérer qui n'est à croire vain
translation by Garencières:
Sitting by night in my secret study
Alone resting upon the Brazen Stool
A slight flame breaking forth out of that solitude
Makes me utter what is not in vain to believe
Crespin uses several times this quatrain as another neonostradamic author also did before and one would imagine with difficulty the fact of using such a quatrain if it had been published before at the very begining of the said Centuries. Our thesis is that this quatrain had not yet been associated with the name of Michel de Nostredame, at the beginning of the 1570s.
If it is true for this quatrain, it can also well be true for the Avignon quatrains which are concentrated within a same group of Centuries, that is the one comprehending Centuries VIII, IX, X which had a specific statute in many editions. As a matter of fact, one finds dozens of lines common between Crespin and the Centuries. It certainly is tempting to think that Crespin borrowed verses from the Centuries in the same way as he declares being himself Nostradamus. But we think that he wanted to prove that he was as good as Nostradamus more than just borrow part of his published work.
If the Avignon lines, at least, are the work of Crespin, how come that it appears in the centurical canon which carries, ipso facto, a certain form of Antijudaism, reinforced by the presence of another verse about the Synagogue, still in the same VIIIth Century.
VIII, 96:
La synagogue sterile sans nul fruit
Sera receu entre les infidels
De Babylon la fille du porsuit
Misere & triste luy trenchera les aisles.
with an English translation by Theophile de Garencières and a short commentary
The synagogue barren, without fruit
Shall be received among the Infidels
In Babylon,the daughter of the persecuted
Miserable and sad shall cut her wings
Annot. :
A Synagogue is a place where the Jews assemble for Divine Worship, as the Christians do in Churches or Temples, the said Jews Synagogue is threatened here to be unfruitful and barren, and chiefly, in Babylon, by the means of a woman, daughter of one persecuted, belike of some of their own tribe, whom the rest did persecute (p. 351)
The answer to this surprising issue concerning such texts has to do with the making of the centurical canon in the 1570s. Neonostradamism has been used to constitute the centurical corpus, in quite a syncretic way, gathering all sorts of documents, especially among those who belonged as Crespin obviously did to the nostradamic sphere. Crespin, imitating Nostradamus was a good recruit to be included within a nostradamic collection.
It is interesting to mention, however, another explanation concerning those Avignon lines, proposed by Louis Schlosser ( La vie de Nostradamus, Paris, Belfond, 1985, p. 36) :

"François Ier tenta à plusieurs reprises d'accroitre ses droits sur Avignon et sur le Comtat Venaissin; il n'y réussit que partiellement , comme le prouve l'ordonnance de Villers- Cotterets de 1539. En effet, le roi substitua le français au latin dans tous les actes de justice de ces territoires provençaux du Saint Siége. Nostradamus se fit l'écho de cette situation (..) dans deux de ses quatrains prophétiques où curieusement on voit revenir le même vers "Le Roy de Blois dans Avignon régner"
But why Nostradamus publishing not earlier than in the 1550s, according to the lowest chronological evaluation, would have mentioned in a prophetic text an event already known of 1539? On the contrary, we believe that prophetism has to do with the future and quite often with a very near future, that one expects and which does not necessarily arrives as expected. This was the case with Crespin announcing an action which was not fully accomplished neither concerning the French power which never passed a certain level nor the Jewish presence which never totally ceased. Actually, we think that such an anachronism was due to the use of old documents that had not been properly identified by forgers and attributed to Nostradamus without being conscious of the chronological problem.
Of course, later on, the 1569 Avignon events will belong to the past as the 1539 events but the question is : when the text appeared at first? With Crespin Demonstration of the 1571 Eclipse, do we have a commentary of a quatrain taken from already existing Centuries or do we have lines constituting a sort of political formula? One has believed that the Centuries were at least a versification of historical data but it seems that even the versification was largely borrowed and was just more or less redistributed, reshuffled, sometimes awkawardly as precisely in the case of "Roy de Bloys dans Avignon régner", which comes twice, within the same VIIIth Centurie.....
Attacks againt New Christians
The case of Nostradamus himself is an interesting example of the situation of the New Christians in France, in the middle of the XVIth Century. On century after the conversion, in 1455, of his grand father Guido Gassonnet, then becoming Pierre de Nostre dame, the physician and astrologer Michel, born in 1503, will be invited at the French Court for consultation with the royal couple, Henry de Valois and Catherine de Médicis. As a matter of fact, in 1550, Henry II had taken measures favorable to the presence of New Converts in Bordeaux. In any case, one could hardly assert that there were no Jews in France in the XVIth Century. The integration of the "conversos" seems to have been more successful than in Spain. One has to underline, however, that those New Christians were also, New Jews, since they were Jews coming from other cultures.
Crespin did, indeed, adopt the name of a "Nouveau Chrestien", of a olim judaeus, Nostradamus, later to be changed in Archidamus. And one can wonder if he was conscious and aware of Nostradamus's Jewish origins. Probably not. How could he attack the Jews, including the maranos, using for himself the name of a convert?
The Nostredame family is actually a good example of the integration of New Christians in the second part of the XVIth century, in France. The brother of Michel, Jehan de Nostredame contributed by his writings to a better knowledge of Provence and the elder son of Michel, César de Nostredame - bearing a first name far from being Jewish - was also a productive French poet and historian of Provence and called himself a "Gentilhomme provençal", though he was still living in Salon (de Provence) 50 years after his father's death (1566)..In 1602, he will publish, at Aix, J. Tholosan, L'Entrée de la Royne en sa ville de Salon, in honour to Marie de Médicis, just married to Henri IV. Indeed, the activity of this family was by no means focused on Jewish culture. There was a real process of integration through several generations. Conversion was indeed a fair way to fully participate to the French Culture and language. As a matter of fact, the Nostredame -Jean and Cesar - when they spoke about their ancestors did not mention explicitly their Jewish origins although acknowledging that some knew hebrew among other languages.
Michel de Nostredame did not hesitate to dedicate his Présages Merveilleux pour 1557 to the King Henri II -( Paris, J. Kerver) - letter which also appears, with some changes including a new date of the epistle, in the Centuries. César de Nostredame, his son, dedicated his Histoire et chronique de Provence, Lyon, Simon Rigaud, 1614, to the young King Louis XIII.
If Crespin did not know, apparently, about the Nostredame's pedigree, some seem to have been quite aware of it. Michel de Nostredame had enemies and quite a few booklets were published against him, his astrological skill being questioned; one of them alludes to his judaism :
Jean de la Daguenière in his Le Monstre d'Abus which is a joke on the name of Nostradamus : monster of abuse (cf Benazra, Répertoire Chronologique Nostradamique pp. 33-34) shows indeed that his jewish origins were not forgotten although he was grandsone of a convert, speaking of his almanachs as having a Jewish flavor :
“de nous vouloir persuader ces tant evidentes menteries descrites en vos petits pacquectz annuelz, qui sentent encores leur Judaisme a pleine gorge” (fol. C1
La Daguenière use the word "retaillat" which means circumcised:
“retaillat terme se me semble dequoy on use fort peu souvent ailleurs qu’en Provence. Et qui n’est propre qu’à ceux qui sont yssus, descendus, & extraictz des tribus & races de Judee” (fol. D3v)
Among the sources of the Protocols of the Elders of Zion, one usually mentions a Letter of the Jews of Arles to their brothers in Constantinople. In the 1880s, the then beginning Revue des Etudes Juives dedicated a few studies to this text and H. Graetz wrote an article, in 1889 : "But réel de la correspondance échangée vers la fin du XVe siècle entre les Juifs espagnols et provençaux et les Juifs de Constantinople". According to Graetz, this letter was translated from spanish to french with the same aim, to créate a feeling of disconfidence towards the New Christians. The letter from Arles was supposed to have been written at the time Provence was to be included within the French Kingdom . The Letter sent from Constantinople cynically encourages conversion but also marranism since it is the only way to remain in Provence or to stay in France. It is precisely an Abbé from Avignon, Bouis, who gave in 1641 a certain impact to this forged letter in his Royalle Couronne des Roys d'Arles. We can say that accusations of marranism prepared the move from antijudaism to anti-Semitism, since the religious change tended progressively to become not significant.
Crespin's Antijudaism and Antipapism
Behind the attacks by Crespin against the Jews, one wonder if he is not attacking the Pope. It is quite a typical strategy to associate an ennemy with the Jews in order to bring discredit to him. It is a classical polemical trick to connect an adversary with the Jews as it will be done in the XIXth Century with Free Masons, supposedy controled by Jews, which gave birth to the Protocols of the Elders of Zion.
Prophéties dédiées à la Puissance Divine, Lyon, 1572:
Au Pontife Romain salut
Le Roy de Bloys dans Avignon regner. (...)
Le Saint Siége sera remis au corps spirituel qui sera tenu pourt vray siége, la terre aride en siccité croistra & grand déluge sera aperceu soudain qui sera faict par despit de marrans & juifs, qui tiennent une loy à sainteté contraire
Crespin
Aux faux Juifz exécrables & marrans
Car vous serez déceuz (c'est à dire trompez du pontife Romain).


