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Researches 91-100
 
91 -  Les imitateurs de Nostradamus
 
92 - Nouvelles réflexions sur l’épitre à Henri II et le « second » volet des centuries
 
93 - La cuisine centurique
 
94 - Antoine Crespin, le second Nostradamus
 
95 - Nostradamus et le seiziémisme en échec.
 
96 - Les deux volets de prophéties- quatrains : almanachs et centuries.
 
97 - Les deux frères Nostradamus : Michel (le Jeune) et César
 
98 - Du testament de Nostradamus à la Préface à César (1566)
 
99 - Les éditions pseudo-rigaldiennes 1566- 1568 et sans date des XVIIe et XVIIIe siècles
 
100 - La production de Nostradamus pour l’an 1555
 
 
 

 

 

Researches 91-100

 

91 -  Les imitateurs de Nostradamus
Par Jacques Halbronn

Dans un article paru sur son site et repris, sur papier tel quel, en annexe de son « Historique des éditions des Prophéties de Nostradamus (1555-1615)[1] », intitulé « Florent de Crox, le plus doué des imitateurs de Nostradamus » - Patrice Guinard écrit : « Alors que la plupart des autres imitateurs et imposteurs ne parviennent qu’à recopier les quatrains du Provençal ou à en fabriquer de nouveaux qui ne respectent pas les règles prosodiques de l’auteur des Prophéties, ceux de Florent de Crox les imitent assez bien » Ce passage mérite un commentaire puisque nous savons que selon Guinard les quatrains centuriques sont bel et bien de Nostradamus.
A la limite, l’on pourrait se demander si ce n’est pas dans ce cas Florent de Crox qui s’imiterait lui-même et qui serait l’auteur d’une grande part des dits quatrains centuriques puisqu’il ne semble pas que Guinard renvoie ici aux quatrains présages, sans d’ailleurs prendre la peine de le préciser, comme si cela allait de soi qu’il ne pouvait être question des quatrains issus des almanachs.
En l’occurrence, comment Florent de Crox aurait-il pu « imiter » des quatrains qui n’existaient pas encore ou en tout cas n’étaient pas encore « nostradamisés » si l’on admet que les seuls quatrains que l’on ait considérés avant les années 1580 comme de Nostradamus étaient précisément ceux de ses almanachs ? On pourrait évidemment soutenir que si Florent de Crox produit des quatrains, en se prétendant disciple de Nostradamus, et que les dits quatrains ressemblent à ceux des quatrains centuriques, ne serait-ce pas justement la « preuve » que Nostradamus avait déjà publié de tels quatrains ou que ceux-ci l’avaient été par exemple en 1568, à sa mort ? D’ailleurs Crox se présente, en 1569-1570 comme « disciple de deffunct M. Michel de Nostradamus»
il n’est pas le seul et le phénoméne n’a d’ailleurs pas attendu la mort de Nostradamus en 1566.
Cela dit, il est probable que soit parue en 1568, la collection de tous les quatrains des almanachs de Nostradamus, chez Benoist Rigaud, ce qui permettait à chacun d’en prendre connaissance alors que les almanachs eux-mêmes devaient être devenus assez introuvables.
Qui en 1569 pouvait avoir directement accès à un almanach pour 1557, par exemple ? Dans tous les cas de figure, il fallait bien qu’un ensemble de quatrains ait été disponible et accessible pour susciter des disciples en matière de quatrains.
On ne sait si l’épître de Jean de Chevigny à Mgr Larcher est ou non authentique (Lyon, Jove) mais elle témoigne, en tout cas, de ce qu’en 1570 les quatrains de Nostradamus, dans le meilleur des cas, circulaient sous le manteau ou à l’état de manuscrits, puisque le dit Chevigny offre à son correspondant un seul de ces quatrains centuriques, celui qui est en rapport avec la naissance d’un monstre androgyne, ce qui ne ferait pas sens si une édition d’ensemble avait existé à cette date.
. Certes, cette impression d’un recueil des quatrains- présages des almanachs de Nostradamus n’a-t-elle pas été conservée mais Du Verdier en signale l’existence, en 1585, dans une des notices de sa Bibliothèque (Lyon, B. Honorat) : « dix livres de quatrains ».
D’aucuns ont voulu y voir la preuve de la publication en 1568 chez Rigaud des quatrains centuriques et cela leur semblait d’autant plus évident qu’ils avaient sous les yeux une telle édition mais celle là controuvée et datant en réalité du xVIIe siècle (voir nos précédentes HR), étant évident que l’idée était de substituer un recueil de quatrains à un autre étant bel et bien paru, à la mort de Nostradamus, non point de quatrains jusqu’alors inconnus mais dispersés sur une longue période de temps, année après année.
Il est également possible que ce Recueil –le vrai- ait comporté un « Brief Discours de la Vie de Nostradamus » sous une forme quelque peu différente, surtout à la fin, de celle que l’on connait dans la Jani Gallici Facies Prior (1594) ainsi que des commentaires des dits quatrains qui pourraient être dus justement au dit Jean de Chevigny, commentaires qui devaient asseoir la stature « prophétique » du dit Nostradamus.
Selon nous, en effet, ce Recueil de 1568 est le précurseur du Janus François, dont l’édition à titre français est d’ailleurs antérieure à .celle à titre latin.
Si l’on n’a pas conservé cette première édition Benoist Rigaud 1568, on dispose en revanche du Recueil des Présages Prosaïques, avec la mention Grenoble 1589, qui en était le pendant, pour la partie en prose du travail de Nostradamus, probablement de loin la plus importante à ses yeux, le dit Recueil ayant été constitué, selon la page de titre du manuscrit qui nous est parvenu par Jean Aimé de Chavigny, nom sous lequel par la suite le dit Jean de Chevigny souhaitera se faire connaitre, vingt ans plus tard.
C’est dire que selon nous, pour en revenir à Florent de Crox (à rapprocher de Salon de Craux), qu’il est clair que ce « disciple », s’il imite des quatrains, imitent ceux figurant dans le Recueil Rigaud 1568 de quatrains-présages.
Or, il ne semble pas que Patrice Guinard pense aux dits quatrains dans son éloge de Florent de Crox, les quatrains des almanachs, il est vrai, n’étant pas nécessairement de la meilleure facture et d’ailleurs peut être l’œuvre, en partie du moins, de Jean de Chevigny, en sa position de secrétaire de Nostradamus.
. Mais, ici, visiblement, le disciple dépasse le maître, ce qui n’a rien de spécialement étonnant.
D’ailleurs, à plus d’un titre, même la prose des disciples de Nostradamus, y compris celle de leurs épitres, n’aura vraiment rien à envier à celle du médecin de Salon.
Ce qui vient, comme nous disions plus haut, compliquer les choses, c’est que par la suite, quand il s’est agi de fabriquer par centaines de nouveaux quatrains non datés car la thèse de Chavigny selon laquelle des quatrains d’almanachs pouvaient resservir pour d’autres années ne rencontra qu’un succès mitigé, la meilleure solution qui se présenta semble avoir été de récupérer toutes sortes de textes émanant de cette mouvance « néo-nostradamique », ce qui, en l’occurrence, car Guinard n’aurait eu cesse de nous le signaler- ne fut pas le cas de la production du dit Florent de Croix mais à en croire Guinard, cela aurait bien mérité de l’être.
Un Antoine Crespin, très productif dans les années 1570, dut porter ombrage à Florent et c’est son «dossier » qui emportera les suffrages et l’on retrouve la trace de Crespin dans bon nombre de quatrains.
Même une épitre à Henri II, datée de juin 1558, et probablement contrefaite et se calquant peu ou prou sur celle figurant en tête des Présages Merveilleux pour 1557, signalée par Crespin mais dont on n’a pas la teneur, dut servir pour réaliser ou en tout cas inspirer l’épitre qui finira en tête du second volet des centuries.
[2]. Le problème qui allait se poser, c’est que les faussaires des années 1580-1590 ne seraient pas toujours en mesure de distinguer ce qui était de Nostradamus et ce qui appartenait à ses imitateurs et lorsque l’idée leur vint de renoncer à la thèse posthume pour fabriquer des contrefaçons censés parues du vivant de Nostradamus, ils ne purent éviter de commettre un certain nombre d’erreurs qui auraient du disqualifier leur production.
L’étonnant, c’est que notamment pour ce qui est de Patrice Guinard ce ne fut pas le cas.
On pense notamment au choix de vignettes de couverture qui ne correspondaient pas à celles dont se servait Nostradamus et qui étaient notamment reprises des faux almanachs parisiens de Nostradamus, chez Barbe Regnault er d’autres – dès le début des années 1560- ou des prédictions d’un Michel Nostradamus le Jeune, dont le buste sera utilisée par les libraires troyens du XVIIE siècle (notamment sous le nom de Pierre Du Ruau) pour illustrer la page de titre d’une édition Benoist Rigaud 1569 des centuries.
Si l’on s’en tient à la fortune de ces quatrains-présages rassemblés en 1568, et repris dans le Janus Gallicus, un quart de siècle plus tard, on note que ceux de l’almanach pour 1561 furent, à un certain stade, utilisés pour constituer un semblant de centurie VII à moins qu’il ne se soit agi d’un complément d’une centurie VI arrêtée à 71 quatrains.
Mais qui avait tiré ces quatrains présages de l’oubli en 1588 ? D’aucuns diront que ces quatrains pour 1561 venaient juste de paraitre dans ces éditions comportant une addition pour cette même année mais cette fois sans indication ni de mois ni d’année.
De deux choses l’une, selon nous, soit les faussaires de l’édition Paris 1588, Vve Roffet, disposaient du Recueil des présages en vers paru en 1568 dans leur bibliothèque, soit ils avaient accés au Recueil des Présages Prosaïques qui, en dépit de son nom, les comportait également et qui devait paraitre en 1589, si l’on se fie aux indications du manuscrit.
Un autre moment fort fut la publication troyenne, dans les années 1640, non pas de la totalité du recueil mais de tous les quatrains commentés par Chavigny, au nombre de 141.
La supercherie des quatrains de l’an 1561 ne fut d’ailleurs pas détectée tout de suite et l’on continua à les citer en annexe en supprimant seulement ceux cités par Chavigny.
C’est dire qu’à l’époque- au XVIIe siècle- on ne disposait plus du recueil complet des quatrains présages mais uniquement de la sélection du Janus François.
Le recueil réapparut au début des années 1990 à la Bibliothèque de Lyon et c’est Bernard Chevignard, dont la famille est liée à celle de Chevigny-Chavigny – Chevignard étant le nom d’origine- qui s’occupa de son édition critique (Ed. Seuil, 1999), malheureusement inachevée et entachée par des commentaires sur l’Histoire moderne, exercice auquel se prêtera également, par la suite, Patrice Guinard dans son « Nostradamus ou l’éclat des empires ».
Il est intéressant d’examiner quelle fut l’attitude de Benoist Rigaud à l’égard de ces imitateurs de Nostradamus.
La thèse selon laquelle il aurait publié l’ensemble des 10 centuries de quatrains non révolus, en 1568, dont on a dit à quel point elle était fragile et de plus en plus improbable, au plein sens du terme, est par ailleurs battue en brèche par le fait que Rigaud, à part le fait qu’il ait publié le recueil des présages en vers de Nostradamus, ne vit jamais de problème à publier des « imitateurs ».
Il aida ainsi Crespin à se faire connaitre.
A partir de 1573, Rigaud publie l’Epistre à la Royne Mère du Roy par M. Chrespin Archidamus [3] ; en 1578, il fait connaitre une Epistre (Au Roy) et aux autheurs de disputation sophistique de ce siecle sur la declaration du présage & effaicts de la Comette » (de 1577) :dans ce texte, Crespin, note Benazra, s’en prend nommément à Nostradamus le Jeune et à Florent de Crox ou encore à Jean Colony », ce qui nous rappelle le jugement du libraire Nicolas du Mont, en 1571, à la fin des Présages pour 13 ans à propos des imitateurs : »L’un, pour se faire valoir emprunte le territoire de Nostradamus qui lui sert de Surnom (il pense à Florent de Crox).
L’autre, pour estre mieux venu se dit disciple de Nostradamus (…) Celuy là natif de Paris renie sa patrie et se dit Provençal (c’est Crespin) & cestuy se dit Nostradamus le Jeune » C’est Crespin qui est visé à propos de la Provence car le premier texte qu’on lui connaisse, la Prognostication avec Présages pour 1571, Paris, Robert Colombel, le campe comme « Anthoine Crespin dict Nostradamus, de Marseille en provence », référence qu’il abandonnera par la suite.
Dans les années 1580, Rigaud publiera notamment Himbert de Billy, de Claude Morel et Antoine Fabri, tous marqués par l’empreinte de Nostradamus[4].
Antoine Fabri figurera encore chez Rigaud dans un almanach pour 1596, à la veille de la mort du libraire lyonnais.
Or, le motif de la production Fabri était promis à une certaine fortune puisqu’il sera repris dans l’édition des Centuries Cahors Jaques Rousseau puis servira à la composition du motif plus complexe des éditions des Centuries chez Benoist Rigaud 1594 et chez ses «héritiers » et de ce fait aux contrefaçons troyennes Benoist Rigaud 1568.
Or, ce motif on l’a dit n’est pas attesté avant les années 1580, dans les publications Fabri, cet Antoine Fabri succédant à un Claude Fabri actif dans les années 1550.
[5]. On trouve même dans la Pronostication Nouvelle pour 1552 (conservée à la BNF), reléve Patrice Guinard, la vignette représentant Atlas portant le monde sur ses épaules qui servira de motif pour le second volet des éditions Héritiers Rigaud et par voie de conséquence- selon nos récents travaux, au second volet des éditions Benoist Rigaud 1568 produites à Troyes au milieu du xVIIe siècle.
C’est dire que les Fabri sont importants pour la genèse iconographique de la littérature nostradamique.
On voit que les emprunts concernent aussi bien la question des quatrains que celle des vignettes recyclés[6].
Concluons notre étude avec ces propos de P. Guinard qui revient sur son argument stylistique qui part du principe que l’on sait ce qui est ou n’est pas de Nostradamus.
Guinard ironise au sujet de la « réécriture laborieuse des œuvres du salonais que personne n'était en mesure d'imiter, et certainement pas les scribouillards et auteurs de billevesées du type Fabri, "Mi. Nostradamus dit le jeune" et autres Crespin dit Archidamus ».
En fait, si les Centuries ont quelque mérite tant littéraire que prophétique, elles ne le doivent pas à Nostradamus mais à certains de ses imitateurs et commentateurs – qui n’hésitèrent pas à retoucher certains quatrains - qui auront été récupérés et donc dépossédés par les ateliers de fabrication des centuries, continuant par ailleurs la tradition d’une translation de la prose vers les vers, comme dans le cas de la Guide des Chemins de France d’Henri Estienne, ce qui donna certainement des quatrains d’une haute valeur poétique du même ordre que des poèmes composés à partir des pages de l’annuaire de téléphone.
On ne le répétera jamais assez : pour Nostradamus, la poésie servait uniquement pour ses traductions privées (-Hieroglyphica, Galien, pour certains passages).
Cette tradition des quatrains mensuels existait déjà dans le Kalendrier et Compost des Bergiers pour décrire chaque mois.
Ce fut probablement l’idée géniale de quelque libraire de vouloir placer des quatrains renouvelés d’année en année et qui résumeraient les développements en prose de Nostradamus.
Alors que les almanachs de Nostradamus ne comportaient aucun quatrain sur leur page de titre, on notera que la pratique du quatrain placé sous le titre va se généraliser chez les «imitateurs » de Nostradamus.
Mais ce qu’il faut souligner c’est que ces quatrains des almanachs de Nostradamus étaient des miroirs déformants, transformant le sens en non sens.
Nous ne pensons pas que Nostradamus se soit lui-même prêté à un tel exercice a fortiori pas pour produire des centaines de quatrains sans rapport avec une prose bien cadrée, quitte à ce que par la suite certaines interpolations aient été directement et délibérément en prise sur l’actualité du moment.
C’est son entourage, ses secrétaires, ses libraires et bien entendu tous ceux qui se situaient dans une certaine filiation qui s’en chargèrent, tant pour le recueil des quatrains à durée déterminée (QDD) que pour celui des quatrains à durée indéterminée.(QDI).
La grande idée de Chavigny, qui fait partie de toute cette population entourant Nostradamus, de son vivant et ensuite, fut de déclarer que ces quatrains n’étaient pas morts avec Nostradamus mais pouvaient aussi éclairer l’avenir.
Il fournissait ainsi une « première face » du Janus qui confirmerait à quel point Nostradamus avait bien su annoncer chaque année à veni et promettait une « seconde face » en se servant des mêmes quatrains présages pour baliser le futur.
Lorsque (re)paraitra le Janus Gallicus, étrangement, alors que l’ouvrage comporte les deux « faces » puisqu’il couvre l’histoire de France jusqu’en 1589, donc plus de vingt ans après la mort de Nostradamus, il continue à intituler son ouvrage de «Première face ».
La raison en est qu’il se réserve une nouvelle Seconde Face pour l’après 1589.
En fait en 1589, Chavigny est dans la même situation qu’en 1568 avec un passé expliqué et un futur qui n’est pas encore clairement défini.
Au vrai Chavigny ne semble guère à son aise dans l’exploration d’un futur lointaine.
Il peut tout au plus surfer sur l’actualité immédiate pour prévoir ce qui est déjà en cours, à savoir l’avénement d’Henri IV. Il n’empêche que selon nous c’est Chavigny qui aura su forger, dans tous les sens du terme, l’image, la légende dorée, d’un Nostradamus plus qu’astrologue et prophéte malgré lui, c'est-à-dire en fait dont les oracles en prose étaient transfigurés par l’inspiration de quelque translateur en vers et c’est pourquoi Chavigny n’entendait pas dissocier les vers de la prose.
.
 

   


JHB
15. 08. 12


[1] In revue française d’histoire du livre, n°129, 2008, pp. 261 et seq
[2] Cf nos Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed Ramkat, 2002
[3]Cf Benazra, RCN, p.105
[4]Cf Notre post doctorat sur Giffré de Rechac, sur propheties.it
[5]CORPUS NOSTRADAMUS 24 -- par Patrice Guinard « La Vraye Prognostication Nouvelle pour l'An 1552 de Claude Fabri (Une parodie "antidatée" parue à la fin des années 50) «
[6]Voir notre étude « BENOIST RIGAUD ET LA PRODUCTION PSEUDO-NOSTRADAMIQUE DU DÉBUT DES ANNÉES 1580 »

 

92 - Nouvelles réflexions sur l’épitre à Henri II et le « second » volet des centuries
Par Jacques Halbronn

 Le décalage entre nos connaissances concernant ce que l’on appelle généralement le second volet des Centuries et qui se réduit à peu de choses et ce que nous savons au sujet du premier volet, qui est considérable est assez frappant. Autant le premier volet d’entrée de jeu fournit-il un nombre considérable de données, ce qui d’ailleurs tend à en dérouter plus d’un, autant le second ne comporte-t-il qu’un faible lot de variantes, est-ce parce que beaucoup de choses se sont perdues ou parce que tout aurait été plus simple ? Si l’on excepte le cas de l’édition Benoist Rigaud 1568 que nous considérons désormais comme une contrefaçon troyenne des années 1650, il faut attendre 1590, avec l’édition de Jaques Rousseau à Cahors – mais le second volet est probablement plus tardif - puis les éditions Rigaud au début du règne d’Henri IV pour que nous disposions des premières données bibliographiques les concernant, si ce n’est dans le cas de l’Epitre à Henri II, dont nous connaissons une première mouture au début des Présages Merveilleux pour 1557 mais ouvrant sur un tout autre texte que trois centuries de quatrains. Que donne la critique interne, c'est-à-dire certaines disparités au sein des textes dont nous disposons ?
Il serait vain de penser que nous disposons du premier état de ce « volet » et de ce fait les éditions Benoist Rigaud 1568 comportent des éléments qui donnent à penser que nous sommes en face d’une mouture relativement tardive comparée par exemple à l’édition Rousseau de Cahors.
Il convient de souligner ce qui distingue les deux Epîtres, à César et à Henri II. L’une se situe au départ dans une dimension posthume, à destination d’un enfant incapable de rien comprendre et l’autre est censée s’adresser directement au Roi. Cela signifie que le document accompagnant la préface à César ne sera délivré au plus tôt qu’à la mort de Nostradamus- tout dépend de l’âge auquel celui-ci mourra. Si César est alors encore trop jeune – et Nostradamus ne semble pas connaitre son heure - cela devra encore attendre. En revanche, dans le cas de ce qui accompagne la lettre au Roi, le message est censé avoir été délivré sur le champ. On est dans un cas de figure plus classique : une épitre qui parait chez quelque libraire, adressée à une personnalité plus ou moins remarquable que l’on couvre volontiers de louanges souvent assez exagérées, mais c’est la règle du genre. Encore faudrait-il être certain de la nature du texte ainsi introduit d’autant qu’une telle épitre au Roi de la part de Nostradamus est déjà parue, on l’a dit, en tête de ses Présages Merveilleux. Pourquoi au demeurant cette nouvelle épitre laquelle ne se réfère même pas à la précédente et qui d’ailleurs ne fait guère sens si elle n’est pas la première ? Tout se passe comme si le lecteur, en tout cas, était censé tout ignorer de la première mais aussi comme si le Roi lui-même n’avait pas déjà reçu celle-ci, ce qui nous conduit à penser que cette nouvelle épitre n’était pas signée Nostradamus mais était éventuellement imitée de son épitre de 1556. On rentre dans cette logique que nous avons déjà décrite de récupération des imitations de Nostradamus au service des nouvelles centuries, comme si tout ce qui s’apparentait de près ou de loin à Nostradamus ne constituait, in fine, qu’un seul et même ensemble.
Or, nous avons bel et bien trace d’une telle épitre de juin 1558 adressée à Henri II, l’année qui précède sa mort. [1], par le biais d’Antoine Crespin dit Nostradamus, selon la terminologie initialement employée par celui-ci avant de devenir Crespin Nostradamus puis Crespin Archidamus. Ce type d’épitre peut changer de dédicataire et peut aussi changer de texte complémentaire, au prix de quelques retouches.
« & si tu ne veux croire à la dicte conjonction de Saturne à Jupiter, que sera au dict an 1583. Regarde à une Prophetie qui est faicte le XXVII. Iour de Iuin 1558 à Lyon, dédiée au feu Henry grand Roy & Empereur de France, l’Autheur de laquelle Prophétie est mort & decédé » . Benoist Rigaud avait publié en 1573 l’Epitre à la Reine Mère (..) contenant la declaration d’un signe admirable d’une Comete, veue en la cité de Bourdeaux etc, dans lequel cette référence se place (pp. 8 et 9) [2]. Il était donc au courant de l’existence d’une épitre à Henri II, datée de juin 1558 et qui n’était selon nous pas de Nostradamus mais éventuellement d’un de ses imitateurs.
On peut de surcroit « suivre » l’évolution et la fortune de la dite épitre grâce à l’édition tardive d’Antoine Besson (c 1691) qui fournir un texte sensiblement plus bref que celui figurant dans le « canon » centurique, vers 1590, si l’on se fonde sur la date des éditions marquées Jaques Rousseau, à Cahors dont il faudrait préciser les liens avec les Rigaud, au vu de la vignette de la page de titre.[3], les éditions Rigaud ce cette période, quant à elle, ne comportant pas de date, pour aucun volet[4], ce qui exigerait quelque explication. La seule information un peu tangible est la mention sur l’une de ces éditions de « Héritiers de Benoit Rigaud », ce qui implique une parution au plus tôt à la mort du dit libraire, survenue en 1597. Quant à la mention seule « Benoist Rigaud », elle est très vague, vue la durée d’activité de celui-ci. Cela fait contraste, en tout cas, avec la série « Benoist Rigaud 1568 », où la date est clairement signalée du moins au premier volet car le second, tout en rementionnant le lieu d’édition ne donne plus aucune date, ce qui est un étrange compromis qui contraste avec le cas Jaques Rousseau dont les deux volets centuriques portent l’année 1590/ C’est d’ailleurs là l’unique cas d’une édition du second volet, au lendemain de la période réservée au seul premier volet (1588-1589), si l’on s’en tient aux documents disponibles. Rappelons qu’en cette même année 1590 paraissait à Anvers, une édition qui ne comportait encore que 7 centuries dont la septième à 35 quatrains seulement alors que toujours en 1590, nous avons un premier volet à 42 quatrains à la VII suivi d’un second. On peur parler ici d’un certain hiatus chronologique. De deux choses l’une, ou bien l’édition d’Anvers 1590 correspond à un état ancien mais cela affecterait alors également l’édition de Rouen, 1589 qui n’en diffère vraisemblablement que de peu (la fin de l’exemplaire restant étant tronquée) ou bien l’édition de Cahors est antidatée, ce qui nous semble plus probable étant donné qu’elle comporte, au second volet, un quatrain qui n’a pu, selon nous, revêtir la forme qui est la sienne qu’en 1593-94, ce qui nous recoupe certains documents relatif aux deux volets Benoist Rigaud en 1594 et 1596, respectivement [5]. Cependant, il convient de préciser que l’édition Cahors est antérieure à l’édition Rigaud de par un passage de l’Epitre à Henri II qui a été retouché dans l’édition Rigaud concernant l’échéance de 1585 avec juxtaposée une nouvelle échéance pour 1606. Nous avons montré par ailleurs, dans une précédente étude, que la neuvième centurie avait été refondue dans certaines éditions Rigaud 1568, ce qui ressort de sa mise en page[6], décalée par rapport à celle des autres centuries. Guinard écrit à propos de l’édition Rousseau :
« Cette édition ne reproduit pas "les éditions" de Benoist Rigaud comme l'indique Ruzo, mais plus précisément la première édition Rigaud, l'édition X (cf. CORPUS NOSTRADAMUS 71)[7]. L'édition Rousseau cherche visiblement à restituer le texte authentique des éditions lyonnaises, en réaction contre les éditions précédentes (1588-1590), tronquées des trois dernières centuries » .Nous pensons au contraire que c’est l’édition Rousseau qui est reprise par les éditions Rigaud, en ce qui concerne le passage signalé plus haut. Rappelons notre récente thèse selon laquelle les éditions Benoist Rigaud 1568 auraient été réalisées à Troyes, dans les années 1650 sur la base des éditions Rigaud parues antérieurement, en reprenant quasiment à l’identique les pages de titre des deux volets. D’ailleurs, P. Guinard a bien du mal à distinguer la mise en page 1568 de celle des éditions Rigaud non datées.
« La composition des pages du deuxième livre est moins serrée que dans les éditions Rigaud datées de 1568 : il en résulte que le texte se termine à la page 78 (et non plus à la page 76). Cette mise en page sera reprise par l'édition des héritiers Rigaud (c. 1598). »
Le seul argument, à notre avis, qui joue ici est celui de la continuité rétroactive à partir de la mention » Héritiers Benoist Rigaud » puis Pierre Rigaud, toujours non datées. Or, on remarque qu’en ce qui concerne le second volet, tantôt c’est la vignette Héritiers Rigaud qui est utilisée (avec un personnage soutenant un globe, Atlas), tantôt la vignette Pierre Rigaud.(avec un personnage se tenant debout sur un globe). C’est l’ensemble constitué de ces trois éditions différentes réputées successives au niveau de l’indication du libraire qui permet aux bibliographes de situer grosso modo celui-ci autour de 1600. Si l’on ne disposait que de l’édition Benoist Rigaud uniquement, la datation serait encore plus approximative. Mais pourquoi donc une telle absence de dates sur ces éditions alors que les éditions ligueuses étaient généralement datées, à l’’exception de certaines éditions Pierre Mesnier pour le seul premier volet qui ne le sont plus. ..

