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Researches 81-90
 
81 - L’Epitre à Henri II de 1558 et l’Almanach de Nostradamus pour 1558
 
82 - Les sources des commentateurs de Nostradamus : le cas Chavigny
 
83 - Chavigny, le mal aimé des bibliographies nostradamiques.
 
84 - Les avatars de la sixième centurie. Reconstitution de la première addition de 39 articles.
 
85 - La thèse des calques dans le champ nostradamique
 
86 - De la fortune des quatrains-présages
 
87 L’âge d’or du nostradamisme au XVIIe siècle (1643-1691)
 
88 - Les embarras centuriques : quatrains et centuries fantômes.
 
89 - Les publications troyennes du XVIIe siècle et "Benoist Rigaud 1568"
 
90 -  Le lien Chevigny-Chavigny
 
 
 

 

 

Researches 81-90

 

81 - L’Epitre à Henri II de 1558 et l’Almanach de Nostradamus pour 1558
Par Jacques Halbronn


Le processus de contrefaçon implique de recycler certains documents d’époque, gage d’une apparence d’authenticité, ce qui suffit parfois à faire illusion encore de nos jours, alors que nous disposons d’un ensemble de documents qui devrait nous permettre de déjouer certains stratagèmes et de ne pas s’extasier devant des imitations plus ou moins ingénieuses.
Le recours au Recueil des Présages Prosaïques, ensemble réunissant les textes de divers almanachs, pronostications et autres présages, est assez flagrant, en ce qui concerne la production centurique sous la Ligue et au début du règne d’Henri IV Un cas bien connu[1] est celui de l’utilisation des quatrains de l’almanach pour 1561, en annexe des éditions parisiennes de 1588-1589, pour former un début de centurie VII Comment expliquer un tel procédé ? Cela doit être rapproché du titre des dites éditions se référant à une addition pour justement l’an 1561 à la « dernière centurie », c'est-à-dire la sixième/ Mais cette addition de quelques quatrains n’équivaut pas aux 38/39 articles annoncés au titre, ce qui est l’esquisse d’une septième centurie à 40 puis 42 quatrains. Mais, à ce stade, la sixième centurie n’est pas encore « bouclée » et étrangement, la numérotation des quatrains n’est pas renouvelée pour la VIIe centurie mais prend la suite de la numérotation[2] de la Vie centurie pour arriver à un quatrain numéroté 83/ Les éditions de Rouen (1589) et d’Anvers (1590) ne tiendront pas compte de cette « solution » et compléteront la sixième centurie et mettront en place une centurie VII à nouveaux frais qui, dans un premier temps, d’ailleurs, n’atteindra pas les 38/39 quatrains mais restera en deçà (cf. édition Anvers, à 35 quatrains à la VII, l’édition de Rouen 1589 étant tronquée sur la fin) Ce qui est clair, c’est que cet emprunt à l’almanach pour 1561 fera long feu.
Mais passons à un autre cas moins connu, qui concerne la fabrication de la nouvelle épitre à Henri II, datée de juin 1558, inspirée d’une épitre au Roi, datée du début de 1556 et figurant en tête des Présages Merveilleux pour 1557 Nous proposons d’étudier dans quelle mesure cette Epitre n’a pas été marquée par l’almanach pour la dite année 1558, almanach qui n’a pas été retrouvé mais dont le texte –du moins en partie-car certains compléments techniques étaient rajoutés en aval- figure au sein du Recueil des Présages Prosaïques C’est donc à une comparaison entre le texte de l’épitre à Henri II version 1558 et celui de l’almanach pour 1558 que nous allons procéder, en recourant, d’entrée de jeu, aux commentaires de Chavigny, dans le Livre III des Pléiades (Ed P Rigaud, Lyon, 1603, pp 57 et seq), ouvrage rédigé lors de l’avènement d’Henri IV : l’année 1585 est mise en avant, ce qui correspond en gros avec les troubles liés à la mort de Monsieur (le duc d’Alençon) qui place Henri de Bourbon comme successeur potentiel d’Henri III : « nos dernières guerres civiles (…) lesquelles ont commencé l’an 1585 » Chavigny rappelle ce que Nostradamus écrivait : « Au Presage de 1558, il en avoit parlé ainsi, Innumerables factions se préparent non seulement pour la presente année mais presques iusques à l’an 1585 lors que se trouve encore plus grand tumulte qui fut jamais Se dresseront nouveaux tumultes, esmotions & brigues & seront commis plusieurs & divers meurtres & effusions de sang pestifères & martiales Je voy des guerres , dont la fureur sera fort longue
Or, l’on sait que la mention de 1585 figure en bonne place dans l’Epitre à Henri II : »mesmes de l’année 1585.1606 (Ed Cahors Rousseau, 1590) accomençant depuis le temps present qui est le 14 de Mars 1557 » On notera l’addition de 1606 et d’ailleurs on ne connait aucune édition de l’Epitre avec seulement 1585 On rappellera que pour Chavigny 1607 correspond au terme de ses prédictions, pour son projet de Seconde Face du Janus François
Si l’on se réfère à l’almanach pour 1558, du moins tel qu’il nous est présenté dans le Recueil de Présages Prosaïques, au Livre III, on retrouve, littéralement, à l’identique, le passage évoqué par Chavigny, passage d’ailleurs annoté par celui-ci, Chavigny étant par ailleurs l’éditeur du dit Recueil (Grenoble 1589), le dit Chavigny se voulant également libraire comme pour la Première face du Janus François, les héritiers de Pierre Roussin, à Lyon, n’ayant que le statut d’imprimeur en la circonstance :
« Autres innumerables factions se préparent non seulement pour la présente année mais presques jusques à l’an 1585 lors que je treuve encores plus grand tumulte qu’il ne fut jamais etc » (n° 25-26) Le texte se poursuit « Apparoistra un nouveau Roy » et le quatrain de janvier commence par « Puisné Roy fait etc »
Nous pensons que ce passage a été modifié par Chavigny, d’où le fait qu’il se trouve à l’identique dans les deux documents comparés, alors que le dit Chavigny prend souvent des libertés avec les textes dont il se sert On notera d’ailleurs que 1585 est l’anagramme de 1558. Ce « nouveau Roi », prétendument annoncé par Nostradamus dès 1557 -mais ce passage ne figure pas dans les Pléiades - pour 1585, semble devoir désigner Henri IV Rappelons que l’Epitre à Henri II ouvre sur 300 quatrains dont certains annoncent très nettement la victoire des Bourbons (Mendosus/Vendome) sur les Guises (Lorraine/ Norlaris).
Nous observerons que Nostradamus en 1557 devait plutôt avoir en ligne de mire les années 1560 que les années 1580, en raison de la prochaine conjonction de Jupiter et de Saturne, ayant lieu tous les 20 ans On ne connait d’ailleurs pas d’occurrence- en dehors de la centurie VI, 2 : « En l’an cinq cens octante plus & moins », cité par Chavigny (p. 57) – où Nostradamus se fixe sur les années 1580, ce qui nous confirme dans le caractère tardif de la dite centurie Revenons d’ailleurs sur les premières lignes de l’almanach pour 1558. Dans l’Epitre liminaire, qui résume l’ensemble, on lit :
« Par mes calculations (…) le tout ne sera qu’un redondement de plus grande guerre & populaire exition. Ma langue ne scaurait exprimer ce que par cest an 1558 & 59 iusques à 62 les cieux nous menacent ( ) Je doubte fort que toutes telles futures calamitez qui nous menacent ne soyent plus prochaine que ne cuident ceux qui par un glorieux mespris calomnient ce qu’ils ne peuvent entendre » On voit donc que le terme de 1562 est annoncé comme date ultime, ce qui ne s’accorde pas avec la présence d’une échéance pour 1585 Il convient donc de rétablir le passage en question : » Autres innumerables factions se préparent non seulement pour la presente année mais presques jusques à l’an 1562 etc » On retrouve d’ailleurs cette même échéance dans la Prognostication pour cette année 1558 :
Pronostication (imprimée) : »Car les astres ensemble uniz & accordez par une harmonie presagent non tant seulement ceste presente année mais aussi plusieurs des suivantes presques iusques à 1562 & du mois de May, où est une autre conjonction »»
Recueil : « Non seulement ceste presente année mais aussi plusieurs des suivantes presques iusques à 1562 & du mois de May, où est une autre conjonction »
Le Recueil semble être ici lacunaire par rapport à l’imprimé puisque le passage tel quel est quasiment incompréhensible, il semble que le début de la phrase fasse défaut.
Mais revenons au passage de l’Epitre à Henri II –texte très vraisemblablement postérieur à 1585- et il est clair qu’une telle « prophétie » datée a du contribuer au prestige posthume de Nostradamus-
: »mesmes de l’année 1585.1606 (Ed Cahors Rousseau, 1590) accomençant depuis le temps present qui est le 14 de Mars 1557 »
Nous le rapprocherons d’un autre passage de l’almanach pour 1558 :
« Toutefois je prevoys icy à ceste nocturne heure qui est le 27 février 1557 (..) Je voy tant d’evenements qu’il me semble que la fin du monde s’approche »
Il nous semble que dans le cadre d’une épitre à Henri II datée du 27 juin 1558, il est incongru que l’auteur se référe au 14 mars 1557. Même si les dates sont décalées d’une quinzaine de jours, nous percevons dans cette indication la trace d’un emprunt à une publication annuelle pour 1558 et non pas rédigée au milieu de 1558
Nous disposons donc de quatre documents convergents – et pour cause :
1 le Recueil de Présages Prosaïques pour l’année 1558
2 L’Epitre centurique à Henri II, datée de juin 1558
3 Les Pléiades qui montrent un Chavigny grand lecteur des écrits en prose de Nostradamus – il ne se limite nullement aux quatrains comme on pourrait le croire à la seule lecture de la Première Face du Janus François et notamment de l’almanach pour 1558
4 La centurie VI et son deuxième quatrain à propos des années « cinq cens quatre vingt »
Ces 4 textes accordent une grande importance à la décennie 1580 qui est celle du déclenchement des troubles dynastiques du fait du conflit religieux.
Selon nous, les convergences entre ces textes ne sont nullement fortuites pas plus qu’elles ne sont le fait de quelque talent prévisionnel de Nostradamus. Tous ces textes à l’unisson relèveraient d’une seule et même intervention : retouche du texte de l’almanach pour 1558 (on remplace 1562 par 1585), dans le Recueil de Présages Prosaïques, édité par Chavigny, confection de la nouvelle épitre à Henri II datée de 1558, confection de la centurie VI sous la Ligue et bien entendu commentaire du dit Chavigny, dans les Pléiades (1595) se référant à cet almanach pour 1558
Nous reviendrons sur l’interprétation que Chavigny propose dans la Première Face du quatrain I, 16 – à laquelle il renvoie dans les Pléiades (Livre III, pp 57-58)
Pour l’an 1580 (n° 298) Chavigny aborde ce quatrain et l’interprète ainsi :
Faux à l’Estang, ioint vers le Sagittaire
En son haut auge & exaltation
Peste, famine, mort de main militaire
Le siecle approche de renovation
« C'est-à-dire, lors que Saturne (qu’il entend par la Faux) se trouvera au signe de son exaltation, la Balance, qu’est es années de 1569 ²& 70 en son auge, le Sagittaire qui a esté 1574 & 75 & au signe du Verseau (qu’il appelle Estang) qu’est ceste année 1580 & quelques suivants, on sentira davantage les iustes chastimens & fleaux de l’ire de Dieu etc »
Ce passage- comme le suggère Chavigny lui-même, qui s’y connait en astrologie, dans ses Pléiades, est à rapprocher de VI, 2 « En l’an cinq cens octante plus & moins » du fait d’une formulation fort proche.
Une telle lecture du quatrain est contestable : Estang renverrait plutôt à Estaing/ Etain, le métal de Jupiter tout comme l’argent est celui de la Lune Il s’agit d’une conjonction de Saturne et de Jupiter, de la faux et de l’étain en Sagittaire qui eut lieu tout au long de l’année 1544[3], soit la conjonction qui précède de 20 ans celle des années 1560 et de 40 ans celle des années 1580
Ce quatrain est, en fait, repris d’un passage du Livre de l’Estat et Mutation des Temps de Richard Roussat, Lyon, Guillaume Rouillé, 1550[4] (p 131) - lequel d’ailleurs reprend le Période du Monde de Pierre Turrel :
« Car ceste presente triplicité aquatique terminee (.) viendra la triplicité de feu & lors se conjoindront Saturne & Iupiter au Sagittaire, Signe de feu () Saturne au signe de Feu sera en son auge surhaulsé & exalté & Jupiter en son detriment »
Le quatrain ne fait que calquer le texte en prose, comme c’est souvent le cas. L’influence de Roussat est également manifeste sur la Préface à César. C’est dire que l’on ne doit pas séparer la question des quatrains de celle des textes en prose et qu’une même source peut jouer dans les deux cas.
Dans notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France, nous avons montré que l’un des enjeux du prophétisme est de repousser les dates annoncées initialement, notamment en modifiant ne serait-ce qu’un chiffre. C’est ainsi que des prédictions pour les années 1580 ont été recyclée pour les années 1780, il suffisait de changer le 5 en 7. A son tour l’année 1585 sera corrigée par l’adjonction de 1’année 1606, au sein de l’Epitre à Henri II. Chavigny s’explique dans la Première Face du Janus François : « Je commence le premier livre dez l’an 1534 que l’opinion, & secte de Luther est entrée en France (..) iusqu’à 1589. Et commence le second dez celle année (..) iusques à 1607 »
Cet intérêt pour le début du XVIIe siècle se perçoit également dans les Significations de l’Eclipse qui sera le 16. septembre 1559 :[5], datée de 1558, au 14 août, soit quelques semaines après la date de l’Epitre à Henri II :
« Adviendra l’an 1605 que combien que le terme soit fort long, ce nonobstant les effects de cestuy ne seront gueres dissemblables à celuy d’icelle année, comme plus amplement est declaré à l’interprétation de la seconde centurie de mes Propheties »
Nous rapprocherons l’agencement de ce passage de celui que nous trouvons dans les Pléiades (Livre I, p 9) :
« Notre Prognostiqueur l’avoit semblablement remarqué par ce quatrain III de sa 5. Centurie, qui se trouvera au long expliqué au second livre de nostre Ianus François » Il s’agit là de la Seconde Face du Janus Gallicus qui était censée paraitre De même, l’annonce qui est faite dans les Significations quant « à l’interprétation de la seconde centurie » apparait comme un projet qui ne fut pas concrétisé. Rappelons que selon nous ces Significations sont un faux. On le trouve dans le Recueil des Présages Prosaïques[6]
« Extrait d’un IIIe traité contenant plus ample declaration de l’eclipse de Lune apparue le 16 septembre 1559 » L’on retrouve littéralement le même texte que dans l’imprimé si ce n’est en ce qui concerne le prologue et la conclusion, soit la première et la dernière page, avec la date, de l’imprimé qui ne figure pas dans le manuscrit. Cette façon d’utiliset un texte en en modifiant la présentation a pu être également de mise pour l’Epitre à Henri II, dont seul finalement le début et la fin sont directement liés avec leur prétendu destinataire et dédicataire. B. Chevignard apporte, au demeurant, un élément intéressant : « Le dédicataire de ces pages Jacques Marie Sala, éveque de Viviers et vice-légat du pape à Avignon, sous le cardinal Alexandre Farnèse, n’appréciait guère ce genre d’ouvrage et, en novembre 1557, il avait envoyé à son supérieur les pronostications pour 1558 en ajoutant « Vous les lirez pour passer le temps plus que pour y donner foi (..) Mais l’oracle de Salon ne le savait sans doute pas et tenait à se ménager des protections auprès des autorités politiques et religieuses » Mais justement, est-ce que de telles considérations ne rendent pas assez improbable que Nostradamus ait pu même songer adresser cette longue épitre sur l’éclipse à un personnage qui n’avait cure de son astrologie, sans son accord préalable, texte qui, en outre, consistait en partie en une traduction non avouée de l’Eclipsium de Leovitius [7] ?. Pour notre part, nous pensons, en effet, qu’il s’agit d’une contrefaçon qui est d’ailleurs la seule à reprendre la vignette réservée exclusivement aux Pronostications de Nostradamus. On la rapprochera de l’édition de la Pronostication pour 1558, chez le même libraire, Guillaume Le Noir[8] On notera que le privilége accordé au libraire parisien figure avec la Pronostication mais non avec les Significations.
Les autres contrefaçons datées des années 1550 emprunteront toutes une autre vignette, qui est vraisemblablement reprise des faux almanachs Barbe Regnault. Le cas des Significations est particulièrement remarquable en ce que le texte en aura été inséré au sein du Recueil de Présages Prosaïques
Dans le cas de l’épitre à Henri II, que dire de ce passage : « L’année sera pacifique sans eclipse & non du tout & sera le commencement comprenant se (sic) de ce que durera & commençant icelle année sera faicte plus grande persecution à l’église Chrestienne etc » On ne nous dit pas explicitement de quelle année il s’agit mais les données astronomiques énumérées concernent l’an 1606, signalé plus tôt dans la dite épitre. (cf supra). Le ton reste marqué par celui d’un pronostic annuel et non comme une épitre ouvrant sur 300 quatrains. Ce qui est étrange, c’est que si l’on compare les deux épitres datées de 1558, l’une (au vice-légat du pape) est centrée sur une éclipse (pour 1559) et l’autre (-à Henri II) insiste sur une absence d’éclipse (cf supra). On notera que dans l’almanach de Nostradamus pourr 1559 (in Recueil des Présages Prosaïques), il est déjà largement question (cf mois de juillet et septembre) de l’éclipse de septembre 1559, ce qui a pu donne l’idée de fabriquer les dites Significations[9] mais aussi semble constituer un double emploi avec l’Almanach.
JHB
06 08 12


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[1] Cf R Benazra, RCN, p 119
[2] cf B Chevignard, Présages en prose, Paris, Seuil, 1999, pp. 287 et seq
[3] Cf Gabriel Les Grandes Ephemerides, tome I 1509-1699 - Paris, La Grande Conjonction- Trédaniel
[4] Gutenberg Reprint 1981 avec Intr de J P Brach,
[5] Fac simile in Chevignard, Présages de Nostradamus op cit p 455
[6] Cf B Chevignared, Présages de Nostradamus, op cit pp 376 et seq
[7] Cf B Chevignard, Présages, op cit pp 443-444
[8] B Chevignard fournit les reprints des deux documents, Présages , pp 419 et seq
[9] Cf Chevignard, Présages, op cir p 326

 

 

82 - Les sources des commentateurs de Nostradamus : le cas Chavigny
Par Jacques Halbronn


Si l’on s’est intéressé aux sources des quatrains, il convient également d’étudier la façon dont les commentateurs des quatrains associés au nom de Nostradamus ont travaillé. Le cas Chavigny nous apparait comme emblématique en ce que lui-même signale volontiers ses propres sources. On pourrait croire qu’il ne fait que renvoyer son lecteur à un certain nombre de documents mais nous pensons qu’en réalité, il nous révèle la façon dont il conduit son commentaire et cela est assez édifiant.
Selon nous, Chavigny propose un commentaire nostradamique de l’Histoire de France, année par année, en s’appuyant pour ce faire sur un certain nombre d’ouvrages historiques, tels que la Vraye et entière Histoire des troubles et guerres civiles de Jean Le Frère, de Laval ou L’Histoire de France contenant les plus notables occurrences et choses memorables advenus en ce Royaume de France (…) iusques à présent etc de Paul Emile Piguerre, chartrain. D’ailleurs, le titre latin du Jani Gallici Faces Prior, comporte le mot « Historiam », Chavigny lui-même désignant son travail sous ce nom d’Histoire. D’ailleurs, l’organisation même de son ouvrage n’est pas sans rappeler celle de publications historiques avec son jeu d’ »indices » et sa chronologie année par année. Un des auteurs qu’il cite, Laurent Surius, intitule son livre Histoire ou Commentaire de toutes choses memorables avenues depuis LXX ans (1571). Or, Chavigny, dans son édition de 1596, change le nom de son Janus François en Commentaires du Sieur de Chavigny. Le Recueil de présages prosaïques dispose d’une page de titre qui va dans le même sens : « ou se verra à l’œil toute l’ »histoire de noz troubles et guerres civiles de la France dans le temps ». Voilà qui montre bien qu’à ce stade le projet « historique » n’a nul besoin des XII Centuries faisant pendant aux douze livres de 100 quatrains prophétiques
En ce sens, nous dirons que Chavigny entend refonder la science historique sur un substrat prophétique[1] considérant que les deux domaines ont partie liée. A la même époque, Jean Bodin, cité par Chavigny mais pour un autre texte, dans sa République, s’interroge sur la possibilité de se servir des astres pour suivre la mutation des Etats. Un Claude Duret, publié par les Rigaud de Lyon, dans les années 1590, consacrera un traité entier à cette question[2]. Bien entendu, c’est toute la théorie des grandes conjonctions Jupiter-Saturne qui depuis Albumasar jusqu’à Pierre d’Ailly (avec le succés pour 1789, rappelons que 1792 figure dans l’Epitre à Henri II, à partir du Livre de l’Estat et Mutation des Temps de Richard Roussat ) entend modéliser l’histoire des religions, ce que feront à leur manière les tenants des ères précessionnelles, à partir de la fin du XVIIIe siècle (notamment un Dupuis avec De l’origine de tous les cultes). On notera que le terme « mémorable » utilisé par les historiens est repris dans la littérature de prédiction, à l’instar de cette . Première centurie des choses plus mémorables qui sont à advenir depuis l'an mil cinq cens quatre vingtz et sept, jusques à la fin de la douziesme centurie, présagée pour trente six ans extraites des plus illustres mathematiciens, mises en lumiere par Conrad Leovitius Alleman selon le calcul de M. Imber de Billy... - Paris, Laurent Du Coudret, (1586-1587). Une certaine connivence s’instaure entre l’historien et l’astrologue qui fera long feu lorsque l’Académie Royale des Sciences déclarera que l’une et l’autre des disciplines sont recalées.
Chavigny nous parait se situer, implicitement, dans une optique religieuse. Dans son épitre à Henri IV, datée du Ier juillet 1594, en tête du Janus, laquelle épitre ne respecte pas le bilinguisme – elle est uniquement en français dans l’édition au titre français et uniquement en latin dans celle au titre latin- il parle des « vaticinations » de Nostradamus et rappelle qu’elles datent de 40 ans, ce qui nous renvoie à 1555, donc du vivant de Nostradamus, ce qui ne saurait surprendre si l’on admet que Chavigny a contribué à la production de la contrefaçon Macé Bonhomme 1555 qui porte sa marque à savoir des mots en capitales.. Il faut, impérativement, que Nostradamus ait été inspiré, tant dans sa prose que dans ses quatrains, pour que le jeu en vaille la chandelle. C’est pourquoi il usera et abusera du nom de Prophète à propos de Nostradamus, ce qui lui sera reproché, avant de se contenter, par la suite, du titre de Prognostiqueur.