In 1574, after the Saint Barthelemy, Crespin still connects the Jews with the Pope in his Epistre de Profétie de paix qui doit venir au Royaume de France sans dissimulation qui régnera plus de trois cens ans etc :
"Moy Archidamus & Astrologue du dict Roy, je vous annonce que la vérité est telle qu'en brief temps, ceux qui auront mal vescu avec toutes leurs loix.. (...) comme le vieux testament a esté aboli qu'il n'y a plus que les Juifz qui le tiennent mais en ce temps qui doit venir, il n'y aura point de ceulx qui veullent convivre en leur meschante doctrine: il n'y aura Prince sur la terre qui les puisse sauver (..) et par le Pape de Rome maintenant entretenus & conservez en grand honneur lesditcz Juifz mais en ce temps qui doit venir & sommes bien proches de y estre, il n'y aura nuls qui aient méschante vie qui puissent estre sauvez & de mesme lesdictz faux Iuifz leur seront compagnie s'ils ne délogent subitement hors de la Chrestienté car le pouvoir dicelui qui les soustient ne sera de les soustenir".
Are those words "The Pope of Rome" coming from a good Catholic? One can doubt very much. Is Crespin a Protestant? The fact is that he is the prophet of a slaughter of the Jews and not of the Protestants...We rather believe that Crespin is an advocate of gallicanism and that this gallicanism cristalised around the Avignon problem. Actually, was he really against the Jews or did he try before all to weaken the legitimity of the presence of the Pope in Avignon? One should add that in the vicinity of Avignon, was a Protestant enclave, at Orange, which gave its name to the Dutch dynasty. Later on, this area became a refuge for the Jesuits, rejected from the French Kingdom, under Louis XV.
Eventually, the Avignon problem decreased and remained most of the time until the French Revolution outside the control of the French Kings. The Cardinal de Bourbon, cousin of the King of France was appointed in Avignon so that the prediction was only fulfilled under Louis XVI.
Eschatological antijudaism in the XVI th Century
Crespin, being connected with the political level as well as with the prophetical one, combines several sorts of antijudaisms. He might also have been influenced by texts published in French in the years 1530-1560s, containing attacks against the Jews although there were absent from France. But French was not limited to the Kingdom of France and some French speaking areas did have jewish minorities at least until they were integrated, sooner or later, for some of them, within the Kingdom, one of those areas being actually the Comtat Venaissin and Avignon.
Indeed the French States of the Pape did belong to the French cultural sphere. Many books in French were printed in Avignon, as the almanach of Nostradamus for 1563, by Pierre Roux, dedicated in French and Italian to François Fabrice de Serbellon, a military delegate of the Pope in Avignon. The same Pierre Roux, with Ian Tramblay, had published in 1558, an attack against Nostradamus, Declaration des abus ignorances et seditions de Michel Nostradamus, de Salon de Craux en Provence. In 1574, was published in Lyon, Jean Patrasson, a Brief Discours de quelques pluyes de sang advenues au Comté de Venaissin , by A. De Blegers de la Sale. Avignon will often be mentioned as a place of edition for the Nostradamus Centuries and in the XVIIIth Century, it will become a central nostradamic point, producing antidated forgeries as a Pierre Rigaud edition, Lyon, 1566.
Turrel
Le Période, c'est à dire la fin du monde contenant la disposition des choses terrestres par la vertu & influence des corps célestes. (1531)
"Or regardes Juif infideles & malheureux si le vrai Messias n'est point venus, puis que naves point de Royaume (...) mais vous avez des précheurs qui vous abusent mesmement Emmanuel delatis fil de Bonnet delatis, lequel ay ouy à vous prescher que le vray Messias vous viendroit bientost visiter etc'
Roussat
Livre de l'Estat et mutation du monde, Lyon, Guillaume Rouillé (1550)
"que les faulx, inhumains & meschans tirans Iuifz n'ont pu descirer " p. 178

La première partie du Recueil des Propheties et revelations tant anciennes que modernes, Paris, R. Le Mangnier, 1561. New edition, Troyes, P. Chevillot, 1611, Paris, Delarue, 1866.
Ch XXVII L'Estat et disposition des Juiifz infidéles est déclaré comment ils seront disposez (pp. 64 et seq)
"Et maintenant n'avez nulz prophetes, ne Roy, ne Prestre mais estes mesprisez de tout le monde en désolation perpetuelle (...)
"Vers la fin du monde peu de Juifz seront convertis à la foy car ils seront seduictz par l'Antéchrist
In the case of this last text, one should underline the fact that it was to republished several times, including 1611, but even in 1866 and both cases under the same cover as the Nostradamus Centuries. It is indeed important to notice that the Centuries, being a remarkable best selling during centuries have perpetuated, including the XIXth and XXth Centuries, some elements of Crespin's antijudaism and antipapism.
Astrology serving Antijudaism
In his Pronostication et prédiction pour 1572 qui seront conclus Mars estant seigneur pour le temps présent de la grande révolution du monde & suivra ses effectz jusques à l'an 1616 selon les mouvemens agiles du firmament, BNF, V 21370), Antoine Crespin gives a great importance to the coming "grand conjunction" of Jupiter and Saturn in Aries, which only occurs every 800 or 900 hundred years - a conjunction taken quite seriously by Jean Bodin, in his Republique, published in the 1570s.
"....Quand toutes les planètes seront enjointes au signe d'Aries, alors vous vous pouvez assurer d'estre du tout ruinez ensemble tous vos supposts & lesdites choses sont bien proches à venir. O quel déplorable advenement quand les vespres Siciliennes seront exécutées incontinent plus rudement qu'elles n'ont esté faites au pays des Suysses par lesquels j'en suys grandement fasché avoir descouvert les dites choses au ciel" " (Lyon, Melchior Arnoullet
The time for this fatal conjunction to come is fixed by Crespin in 1584. It is true, however, that Jews, like Abraham Bar Hiyya, also speculated upon the next coming of the Messiah especially for the end of the XVth Century and Turrel, in 1531, alluded, in his Période, to the prophecies of Emmanuel de Lattes.
It remains that many historians of nostradamism, like Pierre Brind'amour, do continue to attribute the whole centurical corpus to Michel de Nostredame, including the antijewish elements, especially the attack against the Synagogue which is a quite obvious line. Of course, some new Christians were capable to be very agressive towards the faith of their ancestors. The fact that Nostradamus, born in Saint Remy, returned, at the end of his life, in the vicinity of Avignon, in Salon de Provence, city from which a part of his family came, makes such a statement rather improbable.
Conclusions
Progressively, in the XVI th Century, the idea of a ghetto took place which had not been considered in Spain. One main point was to distinguish between Jews and non Jews and there was an attempt to do it by imposing a specific sign like the yellow colour in Avignon but that was not always considered as enough. This ghetto solution had been actually applied in XVIth century s France towards the Protestants who had certains towns attributed to them like La Rochelle. Comparatively, the ghetto, in the sense of a reserved town then, more specifically, of a reserved street (carriere) or quarter, might appear indeed, retrospectively, as an acceptable alternative to expulsion or to conversion. In the first case, the expulsion of Jews created problems for the communities which received them with a certain risk of antijudaism and in the second case, the converted Jews remained suspect of heresy and were under the threat of Inquisition. There was a derived solution which was to integrate new Christians coming from Spain and Portugal and to forget, as it were, their Jewish origin, that is what happened in Bordeaux, it afforded the French authorities to accept Jews without having to change their laws.
As a matter of fact, what happened in Provence, an area which belongs not that obviously to the so called sephardic world, could be considered within the History of the solutions of the Jewish Question - which is the subtitle of Herzl ‘s Judenstaat- zionism being one of those solutions, It is to be remarked that Palestine, in its old geographic and mandatory sense, has also to do with the Church concerns -the Popes were directly connected with the Crusade-for Christians to reapropriate what had been lost by the Byzantine Empire. So in a certain sense, Palestine - and especially Jerusalem - could be considered as a sort of new Avignon. In any case, the Avignon jewish enclave does symbolize the fact that the Jewish people are often considered as an intellectual enclave, as a problem which cannot be solved by the usual procedures.
As to the strange repetition of the formula - like a leitmotiv - “Roy de Bloys dans Avignon régner”, in the Centuries, and the fact that the last verse of one of the quatrains bearing the said formula is uncompleted, we think that it is a clear sign that the Centuries were at first presented as a posthumous and unfinished work which by no means could have been published during the life of Michel de Nostredame.


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78 - De la question des sources des quatrains centuriques
Par Jacques Halbronn