Patrice Guinard apporte la preuve que le quatrain VIII, 60 aurait été connu début 1589. »
« Le quatrain VIII-60 est attesté dans un ouvrage ligueur écrit entre l'assassinat du duc de Guise et celui de Henry III (entre déc. 1588 et août 1589) : "Nostre nouveau Herode (un prescheur de Paris luy a faict cest anagramme, Vilain Herode) adverti non par Mages, mais par des Magiciens : fondez sur le quatrain lx de la huictiesme Centurie de Nostradamus, que le Ciel menacoit le Duc de Guyse : & que s'il avoit envie d'aspirer à la Coronne : il n'y eust jamais temps plus favorable, pour l'en empescher, que les jours plus proches de Noel, print cela pour chose bien certaine." (Contre les fausses allegations que les plus qu'Achitofels, Conseillers Cabinalistes, proposent pour excuser Henry le meurtrier de l'assassinat par luy perfidement commis en la personne du tresillustre Duc de Guise, [Lyon], 1589, p.31). L'ouvrage aurait été imprimé par Jean Pillehotte dont on retrouve un fleuron au frontispice (fleuron 8 de Pillehotte, in Baudrier 2, 1896, p.275). (…) "Violant terax perdra le NORLARIS ", c'est-à-dire un violent présage ou prodige (teras en grec) terrassera le (chef des) Lorrains (selon l'anagramme Norlaris-Lorrains »
Les dates correspondraient peu ou prou avec l’édition Cahors 1590 ou à une édition de peu antérieure. Comme on l’a dit plus haut, la transition entre Anvers 1590 et Cahors 1590 fait probléme, comme le reconnait d’ailleurs Guinard. « . Le fait que ce quatrain, pourtant peu favorable à la cause de la maison de Lorraine, soit évoqué dans un texte ligueur probablement imprimé au premier semestre de l'année 1589, prouve, s'il en était encore besoin, que le texte des Prophéties est connu et diffusé à cette époque dans son intégralité (10 centuries), même si toutes les éditions ligueuses des années 1588-1589 n'en diffusent que quatre ou sept centuries, plus ou moins tronquées d'un nombre fantaisiste de quatrains ! »
Encore une fois, on ne peut dire que les éditions ligueuses soient « tronquées », sous prétexte qu’elles ne comportent pas encore certains quatrains voire certaines centuries. On peut en revanche, considérer que leur contenu ne date pas de 1589/1590 mais bien plutôt de 1588 et qu’à partir de 1589 le second volet commence à circuler. Le fait que le second volet soit divisé en centuries prenant la suite du premier volet est le signe d’une concertation, d’une volonté de produire un volet additionnel, l’Epitre à Henri II se référant d’ailleurs explicitement à la Préface à César, d’où cette mention précise concernant VIII 60 mais c’est Guinard qui signale de quel vers il s’agit, avec l’anagramme transparent visant les Lorrains.
Il ne faudrait pas négliger la question des mots mis en majuscules qui caractérise les éditions Benoist Rigaud 1568, Macé Bonhomme 1555 et Antoine du Rosne 1557 Utrecht mais qui épargne seulement Antoine du Rosne 1557 Budapest, qui n’a que 40 quatrains à la VII à la différence des autres éditions à 7 centuries, associées d’ailleurs à un second volet (l’exemplaire Utrecht est incomplet, il faut s’en tenir à la page de titre du premier volet qui est celle des éditions à deux volets).
Or, déjà dans Rousseau 1590, on trouve quelques mots en capitales, dont « BRANCHES » dans les premiers quatrains de la première centurie et au tout début de la VIIIe centurie, donc du premier volet. En revanche, le procédé est plus fréquent dans les éditions Rigaud successives. On sait qu’il est repris dans le Janus Gallicus, ce qui atteste que Chavigny s’est servi de ces éditions, si tant est qu’il ne soit intervenu dans la mise en œuvre du dit procédé qui s’étend chez lui aux quatrains des almanachs.
Il convient, par ailleurs, de s’interroger sur la présence de ces mots en capitales dans les éditions de la période 1550, en laissant de côté le cas 1568 dont nous avons montré qu’il dérivait des éditions Rigaud des années 1590 par le biais troyen du milieu du siècle suivant. Ces éditions à majuscules n’auraient été éventuellement réalisées qu’à partir des éditions de la décennie 1590, ce qui est flagrant pour du Rosne Utrecht. L’édition Macé Bonhomme 1555 présente les mêmes « stigmates ». L’explication qui nous parait désormais la plus probable est troyenne. On voit mal produire dans les années 1590 une édition à 4 centuries. En revanche, dans les années 1650, si l’on admet la thèse de la production des éditions 1568, on peut tout aussi bien penser que les faussaires auront juger heureux de produire un état antérieur, d’ailleurs signalé par les éditions parisiennes, qu’ils connaissaient puisqu’ils en citent des extraits pour la centurie VII, les dites éditions indiquant nettement à la centurie IV, une addition après le 53 e quatrain.
« Propheties de M. Mostradamus (sic) adioustée outre les précédentes impressions » (Mesnier, 1589). Les libraires troyens auraient pu se servir de l’édition Roffet 1588 dont la vignette est celle qui servira pour Macé Bonhomme 1555. Mais dans ce cas, ils auraient aussi bien pu produite Antoine du Rosne 1557 Utrecht à deux volets, qui comporte des capitales et le même motif au titre que pour Macé Bonhomme, dans le but de conférer à Rigaud 1568 le statut de réédition d’une publication parue, comme celle de 1555, du vivant de Nostradamus. Nous sommes à une époque où les faussaires abondent pour créer de fausses « lettres de noblesse ». (cf la thèse de Droit de F.P. Blanc : L'origine des familles provençales maintenues dans le second ordre sous le règne de Louis XIV, Aix, 1971)
Reste le cas de l’édition Du Rosne 1557 Budapest, à laquelle R. Benazra et G. Morisse ont consacré chacun une étude. Il convient de la distinguer nettement de Du Rosne Utrecht.
D’une part, elle ne comporte pas, on l’a dit, de mots intégralement en majuscules dans les quatrains. Ensuite, elle n’a que 40 quatrains à la VII. Enfin, sa vignette diffère de Bonhomme 1555, Rosne Utrecht 1557. Elle correspond à un état intermédiaire entre Anvers 1590 (avec 35 quatrains à la VII) et Rousseau 1590, (à 42 quatrains à la VII) Anvers n’ayant pas non plus de majuscules à l’instar des éditions ligueuses. Quant à la présentation de son titre, Rosne Budapest reprend la formule Anvers 1590 sans la corriger- alors que ce sera fait chez Rousseau- « Dont il en y a trois cents qui n’ont encores iamais est imprimées ». Alors qu’Anvers se réfère à 1555, Du Rosne se réfère à 1557 selon une certaine logique qui veut que le passage de 4 à 7 centuries aurait demandé un certain temps. Il faudrait comparer avec l »édition 1556/1557 Olivier de Harsy dont elle pourrait dériver mais cette édition n’est pas conservée[8]. On notera que dans les éditions du XVIIe siècle, dans la série des Vrayes Centuries et prophéties, on prendra l’habitude en page de titre, à partir de 1649, de mentionner des éditions de 1556 et 1558[9], ce qui vient confirme notre thèse d’une prédilection de cette époque pour les références anciennes et la production de documents afférant. Mais cette mode reprend celle qui existait en 1590 avec des éditions se disant reprises de 1557 (Roffet 1588) ou de 1555 (Anvers). Mais il semble que l’on soit allé plus loin en produisant des éditions attribuées à des libraires ayant exercé dans les années 1550-1560 comme Barbe Regnault, qui avait publié des almanachs au nom de Nostradamus, la Veuve Buffet ou Antoine du Rosne, qui avait publié une pronostication de Sconners, en 1557. A contrario, le choix de Macé Bonhomme pour une édition 1555 semble assez malheureux car à notre connaissance Bonhomme n’avait pas publié de textes astrologiques ; en revanche, il avait publié, dans les années 1550, des centuries de Guillaume de La Perrière, sans lien avec l’astrologie mais cela avait du suffire pour justifier ce choix du libraire lyonnais.
Selon nous, donc, la production Rosne 1557, est dans la ligne des références que l’on trouve à Anvers 1590 et surtout à Paris Veuve N. Roffet, 1588. Elle est la seule trace d’une édition qui a du exister et qui s’intercala entre Anvers 1590 et Rousseau de la même année, sans qu’il faille conférer à ces dates autre chose qu’une valeur relative. Situation d’ailleurs assez inconcevable car s’il fallait s’en tenir à une certaine logique bibliographique, on aurait eu la même année, Anvers 1590, puis le pendant de Du Rosne Budapest et enfin les deux volets de Rousseau, passant de 35 à 42 quatrains à la VII, avec d’ailleurs dans les trois cas l’absence du quatrain 100 de la Vie centurie ainsi que de l’avertissement latin (présent dans Du Rosne Utrecht), lequel réapparait dans Rousseau, sous la forme fautive Legis Cantio, qui se retrouve d’ailleurs, assez logiquement chez Rigaud tant 1568 que fin de siècle et chez Chevillot (cf 1651) mais qui sera rectifiée dans les éditions Du Ruau (1643-44) en Legis Cautio, à partir de sources non conservées mais utilisées au milieu du XVIIe siècle.
D’autres points demandent de nouveaux éclairages. Notamment au regard de l’épitre à Henri II. Pourquoi cette date de 1585 qui est avancée dans une épitre qui par ailleurs privilégiée 1606 (les positions planétaires fournies correspondent à cette année. Chez Rousseau, on a les deux dates juxtaposées alors que chez Rigaud, on a « mesmes de l’an 1585 & de l’année 1606 », ce qui fait moins désordre. Faut-il conclure que l’Epitre – mais cela ne concerne pas nécessairement les centuries dont l’annonce peut avoir été interpolée est antérieure à 1585. C’est ce qui semble découler du texte car un texte prophétique a besoin de se donner des échéances à venir, ce qui est le cas par l’addition de 1606, une fois le cap de 1585 dépassé.
Il convient de rapprocher cette date, qu’il faudrait peut être corriger en 1583 du passage de Crespin déjà cité plus haut :
« & si tu ne veux croire à la dicte conjonction de Saturne à Jupiter, que sera au dict an 1583. Regarde à une Prophetie qui est faicte le XXVII. Iour de Iuin 1558 à Lyon, dédiée au feu Henry grand Roy & Empereur de France, l’Autheur de laquelle Prophétie est mort & decédé . On est là dans une construction astrologique classique, liée aux grandes conjonctions se reproduisant tous les vingt ans. C’est là l’horizon des astrologues des années 1570, une fois passé le cap de la précédente conjonction des années 1560 qui intéressa Nostradamus. L’Epitre à Henri II 1558 est une contrefaçon des années 1570 de l’épitre de 1556, date de rédaction des textes de Crespin, On a gardé ensuite la date de l’épitre mais on a rafraichi l’intérieur en ajoutant 1606, ce qui nous situe à la fin des années 1580 ou au début des années 1590 pour une échéance dans le courant de la première décennie du siècle suivant. Et on aura associé cette épitre à un ensemble de 3 centuries. (On ne parle plus de 300 prophéties comme pour le premier volet) Rappelons aussi que nous disposons d’une mouture antérieure sensiblement plus brève, toujours datée de 1558, qui reparait très tardivement chez Antoine Besson de la dite épitre, également associée aux centuries : celle-ci ne mentionne même pas ces années 1585-1606. Une telle épitre (Besson) nous semble annoncer une forme de pronostication de par la précision que son auteur revendique : « correspondant aux mois, semaines, jours », ce qui n’est guère dans le genre de ce néo-centurisme qui veut dépasser un tel carcan, à l’exemple d’un Chavigny au regard des quatrains présages. Mais elle n’en annonce pas moins les centuries, du fait selon nous d’une interpolation lors de son insertion dans le contexte centurique. Il a donc du exister une édition type Besson avant l’édition Du Ruau, ce qui complique encore un peu les choses pour cette étrange année 1590 où tout semble se précipiter. Mais ce n’est probablement là qu’un artefact, c'est-à-dire que l’on publie en 1590 des éditions sensiblement plus anciennes, il faut probablement tout décaler de quelques années. N’oublions pas, en effet, que le passage des éditions parisiennes avec une centurie VI inachevée, sinon incomplète pour parler comme Benaza ou Guinard, jusqu’à l’édition Anvers 1590 passe par un certain nombre de chainons manquants : une édition à 6 centuries dont l’existence est confirmée par le titre même du premier volet « dont il en y a trois cents qui n’ont encores jamais esté imprimées » avec quatrain X, 100 et avertissement latin et de là on serait passé à une édition à 7 centuries type Anvers mais sans le quatrain X, 100 et l’avertissement latin, de façon à gommer le processus additionnel qui devait être formulé comme au titre des éditions parisiennes 1588-1589 : revues & additionnées (…) de trente neuf articles à la dernière centurie », ce qui donne le profil d’une édition à 7 centuries (6 +1) mais on notera que ni Anvers 1590 ni Du Rosne Budapest à 7 centuries ne mentionnent une telle addition et sont donc plus tardives pas plus qu’elles ne signalent l’addition à la Centurie IV. En effet, notre principe est que les éditions sont régulièrement toilettées et que l’on cherche à gommer les étapes intermédiaires.
Quelques réflexions en conclusion ; d’une part, l’usage de cette épitre à Henri II pose le problème ipso facto d’une édition parue à cette date. Ce sera le propos de l’édition Rosne Utrecht d’y veiller et nous avons dit que cela relevait du plan de publications troyen, ce qui exclut ou contredit la thèse d’une parution posthume des centuries en deux volets. Les éditions 1568 ne sont plus alors que des rééditions de l’édition Rosne Utrecht, d’où l’absence de mention nécrologique qui normalement s’imposerait. Faute de goût, cette édition Antoine du Rosne ne prend même pas la peine d’indiquer « dédié au Roy », et comme c’est absent de Rigaud 1568, au second volet, on peut pense qu’il en était de même pour le volume disparu.
A-t-il existé une édition des 3 centuries VIII, IX, X en dehors du cadre à 10 centuries ? Cela nous renvoie à la question de savoir si ces centuries appartiennent ou non à un autre camp que celui qui instrumentalise le premier volet. On pourrait le penser au vu des annonces de victoire de la maison de Vendôme-Bourbon sur celle de Guise-Lorraine, anagrammes à l’appui. Mais il peut s’être agi d’interpolations ultérieures. Si l’on prend le cas du Janus Gallicus, l’on observe un infléchissement du discours en faveur d’Henri IV, sur le tard, notamment dans l’annexe sur son Avènement à la Couronne (épitre à d’Ornano). Il est possible que l’on ait procédé de même avec les dernières centuries pour être en phase avec l’évolution politique, ce qui aura notamment conduit à la retouche du quatrain IX, 86 désormais censé annoncer le couronnement en la cathédrale de Chartres (et non de Reims comme il était de coutume de le faire). On comprend mieux dès lors la mention de VIII, 60, signalée par P. Guinard, dans le camp ligueur, fin 1588-début 1589. Mais cela exige que la fabrication de 300 quatrains ait été mené à marches forcées puisque l’on ne les connait pas encore en 1588, cela expliquerait leur caractère bâclé – quatrains incomplets, versets identiques en deux quatrains (Roy de Bloys en Avignon régner) et recours à une versification de la Guide des Chemins de France, ce qui était pousser le bouchon un peu loin. Il est bon de comprendre que le centurisme est constitué de couches successives dont certaines sont assez indigestes (à commencer par les données asronomiques qui sont le socle des almanachs) et que l’on peut pimenter, à peu de frais, de quelques ingrédients plus excitants pour le goût
Il n’est pas impossible que cet infléchissement politique des dernières centuries ait déplu à certains qui auront persisté à ne vouloir publier que les sept premières. On voit à quel point la réalité dépasse ici la fiction : les quelques éditions antidatées 1555, 1557, 1560, 1568 sont loin de pouvoir rivaliser avec l’effervescence de la production centurique de la Ligue, même en ne considérant que les éditions qui nous ont été conservées , d’autant qu’une grande part de ces éditions antidatées (Macé Bonhomme, Du Rosne Utrecht et Rigaud 1568) ne sera produite qu’au siècle suivant.



JHB
16. 08.12

 


JHB
16. 08.12


[1] Cf Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, Ed Ramkat 2002
[2] Documents Inexploités (pp. 52-53).
[3] Certaines erreurs de localisation concernant Londres ont déjà été reléves , commises par Chomarat, Bibliographie Nostradamus, p. 84 /
[4] CORPUS NOSTRADAMUS 70 -- par Patrice Guinard « Les éditions des Prophéties à la fin du XVIe siècle «
[5] Cf Benazra, RCN, pp. 140-141
[6] Cf l’ exemplaire reproduit par M. Chomarat, lyon 2000, p. 192
[7] CORPUS NOSTRADAMUS 38 -- par Patrice Guinard « Première étude sur les éditions Benoist Rigaud de 1568 (bibliographie)
[8] CORPUS NOSTRADAMUS 25 -- par Patrice Guinard « Les premières éditions des Prophéties 1555-1563 (État actuel des recherches, repères bibliographiques, et conjectures)
[9] Cf Benazra, RCN, p 206

 

 

93 - La cuisine centurique
Par Jacques Halbronn

Pour éviter un certain nombre de malentendus et de fausses pistes, il importe de comprendre que le centurisme est le résultat de plusieurs niveaux et couches de sédimentation, à l’instar d’une pyramide ou d’une ziggourat. Mais l’analogie la plus heuristique selon nous est celle de la préparation culinaire sinon celle d’une alchimie et de l’athanor.
Nous proposerons un modèle que nous avons déjà développé hors du champ nostradamique et qui est celui des plats cuisinés, genre cassoulet, choucroute et autres paella et couscous lesquels se caractérisent par un matériau de base assez vil et en soi guère attractif (semoule, riz, chou, haricots blancs etc.) et l’ajout d’un élément d’un ingrédient qui va flatter ou tromper le goût et l’odorat, à base de sauces notamment. Et plus généralement, la plupart des légumes- ce n’est pas là leur moindre défaut - ne sont consommables qu’en salade « composée), c’est à dire par adjonction d’huile, de vinaigre (vinaigrette), de sel, de poivre, de mayonnaise etc. et ne se suffisent pas à eux-mêmes.
La comparaison avec ce qui se passe avec l’élaboration du « soufflé » nostradamique va se révéler utile. Qu’on en juge : à la base des textes pas vraiment excitants, un matériau assez indigeste mais qui va être « transcendé » par quelque addition et additif, ce qui passe par la mise en vers, le commentaire, la traduction et la retouche, l’interpolation. C’est tout cela qui fait du corpus nostradamien un « plat » qui a traversé les siècles à l’instar de nos spécialités régionales, comme la bouillabaisse provençale...
Ce que nous entendons faire comprendre, c’est que le matériau de base n’est peut être pas l’essentiel, qu’il n’a qu’une valeur relative, en tant que premier étage de la fusée. C’est pourquoi, souvent, même les nostradamologues les plus aguerris n’ont pas un attachement démesuré pour la lettre du texte nostradamique, tant versifié qu’en prose, d’ailleurs ce qui fait que certaines coquilles ou certaines lacunes perdurent sans que nul ne s’en soucie. On pense notamment aux premières phrases de la préface à César dont nous avons montré que la version Besson (c 1691) rétablissait fort tardivement et vainement la cohérence d’un discours devenu bancal.
Pour arriver au cœur de notre propos, nous dirons que si les quatrains des almanachs dérivent, comme nous l’avons également montré ailleurs, de la prose de Nostradamus, ce qui pourrait d’ailleurs les faire considérer comme d’origine « prosaïque » mais à base astrologique, au sens qu’ils transposent des développements que Nostradamus a consacré aux positions astronomiques à certaines moments du cycle soli-lunaire en particulier, en revanche, les quatrains « centuriques » (à durée indéterminée quant à leur usage),peuvent fort bien émaner de sources bien peu liées à l’astrologie et « ésotérisées » de par leur intégration même dans le champ « prophétique », ce qui n’est pas nécessairement rédhibitoire dans la mesure où le prophétisme traite du monde sous tous ses angles. C’est ainsi qu’un passage banal de quelque document peut se voir doté d’une qualité oraculaire remarquable du simple fait qu’il est placé au sein d’un ensemble qualifié de « prophétique », ce qui conduit d’emblée à le percevoir avec un autre œil. Il ne faudra donc pas s’étonner de l’ampleur et du rythme de la production centurique brute. On en est au stade de la matière « vile », du « signifiant » si l’on veut qui se prête à devenir, le cas échéant, tel ou tel signifié, selon le caprice du commentateur, de l’interprète. C’est donc une question de valeur ajoutée, d’aval plus que d’amont. /
Chavigny a été très loin dans cette direction puisqu’il affirme en exergue du Janus Gallicus que les dates indiquées pour les quatrains ne sont pas impératives, ni contraignantes, ce qui lui permet d’associer allégrement tel quatrain de telle année avec un événement d’une autre année. C’est là faire preuve d’une certaine désinvolture. La leçon sera comprise et désormais le quatrain n’a plus à respecter un quelconque étalon or, son cours devient flottant et c’est le self service.
Qui sont les marmitons du « plat » nostradamique? On connait certes les commentateurs qui se sont succédé depuis des siècles au chevet des centuries. On connait beaucoup moins les versificateurs à moins, évidemment, de décréter que c’est Nostradamus qui est l’auteur non seulement des quatrains des almanachs mais de la « miliade » de quatrains centuriques, comme il est dit dans l’épître à Henri II, alors que Chavigny penchait plutôt pour 12 centuries, à la fin du Brief Discours de la Vie de M. Michel de Nostredame. (Janus Gallicus). On connait notre thèse à ce sujet, Nostradamus n’est l’auteur des quatrains des almanachs que très indirectement dans la mesure où ce sont ses textes dont les mots ont servi à composer des quatrains, sur la base d’un mois d’almanach par quatrain. Au demeurant, un Chavigny traduira en latin les dits quatrains présages, ce qui conduira à ce que même les mots des quatrains ne soient plus les mêmes. En ce sens, Chavigny donne l’exemple d’un traducteur abusif qui sous couvet de traduction, modifie le quatrain pour l’ajuster sur tel événement qu’il entend ainsi expliquer. Il y a là comme une sorte de renversement : le quatrain évolue pour correspondre à un texte en prose, comme une chronique ou une page de journal alors même que le quatrain est extrait d’un autre texte en prose. Le quatrain est alors interface entre deux textes en prose mais par le truchement du commentaire qui constitue un troisième texte en prose, le dit quatrain, comme on l’a dit, pouvant générer un autre quatrain par le biais d’une traduction sous forme de quatrain, comme c’est le cas dans la traduction anglaise de Garencières (Londres 1672) mais aussi de diverses traductions anglaises des quatrains d’almanachs de Nostradamus ou de faux almanachs mais avec de vrais quatrains appartenant à des années antérieures.(chez Barbe Regnault)....
.La recherche des sources des quatrains permet de mettre en évidence des retouches ultérieures. C’est ce qui s’est passé pour le quatrain IX, 86 dont la source se trouve dans la Guide des Chemins de France mais où on lit Chastres (actuellement Arpajon[1]) et non Chartres comme dans les éditions centuriques connues. Doit-on supposer qu’il a existé une édition centurique avec Chastres au lieu de Chartres ? Nous le pensons, ce qui complique encore un peu plus la chronologie du second volet (cf. notre étude HR 92). On peut certes, cependant, soutenir que le texte a été choisi, au départ, justement parce que l’on pouvait y introduire Chartres à la place de Chastres. Mais cette thèse nous semble improbable. Ce n’est que dans un deuxième temps, que ce substrat assez peu ragoutant, d’un point de vue prophétique, sera transfiguré par le changement d’une seule lettre. C’est l’occasion de rappeler à quel point un changement de chiffre peut aussi conférer à une épitre un nouvel élan prophétique, comme dans l’Epitre à Henri II où 1585 se voit rejoint- mais pas remplacé cependant- par 1606, ce qui est quand même plus intéressant quand la date de 1585 a été dépassée. C’est là de la cuisine prophétique ordinaire mais qui exige un certain talent et de l’à propos.
On aura compris que le travail laborieux de l’astrologue Nostradamus, faiseur d’almanachs à l’année et de pronostications saisonnières assez sommaires sur toute une série d’années ne constitue qu’un matériau qui certes a le mérite d’exister mais qui doit être complété. C’est tellement vrai qu’à un certain stade, ce travail préalable de Nostradamus n’a même plus été requis et que l’on a fait des quatrains sans passer par ses textes ou que l’on s’ est permis de les utiliser en dehors du cadre auquel ils étaient initialement liés, ce qui a donné le millier de quatrains centuriques à durée indéterminée, laissant à l’interprète la plus grande latitude d’application.
Parallèlement, c’est le personnage même de Nostradamus qui va être « relooké » : d’astrologue, il devient prophète. Tel est précisément le vœu d’un Jean de Chevigny alias Jean Aimé de Chavigny, qu’il poursuivra pendant toute sa vie. Un prophète qui ne sait même pas qu’il en est un car les épitres figurant dans les Centuries ne sauraient être attribuées à Nostradamus qu’avec la plus grande précaution. On aura joué par ailleurs sur le fait que le mot « prophétie » est un terme ambigu qui peut être appréhendé sous un angle religieux mais aussi laïc, tout comme le mot prédiction est utilisé par les devins mais aussi par les scientifiques (notamment anglo-saxons). Nostradamus se voit dès lors attribué plus d’un millier de quatrains qui émergent petit à petit pour culminer avec les sixains intégrés au canon centurique au milieu du XVIIe siècle. (Voir l’épitre à Henri IV, d’un certain Vincent Séve, en date de 1605). Chavigny n’hésitera pas à les translater en latin pour leur faire dire ce qu’ils ne disent pas, comme de parler de Louis Ier de Bourbon Condé alors que le quatrain emploie « loin » ou « Blois » ce qui est « traduit », faute de mieux, par Lodoicus (pour Louis). Joli coup de pouce !
Cette cuisine centurique posthume va bien entendu bénéficier de toutes sortes d’additions par le biais de quatrains supplémentaires de circonstance. Récapitulons : une première couche de quatrains d’almanachs mais assaisonnés par un commentaire datant de 1568 qui en montre la justesse pour le passé, de 1555 à 1567. Puis, une nouvelle couche de plus de 300 carmes fabriqués on ne sait trop comment (on a le chiffre de 349, d’après l’édition Rouen Petit Val 1588) – et quelle importance ? - en empruntant à gauche et à droite, en plagiant, dans la Préface à César Savonarole et Roussat, dans leurs textes prophétiques. Soit plus du double des quatrains d’almanachs. Et puis, de 349 on passe à 353 en pondant le quatrain IV, 46 qui évoque la « prochaine ruine » de Tours. Quand Henri III quitte Paris, laissée au pouvoir du duc de Guise, en mai 1588, il décide de faire de Tours la nouvelle capitale du royaume. Il convoque, non loin de cette ville, à Blois des Etats Généraux, à la fin de cette même année. Selon nous, l’insertion de de IV 46 au milieu des 349 premiers quatrains doit dater de peu après le mois de mai 1588, ce qui permet de fixer un terminus pour toutes les éditions centuriques comportant ce quatrain, ce qui inclut Macé Bonhomme 1555, Antoine du Rosne 1557, Benoist Rigaud 1568. Les éditions parisiennes ont également ce quatrain et la première est justement datée de 1588. Un autre terminus intéressant est la mort de Catherine de Médicis, le 5 janvier 1589, ce qui pourrait correspondre à la rédaction du quatrain VI, 100, avec le jeu de mots sur « Fille de l’Aure », c'est-à-dire fille de Laurent de Médicis- dont on sait qu’il ne figure dans aucune édition centurique du XVIe siècle, conservée mais bel et bien dans le Janus Gallicus.
.Et puis, l’on passe à 600 en intégrant les 53 quatrains de la centurie IV augmentée. Mais cela ne suffit toujours pas : une annexe à la Vie et « dernière centurie » - ce qui exclue qu’il y ait alors 1000 quatrains comme d’aucuns le prétendent- va bientôt devenir la VIIe centurie. Et puis l’on rajoute encore, pour faire bonne mesure encore 300 quatrains mais à notre avis, l’on était parti pour 900 quatrains (3x 300) et c’est par erreur que l’on aura conféré le statut de centurie VII à une trentaine de quatrains : on passera d’une petite trentaine à 42. Notons que le nombre de 300 apparait sur les deux volets des éditions Rigaud : pour le premier volet 300 « prophéties » et pour le second « trois centuries », c’est dire que la centurie VII est un simple appendice du premier volet. On fera d’ailleurs disparaitre toute trace, dans les titres, d’une addition à la Vie centurie, laquelle est toutefois mentionnée au titre des éditions parisiennes ligueuses qui ont en outre le défaut de signaler une addition en plein milieu de la Centurie IV et de rappeler que la centurie VI n’atteignit les 100 quatrains que par étapes...
Mais la cuisine centurique a d’autres exigences encore : il faut fabriquer des contrefaçons antidatées – encore que cela se fera surtout au milieu du XVIIe siècle, à partir de Troyes, une des grandes villes d’édition d’une littérature merveilleuse (bibliothèque bleue de colportage) - tout comme il faut faire disparaitre les traces de certains ajustements et ajouts, ce qui donne comme résultat paradoxal de produire de prétendues éditions anciennes plus modernes que celles qui sont censées les suivre. L’édition Antoine du Rosne de la Bibliothèque de Budapest datée de 1557 est plus achevée que l’édition de 1560 dont la centurie VI est encore en chantier. Véritable cauchemar pour les bibliographes !
Le corpus centurique est à n’en pas douter une œuvre, une entreprise collective, transgénérationnelle dont le point de départ est Michel de Nostredame et ses publications annuelles (voire pluri-annuelles), débouchant sur des quatrains qui sont jugés obsolétes après la parution du dernier almanach pour 1567 paru sous son égide. Après sa mort, il va survivre au travers d’une nouvelle lecture des dits quatrains, voulue par Jean de Chevigny (en 1568) mais cela ne suffit plus et il faudra ajouter de nouveaux quatrains qui ne sont pas passés par la même voie et qui feront oublier les premiers absents des éditions Rigaud de la fin du siècle. Ces quatrains en fait seront en partie dus à des émules de Nostradamus qui souvent en placeront un sur la page de titre, à l’instar d’un Antoine Crespin (auteur aussi de sixains) et un choix, un tri seront effectués parmi ces nombreux quatrains pour constituer un nouveau corpus attribué à Michel de Nostredame et dont il est tout au plus l’inspirateur. Car, il ne faut pas se leurrer et faire la part des éditions antidatées. La vérité, c’est qu’à la mort de Nostradamus, en 1566, les seuls quatrains qu’il laisse derrière lui sont ceux tirés de ses almanachs. Chevigny entreprend de les perpétuer en affirmant que ces quatrains peuvent aussi nous éclairer sur l’avenir. Une position très économique qui dispensait de produire de nouveaux quatrains pour l’avenir. Tel ne fut pas l’avis de ses « disciples » qui, au contraire, mirent un point d’honneur à composer de nouveaux vers prophétiques. Pendant une vingtaine d’années il en fut ainsi jusqu’à ce que soit orchestré le grand retour de Nostradamus, dans le cours des années 1580 et en quelques années, un corpus d’un millier de quatrains fut constitué, véritable succès de librairie avec comme pour les films des suites (Guerre des Etoiles etc.), Nostradamus 1, 2, 3 etc. Si la Ligue et la crise dynastique (exacerbé par la mort du duc d’Alençon en 1584) furent le théâtre de ce premier revival, à Paris et à Rouen, à Anvers, à Cahors et enfin à Lyon, la Fronde au siècle suivant, à Troyes, à Amsterdam, à Londres, à Lyon, à Marseille, surfant sur la mort inopinée de Richelieu et de Louis XIII.(en 1642-1643), fut le canal d’une véritable Renaissance nostradamique dont on n’avait pas pris jusque là toute la mesure, suscitant notamment la fabrication d’éditions antidatées (1555, 1557 (Utrecht), 1568) et la recension de tous les textes relatifs à Nostradamus qui pouvaient avoir été conservés, y compris ceux de ses imitateurs et de ses adversaires, posant ainsi les bases d’une science nostradamologique dont un Jacques Mengau et un Giffré de Réchac furent, dans les années 1650, les promoteurs.
Ce n’est ainsi qu’au milieu du XVIIe siècle que ces quatrains d’almanach seront réintégrés avec d’autres documents qui avaient été abandonnés, ce qui nous conduira en 1691 à l’édition du lyonnais Antoine Besson qui remplace la préface à César corrompue par son original réapparu mais non conservé.(déjà traduit cependant en anglais en 1672). La plupart des interprètes des centuries ignorent désormais à peu près tout des quatrains-présages. Cela ne fait pas partie de leur culture et ne parlons pas de la prose de Nostradamus dont on ne veut plus connaitre que les épitres centuriques. Même le projet de réédition du Recueil de Présages Prosaïques dont se chargea, aux éditions du Seuil, Bernard Chevignard, un arrière petit cousin de Jean de Chevigny/Chavigny, ne parvint pas (en 1999) à publier la totalité du manuscrit et dut s’arrêter aux années 1550. Le XXIe siècle, préparé par les travaux d’exploration de Ruzo, Chomarat, Benazra, Brind’amour et à leur suite Patrice Guinard, Mario Gregorio, devrait, selon nous, être le temps d’une nouvelle renaissance nostradamique, cette fois plus scientifique, restituant notamment la vraie chronologie des textes et tout particulièrement –ce dont furent incapables les artisans du renouveau du XVIIe siècle- il est vrai que l’œuvre de Giffré de Réchac, à la suite de Mengau, dans les années 1659, lequel envisagea de fonder ce que nous avons appelé une « critique nostradamique » [2]- resta en grande partie manuscrite[3]- - en rendant à Nostradamus ce qui est à Nostradamus[4].