Cela dit, les procédés auxquels recourt Chavigny laissent perplexe. Il bâtit sa démonstration sur une « traduction » latine des quatrains qui va lui permettre d’ajuster à sa guise les données historiques et les données « prophétiques »/. Que sont ces données historiques sinon les ouvrages mentionnés plus haut et dont il nous fournit la liste, au fil de ses commentaires ? Est-il lui-même historien ? De seconde main, probablement, en s’appuyant docilement sur les dites sources. En ce sens, il dépend totalement de celles-ci qu’il prend à la lettre, en quelque sorte, puisque l’exercice consiste bel et bien à rapprocher tel mot de son corpus historique de tel mot de son corpus prophétique. Et encore, comme on l’a signalé, Chavigny se permet de « translater » le dit corpus historique par le biais du latin.
Nous prendrons un cas tout à fait remarquable qui est celui de Louis Ier de Bourbon (1530-1569). Pourquoi Chavigny s’intéresse-t-il tellement à ce personnage ? Il fut un temps où nous pensions que cela prouvait que le commentaire était le fait d’un personnage ayant vécu du temps de ce Prince fort remuant mais il semble que cela tienne surtout aux sources dont se sert Chavigny et qu’il prend pour socle de sa démonstration. D’ailleurs, les auteurs qu’il cite publient dans les années 1570-1580 et cela situe la période de lecture du commentateur.
On note que les auteurs que cite Chavigny accordent une place importante au « Prince de Condé », comme il ressort du nombre d’entrées qui lui sont consacrées, directement et indirectement. Si l’on s’en tient aux seules entrées directes sous le nom de « Prince de Condé », c’est assez impressionnant même s’il faut aussi faire la part du fils, également prénommé Louis. Mais justement, ce qui est remarquable que le Prince de Condé n’est jamais désigné par son prénom. C’est bien à « Prince de Condé » qu’il faut chercher à la différence des rois diversement prénommés.
Mais cette pratique n’arrange pas les affaires de Chavigny car il ne trouve rien dans le corpus prophétique qui fasse le poids pour rendre compte de ces multiples références au Prince de Condé. Chavigny ne trouve de solution qu’au prix de trois idées : la première, c’est de mettre en avant ce prénom de Louis qu’il rend en latin- deuxième idée- par Lodoicus et la troisième, c’est de lire dans des mots aussi banals que « loin », une allusion à Louis. On le voit aussi rendre « Bloys » par Louis ou encore « l’huis » par Louis, étant entendu que cela ne fait sens que dans le texte latin. C’est donc à ce prix que Chavigny parvient à mettre en concordance les deux corpus qu’il a décidé d’aligner l’un par rapport à l’autre.
La méthode Chavigny nous parait pouvoir être ainsi reconstituée. Il n’a même pas besoin de feuilleter les ouvrages d’histoire cités et quelques autres, il lui aura probablement suffi d’examiner la liste des entrées fournie commodément par les dits ouvrages, d’une part, puis celle des vers des quatrains, qu’il fournit bel et bien dans le Janus Gallicus, français : (« Indice des quatrains ») de rechercher des connexions, par le biais de jeux de mots mais aussi par le biais de la traduction latine, laquelle se détermine, s’ajuste dans un deuxième temps.
Dans quelle mesure Chavigny a –t-il marqué l’exégèse centurique des siècles suivants ? On retiendra qu’il ne respecte aucunement comme il le dit lui-même les données chronologiques de départ en ce qui concerne les quatrains des almanachs. Il ne cherche même pas à montrer que Nostradamus a vu juste dans ses prévisions datées puisqu’il admet que leur accomplissement peut concerner d’autres dates que celles indiquées. C’est selon nous une herméneutique qui valait initialement pour les seuls quatrains-présages en un temps où l’on n’en connaissait pas d’autres. Avec le nouveau train de quatrains (centuriques), il n’y a même plus de date indiquée, c’est du sur mesure qui correspond à la philosophie chavignienne. Par ailleurs, Chavigny n’a pas la religion du quatrain : dans son « indice des quatrains », il présente en réalité les vers selon l’ordre alphabétique du premier mot de chaque vers. Sur ce point, nombre d’exégètes préféreront considérer le quatrain comme unité prophétique (prophétéme) à interpréter comme un tout, comme Dumézil à propos du quatrain sur Varennes. Les Centuries ne nous apparaissent pas moins comme une auberge espagnole : chacun y apporte son bagage et celui qui est le mieux organisé parvient à servir la cuisine la plus ragoutante. Le non historien veut à tout prix retrouver dans les quatrains quelques vagues souvenirs scolaires qu’il partagera avec d’autres amateurs pas mieux lotis que lui. Somme toute, l’idée consistant à « piocher » dans des chroniques nous semble plus heureuse que de s’en tenir à quelques événements se perpétuant dans la mémoire collective.
Il est clair que les lecteurs des quatrains, du temps du « Prince de Condé », lequel sévit surtout dans les années 1560, n’auront pas d’eux-mêmes établi de tels rapprochements, à partir des quatrains présages des almanachs, les seuls à être parus à l’époque de toute façon. Chavigny propose une approche « scientifique », en ce sens qu’il tente de montrer que certains codages existent, que tel mot renvoie systématiquement à tel personnage - en fait certaines clefs que l’exégète doit découvrir, décrypter une « langue » telle une pierre de Rosette. Chavigny aura noté le nombre considérable de renvois au Prince de Condé dans les ouvrages d’Histoire de son temps et il n’était pas pensable que Nostradamus ait manqué un tel phénoméne. En insistant dans la Préface à César sur le caractère obscur des quatrains, l’on préparait le terrain à l’exercice d’une certaine virtuosité sémantique.
C’est l’occasion de rappeler que les sixains étaient très certainement accompagnés d’un tel codage énumérant des correspondances entre tel mot et tel personnage et que celui-ci n’a pas été repris ( à partir des Prophéties de Morgard[3]) quand cette série sera par la suite intégrée au cours du XVIIe siècle, au sein du canon centurique. On rappellera que Chavigny avait élaboré un systéme reposant sur des mots entièrement mis en capitales comme BRANCHES (I, 2)- que l’on retrouve dans certaines éditions des Centuries. Est-ce Chavigny qui a été influencé par l’ édition des Centuries dont il se sert ou bien a-t-il présidé peu ou prou à la présentation même de telles éditions ? On peut dire, en tout cas, qu’il avait le bras long.
JHB
07. 08. 12.
 


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[1] À comparer avec la demarche de Giffré de Réchac, cf notre post-doctorat, sur propheties.it
[2] Cf notre etude sur le site Encyclopaedia Hermetica, ramkat.free.fr
[3] Voir Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus, ed Ramkat 2002

 

 

83 - Chavigny, le mal aimé des bibliographies nostradamiques.
Par Jacques Halbronn

Nos derniers travaux relatifs au Janus Gallicus de Jean Aimé de Chavigny sont à mettre en vis-à-vis des descriptions très insuffisantes proposées, il y a un peu plus de vingt ans, par Michel Chomarat, Robert Benazra en ce qui concerne l’œuvre de Jean-Aimé de Chavigny.
On commencera par le fait qu’à aucun moment n’y est mentionné le Recueil de Présages Prosaïques, manuscrit qui ne refera surface que peu après les parutions quasi simultanées de la Bibliographie Nostradamus et du Répertoire Chronologique Nostradamique (RCN)[1] et dont Pierre Brind’amour se fera l’écho dans les années qui suivront (cf Nostradamus astrophile, Ottawa, 1993). L’ironie du sort veut que ce manuscrit, en partie réédité en 1999 par Bernard Chevignard (Présages de Nostradamus), ait été acquis, en 1990, année même de parution du RCN, par la Bibliothèque Municipale de Lyon, ville où demeurent nos deux bibliographes[2]. En tout état de cause, la connaissance du dit Recueil constitue un apport majeur pour la recherche nostradamologique en ce qu’il s’agit d’un ouvrage édité par Chavigny – ou qui du moins devait l’être d’où les mentions de Grenoble et de 1589 en page de titre du manuscrit, et dans lequel il puisera abondamment dans ses publications ultérieures. Il convient en effet de préciser que Chavigny se voulait éditeur/libraire au sens plein du terme, ce qui ressort du privilège placé en tête de la Première Face du Janus François, l’imprimeur étant à ses ordres. Nous avons montré par ailleurs que le projet initial porté par Chavigny concernait l’établissement d’une Histoire de France sur la base du Recueil des Présages Prosaïques, sans recours aux Centuries, qui selon nous ont été surajoutées dans le Janus François, dans un deuxième temps et de façon assez subsidiaire.
Mais passons aux documents qui étaient connus de longue date, à savoir les trois éditions conservées du commentaire de Chavigny sur les quatrains-présages et accessoirement sur ceux des centuries. Leur description est excessivement succincte et confuse au regard de l’importance d’un tel corpus. Chomarat, s’il restitue les pages de titre respectives n’en rapporte aucunement le contenu si ce n’est cette mention en style télégraphique – et encore uniquement pour l’édition au titre latin – « Texte bilingue latin-français , dédicace à Henri IV, biographie de Nostradamus, poème de Ronsard relatif à Nostradamus et commentaire de 347 quatrains de Nostradamus ». Or, l’édition au titre français comporte elle aussi des éléments bilingues, à commencer par la traduction latine de chaque quatrain commenté. C’est une erreur que de dire que 347 quatrains sont commentés car à plusieurs reprises c’est le même quatrain qui l’est et il ne faut donc pas se fier à la numérotation des commentaires qui n’est pas fonction du nombre de quatrains. Et puis, on ne nous dit pas à quelle catégorie ces quatrains appartiennent. Le lecteur peut croire qu’il s’agit uniquement des quatrains centuriques alors que ces derniers, du moins pour certaines années, sont minoritaires. On nous parle d’une « dédicace » à Henri IV, alors qu’il s’agit de toute une épitre en bonne et due forme, datée du Ier juillet 1594. Chomarat ne dit mot de l’épitre à d’Ornano qui clôture l’ensemble du recueil de quatrains et qui est un ajout favorable à Henri IV. Il ne mentionne pas la Prognostication de l’Advenement du roi, conservée à la Bibliothèque Mazarine, datée de 1595 et que Benazra signalera in extremis dans son RCN, à la suite d’une visite à Paris en notre compagnie, ce texte étant précisément identique à l’annexe finale, sans que l’on puisse dire comme le fait Benazra qu’elle est reprise du Janus Gallicus (nous employons le nominatif pour désigner les deux éditions, le titre latin étant au génitif Jani Gallici facies prior). Il est au contraire fort probable que cette pièce, en une édition antérieure, ait été intégrée et traduite en latin dans le dit Janus Gallicus. En ce qui concerne l’édition de 1596, Chomarat n’apporte aucune description interne, ce qui est d’autant plus étonnant que certaines éditions centuriques ont été bien plus largement analysées. A la décharge de Chomarat, reconnaissons que les pages de titre sont extrêmement détaillées et qu’il reproduit la page de titre de la Première Face du Janus François. Tout se passe comme si le travail de description avait été effectué par le libraire ou par l’auteur et que l’on s’en tenait là. Ceci explique peut-être cela si ce n’est que dans bien des cas le titre est décalé par rapport au contenu comme dans le cas des éditions parisiennes de 1588 et 1589, qui exigent bel et bien une description minutieuse du contenu, ce que fait d’ailleurs Benazra.
Le contraste est en effet encore plus manifeste dans le RCN de Benazra dont les notices sont souvent plus amples que chez Chomarat. Mais pour une raison qui nous échappe – ce qui est d’autant plus regrettable que nous étions son éditeur- il n’a pas consacré à l’ensemble « Janus Gallicus » tout le soin requis et le lecteur ne peut se dire bien informé en la circonstance. La preuve en est qu’il nous signale les deux éditions, celle au titre français puis celle au titre latin puis nous décrit, sans le préciser, uniquement la première comme si le contenu en était identique. Or, pour commencer, nous noterons que l’épitre au Roi est uniquement en français dans l’édition « Janus François » et uniquement rendue en latin dans l’édition « Jani Gallici ». Il ne dit mot de la rétractation par rapport à l’usage du mot Prophète qui est l’objet de l’avis « Au lecteur bienveillant. Salut » mais aussi des certificats qui lui font suite à ce propos. Benazra note : « On lit ensuite une attestation de Faber, Docteur en théologie « A Lyon, ce 21 Juillet 1594. Chalom ». Or, il y a là un télescopage. Faber et Chalom sont deux personnages distincts. Le premier, docteur en théologie, prend bonne note de la rétractation de Chavigny et le second, au vu de cet avis, donne à son tour son accord, toujours en date du 21 juillet 1594. Le problème, c’est que dans l’édition au titre latin, cette première série de documents n’est pas identiques et ce, en dépit des apparences : toute référence à une rétractation est gommée et l’avis de Faber tronqué, ce qui nous conduit à penser que l’édition au titre latin est sensiblement postérieure. On a l’impression que Benazra a mélangé ses notes concernant ces deux éditions et que dans ce dernier exemple, il se référe à l’édition expurgée au titre latin puisqu’il semble tout ignorer de la dite rétractation. En résumé, l’éditeur veut nous faire croire que c’est une première édition et en fait on nous ressert une ancienne, en recyclant un stock existant en ne modifiant que le début. Ce subterfuge de libraire a déjà été signalé en ce qui concerne l’édition de Rouen 1588 comme pour une des éditions de Paris, de la même année ou de l’année suivante.
Il est heureux, en revanche, que Benazra, à la différence de Chomarat, décrive un manuscrit conservé à Aix en Provence, à la Bibliothèque Méjanes à savoir la Vaticination fort ancienne, interprétée du tres chrestien Henri IIII, roy de France et conférée avec les oracles et présages de M. Michel de Nostradamus ». Benazra en donne une description substantielle mais il n’indique pas à cet endroit (année 1594) que c’est l’amorce de ce qui deviendra les Pléiades. Il faut attendre l’année 1603 du RCN, pour que cela soit indiqué à propos de la parution des dites Pléiades. « A la suite des deux précédentes vaticinations, (les prédictions de St Catalde et la sibylle tiburtine – cf 1594) il va en commenter cinq autres, obtenant ainsi le nombre de sept ». Il note à juste titre cependant que la «Seconde face du Janus François ne sera pas publié(é) », laquelle est pourtant annoncée comme une suite : « le second dez celle année & memorable mutation des choses en France iusques à 1607 »
En ce qui concerne l’édition de 1596, où le titre de Janus Gallicus est abandonné et qui est cette fois pris en charge par deux libraires parisiens ayant pignon sur rue, Benazra note « Il s’agit d’une réédition abrégée de la Première Face du Janus François (1594) et comportant le Brief Discours sur la vie de Michel Nostradamus ». En fait, toute a partie latine de la Première Face du Janus François est supprimée, ce qui ne fait donc pas ressortir le caractère bilingue de la dite édition de 1594. Ce qui est gênant par ailleurs, c’est le fait que décrivant les deux éditions de 1596 des Commentaires du Sieur de Chavigny, Benazra ait interverti les notices et note : « Autre édition des Commentaires de Chavigny quasi identique », alors qu’il n’a encore mentionné que cette édition (par Gilles Robinot) et pas encore l’autre (par Anthoine du Brueil). On notera que la référence à 1589 a disparu au titre, remplacée par « iusques à présent », ce qui, en pratique, remet en question la nécessité d’une Seconde Face qui prendrait la reléve. Il faut y comprendre que les données qui y sont fournis peuvent servir au-delà de la date butoir de 1589, qui est la fin des Valois.
Pour en revenir au parallèle entre les deux éditions datées de 1594, reconnaissons que l’éditeur et à la fois auteur aura délibérément tenté de brouiller les pistes. En effet, l’utilisation d’un nouveau titre, non plus en français mais en latin peut donner l’illusion qu’il s’agit d’un travail sensiblement différent, réalisé à nouveaux frais. Et de fait, au début, l’impression d’une édition uniquement en latin est donnée par l’épitre à Henri IV qui ne figure plus en français- si l’on admet la thèse selon laquelle l’édition « latine » est plus tardive et ne se réfère plus à la rétractation et falsifie les certificats au point de les rendre insignifiants. Mais ensuite, tout est à nouveau identique dans les deux éditions, à commencer par le commentaire bilingue des quatrains, eux-mêmes – ce qui est normal- rendus en français et en exact vis-à-vis en latin. Le français n’a donc pas disparu dans le corps de l’ouvrage et en fait l’on peut dire que c’est la même impression qui est reprise telle quelle, une fois le toilettage des premières pages effectué.
A partir de la présentation de l’ »Indice des quatrains françois qui servent à la présente histoire « suivi de l’ »Index Quaternionum ad hanc historiam facientium » qui est fondé sur la traduction des versets par Chavigny, on trouve encore un doublet avec Brief Discours et la « Mich. Nostradami Vita », et encore un autre avec également le texte français en premier. « Au Lecteur. Que la providence de Dieu est très grande » et le « Ad lectorem Ab orbe condito Prophetas ». En revanche, un texte est donné en latin et n’est pas traduit en français, « Ad Io. Auratum poetam et interpretam », qui est un dialogue imaginaire entre Jean Dorat et Chavigny, désigné comme « collector », celui qui a réalisé le recueil. Et enfin, on accède au commentaire bilingue d’un certain nombre de quatrains, une page à gauche en français, une à droite en latin.
Le recueil se termine avec un nouveau doublet avec la pronostication sur l’Advénement à la Couronne de France et le Regis benigna fata
En clôture : l’ « Indice des choses plus memorables « et son pendant latin l’ « Index rerum memorabilium », ces deux index, à ne pas confondre avec ceux des quatrains, placés en tête, donnent une vision d’ensemble des grands thèmes abordés, comme à la lettre P, toutes les entrées concernant le « Prince de Condé » - où sont rassemblés, sans claire distinction le père et le fils d’une part et les ‘Protestans » de l’autre, où l’on peut percevoir une hostilité manifeste envers la Religion Prétendue Réformée, dont d’ailleurs Chavigny ne se départit guère dans son épitre à Henri IV du Ier juillet 1594, dans laquelle il encourage le prince Bourbon à persévérer dans sa conversion ;
La date d’impression indiquée, chez les héritiers de Pierre Roussin, reste inchangée, à savoir 1594. Notons cependant que la mention de 1589 est corroborée par un avis du libraire au lecteur mentionnant une lettre en date du 14 mai 1589 où Chavigny est félicité : « estant l’original non seulement obscur mais tenebreux et non intelligible (…) aucun autre par cy devant qui ait peu penetrer semblables obscuritez »
On notera que dans l’édition « latine », il est indiqué que l’original est français et a été rendu en latin, mais il semble qu’il s’agisse des quatrains dont il n’est donné que des extraits, en une sorte d’anthologie. Il est vrai que Chavigny se réserve de poursuivre sa tâche par une Seconde Face du Janus. Le titre latin ne comporte pas le mot centuries et encore moins le mot « prophéties », alors que le mot Centuries figure en bonne place au titre de l’édition « française ». Il y est précisé « Le tout fait en François & Latin (…) par Jean Aimes de Chavigny Beaunois » Mais cette édition française ne peut être la première édition dans la mesure où il est fait mention d’une rétractation par rapport à une précédente édition. Nous avons donc des éléments concernant quatre éditions successives, si l’on englobe l’édition de 1596. Tout se passe comme si l’on voulait nous faire croire qu’il y aurait d’une part une édition latine, le Jani Gallici facies prior que Chavigny aurait continuer à exploiter pour son propre compte et de l’autre une édition française, les Commentaires du Sieur de Chavigny et que l’on souhaitait oublier voire nier l’existence de stades antérieurs.
On s’arrêtera sur les titres des deux éditions et ceux, inchangés d’une édition à l’autre, qui les annoncent à l’intérieur, en tête des commentaires proprement dits :
.Titres intérieurs :
La Première Face du Janus François contenant sommairement les troubles, guerres civiles & autres choses adevenues en la France & ailleurs dez l’an de Grace 1534 iusques à l’an 1589. cheute & tombeau de la maison Valesienne »
Iani Gallici Facies Prior, Nostratem huius temporis historiam complectens non modo sed & exteram ab anno Domini 1534. ad annum 1589. quo cecidit domus Valesia
Titres extérieurs des deux editions:
La Première Face du Ianus François contenant sommairement les troubles, guerres civiles & autres choses semblables advenues etc Extraite et colligée des Centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame etc
Iani Gallici facies Prior historiam bellorum civilium quae per tot annos in Gallia grassata sunt breviter complectens etc
Il nous semble que le titre latin soit plus ou moins calqué sur le titre français, du moins en sa première partie. Pour la suite du titre, il est indiqué au titre français externe « le tout fait en François & Latin », et au titre latin « iam olim Gallice in lucem edidit »
Quant à l’édition française de 1596, elle ne se référe explicitement à aucun moment à une quelconque traduction du latin ou vers le latin. Etrangement, elle précise ce qui n’était pas le cas dans le Janus, « Centuries et Prognostications de feu M. Michel de Nostradamus (…) contenant sommairement les troubles etc
La double formule « Centuries et Prognostications » nous semble vouloir désigner parallélement les quatrains centuriques et ceux issus des almanachs mais l’on se garde bien d’employer le mot « prophéties » alors que plusieurs éditions des centuries sont parues sous ce nom, tant à Paris (1588) qu’à Lyon (1594) sans parler des contrefaçons. Mais pourquoi soudainement le rappel de la mort de Nostradamus, sans que l’on nous précise d’ailleurs de quand daterait le dit décés, alors que les éditions précédentes du Janus ne l’indiquaient pas explicitement pas plus d’ailleurs que les diverses éditions centuriques, comme celle de Benoist Rigaud 1568.

Ce que nous retiendrons, c’est le cas remarquable de deux titres différents recouvrant, hormis quelques changements dans les toutes premières pages, une seule et même impression. Il est probable que le phénoméne ait été assez courant dans la bibliographie centurique réelle – et non pas celle partielle qui nous est parvenue- mais nous n’en disposons pas d’autres, à notre connaissance. On pense notamment aux « vraies » éditions à 4 centuries alors que l’édition de Rouen Du Petit Val 1588 qui les annonce en son titre n’est pas divisée en centuries. On pense aux «vraies » éditions à 38 et 39 « articles « ajoutés au-delà de la sixième centurie et dont nous ne disposons que des pages de titre.
L’Epitre à Henri IV, en date du Ier juillet 1594 est assez rarement signalée alors que l’on connait beaucoup mieux celle qui est datée de 1605. Elle parait d’abord en français seulement dans l’édition du Janus François et en latin seulement dans l’édition du Jani Gallici, toutes deux datées de 1594. On ne la retrouve pas dans l’édition de 1596.
En ce qui concerne la partie biographique du recueil « collecté » par Chavigny – ce qui laisse place à l’éventualité d’un certain travail de récupération- on notera que le Brief Discours de la Vie de Nostradamus ‘(Vie sommaire de l’auteur) est fautif en ce qui concerne la retranscription de la pierre tombale dont nous connaissons le texte complet par ailleurs, fourni dans la fausse édition Pierre Rigaud 1566, datant du XVIIIe siècle. Ce n’est pas seulement la traduction française qui est défectueuse mais le texte latin fourni dans la version latine de la Vita ne mentionne pas le nom de son épouse ; Anne Ponce Gemelle. Et c’est ce texte tronqué qui sera repris tout au long du XVIIe siècle, ce qui constitue la survivance la plus manifeste du Janus Gallicus. On notera une erreur qui se perpétuera d’une édition à l’autre dans cette Vie de Nostradamus, à savoir que l’on indiquera parmi les centuries VII, IX et XI au lieu de VII, X et XI. Ces deux centuries « incomplètes » font probablement partie de ces projets que Chavigny ne parvint pas à mener à bien, à l’instar de cette Seconde Face du Janus François qui en resta au stade de l’esquisse mais qui selon nous ne convenait probablement pas à un personnage plus motivé somme toute pour l’Histoire que pour la prophétie et ne méritant peut –être pas ce surnom de Janus Gallicus sous lequel parfois on le désignait...Chavigny se heurta à deux défis : à l’émergence des centuries alors qu’il avait fondé son exégèse sur une relecture des quatrains des almanachs et à l’avènement d’Henri de Navarre qui allait compromettre son travail d’historiographe au service de la Ligue. Il sut s’adapter à cette nouvelle conjoncture non sans un certain brio.
JHB
08. 08. 12

 


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[1] Le texte de Benazra est en ligne sur le site propheties.it sous un titre légérement différent : Répertoire Chronologique Nostradamus.
[2] Ajoutons que sur Gallica, la numérisaition de la Première Face du Janus François, a été effectué à partir d’un exemplaire de la Bibliothèque de Lyon

 

 

84 - Les avatars de la sixième centurie. Reconstitution de la première addition de 39 articles.
Par Jacques Halbronn

Le cas de la fabrication de la sixième centurie des « Prophéties de M. Michel Nostradamus » est particulièrement complexe à traiter. On rappellera que les éditions parisiennes de la Ligue ne comportent pas une sixième centurie « pleine ». Par ailleurs, cette sixième centurie quand elle va se remplir s’achève sur un avertissement latin qui semble devoir clôturer, du moins pour un temps, tout le processus centurique, encore que l’on s’interroge sur l’absence du centième quatrain de la dite sixième centurie dans toutes les éditions du XVIe siècle, si ce n’est que le dit quatrain est bel et bien commenté dans la Première Face du Janus François. Ce statut de centurie ultime est paradoxalement souligné par la mention au titre de certaines éditions d’une addition à la « dernière centurie », ce qui semble bel et bien viser la sixième centurie. Cette addition à la Vie centurie nous est connue sous le nom de VIIe centurie, laquelle est la seul des 10 centuries canoniques, à ne jamais avoir été complétée, à un certain stade, encore que l’on puisse se demander si les 58 sixains n’avaient pas vocation à s’ajouter aux 42 quatrains de la centurie VII additionnelle, les dits sixains se retrouvant au bout du compte au sein d’un troisième volet introduit par une Epitre à Henri IV, datée de 1605- on les rencontrera dans certaines éditions du XVIIe siècle sous le nom de XIe centurie, sans rapport avec la XIe centurie dont quelques quatrains sont commentés dans la dite Première Face du Janus François.. C’est donc cet ensemble VI-VII qui retiendra ici notre attention ne serait-ce que parce qu’il est à l’interface avec le groupe des centuries VIII-X, qualifié généralement par les nostradamologues de « second volet ».
Robert Benazra a consacré une de ses notices les plus étoffées du RCN[1] aux éditions parisiennes de la Ligue mais avec une approche qui n’est pas du tout la nôtre. Ces éditions sont vouées à jouer un rôle crucial dans l’établissement de la chronologie centurique. Selon les uns, elles correspondent à une régression, à une corruption du modèle initial, pour d’autres, elles témoignent des stades intermédiaires ayant conduit à l’aboutissement de la centurie VI.
Benazra à propos du premier quatrain de la VIIe centurie Paris 1588 : « ce quatrain appartient à une autre centurie (VI, 31) »
On pourrait croire que le quatrain VI, 31 figure deux fois mais il n’en est rien. Ce qui est vrai, c’est que le dit quatrain en tête de la VII se retrouvera dans d’autres éditions en position de VI, 31.
1588-1589 Paris –(toutes éditions)
Centurie « VII » :
« Roy trouvera ce qu’il desiroit tant
Quand le Prélat sera reprins à tort
Responce au duc le rendra content
Qui dans Milan mettra plusieurs à mort »
.1589-1590 Rouen et Anvers
VI, 31
« Roy trouvera ce qu’il desiroit tant
Quand le Prélat sera reprins à tort
Responce au duc le rendra mal content
Qui dans Milan mettra plusieurs à mort »
On note que le troisième vers diffère ; on a « mal content » au lieu de « content », c'est-à-dire l’inverse.
Dans les éditions parisiennes, VI, 31 correspond à un autre quatrain qui figure à IV, 31 dans les éditions de Rouen et d’Anvers/. Mais le même quatrain, quelque peu différent, apparait à la fois en IV 31 et VI 31 dans les éditions parisiennes.
IV 31 Paris 1588
La Lune au plain de nuit sur le haut mont
Le nouveau sophe d’un seul cerveau le veu
Par ses disciples immortel le mont
Yeux au midy en seins, maints corps au feu
VI 31 Paris 1588
Par les disciples immortel semond (sic)
Yeux au midy en seins maints corps au feu
La Lune au plain de nuit sur le haut monde
Le nouveau sophe d’un seul cerveau le veu

Rouen/Anvers 1589-1590
IV 31
La lune au plain de nuict sur le haut mont
Le nouveau sophe d’un seul cerveau la veu
Par ses disciples estre immortel semond
Yeux au midy en sens mains corps au feu
Ce quatrain figure déjà dans Rouen 1588, mais non numéroté et non centurisé.