On sait la part importante de la production d’Antoine Crespin en tant que contribution aux Centuries attribuées à Nostradamus. Nous avons consacré à ce sujet une étude en anglais, reprise d’une communication donnée en 2001 au Congrès Mondial des Etudes Juives. « Roy de Bloys en Avignon regner. The Centuries and the Avignon context of the years 1560-1570[1].
Il est assez évident que l’une des sources des centuries comporte un fort caractère antijuif et la lecture des œuvres de Crespin l’atteste[2], ce qui est à l’origine notamment de la fameuse formule « Roy de Bloys en Avignon regner, que l’on retrouve à deux reprises dans le second volet dont on sait qu’il fut constitué pour contrebalancer le premier, lequel était favorable à la Ligue. Est-ce à dire que le camp d’Henri de Bourbon était tenté par la veine antijuive ? On peut en douter dès lors que l’on peut montrer, comme nous allons le faire, ci-dessous, qu’une certaine censure s’exerça par rapport à de telles sources.
Dans les Prophéties dediées à la puissance divine & à la Nation françoise- dont il existe deux éditions, au début des années 1570, l’on trouve des développements dont certains ont été repris dans les centuries et d’autres non ou s’ils le furent – ce qui n’est pas attesté- ils en furent par la suite évacués.
Voici donc des éléments qui appartiennent au vivier crespinien et dont certains ont été adoptés et d’autres non à commencer par le mot Juifs que l’on ne trouve pas dans les centuries alors qu’il figure bel et bien dans le dit vivier constitué d’une série d’adresses dont nous ne retiendrons ici que deux qui se suivent, l’une adressée au Pape et l’autre au Baron de la Garde [3]
Au Pontife Romain salut
« Le Roy de Bois dans Avignon reigner (…) Grand Deluge sera aperceu soudain qui sera faict pour despit de marrans (marranes) & Iuifs, qui tiennent un loy à sa Saincteté contraire »
A la suite :
« A Monseigneur le baron de la garde. Salut
« Avignon & Carpentras pour les Iuifs en grand trouble sera »
Rappelons que Carpentras fait partie des territoires du pape, enclavée –(jusqu’à la Révolution Française) dans le Royaume de France, dans le Comtat Venaissin (Vaucluse) et s’y trouve une fort réputée synagogue. Ce nom de lieu ne se trouve pas dans les Centuries. Quant aux Marranes, il s’agit de Juifs convertis au catholicisme mais soupçonnés de continuer à pratiquer leur religion en cachette. Quant à Michel Nostradamus, lui-même, l’on sait qu’il est d’ascendance juive par ses deux parents.
Il nous semble que ces observations soient d’un certain enseignement quant à la composition des centuries, sous une forme recyclée et effectivement censurée. On imagine l’usage qui aura été fait de tels quatrains comportant de tels passages si ceux-ci avaient été intégrés dans le canon centurique.
Mais cela nous montre aussi à quel point une grande partie des quatrains centuriques n’émanent pas de Nostradamus, lequel n’a pu, non plus les emprunter à Crespin, pour des raisons de chronologie évidentes. A moins d’imaginer que Crespin ait emprunté à Nostradamus et ait rajouté ces vers sur les Juifs, les marranes et Carpentras, sur leur culte contraire au catholicisme romain.
Il convient aussi de contester l’idée selon laquelle le quatrain constituerait une unité de sens à part entière. Comme dit La Daguenière, dans son Monstradamus, déjà à propos des quatrains des almanachs, c’est simplement un mode de classement :
« Que nous veux tu ainsi donner à entendre par tous tes autres vers, logez de quatre en quatre sur le commencement de chaque moys, si ce n’est d’avanture tu désire (sic) te declarer poéte digne d’un chapeau de chardons (…) Qui entend cela à ton avis» (fol A III)
Nous prendrons le cas de La Première Centurie des choses plus mémorables qui sont à advenir depuis l’An mil cinq cens Quatre vingtz & sept iusques à la fin de la douziesme Centuries, présagées pour trente six ans. Extraictes des plus illustres Mathematiciens, mises en lumière par Conrad Leovitius, Alleman, selon le Calcul de M. Imber de Billy, Paris, Laurent du Coudret (BNF ; Rz 3411)
On notera que le mot « centurie » désigne ici le quatrain et que le nom de Nostradamus n’est pas cité au titre ni d’ailleurs dans le corps de l’ouvrage paru sous la Ligue. On notera aussi qu’à l’instar de la littérature pseudo ou néo-nostradamique, la page de titre comporte un quatrain, pratique qui n’est pas attestée dans la production considérée comme authentique de Nostradamus mais pratiquée au départ dans les almanachs parus à Paris chez Barbe Regnault, au début des années 1560. D’ailleurs, ce titre semble calqué sur ceux présentés par Nostradamus le Jeune, dans les années 1570.
Ce quatrain est le suivant
De faict estrange plusieurs n’estre contens
Du lac Leman conduicte non trouvee
Renouveller on fera le vieux temps
Expolira à la trame tant couvée.
On trouve des « centuries » à l’intérieur, c'est-à-dire des quatrains.
Au vrai ce document n’a pas été classé dans les bibliographies nostradamiques dans la mesure où le nom de Nostradamus n’y figure pas[4].
Mais intéressons-nous à ce « quatrain » du titre : on reconnait un élément du quatrain V, 12.
Aupres du lac Leman sera conduite
Par grace estrange cité voulant trahir
Avant son meurtre à Ausbourg la grande fuitte
Et ceux du Rhin la viendront envahir.

On notera les différences et le fait que cinq rapprochements concernent les deux premiers vers : du, Lac, Leman, conduite, estrange. Il apparait que dans les deux cas les rimes sont totalement différentes. Selon nous, c’est le fait de la rime qui donne l’illusion d’un quatrain d’un seul tenant. Nous ne pensons pas que ces vers soient repris des Centuries de Nostradamus mais plutôt l’inverse. Cette édition date de 1586 et peut avoir servi pour produire le complément au premier volet à 349 quatrains (augmenté à 353) de la Prophétie de Nostradamus, puisqu’il s’agit ici de la Ve centurie.
On notera qu’au XVIIe siècle, le mot « centurie » sera utilisé dans les almanachs pour désigner les 12 quatrains mensuels, comme dans l’Almanach ou Ephemeride pour l’an MDCXXII (..) le tout supputé (..) par M. Jean Belot, C(uré) de Milmonts. Paris, Fleury Bourriquant. (BNF). S’ajoutent quatre « centuries » illustrant les Prédictions sur le thème céleste de la présente année 1622, sans rapport avec le corpus nostradamique.
L’usage de ce terme est visiblement inspiré par la production nostradamique mais pas forcément celle comportant des centuries à 100 quatrains. Il semble en effet que l’on ait publié, si l’on en croit Du Verdier, dans sa Bibliothèque, au milieu des années 1580 des « centuries » comportant les quatrains des almanachs de Nostradamus.[5], dont on n’a pas conservé d’exemplaire, et qui se présentait comme paru en 1568 chez Benoist Rigaud. C’est d’ailleurs, cette parution qui expliquerait que dans les années 1590 le dit Rigaud aurait situé son édition des Centuries de quatrains en 1568. .
L’on rappellera qu’encore au début du XVIIe siècle, les sixains qui furent intégrés dans le canon nostradamique, du moins pour un temps, furent le fruit d’un emprunt (probablement aux Prophéties de Morgard[6]). On n’était plus trop regardant sur la forme et d’ailleurs Nostradamus, dans la Paraphrase de Galien n’avait-il pas produit différents formats pour les vers qu’il traduisait ? Il semble bien en effet, comme en témoigne le manuscrit des Hieroglyphica d’Orapollo que Nostradamus nous ait surtout laissé des traductions en vers plutôt que des quatrains prophétiques, même ceux de ses almanachs ne devant probablement pas lui être imputés.
En définitive, les quatrains des centuries « prophétiques » dériveraient pour une grande part du modèle des quatrains des almanachs de Nostradamus, quitte à subir un certain nombre d’ajustements. Paradoxalement, ces quatrains authentiques sont un peu le parent pauvre du corpus centurique alors que des quatrains qui n’en sont qu’une imitation attirent beaucoup plus les exégétes et sont présentés comme le magnum opus de Michel Nostradamus. Cela dit, l’on sait que certains quatrains notamment du second volet s’originent dans la Guide des Chemins de France d’Henri Estienne, ce qui est d’ailleurs également le cas de la page de titre du Monstre d’Abus, paru chez Barbe Regnault, qui publiera dans les années qui suivront de faux almanachs, reprenant des quatrains d’anciens almanachs, ce qui nous conduit à penser que cette Guide était connue des faussaires et des imitateurs et que l’on pouvait y puiser pour divers motifs. Cela indique bien que l’on avait fini par ne pas être très regardant sur la façon dont les quatrains étaient constitués, l’important était ensuite de remodeler ce matériau pour en faire des quatrains correctement rimés et le cas échéant d’y inclure quelque message susceptible de marquer les esprits, en annonçant des projets en cours comme s’ils avaient en quelque sorte déjà eu lieu, comme si leur occurrence était déjà écrite voire prescrite.

JHB
27.07.12

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[1] which is just republished now on propheties.it
[2] Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed Ramkat 2002
[3] dont on connait une épitre de Nostradamus qui lui est dédiée en tête de sa traduction de la Paraphrase de Galien, Lyon Antoine du Rosne, 1557 et 1558, éditions que nous considérons comme antidatées
[4] Nouvelles recherches sur l’Affaire Chavigny/Chevigny, sur le site grande-conjonction.org
[5] Halbronn’ s Researches 31 - Le double sens du mot centurie dans les éditions parisiennes de la Ligue
[6] Documents inexploités sur le phénomene nostradamus, op cit.

 

79 - Nouvelles réflexions autour des vignettes des faux almanachs de Nostradamus
Par Jacques Halbronn