 

 


JHB
16. 08 12


[1] Bernard Gineste : Corpus Littéraire Étampois, Pseudo-Nostradamus. Quatrain IX, 87 sur le Ducd’Étampes 1568
[2] Voir notre post-doctorat, EPHE Ve section, 2007, sur propheties.it.
[3] , « Quelques documents inédits sur le P. Jean de Réchac », in Archivum Fratrum Praedicatorum, 1932 pp. 403-414, L’Eclaircisssement n’y est pas mentionne alors qu’il y est question (p. 413) d’un ouvrage antérieur qui est considéré comme fâcheusement influencé par Campanella, le De Regno temporali Christi. In Lettre de Thomas Turc à Dominique Le Brun , datant du 5 février 1650. Vour aussi année 1933 de la même revue.
[4]

 

 

94 - Antoine Crespin, le second Nostradamus
Par Jacques Halbronn

Notre rapport à l’œuvre de Crespin a évolué sur une vingtaine d’années. Au début des années 90 du siècle dernier, nous pensions avoir trouvé en Crespin le témoignage d’une diffusion tardive des Centuries, à savoir au lendemain de la mort de Michel de Nostredame. Certains ouvrages de ce Crespin « dict Nostradamus »- selon la première formulation que l’on trouve, dans les titres de ses impressions, fourmillaient d’éléments qui se retrouvaient dans les Centuries[1]. Il n’y a qu’à lire les bibliographies de Chomarat et de Benazra pour remarquer à quel point de telles observations n’avaient pas encore été faites dans les années 1989 -1990. On ne trouve pas davantage cette information dans le Nostradamus astrophile de Pierre Brind’amour (1993). Et puis, soudainement, quand parait, en 1996, l’édition critique du chercheur québécois, qui venait de décéder, concernant les Prophéties de M. Michel Nostradamus, Macé Bonhomme, 1555, les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation françoise figurent dans le corpus de textes de P. Brind’amour. Il semble qu’il y ait eu des « fuites » et que les mémoires que nous avions consacré à Nostradamus, dans le cadre d’une thèse d’Etat dont la préparation s’étala jusqu’en 1999, parvinrent à la connaissance de ce chercheur que nous-mêmes fréquentions mais sans lui communiquer pour autant nos travaux. Toutefois, nous l’avions incité à rechercher des preuves extérieures aux éditions centuriques de leur circulation. Il est vrai qu’à l’époque, personne ne se souciait d’apporter de telles preuves dans la mesure où l’existence même des dites éditions faisait foi. L’idée qu’il ait pu s’agir de contrefaçons n’allait pas au-delà du cas de l’édition Pierre Rigaud datée de 1566 – et dont on savait qu’elle avait été réalisée au début du XVIIIe siècle, l’erreur des faussaires ayant été de confondre Pierre avec son père Benoist, lequel Pierre ne pouvait exercer en 1566. L’erreur venait probablement de ces éditions non datées parues à la fin du XVIe et au début du XVIIe que l’on pouvait trouver dans les bibliothèques tantôt associées à Benoist, tantôt à Pierre et les faussaires pensèrent probablement qu’ils étaient frères et comme Benoist avait publié en 1568 une édition des Centuries, pourquoi pas Pierre, dont les éditions étaient identiques, en raison de la similitude extrême entre les éditions 1568 et celles parues trente ans plus tard. Nous nous mettons ici, on l’aura compris, dans la peau des faussaires eux-mêmes trompés par d’autres faussaires du XVIIe siècle sans parler de ceux du XVIe.Il s’agit bien là d’une tradition de contrefaçon nostradamique- avec les faux almanachs et les fausses pronostications - d’abord, centurique ensuite.
Mais Crespin est-il un faussaire ? Nous ne le pensons pas. Le fait qu’il reprenne le nom de Nostradamus ne trompe personne. On observe une telle transmission de nom en Angleterre encore au XIXe siècle avec la succession des Raphaels. Crespin ne se présente pas, en tout état de cause avec le prénom Michel et l’on notera que c’est la forme « Michel Nostradamus » qui fait référence dans les éditions centuriques, le prénom ne disparaissant que dans des éditions modernes. Il serait donc bon à l’avenir de ne jamais oublier le prénom pour ne pas confondre avec Antoine Crespin Nostradamus, qui mérite vraiment le titre de second Nostradamus que nous lui accordons. De fait, on notera que sous le nom de Nostradamus, les bibliographes englobent tous les auteurs qui se référent à ce nom et pas uniquement Michel Nostradamus. Ce qui vient compliquer les choses, c’est que nous avons des centuries de Michel Nostradamus qui rassemblent ses quatrains d’almanachs et des centuries qui ne sont pas de sa plume et qui font appel à d’autres « Nostradamus », comme Mi. De Nostradamus ou Nostradamus le Jeune sans oublier, bien évidemment, Antoine Crespin-Nostradamus, même si celui-ci employa par la suite le nom d’Archidamus, ce qui serait aussi une façon de le distinguer. Mais, rétrospectivement, on comprend mieux pourquoi dans les années 1580, on publie des Prophéties qui associent le nom et le prénom, dans le but d’établir une distinction avec d’autres Nostradamus. Mais dès lors, en précisant le prénom, on bascule quelque part dans la contrefaçon, ce qui n’aurait pas été le cas si l’on s’était contenté simplement de « Nostradamus » sans rien ajouter de plus. Du vivant de Nostradamus, le problème ne se posait pas encore puisqu’il était le premier de la lignée mais il n’en sera plus de même par la suite. Il nous semble souhaitable, ou en tout cas moins inadéquat, tant qu’à faire, de placer les « centuries » de quatrains à durée non déterminée sous le nom d’Antoine Crespin Nostradamus et ce d’autant que l’on n’est pas certain que Michel Nostradamus mettait la dernière main à « ses » quatrains la composition desquels lui échappait probablement en grande partie.
La légitimité de la filiation en quelque sorte professionnelle de M. Nostradamus à A. C. Nostradamus nous semble confirmée par le fait que sa vignette est la seule qui comporte en son sein son nom, à l’instar de M. Nostradamus, dont le nom figure sur les vignettes de ses seules pronostications ‘M. de Nostredame » : « AC Nostradamus, astrologue du Roy ». Le prénom Michel est absent comme il se doit. Toutes les épitres qui sont envoyées par Crespin à de hauts personnages auraient-elles pu s’imprimer chez des libraires ayant pignon sur rue, à commencer par Benoist Rigaud- si l’on était dans le domaine de l’imposture ? Il faudrait en tout cas comprendre que l’imposture, quand elle existe, a ses règles, ses codes et ses limites pour qu’elle soit tolérée. C’est ainsi que Barbe Regnault publie des ouvrages sous le nom de Nostradamus mais en utilisant des vignettes différentes qui, elles, ne comportent pas son nom, en quelque sorte son sceau. Quant aux quatrains mensuels qui finiront par y figurer, ils sont certes repris de M. Nostradamus mais à partir d’almanachs d’années antérieures, comme l’a bien montré Robert Benazra (RCN), ce qui les déconnecte du texte en prose.
Mais venons en aux faits : à savoir que Crespin n’emprunte pas ses textes à M. Nostradamus comme pourrait le faire croire une lecture décalée qui était encore la notre en 2002[2], lorsque nous publiâmes nos Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus.(aux éd. Ramkat, dirigées par R. Benazra). A l’époque, nous nous contentions de ,nous servir de Crespin pour situer la publication des Centuries après la mort de M. Nostradamus, remettant donc en question toutes les contrefaçons antidatées, censées être parues de son vivant. Par contraste, l’on pouvait en effet noter qu’aucun phénoméne comparable d’emprunt aux centuries « prophétiques », c'est-à-dire non fondées sur un substrat astronomique n’avait pu être observé avant la mort de M. Nostradamus. Nous avions d’ailleurs découvert le premier qu’il avait fallu attendre 1570 pour trouver un quatrain centurique, dument libellé, dans une épitre de Jean de Chevigny à Mgr Larcher –document en l’occurrence contrefait. Nous avions également signalé la mention dans les Significations de l’Eclipse de 1559 d’une « seconde centurie », autre document contrefait. Bilan, en tout état de cause, bien maigre pour une production centurique réputée, selon les biographes, avoir rencontré un franc succès et qui contrastait justement avec l’enseignement que nous pensions pouvoir tirer du phénoméne Crespin. Nous n’avions pas compris, à l’époque, que ce qui se référait à 1568 n’était pas initialement du à une production posthume de ces fameuses centuries mais à la parution (non conservée) du recueil de ses quatrains d’almanachs, probablement augmenté d’une notice biographique et de quelques commentaires, un matériau qui sera repris et complété dans le Janus Gallicus, en parallèle avec le Recueil des Présages Prosaïques (1589).
En 2005, nous donnâmes une communication au Congrès Mondial des Etudes Juives au sujet de Crespin et des Juifs d’Avignon qui étaient un de ses sujets de préoccupation, en utilisant un autre ouvrage de cet auteur[3] Demonstracion de l’eclipce lamentable du Souleil, Paris, Nicolas Dumont, 1571. A cette date, nous affirmions qu’il fallait lire Crespin pour comprendre certains quatrains car le dit Crespin accompagnait ses vers ou ses formules lapidaires de développements fort copieux. On pouvait certes imaginer que Crespin soit allé prendre des quatrains de M. Nostradamus pour illustrer son propos, ce qui en aurait fait le tout premier commentateur des Centuries prophétiques...
Quelle était la position de Patrice Guinard face à nos travaux sur Crespin[4] ? Pour lui, Crespin étant un « imposteur », son témoignage ne valait pas grand-chose. En fait, ce serait un plagiaire qui non content d’usurper un nom, s’emparait d’une œuvre. Etrange personnage ce Crespin qui aurait repris des séries de quatrains, en ordre dispersé, il est vrai, alors même que les Centuries étaient connues d’un grand nombre ! Mais il est vrai que dans les années 1570, on a un grand trou dans la série des éditions centuriques, que Guinard a tenté, assez vainement, de combler en étalant les éditions Rigaud 1568 sur toute la décennie alors que lesdites éditions furent réalisée au milieu du XVIIe siècle, vraisemblablement à Troyes, tout comme l’édition Pierre Rigaud 1566 le sera à Avignon au début du siècle suivant... Crespin nous semble au contraire occuper le terrain nostradamique pendant cette décennie 1570 et en fait prépare la décennie suivante puisque c’est encore Crespin, mais cette fois anonymement, qui sera mobilisé pour ressusciter M. de Nostradamus. Un prêté pour un rendu.
Si l’on en croit nos sondages, réalisés avec la collaboration de Robert Benazra, il y a une quantité considérable de textes parus dans les ouvrages de Crespin que l’on retrouve dans les nouvelles Centuries, à commencer par le premier quatrain de la première centurie. Or, ce quatrain se retrouve également dans telle ou telle publication de Nostradamus le Jeune, ce qui nous interpelle quant aux relations entre ces deux personnages qui tous deux s’adressèrent au duc d’Alençon, le dernier fils de Catherine de Médicis.
-Prognostication et prédictions des quatre temps pour l’an 1572 (…) contemplé & calculé par M. Anhoine Crespin, Lyon, Melchior Arnoullet (à rapprocher de François Arnoullet l’éditeur des Prophéties du même Crespin) BNF.
-Présages pour treize ans continuant d’an en an iusques à celuy de mil cinq cens quatre vingt trois, (mis) en lumière par M. de Nostradamus le Jeune, Paris, Nicolas du Mont 1571 (Bib. Ste Geneviève).
En outre, le même libraire parisien, Nicolas Du Mont publie, on le voit, les Présages pour 13 ans de M. Nostradamus le Jeune mais aussi la Démonstracion de l’éclipce lamentable et l’Epitre démonstrative à Elisabeth d’Autriche, de Crespin qui sortent chez ce libraire qui ne s’en plaint pas moins, hypocritement, de tous ces imitateurs de Nostradamus qui font marcher son commerce..
On peut se demander si ces deux personnages ne faisaient pas qu’un. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils se communiquaient leurs textes.
En 1578, dans une édition Rigaud, Crespin se plaint de toute une série d’imposteurs dont d’ailleurs un Nostradamus le Jeune dont cependant on ne connait plus d’édition depuis le début des années 1570. Il semble que les éditions ultérieures de Crespin des années 1580 pourraient être des reprises ou des recyclages de ses textes de la décennie précédente, notamment la Prophétie Merveilleuse contenant au vraie les choses plus mémorables qui sont à advenir depuis cette présente année 1590 iusques en l’année 1598, parue chez Pierre Ménier en 1590. Or ce libraire est un des libraires parisiens qui publient les nouvelles Centuries. On a une première édition de Ménier datée de 1589. Nous avons montré, dans de précédents mémoires, que cette « Prophétie Merveilleuse », datée du 20 mars 1589, au lendemain de l’assassinat d’Henri III, censée avoir été dédiée au Roi choisi par la Ligue, un autre Bourbon qui devient Charles X, reprenait des données astrologiques parues sous le nom de Crespin et qui ne correspondaient plus du tout à l’année 1590. C’est dire que le lien entre Crespin et les « Prophéties de M. Michel Nostradamus », que le dit Crespin soit ou non encore en vie, ce qui importe assez peu, nous semble avéré.
Il convient donc de réhabiliter Crespin dont les textes alimenteront indifféremment les 10 centuries et qui constitue donc une source privilégiée de ce corpus et non pas seulement un témoignage. Autrement dit, s’il y a des différences entre le corpus centurique et le corpus Crespin, ce n’est pas dû à quelque étourderie de Crespin mais à des ajustements de la part de ceux qui l’utilisent.
Dès lors que les faussaires – au sens où ils veulent faire passer un Nostradamus pour un autre- pouvaient puiser dans un ensemble de textes dans le style Nostradamus – et ils ne parvinrent pas à l’épuiser comme on peut le voir en notant que de nombreux textes parus alors et qui auraient pu servir ne furent pas mobilisés – on ne s’étonnera plus de la rapidité avec laquelle des centuries supplémentaires purent être pettes dans des délais apparemment fort courts. Il ne restait plus en effet qu’à procéder à quelques ajustements sut un matériau amplement fourni.
 

 



JHB
17. 08. 12

[1] Fortune du prophétisme d’Antoine Crespin, in Analyse, Espace Nostradamus.
[2] Nous avions déjà développé cette thèse dans notre doctorat d’Etat. Le texte prophétique en France (cf site propheties.it)
[3] Voir le texte anglais de notre conférence sur nos HR.
[4] Voir de P. Guinard le récent CN 142- « Analyse critique des 22 opuscules connus mis au nom de Crespin (1570-1578, 1585-1604 »

 

 