Résumons-nous ; le même quatrain se retrouve dans les éditions parisiennes en IV 31 et VI 31 avec quelques variantes. Dans les éditions Rouen-Anvers, VI 31 correspond au premier quatrain (72) de la centurie septiesme des éditions 1588-1589 mais avec une variante importante au troisième vers : content/mal content.
Benazra signale que pas moins de 39 quatrains ont subi le même sort à savoir qu’ils ont été « supprimés » et remplacés par des quatrains déjà existants mais avec des modifications assez mineures suffisant à brouiller les pistes.
La liste fournie par Benazra est la suivante des quatrains supprimés et remplacés par des quatrains peu ou prou remaniés.
II, 1 quatrain supprimé
III 12 quatrains supprimés
V 5 quatrains supprimés
VI 21 quatrains supprimés
Or, si l’on fait le total – ce qu’il ne fait pas – on arrive à 39 quatrains, qui fait écho au titre de ces éditions parisiennes : « reveues & additionnées par l’Autheur, pour l’An mil cinq cens soixante & un de trente-neuf articles à la dernière centurie ». Ce n’est point là, selon nous, une simple coïncidence.
D’ailleurs le cas du premier quatrain de la VIIe centurie de ces éditions nous met sur la piste puisque c’est le seul quatrain supprimé (VI, 31) qui réapparait ailleurs, en l’occurrence en tête d’ une centurie se situant au-delà des six premières centuries et portant le nom de septième. On notera qu’aucun quatrain de la VII n’a été supprimé ni utilisé, ce qui est l’indice voire la preuve que celle-ci n’existait pas encore. On nous objectera que la centurie VI dans ces éditions parisiennes ne comporte que 71 quatrains mais l’on peut supposer que cette centurie VII n’est en fait qu’un prolongement de la Vie centurie, dont elle poursuit la numérotation, sans repartir à 1, de 72 (non numéroté) à 83. Il n’est d’ailleurs pas annoncé au titre de nouvelle centurie mais une addition de 39 « articles ».
Notre explication sera la suivante : il y a eu un projet de mettre en avant 39 quatrains qui semblaient, pour quelque raison, particulièrement signifiants sur le moment. On a donc commencé à procéder à ce transfert en comblant les trous par les procédés signalés plus haut. Puis, de deux choses l’une, ou bien ce projet n’aboutit jamais mais resta au titre, ou bien il aboutit mais fut ensuite abandonné au profit d’une autre solution, consistant à mettre en avant la série des quatrains figurant dans l’almanach de Nostradamus pour 1561 (conservé à la Bibliothèque Sainte Geneviève), tout en conservant le premier des 39 quatrains, pour donner une première impression de continuité. Il nous est en tout cas possible de reconstituer la série des 39 quatrains – peu importe l’ordre des quatrains, cela n’a jamais été déterminant, sachant que ces 39 quatrains ont été sélectionnés tout comme le seront ceux qui seront commentés dans le Janus Gallicus. Il est même possible qu’un commentaire des dits quatrains ait pu être composé voire publié. Les variantes n’ont pas d’importance puisque cela ne visait qu’à masquer le procédé.

Ce sont donc les quatrains :
II, 62, III, 18, 19, 33, 34, 35, 36, 38, 39, 40, 41, 42, 49, V 16, 17, 18, 19, 20, VI 21,27, 28, 29, 30, 31, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 53, 65, 66, 67, 68, 69.
Le cas de VI, 31 est remarquable en ce qu’il a été remplacé par le IV, 31, soit un quatrain de même numérotation d’une autre centurie. On notera que l’on a récupéré des séries de quatrains, notamment dans la Vie centurie. En revanche, on ignore d’où sont sortis les six quatrains figurant dans la centurie VIII des éditions ligueuses.
Par la suite, la sixième centurie à 71 quatrains sera complétée cette fois par de nouveaux quatrains et même le projet d’une addition de 39 quatrains sera respecté, ce qui donnera naissance à la centurie VII telle qu’elle existe dans le canon centurique. On sait que les éditions du XVIIe siècle comportant les quatrains présages figurant dans le Janus Gallicus signaleront en appendice les quatrains supplémentaires sans prendre toute la mesure de la situation, n’ayant apparemment pas accès au Recueil des Présages Prosaïques (1589) ou à un recueil imprimé disparu (Benoist Rigaud, 1568) rassemblant des « centuries » de quatrains-présages, signalé dans les Bibliothèques de La Croix du Maine et d’Antoine du Verdier (1584-1585) permettant de compléter la sélection des quatrains présages opérée dans le Janus Gallicus.
Venons en à l’interrogation de Benazra concernant l’almanach pour 1561. Benazra se fonde sur la possibilité d’une véritable édition ayant existé en 1560 pour l’année 1561 et censée comporter les éléments introduits dans les éditions parisiennes de la Ligue. On a retrouvé récemment[2] une édition des Prophéties faussement datée de 1561 et annonçant 38 articles à la dernière centurie, parue à Paris chez la Veuve Buffet avec les quatrains de l’almanach pour 1561. Benazra note (RCN, p. 44 et 52): « Il existe un almanach apocryphe, ne contenant pas de vers prophétiques. Cet almanach pour 1561 a certainement été réalisé par la veuve Barbe Regnault avec l’édition falsifiée des Centuries en 1561 ». Il est pourtant peu vraisemblable que Barbe Regnault ait repris les quatrains parus dans l’almanach de Nostradamus pour 1561 car comme l’a montré Benazra (RCN, pp. 58-59), les quatrains des almanachs Regnault étaient repris d’almanachs des années antérieures. Mais les faussaires des décennies suivantes, n’avaient pas à entrer dans de telles considérations
Les éditions parisiennes portent la trace de deux projets originaux l’un consistant à recycler un certain nombre de quatrains (39) pour les rassembler au sein d’une « addition » et l’autre à récupérer les quatrains de l’almanach pour 1561, ce qui exigeait d’avoir accès à des archives (soit l’almanach proprement dit, soit ce qu’il est donné dans le Recueil des Présages Prosaïques). Par ailleurs, l’addition au-delà du 53e quatrain à la Ive Centurie témoigne d’un prolongement du premier volet au-delà des 353 premiers quatrains. En revanche, les éditions de Rouen et d’Anvers correspondent à des stades plus tardifs : suppression de la mention d’additions après lV 53, abandon d’un recyclage de 39 anciens quatrains et insertion de nouveaux quatrains, réalisés à nouveaux frais et passage de la centurie VI de 71 à 100 quatrains, par l’adjonction de 28 nouveaux quatrains, soit, en tout, l’adjonction de 39+ 28, c'est-à-dire 67 nouveaux quatrains pour terminer la Vie centurie et constituer la VIIe.
Ci-dessous les 39 quatrains de cette centurie VII d’origine :
II, 62, III, 18, 19, 33, 34, 35, 36, 38, 39, 40, 41, 42, 49, V 16, 17, 18, 19, 20, VI 21,27, 28, 29, 30, 31, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 53, 65, 66, 67, 68, 69.
Nous avons mis en premier le quatrain « survivant » et ensuite les quatrains dans l’ordre de leur présence dans les centuries, ce qui est certainement très difféent de celui qui fut déterminé. Il s’agit ici de la reconstitution d’une pièce disparue, dont il ne reste plus que le premier quatrain ci-dessous.

I Roy trouvera ce qu’il desiroit tant
Quand le Prélat sera reprins à tort
Response au duc le rendra mal content
Qui dans Milan mettre plusieurs à mort

Les autres quatrains, ceux qui sont supprimés et ceux qui sont dédoublés, forment un ensemble qui devai faire sens à l’époque.Selon nous, cet ensemble de 39 quatrains censé être apparu en 1560-1561, était censé résumer les six centuries connues, soit 600 quatrains.
II Mabut puis tost alors mourra, viendra
De gens & bestes une horrible defaite
Puis tout à coup la vengence on verra
Cent, main, soid, faim, quand corra les conter

III Après la pluie laict assés longuere
En plusieurs lieux de Reims le ciel touché
O quel conflit de sang pres d’eux s’appreste
Peres & filz roys n’oseront approcher

IV En luques sang & laict viendra plouvoir
Un peu devant changement de preteur
Grand peste & guerre, faim & soif fera voir
Loing ou mourra leur prince recteur

V En la Cité où le loup entrera
Bien pres de là les ennemis seront
Coppie estrange grand pays gastera
Aux murs & Alpes les amis passeront

VI Quand le deffaut du Soleil lors sera
Sur le plain jour le monste sera veu
Tout autrement on l’interpretera
Cherté n’a garde nul n’y aura pourveu

VII Du plus profond de l’Occident d’Europe
De poures gens un jeune enfant naistra
Qui par sa langue seduira grande troupe
Son bruit au regne d’Orient plus croistra

VIII Enseveli non mort apopletique
Sera trouvé avoir les mains mangées
Quand la cité damnera l’heretique
Qu’avoir leur loix se leur sembloit changée

IX La gent Gauloise & nation estrange
Oultre les monts mors prins & profligée
Au moys contraire & proche de vendange
Par les seigneurs en accord redigés

X Les sept en troys moys en concorde
Pour subjuguer des alpes Apennines
Mais la tempeste & ligure couarde
Les profligeans en subites ruynes

XI Le grans theatre se viendra redresser
Le dez getté & les retz ia tendus
Trop le premier en glaz viendra lasser
Par arcz prostrais de long temps ia fendus

XII Bossu sera esleu par le conseil
Plus hideux monstre en terre n’apperceu
Le coup volant Prelat crevera l’œil
Le traistre au roy pour fidelle receu

XIII
L’enfant naistra à deux dentz en la gorge
Pierres en Tuscie par pluie tomberont
Peu d’ans apres ne sera bled ne orge
Pour saouler ceulx qui de faim failliront

XIV Regne Gaulois tu seras bien changé
En lieu estrange est translaté l’Empire
En autres mœurs & loix ser as rangé
Rouan & Chartres te feront bien du pire

XV A son hault pris plus la lerme sabée
D’humaine chair p’mort en cendre mettre
A l’isle Pharos par croissars perturbée
Alors qu’a Rodes paroistra dur espectre

XVI De nuict passant le roy pris d’une Androne
Celuy de Cipres & principal guetto
Le roy failly la main fuict long du Rosne
Les conjurés l’iront à mort mettre

XVII De dueil mourra l’infelix profligé
Celebrera son vitrix l’heccatombe
Pristine loy frans edict redigé
Le mur & Prince au septiesme jour tombe

XVIII
Le grand Royal d’or, d’aerain augmenté
Rompu la pache, pat ieune ouverte guerre
Peuple affligé par un chef lamenté
De sang barbare sera couverte terre

XIX
Dela les Alpes grand armee passera
Un peu devant naistra un monstre vapin
Prodigieux & subit tournera
Le grand Toscan à son lieu plus propin

XX Quant ceux de polle artiq unis ensemble
En Orient grand effraieur & crainte
Esleu nouveau soustenu le grand temple
Rodes Bisance de sang Barbare taincte

XXI Dedans les isles de cinq fleuves à un
¨Par le croissant du grand Chyren Selin
Par les bruynes de l’aër fureur en l’un
Six eschapés cachés fardeaux de lyn

XXII Le grand Celtique entrera dedans Rome
Menant amas d’exilés & bannis
Le grand pasteur mettra à mort tout homme
Qui pour le coq estoient aux Alpes unys

XXIII
La veufve saincte entendant les nouvelles
De ses rameaux mis en perplex & trouble
Qui sera duict appaiser les querelles
Par son pourchas des razes sera comble

XXIV Par l’apparence de saincte saincteté
Sera trahy aux ennemis le siege
Nuict qu’on cuidoit dormir en seureté
Pres de Braban marcheront ceux du liege

XXV Long temps sera sans estre habitee
Ou Seine & Marne autour vient arrouser
De la Tamise & martiaulx temptee
Deceuz les gardes en cuidant reposer

XXVI De nuict par Nantes Lyris apparoistra
Des artz marins susciteront la pluye
Arabiq gouffre grand classe parfondera
Un monstre en Saxe naistra d’ours & truye

XXVII Le gouverneur du regne bien scavant
Ne consentir voulant au faict Royal
Mellile classe par le contraire vent
Le remettra à son plus desloyal

XXVIII Un juste sera en exil renvoyé
¨Par pestilence aux confins de Nonfeggle
Responce au rouge le sera desvoyé
Roy retirant à la Rane & à l’aigle

XXIX Entre deux monts les deux grands assemblés
Delaisseront leur simulte secrette
Brucelles & Dolle par Langres accablés
Pour à Malignes executer leur peste

XXX La saincteté trop saincte & seductive
Accompaigné d’une langue diserte
La cité vieille & Palme trop hastive
Florence & Sienne rendront plus desertes

XXXI De la partie de Mammer grand Pontife
Subjuguera les confins du Dannube
Chasser les croix par fer rasse ne riffe
Captifz, or, bagues plus de cent mille rubes

XXXII Dedans le puys seront trouvez les oz
Sera lincest commis par la maratre
L’estat changé on querra bruit & loz
Et aura Mars ascendant pour son astre

XXXIII Peuple assemblé voir nouveau expextacle
Princes & Roys par plusieurs assistant
Pilliers faillir, murs, mis comme miracle
Le Roy sauvé & trente des instants

XXXIV Le grand Prelat Celtique à Roy suspect
De nuict par cours sortira hors du regne
Par duc fertile à son grand roy Bretaigne
Bisance à Cipres & Tunes insuspect

XXXV
Gris & bureau, demie ouverte guerre
De nuict seront assaillis & pillés
Le bureau prins passer par serre
Son temple ouvert deux au plastre grillés

XXXVI Au fondement de la nouvelle secte
Seront les oz du grand Romain trouvée
Sepulcre en marbre apparoistra couverte
Terre trembler en Avril mal enfouetz

XXXVII Au grand empire parviendra tout un autre
Bonté distant plus de félicité
Regi par un issu non loing du peaultre
Corruer regnes grande infelcité

XXXVIII Lorsque souldartz fureur seditieuse
Contre leur chef seront de nuict fer luire
Ennemy d’Albe soit par main furieuse
Lors vexer Rome & principaulx seduire

XXXIX La pitié grande sera sans loing tarder
Ceulx qui donnoient, constraints de prendre
Nudz affamez de froid, soif, soy bender
Les monts passer faisant grand esclandre

Rien ne nous dit qu’initialement, les quatrains additionnels à la VI aient été numérotés dans la continuité de la VI laquelle s’arrêtait au 71e quatrain. Mais justement, l’abandon des 39 quatrains additionnels allait conduire à vouloir compléter la Vie centurie, d’ou une numérotation continue de 72 à 83. C’est probablement par erreur que l’on maintint le terme de Centurie VII pour ce groupe et d’ailleurs le nom de « centurie sixiesme » figure en haut des pages. Mais, comme on sait, cette addition de 72 à 83 fit long feu et l’on en vint à concevoir encore un autre projet : compléter les 71 quatrains de la VI et se mouler dans le cadre d’une centurie VII à 39 quatrains, qui allait passer progressivement d’une trentaine (35 pour l’édition d’Anvers à 40 (Ed Rosne Budapest) puis à 42 (Ed Cahors) et parfois encore au-delà dans le cours du siècle suivant. On a donc plusieurs scénarios associés avec la Centurie VI. A ce stade, il n’est aucunement question d’un nouveau train de 300 quatrains (second volet) lequel, d’une certaine façon, vient s’emboiter sur la Vie centurie, tout comme d’ailleurs la centurie IV post 53e quatrain et les centuries V et VI constitue un ensemble venant s’incruster sur les 353 premiers quatrains pour constituer un ensemble de 600 quatrains, sans compter ses annexes. Or, il est remarquable que l’on n’ait conservé aucune édition à 600 quatrains Rappelons la formule du premier volet qui montre bien qu’il s’agit d’un volet augmenté : « dont il en y a (sic) trois cents qui n’ont encores iamais esté imprimées ». (Ed Du Rosne 1557 Budapest). On est en fait face à un triptyque tricenturiel constitué de trois ensembles de 300 quatrains. L’idée d’une septiéme centurie est finalement fort peu attestée. Les 39 articles n’avaient pas vocation à former une septiéme centurie à part entière. Dans les éditions Benoist Rigaud 1568, ne présente-t-on pas le premier volet avec une addition de 300 quatrains et le second volet comme constitué de 3 nouvelles centuries ? Certains ont essayé assez vainement d’expliquer que les 300 quatrains supplémentaires incluaient les 40 quatrains de la VIIe Centurie et venaient s’ajouter aux 53 quatrains de la Ive Centurie mais le total ne donne pas 300. La solution est plus simple : les 300 quatrains englobent ces 53 premiers quatrains de la IV- on supprimera bientôt toute mention d’addition après le 53e quatrain- sauf justement dans les éditions parisiennes de la Ligue - mais ne prennent pas en compte les 40 quatrains de la VII.
Pour Benazra, le fait, par exemple, que la centurie VI des éditions parisiennes ne comporte que 71 quatrains prouverait qu’elle a été tronquée et que les quatrains suivants ainsi que ceux de la « septiéme » centurie ont été rétablis dans l’état qui était le leur depuis les années 1550. Il nous parait au contraire assez évident que la centurie VII telle qu’elle figure dans le canon centurique est tardive, qu’elle a été précédée par au moins deux autres versions que nous avons mises en évidence plus haut et qui furent produites par des gens préférant recycler des quatrains déjà existants, en les retouchant plutôt que d’en produire de nouveaux. Apparemment, les faussaires parisiens penchèrent pour une telle solution leur évitant d’avoir à composer de nouveaux quatrains, procédant ce faisant comme une libraire parisienne comme Barbe Regnault avec les quatrains des almanachs de Nostradamus[3]. Tout se passe comme si les contrefaçons parisiennes avaient une tradition de recyclage de textes de Nostradamus ou lui étant attribués alors que les contrefaçons de Rouen ou de Lyon étaient plutôt dans le pastiche ou le recyclage de textes n’étant pas dû à Nostradamus[4].
On peut par ailleurs, se demander s’il y a une certaine similitude entre la série des 39 quatrains recyclés et celles du type Anvers 1590 à 35 quatrains qui vient s’y substituer. On retrouve certains mots dans les deux séries comme le mot Albe mais cela peut concerner dans un cas l’armée espagnole et dans l’autre Albion, l’Angleterre :

Anvers : VII, 24 : Le grand Duc d’Albe se viendra rebeller
Quatrains réaffectés: Ennemy d’Albe soit par main furieuse
Gaulois (pour France) :
Anvers, VII, 29 En grant regret sera la gent Gauloyse
Quatrains réafféctés : Regne Gaulois tu seras bien changé ou La gant Gauloyse & nation estrange
Les références à l’Italie abondent dans les deux cas, on retrouve les Alpes. Le mot Royal est également récurrent mais rien d’étonnant en cela. Il est clair que le choix d’un quatrain concernant la Seine et la Marne, parmi les quatrains réaffectés permet d’évoquer Paris sans que son nom soit prononcé.(« Ou Seine & Marne autour vient arrouser »). On ne peut exclure l’existence d’une clef. Dans ce domaine, il reste beaucoup à faire.
Il reste que la nouvelle version est plus explicite : on y trouve le nom de Guise (VII, 24) et celui de Lorraine (VII, 19) et même «Marquis du Pont » dans ce même quatrain, ce qui renvoie au fils du duc de Lorraine, le Marquis de Pont à Mousson, un des prétendants ‘carolingiens » à la succession d’Henri III. « Le grand prince limitrophe du Mans » pourrait être le duc de Mayenne, un Guise. En tout cas, la thèse selon laquelle la centurie VII aurait été tronquée par rapport aux éditions centuriques 1557 ou 1568 semble bien tout à fait intenable. Or, tel est, au bout du compte le véritable enjeu du débat entre nostradamologues..


JHB
09. 08. 12
 

     



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[1] RCN, op. ciit. Pp. 118 et seq
[2] Cf catalogue librairie Thomas Scheler, sur Nostradamus, Paris 2010, Intr. M. Scognamillo
[3] (cf Benazra, RCN, pp. 58-59)
[4] (cf le travail de C. Liaroutzos sur les emprunts du second volet à la Guide des Chemins de France, RHR, 1986).

 

 

85 - La thèse des calques dans le champ nostradamique
Par Jacques Halbronn

L’étude de la Biblio-iconographie du Corpus Nostradamus de Patrice Guinard (site CURA.free.fr) attire notre attention sur la question des calques ou des modèles, termes employés à plusieurs reprises par l’auteur.
Nous aborderons, en guise de hors d’œuvre, le problème posé par La Grande Prognostication Nouvelle pour 1560 (cf site Répertoire Chronologique Nostradamus, propheties.it)