Les années 1560 voient se développer toute une industrie de faux almanachs de Nostradamus alors même que Nostradamus va continuer à publier des almanachs jusqu’à sa mort. On peut s’interroger sur la tolérance qu’il put y avoir à laisser circuler de tels almanachs contrefaits et qui plus est empruntant aux vrais almanachs des années précédentes leurs quatrains, ce qui était d’ailleurs une façon de conférer aux dits quatrains une portée non limitée à l’année initiale d’application, approche décalée qui connaitra une certaine fortune notamment dans le Janus Gallicus..C’est ainsi que nous avons deux éditions de la Pronostication nouvelle pour l’an mil cinq cens soixante deux composé par maistre Michel Nostradamus, l’une parue à Lyon , chez Antoine Volant & Pierre Brotot, qui est authentique et l’autre à Paris chez la veuve Barbe Regnault [1]sous exactement le même titre- à ce détail près que la fausse pronostication indique « de Craux en Provence » au lieu de « Salon de Craux en Provence »- mais avec deux vignettes différentes, seule la première comportant dans son cadre « M. de Nostredame », cette vignette étant systématiquement entourée d’une frise zodiacale, ce qui ne sera jamais le cas pour les vignettes des productions contrefaites. Etrangement, c’est la fausse édition qui comporte en bas de la page de titre ‘Avec Privilege » comme ce sera le cas des éditions Macé Bonhomme et Antoine du Rosne ; Il ne fait par ailleurs aucun doute quant à la parenté des deux vignettes, la disposition des lieux étant la même si ce n’est que dans la « vraie » vignette, on trouve une bibliothèque qui est absente dans la « fausse ».
Il semble que trois vignettes de faux almanachs aient circulé au cours de cette décennie, qui connaitront, elles aussi, un impact bien au-delà de cette période puisqu’on les retrouvera dans des publications de la fin du XVIe siècle. A contrario, les vignettes des vrais almanachs ne reparaitront pas de façon posthume. Au vrai, chez Nostradamus, ce ne sont pas les almanachs qui étaient dotés de vignettes mais exclusivement les pronostications, du moins jusqu’au milieu des années 1560. Les derniers almanachs de Nostradamus comporteront des vignettes mais avec des motifs très différents. Au vrai, on ne connait pas de pronostications de Nostradamus parus séparément des almanachs après celle pour l’an 1562. Ajoutons que dans l’almanach pour 1565, par exemple, les quatrains ne sont pas placés au sein du calendrier mais au cœur de la partie rédactionnelle, modèle repris par le Recueil des Présages Prosaïques et appliqué rétroactivement pour l’ensemble de la série.
Les trois vignettes de faux almanachs nous intéressent particulièrement en ce qu’elles serviront pour réaliser des contrefaçons antidatées ou parce qu’elles illustreront les éditions parisiennes des Centuries sous la Ligue, tel libraire en adoptant une, tel autre libraire en préférant une autre, ce qui tient au fait que ces trois vignettes avaient été utilisées simultanément dans les années 1560. Une de ces trois vignettes ne nous est d’ailleurs connue pour les dites années 1560 que dans une traduction anglaise- An Almanack for the yere MDLXIII made by Maister Michael Nostradamus Doctour of Phisicke of Salon of Craux in Provence, mais il est évident que cette vignette venait d’une édition française disparue, parue chez un libraire non identifié, laquelle édition était encore connue à la fin des années 1580 d’un Pierre Mesnier qui la recycle pour ses éditions des Prophéties, dont on connait celle datée de 1589 et une autre non datée. On connait une édition Veuve N. Buffet d’une édition des Prophéties de M. Michel Nostradamus, sur le modèle des éditions parisiennes de la Ligue, mais datée de 1561, dotée de la même vignette que celle de Pierre Mesnier.[2]. Une édition probablement de peu antérieure puisqu’elle n’annonce que 38 au lieu de 39 « articles » ajoutés à la dernière centurie (VI). On y lit au titre « Prophéties » et non comme par la suite « Les Prophéties ». Toutefois, le titre de l’édition Buffet semble tronqué car il manque à la suite de « Dont il y en a trois cents qui n’ont encores esté imprimées » la suite « lesquelles sont en ceste présente edition ». Il est donc possible qu’en réalité, cette édition soit plus tardive et ait été délibérément antidatée et dotée de « 38 » articles au lieu de « 39 » pour faire bonne mesure et donner le change. Fort étrangement, les éditions du Rosne qui sont pourtant à 7 centuries ne comporteront pas cette mention d’une addition pour 1561 à la sixième (et dernière) centurie, ce qui est très maladroit de la part des faussaires et cela vaut pour toutes les pages de titres des premiers volets des éditions Benoist Rigaud 1568. Cette même vignette est attestée au début des années 1580 en page de titre de l’Almanach et amples predictions pour (..) 1582 composé par maistre Marc Coloni, Paris, Claude Montr’œil, 1582. On y voit un personnage, assis à un bureau assez massif, doté d’un compas qu’il dirige vers un astrolabe. Mais le nom de Nostradamus ne figure pas sur cet almanach Coloni non signalé de ce fait dans les bibliographies Chomarat et Benazra et que nous avons été le premier à signaler, alors même que la pièce se trouvait à la Bibliothèque de Lyon, ville de ces deux bibliographes. Etrangement d’ailleurs, Mario Gregorio, qui demeure non loin de Londres, ne signale pas cet almanach anglais pour 1563 sur son site propheties.it.
Le cas Coloni (noter le i et non le y) est assez remarquable puisque l’Almanach pour 1578 de Iehan Maria Colony, imprimé à Lyon par Nicolas de la Roue, orné d’un quatrain au titre (sans rapport avec le corpus centurique, faut-il préciser) comme certains almanachs Barbe Regnault des années 1560, comporte une autre vignette qui est tronquée par rapport à la troisième que nous considérons ici. La vignette Jehan Maria Colony est elle-même attestée mais inversée sur la page de titre de l’Almanach pour 1561 « composé par le disciple de M. Michel Nostradamus », Paris, Veuve N. Buffet. Il s’agit probablement d’une formule tronquée, à savoir (Edmond) Le Maistre, disciple de Nostradamus ( cf. le Vray Pronosticq fait par le Maistre, disciple de/ Nostradamus pour l'an 1567, Lyon, Benoist Rigaud. 1567). Rappelons que cette même libraire s’était vue dotée d’une autre vignette pour une édition antidatée des Centuries, ce qui est somme toute assez maladroit. On notera qu’il ne s’agit plus ici de Nostradamus mais de son « disciple » et ce dès 1560. Cette vignette tronquée sera utilisée, mais inversée, ce qui est assez courant dans ce domaine, pour la contrefaçon d’une édition Antoine du Rosne 1557, conservée à Budapest, et dont Gérard Morisse a introduit un fac simile sous le titre « Nostradamus cet humaniste » en 2004, paru en Hongrie.[3]. En revanche, une autre édition Antoine du Rosne 1557, retrouvée à la Bibliothèque d’Utrecht, après la publication des bibliographies de Chomarat (1989) et Benazra (1990), comporte la vignette entière semblable à celle des faux almanachs Barbe Regnault (et à sa suite Thibaut Bessault) des années 1560. La libraire parisienne, la veuve de Nicolas Roffet, reprendra la dite vignette pour son édition des Prophéties, en 1588 mais avec la mention « jouxte la copie imprimée l’an 1557 »[4] . Or, c’est cette même vignette qui servira pour la fausse édition Du Rosne 1557 Budapest mais aussi pour la non moins fausse édition Macé Bonhomme 1555. On signalera la parution en 1558 chez Antoine du Rosne de la Pronostication nouvelle de maistre Iean Sconners (…) demourant en Bourgongne (sic) pour 1558[5] avec une vignette encore différente mais toujours proche de celle de la pronosticaton de Nostradamus. C’est probablement cette pièce qui aura conduit les faussaires à choisir Du Rosne comme éditeur des Prophéties. Mais n’est-il pas concevable si des éditions antérieures de la dite Pronostication Sconners ont pu exister que celles-ci aient été à l’origine de la vignette des Pronostications nouvelles de Nostradamus ? Dans ce cas, les éditions Du Rosne 1557 devraient être abordées autrement. D’une part, la vignette Budapest est plus proche de celle de la Pronostication Sconners que la vignette Utrecht tout en en différant dans un tracé assez maladroit en comparaison, ce qui confirme la contrefaçon. A noter que Du Rosne 1557 Budapest n’a que 40 quatrains à la VII alors que Du Rosne Utrecht en a 42 et comporte un second volet disparu mais annoncé au titre du premier volet. On peut donc penser que Barbe Regnault aura fait redessiner la vignette Sconners et donc que la vignettte Du Rosne Budapest n’ait pas été tronquée. C’est l’almanach Veuve Buffet 1561 qui aurait calqué la Pronostication Sconners et de là cela aurait servi à la confection de l’almanach J. M. Colony pour 1578. Le hic, c’est que ce n’est pas par hasard que des éditions aient été situées chez Du Rosne par les faussaires. Il a donc bien fallu, en tout état de cause, que cette pièce de Sconners ait été connue par les dits faussaires, qu’elle ait figuré dans la bibliothèque mise à leur disposition. Par ailleurs, nous dirons que c’est la vignette de l’almanach Barbe Regnault qui aura servi pour Macé Bonhomme, à 4 centuries, et Antoine du Rosne 1557 Utrecht, à 7 centuries. Le second volet ne comportera jamais une de ces vignettes. Patrice Guinard (Corpus Nostradamus 9) écrit:que la Pronostication de Jehan Sconners « a pu servir de modèle à la contrefaçon "Antoine du Rosne" datée du 3 novembre », à savoir l’exemplaire conservé à Budapest. Mais on voit mal comment l’autre édition Utrecht serait-elle, auhentique étant donné qu’elle est marquée par une vignette dérivée de Sconners et donc encore plus tardive que l’édition Budapest, d’autant qu’elle est à deux volets et donc doit être datée des annéee 1590.
En ce qui concerne l’édition avec le personnage tenant un compas, on remonte à l’almanach anglais pour 1563 mais il est fort improbable que l’almanach Marc Coloni (sic) pour 1582 ait été marqué par un almanach anglais pour qui une telle vignette aurait été conçue. On notera que la vignette Antoine Crespin Nostradamus, qui diffère encore par le dessin des autres, comporte, quant à elle, un personnage tenant un compas à la main droite et un astrolabe à la main gauche, sur la table une équerre. C’est la seule qui comporte un nom dans son cadre, à l’instar des Pronostications de Nostradamus. « AC. Nostradamus Astrologue du Roy « .

Il est bien plus probable qu’un autre almanach ait circulé au début des années 1560, en français, dont l’almanach anglais serait issu, et qui aurait donc comporté cette vignette devant servir pour Marc Coloni puis quelques années plus tard pour Pierre Mesnier, en vue de son édition des Prophéties..Il est tout de même assez étrange et quelque peu désinvolte que l’édition Chomarat-Benazra de 1993 de Du Rosne 1557 Budapest comporte en sa page de titre la vignette de l’almanach de Nostradamus alors que ce n’est pas cette vignette qui est utilisée pour cette édition des Prophéties..Ce qui nous frappe, au bout du compte, c’est le fait qu’à aucun moment les faussaires n’aient osé utiliser la « vraie » vignette Nostradamus et se soient limités à recourir aux trois « fausses » vignettes. Ce qui est encore plus extraordinaire, c’est que ce point n’ait pas été considéré à sa juste importance, par les nostradamologues pour repérer les contrefaçons.