95 - Nostradamus et le seiziémisme en échec.
Par Jacques Halbronn

Nos travaux sont-ils bien perçus par les seiziémistes ? On peut en douter et nos récentes découvertes n’ont pu qu’aggraver la situation. Y voit-on là quelque trahison de notre part ? Ce qui est clair, c’est que le domaine de ce qui touche à Nostradamus a longtemps été perçu, selon une sorte de logique évidente, comme étant la chasse gardée des seiziémistes, terme que revendique, d’ailleurs, un Patrice Guinard dans l’article Wikipedia le concernant. Le colloque Nostradamus de 1985 qui se tint à Salon de Provence fut surtout une affaire de Seiziémistes avec notamment Jean Dupébe, Jean Céard, Michel Simonin. Il nous apparait, paradoxalement, que nos investigations contribuent à renouveler certaines représentations relatives à ce siècle, dans la mesure même où certains acquis se trouvent remis en question sous l’angle d’un seiziéme siècle imaginaire ou instrumenté, fabriqué voire contrefait par les deux siècles suivants. Longtemps, un argument aura prévalu, selon lequel le XVIe siècle serait inimitable. Il l’aurait été doublement, à la fois au niveau du style et à celui du papier. C’est ainsi qu’un seiziémiste digne de ce nom serait tout à fait capable, de par son expertise, de déceler une fausse édition, dans la forme comme dans le fond, au regard de certains critères suffisamment fiables. Or, nos travaux ont montré à quel point une telle assurance était peu fondée, du moins pour les années 1550-1560 qui sont les plus sinistrées quand on dresse un certain bilan des progrès de la recherche nostradamologique des vingt dernières années. Récemment, un seiziémiste comme Denis Crouzet qui a consacré un ouvrage à Nostradamus s’est imprudemment exposé à la critique, sans avoir conscience de tous les pièges qui menacent le chercheur dans ce domaine. L’exercice de la biographie sans un fort travail préparatoire au niveau bibliographique est casse-cou. D’ailleurs l’ Histoire n’est-elle pas foncièrement tributaire de l’étude des textes, de la textologie, des « monuments « avec toutes les contrefaçons qui l’accompagnent ? Peut-on d’ailleurs être historien sans être formé à la question des faux ? En outre, peut-on encore être historien sans être capable de se mesurer à différentes hypothèses voire à des « spéculations » qu’il faut comparer et soupeser en raison même de la déperdition, de la corruption des documents dont on dépend inévitablement ? En fait, les seiziémistes, dans leur ensemble, semblent assez démunis et dépourvus dès qu’il s’agit de reconstituer des éléments manquants ou de rejeter des facteurs douteux. Et la façon, donc, dont ils se sont comportés dans le domaine Nostradamus depuis deux ou trois décennies, ne les met pas vraiment à leur avantage puisqu’ils n’ont pas su déceler les chausse trappes temporels construits par l’édition nostradamiste depuis la mort de Nostradamus en 1566.
Nous pourrions récapituler toutes les erreurs de jugement à mettre au passif des seiziémistes bon teint, le bilan s’étant encore récemment alourdi. Il est vrai qu’une première alerte avait été entendue au siècle dernier – il y aura un siècle en mars 1913[1], quand l’édition Pierre Rigaud fut dénoncée comme un faux datant du XVIIe puis, par la suite, du XVIIIe siècle. Or, s’il n’y avait pas eu un anachronisme flagrant, aurait-on pu aisément crié au faux ? Mais il s’agit ici de contrefaçons grossières qui n’en sont d’ailleurs peut être même pas. On pense en effet qu’il faudrait plutôt parler de reconstitutions historiques, à prendre au second degré, comme lorsque un Corneille ou un Racine écrivent, en plein XVIIe siècle, des pièces antiques.
A la décharge de ceux qui se sont investi dans cette galère du nostradamisme, vient se rajouter la question même du prophétisme lequel est censé se projeter dans le futur, ce qui rend la preuve de l’anachronisme plus délicate à apporter, d’autant que les situations se répètent d’une époque à l’autre. Paradoxalement, un document n’est un faux que pour ceux qui ne se rendent pas compte que c’est un faux. Ce qui fait que l’on peut, sans exagération, affirmer que certains historiens sont des faussaires du fait qu’ils entérinent un document auquel ils accordent une importance démesurée et qu’ils l’instrumentalisent en faveur de leurs thèses.
On ne compte plus les documents contrefaits qui ont été pris pour argent comptant par tel historien, tel bibliographe, tel biographe, sans la démarche critique voulue. Mais une attitude frileuse souvent prévaut : on s’en tiendra à la chronologie dictée par les pages de titre des documents, la période d’activité des libraires et si tout « colle », on n’ira pas chercher plus loin.
Dans le cas du dossier Nostradamus, les choses se compliquent du fait que dans nombre de cas les pages de titre ne correspondent pas à leur contenu tant et si bien que l’on a parfois l’impression que tout a été mélangé, interverti. On entend alors tel nostradamologue nous expliquer que dans telle édition, des éléments ont disparu puis sont réapparus un peu plus tard dans telle autre. Le cas le plus énorme est celui de cette édition à dix centuries censée parue en 1568 qui est remplacée sous la Ligue par une édition à six centuries, vingt ans après. Il y aurait ainsi des moments d’amnésie suivis d’une anamnése où soudainement tout redevient comme avant et parfois l’on se demande s’il n’y a pas des projections à l’œuvre.
Il faut bien avouer que les libraires du milieu du XVIIe siècle, probablement à partir de Troyes en Champagne auront brouillé les pistes en intervenant par des publications antidatées, de façon quelque peu irresponsable, sur le terrain du siècle précédent, sans réellement songer à ce qui se passerait dans la tête des historiens des siècles suivants. Mais pensaient-ils à mal en produisant des éditions des centuries datées 1568 ou une édition Macé Bonhomme datée 1555 ? Ils avaient pourtant annoncé la couleur. Les éditions « Pierre du Ruau » ne cessaient de se référer à une édition Rigaud 1568 et à force l’on en arriva à confectionner une telle édition en dupliquant tout simplement les éditions Rigaud des années 1590. Et le tour était joué. Le plus étrange est que ces éditions Rigaud 1590, quant à elles, ne mentionnent pas une telle édition 1568. La connaissance de l’existence d’une telle édition ne tenait qu’à une mention dans la Bibliothèque de Du Verdier (Lyon, 1585) signalant des quatrains parus en 1568 chez le dit Benoist Rigaud. En fait, le silence des Rigaud sur cette édition, c’est qu’elle contenait tout autre chose que les Prophéties parues à la fin des années 1580, à savoir les quatrains des almanachs dont on notera que les éditions Rigaud sont totalement dépourvues. Ce qui laisse entendre que les Rigaud ne suivaient pas Jean Aimé de Chavigny dans sa démarche de réinterprétation des quatrains des années 1555 à 1567, lequel Chavigny qui ne faisait qu’un avec Chevigny – contrairement à ce qu’affirme Jean Dupèbe- avait probablement contribué à la dite édition posthume de 1568 à ne pas confondre évidement avec celle inventée au XVIIe siècle. Poussés par une ambition reconstitutive, les mêmes libraires se décidèrent à composer une généalogie d’éditions en trois épisodes : 1555 pour le premier stade, attesté dans les éditions parisiennes de la Ligue, puis 1557 correspondant au deuxième stade à 7 centuries et enfin 1568 avec le stade à 10 centuries. Et toute cette production rétrospective devint rétroactive dans la tête des nostradamologues du XIX et du XXe siècles, d’Anatole Lepeltier, sous le Second Empire, à Pierre Brind’amour, à l’approche de l’An 2000. Les biographes ne se privèrent pas de nourrir leurs travaux de cette manne et d’affirmer que la réputation de Nostradamus avait surtout tenu à ces parutions bien plus encore qu’à ses almanachs dont les quatrains n’avaient d’ailleurs pas la même densité prophétique. En quelque sorte, la fausse monnaie chassait la bonne et les nouveaux quatrains éclipsaient les anciens, dans l’esprit, faut-il le préciser des seiziémistes. Ce qui nous rappelle que le principal reproche que l’on adressait aux historiens aux XVII et XVIIIe siècle était de donner crédit à des fables, ce qui a toujours été leur talon d’Achille, Nostradamus étant visiblement le maillon faible du seiziémisme universitaire.
Mais le pire était à venir car face à des travaux mettant en évidence un certain nombre de ces contrefaçons, la réaction consista à adopter des positions défensives, à crier au canular (expression employée par Patrice Guinard) voire au sacrilège antinostradamique. On ironisait sur les prétendues facultés des faussaires à fabriquer de toutes pièces tout un lot d’éditions antidatées. Le tort de ceux qui tenaient ces thèses jugées scandaleuses était de ne pas savoir situer la période durant laquelle avait été programmée une telle entreprise. On laissait entendre que cela s’était fait à la fin du XVIe siècle, on n’osait pas franchir le cap du siècle suivant. Or, paradoxalement, plus l’on s’éloignait du temps de Nostradamus et plus l’idée de restaurer le dit temps ferait sens, selon une veine nostalgique mais aussi quelque peu démiurgique : l’on pouvait, grâce à la technique de l’impression, remonter le temps.
Certes, il y avait le précédent de l’édition Pierre Rigaud 1566, dont la contrefaçon faisait consensus mais cela devait rester l’exception qui confirme la règle et non le couronnement d’un processus déjà engagé durant toute une partie du XVIIe siècle. Il fallait absolument isoler le cas Rigaud 1566, que Benazra situait au début de la Régence et l’œuvre de libraires avignonnais. Certes au début du XVIIe siècle, un Du Ruau aurait tenu à rendre hommage à Rigaud mais on situait cela dans les années 1630. Aucun lien entre Rigaud 1568 et Rigaud 1566 n’était surtout à établir. Benoist Rigaud n’avait –il pas bel et bien exercé en 1568 et Macé Bonhomme en 1555, Antoine du Rosne en 1557 ? Que demander de plus ?
En fait, tout se passe comme si la démarche critique d’un Klinckowstroem était tombée dans le vide et que durant tout le reste du siècle, la recherche nostradamologique avait stagné ou plutôt s’était encore plus enfoncée. Qu’on en juge, on était parti à la chasse aux anciennes éditions des Prophéties et l’on en avait rapporté des exemplaires bien réels. En effet, jusqu’alors, les chercheurs compulsaient des catalogues, reprenaient des descriptions de telle ou telle édition mais finalement, on n’avait pas un accès tangible aux « premières » éditions. Un club de chercheurs lyonnais- les Amis de Michel Nostradamus - allait lancer une grande enquête auprès des bibliothèques du monde entier afin de « localiser » les éditions et cela déboucherait en 1989 et 1990 sur les bibliographies de Michel Chomarat et Robert Benazra mais aussi sur la production de fac similes des éditions 1555, 1557 ( Bib. Budapest), 1568. On notera que Daniel Ruzo, un collectionneur péruvien installé au Mexique gardera par devers lui jusqu’à sa mort et au-delà des pièces majeures de sa bibliothèque, et notamment les éditions parues à Rouen en 1588 et 1589, la première, malheureusement actuellement indisponible même en reproduction, correspondant à un état encore non centurisé des quatrains. (349 au total, selon une description fournie par le dit Ruzo (Le Testament de Nostradamus, trad. fr. 1982, Rocher) et qui aura servi à constituer la première partie du premier volet, celui qui est censé correspondre à Macé Bonhomme, ce qui ipso facto ne permettait plus de considérer l’édition Macé Bonhomme comme la première, à moins que Rouen 1588 n’ait récupéré un manuscrit.
Lisons quelques passages de ces présentations de fac similés exhumés.
Macé Bonhomme, 1555. Les Amis de Michel Nostradamus. 1984
« La Ière édition enfin retrouvée ! » Préface de R. Benazra.
« Les Prophéties de M. Michel Nostradamus ont été imprimées à Lyon chez Macé Bonhomme ». Au lieu de signaler bibliographiquement l’existence d’un tel exemplaire, l’on saute à une affirmation biographique imprudente. L’auteur récite le scénario en trois parties : 1555, 1557, 1568, en sautant l’étape 1560 relative à la VIIe partie, édition d’autant plus embarrassante que l’édition 1557 a déjà la centurie VII. Il ne comprend pas que plusieurs scénarios de contrefaçon sont en concurrence ou se succèdent.
En 1996 parait l’édition critique par P. Brind’amour (décédé en janvier 1995) de Macé Bonhomme 1555 (Les premières centuries ou Prophéties, Genève, Droz, 1996). Le chercheur québécois s’arrête sur le cas Crespin (pp. XXVI et se) dont il avait pris acte peu avant sa mort : « Ce texte en ce qui concerne les 354 premiers quatrains n’est pas celui de l’édition Macé Bonhomme de 1555 (…) De plus, l’auteur pille abondamment les quatrains des centuries postérieures »
En fait, notre position actuelle est diamétralement opposée à la lecture que Brind’amour donne de Crespin. C’est Crespin qui a été pillé par ceux qui ont fabrique des Centuries et on peut dire que le faux tient à ce que l’on ait voulu attribuer à Michel Nostradamus ce qui était d’Antoine Crespin Nostradamus. Brind’amour signale (pp. LII et seq) l’épitre de Jean de Chevigny à Larcher (de 1570) qui comporte un quatrain de Nostradamus, avec sa référence précise au sein de la centurie II. De tout cela il conclut que les Centuries étaient en place au plus tard à la fin des années soixante. Pourtant Brind’amour est un des premiers à prendre connaissance de la réapparition publique d’un manuscrit majeur, le Recueil des Présages Prosaïques, qui se présente comme la maquette d’une impression à venir, sous la direction de Chavigny. B. Chevignard qui éditera en 1999 (Ed Seuil) les années 1550 du dit Recueil ne procéde pas à une relecture du Janus Gallicus du même Chavigny qui aurait pu lui faire prendre conscience de la vraie signification de la mention par Du Verdier dans sa Bibliothèque d’une collection de quatrains parus en 1568 chez Benoist Rigaud.
Benazra note en tête de sa présentation du fac simile Du Rosne 1557 (Budapest) (Lyon,1993, Ed. M. Chomarat) : « Antoine du Rosne édite pour la première fois la seconde partie des Centuries, (..) qui se termine avec le quatrain XL de la VIIe Centurie ». Benazra note (p. 13) que dans cette édition, un seul mot est en capitales, AUGE (I, 16) alors que l’édition 1555, précise-t-il, est caractérisée par ce procédé.
Gérard Morisse (Budapest, 2004) présente lui aussi le même exemplaire (« Nostradamus cet humaniste » qu’il peut comparer avec celui découvert à la Bibliothèque d’Utrecht sans signaler que cette édition annonce, en son titre deux additions donc deux volets, à la différence de l’exemplaire de Budapest. En fait ces deux éditions 1557 ne sont nullement contemporaines : l’une (Budapest) est la production des années 1580-90, l’autre, inspirée de la première mais intégrant la production Rigaud des années 1590, est le produit des années 1640-1650 (Utrecht). Utrecht est donc une contrefaçon de Budapest qui est elle-même une contrefaçon antidatée de l’édition Chavigny- Rigaud de 1568, faisant passer une série de quatrains qui ne sont pas de Nostradamus mais de ses « disciples » et notamment de Crespin Nostradamus pour une autre constituée des quatrains des almanachs de M. Nostradamus... Mais Crespin n’est pas responsable de cette supercherie qui s’opère alors que vraisemblablement il n’est déjà plus en activité (on ignore la date de sa mort mais en 1590, parait un texte sous son nom (la Prophétie Merveilleuse, chez Pierre Mesnier un des libraires parisiens qui publient les « Prophéties ») qui recycle une de ses publications.
Quant à Morisse, il se fait l’écho de nos thèses sur les contrefaçons. (pp. 37 et seq) qu’il résume ainsi : « les faussaires (..) n’ont fait qu’imiter le matériel typographique de Macé Bonhomme et d’Antoine du Rosne (…)Les éditions de 1555 et 1557 ne sont donc parues qu’un certain nombre d’années plus tard, vers 1580 environ »
Passons à la présentation du fac simile d’un exemplaire de Benoist Rigaud 1568 (Lyon, 2000, ed M. Chomarat) M. Chomarat (p. 17) se fait l’écho de doutes au sujet de l’authenticité du second volet ; il mentionne le probléme suivant : » Dans l’hypothèse d’une deuxième partie des Prophéties qui serait fausse, un indice peut aller dans ce sens, à savoir l chronologie biblique (…) de la Lettre à Henri II est totalement différente, tant dans le calcul que dans l’énoncé, lorsqu’on la compare à celle qui se trouve dans l’almanach pour 1566 ». On note donc que Chomarat exprime ses doutes sur l’authenticité du second volet (p. 20). Il ajoute : « Comment Nostradamus aurait-il pu commencer la rédaction de la VIIIe Centurie et des suivantes, sans avoir au préalable achevé la VIIe incomplète ? Approche que l’on peut qualifier d’hypercritique (et qui conduira Bruno Petey- Giard, pour l’édition Garnier, à ne pas inclure les centuries VIII-X, pour le cinq centième anniversaire de la naissance de Nostradamus, en 2003). La démarche de Chomarat introduit ainsi un étrange distinguo entre un premier volet qui serait assurément authentique et un second volet qui serait douteux. On sacrifie un volet pour sanctuariser un autre. En réalité, on a bien affaire à un ensemble contrefait de dix centuries. Cela dit, il est intéressant de s’arrêter sur le cas de la centurie VII.
Il y a tout un débat autour de la mention dans les éditions parisiennes d’une addition de 39 (Roffet, Roger, Mesnier) « articles » à une « dernière » centurie. Pour Patrice Guinard, dans son Corpus Nostradamus (Site Cura.free.fr) qui se déploie dans la première décennie du XXIe siècle (voir son étude in Revue Française d’Histoire du Livre, Droz,2008), ces 39 articles n’ont strictement rien à voir avec la centurie VII. Une telle mention décrirait une particularité des éditions parisiennes, concernant des quatrains redoublés et quelque peu retouchés au nombre en effet de 39, ce qui n’épuise nullement la question de l’addition à la dernière centurie. Tout semble indiquer en effet que la dernière centurie ait été la centurie VI se terminant par un avertissement en latin qui est d’ailleurs supprimé dans les éditions à 7 centuries (Anvers, Du Rosne Budapest). A cette date, on n’a pas encore produit les centuries VIII-X mais on entend prolonger la centurie VI d’un appendice, d’où cette fiction d’un Nostradamus décidant en 1560 d’ajouter encore quelques dizaines de quatrains mais sans constituer une centurie VII. On en arrive à produire une contrefaçon Barbe Regnault et Vve Buffet qui corresponde à ce scénario. Comment dès lors expliquer que Budapest 1557 comprenne déjà la centurie VII alors même que son titre suppose un ensemble de 3 centuries supplémentaires (IV complétée, V, VI) ? Il s’agit là très vraisemblablement d’une contrefaçon retouchée d’une édition à six centuries mais dont on n’aura pas voulu changer le titre. Un tel procédé est amplement attesté puisque l’édition Anvers 1590 se réfère carrément à l’édition 1555 à quatre centuries (ce qui est confirmé par l’addition à la Ive centurie d’une addition, dans les éditions parisiennes de la Ligue) tout en produisant un ensemble de sept centuries. Il n’est d’ailleurs pas impossible qu’une telle édition dument datée 1555 (chez Pierre Roux, à Avignon, selon ce qui est indiqué à Anvers 1590) ait été produite. En tout cas, elle a été imaginée. On aura finalement préféré situer la production à six centuries en 1557. Il est possible que l’édition disparue Olivier de Harsy (ou Le Hardy) ait correspondu à la première version à 6 centuries et que l’on ait opté pour Antoine du Rosne pour la version augmentée tout en gardant l’ancien titre. Pour compléter le tableau, rappelons que les éditions parisiennes de la Ligue qui comportent mention de cette addition de 39 quatrains ne comportent pas celle-ci, ce qui explique les tentatives de P. Guinard pour neutraliser de telles mentions. Cela dit, les doutes exprimés par Michel Chomarat quant au statut de la centurie VII nous invitent à réfléchir sur la jonction entre les deux volets centuriques, chacun introduit par une épitre, l’une datée de 1555, l’autre de 1558. Pourquoi n’a-t-on pas procédé comme pour la centurie IV en la complétant pour en faire le départ d’un deuxiéme train de 300 quatrains ? Si ce n’est que les choses ne se sont pas passés aussi simplement que cela, puisque les éditions parisinnes de la Ligue attestent de l’état d’une centurie VI encore incompléte, même en y intégrant les quatrains de la VII au nombre de 12 (cf almanach pour 1561) et numérotés dans la continuité du dernier quatrain de la VI, le 71e ? La centurie VIII n’aurait-elle pas du commencer après le quatrain 40 ou 42 de la VII. Pourquoi le procédé n’a-t-il pas resservi comme par le passé et pourquoi faire une seconde épitre ? On notera que ce n’est probablement pas par hasard qu’existe le nombre 58 dans la littérature centurique qui a pu inspirer les 58 sixains de Morgard, lesquels seront d’ailleurs introduits dans le canon centurique précédés d’une Epitre à Henri IV, datée de 1605, mais sans lien avec la centurie VII. On peut penser qu’un module de 58 quatrains a du exister qui n’aura pas été conservé.
En ce qui nous concerne, à partir des années 1980, nous avions mis en œuvre le Catalogue Alphabétique des Textes Astrologique Français (CATAF), qui aurait du paraitre aux Ed. Guy Trédaniel – mais à la place nous avons publié, en 1990, le Répertoire Chronologique Nostradamique de Robert Benazra, avec une préface de Jean Céard,- et qui finalement fut accueilli sur le site du CURA de P. Guinard, en 1999 (à présent sur le site grande-conjonction.org). Notre approche initiale n’était nullement polarisée sur Nostradamus mais englobait un ensemble considérablement plus large, en indiquant pour chaque ouvrage les localisations en bibliothèque, dans le monde entier, en nous rendant sur place. Notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France. Formation et fortune, soutenue tardivement en 1999, sous la direction de Jean Céard (avec dans le jury Olivier Millet, auteur d’un travail sur Nostradamus), ne consacrait qu’un tiers à Nostradamus. Seul notre post doctorat (EPHE V e section, 2007) – avec dans le jury notamment Hervé Drévillon, Jean Dupébe et Bernard Chevignard, tous trois auteurs de travaux sur Nostradamus- n’est voué qu’à ce dossier alors que les autres bibliographes ont d’entrée de jeu abordé le terrain de la bibliographie astrologique par le seul biais de ce qui touchait Nostradamus ; Il y a là une différence de méthodologie qui n’est probablement pas indifférente et qui nous a amené à resituer les choses autrement, à la lumière d’une expérience sensiblement plus vaste du champ astrologico-prophétique et des cas de figure pouvant se présenter.. Le Corpus Nostradamus de P. Guinard est manifestement influencé, dans sa présentation et dans son contenu, par le CATAF numérisé, tout comme il le fut par le fonds de la Bibliotheca Astrologica qui en était le pendant papier et dont il est devenu le dépositaire depuis 2010.[2]
Pour en revenir au XVIIe siècle, celui-ci nous apparait comme un siècle fortement intéressé par les sources, par les « lettres de noblesse ». On prendra le cas du libraire Antoine Besson, qui publie, au début des années 1690, une édition des centuries comportant des variantes remarquables notamment au regard de la Préface à César, variantes déjà rendues en 1672 par la première traduction anglaise des Centuries (Théophile de Garencières). La réaction d’un Patrice Guinard sera évidemment de considérer la version Besson comme l’œuvre d’un faussaire, se permettant de modifier, à sa guise, le texte canonique de la dite Préface mais il faudrait remonter au texte anglais de 1672 qui offre les mêmes particularités et dont on ne dispose pas de l’original français, du moins avant celui qui reparaitra vingt ans plus tard chez le dit Besson. Cette version est en effet bien plus satisfaisante et met en évidence les carences du texte canonique de la Préface, avec des phrases tronquées.
La mentalité des libraires du XVIIe siècle et de ceux qui travaillent pour eux est marquée par une volonté à la fois de reconstituer les éditions absentes, censées parues du vivant de Nostradamus et de rassembler un maximum de données anciennes – on voit réapparaitre dans les éditions « Pierre Du Ruau » (vers 1643-1644) et à leur suite dans d’autres éditions à paraitre à Amsterdam et ailleurs, le quatrain VI 100 et l’avertissement latin corrigé (Legis Cautio), deux éléments absents des éditions du Rosne Budapest et d’Anvers 1590, le dit quatrain VI 100 ne figurant ni chez Rousseau 1590 ni dans aucune édition Rigaud, y compris Du Rosne 1557 et Pierre Chevillot, alors que l’avertissement latin mais sous une forme corrompue – s’y trouve. Il serait bon d’apprendre à distinguer entre les contrefaçons du XVIe siècle et celles du siècle suivant et de ne pas les considérer en bloc comme étant toutes parues du vivant de Nostradamus ou au lendemain de sa mort, ce qui ne fut en réalité le cas d’aucune. On peut être tenté de placer à la suite l’une de l’autre les deux éditions du Rosne 1557. (Budapest et Utrecht) mais chacune de ces éditions est marqué par un environnement d’éditions centuriques bien différent.
Le cas des éditions Benoist Rigaud est emblématique : aucune édition du XVIe siècle des Centuries ne mentionne l’an 1568, y compris les éditions Rigaud. Ce sera l’affaire du XVIIe siècle, selon nous du fait de la récupération d’une « bibliothèque » d’ouvrages, qui rappellera qu’en 1568 était parue chez Rigaud une édition de quatrains (mentionnée par Du Verdier en 1585), si ce n’est que ces quatrains étaient ceux des almanachs de Nostradamus. Du Ruau va axer toute sa production, autour de 1643-1644 sur cette année 1568 et dans la foulée il produira carrément des éditions Rigaud ainsi datées. Mais à partir de cette époque, la référence Rigaud n’appartient plus à cette famille ni à Lyon, mais se décline à Troyes et à Avignon.
Le XVIIe siècle nostradamique offre ce double visage : à la fois, il produit des éditions antidatées qui viendront renforcer celles du siècle précédent et sans ce « renfort », le dossier des parutions dans les années 1550-1560 serait bien maigre et à la fois il exhume des documents authentiques qui avaient été pour quelque raison évacués. On en donnera pour preuve supplémentaire le cas de la traduction anglaise de 1672 qui restitue une version différente de celle de Chavigny, dans le Janus Gallicus – et des éditions qui en dériveront - du « Brief Discours sur la Vie de Maistre Michel de Nostredame. ». Il s’agit notamment de la pierre tombale, par ailleurs reproduite identiquement dans la pseudo édition Pierre Rigaud, réalisée à Avignon vers 1716.
« The inscription of his Epitaph (…) Anna Pontia Gemella ; conjugi optimo ». Or, cette partie de l’épitaphe est absente de la version Janus Gallicus. Elle ne peut donc lui avoir été empruntée et reprend des éléments d’une version antérieure, probablement celle parue en 1568 en tête du recueil Rigaud 1568 du commentaire des quatrains des almanachs. Mais comment se fait-il que Chavigny restitue en 1594 un état aussi corrompu du texte ? En fait, Chavigny remanie considérablement ce texte, ce qui ne signifie pas qu’il n’en ait pas été l’auteur au départ. Ironiquement, les lecteurs anglophones de l’édition Garencières 1672 auront bénéficié d’un ensemble de pièces sensiblement différent des lecteurs francophones des éditions centuriques, sans d’ailleurs, jusqu’à ce jour, en avoir pris conscience.[1]
Epistémologiquement, nous dirons qu’il est éminemment souhaitable de ne pas cantonner une recherche sur la seule période apparemment concernée et d’aller explorer plusieurs décennies tant en amont qu’en aval en évitant tout compartimentage a priori, une recherche devant justement à réviser certaines perspectives. On voit, en l’occurrence, l’utilité d’une telle démarche dans le cas Nostradamus. La période des années 1550-1560 aura été doublement revisitée : d’abord sous la Ligue et sous le règne d’Henri IV puis sous la Fronde et sous le régne de Louis XIV. Ce faisant, cette période aura été « gonflée », »dopée » d’éléments surajoutés qui, de surcroit, se seront surimposés aux données authentiques. Il est, en vérité, impossible voire suicidaire dans le champ nostradamique de ne pas prendre en compte les éditions manquantes, la prudence ici devenant imprudence. C’est en fin de compte les méthodes de la bibliographie qui sont amenés à changer, elles exigent une certaine aptitude à conduire un raisonnement, à formuler et à soupeser les arguments en présence et c’est ce qui confèrera à la recherche bibliographique un véritable caractère scientifique, susceptible d’attirer une nouvelle génération de chercheurs d’une autre trempe.


JHB
20. 08. 12

 



[1] Nous consacrerons une étude nostradamienne entière à la version garencières de la Vie de Nostradamus

 

 

96 - Les deux volets de prophéties- quatrains : almanachs et centuries.
Par Jacques Halbronn

Nous invitons à une relecture de la Préface à César, laquelle avait été lue jusqu’à présent sans référence aux quatrains des almanachs. Or cette série y est bel et bien désignée comme constituant un premier train de prophéties.
Les trois épitres « centuriques » que nous connaissons comportent toutes les trois une dimension de confidentialité qui contraste avec le fait que des impressions existent qui se veulent contemporaines de leur date affichée de rédaction.
C’est clair pour la Préface à César, datée de 1555, parfois de 1557 (éditions parisiennes de la Ligue) où il est mentionné explicitement « après la corporelle extinction de ton progéniteur »
Dans le cas de l’Epitre à Henri II, c’est moins évident mais cela le devient davantage, rétroactivement, à la lecture de l’Epitre à Henri IV, datée de 1605, mais calquée sur l’Epitre à Henri II, et éventuellement sur celle de Chavigny datée de 1594, en tête du Janus Gallicus, on lit « désireux que vostre Majesté en eust la cognoissance premier que nul autre ». En outre, cette Epistre se présente comme posthume et n’est pas censée être de la plume de « feu Michel Nostradamus », ne serait-ce que par la date. Il est indiqué « par moy tenues en secret », formule qui n’est pas sans évoque l’Epitre de Jean de Chevigny à Larcher ou la fin du Brief Discours sur la vie de M. Michel de Nostredame, concernant les centuries XI et XII. On notera la mention récurrente concenant les éditions augmentées « non encores iamais esté imprimées » (au titre du premier comme du second volet », procédé utilisé à deux reprises, lors du passage de 4 à 6/7 centuries et de 7 à 10 centuries. Notons que la formule laisse entendre que ces textes avaient pu circuler depuis quelque temps mais n’avaient pas encore fait l’objet d’une impression s’adressant ipso facto à un public plus large que la personne de son destinataire.
Mais revenons à l’epistre à Henri II. Si celle de 1556 était bien vouée à parâtre immédiatement, en tête des Présages Merveilleux, le « remake » de 1558 mentionne « ces trois centuries du restant de mes Prophéties parachevant la miliade « , soit dix centuries. Nostradamus ou du moins ce qu’on lui fait dire se réfère à sa « terrenne extinction », comme dans la Préface à César. « Plus sera (compris) mon escrit qu’à mon vivant »
Apparemment l’épitre à Henri II ne se situe pas dans une logique posthume comme les deux autres. C’est la seule dont il serait justifié de dire qu’elle était vouée à paraitre au lendemain de la date de la rédaction, même si elle se présente comme « terminale » puisqu’elle « parachève » la miliade. Cela dit la version atypique Besson (c 1691) de l’épitre introduit un doute : « ces miennes premières prophéties et divinations parachevant la miliade », le mot centurie n’étant pas ici utilisé ni le nombre de quatrains. On retrouve le mot « premier » comme dans l’Epitre à Henri IV, dans une phrase qui semble ne pas faire grand sens : comment, donc, les dites « premières » prophéties pourraient-elles « parachever » et pourquoi les centuries VIII-X qui suivent pourraient-elles être appelées « premières » ? L’autre version « ces trois centuries du restant de mes prophéties parachevant la miliade » semble plus correcte ou en tout cas mieux ajustée. Mais on ne peut exclure que cette épitre à Henri II ait pu initialement servir pour introduire les premières centuries.