Selon Guinard, l’exemplaire reproduit sur le site de Mario Gregorio serait une copie légèrement retouchée d’un original disparu. : « Ce texte pourrait être un faux Brotot reproduisant l'authentique avec quelques modifications et arrangements mineurs. Il note que le « privilège est accordé, le 13 octobre 1560 au "marchant Imprimeur" Jean Brotot, par Antoine "Dalbon" qui est précisément le dédicataire de l'épître. », cela lui semble insolite mais en même temps, quelle maladresse inouïe de la part des faussaires !
Un tel cas de contrefaçon serait assez atypique. On connait une fausse édition d’une Pronostication pour 1562 avec une autre vignette, par Barbe Regnault. (Bibl Munich) On n’a pas connaissance en revanche d’une fausse édition utilisant le nom des « vrais » libraires de Nostradamus avec sa « vraie » vignette (avec frise zodiacale). Il ne faudrait pas confondre, en effet, les contrefaçons du vivant de Nostradamus et celles datant des quinze dernières années du XVIe siècle, lesquelles, en effet, ne s’encombrent pas d’usurper des noms de libraires ainsi que certaines vignettes, lesquelles d’ailleurs ne reprennent jamais, à notre connaissance, celles des pronostications de Nostradamus.
Cela dit, un élément plaide en faveur des réflexions de P. Guinard, cela concerne les Significations de l’Eclipse qui sera le 16 septembre 1559 (…) iusques à l’an 1560 », Paris, Guillaume le Noir, et que Guinard ne signale pas dans son article, « Les publications de l’année 1559 pour 1560 » (corpus 95).Or, les points communs entre ces deux publications sont assez remarquables : c’est la même vignette avec frise zodiacale et nom de l’auteur au sein de la vignette, et le libraire est un de ceux qui publient habituellement, à Paris, le « vrai » Nostradamus. D’ailleurs, Guinard reproduit dans son article la page de titre de l’Almanach de Nostradamus pour 1560, paru chez le dit Guillaume Le Noir. Or, cet ouvrage est bel et bien une contrefaçon, ce dont nous nous sommes expliqués dans d’autres études nostradamiennes. Le problème, c’est que cette contrefaçon est antidatée. Ne conviendrait-il pas d’en penser de même pour la Pronostication nouvelle pour 1560 dont il est question plus haut ? Encore faudrait-il comprendre ce qui a pu justifier la production d’une telle contrefaçon, vraisemblablement dans les années 1590. Faut-il y voir une tentative de faire annoncer par Nostradamus la mort de François II, à la fin de 1560 tout comme les Significations de l’Eclipse visaient à conforter le fait que Nostradamus avait prévu la mort d’Henri II en 1559 ? Mais il faudrait pour cela que l’on disposât de la « véritable » édition de la Pronostication pour 1560.
Mais on relèvera pour l’heure une anomalie : dans la plupart des cas, tant dans les vraies que les fausses éditions d’époque, tant pour les almanachs que pour les pronostications, il est indiqué « composé « par Nostradamus et cette fois on lit « calculé ». Pour les Significations, on trouve « observées ». On notera que dans la Pronostication nouvelle (..) pour l’année 1558 » de maistre Jean Sconners, chez Antoine du Rosne, à Lyon, l’on n’a ni l’un ni l’autre. Or, cette forme « de » est celle que l’on trouve pour les éditions des centuries : Prophéties de M. Michel Nostradamus » et « Grandes et Merveilleuses Prédictions de M. Michel Nostradamus », ce qui nous confirme dans l’importance que cette Pronostication de Sconners a jouer pour la mise en œuvre des éditions centuriques antidatées, à commencer par celles parues chez le dit Du Rosne (1557), la vignette utilisée pour Sconners ayant pu servir comme modèle, à l’époque pour l’ Almanach pour l'An 1561, Paris, chez la veuve de Nicolas Buffet Cette veuve sera mise à contribution, sous la Ligue, à Paris, pour produire une fausse édition Les Propheties Dont il y en a trois cents qui n'ont encores esté imprimées, Reveues & additionnées par l'Auteur pour l'An Mil cinq cens soixante & un, de trente huict articles à la derniere Centurie, Paris, "veufve N. Buffet", pres le College de Reims, "1561". Pour Guinard, cette édition serait bien parue en 1561 mais cela semble inconcevable vu sa similitude flagrante avec les éditions parisiennes de la Ligue. Cette édition comporte une autre vignette que celle de l’almanach, laquelle vignette se retrouve dans l’édition Pierre Mesnier, Paris, 1589, dont selon nous
Comment d’ailleurs expliquer qu’elle soit encore en chantier pour les centuries VI et VII alors que seraient déjà parues des éditions complètes du premier volet, dès 1557, chez Antoine du Rosne[1] ? Le seul détail distinctif tient au fait qu’au sous titre, elle indique 38 articles ajoutés à la dernière centurie au lieu de 39, comme il est de mise dans les autres éditions centuriques de la Ligue.(sur la formation de la centurie VII, cf Halbronn’s Researches) Il est vrai que l’édition 1588 Veuve Nicolas Roffet (reprenant la vignette des faux almanachs Barbe Regnault des années 1560) se dit reprise d’une édition 1557 mais cela ne nous oblige nullement à adopter une telle mention et à entrer dans le jeu de ces libraires peu scrupuleux. Quant à Barbe Regnault, à propos d’une édition centurique que Guinard nous présente comme semblable à celle de la Veuve Buffet, au point d’écrire 38 au lieu de 39 articles, au titre, Guinard écrit « édition perdue, prétendument calquée sur une éditons de 1557 » : en effet, on pouvait lire (il a été décrit avant que l’exemplaire ne disparaisse) « Jouxte la coppie imprimee, l'an 1557 », ce qui renverrait à l’édition Antoine du Rosne, tout en n’en comportant pas moins une addition à la sixième centurie pour 1561..
Abordons à présent l’affaire des Grandes et Merveilleuses Prédictions, parues à Rouen et à Anvers, de 1588 à 1590, l’édition d’Anvers 1590 se référant, in fine, à une édition des « Professies » (sic) d’Avignon 1555, chez Pierre Roux, les autres éditions étant soit inaccessibles (Rouen 1588), soit tronquées ( Rouen 1589). Daniel Ruzo [2] a épilogué sur un tel ensemble de données et Guinard reprend certaines thèses à son compte.
On se demande pourquoi l’édition d’Anvers porte un titre et renvoie à un autre. On y parle de «Professies de Nostradamus réimprimées de nouveau sur l’ancienne impression imprimée premierement en Avignon etc ». Nous sommes quelque peu intrigués par cette façon cavalière et à l’époque inhabituelle de parler de Nostradamus. A Paris, paraissent les « Prophéties de M. Michel Nostradamus » et non les « Prophéties de Nostradamus », formulation incongrue sauf chez les adversaires (« haineux ») de celui-ci. D’ailleurs même le titre de l’édition d’Anvers prend des gants : »Les Grandes et Merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus », même si l’on ne rappelle pas ses titres et sa ville d’origine comme dans les éditions parues de son vivant de ses almanachs et autres pronostications, vraies ou contrefaites. »docteur en médecine, de Salon de Craux en Provence ». L’absence même de ces mentions dans toute la production centurique crée un décalage. On ignore si l’édition de Rouen 1589 comporte la même mention et quid de l’édition à moins de 400 quatrains Rouen 1588 ? Cette référence à 1555 est-elle déjà présente pour Rouen 1588 et aura-t-elle été reprise, telle quelle, en dépit du passage à six puis sept centuries ? On peut le penser : cela expliquerait une contrefaçon Macé Bonhomme 1555 à 4 centuries qui se ferait l’écho de cette mention anversoise des « Professies » de cette même année. On note cependant que la Préface à César est datée du22 juin 1555 et non du Ier Mars 1555, sans parler des éditions parisiennes de 1588-1589 qui, elles sont datées, du Ier mars 1557. Le Ier mars semble s’être imposé pour l’ensemble des contrefaçons antidatées 1555, 1557, 1568 et qui sont en fait postérieures.
En vérité, ces éditions Rouen-Anvers nous intriguent quand on les compare aux éditions Paris censées être parue peu ou prou simultanément. Elles sont beaucoup mieux « léchées » que les éditions parisiennes ; elles comportent (du moins Rouen Petit Val 1589 et Anvers, Sainct Jaure 1590) 7 centuries quasiment dans l’état qui sera celui des éditions 1557 et pas de mention d’addition à la Ive Centurie, après le 53e quatrain. On a bien du mal à imaginer qu’elles paraissent en même temps. Seule l’édition Rouen 1588 comporte un contenu remarquable mais sous un titre inadéquat (« divisé en quatre centuries ») alors que les quatrains n’y sont pas encore disposés en centuries. Il y a un saut considérable entre le contenu de Rouen 1588 et Rouen 1589 (complète pour la fin par Anvers 1590), en dépit d’un titre identique à quelques lignes près. On peut même dire que les pages de titre de Rouen 1588 et 1589 ne font qu’une, si l’on excepte quelques lignes : la mise en page est strictement la même. On peut ici vraiment parler d’un calque. Tout se passe comme si Rouen 1589 avait été calqué pour la page de titre (on ne dispose que de la page de titre de Rouen 1588) de Rouen 1588. C’est ainsi que Merveilleuses est coupée à « Merveilleu » dans les trois cas, « ses » suivant à la ligne suivante, Anvers compris. Un détail, Anvers indique au titre « Espagne » et Rouen 1588-1589 « Espaigne », alors même que cette édition reproduit telle quelle la forme fautive « dont il en y a » figurant dans Rouen 1589, forme qui n’existe pas dans l’édition Rouen 1588. Notons que cette forme « dont il en y a trois cens » ne correspond pas à la réalité d’une édition à 7 centuries comme Anvers 1590. On la retrouve, sous une forme plus correcte, dans l’édition Cahors 1590, laquelle formule correspond logiquement à une édition à six centuries, avec une sixième éventuellement augmentée par la suite. Donc, il faudrait admettre que dès 1589 ou en tout cas 1590 – puisque Rouen 1589 est tronquée dans le seul exemplaire conservé- l’on avait supprimé la mention d’une augmentation à la « dernière centurie », laquelle mention figure au titre des éditions parisiennes de la Ligue en 1588 et 1589...
Selon nous, la thèse la plus probable est la suivante : la seule édition authentique est celle de Rouen 1588 qui elle-même se référé à une prétendue édition Avignon 1555. Elle porte d’ailleurs le titre qui aurait du être celui de Macé Bonhomme 1555, à savoir « divisées en quatre centuries »,On se demande pourquoi cette précision manque dans Macé Bonhomme 1555, qui est vraisemblablement plus tardive, d’où la suppression de la dite mention. C est vraiment là en effet le « premier « volet et il est abusif de désigner sous ce terme les sept centuries pour les distinguer des suivantes. Il y a là visiblement le signe d’un changement de stratégie de la part des libraires et une volonté de faire disparaitre les traces d’un premier état. En ce sens, ne peut-on penser que Rouen 1589 n’a pour objet que de se substituer à Rouen 1588 ? On y aura presque réussi puisque cette édition Rouen 1588 est encore actuellement introuvable et que tout ne repose que sur un unicum voire de la photocopie ou de la microforme d’un unicum, heureusement décrite en détail par le dit Ruzo mais en ce moment toujours hors d’atteinte. Notons que cette édition Rouen 1588 porte comme titre intérieur « La Prophétie de Nostradamus »[3], ce qui fait écho à la forme anversoise « Les Professies de Nostradamus ». Cela n’aurait donc été que par la suite que l’on aurait surimposé le titre « Grandes et merveilleuses prédictions » à celui de « prophéties ». Il faut rappeler que le Janus Gallicus comporte une rétractation concernant l’usage du mot « Prophéte ». On peut penser que pendant un certain temps, il n’était pas de bon ton ni même toléré de recourir au mot Prophéties du moins pour le titre principal, celui du privilège. On notera que Chavigny lui-même, dans les Pléiades (1603), désignera finalement Nostradamus comme « pronostiqueur ». On voit mal paraitre simultanément les mêmes quatrains sous deux intitulés aussi différents et de toute façon le nom de Prophéties est rappelé in fine dans les éditions des Grandes et Merveilleuses Prédictions.

Abordons un instant la façon dont Guinard relate nos propres travaux :
« Peut-on considérer l'ensemble de la production Regnault comme des faux antidatés parus à la fin des années 80 ou au début des années 90 ? C'est peu vraisemblable pour de multiples raisons. Prenons l'exemple de l'almanach Regnault pour 1563. La publication de cet almanach controuvé, dédié à François de Guise (lequel venait de décéder le 18 février 1563), n'aurait pas eu les mêmes enjeux, ni le même intérêt, en 1588 qu'il en avait en 1563. En outre la parution en 1563 de cet almanach, lequel mélange des quatrains issus d'almanachs parus les années précédentes, est attestée par la publication de sa traduction anglaise -- ce sont les mêmes quatrains qui ont été traduits -- , elle-même attestée dans le registre de la Stationers' Company de Londres, entre le 22 juillet 1562 et le 22 juillet 1563 (cf. Arber, 1875, p.201).
Autrement dit, les éditeurs parisiens auraient dû imprimer ou faire imprimer, sans enjeu véritable, une série de faux almanachs, des publications par ailleurs beaucoup plus nombreuses que celles qui nous sont parvenues, mais aussi toute une série de traductions imprimées dans la tradition anglaise pour ce genre de publications ! Ce scénario n'est pas même invraisemblable : il est impossible ; et l'on peut sourire aux élucubrations échafaudées par un Halbronn et autres rêveurs de complots d'éditeurs et d'imprimeurs qui auraient antidaté la plupart des éditions des textes de Nostradamus, ceux qui sont donnés pour authentiques comme ceux qui ont été falsifiés pour des raisons évidentes, en s'accaparant du matériel et des marques d'imprimerie de nombreux imprimeurs, qu'ils soient lyonnais, parisiens ou londoniens -- sans oublier qu'il faudrait encore admettre que certains registres, certaines œuvres contemporaines, et un bon nombre de témoignages relatifs aux textes de Nostradamus aient aussi été trafiqués ! (cf. les textes d'Elmar Gruber : Reconsidering the "Nostradamus Plot", CURA, 2003, et "Forgery and Fallacy in Nostradamus", Ramkat, 2003). “
Si tant est que nous ayons pu, un jour, tenir de telles positions, ils ne correspondent plus à nos positions actuelles depuis bien longtemps. Nous n’avons aucun problème à admettre que de faux almanachs de Nostradamus soient parus de son vivant, dans les années 1560. Bien plus, nous pensons que ces éditions d’époque furent utilisées par les faussaires des années 1580-90 pour composer les éditions centuriques des années 1550.
Passons à un autre « résumé » de nos positions par Guinard :
« Il n'y a aucune raison de penser que cette édition ait pu censurer des quatrains ou des vers en apparence favorables aux ligueurs et hostiles à Henry IV dans le contexte politique des années 88-93 : "Par conflit roy, regne abandonera" (IV-45a) ou "Garde toy Tours de ta proche ruine" (IV-46b). Les quatre quatrains manquants ont été écartés pour des raisons de mise en page (32 ff.), car il sont reproduits dans l'édition de 1589. Ce fait prouve qu'on n'attachait pas une si grande importance à ces vers, ni en particulier au quatrain IV 46, ou en tout cas qu'on était loin de les interpréter à la lumière du contexte politique de la fin des années 80, contrairement aux affirmations de certains spéculateurs, puisqu'un éditeur rouennais, en principe favorable à la Ligue, n'hésite pas à les supprimer de son édition, à moins d'admettre que l'édition rouennaise se soit appliquée à reproduire exactement le texte Roux de la fin des années 50. La suppression de quatre quatrains afin de respecter la mise en page, est une nouvelle preuve en faveur de l'authenticité de l'édition Bonhomme de 1555, comprenant 353 quatrains ».
Sur ce point, nous sommes formels, il n’a jamais été question d’une censure mais de quatrains non encore insérés au sein d’un ensemble à 349 quatrains (Rouen 1588)[4] . Guinard rappelle que ces quatrains ont été « reproduits » dans Rouen 1589 : « ce fait prouve qu’on n’attachait pas une si grande importance à ces vers ». Guinard explique une telle « absence » par une affaire de « mise en page ».
En revanche, il nous faut insister sur le décalage extrême et assez invraisemblable entre Rouen 158 et Rouen 1589. Nous pensons que Rouen 1588 est paru à une époque où le mot Prophéties ne passait pas en dehors du champ proprement astrologique. Or, un texte comme celui de la Prophétie de Nostradamus basculait vers toute autre chose, à l’instar des avatars du Mirabilis Liber, ce qui allait aboutir au Recueil des prophéties et révélations tant anciennes que modernes.[5].
Rappelons donc ces chiffres : 349 au lieu de 353 quatrains dans l’édition Rouen 1588, une quatrième centurie pleine et, à la VIIe centurie 35 quatrains au lieu de 40.42 quatrains dans Anvers 1590 (et probablement pas davantage dans Rouen 1589). On notera que même les éditions parisiennes comporte une centurie IV à 53 quatrains plus 47 et ne se référent donc pas à un stade à 339 quatrains.
Si l’on compare la production parisienne et la production rouennaise de 1588-1589, il est patent qu’hormis le cas particulier de Rouen 1588, les éditions parisiennes correspondent à des états sensiblement antérieurs aux éditions Rouen 1589- Anvers 1590. L’édition Anvers 1590 avec 35 quatrains à la VII aurait d’ailleurs mérité de paraitre sous le titre propre aux dites éditions parisiennes, à quatre quatrains près, puisque celles-ci se référent au titre à une addition à 39 « articles ». Autrement dit, le titre des dites éditions parisiennes correspond à un état plus tardif que leur contenu, légèrement plus, en tout cas, à 4 quatrains près, qu’Anvers 1590. Un tel manège de titres et de contenus a de quoi donner le vertige.. On est ici dans une étrange logique de post-datation d’éditions antidatées avec des titres qui anticipent sur le contenu à venir, ce qui a l’avantage de constituer un corpus d’une richesse assez exceptionnelle. En effet, s’il y a une première couche de contrefaçons, il existe aussi une deuxième voire une troisième couche de contrefaçons de contrefaçons. C’est le coup du voleur volé que nous avions déjà signalé à propos de la récupération des quatrains du néonostradamisme par le néo-centurisme.
Comme on l’a dit, le premier volet doit être divisé impérativement en deux « sous volets « si ce n’est que le second sous volet se greffe sur le premier et n’existe pas isolément.
A L’Histoire du premier sous- volet
Le premier scénario se limite à une série de quatrains prophétiques, non classés en centuries puis disposés en centuries, ce qui explique ce nombre incongru de quatrains à la Ive centurie. Nous avons le titre de cette édition à 4 centuries et nous en avons le contenu dans Macé Bonhomme 1555 mais non plus dans le titre lequel ne reprend pas cette information. Mais l’on peut aussi penser que le titre de l’édition Macé Bonhomme est celui de la toute première édition, en ce qu’elle ne donne aucune indication quant au nombre de centuries ni de quatrains : Les Prophéties de M. Michel Nostradamus » sans plus de détail. C’est le titre le plus succinct que l’on connaisse. Macé Bonhome a bien le titre de la première édition mais pas le contenu puisque l’on y trouve 353 quatrains , quatre de plus que Rouen 1588 avec ce quatrain qui est marqué par les enjeux de la Ligue (IV, 46).
B L’Histoire du second sous-volet
On change de stratégie et l’on décide de constituer désormais des éditions à six centuries, incluant les 53 quatrains de la IV. Cela n’est d’ailleurs pas nié, puisque les éditions Lyon Rosne 1557, Lyon Rigaud 1568, Cahors 1590 mais aussi Rouen 1589, Anvers 1590 le signalent en leur titre : »dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées », expression absente du titre de Macé Bonhomme 1555. Cela dit aucune édition connue ne correspond pas à cette présentation, puisque toutes comportent une septième centurie off limits. Il y a toutefois le cas intermédiaire des éditions parisiennes de la Ligue (1588, 1589 plus la série Mesnier non datée), qui annonce à la Ive centurie un nouveau train de quatrains mais ne parvient pas encore à six centuries pleines, alors même que le titre des dites éditions renvoie à une addition à une édition à six centuries.
C L’Histoire de la septième centurie.

L’on pourrait parler d’un second sous volet bis avec la mise en place d’un prolongement de la sixième centurie puisque l’immense majorité des éditions centuriques, depuis Rosne 1557 Budapest jusqu’à Rosne 1557 Utrecht en passant par Rigaud 1568 (Ier volet) comportent 7 centuries, sans oublier Anvers 1590 à 35 quatrains seulement à la VII, ce qui en fait (en dehors de Rouen 1589, tronquée) la plus ancienne. Or, les seules éditions dont le titre correspond à cette septième centurie, ce sont les éditions parisiennes de la Ligue, lesquelles en revanche n’ont pas un contenu en rapport. La formation de cette septième centurie est très complexe : on s’y est repris à trois fois (cf. notre étude sur ce sujet dans Halbronn’s researches). Les éditions parisiennes témoignent de ces tâtonnements pour parvenir à l’état ultime du premier volet, à 42 quatrains à la VII. Cette septième centurie est liée au titre des éditions à 38/39 « articles » pour 1561.
Si l’on s’en tient aux titres, tout est simple : on a quatre strates : une édition non centurique (dont témoigne le titre Macé Bonhomme 1555), une édition à 4 centuries (dont témoigne le titre Rouen 1588), une édition à six centuries (dont témoigne le titre Du Rosne 1557 Budapest) et une édition avec un prolongement au-delà de la centurie VI (dont témoigne Paris 1588).
En revanche, pour quelle raison toutes ces éditions comportent-elles un contenu décalé par rapport à leur titre ? L’édition Macé Bonhomme est divisée en 4 centuries mais l’édition Rouen 1588 qui se dit l’être ne l’est pas. Les prétendues éditions à six centuries en ont sept. Les prétendues éditions à Sept centuries n’ont même pas de sixième centurie pleine et entière. On a l’impression que l’on a interverti les contenus ou les titres !
Si l’on étudie le dossier d’un peu plus près, l’on s’aperçoit que ces bizarreries sont elles-mêmes la preuve que l’on est en face de contrefaçons car elles sont le fait d’une méconnaissance du sujet. En fait, beaucoup d’erreurs sont commises par toutes sortes de faussaires plus ou moins avisés. Aucune des éditions centuriques conservées ne se présente pour ce qu’elle est, comme si chacune portait un masque d’emprunt. On n’a même pas conservé de vraies fausses éditions, il n’y a que des contrefaçons maladroites de contrefaçons disparues.
Ce que nous n’avions pas assez reléve jusqu’à présent, c’est l’invraisemblance d’une chronologie unique. Comme il n’y a pas de stratégie d’ensemble, il y a forcément des dissonances, des chronologies qui se croisent, se juxtaposent, se contredisent. Cela ne signifie pas que les dates des éditions 1588-1590 soient fausses mais elles reprennent des éditions plus anciennes, dans le plus grand désordre.
Que conclure ? Que les vraies fausses éditions sont antérieures à ces années 1588-1590 et qu’il ne nous a été conservées que des constructions bancales puisant au petit bonheur la chance dans un vivier qui a du se constituer dans les quatre ans qui précédèrent, soit depuis 1584 et dont il ne reste rien si ce n’est par le biais d’une certaine récupération brouillonne. De fait, il nous est possible de restituer ces premières éditions avec les strates décrites plus haut, comme nous l’avons fait récemment (dans Halbronn’s researches) pour la première mouture de la septième centurie, à condition d’évacuer les retouches, les ajouts. L’absence d’une édition à six centuries alors même que les pages de titre s’y référent est emblématique de ces premières éditions perdues ou détruites.
Il faut comprendre qu’à une première génération de faussaires simplement désireuse de refaire vivre Nostradamus en lui conférant une stature de prophète a fait suite une seconde génération de faussaires qui a su instrumentaliser le travail de la première pour agir sur les esprits, pour exciter les camps en présence en truffant les quatrains d’allusions aux enjeux du moment. Cela se sent tout particulièrement dans les deux appendices, quand on a fait passer la quatrième centurie de 49 à 53 quatrains et quand on a truffé une septième centurie de références d’actualité en produisant une nouvelle série de quatrains qui faisaient mouche. Un autre distinguo important est celui du passage de pseudo-éditions posthumes (type 1568) censées avoir été retrouvées dans les papiers de l’auteur, à sa mort, à des éditions calquées sur elles mais datées du vivant de Nostradamus (type 1557-1558). En ce sens, nous pensons qu’il convient d’inverser les chronologies : d’une part, il y a eu des éditions des années-1568 - donc posthumes (Nostradamus meurt en 1566) qui sont calquées sur des éditions des années 1590 type Rigaud et de l’autre, il y a eu de prétendues éditions des années 1555-1561- qui ont été calquées sur les éditions 1568.
Il semble que l’on ait tenté de mettre en place une pseudo-chronologie à trois paliers couvrant les douze dernières années de la vie de Nostradamus : d’abord une édition à 300 et quelques quatrains puis une édition à 600 quatrains, enfin une édition augmentée (pour 1561) annonçant ce qui serait une centurie VII.
Faut-il entendre par nos derniers propos, que les éditions censées parues du vivant de Nostradamus seraient forcément postérieures aux éditions posthumes de type 1568, et peut être 1566, si l’on considère que le faux Pierre Rigaud 1566 était calqué sur une vraie édition Benoist Rigaud 1566? Il faut quand même rappeler que dès 1585, on trouve dans la Bibliothèque de Du Verdier, parue à Lyon, chez Honorat, mention, dans une des multiples « entrées », au sujet de Nostradamus, de « dix Centuries de Prophéties par Quatrains (...) imprimées à Lyon, par Benoist Rigaud, 1568". On est bien dans une présentation posthume mais il s’agissait là, selon nous, de la publication des quatrains-présages répartis en 10 « livres » et c’est ce nombre 10 qui prévaudra in fine pour les quatrains prophétiques au sens de non datés à la différence des quatrains d’almanachs. Selon nous, dans la foulée, de ce train de quatrains d’almanachs, fut mise en place une première série de quatrains « libres », c'est-à-dire non encore « centurisés » et même pas datés, probablement à partir de cette période 1584-1585, qui fait suite à la mort du dernier fils de Catherine de Médicis et d’Henri II. Personne, au départ, ne prétendait que cette autre série de quatrains était paru du vivant de Nostradamus et c’est au bout de quelques années que l’on basculera vers une présentation « du vivant » d’où ces références à 1555 dans Anvers 1590, à 1557 dans Nicole Roffet 1588, d’où des contrefaçons carrément datées de 1555, 1556, 1557, 1558, 1560 (pour 1561) mais ne respectant pas la logique des contenus : c’est ainsi que l’édition Du Rosne 1557 comporte déjà l’addition à la sixième centurie qui n’est annoncée que dans les pseudo éditions Regnault/Buffet de 1560, parmi bien d’autres invraisemblances ; On rappellera enfin que sous la Ligue ne paraissent que les quatrains constituant ce qui deviendra le premier « livret » lors de l’adjonction plus tardive d’un second. Il est donc totalement hors de question qu’une édition des deux volets ait eu lieu dans les années 1580. Selon nous, les toutes premières éditions posthumes des quatrains non datés auront constitué un calque servant à la production des éditions du vivant de Nostradamus, c'est-à-dire avec des augmentations successives et notamment un palier autour de la quatrième centurie avec des variations entre 49 et 53 quatrains, puis un autre autour de la sixième centurie, avec des variations entre 71 et 100 quatrains et enfin un palier autour de la septième centurie avec des variations entre 35 et 42 quatrains ; Mais on ne connait les premières éditions posthumes que par le biais des éditions du vivant étant entendu que les éditions Rigaud qui à partir de 1594 portent la date de 1568 ne correspondent aucunement aux premières, à dix ans d’intervalle.(vers 1584). Etant donné que ces éditions «du vivant » ont certainement modifié, retouché, interpolé, un certain nombre de quatrains, elles ne sauraient nous restituer fidèlement les premiers stades de formation ; néanmoins elles correspondent globalement et structurellement au dit état. Il convient donc de distinguer trois éditions Benoist Rigaud 1568 ;
A une édition des quatrains présages, très probablement à partir du manuscrit du Recueil de Présages Prosaïques.
B une série d’éditions des quatrains non datés, notamment à partir de la production néo-nostradamique des années 1570, laquelle était déjà influencée par les quatrains-présages des almanachs de Nostradamus. On ne connait ces éditions que par les calques réalisés pour produire des éditions censées parues entre 1555 et 1560.
C Une édition récapitulative réalisée lors de l’avénement d’Henri IV et qui adjoint un second volet favorable à celui-ci Même le second volet aura donné lieu à une édition du vivant de Nostradamus avec la production, perdue mais attestée par le titre du premier volet, d’une édition datée de 1558, année de la pseudo épitre centurique à Henri II placée en tête du second volet. D’où l’intérêt de la découverte à la Bibliothèque d’Utrecht, après la parution des bibliographies de Chomarat et de Benazra, d’une autre édition Antoine du Rosne 1557 – on connaissait déjà une édition Du Rosne 1557, conservée à Budapest et dont était paru un fac simile en 1993 (Ed. M.Chomarat, Présentation R. Benazra). Cette édition est calquée sur l’édition Rigaud à deux volets. Elle comporte en effet, au titre de son premier volet les mêmes indications que pour le premier volet Rigaud.- ce qui n’est pas le cas de l’exemplaire Budapest (à 40 quatrains seulement à la VII au lieu de 42) à savoir « Adioustées de nouveau par le dict Autheur ». Ce second volet a disparu mais il est calqué sur Rigaud 1568 à 10 centuries et non l’inverse, comme on le croit généralement. D’ailleurs, une fois de plus, que signifierait, dans une chronologie réelle, une publication à 10 centuries en 1558 alors que deux ans plus tard, serait parue une édition avec une addition à la Vie centurie, étant donné qu’il est totalement exclu que la « dernière » centurie dont il est question dans les éditions parisiennes 1560 ait été la dixiéme, vu que toutes les éditions connues de type 1560 ne comportent pas plus de 7 centuries. Ce qui caractérise en effet ces éditions « du vivant » de Nostradamus, c’est le fait qu’elles viennent se surajouter les unes aux autres sans aucun souci de vraisemblance chronologique. On est donc bien en présence non pas d’une chronologie reflétant une quelconque réalité de ce qui s’est passé dans les douze ans qui précédèrent la mort de Nostradamus mais d’une série désordonnée de publications avec deux écoles antagonistes : l’une qui place la production de la septième centurie en 1560 et l’autre qui a déjà intégré cette production à 7 centuries au niveau de l’année 1557 et qui est probablement postérieure à la première, sans parler de la troisième vague encore plus ultra affirmant que même le second volet était paru dès 1558. Mais ce serait oublier une autre école, dont il a été question plus haut, celle qui place la production des sept premières centuries en 1555. Cette école est représentée par Anvers 1590 (et très probablement par Rouen 1589 et Rouen 1588). Au départ, il ne s’agissait que de présenter Rouen 1588 comme un calque d’une édition 1555 à 4 centuries (ce qui donnera Macé Bonhomme 1555, une fois la centurisation en place) mais dans la foulée, on produisit des éditions à 7 centuries, en continuant à se référer à 1555, comme l’atteste la mention finale Anvers 1590 relative à une édition Avignon Pierre Roux 1555. Dès lors, on peut penser que l’école Du Rosne 1557 Budapest soit dérive d’une édition perdue datée de 1555 à 7 centuries, soit réalise le projet d’une telle édition antidatée 1555, en rappelant d’ailleurs qu’il a très probablement existé une édition 1556 Olivier Harsy à sept centuries qui est à l’origine d’Antoine du Rosne 1557 Budapest. Mais pourquoi avoir pris comme date 1556 au lieu de 1555 ? Probablement parce qu’à la réflexion,il a pu sembler plus heureux de faire les choses en deux temps : 1555 les quatre premières centuries et 1556 une édition à 7 centuries avec la mention « dont il en y a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées », que l’on retrouve dans Rosne Budapest 1557. C’est le même genre de raisonnement qui aura conduit à produire avec un an de décalage une édition augmentée Rosne 1557 (Utrecht) datée 1558. On peut bel et bien parler d’une « cuisine » centurique, qui n’est en fait compliquée que du fait de l’absence du garde fou de la réalité. On est loin de la naïveté des bibliographies nostradamiques parues il y a un peu plus de vingt ans qui se contentaient de numéroter les éditions, comme le fait Benazra, par ordre de « parution ».
Revenons pour finir sur la façon dont Patrice Guinard traite des éditions Benoist Rigaud 1568[6]. Il résume ainsi ses recherches :
« Toutes les éditions de 1568 reprennent le quatrain latin non numéroté [VI 100] et les quatrains VII 41 et 42 de la première édition Antoine du Rosne imprimée en septembre 1557, et contiennent les passages manquants dans l'édition de novembre 1557 (cf. CURA, CORPUS NOSTRADAMUS 31, "Totale authenticité des éditions Antoine du Rosne de 1557"). Elles s'appuient donc sur cette première édition de 1557 pour la première partie, et sur l'édition perdue de 1558 pour la seconde partie -- ce qui semble logique. Même s'il n'est pas totalement exclu qu'il soit paru une édition complète des Prophéties dès 1558 (cf. le bibliographe Alfred Cartier, 1938), les deux parties distinctes et non uniformisées du texte plaident en faveur de l'assemblage, en 1568, des deux parties d'un texte, lesquelles n'auraient donc jamais été réunies avant le décès de leur auteur en 1566. J'ai vérifié que les textes de 1568 s'appuyaient bien sur celui de 1557, et non -- pour le début du texte -- sur la première édition, celle imprimée par Macé Bonhomme en 1555 et ne contenant que 353 quatrains. En particulier tous les oublis de termes et de la conjonction "et", communs aux deux éditions de 1557, à savoir : "par continuelles (veilles &) supputations" (C19), "ceci avenir, (&) en brief" (C31), "cent (&) septante" (C34), "hors mis que (quand) son vouloir" (C35), ainsi que l'ajout du démonstratif dans l'expression "que ce pendant" (C21) sont repris dans les quatre éditions Rigaud. »
En fait, les éditions Rigaud 1568 dont Guinard traite sont toutes des contrefaçons parues à partir de 1594 d’éditions Rigaud parues vers 1586 à la suite d’un recueil des quatrains présages, signalé par Du Verdier et qui n’ont pas été conservées, elles se présentaient comme posthumes et ne comportaient initialement que quelques centaines de « carmes » ; elles devaient mentionner en leur titre la mort de Nostradamus, -« notre défunt » ou « feu » - ce que ne font pas les éditions 1568 connues, lesquelles se présentent plutôt comme une récapitulation d’éditions parues du vivant de Nostradamus et en ce sens Guinard a raison de signaler un emprunt des éditions Rigaud à Antoine du Rosne 1557 Utrecht (et non Budapest), comme cela ressort de la comparaison des trois pages de titre. Mais les dites éditions sont également tributaires du second volet Cahors 1590, dont la rédaction de l’Epître à Henri II est visiblement moins retouchée, du fait de la juxtaposition 1585-1606 alors que chez Rigaud cela a été arrangé en un « mesmes de l’année 1585 et de l’année 1606 », alors qu’initialement, mais on n’a pas conservé d’édition avec cette version, il devait y avoir simplement « mesmes de l’année 1585 », mesmes signifiant ici surtout.