JHB
28. 07. 12


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[1] (Bibl Munich, servant de frontispice au Répertoire de Benazra, à notre initiative),
[2] Cf reproduction in Catalogue de vente « Nostradamus en son siècle. Exceptionnel ensemble des éditions des Prophéties et des Pronostications 1555-1591, Avant propos Michel Scognamillo, Librairie Thomas Scheler, P. 49
[3] Voir aussi précédemment le travail de Robert Benazra sur le même exemplaire. Ed M. Chomarat ; 1993
[4] Corpus Nostradamus 65, « L'édition Regnault 1561, modèle des éditions parisiennes facétieuses de 1588-1589 »
[5] Cf catalogue de vente Scheler, 2010, op. cit. p. 32

     
 

 

80 - Nouvelles réflexions autour de la Première Face du Janus François
Par Jacques Halbron


Nous avons consacré un post doctorat au dominicain Jean Giffré de Réchac, un des pionniers de l’exégése des Centuries, avec notamment son Eclaircissement des véritables quatrains (1656). Mais celui-ci avait été précédé par la production de Jean Aimé de Chavigny, à la fin du siècle précédent, encore que ce dernier ait surtout travaillé sur les almanachs et les pronostications de Nostradamus, dans le Janus Gallicus et dans les Pléiades. A contrario, le dominicain n’accordait aucun intérêt à ces publications pourtant les plus authentiques mais, il est vrai, déjà du vivant de Nostradamus, souvent contrefaites, notamment dans des éditions parisiennes, à partir des années 1560.
La parution bilingue (français et latin) de la Première des Faces du Janus François – la seconde n’étant jamais parue, du moins sous ce titre - nous interpelle en ce qui concerne la parution du second volet des Centuries mais aussi à propos du dernier quatrain du premier volet. Mais un tel recueil prophétique rassemble des éléments très divers d’autant qu’il est marqué par la dualité linguistique et offre des problématiques chronobibliographiques complexes.
Même pour ceux qui « croient » à l’authenticité de certaines éditions Benoist Rigaud 1568, on est en droit de se demander ce qui a pu conduire à l’intégration en 1594 au sein du commentaire de centaines de quatrains d’un certain nombre d’entre eux issus du second volet. Certes, l’on connait une édition lyonnaise par Benoist Rigaud parue en 1594 et une autre par Jaques Rouseau, Cahors, datée de 1590. Mais il n’en reste pas moins qu’aucune édition connue du « second volet » ne nous est parvenue pour les années 1580 alors que foisonnent les éditions du « premier » volet – tant à 300 (et plus) qu’à 600 (et plus) quatrains au cours de cette décennie.
Où Jean Aimé de Chavigny a-t-il été prendre les quatrains du second volet, d’ores et déjà numérotés selon les normes du »canon » centurique ?
¨Par ailleurs, on trouve dans le Janus Gallicus comme on l’appelle généralement ( alors que le titre est Jani Gallici facies prior) – il existe une édition au titre français et une autre au titre latin, même si chacun est bilingue- le quatrain 100 de la centurie VI que l’on ne trouve dans aucune édition conservée du premier volet, du moins au XVIe siècle ; La présence de ce quatrain au siècle suivant est d’ailleurs très probablement due à l’utilisation du Janus Gallicus par certains libraires troyens.
« Fille de l’Aure, asyle du mal sain
Ou iusqu’au ciel se void l’amphitheatre
Prodige veu. Ton mal est fort prochain
Seras captive & des fois plus que quatre
Le commentaire y voit une allusion à Orange. (Aurantia), victoire sur les Evangélistes (Protestants) « Il appelle Aurange poétiquement fille de l’Aure » Cela nous explique-t-il pourquoi ce quatrain disparait de façon aussi radicale tout au long du XVIe siècle, hormis dans le Janus Gallicus assez gênant. On peut y voir aussi une allusion à Catherine de Médicis, fille de Laurent, autre jeu de mots à envisager.
Mais par delà ce quatrain dont on ignore les causes de la suppression, se pose la question d’une édition d’un premier volet à six centuries si on l’avait jugé indésirable.
A l’évidence, Chavigny aura eu entre les mains une édition des Centuries comportant le quatrain VI, 100, lequel précède un avertissement en latin, originellement intitulé Legis Cautio contra ineptos criticos et corrompu en Legis Cantio. C’est d’ailleurs sous cette forme incorrecte (Cantio) qu’on le trouve dans toutes les éditions du XVIe siècle, du moins celles comportant une VIIe centurie (en dehors du cas particulier des éditions parisiennes de la Ligue, 1588 -1589 etc). Et cela vaut aussi pour Antoine du Rosne 1557 Utrecht et Benoist Rigaud 1568 qui à la fois comportent l’avertissement et sont dépourvues du dit quatrain VI, 100. Chavigny commente à sa manière cependant ce quatrain dont on peut se demander pourquoi il ne fut pas plutôt remplacé ou retouché plutôt que supprimé. On notera les tentatives pour faire passer l’avertissement latin pour le quatrain VI, 100.
Cette Vie centurie a d’ailleurs été qualifiée de « dernière centurie, ce qui semble exclure qu’il y en ait eu d’autres, du moins à un certain stade. Cela est attesté par les pages de titre des éditions parisiennes de la Ligue. Il faut d’ailleurs prendre l’expression « dernière » comme excluant, à ce stade, bien évidemment, l’existence même d’un second volet et donc d’une édition 1568 à 10 centuries, à moins d’imaginer on ne sait quelle amnésie. Ajoutons que la thèse d’une édition à 10 centuries dès 1558 semble infirmée par des éditions indiquant une addition de quatrains à la « dernière centurie » pour 1561 si ce n’est que toutes ces éditions relèvent d’une chronologie fictive. Autrement dit, l’édition 1558 aurait été produite après l’édition 1561, l’édition 1557 à sept centuries (Budapest) ne comportant même pas la mention d’une addition à la sixième centurie alors même qu’elle dispose bel et bien d’une septième centurie.
Cette édition manquante à six centuries s’achevant par un avertissement latin correspondrait bel et bien, selon nous, à un premier processus de clôture du corpus centurique, sur la base de 600 quatrains. Mais là encore, l’indication d’une addition de 300 quatrains au titre du premier volet fait abstraction des 53 quatrains de la VII déjà en place. On laisse ainsi entendre que l’on serait passé directement de 300 à 600 quatrains, ce qui est évidemment une présentation un peu cavalière mais qui souligne le projet d’un ensemble fermé sur lui-même à 600 quatrains. D’ailleurs, le second volet ne comporte-t-il pas lui aussi 300 quatrains ? On est un peu mal aux entournures avec cet appendice de quelques dizaines de quatrains extra muros qui aurait pu être l’amorce d’un troisième lot de 3 centuries, comme cela avait été le cas de la centurie IV. Les circonstances en décideront autrement et le second volet se déploiera dans une sorte d’ignorance de la centurie VII, si ce n’est cependant que les centuries seront bel et bien numérotées de VIII à X et non de VII à IX, comme il eut peut-être été préférable esthétiquement. Il y a bien eu là un problème d’ajustage. D’ailleurs, si l’on admet que ce second volet se développa parallèlement, il est probable que ces centuries bis, ouvertes par une épitre datée de 1558 adressée à Henri II, l’année précédant sa mort, ne furent pas initialement numérotées à la suite des premières.
Or, à la lecture du Janus Gallicus, tous les quatrains sont à la même enseigne, non seulement ceux du premier et du second volet mais même et surtout, comme on va le voir, les quatrains des almanachs, extraits du Recueil des Présages Prosaïques dont le nom n’empêche pas qu’il comporte un grand nombre de quatrains au sein duquel « pêche » le Janus Galliques. On peut cependant se demander si le premier noyau de ce commentaire n’était pas uniquement constitué – éventuellement par Jean de Chevigny, au lendemain de la mort de Nostradamus, et non Jean-Aimé de Chavigny- autour des quatrains d’ almanachs d’ailleurs le premier quatrain commenté par le Janus Gallicus est censé émaner des almanachs (« D’un présage sur l’an 1555 ») - avant de puiser dans une nouvelle génération de près de 1000 quatrains apparus en deux temps, entre 1584 et 1594, grosso modo, le second volet ne s’étant conjoint qu’à partir de 1590 et ayant subi certaines retouches d’une édition à l’autre, étant entendu que l’on n’a pas conservé la première édition du second volet, antérieure au couronnement d’Henri IV à Chartres, début 1594 (ce qui affectera le quatrain IX, 86, présent sous la forme » Chartres » dans toutes les éditions connues du second volet, y compris celle de Cahors, Jaques Rousseau, datée à 1590, vraisemblablement retouchée tout en gardant la date d’origine.
Un noyau de vers issus des almanachs
Dans un Advertissement au lecteur, on lit :
« Afin que tu ne sois trompé, Lecteur, lisant ceste histoire, je t’advertis que sont plusieurs quatrains (non tous) qui sur le front portent le nom & tiltre de telle & telle année, qui n’est pas celle à qui le presage doibt estre véritablement donné ni en laquelle il est advenu ou doibt advenir ains est celle en laquelle a esté fait le Prognostiq, dont j’ay tiré le quatrain Nostre Prophète dez l’an de grâce 1555 iusques à 67 ayant escrit plusieurs beaux présages qui nullement n’appartiennent à telles années ains à d’autres advenir consecutivement, eslongnez les uns de dix ans, vint ans voire de trente & quarante , les autres plus , les autres moins selon que la fureur vaticinatrice le transportait etc »
En fait, si on ne se laisse pas influencer par le fait que le commentaire du Janus Gallicus tel qu’il nous est parvenu inclut un certain nombre de quatrains « centuriques », l’on serait enclin à penser que cet Avertissement concerne un commentaire des seuls quatrains d’almanachs, vu qu’il n’est pas question des autres, ne serait-ce que par comparaison, du moins dans le dit Avertissement
Or, force est de constater le nombre de vers tirés de quatrains-présages qui auront fait l’objet d’un commentaire, au sein du Janus Gallicus, pour se convaincre que les quatrains centuriques ne sont qu’additionnels et ne sont intégrés que tardivement au sein du commentaire Il ne suffit pas de calculer combien de quatrains des almanachs sont utilisés mais de noter à combien de reprises un même quatrain est commenté pour tel ou tel de ses vers Le commentateur nous semble en effet particulièrement expert dans l’emploi des quatrains-présages qu’il combine d’ailleurs, dans certains de ses commentaires, avec la prose de tel ou tel pronostic pour telle ou telle année
A partir de 1555 – qui est en fait le véritable départ du commentaire, en dépit de la référence à 1539 - la preuve en est que le premier quatrain que l’on commente pour 1555 n’est que le neuvième à avoir fait l’objet d’une étude- la proportion de quatrains d’almanachs est considérable : on donnera les numéros d’ordre