Abordons à présent la question des impressions des dites épitres en commençant par la dernière. On peut penser que l’édition datée de 1605 sans mention de libraire, n’est pas la première à avoir été publiée par l’atelier « Pierre Du Ruau » de Troyes. Nous avons proposé 1643-1644 pour les premières éditions de cette mouvance. Toujours est-il qu’à un certain stade, les éditeurs ont été tentés de faire paraitre une édition à la date de l’épitre à Henri IV, ce qui était en contradiction avec cette intention de conférer la primeur au souverain des dits sixains ou de tout texte d’accompagnement tant il est aisé de remplacer l’annonce d’un texte par celle d’un autre. On notera que l’édition Chevillot dérivée de l’édition du Ruau a tronqué un passage de l’Epitre à Henri IV : « au Chasteau de Chantilly, maison de Monseigneur le Connestable de Montmorency » est devenu « au Chasteau de Chantilly, maison de Monseigneur le Connestable ».
C’est la même tentation qui aura conduit à se référer à une édition datée de 1555 à Avignon, chez Pierre Roux dans la série des Grandes et Merveilleuses Prédictions (1588 1590) puis plus tard, au milieu du XVIIe siècle - à produire une édition censée parue à Lyon, chez Macé Bonhomme.
Ce qui nous interpelle donc particulièrement c’est le cas de la Préface à César et la perte de confidentialité manifeste qui s’est produite en concevant l’idée d’une édition qui serait parue dès 1555..Qu’une telle évolution ait pu se produire, cela est attesté par ailleurs, mais cela ne semble pas avoir pu, néanmoins, raisonnablement, avoir été le cas de la toute première impression de la dite Préface qui aurait du se présenter comme étant sinon posthume du moins décalée, à l’instar de l’Epitre de 1605 qui ne serait parue que plus de trente ans plus tard, d’où la mention par rapport à Chevillot de l’année 1611, au lendemain de l’assassinat d’Henri IV (qui fait pendant à la mort de son fils Louis XIII, en 1643)
Nous disposons de la fausse édition Pierre Rigaud 1566, censée parue au lendemain de la mort de Michel de Nostredame et de la non moins fausse édition Benoist Rigaud 1568 mais ce sont là des éditions à 10 centuries et avec un premier volet à 7 centuries. Par ailleurs, on dispose de l’édition Rouen Raphael du Petit Val 1588 comportant un état non encore centurisé des premières centaines de quatrains, laquelle édition est actuellement incommunicable, sous quelque forme que ce soit. Mais l’on sait que la préface à César est probablement conforme aux éditions Rouen 1589 et Anvers 1590. Mais au moment où cette première édition paraissait, à notre avis, il ne devait pas encore être question d’une édition Avignon 1555. Quand bien même cette édition 1588 comporterait-elle quelque référence à une telle impression du vivant de Nostradamus, l’on rappellera que le contenu ne correspond pas au titre puisque le titre parle d’une division en « quatre centuries », ce qui n’était pas le cas. En conséquence, nous pensons qu’au départ, non seulement il n’y eut pas de contrefaçon datée de 1555 mais même pas de référence à une telle édition, tout comme la référence à une édition Benoist Rigaud de la « miliade » n’existe pas avant la mort de Louis XIII, en 1643, étant totalement absente des éditions Rigaud de la dernière décennie du XVIe siècle.
Comme dans le cas de l’épitre à Henri IV, datée de 1605 mais parue vers 1643, soit à quarante ans de distance, il sera paru vers 1588, une préface à César, datée de 1555 ou/et de 1557, soit à trente ans de distance.
Le second volet précédé d’une épitre datée de 1558, adressée à Henri II pouvait, en revanche, faire l’objet d’une contrefaçon datée de cette même année. Paradoxalement, on n’a pas conservé une telle édition mais elle a du très certainement existé, si l’on se base sur la présentation du premier volet de l’édition datée de 1557, chez Antoine du Rosne, calquée sur les éditions Benoist Rigaud des années 1590, sur lesquelles sont elles –mêmes calquées les éditions Rigaud 1568 et non l’inverse comme continue à l’affirmer Patrice Guinard.[1]. Le problème de cette édition à deux volets, c’est qu’elle comporte une énorme bévue. Au lieu d’opter pour l’année 1558 pour les deux volets, elle comporte un premier volet daté de 1557 qui annonce en son titre le second volet et donc l’épitre à Henri II de juin 1558. Certes, les faussaires troyens ont du prendre modèle sur un faux déjà paru un demi-siècle plus tôt, sous l’égide du dit Antoine du Rosne en date de 1557 et dont la vignette est remplacée par celle de la veuve Nicolas Roffet 1588, Paris. Mais ce faisant, ils auraient du s’en tenir à l’intitulé Rosne 1557 Budapest à savoir « dont il en y a trois cents qui n’ont encores iamais esté imprimées ». Or, au lieu de cela, ils reprennent à l’identique la présentation Rigaud du premier volet, avec la correction « dont il y en a » mais aussi avec la mention supplémentaire « adioustées de nouveau par dict Autheur » qui ne fait sens que si le second volet suit. Le premier volet Rosne Utrecht s’autodétruit.
Dans nos Documents Inexploités sur le phénoméne Nostradamus, paru il y a dix ans, nous avions signalé (pp 158-159) que l’Epitre à Henri IV datée de 1605 était à rapprocher d’un ouvrage intitulé « Les signes merveilleux, apparus au Ciel un jour devant & un iour apres les ceremonies de Monseigneur le Dauphin, celebrées à Fontainebleau, avec l’exposition des plus grands Astrologues de ce temps & autres propheties admirables’ » Paris, Estienne Collin, 1606, texte ignoré des nostradamologues encore aujourd’hui comme d’ailleurs le recueil de sixains de Morgard.
La confidentialité marque ce document « Ie finiray seulement par ceste autre qu’on a trouvée dans les propheties de Nostradamus non encore imprimées mais presentées à sa Majeste tres-Chrestiene par un sien parent ». La parenté avec l’Epitre de 1605 ne fait guère de doute si ce n’est qu’au lieu d’y annoncer des sixains, on fournit un quatrain qui appartient à une série restée totalement inconnue : « Diane aura de quoy pleurer sa perte etc ». Il nous semble que c’est par erreur que l’Epitre en tête des sixains est datée de 1605 ; 1606 aurait mieux convenu, qui correspondait au baptéme du futur Louis XIII, à l’âge de cinq ans.. On note la substitution d’un texte à un autre lors du recyclage d’une épitre..
On s’est demandé si dans le cas de la Préface à César, il n’y avait pas eu départ l’annonce d’un autre texte que celui des pemiers quatrains hors almanachs. Estt ce que ces quatrains correpondent au « mémoire » que Nostradamus, selon la fiction suivie, est censé avoir souhaité transmettre, le moment venu, à son fils, si tardivement arrivé.
« toy delaisser mémoire » qui est rendu d’autres versions « toy délaisser un mémoire »- en anglais « leave a Memorial » (1672) versions non prises en compte par Pierre Brind’amour dans son édition critique posthume de 1996.
Il nous semble en effet bien improbable que cette épitre contrefaite dédiée à César de Nostredame ait été initialement mise en chantier pour introduire « trois à quatre cents carmes », telle est la loi du recyclage.
Nous sommes conscients de ce que l’on ait ici affaire à des faux mais même la production de faux ne peut échapper à une certaine exigence de cohérence et de vraisemblance, du moins dans un premier temps. Si, par la suite, le texte est réutilisé, les contraintes et les circonstances ne seront plus les mêmes. .L’épitre à César est la plus ambitieuse des trois. Les deux autres épitrent surfent sur le succés supposé des premières centuries/
Etudions de plus près les quatre versions de la Préface à César dont nous disposons : la « classique », celle de l’édition Du Rosne Budapest, celle de l’édition anglaise (1672) et celle qui figure dans l’édition Besson et que nous considérons comme plus correcte. On retiendra ici la partie finale. Nostradamus y évoque sans donner aucune mesure de quantité : » esperant à toy declarer chacune des Prophéties & quatrains cy mis ». Aucune mention n’est faire des quatrains des almanachs. C’est donc la mise en orbite d’un nouveau train de quatrains, ce qui n’était nullement à l’ordre du jour à la mort de Nostradamus, Chevigny caressant alors le projet de recycler les dits quatrains d’almanachs, ce qu’il fera en les rééditant en recueil en 1568, chez Benoist Rigaud..
On reléve les variantes suivantes :
« ainsi que plus à plein ay rédigé par escrit aux miennes Prophéties » (Besson)
« as I have more fully at large declared in my other Prophecies » (Garencières)
« comme plus à plein j’ay rédigé par escript aux miennes autres propheties » (Rigaud et Du Rosne Budapest)
La formule « autres prophéties » distinguait visiblement les « anciennes « prophéties, c'est-à-dire les quatrains des almanachs et les «autres « prophéties celles du nouveau train de quatrains (à commencer par les 349 figurant dans l’édition Rouen du Petit Val 1588)/
Mais il existe un autre passage qui fait suite et qui se retrouve à l’identique dans toutes les éditions sauf celle de Budapest dont la fin de la Préface est considérée comme tronquée :
« espérant toy declarer une chacune prophetie des quatrains ici mis »
« hoping to expound to thee every Prophecy of these Stanza’s »
Il y aurait donc d’un côté les quatrains qui figurent à la suite de la Préface et de l’autre des prophéties annoncées, qui sont signalées mais absentes.
Par ailleurs, Nostradamus écrit « la miséricorde de Dieu ne sera point dispergée (en) un temps, mon fils, que la plupart de mes Prophéties seront accomplies & viendront estre par leur accomplissement revolues ».Nous pensons que Nostradamus est ici censé parler de ses prophéties d’almanachs (en 12 livres, commençant justement en 1555, année de la Préface, et s’étendant jusqu’ à 1567) qui sont supposées avoir été écrites par avance et qui auront fait leur temps.
Il nous apparait que cette Préface traite des anciennes et des nouvelles prophéties selon une dialectique qui est exposée par Chavigny à la fin du « Brief Discours sur la Vie de M. Michel de Nostredame » (pp. 6-7):
Nostradamus « a escrit XII Centuries de predictions comprises brievement par quatrains, que du mot grec il a intitulé Propheties (…) Nous avons de luy d’autres présages en prose faits depuis l’an 1550 iusques à 67 qui colligez par moy la plus part & redigez en XII livres sont dignes d’estre recommandez à la postérité ». Chavigny poursuit sa comparaison en commençant par la série 1550- 1567: « ceux-cy comprennent nostre histoire d’environ 100 ans » faisant pendant aux « Centuries » qui « s’estendent en beaucoup plus longs siecles dont nous avons parlé plus amplement sur la vie de ce mesme Auteur, qui bien tost verra la lumière »
Chavigny fait ici référence à la Première Face du Janus François qu’il entraine jusqu’en 1589, et qui au départ ne devait reposer que sur la série de présages allant de 1550 à 1567 », réservant la Seconde Face aux « Centuries ». En fait, Chavigny n’a pas respecté ce plan puisqu’il a finalement intégré, à côté des « présages », dans la Première Face une certaine quantité de quatrains extraits des 10 centuries. Par ailleurs, c’est bien le schéma de la miliade de quatrains- « parachevant la miliade » - qui s’est imposé et non celui de 12 centuries comme le souhaitait Chavigny.
Par ailleurs, la série de quatrains présages ne sera pas désignée par la suite sur la période 1550-1567 mais sur la période 1555-1567 comme on peut le voir dans les éditions qui les incluront (Chevillot ne les prend pas à la différence de Du Ruau), à partir des commentaires du Janus Gallicus d’ailleurs :
« Présages tirez de ceux faits par Me Michel Nostradamus es années mil cinq cens cinquante cinq & suivantes jusqu’en 1567’
Nous pensons que la date de la Préface à César est directement liée à ce point de départ de 1555, qui est celui des Présages et c’est donc bien ici des présages qu’il s’agit avec la dite Préface, tout en annonçant un autre « train » de quatrains, pour couvrir au-delà de la fin du XVIe siècle ; L’Epître à Henri IV datée de 1605 donne d’ailleurs à ce sujet non pas 1589 mais 1597 mais il semble qu’il y ait confusion dans le textes puisqu’il assigne ce terme au second volet. « dont le dernier finit en l’an mil cinq cens nonante sept » alors que les sixains sont censés traiter « de ce qui adviendra en ce siècle ». Or Chavigny fixait à 1589 le temps couvert par la Première Face du Janus François - « dès l’an de salut 1534 iusques à l’an 1589 »laquelle fait une large part aux quatrains présages ». Il apparait donc que l’Epitre à Henri IV soit quelque peu décalée par rapport aux positions de Chavigny mais rappelons qu’elle a été vraisemblablement rédigée un demi-siècle plus tard.
Nous pensons donc que la Préface à César est liée au commentaire de la série 1555-1567. Elle pourrait avoir figuré en tête d’une première mouture de la Première Face du Janus François de Chevigny/Chavigny sans référence à d’autres prophéties. Par la suite, quand on la plaça en tête des « centuries », l’on modifia la Préface aux présages pour leur apporter une légitimité et laisser entendre que Nostradamus avait bel et bien par devers lui une autre série de quatrains. L’édition Besson, qui ne comporte pas « autres « devant Prophéties restituerait donc le premier état de la Préface avant l’interpolation. Les « quatrains icy mis » dont il s’agit dans la Préface sont donc bel et bien ceux des almanachs et il semble que l’on ait attribué à Nostradamus lui-même le commentaire qui figurera par la suite dans la Première Face du Janus François, lequel commentaire aurait donc été complété par la suite par Chevigny/Chavigny. D’ailleurs si l’on examine le sous titre de la dite Première Face- en français- il est bien question des «centuries et autres commentaires de M. Michel de Nostredame », alors qu’en 1596, on parle des « Commentaires du Sr de Chavigny sur les Centuries et Prophéties de feu M. Michel Nostradamus ». Dans le Brief Discours, Chavigny fait explicitement référence à un tel commentaire de Nostradamus, ce qui implique que ce commentaire ait été publié en 1568 : « si vray est-ce que j’en ay trouvé en plusieurs lieux des Commentaires de sondit père, notamment sur l’an 1559. & (es) mois de juillet où je renvoie le lecteur ». On peut même penser que l’ouvrage paru en 1568 portait bel et bien le nom de Commentaire –(Chavigny utilise une majuscule) et aurait pu s’intituler grosso modo « Commentaire de M. Michel Nostradamus sur ses quatrains de prophétie depuis les années 1555 iusques à 67, disposés en dix centuries », ce que Du Verdier aurait rendu en 1585, dans sa Bibliothèque (-Lyon, B. Honorat) par « Dix Centuries de quatrains, Benoist Rigaud 1568 ». On peut penser que Nostradamus ne commenta pas les deux dernières années 1566 et 1567, étant mort le 2 juillet 1566, ce qui donne dix années : 55, 56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, si l’on exclue par ailleurs l’année 1556 dont les quatrains sont absents du Recueil des Présages Prosaïques. Cela dit, il nous parait très peu vraisemblable que Nostradamus ait commenté des quatrains. Le commentaire est à notre avis l’œuvre d’un autre, éventuellement le dit Chevigny qui en 1596 jettera le masque en changeant le titre du Janus Gallicus pour Commentaires du Sieur de Chavigny sur les Centuries et Prognostications de feu M/ Michel de Nostradamus. Il convient de revenir, dès lors, sur un passage des Significations de l’ eclipse de 1559 qui fait dire à Nostradamus « comme plus amplement est déclaré à l’interprétation de la seconde centurie de mes Propheties ». Il nous semble que ce passage de ce texte renvoie bel et bien à un recueil de « centuries » de commentaire de ses quatrains présages si ce n’est qu’un tel recueil ne pouvait exister en 1558, les dites centuries couvrant une période allant selon nous jusqu’en 1565 et n’étant parues qu’en 1568. Cela confirme le fait que ces Significations sont une contrefaçon, non point parce qu’elles se référent aux nouvelles et « autres » prophéties mais parce qu’elles mentionnent un ouvrage qui n’était pas encore paru en 1558. ..

On note qu’au titre de l’édition de 1594, il n’avait pas été précisé que Nostradamus était mort. De même, on a supprimé le terme de 1589 et on a remplacé dans la dite édition de 1596 par « jusques à présens »
Il nous apparait donc comme absurde de constituer un canon centurique comportant la Préface à César sans au moins les quatrains présages- ce que ne fera pas la famille Rigaud- voire sans les commentaires du Janus François, au moins jusqu’en 1566, date de la mort de Nostradamus. L’édition du Ruau en ce sens est plus satisfaisante puisqu’elle intègre en son sein sinon la totalité des quatrains présages du moins ceux commentés dans le Janus Gallicus mais sans les commentaires. L’édition Besson procède de même. En revanche, l’édition anglaise ne comporte pas les Présages mais elle accompagne les quatrains centuriques d’un commentaire, non pas celui du Janus Gallicus mais celui de l’Eclaircissement des véritables quatrains de Giffré de Réchac (1656) ; Il semble que le dominicain ait emprunté aux deux grandes sommes qui se complétaient peu ou prou. Autrement dit, l’édition anglaise refuse d’associer la Préface à César aux quatrains des almanachs et propose un commentaire des Centuries en faisant croire que c’était bien de cela qu’il s’agissait dans la dite Préface.
On aura donc pu observer que les diverses épitres ont une histoire initialement non centrée sur les Centuries et qu’elles auront été remaniées pour annoncer les trois « livrets », comme le précise l’Epitre à Henri IV, selon une stratégie de substitution et de légitimation. La Préface à César ainsi remaniée n’était d’ailleurs pas censée annoncer les 10 centuries mais les 4 premières, à la rigueur les 7 premières. L’Epitre à Henri II était censée servir, avec la bénédiction de Nostradamus, à accréditer les centuries VIII-X ‘parachevant la miliade » tandis que l’Epitre à Henri IV avait pour objet de justifier l’intégration des 58 sixains, en se substituant à un texte annonçant des quatrains, lequel texte a disparu et dont nous ne connaissons qu’un seul quatrain. Dans le troisième cas, on aura préféré carrément situer l’Epitre après la mort de Michel Nostradamus mais en respectant le même scénario. « Ayant (il y a quelques années) recouvert certaines Prophéties ou Pronostications, faictes par feu Michel Nostradamus, des mains d’un nommé Henry Nostradamus, neveu du dit Michel, qu’il me donna avant de mourir & par moy tenues en secret iusques à présent (…) recogneu que j’ay la verité de plusieurs sixains advenus de point en point comme vous pourrez veoir ». Cela dit, les sixains ne sont accompagnés d’aucun commentaire ; on laisse au lecteur le soin de faire les rapprochements appropriés. Initiative assez étrange au demeurant que de déclarer que les quatrains sont dépassés et qu’il faut faire la place pour des sixains, tout comme dans la Préface à César remaniée, l’on fait passe à la trappe les quatrains des almanachs pour ne plus considérer les centuries. Tout se passe comme si le temps des centuries n’aurait duré que jusqu’à la fin du XVIe siècle, en faisant abstraction des quatrains présages. En réalité, de telles tentatives vont échouer : les Sixains ne parviendront pas au XVIIe siècle à surpasser les Centuries et les Centuries, tout au long du dit siècle, devront cohabiter avec les « Présages » des almanachs.
A la lumière de nos conclusions concernant l’évolution de la destination de la Préface à César, il ressort que l’on est placé dans l’hypothèse selon laquelle Nostradamus aurait publié par avance dès 1555, les quatrains des années à venir jusqu’en 1567 voire qu’il ait déjà produit à cette date les Centuries, ses « autres » prophéties. Une telle représentation des choses a fort bien pu être adoptée, à tort, par les faussaires au vu de certaines déclarations de Chevigny/Chavigny.
Quand celui-ci écrit notamment qu’il existe un recueil de présages « faits depuis l’an 1550 iusques à 67 », une lecture trop rapide peut laisser croire que ce document avat été composé dès les années 1550 comme c’est le cas pour les prédictions (perpétuelles) pour 20 ans ou 13 ans qui ont circulé dans les années 1560-1570 sous divers noms de « successeurs » de Nostradamus, comme Michel Nostradamus le Jeune ou Antoine Crespin Nostradamus, alors qu’en réalité, il s’agit d’un recueil qui aura du attendre la publication posthume de l’almanach pour 1567 pour être cloturé. Il est vrai que Chavigny n’est pas assez explicite à ce propos d’autant qu’il aborde en parallèle le cas de ces centuries qui sont elles aussi des « recueils » de quatrains, le mot « centurie » semblant d’ailleurs avoir pris parfois ce sens synonymique de « recueil », sans considération du nombre de quatrains réunis.
Mais que dire de l’épitre à Henri II datée de 1558 et qui complète la Préface à César en introduisant un nouveau volet de Centuries, ce qui donnerait ainsi grosso modo 1000 quatrains ? Cette épitre suppose précisément qu’un premier volet soit paru. Or, la Préface à César n’indique à aucun moment que ce soit le cas, puisqu’elle se réfère à d’autres prophéties tout en précisant que celles qu’elle introduit sont les anciennes prophéties désormais « expliquées », « déclarées » et encore Nostradamus ne dit-il pas qu’en 1555, il les a déjà commentées, ce qui serait absurde puisque cela exige de les vérifier au regard d’événements à venir comme cela ne sera le cas qu’en 1568, une fois le dernier almanach (pour 1567) paru, année qui est le terminus du Recueil des Présages Prosaïques, ouvrage qui ne comporte pas de commentaires- sinon quelques notes en marge (de Chavigny) à moins que par commentaires on entende l’interprétation que Nostradamus donne des positions planétaires...Donc, l’Epitre à Henri II suppose, en 1558, la parution préalable d’un premier volet de ces ‘ »autres prophéties », laquelle épitre d’ailleurs, du moins dans la version canonique, se réfère à la Préface à César..(on ne trouve pas cette référence dans la version Besson qui ne s’en réfère pas moins à une miliade). Initialement, on l’aura compris, cette Préface à César présuppose l’existence dès 1555 d’une première série de quatrains-présages (ceux qui paraitront année par année dans les almanachs mais qui auraient pu déjà figurer dans un ensemble pluriannuel comme cela semble avoir été le cas pour les Pronostications). Nostradamus s’engage à commenter ces quatrains et à en laisser le commentaire à son fils, « espérant toy déclarer une chacune prophétie des quatrains ». S’il « espère », c’est que cela n’est pas encore fait. Autrement dit, cette Préface est supposée introduire les quatrains « secs » des almanachs sans commentaire, le commentaire devant venir en temps et en heure, sur la base d’une nouveau mémoire. Mais en attendant, Michel Nostradamus lègue à son fils les dits quatrains qu’il ne publiera qu’année après année. C’est en tout cas le scénario qui sous tend la Préface à César, qui n’est jamais qu’un faux, lui-même retouché...Cela dit, on peut supposer que lorsque les commentaires de Nostradamus sur les dits quatrains présages furent publiés à sa mort, qu’il ait été ou non l’auteur des dits commentaires –cette Préface à César a pu servir sur la base des dernières lignes- « espérant toy déclarer etc » - qui selon nous ont été rajoutées, d’où leur absence dans la version du Rosne 1557 Budapest. En effet, après avoir terminé son exposé, la dernière phrase de la Préface apporte une ultime information qui nous semble bel et bien interpolée : « Faisant fin mon filz prends donc ce don de ton père M. Nostradamus[espérant toy déclarer une chacune prophétie de quatrains ici mis]. Priant au Dieu immortel etc » Nous avons mis entre crochets l’interpolation que nous diagnostiquons et qui ressort notamment de la comparaison entre le texte de la Préface Du Rosne Budapest et celui de la Préface Du Rosne Utrecht. Ainsi, l’Epitre à Henri II n’a pu être élaborée qu’une fois les sept premières centuries parues, c'est-à-dire vers 1590. Elle se fonde sur une certaine lecture de la Préface à César, telle qu’elle figure en tête du premier volet de centuries. En fait, elle ne retient de cette Préface que le fait qu’elle introduit le dit premier volet et ne se soucie pas d’en cerner la véritable portée et ce faisant il apparait que l’idée de faire précéder le second volet d’une nouvelle mouture de l’Epitre à Henri II était une fausse bonne idée qui vient confirmer le poids des contrefaçons dans le processus centurique.

 

 



JHB
20. 08. 12

[1] Cf son travail sur son cite repris dans la Revue Française d’Histoire du Livre, 2008

 

 

97 - Les deux frères Nostradamus : Michel (le Jeune) et César
Par Jacques Halbronn

Dans la présente étude, nous entendons réhabiliter la mémoire de Michel Nostradamus le Jeune dont certains éléments semblent indiquer qu’il fut bel et bien le fils ainé de Michel de Nostredame.
Nous avons signalé, en effet, dans de précédents travaux[1], certaines lacunes du « Brief Discours sur la Vie de M. Michel de Nostredame » (à l’intérieur « Vie sommaire de l’auteur ») tel qu’il figure dans la Première Face du Janus François de Jean-Aimé de Chavigny ou plutôt dans l’édition de 1596, dont la version de la « Vie » fit référence. On le sait parce que les dernières lignes figurant dans le Janus ne s’ y retrouvent pas et pas davantage dans les Vrayes Centuries et Prophéties.(cf infra). Les lacunes sont assez flagrantes quand on compare ce texte Besson qui est identique à toute la série parue depuis 1596, avec Les commentaires du Sr de Chavigny à Paris, en passant par Amsterdam 1668 ; avec la traduction anglaise de 1672 Garencières, qui reprend de longs passages de l’ »pologie pour Michel Nostradamus avec l’Histoire de sa vie etc », in
Eclaircisssement des Véritables Quatrains (1656) de Jean Giffré de Réchac alias Jean de Sainte Marie [2], dont il emprunte également les commentaires de certains quatrains centuriques/
Le cas de la pierre tombale tronquée est emblématique avec la disparition du nom de la seconde épouse et donc veuve de M. Nostradamus, Anne Gemelle. En 1656, Giffré de Réchac rétablit l’intégrité du texte dans son Eclaircissement.
Un des mérites de l’édition Pierre Rigaud 1566 aura été de reproduire la pierre tombale de Michel de Nostredame et donc ce faisant de corriger les carences du Brief Discours. Il est quand même étonnant qu’il ait fallu attendre le début du XVIIIe siècle pour que figure le texte intégral, hormis bien entendu la parution de l’imprimé repris par Theophilus de Garencières- sans parler de l’Eclaircissement de 1656 et que Chavigny avait retouché à sa façon.
Nous comparerons ce texte avec celui paru chez Antoine Besson vers 1691, lequel Besson a notamment le mérite d’avoir publié le texte français de la Préface à César qui avait été traduit 20 ans plus tôt par Theophilus de Garencières. Mais dans le cas du Brief Discours, on est loin du compte.
Mais auparavant, on notera qu’il semble de plus en plus évident que Nostradamus avait publié- ou du moins c’est ainsi que cela se serait présenté- une sorte d’autobiographie, associée à ses Commentaires de ses Quatrains présages, issu des almanachs qui se sont succédé au cours des années 1550-1560. ». Il est remarquable que ces supposés Commentaires de Nostradamus sur ses quatrains d’almanachs, probablement parus à Lyon chez Benoist Rigaud, avec la complicité d’un Jean de Chevigny, ne soient pas pris en considération par les nostradamologues. Il était pourtant logique que M. Nostradamus dressât le bilan de ses prévisions depuis s les années 1550 et que le dit bilan parût au lendemain de sa mort.
On trouve dans le même Discours une autre mention de cet ouvrage :
Besson « Dont vient que nostre Auteur en ses Commentaires dit avoir receu comme de main en main la connoissance des Mathematiques de ses antiques progéniteurs » Et il est rappelé un passage de « la préface sur ses centuries » mais ce dernier passage est absent de l’édition anglaise et aura été interpolé pour évoquer la Préface à César aux centuries. On arrive au marriage avec Anne Ponce Gemelle, dont le nom a été effacé chez Besson comme chez Chavigny/ « Il se maria en seconde nopces » lit-on chez Besson au lieu de He married his second wife ; Anne Ponce Gemelle by whom he had three Sons and one daughter, the eldest was Michel Nostradamus who hath written some pieces of Astrology printed in Paris in the year 1563 ». The second one was Cesat Nostradamus etc “ On retrouve des elements de ce type chez Besson mais à la fin du Discours: “De sa seconde femme il a laissé six enfants, trios fils et trois filles. Le I. des masles ; nommé César (…) en celui auquel il a dedié ses Centuries nous devons esperer de grandes choses, si vray est ce que j’en ay trouvé en plusieurs des Commentaires de son dict Père, notamment sur l’an 1559 ». Un tel commentaire, on le voit est bien consacré aux quatrains des almanachs. La référence aux Commentaires de Nostradamus est donc répétée./ On trouve chez Garencières, dans le Brief Discours une référence au Seigneur du Pavillon (probablement au sujet de ses Contreditz à Nostradamus ‘(1560) et une autre à La Croix du Maine, dont la Bibliothèque parut en 1584, autant d’éléments absents chez Besson. Mais il doit cela à l’Eclaircissement de 1656 paru anonymement mais œuvre du dominicain Giffré de Réchac.
En revanche, tout un développement concernat le diptyique Quatrains/Centuries est absent chez Garencières qui cite quelques ouvrages de Nostradamus –dont la Paraphrase qu’il signale comme parue chez Antoine du Rosne, en 1557 mais point les Centuries.
On notera que le Brief Discours ne fut pas intégré dans les éditions troyennes. Il n’apparait d’ailleurs qu’à partir de 1649, soit peu après l’édition Du Ruau que nous situons autour de 1643 - dans la série Vrayes Centuries et Prophéties, qui notamment sera imprimée, en français à Amsterdam, en calquant le texte figurant non pas dans le Janus Gallicus mais dans les Commentaires du Sr de Chavigny paru en 1596 et qui ne reprend pas la fin du Brief Discours ::
Passage supprimé :
« Ceux là, à scavoir les Centuries s’estendent en beaucoup plus longs siècles dont nous avons parlé plus amplement en un autre discours sur la vie de ce mesme Auteur, qui bientost verra la lumiere, où nous remettons le Lecteur, ensemble au dialogue Latin qui cy apres sera rapporté. »
Il est remplacé si l’on peut dire par ces quelques mots : « tant de présent que de l’avenir » . Or, en coupant ce passage, l’on tronque le texte, puisque l’on a d’abord « Ceux-cy » mais « ceux là » disparait. Pour la réédition de 1596, Chavigny n’aura pas souhaité revenir sur un projet mais en même temps, son exposé s’en trouve déséquilibré. Il est clair que la Première Face du Janus Gallicus, à la lumière du Brief Discours , s’articule sur les quatrains des almanachs – le titre indique que l’on commence en 1534 jusqu’à nos jours (ou dans la version 1594) jusqu’en 1589, alors que les Centuries, notamment dans le passage supprimé, visent les temps à venir. Comme Chavigny utilise déjà les Centuries dans sa partie rétrospective, il valait peut -être mieux ne pas trop souligner l’opposition entre les deux séries de quatrains.
Selon nous, Garencières bénéficie de sources tout à fait exceptionnelles, comme on le savait déjà concernant sa version de la Préface à César. Etonnamment, c’est en anglais que ce pactole est passé à la postérité et est resté largement ignoré des chercheurs francophones, sans d’ailleurs que cela ait suscité une connaissance plus approfondie du domaine chez les chercheurs anglophones qui ne connaissent pas la chance qui est la leur. Quant à Besson, s’il a bien réceptionné une version atypique- mais selon nous plus authentique – de la dite Préface à César, en revanche, cela ne fut pas le cas pour le Brief Discours. Theophilus de Garencières qui emprunte largement à l’Eclaircissement des véritables quatrains de Giffré de Réchac (1656), un des fondateurs de la « critique nostradamique » contribue à fournir des textes moins corrompus.
Sa version met, en tout cas, en évidence, le fait que la version figurant dans la Première Face du Janus François, si elle s’appuie sur un texte probablement très proche de celui traduit en anglais, n’en présente pas moins un texte sensiblement interpolé avec à la fois de additions et des omissions, comme ce nom de la veuve de Michel Nostradamus : était-ce pour des raisons personnelles si Chevigny n’avait pas gardé le meilleur souvenir de cette personne. On note que Garencières et Chavigny ne fournissent pas la même description des en enfants du couple. Pour Chavigny, César est l’ainé, pour la version anglaise César est le deuxième fils de ce « lit ». Mais là encore n’y a-t-il pas quelque règlement de compte avec un Michel Nostradamus le Jeune, qui serait l’ainé et dont on connait bien l’œuvre encore qu’il soit généralement considéré comme un « imposteur ».
Le texte anglais nous invite à réviser singulièrement notre jugement sur l’ainé d’Anne Ponce Gemelle à moins d’imaginer que Garencières véhicule une version favorable à ce Nostradamus junior. Ce qui est clair en tout cas, c’est que d’une part le nom de la mère du dit Michel qui porte le même prénom que son père, est occulté à deux reprises et dans le cours du texte et sur la pierre tombale et que d’autre part l’exposé sur la famille de Nostradamus est brusquement interrompu après la mention du « mariage en secondes nopces » pour ne reprendre que plusieurs pages plus tard et en fait presque à la fin « De sa seconde femme il a laissé six enfants, trois fils & trois filles. Le Ier. des masles nommé César » qui est mis singulièrement en valeur- c’est d’ailleurs le seul enfant dont le nom est fourni. Il est dit de lui qu’il est un « personnage fort gaillard & gentil esprit, en celui auquel il (Nostradamus) a dédié ses Centuries premières duquel nous devons espérer de grandes choses etc » et on laisse même entendre que son père parle de lui dans ses « Commentaires » sur l’an 1559. Tout cela tendrait plutôt à nous faire douter très sérieusement de l’authenticité de la dite Préface à César dont nous avons plus haut qu’elle avait fait l’objet d’une interpolation, absente du document Garencières..
Revenons donc sur Michel de Nostradamus le Jeune qui serait mort en 1574 (et non 1570 comme on lit parfois) lors du siège de Le Pouzin. Il aurait été exécuté pour avoir mis le feu à la ville afin que ses prédictions se réalisent, selon un récit de Merle d’Aubigné (cf. infra). Benazra, qui ne connait pas le texte anglais, ni celui de l’Eclaircissement de Réchac, écrit à son sujet : » Nous avons vu que cet imposteur s’intitulait dans ses premières publications « Mi. De Nostradamus (1564-1568) D’ailleurs la signature est identique, dans le graphisme, avec celle de « Nostradamus Le Jeune »[3]. Cette question des divers noms utilisés n’est pas déterminante pour qualifier une imposture.
.On a conservé notamment, à la Réserve de la BNF, des Prédictions pour 20 ans –(…) par Mi, de Nostradamus le Jeune, Rouen, Brenouzer, paru en 1568. Mais ces Prédictions valent jusqu’en 1583, ce qui les fait paraitre, pour la première fois, vers 1563, date indiquée dans le Brief Discours version Garencières. En fait, les Présages pour treize ans qui paraitront en 1571, à Paris, chez N. Du Mont, sous le nom de Michel Nostradamus le Jeune, sont extraites des Prédictions pour 20 ans et se terminent également en 1583. Signalons aussi en 1571, les Prédictions des choses plus mémorables, Troyes, Claude Garnier,[4] qui poussent jusqu’en 1585, à partir de 1571.Ce Nostradamus Le Jeune était un adepte des prédictions pluriannuelles, et en quelque sorte des « perpétuelles vaticinations » dont il est question dans la Préface à César. On a son portrait associé d’ailleurs avec le premier quatrain de la première centurie. Or, pour nous, ce n’est nullement quelque emprunt à son père mais bien plutôt sa contribution, volontaire ou non, aux Centuries. Pierre Du Ruau – ou ceux qui publient sous le nom de ce libraire- au XVIIe siècle, adoptera d’ailleurs le dit portrait sur la page de titre de certaines de ses éditions des Prophéties, ce qui pourrait être soit une erreur, soit un clin d’œil