 
 




JHB
12.08. 12

[1] Cf Benazra, RCN, pp 51-52
[2] (Le testament de Nostradamus, Le Rocher, 1982
[3] Cf RFuzo Tesament, op. cit. p. 282
[4] Cf Benazra , RCN, pp. 122-123
[5] Cf Benazra, RCN, pp. 172-173
[6] CORPUS NOSTRADAMUS 40 –« Chronologie des éditions Benoist Rigaud de 1568 »

 

 

86 - De la fortune des quatrains-présages
Par Jacques Halbronn

 


On a tendance à opposer les quatrains « prophétiques » dont la date d’échéance n’est pas fixée avec les quatrains présages qui n’auraient valu que pour une certaine année, voire un certain mois. Une telle distinction peut conduire à certaines erreurs d’appréciation. Chavigny – qui se veut avoir été un proche de Nostradamus- lui-même témoigne dans le Janus Gallicus de la licence qu’il se donne d’interpréter les quatrains présages. C’est sous le nom de « présages » qu’une partie d’entre eux figurera dans certaines éditions du XVIIe siècles alors que le terme désigne plutôt dans les almanachs, les études en prose, au même titre que celui de « prédiction »..Cet ‘avertissement est un texte essentiel assez négligé par les nostradamologues placé en exergue du commentaire des quatrains, à la page 35.
Avertissement au lecteur :
« Je t’advertis que sont plusieurs quatrains (non tous) qui sur le front portent le nom & tiltre de telle & telle année, qui n’est pas celle à qui le présage doibt estre véritablement donné, ni en laquelle il est advenu ou doibt advenir ains (mais) est celle en laquelle a esté faict le Prognostiq, dont j’ay tiré le quatrain, nostre prophete dez l’an de grâce 1555 iusques à 67 ayant escrit plusieurs beaux presages qui nullement n’appartiennent à telles années ains (mais) à d’autres advenir consecutivement, eslongnez les uns de dix ans, vint ans voire de trente & quarante, les autres plus, les autres moins selon que la fureur vaticinatrice le transportait » On notera une erreur de transcription, qui coupe une phrase en deux. Il faut lire « nostre prophéte » et non « Nostre prophete ».
Ce texte mérite que l’on s’y arrête mais l’on notera qu’il ne figurera pas dans l’édition de 1596 des Commentaires du Sr de Chavigny sur les Centuries et Pronostications de feu M. Michel de Nostradamus, Paris (deux éditions : Gilles Robinot/ Anthoine du Breui)
On notera que Chavigny y parle de Nostradamus « prophete », d’une « fureur vaticinatrice » à l’égard des quatrains présages, ce qui montre bien que cette dimension prophétique n’est nullement le privilége seuls quatrains « prophétiques » comme Benazra les dénomme pour les distinguer des quatrains-présages. Ensuite, quand il est dit que plusieurs quatrains doivent être ainsi considérés, tout en précisant entre parenthèses « (non tous », cela peut signifier certes qu’il se sert de quatrains qui ne sont pas issus des almanachs mais cela peut aussi signifier que certains quatrains visent la période qu’ils désignent au départ et donc ne touchent pas à des périodes plus tardives. De fait dans la chronologie qui constitue le cadre du Janus Gallicus, depuis 1537 jusqu’à 1589, il est des quatrains d’almanachs qui concernent l’année même qu’ils annoncent, étant entendu qu’ils sont censés avoir été rédigés quelque temps auparavant. Autrement dit, au départ, nous pensons que le Janus Gallicus se voulait être un commentaire des quatrains- présages et de rien d’autre. De même d’ailleurs, la prose de Nostradamus pouvait valoir pour des périodes plus tardives que celle de la date de leur première parution, comme cela ressort des Pléiades du même Chavigny.
En fait, du moins, dans un premier temps, ce qui a transformé Nostradamus en Prophéte, ce n’est pas la production d’un train de quatrains « prophétiques » mais la prophétisation des quatrains –présages par le jeu du commentaire. On ignore comment cette découverte s’est faite, à partir de quand l’on s’est aperçu que les quatrains des almanachs et plus généralement sa production annuelle pouvait valoir pour des périodes plus éloignées, mais c’est bien le constat que fait un Chavigny, dont on peut penser – bien que ce point fasse l’objet de débat- qu’il avait été, dans sa jeunesse, un proche de Michel de Nostredame, en qualité de secrétaire, possiblement. C’est dire que son témoignage compte ; bien plus le Janus illustre de façon magistrale son propos puisque nombreux, en effet, sont les quatrains présages qui servent à couvrir des périodes au-delà de 1566 (et donc 1567 pour les publications), année de la mort de Nostradamus. On comprend aussi que lorsqu’en 1585, il est signalé dans la Bibliothèque d’Antoine du Verdier, la parution de « dix Centuries de Prophéties par Quatrains (...) imprimées à Lyon, par Benoist Rigaud, 1568", il se soit agi, selon nous, en fait de la collection des quatrains présages et non les dix centuries qui ne seront rassemblées que dans le cours des années 1590, collection réalisée à partir du manuscrit du Recueil de Présages Prosaïques, constitué et ainsi intitulé par Chavigny à partir des brouillons retrouvés à la mort de Nostradamus et qu’il avait l’intention de publier, à ses frais, en 1589, à Grenoble..
La passation de pouvoir des quatrains présages datés aux quatrains non datés allait se faire progressivement et selon une certaine logique : puisque les quatrains présages comportaient des dates qui n’étaient pas limitatives, pourquoi ne pas publier des quatrains détachés dès le départ de tout encadrement chronologique. C’est ainsi que Chavigny intégrera cette nouvelle série dans son Janus, mais d’une façon qui restait, somme toute, assez marginale, quantitativement.(cf notre étude à ce sujet sur les Halbronn’s Researches). On sait que ces quatrains présages figureront au XVIIe siècle dans nombre d’éditions centuriques, mais en annexe et uniquement ceux qui avaiient été commentés dans le Janus Gallicus. On sait aussi qu’en 1588, les quatains de l’almanach pour 1561 constitueront la plus grande part d’une centurie VII qui sera par la suite remplacée par une nouvelle série d’une bonne trentaine de quatrains non datés. C’est dire la promiscuité entre les deux séries de quatrains, et l’on ne saurait donc qualifier les quatrains hors almanachs de « prophétiques » puisque Chavigny leur accorde une forte valeur « vaticinaitoire » (Vates, en latin, pour le prophéte)
Que dire, dès lors du propos de Patrice Guinard concernant les Mémoires de Claude Haton[1]
« Reste le passage essentiel de ce rapport, qui a échappé à l'attention de Brind'Amour : du mal qui est depuis advenu dix, douze et quinze ans après qu'il l'a predict et mis par escript : lesquelles predictions ou propheties ont esté entendues par l'execution qui en a esté faicte à veu d'oeil. Haton estime que les événements mentionnés dans les Prophéties ont été largement accomplis au jour où il parle. Et ce constat, il le dresse 15 ans après la parution des premiers quatrains prophétiques, c'est-à-dire en 1570. Non seulement, il confirme la date de parution de la première édition (Lyon, Macé Bonhomme, 1555), mais il confirme aussi celles de deux autres éditions : l'une connue et attestée par le catalogue Gersaint de 1751 et décrite par Jacques Brunet (Paris, Barbe Regnault, 1560, in fine 1561), l'autre, introuvable, et dont l'existence a été contestée : la fameuse édition fantôme de 1558. Car ces quinze, douze et dix ans après 1555, 1558 et 1560, nous amènent bien à l'année 1570, date à laquelle il a rédigé ce passage, et qui corrobore par ailleurs les observations préliminaires des éditeurs actuels de ce texte. Haton connaissait en 1570 l'édition lyonnaise de 1558, celle introduite par l'épître à Henry II datée du 27 juin 1558 et contenant les centuries VIII, IX et X. En revanche il ne connaissait pas l'édition (ou les éditions) Antoine du Rosne de 1557, et reste dupe de l'édition parisienne tronquée de 1561. L'expression "lesquelles predictions ou propheties" montre que Claude Haton connaissait peut-être aussi les éditions antidatées d'Avignon ("1555" et "1558") qui avaient pour titre "Les grandes et merveilleuses Predictions".
A la lumière de ce que nous avons expliqué précédemment, il semble que Guinard parte du principe que du moment que l’on utilisait Nostradamus pour des périodes au-delà de sa mort, l’on recourait inévitablement, ipso facto, aux « centuries ». C’est là une erreur de perspective fondée sur un sophisme : Nostradamus en dehors des «Prophéties » n’aurait écrit que pour le temps immédiatement à venir, en dehors de quelques développements des épitres à César ou à Henri II. Et il est vrai que d’une façon générale, les dates qu’il avance sont rarement postérieurs aux années 1560. Mais Guinard oublie cette transformation du statut de la production nostradamique, n’exigeant aucun nouvel apport de texte mais une exploitation approfondie des textes déjà parus, d’où le Recueil des Présages Prosaîques, sans parler des « Centuries » signalées par Du Verdier- ce qui n’aurait guère fait de sens pour des textes devenus obsolétes alors qu’au contraire, ils allaient trouver un nouveau « souffle » prophétique.. Il faudrait plutôt poser la question inverse : pourquoi eut-on besoin de produire de nouvelles « centuries » et plusieurs centaines de quatrains ? Est-ce que ce que l’on avait ne suffisait pas ? Nous pensons que ce phénoméne additionnel est du aux néo-nostradamistes (Crespin, Nostradamus le Jeune etc) qui produisirent, pour leur propre compte, de nouveaux quatrains dans le cadre de leurs publications annuelles. Guinard lui-même fournit des séries de quatrains de l’un des imitateurs de Nostadamus, Florent de Crox[2]. Il était donc logique qu’à terme ces nouveaux quatrains présages donnent lieu à un nouveau Recueil de Centuries.[3] C’est ainsi que le premier quatrain de la première centurie figurait déjà en bonne place dans la production d’un Michel Nostradamus le Jeune et qu’on le trouve également au début des adresses de Crespin dans les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation française (Lyon, Arnoullet, 1572 et 1573)
Autrement dit, le prophétisme qui se révéle au cours de la seconde partie du xVIe siècle est mu par la prise de conscience de la possibilité de translater un présage daté pour une certaine année en un présage ayant valeur polysémique, pouvant couvrir plusieurs décennies, comme s’en explique Chavigny, en exergue de ses commentaires. Certes, les éditions des centuries ne sont-elles pas exclusivement issues de la littérature des pronostics annuels ou pluri-annuels voire des vaticinations perpétuelles. Conscience de ce que rien n’est nouveau sous le soleil et donc qu’un présage peut toucher des séries d’événements étalés dans le temps. C’est toute la problématique de Janus (qui a donné le mois de janvier), le passé, le présent et le futur se recouvrent et se recoupent. Certes, on y trouve aussi des textes non prophétiques comme ces quatrains issus de la Guide des Chemins de France de Charles Estienne ou d’autres itinèraires du même auteur.[4] Ce sont là des facilités que les rédacteurs du second volet se sont accordées et qui poussaient jusqu’à l’absurde l’idée selon laquelle le texte le plus insignifiant pouvait revêtir, à terme, quelque valeur prophétique, oraculaire, pourvu qu’il fasse l’objet de quelque tirage à l’aveugle (bibliomancie)
Il faut voir, probablement, dans le Janus Gallicus, la récapitulation de divers commentaires qui auront contribué à conférer aux quatrains des almanachs leurs lettres de noblesse prophétiques. On ne peut exclure que certains de ces commentaires aient circulé pendant des décennies avant de faire l’objet d’impressions. On ignore d’ailleurs si la publication signalée par Du Verdier ne comportait pas outre les quatrains des almanachs un certain nombre de commentaires. L’ironie de l’histoire voudrait que Nostradamus ait pu déléguer à des assistants la tâche consistant à translater ses textes en prose en quatrains. Mais il est clair que le Recueil de Présages Prosaïques[5], de par son titre même, n’entendait nullement se concentre sur les seuls quatrains. La prose de Nostradamus était également censée nous informer sur les siècles à venir. Il ne reste, du moins au sein du canon centurique –et doublement tel- de cette idée d’une prophétie « prosaïque » que les deux épitres à César et à Henri II, qui ouvrent les deux « volets » des Centuries.


JHB
12.08. 12
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[1] Corpus Nostradamus n° 11- « Les Mémoires de Claude Haton : un témoignage exceptionnel sur Nostradamus »
[2] CORPUS NOSTRADAMUS 92 « Florent de Crox, le plus doué des imitateurs de Nostradamus «

[3] Sur Crespin, et Morgard, cf Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed Ramkat, 2002
[4] Cf l’étude de Chantal Liaroutzos, in revue RHR 1985
[5] Cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, ed Seuil , 1999

 
 

 

HR 87 L’âge d’or du nostradamisme au XVIIe siècle (1643-1691)
Par Jacques Halbronn

Depuis déjà un certain temps, nous avons affirmé que le milieu du XVIIe siècle correspondait à une renaissance, à un âge d’or, stricto sensu, du domaine centurique. Entendons par là la réapparition de pièces essentiels du corpus, ce qui aurait du permettre, en principe, sa rénovation. Or, force est de constater que cet apport providentiel ne fut pas exploité comme il aurait pu l’être et que cet âge d’or fit long feu. On en revint à des éditions ne tenant pas compte des apports de la période considérée, notamment les éditions antidatées Benoist Rigaud 1568, relayés par les éditions tout autant antidatées de Pierre Rigaud 1566, le second XVIIe siècle, qui se déroule sous Louis XIV.
En matière de redatation, nous voudrions revenir sur cette période de réapparition de pièces perdues, ce qui aurait permis la rénovation de la Préface à César (Ed Londres 1672, Lyon, Besson, c 1691), le retour à une épitre à Henri II avant les additions ultérieures notamment. Période qui voit la réémergence des quatrains-présages des almanachs mais aussi l’arrivée des sixains. On accordera une certaine place au quatrain latin à la fin de la centurie VI, dont un grand nombre d’éditions présentent une version corrompue. Or, ce quatrain réapparait au milieu du XVIIe siècle sous sa forme de départ, ce qui implique qu’il y ait eu à un certain moment une perturbation, une dégradation mais aussi une transmission des textes de référence.
Pierre Brind’amour nous restitue la genèse de ce quatrain[1]. Selon ce chercheur canadien, Nostradamus aurait « trouvé la strophe dans le De honesta disciplina de Petrus Crinitus (…) il en changea le mot legulei (..) par le mot astrologi. C VI, 100, LEGIS CAUTIO CONTRA INEPTOS CRITICOS (..) CAUTION DE LOI CONTRE LES CRITIQUES INEPTES ». On regrettera cette façon d’attribuer à Nostradamus tout ce qui concerne les centuries. Vingt ans après, une telle formulation ne passe plus guère. On s’interroge évidemment sur la portée d’une telle mise en garde contre les astrologues, à la fin d’un ensemble de six livres prophétiques dus à un astrologue, où l’on interpole le mot Astrologues pour que ceux-ci soient impliqués dans la condamnation, « Caution de Loi » : « Que tous les Astrologues, les Rustres, les Barbares s’en éloignent ». Il leur est carrément interdit de « lire ces vers », ces « versus » qui ne sont donc pas faits pour les astrologues.
Le problème c’est que dans toutes les éditions comportant une centurie VI à 100 quatrains, on ne trouve qu’une forme corrompue du chapeau, avec la forme CANTIO au lieu de CAUTIO et l’autre problème, c’est qu’au XVIIe siècle, du moins à partir d’une certaine date, cette erreur sera largement corrigée puisque des éditions centuriques paraitront avec CAUTIO à la place de CANTIO. On peut certes supposer que quelqu’un ait de lui-même apporté des corrections aux documents comme il aurait pu corriger certains éléments de la Préface à César mais ce type de scénario nous semble assez peu vraisemblable. Nous préférons envisager la réémergence de certains documents ne comportant pas encore de telles dégradations. Or, le fait est que certains chainons de la succession des éditions centuriques ne nous sont pas parvenus à commencer par une édition à six centuries. Or, c’est justement par le quatrain latin que cette centurie sinon se termine du moins est séparée de la centurie VII laquelle est additionnelle comme l’indique le titre des éditions parisiennes de la Ligue, parlant de 39 articles ajoutés à la « dernière centurie ». En outre, le quatrain français 100 de la Vie centurie manque dans toutes les éditions centuriques comportant Cantio au lieu de Cautio, comme si les deux cas étaient liés.
Considérons les éditions troyennes du XVIIe siècle, celle de Pierre Chevillot et celle de Pierre du Ruau. En de nombreux points, elles différent. On trouve Cantio chez Chevilllot et Cautio chez Du Ruau. On trouve le quatrain VI 100 chez Du Ruau, point chez Chevillot. On trouve les quatrains présages chez Du Ruau, ils ne figurent pas chez Chevillot. En revanche, chez les deux libraires de Troyes, on trouve les 58 sixains et l’Epitre à Henri IV, datée de 1605 mais aussi la reprise des quatrains constituant les centuries VII et VIII des éditions parisiennes, dont les contenus n’ont pas été repris dès l’édition Anvers 1590, pour ne parler que de l’édition la plus ancienne accessible dans ses dernières pages... A plus d’un titre l’édition Chevillot semble être un état intermédiaire entre Du Ruau et Rigaud (mais aussi Rousseau, à Cahors). En effet, chez Rigaud (et cela vaut tant pour les Héritiers Rigaud que pour Pierre Rigaud, y compris les éditions du début de la Régence de Philippe d’Orléans,, point de sixains et d’épitre à Henri IV. Toutes ces éditions, au demeurant, s’intitulent simplement Prophéties.
Comment dater les éditions troyennes Chevillot et Du Ruau ? Comment se situent-elles, dans le temps, l’une par rapport à l’autre ? On notera que Du Ruau doit beaucoup au Janus Gallicus (1594) : on y trouve en effet le quatrain VI, 100 et les quatrains présages que présente l’édition Du Ruau mais dans le Janus point de trace du quatrain latin ni d’ailleurs d’autres quatrains, dès lors qu’ils ne font pas l’objet d’un commentaire. Or, le quatrain latin dans sa version « Cautio » figure bien chez Du Ruau.
Ce qui ressort, c’est que Du Ruau n’a pas seulement puisé dans les éditions qui ont été conservées mais aussi dans d’autres qui ne l’ont pas été et dont le Janus Gallicus, déjà, s’était servi en amont, du moins en ce qui concerne le premier volet, le cas du second volet, d’apparition plus tardive, posant des problèmes d’un autre ordre, posés par l’édition Besson, laquelle propose une version plus ancienne de l’Epitre à Henri II que celle que nous connaissons à partir des éditions conservées. On se limitera ici à la genèse du premier « livret » et du troisième, le plus récent et qui passe notamment par les éditions troyennes dont la tendance est marquée par un projet de récupération tous azimuts forcément syncrétique, allant des éléments les plus anciens aux plus récents et les rangeant dans le cadre des trois livrets, les plus anciens dans le premier, les plus récents dans le troisième, lequel néanmoins accueille, du moins chez Du Ruau, les quatrains présages. A cela vient s’ajouter la récupération du Recueil des Prophéties et Révélations tant anciennes que modernes, qui vient accompagner certaines éditions troyennes, en une sorte de diptyque[2]. Nous attirons l’attention sur les deux périodes régentielles du siècle, 1611, sous Marie de Médicis, à la mort d’Henri IV et 1644, à la mort de Louis XIII, sous Anne d’Autriche, qui font écho à la régence de Catherine de Médicis, à partir de 1561, elle –même faisant suite à la situation créée en 1525 par la captivité de François Ier, à la suite de Pavie), lequel se retrouve dans un état de fait de tutelle qui donne le pouvoir à sa mère Louise de Savoie... Dans chaque cas, le Mirabilis Liber et par la suite ses traductions françaises sont mis en avant. Or, l’on connait une édition troyenne du Recueil des Prophéties et Révélations qui est datée de 1611, chez Pierre Chevillot et qui comporte une référence retouchée à 1642, soit quasiment la date de la régence suivante. [3]..