-pour 1555, 1556, 1557,1558, 1559, 1560 1561,
Quatrains d’almanachs : n°9, 11, 14, 15, 16, 17, 18 19, 20, 21, 22, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 40, 41, 42, 43, 44, 46, 47, 48, 49, 52, 54, 56, 58, 59, 60, 61, 63, 67, 68, 69, 70, 71, 77, 79, 80 , soit près d’une cinquantaine sur un ensemble d’un peu plus de 150 quatrains[1]
quatrains de centuries 10, 12, 13, 23, 36, 37, 38, 39, 45 50, 51, 53, 55, 57, 62, 64, 65, 66, 72, 73, 74, 75, 76, 78, soit vingt cinq sur 1000 quatrains et bien plus si l’on admet que chaque quatrain peut être utilisé plusieurs fois, du fait qu’il est lui-même constitué de 4 vers
En gros, pour une période de 7 ans, les quatrains des almanachs constituent la très grande majorité de ce qui sous tend le commentaire du Janus.
D’ailleurs, dans l’édition de 1596, un développement final (entre crochets) consacré aux centuries dans la Vie de Nostradamus est supprimé ou plus probablement ne figure pas encore:
« Nous avons de luy d’autres presages en prose faits (de)puis l’an 1550 iusques à 67 qui colligez par moy la plupart & redigez en XII livres (…)Ceux-cy comprennent nostre histoire d’environ cent ans & tous nos troubles (..) [Ceux là, scavoir les Centuries Ceux là, scavoir les Centuries s’estendent en beaucoup plus longs siecles dont nous avons parlé en un autre discours sur la vie de ce mesme Auteur, qui bientost verra la lumiere où nous remettons le Lecteur, ensemble au dialogue Latin qui cy apres sera rapporté ]» On a l’impression qu’au départ la Première Face ne concernait que les quatrains-présages et que les quatrains centuriques, quant à eux, valaient pour la période située au-delà de 1589, à savoir la Seconde Face du Janus François. D’ailleurs, dans la « Prognostication sur l’avénement à la couronne de France d’Henri de Navarre », dédiée à d’Ornano, datée du 19 février 1594 – donc avant le 21 juillet 1594, date des autorisations de paraitre du Janus Gallicus, à la suite de la rétractation- reprise à la fin de la Première Face mais qui constitue déjà l’amorce de la Seconde, il n’est plus fait appel aux quatrains-présages. Sont commentés les quatrains IV, 14, IX, 2, IX 50, X 18 et X 76, VI (sans préciser), II, 39, II (sans préciser) ainsi que deux présages en prose sur l’an 1567, et sur l’ an 1559. Les quatrains présages ne vaudraient donc que jusqu’en 1589 et vice versa, les centuries ne nous éclaireraient vraiment que pour après 1589. On sait que néanmoins, une certaine propotion de quatrains centuriques figureront dans la Première Face mais, selon nous, ils ont été surajoutés, dans un deuxiéme temps et l’on pourrait probablement s’en passer. Selon nous, le commentaire a été mis en place, à une époque où les centuries n’étaient même pas encore composées en tant que telles. Au départ, seul le premier train de « centuries » circulait, à savoir l’ensemble des quatrains des almanachs.(en 12 livres).
Dans le Janus, le titre devient en français « De l’advenement à la Couronne de France de ‘(…) prince Henry de Bourbon Roy de Navarre » mais pour le latin on ne rend pas cette idée de couronnement au titre, il est question de Regis Benigna Fata. Gautheret Comboulot signale[2] un « Discours sur l’advenement à la couronne de France d’Henry de Bourbon, roy de Navarre, en français et en latin. Le tout en un seul volume in 4°. A Lyon, chez les héritiers de Pierre Roussin, que l’on ne connait qu’au sein du Janus, sous sa forme bilingue. Dans les Pléiades, Chavigny laisse clairement entendre qu’il a publié séparément cet ouvrage : « ce qu’avons touché au Traité intitulé, De vostre advenement, Sire, à la couronne de France, imprimé à Lyon l’an 1594 » (Livre IV, p 120) et il n’indique pas que ce traité serait paru dans la Première Face, ce qui selon nous correspond à une addition tardive
Voici comment Chavigny- qui est son propre éditeur et qui se choisit son propre imprimeur (Pierre Roussin), comme il ressort du privilège, présente les deux Faces à savoir les deux « Livres » : « Je commence le premier livre dez l’an 1534 que l’opinion, & secte de Luther est entrée en France (..) iusqu’à 1589. Et commence le second dez celle année (..) iusques à 1607 (..) Duquel livre en voicy le commencement & proposition, que j’en donne au Lecteur, comme un premier goût, tiré de la Centurie III, quatr. XLVI »
Dans l’epistre à Henri IV du Ier juillet 1594, placée en tête du Janus François, on nous explique : « Quant au second qui est encore sur l’enclume & n’est achevé, il sera presques plein de voz gestes Sire, de voz trophees & victoires sur voz ennemis, de voz expeditions & conquestes »
C’est également à Paris que paraitra une autre édition du Janus Gallicus, en 1596, intitulée Commentaires du Sr de Chavigny sur les Centuries et Prognostications de feu M. Michel de Nostradamus », sans la partie latine, on a supprimé la date ultime de 1589, celle de la mort d’Henri III, le dernier Valois, pour « iusques à present » avec pour perspective l’an 1607. En fait, la Prognostication de l’Advenement est datée du 19 février 1594. Or, les permissions en tête de la Facies Prior datent du 21 juil. 1594/ Nous ne pensons donc pas que la Prognostication soit reprise du Janus Gallicus mais bien plutôt qu’elle ait été intégrée au sein du dit ensemble. Ce qui nous semble indiquer que nous n’avons affaire ici qu’à des éditions augmentées du Jani Gallici Faces Prior, les précédentes ayant disparu. Encore ne faudrait-il pas situer au même moment la parution de l’édition latine et de l’édition française.
L’édition bilingue au titre latin que nous connaissons nous semble plus tardive que .l’édition au titre français. L’édition latine nous semble avoir été quelque peu élaguée. On n’y trouve plus de référence à une quelconque rétractation qui aurait été exigée. Bien plus on reprend certaines attestations en en évacuant la partie concernée par la dite rétractation, en gardant la date et le nom du signataire.
Texte français : « Considéré la rétractation de ce mot & titre de Prophete avec la submission benevole de l’Auteur en tout le contenu de ce livre intitulé La Première face du Ianus François, il ne contient chose contraire & derogeante à la religion Catholique, Apostolique & Romaine. Fait à Lyon ce 21 Juillet (sic) 1594. Faber, Docteur en Theologie
Texte latin : « Librum hunc, cui titulus est Iani Gallici facies prior attestor nihil continere quod religione Catholica Apostolica Romana adversetur. Lugduni 21 Iulii 1594 Faber Doctor Theologus »
On a sauté toute la partie se référant à une rétractation tout en conservant la date du 21 juillet 1594.
Bien évidemment, la version latine datée de 1594 comme la version française, n’a pas conserve l’adresse de l’auteur « au lecteur bienveillant (sic) » :
« Si est ce que je ne suis tant opiniastre (..) que je ne veuille ceder & obéir à l’advertissement qui m’a esté fait par aucuns Docteurs en la faculté de Theologie de changer ce dit mot de Prophete (..) Pour ce je t’advise Lecteur que je retracte & n’en pretens user, sinon que pour grand Prognosticateur & Prediseur simplement (..) Protestant ne vouloir inserer icy chose qui ne soit conforme à la doctrine de nostre mere S. Esglise, Catholique , Apostolique & Romaine ».
Au vrai ce texte est assez ambigu car l’on peut comprendre que l’on pourra se servir du mot « prophete » dès lors que l’on aura précisé par avance dans quel sens on l’utilisait. Il n’empêche que l’édition latine préfère ne pas se référer à une telle rétractation tout en ne se privant pas d’utiliser l’équivalent latin Vates
Car comment expliquer que figure dans la Prognostication de l’Advenement, il est vrai surajoutée : « ce grand Prophete de nostre temps, Michel de Nostredame lequel j’avais connu privément autrefois » ou « Voyez Monseigneur comme ce Prophete persiste en son propos »
Que dire de l’ »avertissement au lecteur » en tête, cette fois, du Janus François où l’on parle de « ‘Nostre Prophéte, dez l’an de grace 1555 iusques à 67 ayant escrit plusieurs beaux presages » : Faut-il y voir quelque provocation ?
Signalons aussi à la fin de la Vita Autoris, d’un « Mirificus Vates dixerit », expression d’ailleurs absente de la traduction française ?
On se perd en conjectures quant à l’entrelacs des éléments d’un ensemble aussi hybride, comportant des pièces rapportées, augmentées. On nous explique en tête de l’édition de « Janus François » que Chavigny se rétracte pour avoir désigné Nostradamus comme « prophéte » - on peut parler de prophéties mais pas de prophète’ et il faut préférer le terme de « prognostiqueur » que Chavigny utilisera dans d’autres œuvres. Mais dans ce cas, comment expliquer que le terme de « prophéte » n’ait pas pour autant disparu de l’ensemble concerné ? Il semble, comme on a déjà pu l’observer pour les éditions de la Ligue, tant à Rouen qu’à Paris, que certains libraires cherchent à écouler des stocks en se contentant de changer les premières pages.
On peut donc s’essayer à une chronologie de la genèse du Janus Gallicus en incluant les nombreux chainons manquants :
1 Un commentaire latin uniquement articulé sur les quatrains des almanachs, avec une traduction française en vis-à-vis, étant entendu que les quatrains, quant à eux, sont bien traduits du français (disparue)
2 Une édition désignant fréquemment Nostradamus comme Prophète (en latin Vates) conservée sous un autre titre
3 Une édition (disparue) censurée censée avoir évacuée le terme Prophète On n’en aurait conservé que quelques pages introductives concernant une rétractation
4 Une édition ayant évacué les éléments latins (1596) dont elle dépend en partie mais ayant conservé une présentation ne se référant pas aux centuries à la fin du Discours sur la Vie de Nostradamus.
5 Une édition augmentée adressée à Henri IV et comportant une annexe indiquée au titre : « A la fin est adiousté un discours de l’advenement à la Couronne de France du Roy Tres Chréstien à présent regnant, ensemble de sa grandeur & prosperité à venir » La mention « Au Roi », au titre, vise ici le Bourbon, puisque l’ouvrage s’ouvre sur une épitre à lui adressée et se termine par un Discours sur son avènement Or, l’édition lyonnaise Roussin Janus bilingue, tant en français qu’en latin, annonce cette addition En revanche, l’édition parisienne 1596 (chez deux libraires) ne se réfère plus, optant pour une cote mal taillée, à l’image du Janus Gallicus Le changement de titre est également significatif : Commentaires du Sieur de Chavigny etc.