Ces observations ne débouchent nullement sur la mise en cause de Chavigny comme étant aussi Chevigny. Au contraire, le fait qu’il intervienne à ce point dans la représentation de la vie de Nostradamus pourrait apporter un cachet d’authenticité à son histoire. Dans le Brief Discours, Chavigny/ Chevigny se met en avant et parle à la première personne et l’on pourrait dater la mouture anglaise du Discours du milieu des années 1580 en ce qu’il cite – dans le texte anglais- des données bibliographiques reprises de La Croix du Maine, concernant le frère de Nostradamus, Jean, note d’ailleurs placée juste après la reproduction du texte de la pierre tombale. Mais ailleurs, le texte se réfère à Louis XIV et nous rapproche sensiblement de 1672. « Louis the XIV now Reigning »
Or, si Chavigny est l’auteur de ce texte, pourquoi l’aurait-il par la suite modifié ? On peut concevoir qu’il ait adopté de nouvelles positions. De même ce n’est pas parce que Garencières ajoute des notes se référant à des périodes plus tardives que son texte ne s’appuie pas sur un état initial du Discours.
On relève le point de vue qui est donné dans ce Discours sur l’Epitre à Henri II : « Having been so much honoured at Court, he went back again to Salon where he made an end of his last Centuries, two years after he dedicated them to the King Henry the II in the year 1557 (sic). Il voit dans cette Epitre des points qui concernent le destin du Roi Soleil.
Mais retenons le récit des heures qui précédèrent la mort de Michel Nostradamus, le Père.
Dans le texte anglais, il est question d’un témoin : »A friend of his witnessed that at the end he had written with his own hand upon the Ephemerides of John Stadius these Latin words Hic prope mors etc (..) and the day before his death, that friend of his etc”
Or que donne le texte français ? ‘”Que le temps de son trespas lui fut notoire, mesmes le jour voire l’heure, je le puis témoigner avec vérité. Me souvenant très bien etc (…) & sur le tard prenant congé de luy iusqu’au lendemain matin, il me dit ces paroles. Vous ne me verrez pas en vie au Soleil levant »
La comparaison a de quoi nous laisser perplexe. Est-ce que Chavigny n’aurait pas récupéré ce témoignage d’un ami (« friend ») ayant veillé Michel Nostradamus sur son lit de mort ou bien est-ce l’auteur du texte anglais qui aura préféré éviter la première personne du singulier ?
Le texte anglais comporte un développement qui manque dans le texte français : on y parle de faux almanachs que Michel Nostradamus aurait produit pour s’amuser et qui touchaient juste néanmoins mais par ailleurs des libraires, nous dit-on, firent paraitre de faux almanachs à son nom. Et le texte de conclure « that was the cause that the Lord Pavillon wrote against him » Il s agit des Contreditz à Nostradamus (Paris, 1560), ouvrage qui en réalité, en dépit de son titre, n’est nullement consacré à Nostradamus. Ce passage est en fait repris de Giffré de Réchac dont il traduit notamment l’Apologie.(« Apology for Nostradamus »), texte placé immédiatement à la suite de The Life of Michael Nostradamus. Mais on notera l’accent mis sur les almanachs et non sur les centuries dans le texte anglais alors que le texte français associe le retour à Salon « il se mit à escrire ses Centuries & autres présages commençant ainsi « D’Esprit divin l’âme présagé atteinte etc. » lesquelles il garda longtemps sans les vouloir publier » Et c’est ainsi que Nostradamus aurait été convié à la Cour en 1556. Dans le texte anglais, l’arrivée à la Cour n’est pas associée à la publication des Centuries.
Certes, il est bien clair que le texte anglais est lui-même composite, Garencières y met certainement son grain de sel. Mais dans l’ensemble, celui-ci devait avoir eu sous la main une version de départ du Discours qu’il aura dans l’ensemble mieux restituée que le texte français repris dans le Janus Gallicus et tout au long du XVIIe siècle, dans toute une série d’éditions, les autres éditions se dispensant carrément d’en faire état.
Pour en revenir à Michel Nostradamus le Jeune, nous considérerons désormais qu’il peut fort bien s’agir du premier enfant du couple d’Anne Ponsard ( veuve de Jean Beaulieu) et de Michel qui se marièrent, au lendemain de la peste de 1546, le 11 novembre 1547. Cet épisode, note Benazra, est relaté par Nostradamus dans son Traité des fardements (et repris en allemand en 1572) : « Il est une épidémie terrible dont Nostradamus nous a fait l’effrayant récit. C’est celle qui s’est déclaré au printemps 1546, à Aix-en-Provence. Il sera engagé par la ville d’Aix-en-Provence pour lutter contre la terrible maladie. Il écrira plus tard dans son Traité des Fardements :
« ... & qu’il soit vray, l’an mil cinq cens quarante six, que je feus esleu & stipendié de la cité d’Aix en Provence, ou par le Senat & peuple je fus mis pour la conservation de la cité, où la peste etoit tant grande, & tant espouventable, qui commença le dernier de may, & dura neuf mois tous entier.»
Il existe une confirmation officielle de la présence de Nostradamus à Aix dans les archives communales cette ville. Le trésorier de la cité inscrivait une note de frais sur son registre comptable, dans le courant du mois de juin 1546, à l'adresse de « Me Michel de Nostredame ». Nous sommes donc assuré de la présence de Michel à Aix-en-Provence en juin 1546 ».
Dans le Brief Discours,, il est indiqué à ce propos que de Launay a décrit cette peste « en son Théâtre du Monde, selon les vrais rapports qui lui en furent faits par nostre Autheur »
Michel Nostradamus, le fils, aurait pu avoir 16 ans en 1563, quand il publie certaines prédictions sur plusieurs années, probablement sous la houlette de son père, son frère naissant, nous dit-on, à la fin de 1553. On ne voit donc pas pourquoi Nostradamus se serait spécialement adressé à son jeune fils César en 1555 alors qu’il avait déjà un premier fils, Michel, peut-être âgé de sept ou huit ans. On peut même se demander si Nostradamus ne se serait pas justement adressé à Michel et si le nom de Michel, comme dédicataire, n’aurait point été par la suite remplacé par celui de César, notamment si le dit Michel était mort en 1574.
On reprendra un récit trouvé sur le website de la ville de Le Pouzin, en Vivarais, à propos de sa fin survenue lors du « siège soutenu par la garnison protestante contre l'armée royale le (5)15 octobre 1574 . Après avoir repoussé un violent assaut, les murailles s'étaient écroulées, les assiégés quittèrent la place en pleine nuit dans une ville déserte qui fut pillée, saccagée. C'est à l'occasion de ce siège que périt le fils de Michel de Nostradamus dont l'histoire est racontée par Merle d'Aubigné ( 1794-1812 ) dans l’Histoire de la réforme au xvi ème siècle ( 1863 ) .
« Il y avait à l'armée catholique un jeune Nostradamus , fils de Michel de Nostradamus .Un des chefs de l'armée , St Luc , lui demandant ce que deviendrait Le Pouzin ( qu'ils allaient assiéger ) le pronostiqueur après y avoir pensé profondément , répondit qu'il périrait par le feu, et le même fut trouvé , comme on pillait la ville , mettant le feu partout . Saint Luc le lendemain, le rencontrant, lui demanda « Or ça, notre maître, ne vous voit il rien arriver aujourd'hui d'accident ». Le devineur n'eut pas sitôt répondu non, que l'autre lui donna de la baguette (épée) dans le ventre, et le cheval sur qui il était, fait à cela, lui enfonça la rate d'un coup de pied, paiement de sa méchanceté. Ainsi périt le fils de Nostradamus sur la commune de Le Pouzin « .
Signalons que ce Nostradamus le Jeune se serait également chargé de la réédition de certains ouvrages de son père ; Patrice Guinard a ainsi recensé, dans son Corpus Nostradamus, le Bastiment de plusieurs receptes, pour faire diverses Senteurs & lavemens pour l'embellissement de la face & conservation du corps en son entier : Aussi de plusieurs Confitures liquides, et aultres Receptes secretes et desirées non encore veües.
(De l'imprimerie de Guillaume de Nyverd, Imprimeur ordinaire du Roy, & Libraire à Paris, tenant sa boutique en la Court du Palais). Guinard ajoute que cette édition « contient une épître de Nostradamus le Jeune à madame Renée d'Espinay, Dame de Hugueville, et porte la signature de Mi. de Nostradamus, un imposteur (sic) qui tente de se faire passer pour le fils du salonais. Le portrait au titre du dit Nostradamus le Jeune est celui apposé au titre des Predictions pour vingt ans du même (Rouen, Pierre Hubault, vers 1569), dont La Croix du Maine (1584, p.330) signale une édition parisienne chez Nyverd en 1567. Ce portrait réapparaît sous une forme différente dans l'édition troyenne des Prophéties de 1605. »
On dispose désormais par ailleurs (cf propheties.it) du Recueil de révélations et Prophéties merveilleuses de Ste Brigide, St Cyrille et autres saints et religieux person­nages, par Nostra Damus le Jeune, Venise, Castavino d'Alexandrie, 1575

Guinard signale encore de Mi. de Nostradamus, la parution à Paris, chez la veuve Jean Bonfons, sd [1569] de L'Embellissement de la face et conservation du corps en son entier. Ensemble pour faire divers lavemens, farfuns et senteurs. Avec la maniere de faire toutes sortes de confitures liquides & excellentes.(…). Recueillis des oeuvres de M. Mi. de Nostradamus, par messieurs les Docteurs en la faculté de medecine de la ville et cité de Basle, Dedié au peuple de France. Commentaire de P. Guinard : « Une seconde contrefaçon de Mi. de Nostradamus dit le Jeune, qui date son épître adressée "Au peuple de la France" du 6 juillet 1569. «
Il estassez remarquable qu’au lieu de dénoncer les fausses éditions des Centuries, d’aucuns crient à l’imposture, un peu vite, à l’encontre d’un Michel Nostradamus le Jeune ou d’un Antoine Cespin Nostradamus. Dans le cas du premier, l’on peut supposer que cela tienne au fait que le dit Michel n’est pas signalé dans le Brief Discours, version Chavigny. D’une certaine façon, nous aurions tendance à penser que c’est César l’imposteur. Cette histoire entre deux frères n’est pas sans évoquer Esaü et Jacob, avec le plat de lentilles. /
Benazra signale[5] que Balthazar Guynaud, dans « La vie et l’apologie de Nostradamus » in La Concordance des Prophéties de Nostradamus (1693) avait contesté le texte biographique du Janus Gallicus : « quoi qu'à la vérité il n'en eut jamais que quatre ; sçavoir trois garçons & une fille. Le premier porta le nom de Michel Nostradamus, & se mêloit aussi de pronostiquer comme son père ; mais ne réüssissant pas comme lui, il abandonna cette Science, & se contenta de donner au public un Traité d'Astrologie qu'il fit imprimer à Paris en l'année 1563. » (pp. 10 - 11)
Et Benazra de commenter : « En fait, c'est Jean-Aimé de Chavigny qui avait raison (sic) : Nostradamus et son épouse Anne Ponsard eurent six enfants, trois garçons et trois filles : Madeleine, César, Charles, André, Anne et Diane. Il n'existe aucune trace dans les actes officiels d'un premier-né de Nostradamus portant le prénom de son père. Il paraît invraisemblable, ses parents s'étant mariés fin 1547, que ce pseudo-Michel pût être l'auteur de pronostications vers l'âge de treize ans, c'est-à-dire avant 1563, et d'un Traité d'Astrologie à cette date. D'ailleurs, César nous a bien dit qu'à la visite de Charles IX à Salon, les enfants étaient tout petits » . Le témoignage de César vaut ce qu’il vaut. Si Michel Nostradamus s’est marié fin 1547, on ne voit pas pourquoi il aura attendu six ans, jusqu’à fin 1553, alors qu’il était déjà âgé, pour l’époque, avant d’avoir un fils. Et que dire du manuscrit de la Bibliothèque Méjanes (Aix en Provence), Abrégé de l’Histoire de Michel Nostradamus par M. Palamédes Tronc de Coudoulet qui reprend la même version que celle de Réchac : « il eut quatre fils & trois filles (….) appelé Michel mourut après avoir fait imprimer l’an 1563 un traité d’Astrologie. Le second fut César (…) Michel Nostradamus se mélait de parler de l’avenir comme Michel (…) désirant succéder à son dict père » Suit l’épisode fatal de Le Pouzin. Benazra en a donné une édition mais apparemment il n’a pas su ou voulu tenir compte de telles informations.[6]
Le terme « traité d’astrologie » ne veut pas dire grand-chose non plus, cela peut fort bien désigner des Prédictions comme celles qui nous sont parvenues sous le nom de Michel Nostradamus le Jeune ou toute autre variante. Quant au critère de l’âge, là encore, ce type d’ouvrage n’était pas d’un très haut niveau. En revanche, on imagine mal ce Nostradamus le Jeune publier cela sans l’accord de son père lequel selon nous ne détestait pas déléguer. Il n’est pas impossible qu’il ait demandé à son ainé, en une sorte de jeu, de composer des quatrains à partir de ses textes en prose. En ce qui concerne la Préface à César, il n’est quand même pas indiqué que César soit l’ainé.
On notera que Guynaud reprend, sur certains points textuellement le texte Garencières mais il est également très proche de l’Eclarcissement de 1656, mais dont Garencières également s’inspire. En fait, force est de constater que Garencières traduit largement Réchac, lequel, faut-il le préciser, est un historien aguerri, qui s’illustrera par de nombreuses biographies de religieux et religieuses.
On a l’impression que les tenants de l’une ou l’autre thèse n’ont pour appuyer leur dire que telle ou telle version du Brief Discours. Mais apparemment, Benazra n’est pas au courant de l’existence de ces deux moutures. Certes, le texte de Garencières emprunte-t-il à l’Eclaircissement de Giffré de Réchac certains développements qu’il place sous le titre de « The Life of Michael Nostradamus » et on pourrait en effet, à tort, croire qu’il ne s’agit que d’une traduction du Discours figurant dans le Janus Gallicus. Il nous semble que Garencières suive en gros le plan du Brief Discours mais corrige son contenu à la lumière de l’Eclaircissement. En fait, tout se passe comme si c’était le dominicain qui avait disposé d’une meilleure version, non corrompue, du Brief Discours. Nous n’excluons pas l’hypothèse d’une transmission à un ordre religieux par Michel Nostradamus et/ou par ses proches, ensuite, d’un certain nombre de documents ce qui expliquerait que le dominicain Jean de Sainte Marie (alias Giffré de Réchac) ait pu y avoir eu accés. Rappelons le sous titre de l’édition Pierre Rigaud 1566, par delà le fait que c’est une production du début du XVIIIe siècle : « imprimées par les soins du Fr. Jean Vallier du Convent de Salon des Mineurs Conventuels de Saint François. » C’est le Couvent des Cordeliers où fut gravé l’épitaphe qui se trouve désormais dans la chapelle de la Vierge de la Collégiale Saint-Laurent, à Salon-de-Provence. Cela expliquerait éventuellement le fait que certaines pièces aient pu resurgir au XVIIe siècle. Rappelons que l’on ne sait toujours pas d’où Theophile de Garencières tenait l’original français de la Préface à César qu’il traduira en anglais et qui paraitra en 1672, à Londres mais dont Antoine Besson, 20 ans plus tard, disposera – version ne comportant pas encore l’emprunt au Compendium de Savonarole- ainsi d’ailleurs que d’une version de l’Epitre à Henri II, dépourvue de diverses digressions chronologiques.
 

 

 




JHB
21. 08. 12

[1] 2003 Contribution aux recherches biographiques sur Michel de Nostredame, sur Espace Nostradamus
[2] Le dominicain a-t-il choisi ce nom de Sainte Marie en l’honneur de la famille de Nostradamus dont une partie portait ce nom ?
[3] Cf RCN ; pp. 68, p. 80, 90
[4] Cf R Benazra ; RCN ; pp ; 97-98
[5] « Les imposteurs et pièces apocryphes sur Nostradamus », Espace Nostradamus
[6] R. Benazra, Abrégé de la vie et de l'Histoire de Michel Nostradamus, par Palamède Tronc du Coudoulet, Ed. Ramkat 2001)
 

 
 

98 - Du testament de Nostradamus à la Préface à César (1566)
Par Jacques Halbronn

Nos dernières recherches nous ont conduits à la quasi –certitude que Nostradamus avait bel et bien commenté ses présages ou en tout cas que des Commentaires étaient parus sous son nom. En tout état de cause, le mot Commentaires est rarement associé au nom de Nostradamus du moins lorsque c’est Michel Nostradamus qui en est non pas l’objet mais l’auteur.
Pourtant, il subsiste un certain nombre de traces et d’indices qui vont dans ce sens, notamment dans Le Brief Discours de la Vie de M. Michel de Nostredame, dans la Première Face du Janus François, mais aussi dans la Préface à César, dans les Commentaires du Sieur de Chavigny, dans les Significations de l’Eclipse de 1559 et dans la Bibliothèque d’Antoine Du Verdier (1585). Ajoutons qu’il est probable que les dits Commentaires soient parus en 1568 chez Benoist Rigaud, à Lyon.
En fait, le terme « commentaire » n’est pas spontanément associé avec l’activité de Michel Nostradamus au point que l’on ne s’attend pas à ce que le dit Michel ait pu commenter, après coup, ses propres quatrains àl’instar de tous ceux qui les commenteront par la suite.
Le texte le plus marquant nous semble se trouver dans la biographie de Nostradamus connue d’abord sous le nom de Brief Discours (cf supra). Le terme y revient à deux reprises :
-au début :
« Dont vient que nostre Auteur en ses Commentaires dit avoir reçu (…) la connaissance des Mathematiques de ses antiques progéniteurs »
Et à la fin :
« si vray est ce que j’en ay trouvé en plusieurs lieux des Commentaires de sondit père, notamment sur l’an 1559 & mois de Juillet où je renvoye le Lecteur »
La première partie est attestée dans toutes les versions du Brief Discours alors que la seconde ne figure pas dans la traduction anglaise de 1672.
Le lecteur du Brief Discours est donc invité –renvoyé- à la lecture des Commentaires de Michel Nostradamus sur le quatrain de juillet de l’almanach pour 1559.
Rien ne prouve donc que les Commentaires dont il s’agit soient consacrés en quoi que ce soit aux Centuries ni même aux quatrains des almanachs. Ces Commentaires, s’ils ont bien existé, traitaient vraisemblablement de la prose des publications annuelles de Michel Nostradamus, parues dans les années 1550-1560, et dont nous savons que le Recueil des Présages Prosaïques en fait la recension. Les Commentaires s’appliquaient à l’évidence au contenu du dit Recueil et non spécialement aux quatrains. Il est possible qu’il faille plutôt aller voir dans les Pléiades de Chavigny qui s’intéressent davantage à la prose de Nostradamus pour se faire une idée de ce que pouvaient être les commentaires du dit Nostradamus.
Dans cet ouvrage, dont la première édition est chez Pierre Rigaud, fils de Benoist Rigaud, à Lyon, en 1603, dont on a un manuscrit daté de 1594- Vaticination fort ancienne interprétée du tres chrestien Henry IIII Roy de France et de Navarre et conférée avec les oracles et présages de M. Michel de Nostradamus (Bib. Aix en Prov.), on trouve également ce terme de Commentaires (p. 4) :
« Parquoy en ceste Première PLEIADE je delibere apporter une conférence de tous les passages pris des Commentaires du premier Voyant & du plus grand Prognostiqueur de nostre temps, Michel de Nostredame » Ce sont bien les Commentaires dus à Nostradamus et non de Nostradamus dont il est question ici. Mais que penser, quelques lignes plus loin (p ;5) de la forme « qui se trouveront semés parmi nos Commentaires » ? Commentaires de qui, ? Apparemment de Nostradamus. Est-ce à dire que Chavigny cite les commentaires de Nostradamus sur ses présages en prose ou seulement les présages en prose ?. Chavigny commente-t-il un commentaire fait après coup ou un présage qui est en fait le contraire d’un commentaire ? Or dans le Janus Gallicus, on est bien dans une logique de commentaire rétrospectif, où le présage est confronté aux chroniques de l’année, fais par des non astrologues - et l’on peut penser que Nostradamus ait recouru à une telle méthode de travail, chaque fois que telle source historique est mentionnée, non pour les quatrains mais pour la prose mensuelle. D’ailleurs, la Première Face du Janus François ne mentionne-t-elle pas en son titre les dits Commentaires ? « Extraite et colligée des Centuries et autres Commentaires de M. Michel de Nostredame » Et que contient cette Première Face sinon en grande partie des quatrains des almanachs dument « commentés » ?
Tout se passe comme si le Brief Discours renvoyait à la Première Face alors même qu’il s’y trouve joint mais qu’il désigne- le contenu du Janus, nous ne le pensons pas.. On aura compris que selon nous ce Discours a du initialement paraitre en dehors de la dite Première Face et d’ailleurs, il y semble comme surajouté. Ce n’’est qu’à la page 36 que débute réellement l’ouvrage dont le double titre, français et latin, est repris avec quelques variantes, comme « tombeau » à la place de « fin » de la « maison Valésienne ».Ce sera aussi le cas de l’Epitre à Alphonse Dornano, en date du 19 février 1594, à la fin du recueil dont il existe une édition séparée, datée de 1595 (Bib. Mazarine)
Autrement dit, le Brief Discours signale l’existence des Commentaires de Nostradamus avant qu’il n’y ait été intégré. Or, on ne connait pas une telle édition sans le dit Discours. En revanche, en 1596, le Janus reparaitra sous le titre de Commentaires du Sieur de Chavigny sur les Centuries et pronostications de feu M. Michel de Nostradamus. Mais cette édition est de mauvaise qualité. Les quatrains, certes, se suivent dans le même ordre que dans la Première Face du Janus François mais le découpage en années n’a pas été repris alors que dans la dire Première Face, le texte est balisé année par année, voire mois par mois. Rappelons que selon l’Avertissement au Lecteur (p. 35), on ne doit plus tenir compte ici du mois et de l’année d’origine des dits quatrains. Une telle incurie qui enlève de sa portée au commentaire nous semble indiquer une édition pirate, d’où le choix d’un titre différent.

On note le changement par rapport à l’édition de 1594 : « extraite et colligée des Centuries et autres commentaires de M. Michel Nostradamus iadis Conseiller etc ». Tout se passe comme si l’on avait à cette date voulu nier ou en tout cas oublier que Nostradamus avait publié des Commentaires ou encore comme si Chavigny alias Chevigny prenait les dits Commentaires à son propre compte, ce qui correspondait possiblement à une certaine vérité. L’effet de cette modification est de gommer l’image d’un Nostradamus premier commentateur des quatrains. Mais de quels quatrains sinon bien entendu de ceux des almanachs et d’ailleurs le seul quatrain figurant dans le Brief Discours est extrait d’un almanach. Faut-il conclure que l’édition antérieure des Commentaires ne comprenait aucun des nouveaux quatrains ? D’ailleurs, même l’édition que nous connaissons est centrée sur les anciens quatrains (voir avertissement p. 35), ce qui montre qu’elle est en grande partie la reprise de la précédente. Mais le Brief Discours nous fournit une autre information à propos des dits Commentaires :
« Dont vient que nostre Auteur en ses Commentaires dit avoir reçu (…) la connaissance des Mathematiques de ses antiques progéniteurs ».
Cela indique clairement, il nous semble, que cette édition antérieure comportait une partie autobiographique qui aura été remplacée par ce Brief Discours, avec une teneur vraisemblablement quelque peu différente sur certains points de la vie de M. Michel Nostradamus.
Quant à la date de 1568, elle semble assez vraisemblable. On peut aisément concevoir que Nostradamus ait laissé un tel « bilan » à sa mort et l’on peut se demander si cela ne correspond pas au « mémoire » qu’il entend laisser à son fils, dans sa Préface à César et auquel il est fait allusion dans son testament conservé aux Archives Départementales des Bouches du Rhône[1]?
« et aussy a prélégué et prélègue ledict Maistre Michel de Nostradamus testateur toutz et ungs chescungs ses livres qu'il a à celluy de ses filz qui proffitera plus à l'estude et qui aura plus beu de la fumée de la lucerne, lesquels livres ensemble toutes les lectres missives que se treuveront dans sa maison dudict testateur, ledict testateur n'a vouleu aulcunement estre invantarizées ne mis par description ains estre serrés en paquetz et banastes jusques ad ce que celluy qui les doybt avoyr soyt de l'eaige de les prandre et mis et serrés dans ungne chambre de la meyson dudict testateur ». [2]
Par ce passage du testament, en effet, se voir corroboré une certaine lecture de la Préface qui ne justifie aucunement une parution immédiate, c’est le moins que l’on puisse dire. Il y est question notamment du volume de correspondance, qui sera édité par Jean Dupèbe[3]: « jusqu’à ce que celluy qui les doybt avoyr soyt de l’eaige de les prandre » et en attendant, tout cela sera conservé « dans ungne chambre de la meyson ». Notre avis est que la Préface à César est directement inspirée du testament et qu’elle en est comme une sorte de paraphrase, et qu’il faut changer 1555 en 1566, ce qui rend évidemment caduque toute édition des Centuries datée de 1555, quitte à supposer par ailleurs que dans les papiers ainsi légués, ait pu figurer une telle collection de quatrains inédits...
Rappelons une fois de plus ce passage de la Préface, dans la version Besson qui est la plus complète :
« Ton tard avènement en ce monde terrien Cesar Nostradamus mon fils m’a fait mettre mon long loisir à continuelles vigilations nocturnes pour référer par écrit ² à toy delaisser un mémoire après la corporelle extinction de ton progéniteur etc »
La publication en 1568 des Commentaires ne correspond pas nécessairement au dit « Mémoire », César n’étant alors âgé que de 15 ans. Est-ce que ces Commentaires faisaient partie de ce qui devait rester enfermé, « serré » ? Nous ne le pensons pas bien que dans la Préface Nostradamus se dit « espérant à toy declarer une chacune des Prophéties & quatrains cy mis ». En fait, nous pensons que la Préface à César, reprenant les termes du testament, a du servir à introduire les Commentaires et qu’elle peut être datée de 1566 à l’instar du Testament. Nous pensons que ces Commentaires couvraient les années 1555 à 1565, à l’exception de 1556, soit dix « livres ». D’ailleurs, dans la phrase qui précède, Nostradamus écrit : « que plus à plein ay redigé par escrit aux miennes Prophéties » (entendez ici quatrains des almanachs) mais il nous semble que la phrase est bancale :: manque selon nous le mot « commentaire » et vraisemblablement en prose.
La lecture du testament nous montre que même en 1566, la Préface à César faisait sens et qu’il n’était pas encore question pour Nostradamus de transmettre certains documents. En fait, nous pensons que cela a pu tenir à une erreur de lecture, confondant les six et les cinq. Il est remarquable que cette préface ne figure pas d’ailleurs dans le Janus Gallicus qui est le lieu qui lui correspond le mieux. Elle en aurait été exclue pour se placer en tète d’un premier (et au départ unique) train de quatrains.(cf. Rouen, 1588)
En conclusion, nous dirons que ces Commentaires de Nostradamus sont parus en 1568 chez Benoist Rigaud, avec la Préface à César datée de 1566. Est-ce à dire que Nostradamus aura commenté une série de quatrains ? Nous pensons qu’il aura commenté le Recueil des Présages Prosaïques, fait comme son nom l’indique de prose mais incluant les quatrains. Autrement dit le Janus Gallicus ne correspond pas aux Commentaires ou si l’on préfère il peut avoir gardé les commentaires tout en les référant aux quatrains. Dans les années autour de 1588, la Préface à César va resservir, avec un changement délibéré ou non de 1566 pour1555 pour annoncer cette fois un autre corpus, celui de nouveaux quatrains censés avoir été « serrés » dans la chambre désignée par le testament.
Revenons brièvement sur le cas de Michel Nostradamus le Jeune. Palamédes Tronc de Coudoulet a –t-il produit un faux document dans son Abrégé de l’histoire de M. Michel Nostradamus quand il fait de Michel Nostradamus le Jeune l’aîné des fils de Nostradamus ? En tout cas, force est de constater que le testament ne mentionne pas le fils en question, testament par ailleurs repris, du moins en partie, dans le dit Abrégé (Sommaire du testament de Nostradamus ») ? Ce premier fils des secondes noces semble en tout cas avoir posé problème. On se demande d’ailleurs pourquoi Nostradamus aurait entendu aussi longtemps – six ans après s’être remarié- pour avoir des enfants. Ce fils qui d’ailleurs en cette même année 1568 apparait comme auteur d’une série de prédictions annuelles et qui aurait du être le plus apte à apprécier le travail de son père à tel point qu’en parcourant le testament nous pensions spontanément à Michel Nostradamus le Jeune, avec cette formule assez étonnante « à celuy de ses filz qui profittera plus à l’estude », avec notamment cette correspondance d’un astrologue professionnelle qui a été réunie, mais la suite semble indiquer que Nostradamus pense à un enfant qui n’est pas encore en âge. « jusques ad ce que celluy qui les doybt avoyr soyt de l'eaige de les prandre et mis et serrés dans ungne chambre de la meyson dudict testateur » [4]. On a l’impression que Nostradamus a comme déshérité son ainé pourtant précocement attiré par l’astrologie et décidé de croire en son puiné[5] Mais de là à modifier sa biographie, il y a de la marge. L’historien dominicain Jean Giffré de Réchac, dans son Apologie de Nostradamus en tête de son Eclaircissement (1656) s’en tient à la thèse d’un premier né, prénommé Michel.
Si l’on observe ce premier quatrain de la Centurie I, emprunté au dit Michel Nostradamus le Jeune, on peut y voir la marque d’un penchant pour la magie et l’on connait les sources des deux premiers quatrains, chez Jamblique, Crinitus, Agrippa, ce qu’a bien montré Pierre Brind’amour.
« Estant assis de nuict secret estude
Seul reposé sus la selle d’aerain
Flambe exigue sortant de solitude
Faict prosperer qui n’est à croire vain » etc
On peut supposer que Nostradamus ait réprouvé une telle orientation. Or, paradoxalement et ce sera la revanche sinon la vengeance du dit Nostradamus le Jeune, ce sont ces quatrains qui paraitront dans les années 1580 attribués au père tant et si bien que l’on parlera du père au travers des dits quatrains, ce qui aura fait retourner Michel de Nostredame dans sa tombe. Raison de plus pour cesser d’attribuer à Nostradamus ces Centuries. Mais César son fils, à l’évidence, aura été complice d’une telle évolution puisqu’il laissera utiliser sa Préface de 1566 pour annoncer un tel ensemble.
On se rappellera cette édition Pierre Rigaud 1566 du XVIIIe siècle qui renoue avec l’année du testament de Nostradamus, en reproduisant d’ailleurs, en tête, le texte de la pierre tombale qui s’y trouve déterminé.
Pour en revenir aux Commentaires de Nostradamus sur son propre texte, il est possible que certaines libertés d’interprétation que nous avons reprochées à Chavigny seraient en fait dues à Michel Nostradamus lui-même, notamment quant à la façon de voir dans tel mot assez banal une allusion à Louis Ier de Bourbon qui meurt à peu près au moment où aurait du s’arrêter le commentaire de Nostradamus, en 1564, plus probablement 1565. Que savons-nous au vrai de la façon dont Michel de Nostredame évaluait – notamment dans ses commentaires- son propre travail ? Est- ce que les procédés d’interprétation pratiqués par Chavigny correspondaient à ceux de son maître ? L’art du commentaire est fort différent de celui du pronostic, comme on peut le voir pour la prophétie du pseudo Saint Malachie et ses commentateurs[6]. Il semble que l’on ait le plus grand mal à imaginer un Nostradamus commentateur de sa propre production mais c’est là, nous semble-t-il, un point aveugle. Inévitablement, Nostradamus ne pouvait que commenter ses pronostics à l’instar de tout astrologue.
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JHB
22. 08. 12