I La récupération des premiers états du premier volet
Il importe de situer l’avènement du centurisme posthume autour des années 1585, ce qui explique que l’on trouve en 1585 dans la Bibliothèque de Du Verdier une première référence au mot « Centuries » associée au nom de Nostradamus et à celui de Benoist Rigaud ainsi que de l’année 1568. Ces trois quatre années qui précédent les éditions de Paris et de Rouen datées de 1588 et 1589 sont fondamentales si ce n’est que l’on n’a pas conservé la production de cette période, si ce n’est indirectement dans des éditions plus tardives et sensiblement retouchées et corrompues. Il ne s’agit donc pas de remonter au Déluge, c'est-à-dire aux décennies 1550-1560 mais seulement à quelques années en arrière, à partir de la mort de tuberculose, le 10 juin 1584, de François de France, duc d’Alençon, d’Anjou etc avec les conséquences que l’on connait, faisant de facto du prince de sang, Henri de Bourbon, un réformé, le successeur virtuel d’Henri III. En effet, le renouveau nostradamique semble concomitant de cette crise dynastico-religieuse ouverte et il s’en nourrira pendant une dizaine d’années jusqu’à l’avènement à la Couronne du dit Bourbon, au début de 1594.
Cette première période est caractérisée par un nostradamisme posthume dans le plein sens du terme. Il ne s’agit pas, comme certains nostradamologues tendent à le laisser croire, de la réédition d’œuvres déjà parues du vivant de Nostradamus mais bien de documents trouvés à la mort de l’auteur, survenue le 2 juillet 1566, d’où l’accent mis sur 1568, même si cette date, elle-même, est controuvée.
Rappelons les données qui convergent vers la thèse « posthume ».
La préface à César (datée de 1555(tantôt juin, tantôt mars) indique clairement qu’elle annonce à un fils, qui vient de naitre bien tardivement (comme ce sera le cas du futur Louis XIV, en 1638 mais Nostradamus a 50 ans en 1553) un « mémoire » qui ne sera communiqué qu’à la mort du « père ».
Le scénario de documents inédits est constamment réaffirmé: on le retrouve dans la présentation des Sixains : « Prédictions admirables pour les ans courans en ce siecle recueillies des Mémoires de feu M. Michel Nostradamus, vivant Médecin » sans parler de Chavigny qui parle de documents encore conservés, à la fin du Brief Discours de la Vie de M. Michel Nostradamus, ce qui fait écho à l’Epitre de Jean de Chevigny à Larcher, en tête du poéme de Jean Dorat sur l’Androgyn, dans une édition contrefaite datée de 1570, donc au lendemain de la mort de Nostradamus. (cf Bib. Arsenal), ce Dorat étant présent au sein du Janus Gallicus de Chavigny. Cette épitre, largement méconnue des nostradamologues, comporte même un quatrain de Nostradamus, dument numéroté. Le rapprochement entre cette Epitre et la fin du Brief Discours est frappant et va dans le sens d’une équation Chevigny/Chavigny que conteste Jean Dupébe[4], quand bien même , Chavigny se serait-il totalement identifié à Chevigny et aurait publié sous son nom une telle épître.
Ajoutons qu’en 1568 étaient effectivement parus des textes se référant à la mort de Nostradamus et à ses papiers, à la bibliothèque du défunt[5] et c’est sur cette base que selon nous l’an 1568 fut choisi comme date pour la parution de documents édités bien plus tardivement au milieu des années 1580, à savoir les quatrains des almanachs en dix livres ou centuries, éventuellement accompagnés de commentaires, cet ensemble n’ayant pas été conservé mais signalé par Du Verdier et par la su[6]ite certaines éditions des « centuries prophétiques » pour reprendre une expression de Jean de Chevigny dans l’épitre à Mgr Larcher (datée du 19 août 1570)...
Nous situons la publication d’un premier ensemble de 349 strophes ou « carmes » - autre expression trouvée dans la dite épitre- autour de 1586, ce qui devrait correspondre en gros au contenu de Rouen Petit Val 1588, dont on ne dispose pour l’heure que de descriptions transmises par Daniel Ruzo à Benazra et à Chomarat à l’occasion du colloque de Salon de Provence, en 1985, il y a 27 ans.[7] à moins que le dit Ruzo n’en ait donné une copie ou l’original à consulter sans en permettre la reproduction, la préface à César est datée du 27 juin 1555- date qui est aussi celle de Rouen 1589 et Anvers 1590 - et non du Ier Mars..
Dans un deuxième temps, cet ensemble, passé de 349 à 353 quatrains, fut « divisé » - c’est l’expression figurant au titre de Rouen 1588- puis complété pour atteindre 600 quatrains, s’achevant sur ce Legis Cautio dont il a été question plus haut, emprunté à Crinitus. Ce passage à 600 quatrains était d’ailleurs signalé par l’indication d’une addition au-delà de IV, 53, comme l’attestent les éditions parisiennes de 1588-1589 ainsi que par la mention au titre du premier volet des éditions conservées d’une addition de 300 prophéties « qui n’ont encore jamais esté imprimées ». La fiction d’une première parution posthume est confirmée par l’édition troyenne Chevillot : on trouve une suite à ce titre avec parfois cette suite « trouvées en une Bibliothèque delaissée par l’Autheur »[8], laquelle selon nous aura été supprimée ultérieurement. Chez Du Ruau, la mention 1568 figure : », il y est fait mention de « la coppie imprimée à Lyon par Benoist Rigaud. 1568 »[9]. C’est dire que ce caractère posthume était fortement marqué dans cette période pré-1588, ce qui nous est restitué au XVIIe siècle. En ce qui concerne la composition de ces centuries de quatrains, nous dirons- pour faire bref, qu’ils furent notamment récupérés de diverses textes néo ou pseudo nostradamiques, à commencer par ceux d’Antoine Crespin, parus, pour certains, dès les années 1560 et surtout lors de la décennie suivante dont on notera qu’elle ne fut l’objet d’aucune édition des Centuries, sous quelque forme que ce soit.
Entre les deux périodes marquées par la présentation posthume, se situe une période de quelques années qui ira dans le sens d’éditions parues du vivant de Nostradamus, se référant à des éditions de 1555, 1557, 1560 et produisant d’ailleurs de fausses éditions correspondantes. Or, c’est cette courte période qui semble avoir marqué les représentations encore largement en vigueur chez les spécialistes, universitaires et non universitaires confondus et cela se cristallise notamment autour de l’émergence d’une septième centurie. Les éditions de Rouen se référent à une impression avignonnaise chez Pierre Roux, de 1555. On ne le sait qu’indirectement par l’édition d’Anvers 1590 qui reproduit probablement Rouen 1589 – le seul exemplaire qui en ait été conservé est tronqué - laquelle reprend, on peut le penser, les mentions terminales de Rouen 1588. L’édition Veuve Roffet se réfère à 1557 tout en signalant une addition survenue en 1560, ce qui n’est pas contradictoire car cela signifie que l’addition a été faite à une édition ainsi datée. De même l’édition d’Anvers renvoie à une édition de 1555 alors qu’elle complète une édition de 353 quatrains qui est censée lui être antérieure. Nous devons cette information à Patrice Guinard[10] dont c’est d’ailleurs la principale contribution factuelle sérieuse à la recherche nostradamologique, que d’avoir signalé tout en bas de la page de titre, fort abimée, des Propheties de M. Michel Nostradamus Dont il y en a trois cens qui n'ont encores esté imprimees, lesquels [sic] sont en ceste presente edition. Reveues & additionnees par l'Autheur, pour l'An mil cinq cens soixante & un, de trente neuf articles à la derniere Centurie Paris, veufve Nicolas Roffet, sur le Pont sainct Michel, à la Rose blanche, la mention. « Jouxte la coppie imprimee, l'an 1557 », suivie de 1588, in-16, 64 ff., mention supprimée au titre des autres éditions parisiennes de 1589 (Charles Roger, Pierre Mesnier) Ainsi, peut-on dire qu’autour de 1588 se mettait en place le scénario relatif à des impressions se situant entre 1555 et 1560, lequel scénario étant voué à se substituer au scénario « posthume »[11].
En ce qui concerne les additions prétendument réalisées en 1560, il ne semble pas qu’elles reprennent des éléments de la période « posthume », en ce qu’elles se situent précisément au-delà de l’édition à six centuries. D’ailleurs, les éditions Rigaud s’en tiendront toujours, du moins en leur titre sinon en leur contenu, à cette position, le premier volet se référant toujours, à partir de 1594, à une addition de 300 prophéties, sans aucune référence à une addition au-delà, ce qui nous confirme dans l’idée que la période première de lancement des centuries fut bien l’œuvre de Benoist Rigaud autour des années 1584-1587. Tout se passe comme si en 1588, certains libraires avaient réalisé un « coup » commercial, une surenchère, en jouant la carte du « vivant » de Nostradamus, sur la base de la date de rédaction de la Préface à César. Cela dit, il n’est pas indifférent de s’arrêter sur le fait que tantôt la préface soit datée de 1555 (Rouen/Anvers) et tantôt de 1557 (Paris). En effet, si l’on revient au titre Roffet 1588 se référant à 1557, il est assez logique de dater la Préface de cette même année 1557 et de même pour la mention (Anvers 1590) d’une édition 1555 et d’une préface datée de la même année. C’est dire le lien qui existe entre datation de la Préface et datation des éditions car c’est bien la date de la préface qui est censée justifier la date de l’édition. Or, dans la thèse « posthume », les deux dates n’ont nullement l’obligation de coïncider, puisque par définition, comme c’est le cas pour un testament, il peut s’écouler des années entre la date de rédaction des dernières volontés et leur accomplissement dans les faits, lors du décès ; Le testament a une vertu d’anticipation.
Nous dirons donc que les éditions troyennes auront récupéré des éditions appartenant à la première phase « posthume » des années 1584-1587 comportant notamment l’avertissement latin sous sa forme correcte de « Legis Cautio » et dotées d’un centième quatrain français (VI, 100). On notera à ce propos une certaine complaisance de la part de nombre de nostradamologues à désigner ce quatrain latin comme étant VI. 100, ce qui est une façon de banaliser la présence d’un tel avertissement qui ne fait sens qu’au début ou à la fin d’un ouvrage et non pas coincé entre deux centuries[12].
Mais le XVIIe siècle réservait d’autres révélations, puisque une nouvelle mouture de la Préface à César allait reparaitre dont les éditions de Troyes ne rendent pas compte, probablement par inadvertance. L’éditeur a cru que la préface était restée inchangée, du fait d’une lecture trop rapide et il aura donc maintenu la dite préface en l’état telle qu’elle figurait dans les éditions de la famille Rigaud. Or, nous savons par Garencières (1672) et Besson (1691), reprenant directement le document d’origine, que certains passages de la Préface à César sont défectueux, notamment en ce qu’ils édulcorent, délibérément ou non, la formule « délaisser un mémoire » en « délaisser mémoire », un point fâcheusement négligé par P. Brind’amour dans son édition critique Droz 1996 de Macé Bonhomme 1555. Mais il convient à ce propos de distinguer nettement entre la série Chevillot et la série Du Ruau, ces deux libraires se démarquant diversement des éditions « rigaldiennes ». C’est ainsi que Chevillot conserve-t-il telle qu’elle se trouve chez les Rigaud la centurie VI, avec Cantio au lieu de Cautio et l’absence du quatrain français VI, 100. De même, certaines retouches intervenues sur certains quatrains ont été négligées par les divers libraires du XVIIe siècle, Besson compris, qui se sont contentés, par facilité, de reprend les éditions Rigaud. Il eut fallu une comparaison très attentive, quatrain par quatrain, pour capter des variantes significatives comme au quatrain IX, 86 [13]. Mais entre temps, le document de référence a disparu, comme c’est le cas, apparemment, de nos jours, pour Rouen 1588, encore accessible en 1985.
La question de la date de parution des éditions troyennes fait débat Benazra situe les éditions Chevilllot en 1611 et Du Ruau en « c. 1630 »[14]. Nous pensons en effet que les éditions Du Ruau sont sensiblement plus tardives et c’est pour cela qu’elles bénéficient de données plus intéressantes non encore disponibles auparavant. L’apport de Chevillot, pour le premier volet, se limite à la prise en compte de certains quatrains des éditions parisiennes (annexes aux centuries VII et VIII) qui ne se retrouvent pas chez Rigaud et il reprend tel quel le second volet Rigaud y compris pour l’épitre à Henri II (retouché par rapport à Cahors 1590). Mais par ailleurs, il ouvre un troisième volet avec les Sixains dans le but de présenter les centuries XI et XII, évoquées par Chavigny à la fin, probablement retouchée, du Brief Discours sur la Vie de M. Michel Nostradamus. Chevillot récupère ainsi les quelques quatrains des centuries XI et XII commentés dans le Janus Gallicus tout en intitulant Centurie XI ce qui englobe les sixains, précédés d’une épitre à Henri IV datée de 1605. Chevillot ne prend pas en compte les Quatrains-présages – absent chez Rigaud, pourtant figurant dans le dit Janus Gallicus, à la différence de Du Ruau qui les place à la fin du second volet. Du Ruau ne qualifie pas les sixains de XIe centurie et place cependant les quatrains « Janus » des centuries XI et XII à la suite de la centurie X..A ce stade, ce qui distingue Du Ruau et Chevillot consisterait dans une différence d’exploitation plus ou moins exhaustive du Janus Gallicus et donc à un démarcage plus ou moins marqué par rapport à la série rigaldienne de la fin du siècle précédent encore que l’on puisse raisonnablement supposer qu’ils se servent des éditions datées 1568 Benoist Rigaud, année citée notamment par Du Ruau en référence à Rigaud...
En fait, Du Ruau va bénéficier d’un autre apport que le Janus Gallicus et que le Rigaud 1568 à savoir celle de l’édition à six centuries antérieure aux éditions parisiennes qui s’y référent en signalant une addition datant de 1560 à la « dernière centurie ». En revanche, si l’on étudie le contenu des dites éditions parisiennes – à dissocier de leur titre, comme nous l’avons indiqué dans nos HR (Halbronn’s researches), ces éditions ne sont même pas parvenus à constituer une centurie VI complète à 100 quatrains. La centurie VI s’arrête à 71 quatrains et les quatrains suivants n’appartiennent pas au canon centurique de type Rigaud 1568 que l’on connait. Est-ce à dire que l’édition Roffet 1588, par exemple, reprend une édition antérieure, inconnue, au stade de six centuries pleines ou bien supprime les quatrains au-delà du 71e ? Il pourrait s’agir en effet d’un état intermédiaire qui aurait été conservé et cela indiquerait que l’on ne serait pas parvenu d’une seule traite de 353 quatrains à 600 mais qu’il y aurait eu un stade à 571 quatrains. On voit à quel point le processus de récupération d’états antérieurs est important dans le corpus des éditions centuriques d’autant qu’il s’exerce d’une part au niveau des titres et d’autre part à celui des contenus, soit un puzzle d’une complexité remarquable, d’autant que les dates également s’entremêlent...
En ce qui concerne la date des éditions troyennes, on ne saurait ignorer le quatrain additionnel à la centurie X, sous la forme d’un cryptogramme annonçant l’an 1660. Or, ce cryptogramme (1M, 6C et 6X) figure dans toutes les éditions troyennes. En revanche, on ne le trouve pas dans l’édition anglaise de 1672. Chez Antoine Besson (p. 142), ce sont deux quatrains qui sont signalés comme ajoutés : « les deux quatrains suivants on esté obmis dans les précédentes impressions avec leur explication », le premier date de la Fronde « Quand robe rouge (…l) le suivra de Thou » et le second est notre cryptogramme » Quand le fourchu sera soustenu de deux paux etc ». Or, chez Chevillot, ce quatrain est tout simplement indiqué comme cent unième (CI)avant le mot Fin, sans autre forme de procès alors que chez Du Ruau, l’addition est nettement marquée après le mot « Fin » : «Adiousté depuis l’impression de 1568 », le quatrain n’étant même pas numéroté. Il nous semble que la forme se trouvant chez Chevillot est postérieure à celle figurant chez Du Ruau : on imagine mal l’inverse. Chevillot a intégré cette addition et a gommé les traces de raccord comme on peut l’observer dans Anvers 1590 ou dans Rigaud 1568 où les traces d’une quelconque addition au milieu de la Ive centurie ont été soigneusement évacuées. Mais cela vaut aussi pour cette centurie XI comprenant les sixains qui caractérise la seule édition Chevillot alors que chez Du Ruau, on ne qualifie nullement les dits sixains de « centurie ».
On peut certes supposer que l’on ne dispose plus de l’édition Chevillot d’origine mais d’une édition augmentée. Mais si l’on renonce à une telle hypothèse, l’on est alors conduit à voir dans l’édition Chevillot une production post Du Ruau, plus toilettée que Du Ruau et qui ne veut plus s’encombrer des Présages. Si l’on admet de surcroit que l’échéance de 1660 ne fait sens qu’à la mort de Louis XIII, en 1643, on aurait là un terminus bien différent de celui, proposé par Chomarat ou Benazra, de 1605 (date de l’épitre à Henri IV) ou de 1611 pour les éditions troyennes, le phénoméne centurique troyen appartient au milieu du XVIIe siècle, ce qui rejoint notre thèse d’un âge d’or à partir de 1644, qui voit réapparaitre l’édition à six centuries, ce qui conduira à l’édition Garencières 1672 et à l’édition Besson de c 1691. On nous objectera les dates d’activité des deux libraires troyens mais dans le cadre de contrefaçons, un tel procédé est courant, surtout dans les dynasties de libraires : à Pierre Chevillot succède Antoine Chevillot, signalé comme imprimeur dès les années 1620.[15]. Quant à Pierre Du Ruau, il appartient à une lignée de libraires qui se s’illustrèrent au siècle précédent.(Jean et Nicolas, notamment)
Le fait qu’en 1611 Chevillot aurait publié le Recueil de Prophéties et Révélations, comme indiqué au titre ne saurait rejaillir sur des éditions Chevillot non datées diffusées sous une même reliure, d’autant que le dit Recueil se réfère, quant à lui, à 1642, année de la mort de Richelieu. P. Guinard écrit à ce sujet sans accepter d’en tirer les évidentes implications (‘CN 60) « Le quatrain annonce pour 1660 (…) la suprématie de l'héritier du trône, le futur Louis XIII, qui n'avait que neuf ans à la mort de son père. Mais Louis XIII décèdera assez tôt, en 1643, précisément le même jour que lui ». Est-il vraisemblable que l’on ait annoncé à Louis XIII une consécration pour 1660 alors qu’il existe toute une littérature situant son apothéose dans les années 1630[16] ? Or, si l’on devait se fier aux pages de titre, les sixains seraient apparus, hormis le cas des éditions troyennes, dans le corpus centurique, à partir de 1627, à Lyon, chez plusieurs libraires.[17] On est à l’époque du siège de La Rochelle, dernière place forte huguenote, opération romancée dans les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas [18], voulue par Louis XIII et conduite par Richelieu, avec la participation de Gaston d’Orléans -et déjà figure, dans l’édition lyonnaise en question, le quatrain cryptogramme en tant que CI de la centurie X,( mais placé après le mot fin et non avant comme chez Chevillot), ce qui conduirait à situer plus tôt l’édition Du Ruau (cf supra) qui serait la première à avoir introduit les Sixains. Mais cette annonce de l’an 1660 continue à faire problème dans une édition datée de 1627. Nous sommes contraints de nous interroger sur cette édition lyonnaise si proche de celle de Chevillot et qui pourrait en fait en dériver, si on la considère comme antidatée. On notera qu’on ne retrouve pas une telle édition Lyonnaise avant 1643, année de la mort de Louis XIII et cette fois, non pas à Lyon mais à Marseille, chez Claude Garcin, avec la même formulation que chez Du Ruau : « prinses sur la copie imprimée à Lyon, par Benoist Rigaud. 1568.[19] D’autres éditions, lyonnaises, font suite en 1644. Nous pensons que 1643 peut être donné comme la date de première parution d’une édition Du Ruau et que celle de Chevillot et Lyon 1627 sont un peu plus tardives. Le 14 mai 1643, à la mort de son père, le tout jeune Louis XIV, né en septembre 1638, n’a pas encore 5 ans ; il aura donc 17 ans en 1660, à la veille de sa majorité et de fait il assumera la plénitude du pouvoir en 1661. Force est de constater que la Préface de Nostradamus au très jeune César, en tête du premier volet, a pu faire écho à l’époque dans les esprits.
Revenons donc sur ces fausses éditions lyonnaises datées de 1627, année du siège de La Rochelle, qui portent les noms des libraires Jean Huguetan[20], Claude Castellard et Jean Didier en notant que Chomarat date de 1628 l’édition Du Ruau[21] et dont nous avons dit qu’elle présentait des similitudes avec l’édition Chevillot si ce n’est qu’elle comporte 44 quatrains à la VIIe centurie. On notera que l’un des derniers quatrains de la VII, le 40en traite du blocage d’un port « devant le port fermé ») ce qui fut le cas de La Rochelle, ce qui avait été le cas de celui d’Anvers, et avait probablement alors suscité la rédaction de ce quatrain (Ed Anvers 1590).
Si l’on examine le quatrain latin, la forme 1627 est identique à Benoist Rigaud 1568 avec la forme particulière du premier mot « Quos » alors que la forme correcte est « Qui » - nominatif –(« ceux qui liront ces vers ») comme chez Du Ruau. En revanche, Chevillot propose « Quid ».
Le caractère très peu soigné de l’édition 1627 ressort : puisque même « Ineptos », accusatif pluriel, est rendu par Ineptus, un nominatif singulier., faute que l’on ne trouve pas ailleurs Bien plus, le dernier vers de VI, 99, est manquant, sans parler bien entendu de l’absence de VI 100, comme chez Chevillot et Rigaud. A contrario, l’édition 1627 indique en très gros caractères romains sa date d’édition, de façon assez atypique. Les chapeaux des centuries sont inhabituels : « Propheties de Maistre Michel Nostradamus » au lieu de « Propheties de M. Nostradamus ». .Comme on l’a noté, cette édition 1627 comporte 44 quatrains à la VIIe centurie dont le contenu est assez percurtant avec, à VII, 44, une allusion transparente aux Bourbons «(Alors qu’un bour sera fort bon »), jeu de mots que l’on trouve dans le présage pour octobre 1559, commenté dans le Janus Gallicus, et constitue probablement le message principal, ce qui devrait aider à dater le document. Benazra note que ces mêmes quatrains figurent en 1650 dans l’édition de Leyde. La Préface à César comporte comme date 3192 au lieu de 3797. Si l’on passe à l’Epistre à Henri II, on note une forme inhabituelle dans l’édition 1627 avec « Henry II Roy de France » au lieu de « Henry Roy de France second. » Autre variante « Michel Nostradamus très humble (…) serviteur » au lieu de « son très humble ». Quant au texte de l’Epitre, des mots sont sautés : « j’ay perpétuellement esblouy », « esté » manque dans la phrase/ On trouve 1547 au lieu de 1557/ Si l’on aborde l’Epistre à Henri IV, on lit 1606 au lieu de 1605 comme date. Patrice Guinard signale[22] à propos des quatrains 43 et 44 de la VIIe centurie des recoupements avec certains textes qui circulaient lors du siège de La Rochelle mais il s’agit selon nous, précisément, de conférer quelque authenticité, quelque plausibilité à ces éditions antidatées dont la seule raison d’être était, nous semble-t-il la production des dits quatrains de la VII. Encore sont-ils corrompus par rapport à l’édition de Leyde. VII, 43 : « L’une baissant, l’autre abaissant » devenant « L’une baissant, l’autre baissant », ce qui ne veut plus rien dire.
On s’intéressera aux Vrayes Centuries de Me Michel Nostradamus expliquées sur les Affaires de ce temps, Paris, I. Boucher. Il s’agit d’un recueil de sept « Advertissements » et autres pièces, dus à Jacques Mengau,[23] formant une sorte de « gazette » sous la forme d’un commentaire de toute une série de quatrains et de sixains et nullement d’une édition complète. On notera que le mot « fuite » qui figure en VII 43 pourrait faire écho à la « Fuite » de Mazarin (p.12). Le troisième Advertissement, est tout entier consacré à «Messieurs les Rochelois » (pp.61 et seq) et de faire l’apologie du siége de La Rochelle et de Richelieu, ses habitants refusant toute imposition. Le sixième Advertissement est adressé à Son Altesse Royale Gaston d’Orléans. (pp. 109 et seq)
Nous pensons pouvoir redater ces éditions lyonnaises 1627 autour de l’an 1651. Le Bourbon (cf VII, 44) dont il s’agit est en fait le Grand Condé et il y eut effectivement un siége de La Rochelle qui fut fatal au Prince[24], dans le cadre de cette Fronde des Princes, à laquelle participa Gaston d’Orléans, dont le roi était le neveu (cf VII, 43).
Notons que Jacques Mengau est un précurseur de Giffré de Réchac et de son Eclaircissement des véritables quatrains [25] de 1656, soit peu de temps après. Sur deux pages, Mengau fait un exposé très étoffé sur la corruption des centuries, en son septième Advertissement :
« La plus part des Centuries qui ont esté reimprimées ont été falsifiez, partie par malice par un certain particulier imprimeur qui les fit imprimer lors de la guerre de Paris, auquel je fis du reproche & si ne resta il pourtant d’y mettre des Quatrains faits à plaisir contre le Cardinal, scavoir le quarante deux & quarante trois de la septiesme centurie » . Mengau veut ici dire VII 43 et 44. Il poursuit « Il y a encores une autre impression où l’on y a adiousté une Centurie entière : il est vray que celui qui a fait cette impression dit (…) que la plus part des Quatrains qui ont esté reimprimez depuis la mort de Michel Nostradamus n’ont pas esté corrigez, cela fait changer le sens à cause de la diminution des lettres (…) C’est pourquoy j’ai résolu de faire imprimer les veritables propheties avec des tables où l’on verra la suite des Quatrains qui se suivent en chaque matière, avec un petit dictionnaire pour expliquer la plus grande partie des mots les plus difficiles & desquels j’en ay la connoissance » (pp. 127-128)
Pour ce qui est des sixains, dont Mengau ne semble pas se défier, nous ne pensons pas qu’ils soient entrés dans le « canon » centurique avant 1643. S’il existe une édition datée de 1605, année de l’épitre au Roi, généralement attribuée à Pierre Du Ruau[26], il convient de la situer en réalité au lendemain de la mort de Richelieu et de Louis XIII. Le choix de 1605 pour cette prétendue épitre s’explique par le fait du baptême du dauphin et des textes qui furent adressés au roi à cette occasion.[27] Mais cela tient aussi aux sixains eux –mêmes qui avaient été adressés au roi, sans épitre, et qui parurent sous le nom de Morgard, au début du siècle[28], ils ne seront « nostradamisés » qu’autour de la dite année 1643 (cf supra). Patrice Guinard note d’ailleurs que la présentation de cette lettre peut se comprendre comme survenant après la mort d’Henri IV, puisqu’il est précisé « présenté (à) Henri IIII, vivant Roy de France » tout comme il est dit de Nostradamus « vivant Medecin du Roy Charles IX » : il faudrait comprendre « de son vivant ». On retrouve cette ambivalence du posthume qui n’est pas toujours bien comprise à savoir que la date de rédaction n’est pas le plus souvent celle de la publication, ce qui est évidemment très commode lorsque cela permet d’attribuer à tel texte une vertu prophétique. Mais il y a eu surenchère : non content de publier des faux posthumes, on s’est mis à imaginer que ceux-ci étaient bel et bien parus à la date de l’épitre. Il revient à l’historien des textes, digne de ce nom, de démêler un tel écheveau, sachant que l’on concocte généralement le faux avec du vrai, en un savant mélange...
Quel fut finalement l’ampleur de la production centurique du xVIIe siècle avant 1643 ? On ne trouve, au bout du compte, que les éditions toutes lyonnaises que Benazra situe, pour simplifier, autour de 1600[29] à commencer par celles de Pierre Rigaud, le fils de Benoist, non datées. En dehors de cela, nous avons, sans mention de date, une édition partagée, selon les volets, entre Jean Poyet et Jean Didier, ce même Didier qui fait partie des libraires lyonnais censés avoir publié l’édition de 1627. Ce sont là des éditions très proches des éditions Benoist Rigaud 1568 et surtout, pour s’en tenir à des dates réelles, des éditions parues en 1694 et 1697 (Héritiers Rigaud)"

Un détail intéressant : Jean Huguetan publie, à Lyon, rue Mercière, en 1644, une édition des Centuries, en compagnie de Claude de La Rivère ( Bibl Mun Nîmes), et c’est un des libraires qui figurent sur une édition 1627[1].