La traduction latine des quatrains
Si les quatrains sont à l’évidence française et font l’objet d’une traduction latine, il nous semble, inversement, que les commentaires, quant à eux, sont traduits du latin et ne font sens que par rapport à la traduction latine, souvent biaisée, des quatrains français. On prendra pour exemple les références à Louis (Lodoicus) de Bourbon, avec chaque fois une « traduction » latine tirée par les cheveux-. Or, il s’agit d’un prince du sang protestant, oncle du futur Henri IV, Louis premier de Bourbon, qui naquit à Vendôme en 1530 et fut tué à Jarnac, le 13 mars 1569.
Prenons le cas du commentaire de VIII, 92 :
LOIN hors du regne, mis en hazard voyage :
Grand ost duira, pour soy l’occupera
Le Roy tiendra les siens captifs hostage
A Son retour tout pays pillera

Ce qui est « traduit » en latin ainsi :
LODOICUS patria cedens petet extera regna
Unde sibi adscicet fulgentes aere cateruas
Pervigili natos Rex sub custode tenebit
Vi, ferroque agros rediens e populabitur omnes
Commentaire français : « Il prend le père pour le fils nommé Henri de Bourbon, Prince de Condé, qui estant en Allemagne envoya en France 2000 reitres etc » La scène se place en 1562. C’est bien là un personnage très controversé et il importe de comprendre les raisons de son instrumentalisation dans le Janus Gallicus, qui se présente, à plusieurs reprises, tel un ouvrage d’histoire, comme cela est patent dans le titre latin (Historia). Etrangement, le mot Histoire a disparu du titre français.On lit ainsi « Nostratem huius temporis historiam complectens » et « historiam bellorum civilium » mais, en français, seulement « contenant sommairement les troubles, guerres civiles etc ». Or, le permis d’imprimer- accordé aux deux Faces - mentionne bien « l’histoire des troubles ». Le terme Histoire ne figurera pas davantage au titre de l’édition de 1596.
Le quatrain III, 55 « Grand de Bloys son amy tuera » est traduit en latin « LODOICUS chari eadem accelerabit amici », à propos du Trouble d’Amboise.(Tumultus Ambasianus). Le même quatrain resservira pour l »histoire » de 1563.
Pour 1561, on se sert du quatrain présage pour avril 1562
De LOIN viendra susciter pour mouvoir
Pour que le texte latin retrouve LODOICUS
« Par LOIN, il entend Louis de Bourbon, Prince de Condé » devant Paris, ce qui s’entend mieux à partir de la « traduction » : Omnia LODOICUS populosam accensus in urbem »
Pour 1567, on prend le quatrain présage pour septembre 1563 :
Des grands deul LVIS trop plus trebuchera avec ce commentaire
« Le Prince de Condé pour estre de sang & maison royale est obligé davantage à conserver la Couronne & l’Estat : voila pourquoi il peche & il est en faute » Le texte du quatrain est au départ « l’huis » [3] rendu par LODOICUS en latin. Toujours pour 1567, l’on se sert du quatrain II, 28 « LOIN vaquera par serentique teste » qui devient en latin « LODOICVSQ etc » avec ce commentaire « Loys de Bourbon demandoit au Roy que le peuple foulé d’imposts fut dechargé ». Toujours pour 1567, le quatrain pour octobre 1559 qui comporte BON-BOURG devient BORBONEUS.
‘Les trois Grands hors le BON BOURG sera loing » est ains « expliqué » : Les trois frères de Coligny se jettèrent aux champs & le Prince de Condé avec eux » (Condaeus Princeps)
Pour l’an 1568, LODOICUS devient synonyme du parti Protestant et l e nom de Condé n’apparait même pas au commentaire. Le présage pour décembre 1567 comportait simplement « LOIN ». : « Les deux armées Catholiques & Protestants se voyent premierement pres de Loudun »
On en arrive enfin à 1569, année de la mort du Prince. Le quatrain présage pour 1562 va servir ; « Ieux & festins de LOIN plus reposer » rendu par LODOICUS avec le commentaire pour Mars 1569 » Loys de Bourbon Prince de Condé est tué en la bataille donnée entre Bassac & Iarnac le 13 de ce mois »
Comment comprendre un tel commentaire si l’on part de LOIN et non de LODOICUS, prénom du prince de Condé ? Le français ne fait ici que traduire le latin : « Condaeum Principem patrem pro filio, qui Henricus Borbonius appellatus est etc .Ainsi, à partir de mots comme Loin ou comme Bloys, le commentateur revient à Louis, tout comme « grand » ou « grain » le conduisent à Gabriel d’Orges de Montgomery, le malheureux et dernier adversaire d’Henri II, du fait du jeu de mot sur »grain d’orge ».. Le commentaire du quatrain III, 30, utilisé pour 1574, année de la mort du Comte ne se comprend que si l’on note la mention de « grand », au second vers : « Aura porté plus grand que luy le pris » :
« C’est le Comte de Montgomery, qui aux tournois faits 1559 tua le Roy Henry II. Sur quoy fut tant celebré (il m’en souvient) ce présage de l’Auteur qu’il avait avancé dez 1552. Certes le Grain (entendant d’orge) sera cause de grands mutineries & troubles. Or chacun scait qu’on appelait autrement ce Comte, le Capitaine Lorges. Le dit Comte pris de nuit (…) eut la teste tranchée le 16. juin ceste année » Cette fois, aucun mot n’est mis en majuscules : Il s’agit probablement du mot « semina » dans « semina belli ».
En fait, les textes latin et français se complètent et sont indissociables, ils ne peuvent être appréhendés isolément comme cela se fera en 1596, avec la « réédition » sous le nouveau titre de Commentaires du Sieur de Chavigny.
Cette manière de mettre certains mot entièrement en capitales- d’ailleurs tantôt dans le texte latin, tantôt dans le texte français- se retrouve dans certaines éditions des Centuries comme Macé Bonhomme 1555, Antoine du Rosne 1557 Utrecht, Benoist Rigaud1568, et nous semble un trait propre aux années 1590, nullement attesté dans la décennie précédente. Le fait que cela affecte également les quatrains présages, dans le Janus Gallicus – pratique non confirmée dans les almanachs de Nostradamus qui nous sont parvenus-(1557, 1562 etc) - elle n’est pas non plus attestée dans le Recueil des Présages Prosaïques- nous parait devoir orienter vers Jean Aimé de Chavigny la piste de certaines contrefaçons, que ce soit directement ou indirectement. En fait, la façon dont les quatrains présages sont rendus en latin, dans le Janus Gallicus, révèle que la fin- la raison d’Etat- justifie tous les moyens, même les plus grossiers- ce qui pose d’ailleurs le problème plus général des traductions des quatrains vers d’autres langues, ce qui aura certainement permis d’innombrables ajustements au cours des siècles, par delà le processus même propre à tout commentaire, la traduction permettant de porter atteinte à la matière même du texte, du signifiant. Quant à la façon dont Chavigny s’autorise à «piocher » dans l’ensemble des quatrains, le verset qui convient à son propos, cela laisse rêveur mais l’on peut dire qu’il a fait école. La méthode suivie pour le Janus est d’ailleurs assez simple à reconstituer : il se sert de chroniques pour telle ou telle année – citant d’ailleurs ses références comme Jean Le Frère, de Laval, mort en 1583, auteur de La Vraye et entiere histoire des troubles et guerres civiles, avenues de nostre temps, pour le faict de la religion, tant en France, Allemagne que Pays-Bas. Recueillie de plusieurs discours françois & latins & reduite en dix-neuf livres. Paris, 1572, 2e éd. 1573-1574 in-8°, en 19 livres, 3e éd, 1575, 4e éd, 1576 avec un 20e livre »[4] ou comme Milles Piguerre, auteur de L'Histoire de France enrichie des plus notables occurrences et choses mémorables advenues en ce royaume de France et ès Pays-Bas de Flandres, soit en paix, soit en guerre, tant pour le fait séculier qu'ecclésiastique, recueillie de divers mémoires, instructions et harangues d'ambassadeurs, négociations d'affaires, expéditions de guerre et autres avertissements particuliers. Paris, 1582. C’est apparemment cette édition qui aura servi au commentaire du Janus, en sus de la production de Jean Le Frère de Laval, comme c’est le cas du numéro 297 du Janus Gallicus, pour la fin de l’an 1579. Le commentateur va chercher dans les quatrains les versets faisant écho à tel ou tel événement. Etant donné que l’on cite dans le commentaire le livre 20 de Le Frère (par exemple au n° 261 du Janus Gallicus pour 1572), le commentateur s’est servi d’une édition qui ne saurait être antérieure à 1576.
En revanche, le texte latin qui ne donne pas de telles références pourrait être antérieur ». On se demandera d’ailleurs si certaines chroniques qui servent à valider certains quatrains n’auraient pas éventuellement servi à les composer comme ce fut le cas, à la fin des années 1590 pour les devises de la prophétie de Saint Malachie.[5]
Chavigny nous fournit d’ailleurs son instrument de travail puisqu’il a classé les vers par ordre alphabétique. Mais de ce fait, l’on peut considérer que le commentaire n’est pas contemporain de la période à laquelle on applique tel ou tel quatrain, puisque l’exégète est obligé d’aller consulter des mémoires. Il nous semble que le propos de Chavigny reléve d’une volonté de fonder la science historique sur le prophétisme en utilisant deux ensembles : celui des quatrains prophétiques et celui des chroniques et en montrant que les dits ensembles se recoupent, à ce détail près qu’il ne tient pas compte des dates des quatrains- à commencer par ceux des almanachs qui sont au cœur de la Première Face du Janus François, et qu’il se permet des traductions latines des plus audacieuses..