[1] Cf Ruzo, in Numéro spécial Nostradamus, Cahiers Astrologiques, avril 1962
[2] La troisième et dernière Épître de Nostradamus: Son Testament (avec le texte du Testament de Nostradamus et son Codicille) par Patrice Guinard
[3] ( Lettres inédites, Droz, 1983
[4] La troisième et dernière Épître de Nostradamus: Son Testament (avec le texte du Testament de Nostradamus et son Codicille) par Patrice Guinard
[5] On notera que dans les Centuries, on trouve cette dialectique de l’ainé et du puiné :
[6] Cf Papes et prophéties . Ed Axiome, 2005

 

 

99 - Les éditions pseudo-rigaldiennes 1566- 1568 et sans date des XVIIe et XVIIIe siècles
Par Jacques Halbronn

Rien ne vaut la lecture des nostradamologues de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècle pour éviter certaines erreurs de chronologie. C’est ainsi que l’auteur (« Un solitaire » de la Clef de Nostradamus (…) avec la critique touchant les sentimens & interprétations de ceux qui ont ci devant écrit sur cette matière, ouvrage de taille paru à Paris, rue saint Jacques, chez Pierre Giffart, en juin 1710 (selon un Avis) – dont on sait qu’il s’agissait de Jean Le Roux, ancien curé de Louvicamp (diocése de Rouen)[1] , reflète fort bien le climat de recherche de l’époque autour de l’ensemble nostradamique et centurique et nous apparait comme le continuateur de l’école française de critique nostradamique née dans les années 1650 avec Jacques Mengau – dont Le Roux est le lecteur des Avertissemens, dont il ignore le nom de l’auteur (cf p. XXIX de la Préface) et le dominicain Giffré de Réchac – dont Le Roux ignore tout autant qu’il est l’auteur des Eclaircissemens (sic) de 1656- il l’appelle « l’Auteur anonyme » auquel nous avons consacré il y a cinq ans (2007) notre thèse de post –doctorat. Quelques années plus tard, un nouvel essor centurique se produira, probablement lié à la Succession d’Espagne qui produit un changement dynastique de l’autre côté des Pyrénées au profit des Bourbon et l’on sait à quel point les changements dynastiques excitent l’imaginaire prophétique, comme cela avait été le cas avec la fin des Valois, dont la Première Face du Janus François tient le plus grand compte, en son titre de 1594.
Il est une date à laquelle notre Solitaire, entré en nostradamie en 1688, lecteur de la Concordance de B. Guynaud (1693) accorde quelque importance, c’est l’an 1597, date évoquée dans l’Epitre à Henri IV en tête des sixains. Il semble en fait qu’il s’agisse d’une coquille, voulue ou non, et que l’année d’origine ait été 1567. En effet, Le Roux évoque la question des Présages assez longuement. Il semble ignorer tout à fait que la collection dont Chavigny parle à la fin du « Brief Discours de la vie de M. Michel de Nostredame » (p. 7) est une compilation d’almanachs qui ont été produits d’une année sur l’autre. Le Roux semble croire que Nostradamus aurait publié dès les années 1550 un tel ensemble. Il est vrai qu’existe bel et bien un genre de Prédictions de telle année à telle année, notamment sous le nom de Michel Nostradamus le Jeune et d’Antoine Crespin Nostradamus. Il connait les commentaires qui se trouvent de certains d’entre eux dans ce qu’il appelle l’Histoire des guerres civiles de Janus Gallicus, prenant ce Janus Gallicus pour l’auteur (Jani Gallici facies prior) et négligeant le nom de Chavigny qui figure à la suite, sur la page de titre.
.On a droit à tout un développement du curé sur la présence des quatrains de l’an 1561 au sein de la centurie VII de certaines éditions centuriques .
Le Roux écrit (pp. 311 et 314) « Il faut scavoir que cet Oracle de la France ayant d’abord publié un Livre de Présages dès l’an 1550 pour durer jusqu’en 1597 (sic), il nomma selon le témoignage que nous en rend Janus Gallicus (sic) ces sortes de Prédictions de Présages externes. Le Roux cite par ailleurs les éditions du xVIIe siècle comportant la mention « Présages tirez de ceux faits par M, Nostradamus es années 1555 & suivantes jusqu’en 1567 » sans se rendre compte qu’il s’agit du même document que celui signalé dans le Janus Gallicus, à savoir les présages issus des almanachs et pronostications publiés par Nostradamus, à ce détail près que l’on aura préféré finalement la date de 1555 à celle de 1550, laquelle date de 1555 aura déterminé celle de la Préface à César, si l’on admettait qu’il s’agissait d’un recueil paru en 1555 et comportant la dite Préface à un enfant âgé de moins de deux ans. Le Roux suit Séve (p. 318-319), dans l’Epitre à Henri IV, en cette date de 1597 qui est une déformation, selon nous, du terme de 1567.
Puis Le Roux en arrive à l’affaire des présages de la centurie VII (pp. 320 et seq) dans la série 1561-1588 : « Quand l’oracle donna au Public pour l’année 1561 une douzaine de quatrains sous le nom de la septième centurie, qui restoit alors encore à faire ». Le Roux montre que l’on était tout à fait conscient en 1710 du problème : « de ces douze quatrains le premier étoit tiré de la sixième, sept autres étoient tirez du Livret de ces mêmes Présages ici en question, qui se trouvent sur l’année 1561 (…) & les quatre autres parfournissoient le nombre de douze, étoient à la vérité nouvellement faits par l’oracle puisqu’ils n’avoient paru nulle part auparavant » . En quoi Le Roux se trompe du fait qu’il n’a pas connaissance de l’almanach pour 1561 mais ne connait cette série que par les commentaires du Janus Gallicus alors même que ceux qui produisirent cette centurie VII connaissaient forcément le contenu intégrale du dit almanach, du moins par le biais du Recueil de Présages Prosaïques – en dépit de son nom [2]- ou par quelque autre source, qui les aurait inclues. On notera que Le Roux ne signale pas une édition parisienne de la Ligue mais se sert vraisemblablement de l’édition Veuve Buffet, récemment exhumée[3], se référant non pas à 39 mais à 38 articles. « Quoi qu’on fut averti au frontispice de cette Edition, que la septiéme Centurie nouvellement ajoutée en douze quatrains renfermoit en elle-même trente huit articles (les copistes) en ont rejetté les huit qui se trouvoient ailleurs dans les éditions qui avoient précédé » (pp. 321-322). Le Roux n’envisage pas un instant que cette édition parisienne marquée 1561 puisse être une contrefaçon antidatée, du fait qu’il ne connait pas la série des éditions parisiennes de la Ligue. D’une façon générale, Le Roux connait beaucoup mieux les éditions datées entre 1555 et 1561, censées parues à Lyon et à Paris que les éditions parues entre 1588 et 1590, à Paris, Rouen et Anvers. Quant à l’édition Benoist Rigaud 1568, elle ne fait pas partie de son corpus si ce n’est par le biais de Du Ruau qui s’y référe mais en produisant une fausse édition assimilable à une mazarinade, avec des quatrains supplémentaires à la VIIe centurie..
Notons aussi ce que Le Roux écrit de l’histoire des sixains (pp. 340 et 349) : il reprend un passage de l’Eclaircissement qui réfère selon nous au cas de Morgard « condamné aux Galères »[4]. On se réfère à un manuscrit des sixains en comportant plus de 58. Le Roux défend âprement l’authenticité des Sixains contre Giffré de Réchac. Tout l’argument de Le Roux concernant tant les centuries VIII-X et les sixains dont la parution selon lui fut fort tardive, aurait tenu au fait que ces textes composés de longue date par Nostradamus, mais gardés secrets, annonçaient l’avènement des Bourbons, alors qu’il vivait sous les Valois. Voilà pourquoi Le Roux ne croit pas à une édition datée de 1568 et ne pense pas que l’épitre au Roi, de 1558, soit jamais parvenue à son destinataire. « Cet Oracle avoit un grand & notable interest de ne pas montrer sur-tout à la Cour, ni son Epistre à Henri II , ni les Centuries qui la suivent (..) Dans lesquels Quatrains l’Oracle parloit clairement de la maison de Vendosme ou de Bourbon aussi-bien que de celle de Lorraine (..) Il valoit donc mieux pour luy de supprimer toutes ces Prophéties là pour un temps & les tenir secrétes (comme il fit) pendant le reste de ses jours, avec ordre à ses amis de ne les publier qu’après sa mort, ainsi qu’il est arrivé » (p. 269-270, 276-277)
Mais ce qui nous intéresse le plus chez Le Roux, c’est sa déclaration concernant les éditions Benoist Rigaud 1568. Certes, reconnait-il certains éditions mentionnent-elles, au XVIIe siècle, une telle édition mais il n’en a jamais vu aucune et il a des doutes quant à sa réalité.
Si Le Roux a connaissance d’une rare édition Valentin de Rouen (p ; 191), se disant prise sur une édition Pierre Roux d’Avignon, et une autre de Pierre Du Ruau qu’il date de 1605 (p. 272), il n’en est pas de même pour les dites éditions Rigaud : Du Ruau ‘assure à la teste de son livre (…) que Benoist Rigaud de Lyon fût le premier qui les imprima en 1568, Edition que je n’ay jamais vue & que je souhaiterais voir avec passion pourvu qu’elle ne fût point contrefaite ; car il y en a beaucoup de fausses, faites à Paris & ailleurs, comme si elles étoient véritablement celle de Benoist Rigault de Lyon ». Un tel propos nous conduit à réviser nos derniers textes à ce sujet quand nous écrivions il y a peu que ces éditions avaient été produites dans la seconde partie du XVIIe siècle et avaient en quelque sorte précédé la publication de la fameuse édition Pierre Rigaud 1568 que l’on situe au début de la Régence de Philippe d’Orléans.[5] , vers 1716, dont Le Roux ne pouvait évidemment en 1710 avoir pris connaissance.
Selon nous, si la profusion d’éditions Benoist Rigaud, minutieusement cataloguée par Patrice Guinard, était inconnue d’un spécialiste comme Le Roux, cela fait quand même désordre et nous sommes conduits à reporter ce flot d’éditions Benoist Rigaud 1568 sur la période de la Régence, aux côté de l’édition avignonnaise Pierre Rigaud 1566. Signalons en 1731, à Avignon, une édition qui reprend le titre de l’édition Rigaud 1566, chez François Joseph Domergue.[6], à Avignon, en territoire pontifical, ce qui permettra de rétablir la réalité des faits. Il aura suivi la ligne de son oncle paternel, François Joseph Domergue qui aurait lancé cette édition au titre décalé, confondant Pierre et Benoist ou si l’on préféré inversant le père Benoist avec le fils, Pierre.
.Notons que le début du XVIIIe siècle correspond à un regain de l’intérêt pour Nostradamus. Réédition en 1709 (puis encore en 1712) de la Concordance de Guynaud. En 1711, Pierre Joseph de Haitze publie une Vie de Nostradamus, à Aix[7] sans parler des travaux biographiques de Palémédes Tronc du Coudoulet, étudiés par R. Benazra en 2001, dont dès 1701, un Abrégé de la vie de Michel Nostradamus, paru égalemengt à Aix (en Provence) [8] et qui situe comme l’ainé de César, un certain Michel Nostradamus le Jeune.
Nous pensons donc que c’est dans les années qui suivirent la parution de 1710 de la « Clef » que fut mise en chantier une série d’éditions rigaldiennes, inspirées précisément par les réflexions de Jean Le Roux sur l’absence d’éditions datées de 1568. On aurait donc eux deux éditions : une première édition à 10 centuries puis sa réédition deux ans plus tard. Pour quelque raison, il y eut une confusion à propos des prénoms et l’on passa étrangement de Pierre à Benoist ; L’édition Pierr e Rigaud fut épinglée au début du XXe siècle mais l’édition Benoist Rigaud ne fut pas inquiétée et ne l’a pas été depuis, du moins jusqu’à ces derniers temps.
En ne situant pas ces éditions 1568 dans la première moitié du XVIIIe siècle, on se faisait une fausse idée de l’activité nostradamique de l’époque et toute cette effervescence biographique semblerait avoir tourné à vide. D’ailleurs, l’importance même de cette « Clef », comportant des analyses bibliographiques très pointues, témoigne de la vitalité du nostradamisme vers 1710.
Force est de constater que la production nostradamique connait des pics : celui de la Ligue, celui de la Fronde et celui de la Régence mais aussi de la Succession Bourbon de Charles II d’Espagne, avec entre ces temps forts des temps morts ou en tout cas sans nouvel élan. Probablement ne pourrait-on expliquer l’importance du nostradamisme à la fin du XVIIIe siècle sans une certaine diffusion des Centuries. On pense à la parution en 1789 de la Vie et Testament de Michel Nostradamus, Paris, Gattey, ainsi qu’à cette édition datée de 1791 se référant à 1568 , se référant au Janus Gallicus[9]; « Les prophéties de M. Michel Nostradamus en dix centuries. Nouvelle édition imprimée d’après la copie de la première édition faite sous les yeux de César Nostradame son fils en 1568, Avignon, Frères Garrigan[10]. Une autre édition en paraitra, à Salon, au début du siècle suivant. C’est dire que la référence à 1568 était bien présente, même si elle produit une variante mettant en scène le jeune César, alors âgé d’une quinzaine d’années, cas de figure d’ailleurs assez cohérent car une certaine lecture de la Préface à César nous a conduit à situer la date de la Préface en 1566, en parallèle avec la rédaction du Testament – 1555 étant, selon nous, une erreur de lecture. Mais cette édition de 1791 comporte la reproduction de la pierre tombale, ce qui n’est pas le cas des éditions Benoist Rigaud 1568.
Un des grands mérites de Le Roux est la façon dont il conçoit la genèse des centuries : « (p. 274) : « Nostradamus (..) Ne remplissoit le nombre de sept centuries que peu à peu & de temps en temps, à mesure qu’il falloit faire de nouvelles éditions, pour fournir au grand débit ainsi qu’il parait par celles qui me sont tombées dans les mains, dont les premières & plus anciennes sont toujours les moins complètes, ce qui est bien digne de remarque (…) afin de distinguer les Editions de fausse date d’avec celles qui sont d’une date véritable ». Ailleurs Le Roux développe ainsi l’argument (p. 156) :
« Il faut scavoir que Nostradamus ayant fait faire différentes éditions de ses premires Prophéties pour fournir au grand débit qui s’en faisoit, il trouva bon de changer quelques mots & même des vers entiers de ses quatrains, qu’il fit ensuite imprimer autrement qu’ils n’étoient auparavant » . A propos de La Fronde, le curé de Louvicamp dit, songeant aux éditions Pierre Du Ruau, que l’on fit « semblant de distribuer au Public une ancienne Edition de 1568, par Benoist Rigaud, quoiqu’elle fust toure fraîche » (p. 187)
Etrangement, Le Roux conçoit une formation très progressive, voire tâtonnante du « premier volet »- mais la composition déjà achevée de longue date de ce qui allait constituer le second (centuries VIII-X) et le troisième volet (sixains) mais restant longtemps inédite jusqu’à l’avènement des Bourbons (cf pp. 188-189), d’où sa relecture de l’Epitre à Henri II, où il interprète le passage sur les années 1585 et 1606 comme devant être lu 1589 (mort d’Henri III ) et 1610 (mort d’Henri IV). Nostradamus « avoit prédit contre toute apparence & contre toute conjecture humaine que la Maison de Bourbon monteroit un jour sur le Trône de France » (p. XXIV de la Préface).
Ce point de vue de Le Roux est assez proche du notre. L’idée d’un premier volet déjà terminé dès 1557 et ensuite perturbé ne nous convient pas, pas plus que la parution du second volet avant le temps de la Ligue (1558- 1568) puis son éclipse avant de reparaitre dans les années 1590 . Mais bien évidemment, il faut prendre nos propos au second degré car nous n’adhèrons nullement à l’idée d’une élaboration des centuries du vivant de Nostradamus mais nous n’en saluons pas moins un certain sens historique chez l’ancien curé normand. Malheureusement pour lui, en ce qui concerne les Présages, il partit sur une fausse piste, à cause d’une mauvaise leçon du Brief Discours d’un texte somme toute assez maladroit de Chavigny : « nous avons de luy d’autres présages en prose, faits puis l’an 1550 iusques à 67 » (cf Le Roux, p. 51) et qui laissa croire – notamment avec la variante 1555-1567 qui prévaudra- qu’était paru un tel ensemble dès les années 1550. Or, le genre des prédictions sur plusieurs années ne fonctionne pas sur la base des 12 mois mais des 4 saisons, à l’instar des Pronostications mais cela Le Roux l’ignorait.
Mais revenons sur la thèse d’une production de vraies fausses éditions Benoist Rigaud 1568, par opposition aux contrefaçons grossières du XVIIe siècle marquées par l’esprit des mazarinades et par le portrait de Michel Nostradamus le Jeune. On note que Pierre Rigaud indiquait son adresse sur les éditions qu’il publié au tournant du XVIe siècle et que les fausses éditions 1566 reprennent cette mention. En revanche, quelques années plus tôt, ni Benoist Rigaud, ni les «Héritiers de Benoist Rigaud » ne fournissaient l’adresse de « la rue Mercière, au coing de la rue Ferrandière ». Comme les diverses éditions Rigaud de ces années 1590 et suivantes ne comportent pas de dates, l’on conçoit que les libraires avignonnais n’aient pas su en établir correctement la chronologie, faute de prendre la peine de s’informer davantage. R. Benazra signale bel et bien des éditions Benoist Rigaud 1568[11], elles pourraient avoir été produites autour de 1772. Anatole Le Pelletier [12] la mentionne en sus de l’édition Pierre Rigaud 1566. Il semble qu’il en ait existé avec diverses vignettes. La description qu’il donne de la version qu’il décrit correspond à l’une des éditions Benoist Rigaud 1568 décrites par Patrice Guinard, ave la vignette de Jupiter et des deux signes zodiacaux dominés par la planète de ce nom, avec cependant cette particularité que l’on ne retrouve pas dans les éditions 1568, à savoir l’épitaphe latine (comme dans Pierre Rigaud 1566), tout à fait à sa place dans une édition posthume mais néanmoins absente des exemplaires que nous connaissons.
Mais, que dire de ce brusque changement de style en quelques années entre une édition non datée « Benoist Rigaud » sans adresse – les éditions datées 1594-1596[13] sont introuvables selon P. Guinard[14] - une édition non datée « Héritiers Benoist Rigaud » sans adresse et puis une édition non datée « Pierre Rigaud » avec adresse, tout cela sur un laps de temps que les bibliographes Chomarat et Benazra, situent sur moins de dix ans ? Selon Chomarat[15], la mention Pierre Rigaud n’apparait qu’à partir de 1600, celle des Héritiers Benoist Rigaud à partir de la mort de Benoist, le 23 mars1597. En 1603, Pierre Rigaud publie les Pléiades de Chavigny et son nom apparait suivi de son adresse, celle qui va être reprise dans les éditions du XVIIIe siècle. Mais le choix des libraires avignonnais n’est –il pas révélateur de l’inexistence, des dites éditions Benoist Rigaud et Héritiers Benoist Rigaud dans les années 1594-1600, celles-ci n’ayant été produites qu’ultérieurement, dans le cours du dit siècle, conjointement avec les éditions Benoist Rigaud 1568, pratique bien connue consistant à publier parallélement une édition « moderne » et une édition « ancienne », comme cela se pratiqua à Paris, sous la Ligue, chez les libraires parisiens ? A notre avis, la seule édition authentique des deux volets qui soit parue avant 1600 est celle de Cahors, Jaques Rousseau, datée 1590, qui aura été utilisée dans la Première Face du Janus François, laquelle édition de Cahors comporte le quatrain IX, 86 associé au couronnement de Chartres, début 1594 et qui sera reprise par Pierre Rigaud et d’autres libraires lyonnais comme Jean Poyet et Jean Didier (dont le nom servira pour les fausses éditions 1627, un produit totalement lyonnais[16]..En fait, le vrai démarrage des éditions à deux volets devra attendre la mort de Louis XIII, en 1643.
Pour revenir sur le dossier Michel Nostradamus le Jeune, dont nous avons dit qu’il avait été repris, au début du XVIIIe siècle, par Palamédes Tronc du Coudoulet, signalons une parution allemande de 1762[17] , à Leipzig chez Joh. Gab. Büschel : Neue Prophezeiungen und Kalenderapraktik (…) aus einer Französischen Handschrift des berühmten Michael Nostradamus gezogen und mit einer Vorrede begleitet von Michael Nostradamus dem Jüngern ( Bibl Munich 3293) ; il s’agit de prophéties pour cent ans de 1760 à 1860, tirées d’un manuscrit de Michel Nostradamus, avec une préface de Michel Nostradamus le Jeune.