JHB
12. 08. 12

 

 


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[1] [1] Cf planches M./ Chomarat. Bibliographie Nostradamus, p. 112
[2] Sur la formation de ce recueil, voire Le texte prophétique en France, formation et fortune, sur propheties.it.
[3] (cf notre étude sur ce sujet, sur Halbronn’s researches
[4] Nostradamus. Lettres Inédites, Droz, 1983
[5] Cf Benazra, RCN, op. cit. ; p. 90.
[6] Cf nos Documents inexploités sur le phénomene Nostradamus, Ed Ramkat, 2002
[7] Cf Benazra, RCN, pp. 122- 123
[8] CORPUS NOSTRADAMUS 80 -- par Patrice Guinard « Les éditions Chevillot des Prophéties (c.1611-1620) «
[9] Cf Benazra, RCN, p. 156, pour une édition datée de 1605 et sans mention de libtraire et 191 et seq pour les éditions comportant cette mention
[10] CORPUS NOSTRADAMUS 65 –« L'édition Regnault 1561, modèle des éditions parisiennes facétieuses de 1588-1589 «
[11] On observe que P. Guinard a désormais récupéré la terminologie que nous avons utilisé pendant des années, celle d’ »Etudes Nostradamiennes » comme sous titre de ses : NOSTRADAMICA Études nostradamiennes : Prolégomènes à une édition critique de l'opera nostradamica
[12] Guinard « Toutes les éditions de 1568 reprennent le quatrain latin non numéroté [VI 100]« in CORPUS NOSTRADAMUS 40 -Chronologie des éditions Benoist Rigaud de 1568
[13] Cf notre étude sur ce quatrain, in Halbronn’s Researches (HR)
[14] RCN, pp. 191 et seq
[15] Voir notre étude nostradamienne, « LE LIBRAIRE PIERRE CHEVILLOT, DE PARIS À TROYES », par google.
[16] Cf Le texte prophétique en France, numérisé sur propheties.it
[17] Bib Mun. Lyon Lyon La Part Dieu, cote 813148
[18] Cf RCN, pp ; 187 et seq
[19] Cf RCN, pp. 195 et seq
[20] Voit sa numérisation sur propheties.it.
[21] Bibliographie Nostradamus, pp ; 105 et seq.
[22] Autres variantes signalées in CORPUS NOSTRADAMUS 108 -- par Patrice Guinard « Les éditions lyonnaises imprimées vers 1627 «
[23]Cf Benazran RCN, pp. 220 et seq
[24] Cf Victor Cousin « Scènes historiques. — La Fronde à Bordeaux » Revue des Deux Mondes, 2e période, tome 21, 1859 (pp. 753-788).
[25] Cf notre post doctorat , sur propheties.it
[26] Cf Benazra , RCN, pp. 156 et seq
[27] Cf Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus, op. cit.
[28] Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus op cit
[29] RCN, pp 145-151

 
 

88 - Les embarras centuriques : quatrains et centuries fantômes.
Par Jacques Halbronn

Si on lit attentivement certaines bibliographies nostradamiques, l’on observe que l’on brandit parfois la thèse selon laquelle on aurait supprimé des quatrains puis qu’on les aurait éventuellement replacés. Un tel débat est très important car selon que cette thèse est ou non admise, c’est toute la chronologie centurique qui est à appréhender autrement. Robert Benazra notamment prend la peine de signaler les quatrains « manquants » dans Rouen 1588, dans Anvers 1590. Un des cas de suppression les plus manifestes reste le quatrain VI, 100 mais sur ce point d’aucuns soutiennent qu’il n’avait pas lieu d’être et que le quatrain latin (Legis Cantio ou Legis Cautio) fait très bien l’affaire en dépit du fait que son caractère prophétique ne soit pas avéré.
Mais c’est bien évidemment le cas des éditions parisiennes de la Ligue qui comportent une sixième centurie à 71 quatrains, les 29 autres ayant donc en quelque sorte disparu pour réapparaitre peu après sur le modèle des éditions Antoine du Rosne 1557 et Benoist Rigaud 1568, avec cependant le problème de VI, 100 évoqué plus haut. Quant à la centurie VII telle qu’elle est fournie dans les éditions du Rosne 1558 et Rigaud 1568, elle est totalement absente des dites éditons parisiennes pour, là encore, réemerger par la suite à 35 quatrains (Anvers), à 40 quatrains (Rosne, Budapest), à 42 quatrains (Cahors 1590 et Rigaud 1594 etc). Mais quid de ces pages de titre annonçant 38 ou 39 quatrains à la VII, si l’on admet qu’elle fut d’abord un appendice de la VI ?. Il faudrait ajouter le cas de la Centurie IV, dont Benazra nous rappelle qu’on en connait une édition (Rouen 1588) à seulement 49 quatrains au lieu des 53 qui figurent dans Macé Bonhomme 1555 et dans les autres éditions signalées. Là encore des quatrains auraient disparu puis on les aurait remis. Voilà donc le scénario que l’on cherche à nous « vendre », celle d’une sorte de censure ou d’un manque de place, argument avancé par Patrice Guinard. Comme on manque de place, on enlève des quatrains et on les remet quand on a gagné de la place.
Notons que les centuries en position terminale sont particulièrement susceptibles d perturbations : cela fut vrai pour la IV, pour la VI avec l’avertissement latin, pour la VII qui passe d’une dizaine (Paris 1588) à une quarantaine (Cahors 1590), et même pour la X, avec le quatrain cryptogramme.
Qui contestera, par ailleurs, que les centuries se sont constituées par ajouts successifs ? On serait passé de 4 à 7 centuries puis de 7 à 10. Encore ne faudrait-il pas oublier le pallier à six centuries qui a du précéder l’arrivée à 7 centuries, même si cette édition n’a pas été conservée en tant que telle.
Certes, l’on pourrait proposer d’étudier les quatrains ayant fait l’objet de tels mouvements mais il est rare qu’il y ait consensus sur l’interprétation contextuelle d’un quatrain et notre étude sur IV, 46 – un quatrain manquant dans Rouen 1588 mais figurant dans Rouen 1589 – en rapport avec Tours- est un des rares exemples vraiment concluants.[1] Mais nous pensons que les quatrains « manquants » d’Anvers 1590 sont tout à fait en phase avec la montée en puissance de la maison de Lorraine et des Guises, à la fin des années 1580 (VII, 24, 29). Ils ne seraient donc pas manquants mais non encore formés.
En fait, le postulat signalé plus haut ne viserait-il pas plutôt à sanctuariser les éditions s’étalant de 1555 à 1568 face aux avatars des éditions ligueuses ? Mais il y a un hic qui est justement lié aux dites éditions ligueuses, c’est que dans leur titre, elles se réfèrent à une addition en date de 1560. Il est vrai que certains nostradamologues s’évertuent à nier que le passage concerné du titre ne concerne nullement la future centurie VII.
C’est ainsi que Patrice Guinard nous explique[2] que les 39 articles dont il s’agit concerne 39 quatrains qui ont été dédoublés et retouches.
« Au total, ce sont 39 quatrains numérotés, et exactement 39, qui ont subi une substitution. Ce sont 39 quatrains qui n'ont pas été "revus et additionnés par l'auteur" comme il l'est indiqué facétieusement au frontispice, mais qui ont été retranchés et remplacés par des quatrains redoublés (en réalité 38 seulement, car les quatrains VI 30 et VI 31 ont été recyclés, et le quatrain non numéroté VII 72 a lui aussi été remplacé). Nul doute qu'on ne tienne ici un indice majeur qui explique la mention mal comprise du frontispice »
Nous avons récemment expliqué[3] que les 39 quatrains en question furent dédoublés pour permettre aux 39 quatrains ainsi remplacés de former une nouvelle centurie mais que ce projet avait avorté et que, finalement, on avait préféré laisser les quatrains comme ils étaient et en produire de nouveaux lesquels formèrent bel et bien la centurie VII. Reconnaissons que ce dédoublement de 39 quatrains semble aller dans le sens d’éditions douteuses d’autant que ce sont bel et bien 39 quatrains qui ainsi disparaissent.
. Guinard se refuse à lire le titre lequel se réfère à une addition à la « dernière centurie », c'est-à-dire à la Vie.
Guinard a conscience ce que si jamais l’on prouve que les 39 quatrains correspondent à la centurie VII, on ne comprend plus pourquoi les éditions centuriques Du Rosne 1557 comportent déjà cette centurie mais il se garde bien de dévoiler ses véritables motivations.

Guinard s’intéresse également au cas du second volet et de l’épitre à Henri II, censés être parus vingt ans plus tôt en 1568 :
« Les centuries VIII à X sont exclues des éditions ligueuses, car elles ont pu apparaître comme un peu trop favorables aux Protestants et au destin de la maison des Bourbons. A la fin des années 80, un certain nombre de villes sont contrôlées par la Ligue, et en particulier Paris, Rouen, et Anvers, ville espagnole, sujette à l'autorité de l'Empereur »
. Certes, ces centuries sont-elles favorables au camp réformé, du moins sous la forme que nous connaissons et qui peut avoir été retouchée : il suffit de changer le vers d’un quatrain ou deux pour conférer à un ensemble une tonalité particulière. Mais nous ne pensons pas qu’elles furent jamais associées au premier volet - précisément en raison du contexte politico-religieux avant l’avènement d’Henri IV et certainement pas en 1568, édition antidatée que Guinard imagine avoir été réimprimée tout au long des années 1570, conscient là encore qu’il n’est pas très plausible qu’aucune édition des centuries ne soit parue entre 1568 et 1588. Tel est bien le problème des éditions antidatées, c’est qu’elles ont une postérité très tardive, qui est en fait leur point de départ.....
« Profitant du chaos politique et de la déliquescence de l'autorité royale, précédant et faisant suite aux assassinats de Henry de Guise puis de Henry III, sont parues à la fin des années 80 des éditions tronquées des Prophéties de Nostradamus, d'abord à Paris, puis à Rouen et Anvers, après vingt ans de tirages ininterrompus des éditions lyonnaises Benoist Rigaud. Dans de précédentes études, j'ai montré que les authentiques éditions Benoist Rigaud, celles aux exemplaires encore accessibles ou celles qui ont fait l'objet d'une description précise en catalogue, sont parues dès 1568, puis continûment jusqu'au début des années 90, et avancé qu'elles pouvaient être approximativement datées des années 1568, 1571, 1572, 1574, 1578, 1580, 1591 et 1593 (cf. CORPUS NOSTRADAMUS 38, 39, 40 & 60). ». Comme nous l’avons dit, un ensemble constitué des deux volets et des deux épitres n’est guère concevable avant 1594. Il faut donc à tout prix que Guinard instrumentalise les éditions de la Ligue pour expliquer que la forme à deux volets est soudain devenue inconcevable dans le contexte de l’époque, d’où l’absence du second volet pendant quelques années avant qu’elles ne reviennent en grâce. C’est un véritable charcutage qu’auraient opéré ces éditions ligueuses puisque la centurie VI est elle-même tronquée et la centurie VII (du moins celle de la prétendue édition 1568) carrément éliminée. Mais pourquoi ne pas admettre, plus simplement, qu’en 1560, dans l’édition à laquelle il est fait référence au titre des éditions ligueuses, on n’en était pas encore arrivé au stade qui sera celui de 1568 ? Mais parce que, répondrait Guinard, cette édition est défectueuse par rapport à l’édition Antoine du Rosne 1557. Donc en 1560, on aurait eu un premier temps de rejet, d’élagage du premier volet à 7 centuries qui se serait reproduit en 1588 et qui plus est en se référant explicitement au précédent. Et chaque fois, Zorro-Rigaud serait arrivé et aurait rétabli l’ordre : en 1568 puis en 1594.
Avec les éditions de Rouen et Anvers, Patrice Guinard est également confronté à des bizarreries[4]. Qu’on en juge, à Anvers, la centurie VII n’a que 35 quatrains et une édition rouennaise Valentin n’en a même que 32[5]. On ignore le cas de Rouen 1589 car le seul exemplaire conservé est tronqué, ce qui n’a rien à voir cette fois avec la notion d’édition tronquée. Parlant d’Anvers 1590, il note « Cette édition ne contient pas le quatrain latin à la fin de la centurie VI, ni les quatrains 3, 4, 8, 20, 22, 41 et 42 de la centurie VII de l'édition Antoine du Rosne de 1557 (achevé d'imprimer du 6 septembre 1557), si bien que cette centurie se termine par le quatrain VII 40. «. Une centurie VII bien mal en point et qui a beaucoup perdu depuis 1557.
On nous objectera que le projet de 39 quatrains dont témoigne le titre des éditions parisiennes se trouvait mal en point dans les Grandes et Merveilleuses Prédictions (Rouen, Anvers). Nous pensons qu’en réalité l’état de la centurie VII dans cette série est antérieur à la contrefaçon antidatée annonçant 39 quatrains à la VII. Il ne faut pas oublier que les éditions antidatées ne sauraient suivre la totalité du processus d’élaboration centurique qui se déroule sous la Ligue, qu’elles n’en restituent que quelques échantillons. C’est le cas de toutes les éditions antidatées 1555, 1557, 1560 et 1568. La première a 53 quatrains à la IV alors qu’il y a eu précédemment une édition à 349 quatrains (Rouen 1588), la deuxième a 40 quatrains à la VII, alors qu’il y a eu auparavant des éditions à une trentaine de quatrains (Rouen, Anvers), la troisiéme n’est plus que le fantôme de celles de 1557 Du Rosne, beaucoup trop polies pour être honnêtes. Quant à celle de 1568, comme on l’a vu, elle précéderait toute une série d’éditions qui, à partir de 1588, sont très en retrait par rapport à elle à commencer par l’absence du second volet et de son épitre. Que d’embarras !
Les tentatives de la part de P. Guinard pour tenter de « sauver » la chronologie centurique officielle, fondée sur les dates de publication affichées auront fait long feu. Il importe en effet de comprendre à quel point la chronologie qui nous est proposée par les contrefaçons est fictive et factice, d’autant qu’elle juxtapose la thèse d’une production posthume (1568) et celle d’une production du vivant de Nostradamus (1555, 1557, 1560) alors même que l’autre chronologie sous tendue par l’étude des quelques documents qui nous restent des années 1588-1590 nous permet de restituer une génése bien moins tarabiscotée de la formation progressive du canon centurique.
Passons à l’affaire de l’almanach Barbe Regnault pour 1561 et des éditions parisiennes de 1588 et seq. Benazra note (RCN, p. 44) « Il existe un almanach apocryphe ne contenant pas de vers prophétiques. Cet almanach pour 1561 a certainement (sic) été réalisé par la veuve Barbe Regnault avec l’édition falsifiée des Centuries en 1561 ». Ecoutons à présent Guinard [6] qui reléve « l'ajout, dans l'édition de 1561, des quatrains de l'Almanach pour 1561 (initialement parus à Lyon et chez un concurrent parisien, Guillaume Le Noir), mais que la veuve Regnault n'avait pas inclus dans son almanach ». C’est oublier que Barbe Regnault ne publie pas les quatrains de l’almanach de Nostradamus pour l’année en cours – la vignette Regnault du personnage dans son étude, ne figure pas dans le « vrai » almanach » Le Noir- mais récupère des quatrains des années précédentes.[7] C’est attesté pour l’almanach pour 1563. Apparemment cette habitude n’avait pas encore été prise dans l’almanach pour 1561 qui est désormais connu. On nous objectera que les quatrains de l’almanach pour 1561 sont bel et bien présents dans les éditions parisiennes ligueuses, en guise de centurie VII, lesquelles reprendraient le titre de l’édition Barbe Regnault. On fera les observations suivantes : d’abord dans les éditions parisiennes, il n’est absolument pas indiqué que les quatrains de la centurie VII sont issus de l’almanach Regnault pour 1561. Ce point ne sera fait qu’au milieu du siècle suivant dans les éditions troyennes. Il n’en reste pas moins qu’il y a là une maladresse à avoir référé à Barbe Regnault pour les Centuries alors que justement elle ne met pas de quatrains nostradamiques dans son Almanach pour 1561. C’est l’occasion de rappeler, à propos des vignettes des contrefaçons de 1555, 1557 et 1560 que les faussaires de la Ligue ont confondu la production authentique avec la production contrefaite du début des années 1560. Ils ont donc cru que Barbe Regnault était un des libraires attitrés de Nostradamus à l’instar d’un Brotot ou d’un Le Noir et ils ont donc fait implicitement référence à un almanach Regnault avec des quatrains qui ne s’y trouvaient pas. De là à conclure que l’absence des dits quatrains dans le dit almanach « prouve » que Barbe Regnault les a bel et bien utilisés dans son édition des Centuries nous semble une jolie pirouette.

Il convenait aussi de s’interroger sur le nombre de quatrains et de la façon dont ils étaient mentionnés aux titres. Nous avons expliqué pour notre part que l’ensemble de 600 quatrains- évoqué par la mention au premier volet « dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées » avait été atteint en quatre temps : 349 quatrains puis 4 centuries rassemblant 353 quatrains puis 571 quatrains puis enfin 600 se terminant par l’avertissement latin- édition disparue. Guinard, quant à lui, cherche à démontrer que l’on connaissait au plus tard sous la Ligue le second volet des Centuries. Pour cela, il part des éditions ligueuses, ce qui aboutit à cette équation ; 589 + 12 °+ 6 = 589 et 642 + 300 – 353 = 589. Guinard développe ainsi son argument ;
« Les éditions parisiennes ne comptent qu'environ six centuries fortement altérées, soit au total 589 quatrains, soit 571 + 12 (dont 11 sont numérotés) + 6, lesquels valent exactement les 642 quatrains de l'édition Antoine du Rosne de 1557 (exemplaire d'Utrecht), plus les 300 quatrains de l'édition de 1558 (cf. CORPUS NOSTRADAMUS 25, n.7), moins les 353 quatrains de l'édition de 1555, ce qui prouve l'existence, avant l'année 1561, des trois volets de l'œuvre prophétique, dont le dernier, paru en 1558, est précédé d'une dédicace au roi Henry, datée du 27 juin 1558. Par un tel imbroglio, les éditeurs ou chargés d'édition de 1561, ont souligné qu'ils connaissaient la parution en trois volets des Prophéties. (Au cas même, improbable, où l'édition de 1561 serait une édition antidatée, contrefaite en 1588, le dispositif prouverait encore que les trois volets des Prophéties, attestés par les éditions lyonnaises de 1555, 1557 et 1568, étaient connus des ligueurs parisiens !) «
Guinard a raison – ce qui ne fait d’ailleurs qu’aggraver le problème chronobibliographique auquel il s’attelle- de rappeler qu’il a du exister une édition Du Rosne 1558 à deux volets (dont seul le premier a été préservé à la Bibliothèque d’Utrecht) et donc entre 1558 et 1560, on serait passé à cet état de délabrement propre aux éditions des veuves Regnault et Buffet pour ne retrouver l’état de 1558 qu’en 1568, après la mort de Nostradamus.
En fait, il faut souligner une pratique qui s’avère assez répandue chez les libraires de l’époque et qui en soi déjà constitue une supercherie, à savoir que l’on garde la date d’origine mais que l’on ajoute de nouveaux éléments sans changer celle-ci. Cela explique que la référence à 1555 soit donnée en 1590 pour une édition à 7 centuries, du fait que l’on ait gardé la date de l’édition à 4 centuries ou qu’il y ait deux éditions du Rosne 1557 l’une à 40 quatrains et l’autre à 42 quatrains, la seconde annonçant dés 1557 le second volet en son titre de par la mention « adioustées de nouveau par ledict Autheur » qui ne figure pas sur Rosne 15587 Budapest, formule calquée sur le premier volet Rigaud 1568. Si dans l’optique posthume 1568 une telle mention fait encore sens, elle apparait tout à fait décalée dans une édition datée 1557. Au demeurant Guinard ne nous explique à aucun moment pourquoi les vignettes figurant sur les éditions 1555, 1557, 1560 ne sont pas celles des pronostications authentiques de Nostradamus pour cette même époque. Précisons que les almanachs de Nostradamus des années 1550 ne comportent aucune vignette spécifique alors que ceux de Regnault en comportent une, la même que celle qui leur sert pour les Pronostications. Il faudrait d’ailleurs s’interroger sur cette tradition propre à Nostradamus qui contribue à mettre sa marque (les vignettes portent son nom) sur les Pronostications et non sur les almanachs, ce qui est d’autant plus étrange que ce sont ses almanachs qui connaitront une fortune remarquable du fait de leurs quatrains alors que ses pronostications en prose ne figureront pas dans le canon centurique, les dites pronostications étant en fait extraites de ses Vaticinations Perpétuelles. De fait, ce sont ses pronostications qui vont en revanche fixer le titre de Prophéties qui est celui sous lequel les centuries de quatrains passeront à la postérité
Soulignons le fait que nous avons formulé depuis une vingtaine d’années tant dans nos rencontres avec Pierre Brind’amour, Robert Benazra qu’avec Patrice Guinard [8]un certain nombre de requêtes leur demandant de prouver la parution réelle des centuries dans les années 1550-1560, d’où diverses tentatives plus ou moins bien amenées, visant non pas tant à restituer un ordre viable des éditions centuriques qu’à justifier le statu quo actuel sur la base des données actuellement disponibles. L’on tombe ainsi de Charybde en Scylla, car à vouloir éviter de spéculer sur la genèse probable des Centuries, l’on aboutit à des constructions alambiquées dont on a donné ici une idée assez édifiante.

 

   



JHB
14. 08. 12

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[1] Cf notre communication aux Journées Verdun Saulnier, Paris, 1997, Actes du Colloque 1998, Ed Ecole Normale Supérieure.
[2] CORPUS NOSTRADAMUS 65 – « L'édition Regnault 1561, modèle des éditions parisiennes facétieuses de 1588-1589 «
[3] HR 84 - Les avatars de la sixième centurie. Reconstitution de la première addition de 39 articles.
[4] CORPUS NOSTRADAMUS 70 –« Les éditions des Prophéties à la fin du XVIe siècle «
[5] CORPUS NOSTRADAMUS 85 –« Les éditions lyonnaises du début du XVIIe siècle, plus quelques autres (et la guerre éditoriale provoquée par l'assassinat de Henri IV) »
[6] CORPUS NOSTRADAMUS 65 –« L'édition Regnault 1561, modèle des éditions parisiennes facétieuses de 1588-1589 »
[7] Cf Bebazra, RCN, pp ; 58 et seq
[8] Guinard a eu l’occasion en 2008 de rassembler ses recherches en un volume (au sein de la Revue Française d’Histoire du livre » (n° 129) sous le titre « Historique des éditions des Prophéties de Nostradamus (1555-1615) » qui reprend souvent littéralement sur papier ses textes sur Internet de sorte qu’il ne lui sera plus possible de les modifier rétroactivement

 
 

89 - Les publications troyennes du XVIIe siècle et "Benoist Rigaud 1568"
Par Jacques Halbronn

Il y a un moment où un canon est clôturé, et à partir duquel plus aucun changement n’est admis. Les choses sont alors laissées définitivement en l’état. Si le second volet a continué à être « enrichi » par un quatrain à la fin de la Xe et dernière centurie, cela ne se produira qu’à partir de 1643 et de la mort de Louis XIII qui est le point de départ du véritable âge d’or du centurisme, auquel nous avons consacré notre post-doctorat à l’Ecole Pratiques des Hautes Etudes Ve Section (2007), marqué notamment à partir de la Fronde par la contribution, dans les années 1650 d’un Jacques Mengau, avec ses mazarinades suivie de celle du dominicain Giffré de Réchac (traduit en anglais en 1672) et du chevalier Jacques de Jant, dans les années soixante-dix. Désormais, les éditions centuriques seront dotées de commentaires et des ouvrages entiers seront consacrés à l’interprétation des Centuries (J. Massard, B. Guynaud , J. Le Roux etc[1]) jusqu’à la fin du règne de Louis XIV qui fut un catalyseur majeur du nostradamisme, notamment lors de l’invasion de la Hollande.
Dans une précédente étude HR, nous avons mis en évidence le fait que les éditions Chevillot étaient postérieures aux éditions Du Ruau et qu’elles se rapprochaient des éditions Rigaud. Il convient d’aller plus avant dans cette investigation.
Nous dirons que si le pseudo Pierre Chevillot s’inspire sous la Fronde de la disposition Rigaud, cela ne signifie nullement qu’il a sous les yeux les éditions 1568. Il y a toute une série d’éditions qui paraissent à la fin du XVIe siècle, datées 1594-1596 et, sans date, au début du siècle suivant (Benoist Rigaud, Héritiers Rigaud, Pierre Rigaud)[2].Or, il est à noter que ces éditions Rigaud ne se référent jamais aux éditions 1568 dont elles sont supposées être issues par delà le « chantier » des éditions ligueuses des années 1580. On aurait pu s’attendre à ce qu’une telle mention figurât d’autant que la mode voulait que l’on mentionnât des éditions d’origine : Anvers 1590 donne 1555, Paris 1588 donne 1561 et par la suite, à partir de 1649-1659 les Vrayes Centuries et Prophéties, au milieu du XVIIe siècle, signaleront des éditions de 1556 et 1558.
Quant aux éditions Du Ruau, elles prennent également la peine de donner des dates et précisément celle de 1568. Qu’on en juge :
L’édition 1605, sans mention de libraire (en fait période de la Fronde, ce en quoi nous nous accordons avec P. Guinard) ne précise-t-elle pas en son titre : »reveues & corrigées sur la coppie imprimée à Lyon par Benoist Rigaud. 1568 » et celle marquée Du Ruau recourt à ce même type de présentation.[3] Cette mention de 1568 n’empêche d’ailleurs nullement de joindre les sixains et l’épitre de 1605 dont il est sous entendu qu’elles ont été ajoutées à la dite édition 1568. Une édition troyenne est même publiée avec la mention Lyon 1568[4] mais sans le nom de Rigaud – avec les sixains des quatrains supplémentaires à la VII – et un portrait de Nostradamus qui est en fait pris des publications de Nostradamus le Jeune, la même vignette qui figure sur l’édition 1605..