Il semble que le passage du latin vers le français soit également probable pour le « Brief Discours sur la Vie de M. Michel de Nostredame » dont certains développements ne figurent que dans la version latine, dans le Janus Gallicus, notamment en ce qui concerne Dorat. On notera que selon le titre latin, ce serait plutôt un résumé, une réduction d’un texte disparu : « Mich. Nostradami Vita in Epitomen contracta ». On notera que le titre latin se réfère à des quatrains et non à des Centuries : « Ex decantatissimis illis tetrastichis ». Or, nous savons que dans la toute première édition, les quatrains n’étaient pas encore classés en centuries/
Remarquablement, l’édition bilingue au titre français, qui est la plus composite, ne craint pas de fournir des pièces décalées les unes par rapport aux autres. On comprend qu’en 1596, on ait cru bien faire en produisant un contenu élagué et qui plus est sous un nouveau titre, mais ce faisant, le seul commentaire français ne nous semble pas se suffire à lui-même. Ce qui est clair, c’est que les trois éditions qui nous sont parvenues offrent des différences significatives qui ont pu nous aider à reconstituer peu ou prou la genèse d’un tel recueil.
Il est clair que l’inspiration générale du commentaire est nettement anti-protestante. On n’y compte plus les coups de griffe à l’encontre des Evangélistes et des Huguenots, à commencer par ce Louis de Condé, ce qui laisse entendre que son usage polémique ne saurait dater de 1594, année de réconciliation à la suite de la conversion et du couronnement d’Henri de Bourbon, déjà roi de Navarre. 1589 ou 1590 semble une probabilité (cf « Le libraire au Lecteur, avis daté du 14 mai 1589). Le libraire n’est ici autre que Jean Aimé de Chavigny lui-même qui cédera ses droits en 1596 à des libraires parisiens. Quant à l’Epître à d’Ornano concernant l’avénement à la couronne de France, elle doit logiquement se situer avant un tel événement puisqu ‘elle se présente comme une Prognostication[6], le titre ayant été carrément tronqué dans la présentation au sein du Janus Gallicus.. Le texte daté de 1595 n’est probablement qu’une réédition relative à un événement passé en date de janvier 1594, à savoir le couronnement à Chartres..
Pour en revenir aux questions posées au début de cette étude, ce qui est certain, c’est que l’édition des Centuries dont se sert le Janus Gallicus n’a pas été conservée pas plus d’ailleurs qu’aucune édition à six centuries sans addition. Parmi les particularités de l’édition reprise dans le Janus, on notera que certains quatrains sont incomplets et d’ailleurs signalés par un astérisque, à moins qu’il ne se soit agi d’une suppression au niveau du dit Janus Gallicus. Ce phénoméne des versets tronqués n’est pas une surprise puisque dans les éditions Benoist Rigaud 1568, le quatrain VIII 52. Ce quatrain comporte certainement d’ailleurs plusieurs noms de lieux corrompus, outre le fait que le premier vers figure dans un autre quatrain du second volet.
Le Roy de Bloys dans Avignon regner
D’Amboise & Seme viendra le long de Lyndre
Ongle à Poytiers sainctes aisles ruiner
Devant Boni.
Ce quatrain, à part la mention d’Avignon, est centré sur la Loire et la Charente : Blois, Amboise, Indre, Poitiers, Saintes, voire Saumur (‘Seme) ou Angers (Ongle). On pense évidemment à ces quatrains du second volet qui empruntent des indications d’itinèraire (cf IX, 86). Nous proposerons de lire Bonis, qui correspond à la ville de Bonnes, près de Poitiers. [7]
Dans le Janus, on trouve :
I, 52
Avec un début de vers manquant :
[Peste à l’Eglise] * par le nouveau roy ioinct
VIII, 18
Car les trois Lis luy feront telle pause
Par son fruit sauve*[comme chair crue mueyte]
Apparemment, le travail de réfection du second volet n’aura pas été mené à son terme. En ce qui concerne le quatrain I, 52, il peut ne s’agir que d’une censure exigeant la suppression de « Peste à l’Eglise »
Au XVIIe siècle, certaines éditions troyennes se serviront du Janus Gallicus pour réaliser un ensemble aussi complet que possible, incluant les quatrains présages – et ceux là seulement- qui y sont commentés jusqu’à certains quatrains des éditions parisiennes de la Ligue, non reprises dans le « canon » rigaldien des années 1590 ainsi que les quatrains des centuries XI et XII fournis par Chavigny, lequel affirme que les centuries se répartissent en « XII Centuries de predictions comprises brievement par quatrains (…) dont trois se trouvent imparfaites, la VII, XI & XII »faisant pendant aux 12 livres de quatrains d’almanachs : « Nous avons de luy d’autres presages en prose, faits puis l’an 1550 iusques à 67 qui colligez par moy la plupart redigez en XII livres, sont dignes d’estre recomandez à la postérité » (cf Brief Discours de la Vie de M. Michel de Nostredame»)
Le Janus Gallicus doit être complété par les Pléiades (Pléiades Françoises, selon le privilège), ouvrage tout entier dédié à Henri IV et qui fut composé au lendemain de son couronnement, même si l’on n’en connait pas d’édition avant 1603. On en a d’ailleurs un manuscrit (daté de 1594) conservé à la Bibliothèque Méjanes (Aix en Provence, MS 451), Vaticination fort ancienne interprétée du treschrestien Henry IIII Roy de France et de Navarre et conférée avec les oracles et présages de M. Michel de Nostradamus, qui est très proche – nous l’avons consulté - des dites Pléiades[8] Chavigny désigne l’an 1552. D’ailleurs, il est clairement indiqué que l’on est alors en 1595 : « « Et ia cette année 1595 » (Livre III, p 95) « quant à l’an present 1595 » ( Livre V, p 186). On pourrait même avancer la date pour certains passages puisque le Livre V a en ligne de mire (pp. 129-130, 180) 1594 et 1595. Qu’on lise ce passage : « et ne passera l’an de salut 1596 dont nous sommes si proches que nous le touchons du doigt » (Livre V, p 194) . On peut même se demander quel intérêt on peut avoir à (re)publier des textes relatifs à des années déjà écoulées, en 1603, 1606 (deux éditions), 1607, toutes chez Pierre Rigaud, à Lyon- auquel Chavigny avait cédé ses droits en 1603 comme il l’avait fait en 1596 pour les impressions parisiennes de la Première Face-- à commencer par l’épitre datée de 1603 adressée au roi (à rapprocher de celle de 1605 de Vincent Séve), si ce n’est pour indiquer que les pronostics se sont accomplis comme prévu, encore que l’on puisse penser que certains passages sont antidatés. D’ailleurs, les notes marginales veillent à montrer qu’il en a bien été ainsi « Le commentateur (ici Chavigny) escrivoit cecy en Janvier 15954 » (Livre III, p 92)Si le Janus Gallicus est le commentaire des quatrains des almanachs et, à moindre degré, des centuries, les Pléiades sont celui des « présages en prose », soit deux ouvrages qui s’appuient sur le Recueil des Présages Prosaïques, daté de 1589, conservé à la Bibliothèque La Part Dieu, à Lyon[9], édité par le dit Chavigny mais dont on ne connait aucune impression, mais dont l’on peut raisonnablement supposer qu’il fut bel et bien publié. D’ailleurs, la présence des présages au sein même du Janus Gallicus ne fait sens que par référence à un ensemble existant, tout comme pour les quatrains centuriques. On ne saurait en tout cas considérer les Pleiades comme la Seconde Face du Janus François car cet ouvrage y est annoncé comme étant en cours de fabrication mais ne paraitra pas. Relevons les annonces suivantes : « par ce quatrain III de sa 5 Centurie qui se trouvera au long expliqué au second livre de nostre Janus François » (Livre I, p. 9)
Que dire de ce passage de l’Epitre à Alphonse Dornano, consacrée à l’ »Advenement à la Couronne de France » d’Henri de Bourbon, Roy de Navarre, où l’auteur déclare, d’entrée de jeu, qu’il a « congneu privément autrefois » Nostradamus, « ce grand Prophete de nostre temps »[10]? S’agirait-il d’une seule et même personne que Jean de Chevigny ? On notera des similitudes entre l’épitre à Larcher (cf. Androgyn, antidaté à 1570) du dit Jean de Chevigny et la fin du Brief Discours de la Vie de Nostradamus C’était, en tout cas, l’intention de Jean Aimé de Chavigny de le faire croire en se servant de documents comme le Recueil de Présages Prosaïques, qui émanaient directement de l’entourage de Nostradamus L’intérêt que Chavigny porte notamment, dans la Première Face du Janus François, aux quatrains des almanachs le met en décalage avec le temps de la Ligue, jusqu’à ce qu’il accepte de prendre en compte les « douze » livres de quatrains centuriques qui font pendant aux douze livres de quatrains-présages En rappelant qu’il connut Nostradamus, Chavigny confère ipso facto une certaine authenticité aux dites Centuries.

 


JHB
05 08.12


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[1] selon le décompte de B Chevignard, in Présages de Nostradamus, Seuil, 1999).
[2] Les auteurs beaunois du XVIe au XVIIe sièvle Beaune 1893, p 138
[3] cf Recueil des Présages Prosaïques, cf B. Chevignard Présages de Nostradamus, Seuil, 1999 qui ne signale pas cette variante dans le Janus Gallicus.

[4] Cf article Wikipedia, sur Jean Le Frère
[5] Cf Papes et prophéties, Ed Axiome, 2005
[6] Cf l’exemplaire de la Mazarine
[7] Voir aussidans le même dépatement, Bonneuil-Matours
[8] Cf R. Benazra, RCN, pp 137-138
[9] Cf B Chevignard, Nostradamus. Présages en prose, op. cit.
[10] repris p 283 en annexe de la Première Face du Janus François

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Updated Tuesday, 07 April 2015

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