JHB
23.08. 12

 

 


[1] Cg Benazra, RCN, pp. 284 et seq
[2] Cf l’édition du manuscrit par B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Seuil , 1999
[3] Cf catalogue Thomas Scheler, intr. M. Scognamillo Paris, 2010
[4] Cf nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostrdamus, ed. Ramkat 2002
[5] Cf Benazra, RCN, pp. 295 et seq/
[6] Cf R. Benazra, RCN, pp 302-303
[7] Cf Benazra, RCN, ; ^ 292 et seq
[8] Cf R. Benazra ; RCN, PP. 282-283
[9] Cf R. Benazra, RCN pp 329-330
[10] Cf RCN, p. 334.
[11] Cf RCN, ^pp. 320-321
[12] (Les Oracles, Paris, 1867, tome 1, pp. 43-44, pp ; 54-55 Ed Jean de Bonnot, Paris 1976)
[13] Nous avions montré que la référence à la collection Harry Price de Londres ne correspondait pas à des éditions Benoist Rigaud 1594-1596, ce qui aurait du être vérifié avant publication des bibliographies Chomarat et Benazra.
[14] CORPUS NOSTRADAMUS 60 -Biblio-iconographie du Corpus Nostradamus Bibliographical & Iconographical Documentation of the CORPUS NOSTRADAMUS
[15] Bibliograpihie Nostradamus, p. 87
[16] Cf BEnazra, RCN, pp. 145 et seq et 187 et seq
[17] Cf Chomarat, Bibliographie Nostradamus p ; 189 n° 345 bis

 

 

100 - La production de Nostradamus pour l’an 1555
Par Jacques Halbronn

L’on sait l’importance accordée à l’année 1555 dans la bibliographie nostradamique, du fait notamment de cette « première » édition à 353 quatrains qui serait parue cette année là chez Macé Bonhomme à Lyon, dont plusieurs exemplaires ont été retrouvés, depuis une trentaine d’années. (à Albi, à Vienne, notamment). Le fait que l’on ait apparemment constitué un recueil non conservé de la production annuelle de 1555 à 1567 –signalé dans le Brief Discours de la Vie de M. Michel de Nostredame, explique probablement l’engouement pour cet an 1555 qui aura conduit à (re)dater la Préface à César pour cette année là alors que la vraisemblance aurait voulu qu’elle le fut pour 1566 ou 1567.
Récemment, la Pronostication pour 1555 a été acquise par la Bibliothèque de Lyon, du fait de la vente de la Collection Ruzo (Mexique). On n’en connaissait jusque là que la page de titre, reproduite par le dit Ruzo dans son Testament de Nostradamus [1] et dès 2007, P. Guinard en avait eu communication. Par ailleurs, le Recueil des Présages Prosaïques, resté à l’état de manuscrit [2] comporte plusieurs pages consacrées à cette année 1555. Les éditions centuriques du XVIIe siècle comportent, pour bon nombre d’entre elles, 141 présages issus des almanachs mais par le truchement du Janus Gallicus. Patrice Guinard [3] (Corpus Nostradamus 14) note é que cette pronostications « ne comporte pas de présages mensuels « mais il ne faut pas entendre par cette formule qu’il ne s’y trouve point de quatrains présages mais bien d’une certaine prose oraculaire pour chaque mois, seules les quatre saisons faisant l’objet d’un traitement divinatoire (Corpus Nostradamus 56).Toutefois ; l’examen du dit Recueil des Présages Prosaïques nous apprend que ces mêmes quatrains furent et bien accompagnés d’un commentaire substantiel ne se trouvant pas dans la Prognostication pour 1555.[1] Il importe donc de comparer les deux séries et leurs contextes respectifs, dans le cadre d’un corpus constitué de la dite Pronostication et du dit Recueil, faute de disposer de l’Almanach de Nostradamus pour 1555[2]. en tant que tel comme c’est le cas pour l’Almanach pour 1557[3]. Nous avons déjà signalé le décalage constant entre le manuscrit d’origine et l’impression qui en découle sous une forme augmentée.
C’est ainsi que le début de la Pronostication imprimée pour 1555 comporte ce développement sur le Printemps qui aura été interpolé par rapport au manuscrit du Recueil des Présages Prosaïques.
Du Printemps. M. D. LV.
[Primtemps ceste annee 1555 commencera le 11 de Mars
le Soleil entrant au premier point de Aries 0 deg. 22 mi.
la Lune en l'escorp. 4 deg. 24 mi. Saturne en Aries 2 d. 29
mi. Iupiter en Scorp. 1 d. 40 m. Mars en Virgo 1 d. 46 mi.
Venus en Pisces 21 d. 45 m. Mercure en Pisces 21 d. 23 mi.
Lune par jour & par heu. que le tout accordé en son prin-cipe obtiendra de qualitez contraires à sa nature & quali-
té : pour cause des vents insolites, qui regneront, faisans un
autre temps, combien qu'il sera chaut, humide, aiant quel-
que bien peu d'humidité refrigerante par petites pluyes de-
struites par vent, qui ne aura de chaleur : mais telles dispo-
sitions de temps se convertissant en humidité attrempee,
& sera maladif, abondant en pluresies, toux, mal de gorge,
squinances, gravelles, doleur de joinctures, mal de ventre,
de teste, & d'estomach, mille autres facheries au corps hu-
main, qui ne seront de guieres moins detriment que les guer-
res qui seront en plus grand pouvoir & vigueur que ne fu-
rent jamais, dans le revolu de ce moys sont comprinses plu-
sieurs confuses & aenigmatiques aventures, ensemble le
moys venant, que s'il est vray de ce que les astres nous me-
nassent, je ne cuyde point que nous ne soyons à la fin du
dernier periode du monde : car au point de son entree le
temps sera froit, la terre imbibee par les frequentes pluyes,
que aura plus de froideur & humidité que de chaleur &
[A2r]

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siccité : combien qu'il y aura plusieurs jours de fervente esté, &
non en temps oportun ne deu, tout le temps presque au
rebours du bien de la terre : vray est que les vents seront
propres aux navigans, mais leur bonté et prosperité doit
redonder à telle malice & juste captivité que seroit bon si
au createur estoit acceptable que le vent austral eusse te-
nu tout l'empire des mers de levant, pour le grand mal qui
s'appreste par tout le terme de ce primtemps : & non con-
tent de ce usurper ceste disgrace par coeurs envenimez,
une partie de l'esté]. O quelle fureur sera entre barbare
nation, telle que oncques fut du temps de Tamburlans. «
On a mis entre crochets le texte absent du Recueil et au-delà des crochets, les deux textes sont identiques, si ce n’est que ne figure pas dans le dit Recueil de développement sur les différents Etats.
En revanche, dans le Manuscrit existe un passage intercalaire qui n’est pas repris dans la Pronostication imprimée. :
« Divers propos de guerres se tiendront à ce commencement du printemps. Plusieurs pasquils seront objectés tant pour la louange royale que pour soy garder de l’adversaire qui contrefait plus tost l’Annibal que le premier César Dictateur. Et à luy mesmes tel sera présenté Gallia Marte ferox, fraude timendus Afer Et par ce dit extemporanée d’une part & d’autres aura d’affaires. «
En tout état de cause, les quatrains apparaissent à deux reprises pour cette année 1555, en appendice de la Pronostication et quasiment sans explication et au sein de l’Almanach mais avec des textes en prose dont selon nous dérivent les dix quatrains. On notera que cette pratique ne s’est pas perpétuée et que les quatrains à partir de l’almanach pour 1557 n’ont plus débordé sur la Pronostication pour la même année, ce qui fit peut- être l’objet d’un arrangement entre libraires. On peut regretter d’ailleurs que Chevignard n’ait point reproduit en fac simile un almanach alors qu’il reproduit deux pronostications (pour 1557 et 1558), il est vrai qu’il en reste peu pour les années 1550.[4]
La lecture du Recueil nous montre que le texte de l’almanach des 12 mois de 1555 fait immédiatement suite à celui de la Pronostication des quatre saisons de la même année 1555.et ce sans aucune marque de transition et sans le quatrain général pour l’an 1555.. On ne sait pas si les quatrains figuraient dans le manuscrit de travail de Nostradamus qui sert de base au Recueil ou s’ils y ont été, comme nous le pensons, ajoutés par l’éditeur, au sens anglais du terme (Chevigny/Chavigny) Manque ainsi le fameux quatrain, le seul figurant dans le Brief Discours,
D’esprit divin l’âme présage atteinte
Trouble, famine, peste, guerre, courir
Eaux, siccité, terre & mer de sang teinte
Paix, tresve, à naistre, Prelats, Princes mourir
se trouve dans l’imprimé de la Pronostication mais point dans le manuscrit et sous une forme décalée pour le premier verset ::
Presage en general.
L'ame presage d'esprit divin attainte,
Trouble, famine, peste, guerre courir,
Eaux, siccité, terre mer de sang tainte :
Paix, trefve, à naistre : Prelats, Princes mourir.

Le procédé consistant à modifier le début d’un quatrain pour brouiller les pistes a été largement observé dans les faux almanachs Regnault des années 1560, dans les éditions centuriques de la Ligue, dans le corps du texte et dans la centurie VII, reprenant les quatrains de l’almanach pour 1561..
En fait, le seul almanach qui nous soit connu, à ce jour du moins pour cette décennie et dont nous avons une copie [5] est l’almanach pour 1557. En comparaison les pronostications sont moins rares (pour 1555, depuis peu, et 1557 et 1558, cette dernière encore inconnue de Chomarat et Benazra, en 1989-1990[6], comme déjà signalé. Quant au Recueil des Présages Prosaïques, il n’avait refait son apparition qu’au début des années 90 du siècle dernier quand il fut acquis par la Bibliothèque de Lyon. Nous avons montré, à partir de ces éléments[7], que vraisemblablement Nostradamus laissait à des collaborateurs le soin de compléter ses textes au niveau technique, comme il le faisait probablement aussi en ce qui concerne la composition assez fantaisiste des quatrains de ses almanachs, que l’on peut qualifier de « translation »..
Notre propos, dans cette étude, est de nous faire une idée aussi précise que possible du contenu de cet almanach pour 1555 qui ne nous est pas parvenu du moins directement mais par bribes- au niveau de ses seuls quatrains et de quelques développements techniques véhiculés par la Pronostication pour 1555. Un almanach dont on ne sait même pas à qui il avait été dédié, à la différence de la Pronostication pour cette même année 1555...
En principe, les almanachs débutaient par une « epistre liminaire », ce qui n’était pas le cas des Pronostications, genre plus superficiel et rapide à réaliser, relevant de Livres de Prophéties Perpétuelles, dont il semble qu’on les extrayait pour l’année considérée. Nous le savons à l’examen des Prédictions pour 20 ans, notamment, dans une édition posthume datée de 1568, parue à Rouen, chez Pierre Brenouzer (BNF Réserve pV 715 (1) et qui sont dites avoir été retrouvées dans la bibliothèque de Nostradamus, ouvrage portant le nom de plusieurs auteurs. Mais il est possible que Nostradamus, par le passé ait lui-même réalisé de tels travaux, impliquant le dressage de 4 thèmes par an – en tout cas 4 sondages dans les éphémérides, au lieu de 52 pour un almanach, par quartier de lune. pour couvrir 20 ans de « prédictions », il fallait moins de temps que pour réaliser deux almanachs ! La seule différence, c’est que dans ces séries, chaque année se voit attribuer une planète –selon l’ordre des jours de la semaine- ce qui ne figure pas dans les pronostications pour l’année.

Cela dit, on notera que dans l’almanach pour 1557, l’épitre liminaire figurant dans le manuscrit du Recueil des Présages Prosaïques n’a pas été reprise dans l’imprimé qui en découle, du moins pas dans l’édition de Jacques Kerver, à Paris, le privilège ayant été également accordé à Jean Brotot, à Lyon, dont le travail n’a pas été conservé en ce qui concerne l’almanach pour cet an 1557. En réalité, Nostradamus comme il s’en explique ne s’est pas adonné à cette tâche : « Je trouve que d’icy à l’an 1559, les astres font indication de tant & si divers troubles que la charte (carte du ciel) ne serait pas suffisante pour en recevoir les discours qui s’en peuvent faire mais ce sera pour un autre temps » Toutefois, Nostradamus ajoute : « Outre la présente année ces présages contiennent une partie de ceux qui appartiennent à celle qui suit & encore quelque chose à de 1559 qui sera l’année de la paix universelle par la grâce de celuy qui par son éternelle providence fait mouvoir les astres. » Ce passage non plus n’aura pas été retenu à l’arrivée. Or il est assez révélateur de ce que nous disions plus haut, à savoir que Nostradamus a étudié une série d’années – ce qui ne se fait pas pour la confection des almanachs. Il parle d’ailleurs de « présages », terme utilisé dans le genre des Prédictions pour 20 ans. (cf. l’édition parisienne de 1571, chez Nicolas du Mont ; Présages pour 13 ans qui n’est autre qu’une réduction des Prédictions pour 20 ans. Ce type de publication assez primaire sur le plan technique et qui pouvait se réaliser sur tout une série d’années- semble d’ailleurs avoir été délégué à son fils, Michel (alias Michel Nostradamus le Jeune)) On notera que ces « prédictions » ou ces « présages » sur 20 ans donnent lieu à des «prognostications » annuelles. Les mots ont ici leur importance, d’où l’intérêt de voir Nostradamus user du mot « présages » dans son introduction,
Or, il est à noter que l’on ne trouve pas non plus de quatrain en rapport avec l’Epistre liminaire pour 1557, ce qui montre bien que ces quatrains n’étaient composés que dans un deuxième temps. Mais le cas est ici ambigu puisque cette épitre liminaire est réduite à la portion congrue.
Mais, dans cet almanach pour 1557, on ne trouve pas non plus de quatrain général comme il y en a un dans l’almanach pour 1555 si bien que l’on débute, sans la moindre introduction sur le mois de janvier 1557.

Si l’on en revient, après ces préliminaires, à l’almanach pour 1555, nous disposons, grâce à la Première Face du Janus François d’un quatrain supplémentaire :
.
De l’épistre liminaire sur l’an 1555
La mer Tyrrhene, l’Océan par la garde
Du grand Neptun & ses tridens soldars
Provence seure par la main du grand Tende
Plus Mars Narbon l’heroiq de Vilars


Que s’est-il donc passé ? Pourquoi deux quatrains ont-ils disparu de là où ils devraient être, dont le premier déplacé en tête du Recueil, l’autre consacré à l’Epistre liminaire n’en figurant pas moins dans le Janus Gallicus, sachant que Jean Aimé de Chavigny est le maître d’œuvre des deux ensembles ? Ajoutons que ce ne sont pas tant les supposés quatrains qui ont disparu mais leur réplique en prose laquelle semble définitivement perdue, quant à elle si ce n’est au travers des dits quatrains qui permettent d’en deviner peu ou prou le contenu, si l’on admet qu’ils en dérivent. On s’en convaincra en étudiant le Recueil des Présages Prosaïques, en ce qui concerne l’an 1558. On y trouve une très copieuse Epistre Liminaire de pas moins de 4 pages ( Chevignard, op. cit., pp.287-290) encore que l’on ne trouve pas le quatrain de l’Epitre liminaire pour 1558.
Il est évident que s’il existe un quatrain relatif à l’Epistre Liminaire pour 1555, il y a du exister une telle Epitre. C’est le cas inverse que pour l’almanach pour 1558. Quid de l’almanach pour 1559 ? Il y a un passage intitulé « De l’epistre liminaire » mais pas de quatrain ad hoc. En revanche, il y a bien un quatrain sur l’an 1559 si ce n’est qu’il y a une variante pour le premier vers, dans l’ordre des mots :
« Poeur, glas, grand pille, passer mer, croistre regne » (Chevignard, op. cit, P. 132) et Grand pille, poeur, passer mer, croistre regne (Chevignard, op. cit. p 326), ce qui ne devait d’ailleurs pas changer grand-chose.
En fait, le seul quatrain pour une Epistre liminaire dont nous disposions est celui de l’an 1555 mais sans son texte en prose correspondant. Mais ce seul quatrain(en second dans la série des présages des éditions centuriques) nous est d’un certain enseignement en ce qu’il montre à quel point, chaque élément de l’almanach avait droit à sa réduction en vers. Etait-ce là plus qu’une coquetterie ? Probablement pas plus que cela, pensons-nous.
Ce quatrain « liminaire » comporte, on ne s’en étonnera pas des mots qui figurent dans l’almanach : comme Tyrrhene, dans la prose pour avril 1555, comme Neptune dans la prose pour le mois de juillet, pour celui d’aout mais aussi d’octobre (d’où sa présence dans le quatrain d’octobre)
Selon Patrice Guinard, on ne trouverait pas dans la Pronostication pour 1555, qui se trouve conservée à Lyon le texte qui figure dans le Recueil des Présages Prosaïques ?
Patrice Guinard écrit : »Le texte donné par Chavigny n'est pas celui de l'exemplaire de la Pronostication récemment redécouvert ». Il n’y a pas de quoi s’étonner. Nous avons indiqué dans notre post doctorat (accessible sur propheties.it) que les textes figurant dans le Recueil des Présage Prosaïques constituaient une maquette vouée à être complétée. Ce Recueil nous restitue le travail de Nostradamus et n’est aucunement une copie des imprimés. Par conséquent, il est tout à fait normal que l’imprimé comporte des développements supplémentaires mais aussi, comme on l’a vu, en évacue certains figurant au début du manuscrit de l’almanach pour 1555. Il est même concevable que le libraire de Lyon ayant reçu le manuscrit l’ait fait compléter autrement que chez son confrère de Paris, ce qui explique que l’almanach pour 1563 Barbe Regnault, libraire de Paris, qui récupère certains passages de l’almanach pour 1559 en donne une autre version que celle de l’impression lyonnaise dont on dispose désormais.
Il n’y a aucune raison pour supposer comme le fait Guinard que les développements concernant les saisons pourraient appartenir à l’almanach :
« Le calendrier de cet almanach Regnault est suivi d'une présentation "des quatre saisons de l'Année" telle qu'elle figurait peut-être dans l'Almanach pour l'an 1555. » Les almanachs ne comportaient pas de considérations sur les saisons alors que les pronostications comportaient, à la fin quelques développements sur les mois, repris des almanachs de l’année, ce qui leur permettait d’apporter des précisions qui n’étaient pas fournies dans la mouture d’origine, issue de « ‘livres de prophéties » qui se transformaient en Pronostication annuelle, au prix de quelques aménagements et ajustement. Cet appendice sur les mois de l’année observé dans les Pronostications explique d’ailleurs la présence des quatrains mensuels à la fin de la Pronostication pour 1555 et l’on peut regretter que cette habitude ne se soit pas perpétuée au-delà de la dite Pronostication. Il est vrai que les quatrains ne faisaient réellement sens qu’en vis-à-vis des présages en prose des almanachs. C’est ainsi qu’on intitulait ces quelques pages mensuelles dans les Pronostications : » Des lunes nouvelles, pleines & quartiers. » (Pronostication pour 1557) ou plus brièvement « Des Lunes & quartiers « de tel mois sans titre global. (Pronostication pour 1558)
On aura compris qu’il y a là tout un jeu terminologique rigoureusement codifié ainsi qu’une certaine répartition des rôles entre l’auteur et, plus en aval, des assistants stipendiés par les libraires, pouvant, comme de nos jours, chez les éditeurs, jouer un rôle plus ou moins déterminant par leurs interventions.
Ce sur quoi nous insisterons c’est sur cette succession de phases allant du plus général au plus particulier. Tout en haut, l’on trouve une sorte de balisage, de survol qui couvre toute une série d’années et qui porte plusieurs dénominations : Prédictions, présages ou prophéties– une vingtaine à la fois selon nous- et de là on fabrique les Pronostications qui en sont des extraits, voués à être complétés, ajustés, actualisés le moment venu. Mais le gros du travail c’est bien évidemment l’almanach, qui ne peut être accompli qu’au coup par coup. Qu’il y ait eu des tentatives de corrélation entre la pronostication annuelle et l’almanach annuel, on peut le supposer mais jusqu’à quel point ? Certes, la Pronostication qui commençait au printemps pouvait-elle récupérer certaines données des almanachs mais cela ne couvrait qu’un petit nombre de pages, comme on peut le voir pour les pronostications qui nous sont parvenues pour 1557 et 1558. Mais on ne serait pas surpris, à la suite d’un examen plus approfondi, de devoir constater des hiatus entre la pronostication et l’almanach pour la même année, vu que le texte de la pronostication pouvait dater de plusieurs années en arrière, lors de la mise en chantier d’un lot de 20 prédictions. Mais peut être Nostradamus lui-même ou tel assistant prenaient-ils la peine de veiller à supprimer toutes discordances majeures ou en tout cas de faire en sorte qu’elles aient des points communs. L’exercice avait certainement ses limites et il y aurait là matière à parler d’une autre forme de contrefaçon dans cette gymnastique d’harmonisation.
On nous objectera que le Recueil des Présages Prosaïques intègre bel et bien à la suite les deux genres. Selon nous, on se contentait de recopier l’année figurant dans les « livres de prophéties » dans le manuscrit augmenté d’une année sur l’autre. Il n’est d’ailleurs pas certain, on l’a dit plus haut, que le manuscrit du Recueil des Présages Prosaïques qui est conservé à Lyon ne soit pas une copie d’un autre manuscrit et n’a pas fait l’objet de remaniements, outre certaines notes marginales probablement dues à Chavigny. Toujours est-il que le manuscrit dont on dispose comporte des imperfections, des lacunes, comme dans le cas de l’année 1555 où le texte de l’Epistre liminaire a disparu dont le quatrain s’y référant témoigne même si le principe d’un quatrain correspondant à la dite épître nous parait douteux.
Mais nous ne saurions tout à fait conclure sans revenir sur la question de l’origine des quatrains centuriques. D’où sortirent donc ces quatrains ? En admettant qu’il y ait eu un premier train de « trois ou quatre cent carmes » pour reprendre le commentaire des Prophéties (antidatées) du Sgr du Pavillon, qui aurait pu avoir récupéré des quatrains « enveloppant » les vaticinations perpétuelles, pour reprendre la version Besson de la préface ad Caesarem Nostradamum, où les aurait-on trouvés ? On peut certes supposer que ces « livres de prophéties » comportaient un certain nombre de quatrains prolongeant des textes en prose, comme c’était le cas pour les almanachs. Certains quatrains centuriques ont un profil qui va dans ce sens. Les deux premiers quatrains de la première centurie ressemblent fort à un prologue réduit en vers. La question qui se pose est la suivante : à quel moment ces quatrains auraient-ils été composés ? L’étaient-ils déjà du vivant de Nostradamus ? On peut en douter puisque l’on n’en trouve point trace dans toute la chaîne de production des années durant. Videl dans sa Déclaration sur les « livres de prophéties » n’évoque que des versets regroupés de quatre en quatre, des almanachs. En définitive, un peu comme dans le cas de la Tétrabible de Ptolémée réduite en cent sentences (le Centiloque) par Albumasar-( voir l’ouvrage de Richard Lemay, Beyrouth 1972) au Xe siècle, on aura réduit, les Livres de prophéties de Nostradamus en centaines de quatrains. Ce travail a pu s’accomplir sur une certaine durée, non pas d’ailleurs nécessairement sous la forme de quatrains mais de formules lapidaires qui seront par la suite réunies en quatrains et à leur tour les quatrains en centuries, ce qui va donner un ensemble singulièrement hétéroclite, un même quatrain pouvant regrouper des vers du fait de la seule rime. C’est un peu ce que l’on trouve dans les Prophéties dédiées à la puissance divine et à la nation française[8] de Crespin. (édition antidatée Lyon 1572).


Le Recueil des Présages Prosaïques débute avec un quatrain pris aux quatrains de l’almanach pour 1555 soi disant pour l’année 1550, d’où l’importance accordé à ce prétendu premier quatrain de toute une série de quatrains. Ce faisant, le dit quatrain disparait de la place où il devrait se trouver, pour l’année 1555, si bien que l’on commence seulement, dans le Recueil, - à la suite du texte de la Pronostication pour 1555, par le quatrain de janvier 1555 sans le quatrain général de l’an 1555 et sans le quatrain de l’Epitre Liminaire qui, de toute façon, ne correspond pas à une pratique habituelle mais que Chavigny n’en présente pas moins dans la Première Face du Janus François...
Pour appréhender cet imprimé manquant qu’est l’Almanach pour 1555, nous avons donc disposé des sources suivantes plus ou moins fiables et qu’il convenait de recouper: les 13 quatrains figurant à la fin de la Pronostication pour 1555, le Recueil des Présages Prosaïques, qui ne dispose pas du « Présage en général » et la Première Face du Janus François, qui nous propose un quatrain de l’Epistre Liminaire qui n’a pas sa place au sein d’un almanach.
La Pronostication pour 1555 reproduit par ailleurs, outre les quatrains de l’almanach pour 1555 des développements qui ne se trouvent pas dans le Recueil des Présages Prosaïques mais qui correspondent à des éléments techniques que l’on rajoutait, ce que l’on peut observer si l’on compare l’Almanach pour 1557 et ce qui lui correspond dans le Recueil de Présages Prosaïques. Mais en l’occurrence, l’imprimé de l’almanach pour 1557 ne comporte pas de Présage pour l’an 1557 en général. En revanche, il comporte une Epistre Liminaire non traduite parallèlement sous forme de quatrain.
Des douze moys de l'an 1555.
Presage en general.
L'ame presage d'esprit divin attainte,
Trouble, famine, peste, guerre courir,
Eaux, siccité, terre mer de sang tainte :
Paix, trefve, à naistre : Prelats, Princes mourir.
Presage de Ianvier.
Le gros Erain, qui les heures ordonne,
Sus le trespas du tyran cassera
Pleurs, plainctz, & riz, eaux, glace pain ne donne.
V.S.C. paix. L'armee passera.
Ianvier sera pleine Lune le 7 à 8 heures 35 mi.
en Cancer, attrempé, puis pluyes, neiges, vents
glaces : mauvais temps. Dernier quart le 15 à
13 mi. en Libra, froit & sec, tendant à mauvais
temps du tout de froidure, gelees & pluyes. Nouvelle
lune le 22 à 14 h. 42 min. en Aquarius, pluvieuse passant
la queue du dragon. Premier quart le 29 à 6 chaut, humi-
de, peu attrempé, avecq brouillats espés, vents & neiges.

Notre étude ne serait pas achevée si nous ne revenions sur certains décalages chronologiques. Pourquoi dans le Brief Discours, on parle d’une collection allant de 1550 à 1567 et dans les éditions centuriques troyennes (du Ruau) de Présages couvrant cette fois la période s’étendant entre 1555 et 1567 ? Et pourquoi, dans ce cas, la Première Face en son titre commence-t-elle en 1534 ?
De fait, le Recueil commence bien en 1550, ce qui correspond à la description donnée dans le Brief Discours. La date de 1555 ne fait sens qu’au regard des quatrains mais non au regard des présages en prose. Le fait qu’un quatrain ouvre le Recueil ne change guère le fait que les quatrains commencent avec l’année 1555, d’autant que le dit quatrain n’est en fait que le « quatrain général » de l’an 1555 lequel n’est plus à sa place en tête des quatrains pour 1555 du dit Recueil. Le Livre premier, d’ailleurs, englobe les années 1550 à 1555, à l’exception de 1551 que Chavigny regrette de ne pas posséder : « Je suis à désirer les prédictions de l’Auteur sur l’an 1551 » Ce qui fait que le Livre I correspond bel et bien à l’An 1555 ; le Livre II à l’an 1557 (mais englobe aussi 1556 dont on n’a pas les quatrains s’il y en eut). Au total, cela donne 12 livres (ou centuries) de quatrains d’almanachs, ce qui conduit Chavigny à vouloir qu’il y ait parallèlement 12 livres ou centuries de quatrains, mais cette fois chaque centurie englobera 100 quatrains, sauf celles déclarées incomplètes (VII, XI, XII). On notera que dans le cas des éditions parisiennes de 1588-89, on aura constitué la centurie VII avec les quatrains d’une année- 1561- utilisant ainsi le mot centurie dans une autre acception, celle précisément des quatrains d’almanachs, les centuries d’almanachs étant beaucoup plus brèves, et se limitant en fait à 12 ou 13 quatrains. Par ailleurs, la Première Face commence bien avec l’an 1534, ce qui peut sembler étrange pour un commentaire prophétique de quatrains se situant vingt ans plus tard et plus mais cela tient au fait que Chavigny se veut aussi historien et doit s’en tenir à des dates qui fassent sens au regard des événements et pas seulement du point de vue de telle ou telle publication. Les deux premiers quatrains commentés (dont le quatrain placé en tête du Recueil et qui correspond au quatrain général de l’an 1555, ne sont pas mis en rapport avec une année particulière, tout comme les deux premiers quatrains de la première Centurie.
Ainsi l’importance accordée à l’an 1555 comme point de départ d’un prophétisme s’exprimant par le biais de quatrains explique selon nous tout le scénario lié à la date de 1555 pour la Préface à César et pour la première édition des Prophéties. Mais cette fois, ce ne sont pas les mêmes quatrains. Il semble que l’on ait voulu entretenir une certaine confusion en basculant d’une série de centuries de quatrains à une autre, les deux séries ne comportant pas les mêmes quatrains, l’une constituée de centuries de 12/13 quatrains d’almanachs et l’autre de centuries de cent quatrains. Mais en fait, il s’agirait probablement davantage d’une confusion : on aura cru qu’en 1555, Nostradamus avait composé un recueil de prédictions allant de 1555 à 1567. Or, il va de soi que si Commentaire des quatrains présages il y eut, il ne put avoir lieu qu’après coup et non dès 1555. Ce que Nostradamus écrit à son fils César en s’engageant à interpréter les quatrains, ne l’a pas été en 1555 mais bien en 1566, en se calquant sur le Testament du dit Michel de Nostredame de la même année. Et en tout cas cela n’aurait pas été imprimé avant la mort de Nostradamus. Et, en outre, une telle épitre ne visait pas le second type de centuries mais bien le premier.
Il nous semble donc assez clair que dans le contexte des années 1550, les es fameuses Centuries de 100 quatrains ne sont pas encore apparues. Nous en sommes à leur préhistoire. Mais l’on comprend comment la transition s’est faite autour de ce point de départ de 1555, initialement considéré comme celui de la série des quatrains d’almanachs avant de devenir la date clef d’une autre série de quatrains, associée à une Préface à César qui serait parue prématurément avec dix ans d’avance, un fils qui peut être en cache un autre, prénommé Michel comme son père.tout comme des centuries qui en occultent d’autres..

JHB
24. 08. 12

 

 



[1] (Rocher, 1982, pour l’édition française)
[2] transcrit en 1999 par B. Chevignard, Présages de Nostradamus, ed. Seuil,)
[3] (dans une étude sur son site du CURA
[4] Il n’est même pas certain que Chevignard ait jamais vu d’almanach de Nostradamus si ce n’est, si notre mêmoire est bonne, quand nous lui avons montré notre exemplaire. En fait, Chevignard jusque là ignorait dans quelle mesure le Recueil se distinguait des almanachs correspondants
[5] (communiquée par Pierre Brind’amour, il y a une vingtaine d’années, à partir de la collection Ruzo)
[6] (cette dernière ayant été découverte par nous à La Haye, au début des années 1990)
[7] Cf notre post doctorat sur Le dominicain Giffré de Réchac, sur propheties.it
[8] Cf nos Documents inexploités sur le phénoméne nostradamus, 2002


[1] Cf B. Chevignard, Présages de Nostradamus, pp./ 208 et seq
[2] CORPUS NOSTRADAMUS 16 -- par Patrice Guinard Almanach pour l'an 1555
[3] Cf nos Documents inexploités sur le phénoméne Nostradamus, 2002

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Updated Tuesday, 07 April 2015

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