Ne peut-on supposer que dans la foulée ou antérieurement, la production troyenne n’aurait pu mettre en chantier une série portant carrément le nom de Benoist Rigaud 1568 et cette fois sans portrait ?
Il existe un lien entre la production Du Ruau et l’année 1568-Benoist Rigaud qui nous parait très net. Mais n’oublions pas le cas qui se présente sous l’enseigne du libraire Pierre Chevillot - qui part de Du Ruau mais qui prend une autre voie.
Les éditions Chevillot doivent aux éditions du Ruau (que nous situons vers 1643-1644) l’intégration de pièces annexes :l’Epitre à Henri IV de 1605, les 58 sixains et l’importance accordée au Recueil des Prophéties et Révélations tant anciennes que modernes[5], d’où sortira une édition datée 1611. Notons que dans le dit Recueil a été interpolée la date de 1642.[6], ce qui confirme notre datation de la production Du Ruau. En revanche, pour les deux premiers volets, elle reprend les éditions rigaldiennes du début des années 1600, avec un quatrain VI, 100 absent, avec un Legis Cautio rendu Cantio, bref en ne tenant pas compte de l’apport du Ruau au premier volet. Nous pensons que s’inspirant de la production Rigaud parue un demi-siècle plus tôt, réalisée à partir de Cahors Jaques Rousseau 1590 – si nous nous situons autour de 1659- les libraires troyens ont mis en place la série Benoist Rigaud 1568, en s’inspirant du précédent Du Ruau, alors même qu’ils ne citent pas 1568 dans les éditions parues sous le nom de Chevilllot. C’est d’ailleurs cette édition Cahors Rousseau qui crée une rupture entre les pseudo éditions 1568 et les éditions Rigaud du début du régne d’Henri IV, en ce qu’elles comportent une version plus ancienne de l’Epitre à Henri II que les dites éditions Rigaud, quant au passage consacré aux années 1585-1606, ce qui constitue un terminus.
Du Ruau se contentait de se servir de Rigaud pour vendre une édition sensiblement différente. Chevillot, en revanche, suite une logique plus simple : puisque l’on se réfère à Rigaud, reprenons le contenu Rigaud., tant qu’à faire et évacuons les présages, non repris par Rigaud, car ceux-ci, de toute façon, ont fait leur temps, en dépit de ce que peut affirmer un Janus Gallicus alias Chavigny en 1594.. Il fait passer aussi à la trappe pour cette fausse édition 1568, les éléments chavigniens et ligueurs qu’il avait repris de Du Ruau. Nous pensons donc que les libraires troyens –rappelons que la famille Chevillot continue ses activités notamment avec Antoine Chevillot- ont produit la série Rigaud 1568, sur les traces de Du Ruau 1643, lequel, on l’ a vu, avait déjà produit un « Lyon 1568’ sans mention Rigaud alors qu’il ne cesse de citer Rigaud dans les éditions datées du XVIIe siècle, à commencer par 1605.. Autrement dit, Chevillot a copié Rigaud 1594 et ensuite il a fait du Rigaud 1568 qui en est très proche, mais cette fois, il n’est plus question des sixains car on veut faire du vrai faux et non du faux cousu de fil blanc comme Du Ruau qui intègre les sixains. Il garde aussi de Du Ruau les additions parisiennes et les quatrains chavigniens ( centuries XI et XII) et le quatrain cryptogramme. On trouve chez Chevillot diverses pages de titre mais l’une d’entre elles est calquée sur les éditions Rigaud parues sous Henri IV et se retrouve dans les éditions Rigaud 1568 avec les mêmes mentions en sous titre pour les deux volets, le « dont il en y a » des éditions Rouen et Anvers ayant été corrigé dans toute la série Rigaud ; Une telle présentation, soulignons-le, n’existe pas chez Du Ruau.

Voilà qui augmente d’autant la production centurique de la seconde moitié du XVIIe siècle : le nom de Rigaud est donc largement perpétué d’abord par Pierre Du Ruau puis par Pierre Chevillot ou ceux qui se servent de leurs noms mais qui sont probablement situés à Troyes, un des grands centres de la bibliothèque « bleue » au XVIIe siècle, notamment en matière d’almanachs. Quant à Du Ruau, il est prolongé par l’édition 1668 d’Amsterdam et quelques autres. La production du second XVIIe siècle – le Siècle de Louis XIV- est donc dépendante de ces deux matrices que sont « Du Ruau » et « Chevillot » et qui se répartissent le marché, ce qui explique qu’en 1716 et au-delà , le produit « Rigaud » continue à se vendre, sous le nom cette fois de Pierre Rigaud et pour l’année 1566 mais cette fois encore cela n’est pas le fait de l’édition lyonnaise mais de l’édition d’Avignon.
Cela fait alors environ un siècle que la production ‘Rigaud » ne se fait plus à Lyon. Mais les Rigaud auront leur revanche puisque à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, les nostradamologues privilégieront successivement les éditions Pierre Rigaud 1566 d’Avignon et les éditions Benoist Rigaud 1568. Il est temps que de la même façon que l’on a disqualifié la fausse édition 1566, on fasse de même pour la fausse édition 1568, dont le moindre défaut n’est pas d’ailleurs de ne pas se présenter comme posthume comme il était de miss à l’époque. Une telle bévue ne se conçoit que du fait du décalage du temps, Nostradamus étant devenu un personnage en quelque sorte intemporel et immortel..
Il convient cependant d’apporter un correctif : ce ne sont pas les Troyens qui ont lancé le slogan « Benoist Rigaud 1568 », ils n’ont fait que le reprendre. En effet, il est attesté en 1585 dans la Bibliothèque de Du Verdier à propos de « dix centuries de quatrains », Benoist Rigaud 1568, ce qui devait concerner en fait des quatrains-présages tirés du Recueil des Pressages Prosaïques- lesquels d’ailleurs ne figureront pas dans les vraies éditions rigaldiennes. Et selon nous, c’est en raison de cette production Rigaud 1568 que Du Ruau a choisi de situer son travail alors qu’il aurait pu se référer à des éditions rigaldiennes plus récentes. Il nous semble que dans les années 1580, deux nostradamismes étaient en présence : l’un axé sur les présages qui fut celui de Benoist Rigaud et de Chavigny, du moins jusqu’à leur « conversion » de 1594 aux quatrains « centuriques et l’autre qui produit une nouvelle série de quatrains, en considérant que les présages ont fait leur temps, ce contre quoi s’élèvera Chavigny en tête de ses commentaires même s’il intègre quelques uns de ces nouveaux quatrains, sur le tard. Certes, l’on ne peut souscrire à la thèse de Guinard qui veut placer toute cette production Rigaud 1568 dans l’intervalle entre la mort de Nostradamus et les premières éditions centuriques connues (1588). La période pseudo-rigaldienne commence en 1643 avec Pierre Du Ruau et se prolonge au XVIIIe siècle et en cela nous comblons un vide dans la chaîne rigaldienne qui se déploie ainsi de 1594 au milieu du XVIIIe siècle. La référence 1568 est encore attestée en 1772 avec une édition avignonnaise de Toussaint Domergue : Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Nouvelle édition imprimée d’après la copie de la première édition faite sous les yeux de César Nostredame en 1568 » ; en outre, Benazra signale[7] la résurgence à cette époque d’éditions Benoist Rigaud.
Benoist Rigaud, dans le domaine du centurisme prophétique prend le train en marche, c’est l’ouvrier de la onzième heure. Tout est déjà joué et clôturé quand il se joint au mouvement. Rien ne va plus. Le temps des ajustements, des retouches, des additions est révolu. Même le quatrain 100 de la sixième centurie n’est pas remplacé, c’est dire quand on connait la fécondité déployée jusqu’’alors. Comme on l’a dit, Rigaud ne fait plus que toiletter encore un peu l’édition Jaques Rousseau, dans l’Epitre à Henri II (15854/1606) mais il ne touche aucunement aux quatrains. Il faudra attendre la mort de Louis XIII pour que l’on se permette de modifier les éditions avec le quatrain cryptogramme signalé d’ailleurs comme « adiousté depuis l’impression de 1568 » (chez Du Ruau) ainsi que l’addition de quelques quatrains relatifs à Mazarin (avec son anagramme) à la fin de la VIIe centurie. Dans l’ensemble, si la fin du XVIe siècle aura été le temps, somme toute fort bref, sur une décennie, de l’élaboration du signifiant centurique, c'est-à-dire des mots, des vers, qui vont donc se cristalliser définitivement, le siècle suivant sera celui du signifié, c'est-à-dire celui du commentaire, en dépit, à partir du milieu du XVIIe siècle, d’une tentative qui fera long feu (au siècle suivant) de restituer une lettre plus fidèle du texte d’origine et qui caractérise le cas « Pierre du Ruau » .

Au demeurant, les faussaires troyens se seront contentés de reprendre la vignette des éditions Rigaud des années 1590 pour orner les éditions Rigaud 1568. Ce même motif devient d’ailleurs à la mode sous la Fronde puisqu’on le retrouve à Rouen, en 1649, dans une édition des Vrayes Centuries de Me Michel Nostradamus, [8], sous une forme inversée et dessinée grossièrement.Il semble que cette vignette Rigaud, reprise par les Héritiers Rigaud n’ait pas été conçue avant 1594. Si l’on prend le cas de l’Almanach de Cormopéde, dont Rigaud deviendra l’éditeur, en prenant la suite de Pillehotte, les premières vignettes sont bien différentes. Or, dans l’almanach pour 1596 (on n’a pas eu accés à celui de l’année précédente), on retrouve, à la place, un nouveau motif qui semble emprunté à celui des Prophéties Rigaud 1594 mais qui ne concerne pas Nostradamus. On note que le « carmen » de Chavigny qui figurait dans les éditions Pillehotte est supprimé quand l’édition passe à Rigaud. On a l’impression que le motif en question, avec une main tenant un astrolabe- ce qui constitue un élément des vignettes nostradamiques – soit devenu une marque de fabrique de la maison Rigaud.


 


JHB
14. 08. 12


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[1] Cf RCN, op. cit. pp 220 et seq
[2] Cf RCN, pp 140-149
[3] Cf RCN, pp. 191 et seq.
[4] Cf Chomarat Bibliographie Nostradamus, pp; 61- 62
[5] Cf planches in Chomarat, Bibliographie Nostradamus pp. 95-97 et 106-107
[6] Cf Vers une nouvellle approche de la bibliographie centurique, Revue française d’histoire du Liivre n° 132, 2011
[7] Cf Benazra, RCN, pp. 319 et seq.
[8] Cf M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, planche p. 116

 
 

90 -  Le lien Chevigny-Chavigny
Par Jacques Halbronn

Nos récents travaux consacrés au Janus Gallicus nous contraignent à prendre position sur la question de savoir si Jean Aimé de Chavigny et Jean de Chevigny ne font qu’un.[1] Un certain nombre d’éléments plaident présentement en faveur d’une même identité à partir du moment où l’on y voit un peu plus clair dans son rapport avec l’œuvre de Nostradamus.
Nous sommes ainsi impressionnés par l’attachement extrême de Chavigny pour les quatrains des almanachs de Michel de Nostredame auxquels il entendra conférer, par la suite, dans sa Première Face du Janus François une dimension prophétique en dépit de leur attribution initiale étroitement circonscrite à un certain calendrier annuel, dans l’exergue en tête de son commentaire de quatrains. On peut même se demander si l’attachement de Chavigny pour les quatrains des almanachs ne serait pas lié à sa participation à leur composition, puisque nous pensons que ces quatrains étaient un patchwork issu des textes en prose et dont ce Jean de Chevigny(né en 1536, donc 33 ans après Nostradamus) a pu être chargé par son maître de la confection, ce que nous avons ailleurs tenté de montrer le processus, vu que certains mots des textes en prose se retrouvaient dans les quatrains de l’année correspondante.....
Quelle est d’ailleurs l’attitude de Chavigny à l’égard des quatrains libres de date ? Il les utilise, en effet, mais avec une certaine parcimonie et au fond de façon assez marginale, et quelque peu à reculons. Par la suite, même dans les Pléiades, en 1603, il fera montre d’une connaissance remarquable de la prose prophétique annuelle de Nostradamus et sera probablement le seul commentateur de Nostradamus à s’appuyer à ce point sur d’autres textes que ceux du canon centurique.
Chavigny nous apparait comme une pièce maitresse dans un autre débat qui partage également les nostradamologues sur la question de la parution des centuries « libres » de dates du vivant de Nostradamus. Or, tout indique que Chavigny s’est investi plus tôt et plus amplement dans les quatrains des almanachs que dans l’autre type de quatrains, ce qui se concevrait selon nous du fait qu’il ne les a pas connus du temps qu’il travaillait avec Nostradamus, pour l’excellente raison qu’ils n’étaient pas de cet auteurs.
Quand on a compris que le Janus Gallicus était plus fondamentalement un commentaire des quatrains présages, l’on prend conscience que celui appartient à une première génération de nostradamophiles qui n’ont pas connu les centuries. Il utilise 141 quatrains d’almanachs et certains à plusieurs reprises sur un total de notices de 347, ce qui ne correspond pas à autant de quatrains différents. On peut dire, en fait, que plus de la moitié des commentaires sont liés à des quatrains d’almanachs, alors qu’il y a un bon millier de quatrains dans les Centuries. Au XVIIe siècle, la série des quatrains d’almanachs sera mise en place au sein du canon centurique sur la seule base des quatrains repris dans le Janus Gallicus.
A contrario, si l’on disqualifie Chavigny par rapport à Nostradamus, c'est-à-dire si l’on conteste qu’il ait pu être la même personne qui lui servit de secrétaire, le peu d’intérêt relatif que Chavigny porte pour les quatrains centuriques est moins concluant au niveau de la présence ou de l’absence des dits quatrains centuriques du vivant de Nostradamus. Que Chavigny ait retourné sa veste au bout du compte et ait rallié le camp des « centuristes » est incontestable mais un tel ralliement est en soi déjà significatif d’un certain revirement. L’Epitre à d’Ornano sur l’avènement du roi, toute truffée de référence aux quatrains donne le change et elle est intégrée dans le Janus Gallicus- dont il est lui-même le producteur- in extremis pour faire contrepoids.
Mais ne faut-il pas rappeler que Chavigny est l’éditeur et le producteur du Recueil de Présages Prosaïques, Grenoble, 1589, dont on ne dispose plus que d’un manuscrit ? Voilà qui nous confirme que Chavigny est celui qui pense que les textes de Nostradamus ont une valeur bien au-delà de son temps et qu’il n’est point besoin d’en produire d’autres pour plus tard. Les tenants de nouveaux textes s’opposent à une telle position et finiront par l’emporter. On notera que les sixains seront eux-mêmes quelque part, à partir des années 1640, censés prendre le relais des quatrains centuriques pour une grande part du XVIIe siècle. En fait, la thèse de Chevigny/Chavigny pourrait se formuler ainsi : au départ Nostradamus était un simple astrologue qui produisait laborieusement son pensum annuel. Mais peu à peu, l’on s’aperçut qu’il était aussi prophète, non point parce que l’on découvrit d’autres textes mais du fait que l’on relut les textes déjà parus, d’où l’édition ‘avec les quatrains du Recueil des Présages Prosaïques ; D’ailleurs, l’on peut se demander, au titre de la Jani Gallici facies prior, si c’est la prose qui commente les quatrains ou l’inverse. Selon nous, le quatrain est un commentaire poétique de la prose des présages mais pour d’autres, cela semblerait être l’inverse. Nostradamus a pu commenter ses quatrains mais d’autres auront commenté ses commentaires en vers.
Autrement dit, Nostradamus serait prophète du fait de la transcendance de ses quatrains d’almanachs. Mais un malentendu semble s’être installé qui aura conduit à ce que l’on produise de nouveaux quatrains qui seront cette fois « prophétiques ». Chavigny a voulu démontrer que toute l’ Histoire du monde était contenue dans les seuls quatrains d’almanachs.
Revenons sur la fin du « Brief Discours de la Vie de M. Michel de Nostredame », repris dans le Janus. Il semble que l’on y ait ajouté les centuries « prophétiques » qui ne s’y trouvaient pas mentionnées initialement (dans une version non conservée), opposant les 12 livres de quatrains présages à 12 centuries mais en fait ce serait plutôt 10 livres dans chaque cas (cf Du Verdier sur les « dix livres de quatrains »).

D’aucuns nous objecteront que dès 1570, Jean de Chevigny reproduit, pour la première fois, dans son épitre à Mgr Larcher, en tête du texte de Dorat sur l’Androgyn, avec qui plus est le numéro du quatrain et sa centurie. : L'androgyn né à Paris le 21 juillet 1570 illustré des vers latins de Jean Dorat, contenant l'interprétation de ce monstre avec la traduction d'iceux en françois par Jean de Chevigny, Lyon : Jove, 1570
Nous pensons que ce texte est sensiblement plus tardif et pourrait émaner de la publication des Poematia de Dorat en 1586[2], lesquelles comprennent le dit poéme latin sur ce « monstre », dont Chevigny se fera le traducteur en français. On note donc que Chavigny signe encore Chevigny (dans son épitre) dans les années 1580 voire 1590.
Les publications sous le nom de Nostradamus semblent avoir laissé Chavigny indifférent. Celui-ci désignait encore, en 1591, alors que le processus centurique était déjà bien lancé, dans un « carmen », un certain Cormopéde comme un nouveau Nostradamus dans un texte signé de ses seules initiales J.A.CH. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’il ait été le véritable auteur de cette préface ; on peut imaginer que son nom ait été utilisé, comme si on avait voulu le prendre pour caution de l’authenticité de ces nouveaux quatrains.. D’ailleurs, dans son commentaire du Janus Gallicus, du quatrain sur l’Androgyn, il ne s’approprie pas ce texte d’ailleurs assez étrange : on voit en effet Chevigny offrir à Larcher le dit quatrain comme s’il n’existait pas alors d’édition complète, alors même qu’on serait au lendemain d’une prétendue parution des centuries de 1568, chez Benoist Rigaud. On ne comprend ce texte que si l’on admet que les centuries ne sont pas encore en circulation imprimée en 1570 mais qu’elles n’en sont pas moins composées, qu’on en dispose après la mort de leur auteur. Cette contrefaçon 1570 contredit de fait la contrefaçon 1568.
Si Jean Aimé de Chavigny et Jean de Chevigny ne font qu’un[3] , et si l’on admet qu’il ait pu simplement vouloir changer de nom, à l’instar de son maitre Dorat, né Dinesmandi, il n’en reste pas moins que l’entreprise de prophétisation des quatrains présages qu’est en vérité le Janus Gallicus on laissera de côté les quatrains centuriques qui ont été surajoutés- recourt à des procédés assez douteux, notamment par le biais d’une traduction latine très libre, c’est le moins que l’on puisse dire et qui infléchit le texte à commenter. D’ailleurs, à force de vouloir présenter Nostradamus comme un prophète, il sera amené à se rétracter comme il ressort de la Première Face du Janus François qui a été conservée, ce point ayant été évacué de l’édition latine, selon nous, plus tardive. Mais l’on peut se demander si l’édition précédente, non conservée mais qui fit l’objet d’un avertissement, ne se limitait pas aux seuls quatrains-présages et si l’édition que nous connaissons n’est pas une édition augmentée comme d’ailleurs pourrait le laisser entendre une page de titre alambiquée.
Dès 1589, Chavigny avait mis en chantier ce qui allait devenir par la suite les Pléiades (en 1603)- le manuscrit de ce premier jet est à la Méjanes d’Aix en Provence et qui se sert abondamment des présages en prose. qui sont l’essentiel, ne l’oublions pas, du Recueil de Présages Prosaïques. C’est dire que Chavigny continue à militer en faveur de l’image d’un Nostradamus prophète de par les textes parus de son vivant ; A ce propos, quand il est question, dans la Croix du Maine (-Bibliothèque, 1584) de Sixte Denyse pour des quatrains parus en 1556, il ne s’agit pas, selon nous, des centuries mais des publications annuelles et d’ailleurs la notice indique que ces textes sont parus plusieurs années durant. Le témoignage de Chavigny vient confirmer le fait que les quatrains des almanachs pouvaient être perçus comme des prophéties et c’est probablement cette aura particulière dont Nostradamus jouissait sans qu’il soit aucunement besoin de supposer qu’il ait produit par ailleurs d’autres textes à caractère explicitement prophétique. On peut dire que pour Chevigny- Chavigny, Nostradamus est un astrologue prophète, l’astrologie ne faisant que lui servir de support, et qu’il l’est sur la base même de son travail d’astrologue.
Certes, par la suite, Chavigny infléchira une telle position. Il accueillera dans son corpus les quatrains issus des dix centuries mais tout cela nous apparait, comme dans le Brief Discours comme des éléments rapportés. C’est ainsi qu’il salue un César de Nostredame auquel Nostradamus, rapppelle-t-il, a adressé son premier volet de centuries tout en d’ailleurs se référant à un quatrain présage pour juillet 1559 qui vaut pour l’avenir. .Pour Chavigny, les textes de Nostradamus sont des « commentaires » du cosmos, qui méritent, à leur tour, d’être commenté par lui-même, comme il ressort de l’édition de 1596 - nouveau titre du Janus Gallicus - des Commentaires du Sr de Chavigny sur les Centuries et Pronostications de Nostradamus, ce qui peut se comprendre comme incluant les centuries de quatrains, tant ceux des présages que ceux récemment produits ou à la limite sur les almanachs et les Pronostications, soit les deux publications annuelles du dit Nostradamus.... Notons que certains nostradamologues soucieux de prouver que les quatrains « prophétiques » étaient connus dès 1560 ont interprété certains rapports des ambassadeurs vénitiens relatifs à la mort de François II comme évoquant tel quatrain « centurique » alors que cela concernait en fait le passage d’un almanach pour l’an 1560.
Il se pourrait que ce fût Chevigny lui-même qui ait découvert la dimension prophétique des almanachs et des pronostications annuels de Nostradamus, bien après leur date limite de consommation. Au fond, il avait du procéder comme il s’en explique dans le Janus Gallicus : prenant une année et ce qui en a été retenu dans les chroniques, il lui suffisait probablement de parcourir les dits textes rassemblés en un recueil, au cours d’une sorte de promenade, de péche prophétique, et de s’arrêter sur une convergence suffisamment frappante.

Pour en revenir à la Lettre de Chevigny datée de 1570, se peut-il qu’il s’agisse d’un faux qui ne serait pas le fait de Chavigny mais qui a utilisé notamment certains passages de la fin du Brief Discours qui sont quasiment calqués.(cf la reproduction des deux documents en annexe), notamment lorsque Chavigny évoque des documents qu’il a gardé par devers lui, comme ces centuries XI et XII, on est là dans une logique posthume, de pièces non censées parues du vivant de Nostradamus et même quand Chavigny évoque l’épitre à César, dans le Brief Discours, il ne s’écarte pas de cette ligne car celle-ci avait initialement vocation à être posthume. . Il semble bien en tout cas que Chavigny ait accepté de servir de caution. Le même procédé sera à l’œuvre dans l’Epître à Henri V, datée de 1605- qu’il faut dater des années 1640, donc bien après la mort de Chavigny - justifiant le recours aux sixains qui en réalité furent récupérés chez un autre auteur comme ce fut le cas pour nombre de quatrains « centuriques » produits par des disciples de Nostradamus et nous avons vu que Chavigny a contribué au lancement d’un Cormopéde..
En ce qui concerne le Recueil des Présages Prosaïques, nous pensons que celui-ci faisait partie d’un diptyque dont l’autre volet était le « Recueil des Présages en vers » -titre approximatif - qui deviendra par la suite la Première Face du Janus François. En ce sens, serait-il inconcevable que Chavigny ait publié vers 1584, un ensemble de quatrains-présages, avec commentaires, correspondant à ce « Recueil de présages en vers » et qu’il l’ait daté de 1568, donc après la mort de Nostradamus, chez Benoist Rigaud comme l’indique Du Verdier dans sa notice parue en1585 ?
Mais une autre hypothèse existe qui a désormais notre préférence :. cette date de 1568 ne correspond-elle pas tout simplement à la cloture de la série d’almanachs allant de 1555 jusqu’en 1567, dont il parle à la fin du Brief Discours, formule qui sera reprise dans les éditions Du Ruau incluant les dits quatrains présages : « Présages tirez de ceux faicts par M. Nostradamus es années 1555 & suivantes iusques en 1567 » ? On trouve dans ce laps de temps deux années cruciales de la production pseudo nostradamique : 1555 date de la Préface à César et 1568- au lendemain de 1567, pour les éditions Benoist Rigaud 1568.
Ce sera là en effet, la raison de l’importance accordée à 1568 et à Benoist Rigaud et cela expliquerait aussi que l’on ait fabriqué cette lettre de Chevigny à Larcher en 1570, selonun scénario d’une seconde série de quatrains, évoquée dans le dit Brief Discours qui aurait été alors en préparation et dont Chevigny aurait donné un avant goût à son correspondant..Cela n’empêche d’ailleurs pas que Chavigny se soit prété à un tel subterfuge lorsqu’il ralliera le camp des « nouveaux quatrains ». .On ne peut non plus exclure que Chavigny ait produit un commentaire des quatrains présages en 1568 chez Benoist Rigaud et que Du Verdier nous en aurait informé sans que le dit commentaire soit reparu en 1584, dix ans avant le Janus Gallicus qui en serait la réédition commanditée par Chacvigny lui-même comme l’indique le Privilége.



 



JHB
14. 08.12

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[1] Cf nos « Nouvelles recherches sur l'affaire Chevigny/Chavigny », sur internet
[2] « Jean Dorat et la « miliade » de quatrains »
[3] Cf B Chevignard,Présages de Nostradamus, Paris, Seuil 1999

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Updated Tuesday, 07 April 2015

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